Mme le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est une étape cruciale dans les sanctions infligées à la Russie par l’Occident. Depuis hier, plus aucun navire ne peut décharger de pétrole russe dans les ports de l’Union européenne, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, du Japon ou de l’Australie.

Au terme de difficiles négociations, notamment avec la Hongrie, pays de l’Union particulièrement enclavé et qui fait face à de grandes difficultés pour diversifier ses approvisionnements, un compromis a finalement été trouvé : seul le pétrole arrivant par bateau est concerné par l’embargo.

À cet embargo s’ajoute une nouvelle disposition, décidée vendredi dernier par l’Union européenne : les États membres se sont mis d’accord pour plafonner le prix du baril russe à 60 dollars. Ce plafond a été durci, avec l’ajout d’une disposition prévoyant de le maintenir 5 % en deçà du prix du marché du brut russe.

À ce stade, s’il faut nous féliciter de cette décision commune sur un sujet aussi stratégique, les pays de l’Union faisant face à des situations très disparates en matière d’approvisionnement énergétique et de possibilités de diversification, nous pouvons également nous interroger sur l’efficacité du dispositif, le baril russe se négociant aujourd’hui aux alentours de 65 dollars. Plusieurs pays ont d’ores et déjà fait part de leur déception.

J’en viens à une autre source d’énergie. La présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne a suggéré aux États membres de procéder à des ajustements des conditions d’activation du plafonnement des prix du gaz, jeudi 1er décembre, dans un premier projet de compromis relatif au « mécanisme de correction du marché ».

Présentée le 22 novembre, la proposition législative de la Commission européenne prévoit la mise en place automatique d’un plafond sur le prix du gaz négocié sur le marché des instruments dérivés TTF (taxe sur les transactions financières), lorsque deux conditions sont réunies de manière simultanée : premièrement, le prix de règlement pour les instruments dérivés TTF dépasse 275 euros pendant deux semaines consécutives ; deuxièmement, l’indice TTF European Gas Spot Index (EGSI) est supérieur de 58 euros au prix de référence du GNL au cours des dix derniers jours précédant la fin de la période de deux semaines susmentionnée.

Alors que les États membres partisans d’un plafond ont jugé ces conditions bien trop exigeantes, la proposition de la Commission va trop loin pour les pays opposés à tout plafonnement, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. Afin de trouver un compromis, Prague suggère d’abaisser de 275 euros à 264 euros la limite de prix au-delà de laquelle le plafond serait déclenché et de faire passer à cinq jours les deux périodes requises pour activer le mécanisme.

Le projet de compromis modifie également le champ d’application du mécanisme. Il ne serait ainsi plus limité aux dérivés TTF à un mois, mais concernerait également ceux dont l’échéance est comprise entre un et trois mois.

Enfin, Prague propose de supprimer l’obligation pour les États membres de notifier à la Commission européenne les mesures prises pour réduire la consommation de gaz et d’électricité en cas d’activation du mécanisme. Quelle sera la position de la France sur cette proposition ?

Alors que l’Union européenne entre dans l’hiver et que certains des pays membres font face à des températures inférieures à –10 degrés Celsius, les décisions doivent être prises rapidement.

À l’instar de la covid-19, la guerre en Ukraine est un accélérateur des tendances qui structurent l’Union européenne. Depuis des mois, la guerre est à nos portes et nous oblige à trouver des réponses adaptées. La démarche engagée par la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) lors du premier trimestre 2022 doit se poursuivre, afin de construire une Europe plus souveraine en matière d’énergie, mais aussi plus forte et capable d’agir en matière de sécurité et de défense.

À ce titre, nous nous félicitons de l’approbation par la Commission d’un investissement de près de 1,2 milliard d’euros dans la recherche et le développement en matière de capacités de défense : 61 projets collaboratifs seront soutenus et bénéficieront de financements du Fonds européen de la défense. Ces projets sont nécessaires pour renforcer, à la fois, nos fondations industrielles et technologiques de défense et leur politique de sécurité et de défense commune.

