Mme le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes
Discussion générale

Mme le président. Je suis saisie, par MM. Salmon, Labbé, Dantec, Fernique, Benarroche, Breuiller, Dossus et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, d’une motion n° 4.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

La parole est à M. Daniel Salmon, pour la motion.

M. Daniel Salmon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, faut-il relancer la filière nucléaire en France ?

Mme Brigitte Micouleau. C’est évident !

M. Daniel Salmon. Voilà, en substance, la question qui nous est posée avec ce projet de loi. La réponse, selon une approche rationnelle, est évidente : c’est non (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), et cela pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, en mettant ce projet de loi à l’ordre du jour du Parlement, le Gouvernement ne respecte pas le débat démocratique qui a lieu en ce moment même – nous sommes là dans le droit fil de l’histoire du nucléaire.

En effet, sont en cours une concertation publique sur le mix énergétique, ainsi qu’un débat, organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) jusqu’au 27 février prochain, sur le projet de construction d’une paire d’EPR 2 sur le site de Penly, et, plus largement, sur le programme de construction de six nouveaux réacteurs.

Ce projet arrive également avant les débats qui doivent se tenir autour de la future loi quinquennale de programmation sur l’énergie et le climat, dont doivent découler la programmation pluriannuelle de l’énergie et la stratégie nationale bas-carbone. C’est à l’issue de ces débats, et évidemment pas avant, que sera défini notre mix énergétique, et je note que, sur ce point, nous sommes en accord avec le rapporteur.

En plaçant le présent projet de loi dans ce calendrier, l’idée du Gouvernement est de gagner quelques mois – quelques mois à comparer aux trente-quatre années d’études et de construction pour un EPR qui n’a pas encore fourni 1 mégawattheure !

Demander aux parlementaires de voter un projet de loi actant une relance du nucléaire avant cette loi de programmation, alors qu’aucune obligation légale ou réglementaire ne l’impose, nous paraît largement prématuré et profondément anti-démocratique. Quel est l’objectif, sinon mettre les acteurs concernés, ainsi que nos concitoyens, devant le fait accompli ?

Toutes les garanties doivent être apportées pour que ces choix politiques soient pris dans le respect du Parlement et de nos concitoyens, et non décidés unilatéralement par le chef de l’État, à Belfort.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’oppose au fondement même du projet : la relance du nucléaire.

Nous ne pouvons que nous y opposer, même si nous sommes lucides sur le fait de devoir encore, hélas ! composer avec le nucléaire existant un certain temps. Depuis des années, en effet, l’inaction est de mise sur l’efficacité et la sobriété, et le rythme de développement des énergies renouvelables n’a pas été respecté.

Il n’est pas acceptable de relancer des activités nucléaires polluantes et dangereuses qui nous engagent pour au moins un siècle, alors que les menaces de tous ordres, en particulier les bouleversements climatiques, vont accroître de façon considérable les risques encourus par cette filière.

Qui peut vraiment prédire le climat et l’état de la planète en 2050, alors qu’il y a déjà d’énormes incertitudes sur les cinq ans à venir ? Ce n’est pas acceptable, d’autant que des solutions alternatives totalement crédibles, non dangereuses, plus rapides à mettre en œuvre et bien moins chères sont à portée de main.

Nous tenons en premier lieu à souligner l’incohérence de l’objectif affiché dans l’exposé des motifs quant à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

Le temps de développement des nouveaux réacteurs est long, très long – soyons lucides, on ne peut pas envisager une échéance de moins de quinze ans, et probablement de vingt ans. Or le dérèglement climatique demande des solutions ayant un impact fort dans les dix années à venir. C’est maintenant qu’il faut agir, et radicalement !

D’ailleurs, le Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, classe le nucléaire loin derrière les énergies renouvelables et les économies d’énergie, au regard des objectifs de développement durable qu’il a établis, en prenant en compte les coûts élevés, la nécessité d’un soutien public très important, l’enjeu de la gestion des déchets, les impacts sur les ressources en eau, la pollution liée aux mines d’uranium, le risque de prolifération, etc.

Nous ne pouvons exposer la question du nucléaire sans parler des enjeux de sûreté.

