PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

Article 7 (suite) (suite)
Dossier législatif : projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Discussion générale

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Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Alain Duffourg.

M. Alain Duffourg. Lors du scrutin n° 219 sur les amendements identiques nos 9 rectifié ter et suivants, l’ensemble de mon groupe souhaitait voter pour, à l’exception de Mme Nathalie Goulet, qui souhaitait s’abstenir.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

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Article 7 (suite) (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Article 7 (suite)

Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein de l’article 7, aux amendements identiques nos 83 rectifié, 1911 et 3405.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Après l’article 7 (début)

Article 7 (suite)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 83 rectifié est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Corbisez, Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux.

L’amendement n° 1911 est présenté par MM. Iacovelli, Lévrier, Hassani, Patriat, Bargeton et Buis, Mme Cazebonne, MM. Dagbert et Dennemont, Mme Duranton, M. Gattolin, Mme Havet, MM. Haye, Kulimoetoke, Lemoyne, Marchand, Mohamed Soilihi et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

L’amendement n° 3405 est présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Après l’alinéa 12

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…° Le 1° de l’article L. 351-17 est ainsi rédigé :

« 1° L’âge jusqu’auquel l’assuré peut présenter une demande, qui ne peut être inférieur à 25 ans ; »

La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour présenter l’amendement n° 83 rectifié.

Mme Nathalie Delattre. La loi Touraine de 2014 a permis la valorisation des stages dans la durée de vie au travail et leur intégration au système des retraites en ouvrant aux étudiants la possibilité de demander la prise en compte des périodes de stage en entreprise, dans la limite de deux trimestres.

Ce dispositif permet aux assurés de rallonger leur durée d’assurance et, dans certains cas, d’atteindre le taux plein, afin d’améliorer leur niveau de vie à la retraite – c’est une très bonne chose.

Ce droit, conditionné au versement de cotisations à un tarif préférentiel, impose toutefois que la demande soit présentée dans un délai qui ne peut excéder deux ans après le stage. Ce délai, particulièrement court, explique pourquoi ce dispositif est très peu utilisé. Les étudiants et les jeunes actifs à qui il s’adresse n’ont soit pas connaissance de ce dispositif, soit pas les moyens de racheter ces périodes de stage.

Aussi, cet amendement vise à assouplir le dispositif pour que ce rachat puisse intervenir jusqu’à un âge qui ne saurait être inférieur à 25 ans.

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour défendre l’amendement n° 1911.

M. François Patriat. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 3405.

Mme Raymonde Poncet Monge. La loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite permet aux étudiants de demander le rachat de leurs périodes de stages en entreprise, dans la limite de deux trimestres.

Ce dispositif, bien que modeste, est une bonne chose, car il permet de valider plus facilement la durée d’assurance requise pour le taux plein et d’améliorer ainsi, indirectement, le niveau de la pension.

Toutefois, la demande de rachat doit être effectuée dans un délai de deux ans maximum après le stage. En l’état, le dispositif se heurte donc à deux problèmes.

D’une part, c’est un dispositif méconnu : la plupart des jeunes qui cherchent d’abord à s’insérer ignorent son existence et n’en prennent connaissance que lorsque le délai est dépassé.

D’autre part, il s’adresse à de jeunes actifs, qui ne sont pas pleinement en capacité de racheter ces périodes de stage en début de carrière. Je rappelle que le taux horaire de gratification est de 4 euros minimum. Les stages s’accompagnent souvent d’une situation de précarité. Les stagiaires doivent bien souvent compter sur la solidarité familiale ou sur des emprunts.

De plus, à l’issue du stage, l’insertion professionnelle est parfois difficile. Il est impossible pour certains anciens stagiaires de racheter leurs trimestres tout en remboursant leur emprunt. Le dispositif semble donc inadapté.

Aussi, le Groupe Écologiste – Solidarité et Territoires propose d’assouplir les conditions de rachat de trimestres de stage et appelle à ce qu’une information à l’intention des stagiaires figure dans la convention de stage pour lutter contre le non-recours à ce dispositif.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour lassurance vieillesse. Nous sommes tout à fait favorables à l’allongement de ce délai de rachat. Je vous prie, monsieur le ministre, de nous préciser vos intentions sur le sujet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de linsertion. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.

Il s’agit d’une mécanique similaire à celle des amendements que nous avons examinés avant la suspension. Si l’amendement est adopté, la loi disposerait que l’âge minimum jusqu’auquel le rachat est possible est de 25 ans, mais l’intention du Gouvernement est de prendre un décret fixant cet âge à 30 ans, afin de tenir compte de la diversité des parcours.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 83 rectifié, 1911 et 3405.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 3595 est présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon.