Nous saluons également l’accord trouvé entre les industriels allemands et français sur la phase 1B de l’avion du futur, le Scaf (système de combat aérien du futur). C’est une excellente nouvelle pour la France, mais aussi pour l’Europe de la défense, qui a tout de même du mal à prendre son envol…

C’est une percée majeure pour l’industrie de défense de l’Union, qui se situe au cœur de la « souveraineté européenne » souhaitée par la France. Si les blocages de la première phase du projet sont levés, il faudra de nouveau négocier pour les phases suivantes du projet.

Nous appelons de nos vœux des négociations plus apaisées pour les prochaines phases. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Europe est actuellement plongée dans une crise énergétique inédite.

La production des entreprises est menacée et freine la réalisation de l’objectif de réindustrialisation de l’Europe. Les collectivités sont au bord du gouffre, et avec elles les services publics fournis à nos concitoyens, qui eux-mêmes seront touchés tôt ou tard, puisqu’ils devront bien, un jour, payer le prix du bouclier tarifaire mis en place pour limiter en urgence l’impact de la hausse des prix.

La guerre en Ukraine, les tentatives de désorganisation du marché de l’énergie par la Russie et les sanctions prises par l’Union européenne contre le gaz russe ont mis en lumière les mauvaises décisions prises par notre pays en matière de nucléaire, ainsi que les lacunes du marché commun de l’énergie, en particulier pour ce qui concerne le calcul du prix de l’électricité.

En effet, alors que le prix du gaz s’est envolé du fait du contexte international, le coût de l’électricité atteint lui aussi, mécaniquement, des niveaux jamais vus par le passé, puisqu’il est calculé en fonction du coût de la dernière unité de production, qui est généralement une centrale thermique au gaz.

La politique des petits pas ne suffira pas pour remédier à cette situation. Traiter les conséquences de la crise énergétique sans accepter d’en voir les causes ne nous conduira qu’à une impasse et ne fera qu’aggraver l’état de nos finances publiques.

Le marché européen de l’électricité doit donc être réformé urgemment et en profondeur, en le décorrélant des prix du gaz, afin d’éviter que cette crise ne se poursuive ou ne se reproduise à l’avenir. Pourtant, la Commission européenne n’a toujours pas, à ce jour, présenté de proposition de réforme et ne devrait pas le faire avant mars 2023, alors que la période hivernale sera la plus risquée en termes d’augmentation des prix.

Rendons-nous bien compte que nous serons cet hiver confrontés à des risques de blackout et que des délestages seront très certainement mis en œuvre pour les éviter ! C’est du jamais vu, même si le Président de la République a tenté de nous rassurer en parlant de « scénarios de la peur »…

Je comprends bien que le sujet est très sensible parmi les États membres, qui ont chacun des mix énergétiques, donc des intérêts, différents. Mais la crise sanitaire nous a prouvé que l’Union était capable d’agir beaucoup plus rapidement qu’elle ne le fait actuellement ; quant à l’inadaptation du marché, elle est connue de longue date. Il faut accélérer de toute urgence sur ce volet, et la France doit peser de tout son poids en vue d’aboutir à une solution rapide.

Je souhaiterais donc savoir, madame la secrétaire d’État, si une accélération est prévue ou si nous devons nous résigner à attendre la fin du premier trimestre 2023, donc accepter les risques afférents à l’absence d’application d’une réforme durant l’hiver ?

En outre, pourriez-vous m’indiquer si des pistes commencent au moins à se démarquer ? Quel est, par exemple, l’avis du Gouvernement sur le système grec ?

Celui-ci consisterait à faire reposer la négociation du prix sur deux compartiments de centrales : d’un côté, les centrales « à forte proportion de coûts fixes », c’est-à-dire le renouvelable et le nucléaire, dont le prix de vente serait fixé sur la base d’un appel d’offres fondé sur le coût moyen de production ; de l’autre côté, les autres centrales, fonctionnant aux énergies fossiles, qui auraient un coût variable, le prix final de l’électricité étant alors formé par une moyenne pondérée des deux. Ou privilégieriez-vous d’autres pistes et, dans ce cas, lesquelles ?

Je voudrais, en outre, vous interroger sur une première étape intermédiaire qui pourrait être franchie en cas d’accord sur le principe d’un plafonnement temporaire du prix du gaz, dit « système ibérique ».