Les impacts des accidents nucléaires survenus dans le passé perdurent. Ainsi, trente-six ans après l’accident de Tchernobyl, des territoires entiers restent contaminés. Il ne suffit pas de minimiser les faits d’une manière mensongère dans une bande dessinée pour que cela devienne réalité ! Il faudra des siècles pour que la radioactivité disparaisse des sols. À Fukushima, il faut continuer à refroidir le combustible. Plus d’un million de tonnes d’eau contaminée restent présentes sur le site.

En France, un accident nucléaire n’est pas une vue de l’esprit : un tel scénario a été chiffré par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) – jusqu’à 430 milliards d’euros pour un accident majeur. Selon Gregory Jaczko, ancien président de l’Autorité de sûreté nucléaire américaine, les accidents nucléaires graves sont inéluctables.

Le nucléaire est un malade chronique, qu’il faut surveiller sans cesse en temps de paix. Mais il faut ajouter à cette maladie une vulnérabilité intrinsèque face aux agressions extérieures, ce qui en fait une énergie profondément dangereuse. Nous pouvons le constater encore aujourd’hui avec la situation gravissime autour de la centrale de Zaporijia, en Ukraine.

Autre sujet de vulnérabilité, dont les manifestations vont aller croissant : les bouleversements climatiques, entraînant une hausse du niveau de la mer, un accroissement de la température et une baisse du débit des fleuves, des tempêtes et tornades de plus en plus fréquentes et violentes, des inondations… Qui peut prévoir ce qui se produira avec des EPR conçus aujourd’hui, mais qui entreront en production en 2040, dans un monde dont la température aura augmenté de 2 degrés, et termineront leur carrière en 2100, avec, peut-être, une température ayant progressé de 4 degrés ?

Certains associent facilement nucléaire et souveraineté, mais depuis quand « nucléaire » rime-t-il avec « indépendance énergétique » ?

Nos 210 mines ont produit en totalité l’équivalent de dix ans de consommation. Elles sont toutes fermées depuis vingt ans. Aujourd’hui, 100 % du combustible est importé. Ces importations se font au prix de compromissions avec certains régimes autoritaires et au mépris de la santé des populations locales. Au Niger, par exemple, l’extraction d’uranium suscite des poussières radioactives, empoisonne l’eau et la nourriture et affecte la santé des habitants.

Quant au coût du démantèlement des centrales en fin de vie, sur ce sujet comme sur d’autres, EDF avance des chiffres totalement fantaisistes, déconnectés des réalités.

Les déchets sont l’autre bout de la chaîne d’un cycle qui n’est pas du tout fermé, malgré ce que l’on entend dire. Stockés dans des piscines, exportés, non comptabilisés, ces déchets attendent une issue. Ce sera peut-être Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) pour les plus radioactifs, un enfouissement sans retour aux risques et aux coûts sous-estimés. Pour les moins radioactifs, issus des démantèlements, la solution avancée semble être la dissémination, la dilution dans l’environnement.

Tout cela a et aura des coûts faramineux, et c’est bien le contribuable qui devra mettre la main au portefeuille – une habitude pour le nucléaire !

Par ailleurs, où va-t-on vraiment gagner du temps avec ce projet de loi ? Ce ne sont pas les procédures administratives en matière d’urbanisme ou de droit de l’environnement qui freinent le déploiement du nucléaire, comme le laisse croire ce texte. Cette analyse simpliste ne permet pas de poser les vraies questions sur les défaillances et les contraintes structurelles de l’énergie atomique.

Il faut plutôt chercher dans les domaines du travail de conception, des études détaillées, de l’instruction technique. À tout cela s’ajoute l’absence de compétences, qui suscite des malfaçons en cascade.

J’en viens au fleuron, l’EPR, la définition même de ce que l’on appelle un fiasco industriel et économique, mis en cause au mois de juillet 2020 par la Cour des comptes elle-même, au travers d’un rapport extrêmement sévère sur la filière.

Ce rapport revient sur la longue liste des problèmes responsables des retards interminables et du surcoût du chantier de Flamanville, ainsi que des autres réacteurs en construction de par le monde. Surtout, la Cour des comptes met en doute l’opportunité de relancer un nouveau parc nucléaire, appelant l’État à se demander si d’autres options de production d’électricité ne sont pas plus pertinentes et moins chères.

L’EPR, en effet, est aussi un gouffre financier. Ce qui pourrait seulement interroger devient proprement scandaleux lorsque le coût estimé pour Flamanville atteint désormais près de 20 milliards d’euros et que le chantier n’est toujours pas terminé.