L’amendement n° 4290 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Apourceau-Poly et Cohen, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec et P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Varaillas et M. Savoldelli.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéas 13 à 15

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je profite de la défense de cet amendement pour revenir sur le mécanisme de la décote. En effet, la réforme de l’âge de départ a pour conséquence d’augmenter le nombre de personnes touchées par ce dispositif.

Vous vous vantez, monsieur le ministre, de ne pas déplacer l’âge de la décote, qui est tout de même de 67 ans… Comptiez-vous le porter à 69 ans ? Ce serait tout de même difficile. Vous vouliez initialement reporter l’âge légal à 65 ans. À quel âge serait alors intervenue la décote ? À 70 ans ?

Ce qu’il aurait fallu faire, monsieur le ministre, c’est soit, comme le propose le Groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, supprimer la décote, soit, a minima, la remettre à 65 ans.

Les études de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) réalisées en 2020 montrent comment, de réforme en réforme, le nombre de personnes touchées par une décote progresse. Selon le département des études statistiques de la Cnav, ce nombre a par exemple progressé de trois points pour la génération 1952.

Les femmes, vous le savez, sont particulièrement affectées par ce mécanisme. Elles sont 20 %, soit deux fois plus que les hommes, à devoir attendre l’âge de 67 ans pour mettre fin à ce mécanisme.

On dit souvent de la décote qu’elle est une double peine, car les carrières hachées éloignent des conditions requises pour bénéficier du taux plein. Je rappelle que, décote ou non, la pension a toujours un coefficient de proratisation, contrairement à ce que l’on pense souvent. Or si ce coefficient est juste, à condition que les minima soient assez hauts, en cela qu’il tient compte du prorata de la carrière, la décote a un effet démultiplicateur – c’est en cela que l’on parle de double peine – qu’il conviendrait d’annuler.

Monsieur le ministre, vous nous expliquez que vous ne retardez pas l’âge de la décote, mais ne pas aggraver une situation ne constitue pas une mesure sociale !

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 4290 rectifié.

M. Pascal Savoldelli. Actuellement, les égoutiers ont droit à un départ anticipé à la retraite à l’âge de 52 ans, à condition d’avoir au moins réalisé douze années de service, dont six consécutives. Compte tenu de la difficulté de ce métier, c’est la moindre des choses.

Excusez-moi d’entrer dans les détails, mais les égoutiers décrochent à coups de pelles les graisses de cuisine accumulées sur les parois, retirent les lingettes qui peuvent boucher les évacuations, ratissent les collecteurs pour éviter les ensablements et peuvent patauger jusqu’à la taille pour pousser des wagons remplis de déchets.

Aux difficultés physiques s’ajoutent des risques sanitaires : ils peuvent être exposés, sous terre, à de l’hydrogène sulfuré – qui, en très grande concentration, peut se révéler mortel – ou à des particules d’amiante.

Ces conditions de travail ne sont pas sans conséquences. Le médecin Claude Danglot, qui est désormais retraité, avait mis au jour un écart d’espérance de vie de sept ans entre un égoutier et un ouvrier. Je vous le dis avec solennité : dix ans après leur départ à la retraite, sur dix égoutiers, sept ou huit sont morts.

Je ne cherche pas à faire polémique, mais j’ose espérer que mes collègues Retailleau, Patriat et Malhuret ne recourront pas à l’article 38 sur un sujet d’une telle gravité. Voilà une occasion de faire œuvre de responsabilité !

Comme ce sujet nous invite à prendre un peu de hauteur par rapport à la vivacité de nos débats, je citerai Aimé Césaire, pour dire qu’il faut laisser de l’espérance aux égoutiers : « C’est quoi une vie d’homme ? C’est le combat de l’ombre et de la lumière… C’est une lutte entre l’espoir et le désespoir, entre la lucidité et la ferveur… Je suis du côté de l’espérance, mais d’une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté. »

Mes chers collègues, maintenons le régime spécial des égoutiers. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. René-Paul Savary, rapporteur. La commission a réfléchi à la question et considère que le recul de l’âge doit s’appliquer aussi bien aux sédentaires qu’aux actifs et aux super-actifs.

Les égoutiers font un travail remarquable et très important. Toutefois, dans la logique de ce texte, il est plus raisonnable de ne pas supprimer cette disposition.

De plus, les durées d’exposition n’ont pas été allongées pour ce type de métier. Il est important qu’on n’enferme pas ces agents dans un dispositif où ils resteraient exposés longtemps à des facteurs de risque. Il convient plutôt de trouver un dispositif qui leur permette, une fois réalisée la période obligatoire, de poursuivre leur carrière dans un métier moins exposé.