Il ne s’agit bien évidemment pas d’une réforme structurelle, et ce plafonnement n’a vocation à intervenir que dans des cas exceptionnels de très forte hausse des prix. Il aurait néanmoins le mérite d’éviter les situations les plus catastrophiques.

Cependant, des désaccords importants persistent entre les États membres, ce qui pourrait encore en retarder l’adoption. En effet, certains pays, dont la France, estiment que le plafond, fixé pour le moment à 275 euros le mégawattheure, est trop élevé et que les conditions sont trop difficiles à atteindre.

Cela a été dit, l’Allemagne et les Pays-Bas y sont pour leur part plutôt opposés, craignant une hausse de la consommation de gaz et un manque de compétitivité face aux marchés asiatique et américain, ce qui pourrait entraîner une rupture de l’approvisionnement du continent.

Or le plafonnement du prix du gaz serait justement accompagné d’un accord de solidarité entre les États membres pour la fourniture d’énergie, d’un accord pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables et d’un objectif de réduction de la consommation de 15 %, ce qui permettrait d’éviter les écueils soulevés par les sceptiques.

Par ailleurs, rien n’empêchera en parallèle d’augmenter les livraisons de gaz par le biais de sources dignes de confiance, telles que la Norvège ou l’Algérie.

Madame la secrétaire d’État, demeurez-vous optimiste sur l’obtention d’un accord ? Quel est l’état d’avancement des discussions ? Pouvons-nous espérer un assouplissement des conditions et/ou un abaissement du plafond, ou devrons-nous nous contenter du mécanisme très restrictif, présenté le 24 novembre dernier aux ministres de l’énergie, qui laisse peu d’espoir d’amélioration quant au prix du gaz ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)

Mme Gisèle Jourda. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque nous avons défendu il y a quelques années ici, au Sénat, la proposition de résolution européenne visant à créer le Fonds européen de défense, nous avons entendu des réactions étonnées de personnalités émérites – y compris d’un ancien ministre des affaires étrangères ! –, pour lesquels la paix paraissait durable.

Je n’insisterai pas sur le sujet qui a déjà été abordé par les intervenants précédents, mais la guerre est aujourd’hui malheureusement si proche qu’elle a nécessité de la réactivité de notre part. Après le défi sanitaire auquel l’Europe a dû faire face, il a fallu essayer d’apporter des réponses, ce qui n’a pas été si simple… La réactivité européenne est faite de diversité, et nous n’avons pas tous les mêmes objectifs ou les mêmes façons d’y parvenir.

J’évoquerai ce soir les questions de voisinage, de sécurité et de défense. Alors que la défense européenne n’était plus qu’un vain fantasme pour certains – peu nombreux – qui osaient penser plus loin que l’Otan, et alors que le Fonds européen de défense, pour la création et l’abondement duquel nous nous étions battus, avait été siphonné pour faire face au covid-19, l’Europe s’est enfin décidée à faire siens les mots d’autonomie et de boussole stratégique.

Au-delà de l’aide militaire inédite apportée aux forces armées ukrainiennes et de la décision de faire entrer l’Ukraine et la Moldavie dans le processus d’élargissement, le premier semestre de 2022 a été marqué par l’adoption du premier Livre blanc de la défense européenne.

Cette boussole stratégique européenne a fait l’objet d’un accord unanime des États membres à l’occasion du Conseil européen du 25 mars dernier : il convient de s’en féliciter, tout en restant vigilants. D’après les statistiques de l’Agence européenne de défense, les acquisitions communes de matériels atteignent seulement 18 % des dépenses de défense. C’est deux fois moins que l’objectif de 35 % fixé dans la boussole.

Ce soutien politique est inédit et doit reposer sur un triptyque : la stratégie, la technique et la crédibilité.

L’Union européenne devrait prochainement se doter enfin de la base industrielle et technologique de défense (BITD) autonome, qui sera le fondement technique de son indépendance.

Désormais, l’Union doit mettre en œuvre la feuille de route fixée par la boussole stratégique : c’est une condition nécessaire pour garantir sa crédibilité sur la scène internationale.