Quel acteur du secteur privé pourrait se permettre un budget multiplié par six ? Comment se fier, pour la construction d’autres EPR,…

M. Stéphane Piednoir. Ce ne sont pas les mêmes acteurs !

M. Daniel Salmon. … à une filière incapable de gérer un budget et un calendrier ?

De plus, le retour d’expérience sur ce fiasco de l’EPR est incomplet. Refuser de tirer les leçons de ce chantier catastrophique avant d’engager la France dans des projets de nouveaux réacteurs, qui connaîtront très probablement à leur tour retards, surcoûts et malfaçons, n’est pas acceptable.

Décider le lancement de ces projets revient à mépriser la démocratie, la sûreté et les générations futures, qui devront porter le poids de ces nouveaux boulets à leurs pieds.

Alors que cet échec industriel et économique n’est plus à démontrer, est-il opportun de remettre une pièce dans la machine ? Le Gouvernement, comme l’administration, s’arc-boute sur des schémas du XXe siècle – on a précédemment évoqué le président Pompidou. Il reste habité par cette mystique qui veut que la grandeur de la France passe nécessairement par une industrie nucléaire triomphante, à l’énergie prétendument peu chère et abondante.

Se lancer sur cette trajectoire de construction de nouveaux réacteurs, c’est mettre quasiment tous nos œufs dans le même panier, avec toutes les incertitudes sur les délais, les coûts et les garanties de sécurité que cela comporte. De tels investissements asphyxient tous les autres besoins de financement pour la sobriété, l’efficacité et les énergies renouvelables. C’est proprement irresponsable !

Pour conclure, les propositions des sénateurs et sénatrices écologistes sont claires. Les économies d’énergie couplées à une rapide montée en puissance des énergies renouvelables, une production tout à la fois décentralisée et en réseau : voilà la vraie transition énergétique que nous défendons !

Le scénario fondé à 100 % sur les énergies renouvelables est techniquement réalisable, comme l’a démontré l’étude conjointe de Réseau de transport d’électricité et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), pourvoyeur d’emplois, plus résilient face à une crise et plus rapide à mettre en œuvre. Il sera mieux intégré dans les territoires et permettra la réappropriation du système énergétique par les citoyens.

Parce que nous ne voulons pas avoir raison à titre posthume, parce que la centralisation du pouvoir qui va de pair avec l’énergie nucléaire n’est pas démocratique,…

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Salmon. … parce que nous refusons d’adhérer à l’ébriété énergétique qui est vendue par le nucléaire et qui pousse à retarder la transition, parce qu’il nous faut des solutions applicables immédiatement,…

Mme le président. C’est terminé !

M. Daniel Salmon. … parce que nous refusons de léguer aux générations futures le poids incommensurable d’une relance du nucléaire, parce que nous voulons faire vivre la démocratie, le groupe GEST vous invite, mes chers collègues, à rejeter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)

Mme le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cette motion n’est pas pertinente, et cela pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, aucune difficulté d’ordre constitutionnel ou conventionnel n’a été soulevée à l’encontre de ce projet de loi dans l’avis du Conseil d’État.

Ensuite, notre commission s’est assurée que les consultations avaient bien été effectuées, notamment celles du Conseil national de la transition écologique, du Conseil national d’évaluation des normes et de la mission interministérielle de l’eau.

Enfin, comme je l’ai dit précédemment, notre commission a certes regretté le séquençage retenu, qui aurait dû commencer par le projet de loi de programmation pour se poursuivre par le présent projet de loi, puis par le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables – c’est effectivement le seul point sur lequel nous nous retrouvons, monsieur Salmon. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Ce séquençage ne fragilise pas pour autant la constitutionnalité du texte.

Ainsi, les débats publics prévus sur le nouveau programme nucléaire, dont les deux EPR de Penly, et sur le mix énergétique se poursuivent sous l’égide de la Commission nationale du débat public.

J’ajoute que notre commission est très sensible à la question de la participation du public. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu lors de nos travaux, d’une part, que la qualification de projet d’intérêt général soit affectée uniquement après le débat public, et, d’autre part, que le Gouvernement précise à la représentation nationale les sites soumis à autorisation de création de nouveaux réacteurs ou, à l’article 9, à réexamens périodiques.

Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est défavorable. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe GEST.)

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Sans surprise, mesdames, messieurs les sénateurs, mon avis sera également défavorable.

La première raison à cela, M. le rapporteur l’a très bien rappelé, est précisément qu’un débat public est en cours – il y en a même deux ! – pour associer le public et interroger les Français.

Le premier – nous avons suivi la Commission nationale du débat public – concerne le mix énergétique de l’ensemble de notre pays pour les années à venir. Le second, spécifique à la première paire de réacteurs à Penly, est élargi à l’acceptabilité du nucléaire. Ces débats sont en cours et, respectant la démocratie participative, nous en verserons les résultats dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.

C’est pourquoi, et tout le monde l’a bien compris, je crois, le projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat, qui intégrera cette programmation, sera présenté à la fin de ces débats publics et après que les concertations nécessaires au bon fonctionnement de notre démocratie auront été menées. Cela se produira dans le courant de l’année 2023.

Dès lors, pourquoi ce projet de loi ? Ce texte porte sur des autorisations qui prendront plusieurs années à être obtenues, compte tenu de la complexification de notre droit, par exemple en matière d’urbanisme ou de zones littorales, depuis la construction des premiers réacteurs nucléaires, à la fin des années 1970 et au début des années 1980.

Il ne faudrait pas que ces procédures administratives et techniques soient ralenties de plusieurs années, et c’est de cela que nous parlons aujourd’hui ! Il est question des premiers dossiers qui doivent être préparés et déposés aujourd’hui, si vous voulez que nous ayons des réacteurs nucléaires en 2035 ou 2037, ce qui est l’objectif du Gouvernement.

En d’autres termes, nous ne confondons pas vitesse et précipitation. Nous sommes dans l’anticipation : c’est très exactement de cela qu’il s’agit.

Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à rejeter cette motion, qui met en danger notre mix énergétique à long terme et qui ne répond pas aux enjeux climatiques.

Je voudrais également répondre à quelques-uns des points mentionnés.

Pour le Giec, l’énergie nucléaire est bien l’une des réponses au réchauffement climatique – les auteurs du rapport l’écrivent noir sur blanc, même s’ils ne la présentent pas comme la solution première. (M. Ronan Dantec sexclame.) Vous connaissez ce rapport mieux que moi, monsieur le sénateur Dantec. Je ne vous ferai pas l’injure de vous sous-estimer sur ce sujet !

Par ailleurs, s’agissant des déchets, nous avons des propositions et nous mettons déjà des mesures en œuvre.

Quant aux mines et à la façon dont celles-ci sont exploitées, dois-je rappeler que, pour les énergies renouvelables, on consomme du lithium et du cobalt, tout en utilisant des aimants permanents ?

M. Fabien Gay. C’est vrai !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Les mêmes questions se posent donc dans ce secteur. D’ailleurs, elles ont peut-être été mieux anticipées pour l’uranium que pour les matières utilisées dans celui-ci – c’est, à l’heure actuelle, un travail important qui est mené sur le sujet par mon ministère et au niveau européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Comme vous le savez, mes chers collègues, nous ne souscrivons pas aux arguments avancés par le groupe écologiste s’agissant du mix électrique. Mais nos collègues ont évidemment tout à fait le droit d’avoir leurs arguments, et nous aurons, après que chacun aura exposé ses positions, un débat.

Pour notre part, nous partageons l’idée d’un mix électrique comprenant une part non négligeable de production nucléaire et le développement des énergies renouvelables, dans un cadre entièrement public – vous le savez, nous ne lâcherons rien sur ce sujet.

Toutefois, s’agissant de la question de forme que soulève le groupe écologiste par la voix de Daniel Salmon dans la motion tendant à opposer la question préalable, pardonnez-moi de dire que nos collègues ont raison !

On nous indique que le contenu des débats publics sera versé aux discussions à venir. Peut-être est-ce parfaitement constitutionnel, monsieur le rapporteur, mais il y a aussi une question politique ! On n’ouvre pas un débat public en organisant, en même temps, le débat au Parlement. C’est exactement pareil lorsque l’on nous invite à débattre rapidement sur les retraites, tout en nous disant que l’on mènera simultanément une concertation avec les partenaires sociaux…

Par ailleurs, nous sommes amenés, ici, à prendre une décision sur le nucléaire sans être revenus auparavant sur l’actuelle loi de programmation pluriannuelle de l’énergie, qui prévoit un objectif de 50 % de la production d’électricité d’origine nucléaire.