Cette stratégie, c’est d’abord la lecture partagée des menaces auxquelles l’Europe doit faire face. C’est aussi le renforcement de la capacité d’action rapide, de commandement et de contrôle. C’est également le renforcement de la coopération face aux menaces hybrides, dans des domaines tels que le renseignement, le cyber, l’espace ou la lutte contre la désinformation. C’est ensuite la question des investissements communs en matière de capacités militaires. C’est enfin les partenariats stratégiques de l’Union.

Il reste une série de questions qui n’ont pas encore été abordées et que je résumerai en une phrase : la défense européenne est-elle un projet visant la coopération ou l’intégration ?

Tant que nous ne clarifierons pas ce que notre politique de défense commune est censée représenter au sein de la construction européenne, nous ne serons en mesure ni de comprendre ce que l’Union doit faire et ne doit pas faire, ni de départager les attributions respectives de l’Union et de l’Otan.

En effet, le retour de la guerre n’est plus une hypothèse d’école. L’inacceptable agression russe perpétrée en Ukraine en est une preuve sanglante. Notre action ne sera crédible qu’à la condition que nous réalisions les efforts techniques et stratégiques nécessaires.

Depuis le 23 juin dernier, la politique de voisinage et d’élargissement de l’Union européenne est entrée dans une phase complètement inédite.

Dès lors, comment valoriser, dans le processus d’élargissement, les efforts incontestables réalisés par l’Ukraine et la Moldavie dans le cadre du partenariat oriental ? Doit-on prendre en compte les acquis obtenus dans le cadre de l’accord d’association, ou ces pays doivent-ils repartir de zéro dans cette longue procédure ?

Quid de la Géorgie, bon élève du partenariat oriental ? Nous ne pouvons pas dire qu’elle ne remplissait pas les critères, ce serait inexact.

Au début du mois d’octobre dernier était organisée la première réunion de la Communauté politique européenne (CPE), voulue par le Président de la République, pour permettre, selon lui, « aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération ».

Prompte à saluer toute initiative de coopération, je m’interroge sincèrement sur le fonctionnement de nos instances européennes et internationales existantes : ne sont-elles pas censées être déjà cet espace ? La CPE n’est-elle pas un doublon du Conseil de l’Europe, puisqu’elle en a le même périmètre ? Comment se passeront les futures réunions prévues en Moldavie et en Espagne ?

Je m’interroge : si nous n’arrivons pas à trouver des positions communes à 27, allons-nous y parvenir à 44 ? Et il y a un risque grave, celui que l’Union ne s’écartèle sous le poids des ensembles régionaux devenus trop puissants, ou qu’elle ne se détruise en raison d’intrusions de superpuissances bien mieux organisées que nous.

Le succès de la nouvelle phase de la politique d’élargissement qui s’est ouverte cet été reposera sur la capacité de l’Union européenne à faire preuve de pragmatisme et à développer des coopérations concrètes avec nos partenaires. La CPE peut en être l’un des éléments.

Entre une adhésion accélérée illusoire et une procédure interminable aux effets délétères, la CPE a au moins le mérite d’arrimer rapidement à l’Union les pays aspirant à la rejoindre.

Je conclurai en demandant la mise en œuvre d’un plan de relance du partenariat oriental. Un accord d’association était en voie d’établissement avec l’Azerbaïdjan. Où en sommes-nous ? N’abandonnons pas le partenariat oriental : c’est un outil qu’il ne faut pas négliger ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. André Reichardt. Très bien !

Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à quelques jours du Conseil européen, nous tenons ce traditionnel débat parlementaire visant à éclaircir les différents points qui y seront abordés.

Pour commencer, le conflit russo-ukrainien demeure le plus grand défi actuel de l’Union européenne. Dans une guerre unilatéralement déclarée par la Fédération de Russie, nous devons évidemment rester aux côtés du peuple ukrainien et de son gouvernement.

Alors que les soldats des deux armées creusent des tranchées et que les combats font rage, comme à Bakhmout où opère la sinistre milice Wagner – l’armée de l’ombre de Poutine –, une issue diplomatique semble impossible à court terme. Nous y sommes donc : la guerre de mouvement fait place à une guerre de positions.

Ces termes ne sont pas anodins pour nous, Français, puisqu’ils renvoient au premier conflit mondial, qui a marqué à jamais notre pays.

Nous devons aujourd’hui puiser dans les leçons du passé pour mieux préparer l’avenir. Il s’agit de prévenir tout embrasement militaire à l’échelle continentale. C’est pourquoi le soutien, tant militaire qu’humanitaire, en faveur de l’Ukraine doit se poursuivre et s’intensifier.

Aussi, pour paraphraser la devise européenne, nous avons l’impérieuse nécessité de rester « unis dans la diversité ».

Unis, comme cela fut le cas lors de l’adoption de plusieurs paquets de sanctions, dont les effets limités restent toutefois perceptibles, puisque le PIB russe a diminué de 4 % en 2022.

Solidaires, aussi, en matière de défense : l’envoi de troupes françaises, tchèques, italiennes ou encore belges dans les États limitrophes de la Russie participe à maintenir une posture commune face à Moscou. J’ai une pensée particulière pour nos soldats mobilisés, tout particulièrement pour le 4e régiment de chasseurs alpins de Gap, dans mon département des Hautes-Alpes, qui est actuellement stationné en Roumanie.

Mes chers collègues, quand les démons du passé frappent aux portes du présent, il est de notre devoir de démocrates de faire triompher la raison sur la passion, l’humanité sur la brutalité.

Oui, cette guerre a définitivement été un révélateur des forces et faiblesses de l’Union européenne à tous les niveaux. Si j’ai mis en avant la réaction unanime et concertée des États membres face à l’agression russe, il ne faudrait pas pour autant occulter nos erreurs collectives et ne pas en tirer d’enseignements.

Je pense, par exemple, aux décennies de débats autour de l’autonomie militaire de l’Union, qui nous fait aujourd’hui défaut. Si la France a toujours été proactive sur ces sujets, de nombreux États membres ont souvent repoussé les discussions aux calendes grecques. L’accroissement des dépenses militaires annoncées par l’Allemagne ou encore la demande d’adhésion à l’Otan de la Suède et de la Finlande vont dans le bon sens, mais ce n’est que le début du processus.

L’autonomie stratégique au niveau européen est une assurance vie face aux futures mutations géopolitiques, dans un ordre mondial toujours plus troublé.

Néanmoins, autonomie ne signifie pas isolationnisme. C’est pourquoi je m’inscris dans les récents propos du Président de la République, qui, à l’occasion de sa visite d’État aux États-Unis, a appelé à renforcer « l’intimité stratégique » entre les deux côtés de l’Atlantique. Nous sommes des frères d’armes, a-t-il dit, et je suis d’accord avec lui.

Cette nécessaire autonomie s’applique également au secteur énergétique, comme l’ont souligné certains orateurs. Le développement des énergies renouvelables au sein d’un mix énergétique doit être favorisé à l’échelle européenne. En effet, les situations se révèlent très disparates : alors que la Hongrie dépend à 80 % de la Russie pour ses besoins en gaz, d’autres États, comme la France, possèdent une autonomie énergétique relative.

Je dis bien « relative », car il est question non pas uniquement de la production, mais de l’ensemble de la filière : des matières premières à la commercialisation, en passant par le traitement des déchets. Car oui, comme vous l’avez sans doute lu dans la presse récemment, mes chers collègues, l’unique entreprise capable de recycler l’uranium de nos centrales nucléaires est russe ! Le groupe Orano continue donc d’expédier de l’uranium vers l’usine de Seversk, en Sibérie, appartenant au groupe Rosatom.

En parlant de dépendance économique, je souhaite également évoquer la récente annonce par le gouvernement américain d’un Inflation Reduction Act.

Ce plan de réformes, qui couvre aussi bien la santé que le soutien aux entreprises, comprend en particulier un volet climat. Près de 400 milliards de dollars serviront à financer des mesures sur dix ans, qui doivent permettre aux États-Unis d’atteindre leur objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour les particuliers, cela signifie, par exemple, une aide de 7 500 dollars pour l’achat d’un véhicule électrique ou un dispositif de soutien à l’installation de panneaux solaires.