Je suis désolé de le dire, mes chers collègues, on prend le problème à l’envers ! Comme nous ne cessons pas de vous le répéter depuis le mois de juillet dernier, madame la ministre, ayons le débat politique et fixons les objectifs avant d’aborder les textes qui permettent de les atteindre. J’y insiste, le travail que nous sommes en train de mener ira à l’encontre de la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie toujours en place !

Enfin, imaginons – ce n’est pas mon souhait, je le précise – que, dans la prochaine loi de programmation, nous retenions le postulat de RTE, à savoir 100 % d’énergies renouvelables. Ce que nous faisons aujourd’hui serait caduc, et nous nous serions réunis pendant deux ou trois jours pour rien.

Pour ces raisons, nous nous abstiendrons sur la motion de nos collègues écologistes tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour explication de vote.

M. Jean-Michel Houllegatte. Sans reprendre l’argumentaire de Fabien Gay, auquel nous souscrivons pour ce qui concerne la procédure, je voudrais apporter une précision.

Nous n’examinons pas aujourd’hui le texte du Gouvernement, dont l’objectif était d’anticiper sur les plans administratif et juridique les décisions à venir, qui seront élaborées dans le cadre de la future stratégie française en matière de climat et d’énergie que nous appelons tous de nos vœux. Nous examinons le texte qui a été voté par la commission des affaires économiques du Sénat, laquelle a modifié, voire dévoyé, si j’ose dire, le texte initial, pour traduire dans la loi le discours du Président de la République à Belfort. Elle est même allée au-delà des intentions présidentielles !

Là où, comme l’a mentionné le rapporteur pour avis, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, saisie pour avis, a sécurisé de façon rigoureuse et responsable le texte, notamment en précisant la notion de proximité immédiate et le séquençage des travaux, en définissant les bâtiments sensibles, en veillant à ce que l’Autorité de sûreté nucléaire puisse toujours assumer ses fonctions, la commission des affaires économiques – sous l’ombre de Pierre Messmer, allais-je dire – a établi une nouvelle programmation énergétique. Celle-ci va s’imposer lors de la discussion de la future loi de programmation, en court-circuitant toutes les procédures de concertation et de débat public, ce qui s’apparente à une forme de déni de démocratie consultative.

Mes chers collègues, nous ne sommes plus dans les années 1970 : il faut, d’une certaine façon, remettre les choses dans l’ordre !

Bien que nous déplorions la présentation prématurée de ce texte, si celui-ci se cantonne à des aspects administratifs et juridiques, nous sommes favorables, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à la poursuite de son examen. Nous essaierons en effet de revenir aux dispositions proposées par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

En conséquence, nous nous abstiendrons sur la motion.

Mme le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.

M. François Bonhomme. Il est toujours amusant de voir l’illustration de certains dogmatismes ! Je reconnais au groupe écologiste une certaine continuité dans l’erreur ; nos collègues ont toujours été contre le nucléaire et pour le tout-EnR. Mais dire que le processus démocratique n’a pas été respecté est discutable, d’autant que l’on discute du sujet depuis de nombreuses années ici.

Je reconnais que l’inversion du calendrier – présenter des textes sur le nucléaire ou les énergies renouvelables pour, en toute fin de processus, passer la programmation pluriannuelle – paraît assez illogique. Pour autant, ce n’est pas parce que le processus démocratique est accompli que la décision adoptée est bonne. (Murmures sur les travées du groupe GEST.)

Je rappelle à cet égard les orientations prises en 2011, avec, à l’époque, un accord électoral entre les Verts et les socialistes – le candidat François Hollande n’était pas encore président, mais il a mis cette décision en œuvre. Il est incontestable que celle-ci a été prise dans le cadre d’un processus ratifié par les élections. Ce fut un choix tout à fait démocratique, qui se révèle aujourd’hui catastrophique ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

Vous voyez donc, mes chers collègues, qu’un processus démocratique parfaitement réalisé ne garantit pas une bonne décision.

Par ailleurs, on dit que le calendrier serait prématuré ; pour ma part, je crois surtout qu’il est tardif. On a mis des années à changer d’orientation. Non, le Président de la République n’est pas allé à Belfort : il est allé à Canossa ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Quoi que vous en disiez, madame la ministre, et même si vous ne voulez pas le reconnaître, c’est un revirement !

Enfin, je n’ai pas une admiration totale pour le gourou médiatique qu’est Greta Thunberg. Mais, devenant adulte, celle-ci a reconnu voilà quelques mois qu’il valait mieux avoir des centrales nucléaires que des centrales à charbon. Tout arrive, mes chers collègues… En attendant, nous payons aujourd’hui très cher nos erreurs stratégiques et nous n’avons pas fini de les corriger ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Moga. Même si mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même regrettons le désordre inhérent à l’examen parlementaire de notre politique énergétique et l’absence de loi globale sur l’énergie, nous ne voterons pas cette motion, parce que le texte que nous allons examiner permettra de limiter les freins, de lever les blocages, de contourner les obstacles à la construction de nouvelles centrales et à la modernisation des réacteurs existants, parce que le nucléaire est aujourd’hui incontournable dans notre mix énergétique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 4, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes
Article additionnel avant le titre Ier - Amendement n° 12

Mme le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes ici une majorité à être d’accord pour simplifier et alléger le carcan normatif pesant sur la construction de nouvelles centrales nucléaires et l’entretien du parc existant.

Cependant, nous ne saurions réduire le débat sur ce projet de loi à de simples allègements administratifs, sans évoquer la vision et le cap de notre politique énergétique, si tant est qu’il en existe encore un.

La temporalité de l’examen de ce texte est tout d’abord doublement anachronique.

Nous sommes encore soumis à la mauvaise trajectoire de la précédente programmation pluriannuelle de l’énergie pour les années 2018 à 2023 et nous légiférons sans connaître les objectifs pour la période courant de 2023 à 2028, qui seront fixés dans quelques mois seulement.

En effet, dans la continuité de la politique menée depuis 2012, l’exécutif a prévu en 2018 la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires d’ici à 2035, pour passer la part du nucléaire de 80 % à 50 % dans notre mix énergétique national.

Les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ont ainsi été fermés en 2020 après quarante-trois ans de fonctionnement, soit la moitié de la durée de vie de certaines centrales aux États-Unis, et alors que nous avons une ingénierie de pointe en la matière. Vous êtes, madame la ministre, pour le départ à la retraite à 64 ans pour tous, sauf pour les réacteurs nucléaires ! (M. Fabien Gay rit.)

Puisque le présent texte prévoit désormais le départ à la retraite des réacteurs au-delà de 60 ans, il serait incompréhensible de ne pas revenir sur cette décision. Cette centrale, en effet, ne présentait aucun dysfonctionnement mettant en cause la sûreté de l’installation.

À cette problématique s’ajoute celle, d’ordre juridique, qui consiste à savoir si l’on peut définir une stratégie souveraine, indépendamment de celle que fixent les institutions européennes, sous le regard attentif et la main interventionniste de l’Allemagne.

Aujourd’hui, notre filière nucléaire est la première victime des choix de Bruxelles, que vous appliquez avec le zèle qui vous caractérise.

Dès lors, oui, je ferai tout pour actionner les faibles leviers qui sont les nôtres en faveur de la prolongation des centrales existantes et la construction d’EPR de nouvelle génération et de petits réacteurs modulaires. Mais, non, je ne participerai pas à l’enthousiasme communicationnel autour de ce tout petit texte rédigé à la hâte, car je suis chaque jour aux côtés des Français qui voient leur facture énergétique exploser en raison de vos choix désastreux.

Je suis aux côtés des artisans et des entreprises précarisés, non pas à cause de la guerre en Ukraine, mais à cause de vos renoncements sur la filière nucléaire, notamment l’abandon du projet Astrid (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration), après celui de Superphénix.

Je suis aux côtés des maires qui voient leur budget rabougri, obérant le développement de leur commune.

Les événements du dernier week-end en Allemagne sont l’image parfaite de ce que nous ne voulons pas voir chez nous : une guerre sociale, des villages détruits pour des mines et d’ignobles éoliennes qui s’étendent avec un appétit sans fin. (Murmures sur les travées du groupe GEST.)

C’est pourtant ce qui se profile avec la réouverture du site de Saint-Avold et le développement des énergies intermittentes. Votre entêtement idéologique et vos petits accords électoraux avec les talibans verdoyants (Exclamations sur les travées du groupe GEST. – M. Thomas Dossus salue ironiquement.), qui, on l’a entendu tout à l’heure, n’en ont jamais assez, conduisent le pays au désastre économique et écologique !