Jusque-là, tout va bien, mais ces mesures concernent uniquement les produits et services provenant du sol américain ou nord-américain. Cette véritable clause de préférence nationale n’est pas sans conséquence pour les Européens, parce qu’elle met en danger nos industriels.

L’administration Biden va favoriser les Tesla américaines par rapport aux BMW allemandes et aux Renault ou Peugeot françaises. Il y a surtout un risque de délocalisations massives d’entreprises européennes, tandis que des entreprises américaines qui avaient investi en Europe préféreront fabriquer sur le sol américain pour bénéficier des aides.

Cela a été rappelé à plusieurs reprises, ces mesures ouvertement protectionnistes vont à l’encontre des principes de libre-échange de l’OMC. C’est du moins ce qu’ont déclaré les ministres de l’économie allemand et français.

Face à cet état de fait, nous, Européens, devons réagir. Soit en négociant des dérogations, comme cela est le cas pour les Canadiens ou les Mexicains. Soit, comme l’a proposé le Président de la République, en établissant des dispositifs similaires, afin de sauvegarder les industries européennes et d’affirmer la place du vieux continent dans la compétition mondiale face à la Chine. J’attends, madame la secrétaire d’État, des précisions sur ce point.

Le dernier dossier que je souhaite aborder devant vous n’est pas le plus médiatisé, mais c’est celui qui a le plus d’écho dans les territoires ruraux : la nouvelle politique agricole commune (PAC).

Pilier de la construction européenne, l’ambition de l’autosuffisance alimentaire a toujours animé cette politique. Bien que plus de 387 milliards d’euros y soient consacrés jusqu’en 2027 avec des objectifs sociaux et environnementaux ambitieux, deux écueils, et non des moindres, persistent.

Tout abord, les nouveaux objectifs s’inscrivent dans le Pacte vert européen visant à favoriser la transition écologique. Dans cette perspective, une étude du Joint Research Center a conclu que la mise en œuvre de cette démarche entraînerait une réduction de la production : de 10 % à 15 % dans les filières céréales, oléagineux, viande bovine et produits laitiers, de plus de 15 % dans le porc et la volaille et de plus de 5 % dans les légumes et les cultures permanentes.

J’alerte donc : la transition écologique dans le domaine agricole, c’est non pas produire moins, mais produire mieux.

Oui, il faudra bien nourrir nos concitoyens. Et si nos agriculteurs produisent moins au nom de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, nous aurons recours aux importations depuis l’étranger, dont l’empreinte écologique est bien supérieure. L’écologie doit infuser toutes nos politiques agricoles, et elle doit se conjuguer avec les défis alimentaires à venir.

Ensuite, à la différence de l’ancienne PAC, la nouvelle prévoit que ce sont les États qui définissent les priorités du pays et les critères sur lesquels seront versées les aides vertes, dans le cadre d’un plan stratégique national. Que les États aient une marge d’appréciation ou d’adaptation pour la bonne application de la PAC, c’est une chose ; mais que chaque État fixe sa feuille de route, c’en est une autre.

Concrètement, nous assistons à une renationalisation de cette politique qui n’a plus que les fonds en commun. J’en appelle au Gouvernement, afin qu’il engage tous les moyens possibles pour préserver notre agriculture et nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. André Reichardt. (M. Jean-Claude Anglars applaudit.)

M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les discussions du prochain Conseil européen seront une nouvelle fois dominées par la guerre en Ukraine et ses conséquences sur notre continent. Néanmoins, les chefs d’État et de gouvernement débattront aussi à cette occasion des relations qu’entretient l’Union avec son voisinage méridional.

Nos liens avec la rive sud de la Méditerranée et, au-delà, avec le continent africain revêtent naturellement de multiples dimensions. Mais l’actualité récente – celle de ce qu’il faut bien appeler le fiasco de l’Ocean Viking, mais aussi celle, un peu plus ancienne, du drame de Melilla en juin dernier – vient nous rappeler à quel point la question migratoire reste prégnante.

Sept ans après le déclenchement de la crise de 2015, nous ne pouvons que constater combien l’Europe reste engluée dans ses contradictions, incapable d’opposer une réponse commune à des mouvements migratoires qui semblent toujours plus incontrôlés.

Dès 2016, pourtant, un premier paquet de réformes avait été proposé par la Commission Juncker. Malgré un certain nombre d’accords entre le Parlement et le Conseil, il s’est finalement heurté au mur des dissensions concernant la prise en charge des demandeurs d’asile. La Commission von der Leyen a donc repris le flambeau, mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, ces propositions sont elles aussi bloquées depuis deux ans.

La présidence tchèque, comme avant elle la présidence française, ne ménage pas ses efforts pour parvenir à un compromis. Quelques progrès sont certes à saluer, sur Eurodac ou sur le règlement Filtrage. Mais l’équilibre global, indispensable pour que la réforme puisse aboutir, semble toujours largement hors de portée – équilibre entre États, bien sûr, mais aussi entre institutions.

En effet, le Conseil, malgré ses divisions sur l’aspect solidarité, se retrouve largement sur certains points fondamentaux, comme la protection des frontières extérieures, le renforcement de la politique de retours ou l’attention accrue portée au modus operandi de certaines ONG en Méditerranée, qui se révèle parfois – je dirais même souvent – contraire aux règles et procédures définies par les conventions internationales.

Cette approche est malheureusement loin d’être partagée au Parlement européen, voire au sein de la Commission, où prévaut une ligne différente, qui s’apparente parfois à une consécration de facto d’un nouveau droit à la migration – je parle bien d’un « droit à la migration ». La Commission semble rejeter par principe un postulat pourtant fondamental : nul ne doit pouvoir entrer ou s’installer sur le sol européen sans y avoir été au préalable légalement autorisé.

Entre ces deux conceptions divergentes, l’Europe semble toujours incapable de trancher. L’agence Frontex et son désormais ex-directeur exécutif ont fait les frais de cette opposition entre le Conseil, la Commission et le Parlement, ainsi que des injonctions politiques contradictoires qui n’ont cessé d’en découler, alors même que Frontex a comptabilisé 281 000 passages illégaux des frontières de l’Union en une année, en progression – excusez du peu ! – de 77 % par rapport à l’année précédente…

Cette ambiguïté de l’Union maintient notre continent dans un tragique état de fragilité face aux phénomènes migratoires, le condamne à un certain nombre de psychodrames – la récente crise franco-italienne en est une parfaite illustration – et le contraint malheureusement à rechercher de vagues solutions d’attente.

La Commission a ainsi présenté le 21 novembre dernier un plan d’urgence en vingt points censé répondre à la hausse des flux en Méditerranée et aux mésententes des États membres concernant les opérations de recherche et de sauvetage. Un plan qui, dans les faits, ne prévoit rien de véritablement concret ni de très nouveau, notamment par rapport au mécanisme volontaire de solidarité mis en place en juin 2022.

En attendant, le nombre des arrivées et des demandes d’asile explose de nouveau. Quant à la politique de retours, la présidence tchèque constate que, malgré les outils mis en place, ses résultats restent médiocres.

Madame la secrétaire d’État, les institutions européennes ont signé une feuille de route avec en point de mire un accord d’ici à février 2024, soit l’ultime limite avant les prochaines élections européennes. Ce calendrier, avant tout basé sur des considérations politiques, risque malheureusement de ne pas être tenu. Il y a pourtant urgence à conclure ce dossier, qui n’a que trop duré et qui sape chaque jour un peu plus la crédibilité du projet européen vis-à-vis de nos concitoyens.

N’oublions pas non plus que, avec la crise de 2015, ce sont les fondations mêmes de l’espace Schengen qui ont vacillé, menaçant d’emporter avec elles le principe de libre circulation.

La question de l’asile et des migrations reste donc indissociable de celle du fonctionnement de l’espace Schengen. La réforme engagée, bien qu’elle soit loin de la « remise à plat » voulue il y a quelques mois par le Président de la République, apparaît néanmoins utile. Mais elle aussi n’avance que lentement. Et alors qu’elle n’a pas encore été menée à bien, la Commission et le Parlement européen viennent de donner leur aval à l’adhésion de la Croatie à l’espace Schengen,…