Aussi, la commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Mesdames, messieurs les sénateurs, jamais vous ne m’entendrez nier la difficulté et la pénibilité associées au métier qu’exercent les agents des souterrains égoutiers. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils font partie des catégories dites « super-actives », qui bénéficient d’un âge de départ anticipé à 52 ans, et bientôt à 54 ans.

Aussi, dans le cadre de cette réforme, nous avons décidé de laisser inchangée la durée de service, en l’occurrence douze ans de services en tant qu’égoutier et trente-deux ans de service dans la fonction publique au total, pour qu’ils puissent profiter de cet âge de départ anticipé.

De plus, nous avons facilité l’accès à des dispositifs permettant à ces agents de changer de métier à un moment de leur carrière.

M. Stanislas Guerini, ministre. Nous avons défendu dans cet hémicycle une avancée considérable : la portabilité complète, à la fois des durées de service et de toutes les bonifications associées aux métiers des catégories actives. Nous avons également supprimé la clause d’achèvement, qui imposait aux agents des catégories actives de terminer leur carrière en tant qu’agents de ces catégories. Ce faisant, nous nous sommes dotés d’outils d’aménagement de carrière.

Par ailleurs, nous devons aussi travailler non seulement sur des dispositifs de réparation, c’est-à-dire la possibilité de partir plus tôt à la retraite, mais surtout sur des dispositifs de prévention – nous aurons l’occasion d’en discuter à l’article 9.

Ainsi, nous allons créer des fonds de prévention de l’usure et de la pénibilité. Nous sommes en discussion avec les employeurs territoriaux – puisqu’il s’agit d’agents de la fonction publique territoriale – qui nous rejoignent sur la question. C’est en construisant et en investissant sur des outils collectifs de prévention de l’usure et de la pénibilité, en complément des mesures de réparation, que l’on répondra réellement aux préoccupations des agents qui exercent les métiers les plus exposés et les plus pénibles.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements.

Mme Laurence Rossignol. J’ai bien écouté M. le ministre. Si j’avais eu un doute sur l’opportunité de voter ces amendements, il aurait fini de me convaincre : il faut les voter !

Monsieur le ministre, une petite musique descend du château, sous forme d’éléments de langage, jusque dans les ministères, selon laquelle les gens devraient changer de métier. J’ai vu voilà quelques jours une vidéo dans laquelle il était demandé au Président de la République, au salon de l’agriculture, si une infirmière pouvait travailler jusqu’à 64 ans. Celui-ci a répondu : « J’espère que d’ici là, elle aura changé de métier ! »

D’une part, nous manquons d’infirmières, donc cela nous arrangerait bien si elles ne changeaient pas de métier ; d’autre part, cette idée du salarié flexible, adaptable, qui changerait de métier comme on change de start-up ou comme on change ses actions en bourse, ce n’est pas ce que les gens veulent ! Cette vision dénote une forme de mépris pour les savoir-faire que les travailleurs ont acquis dans leur métier. Ôtez-vous cela de l’esprit, même si, en ce moment cela vous arrange de dire cela.

Par ailleurs, mon collègue Savoldelli nous a donné des chiffres que, personnellement, j’ignorais, et qui ont dû interpeller chacun d’entre nous : sur dix agents qui partent à la retraite à 54 ans, sept ou huit ne sont plus là dix ans plus tard. Vous parlez de fonds de prévention – formidable ! –, mais il faudra dix ans pour que nous en observions les premiers résultats !

Tous ceux qui sont déjà en catégorie active et qui sont exposés depuis vingt ou trente ans doivent pouvoir partir suffisamment jeunes à la retraite pour pouvoir profiter un peu de ce temps. Le fonds de prévention concernera les prochaines générations, pas celles visées dans l’immédiat par votre réforme.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Chers collègues, je ne sais pas comment vous dire les choses autrement : faisons preuve de sagesse. L’amendement pourra être examiné à l’Assemblée nationale dans le cadre de la navette.

Ces chiffres n’ont rien d’idéologique, ils n’ont rien à voir avec une quelconque étiquette politique. Vous ne les avez d’ailleurs pas contestés. Chers collègues, avant 55 ans, la surmortalité des égoutiers est de 97 %… Nous pouvons débattre, faire vivre le clivage gauche-droite, etc., mais enfin là, quand même…

Comme vous, j’ai eu un parcours d’élu et je connais les travaux d’assainissement. Dans le département du Val-de-Marne, nous travaillons d’ailleurs avec le privé, dont les expertises enrichissent celles du secteur public.

Ce sont certes des invisibles, mais ne pas maintenir ce régime spécial dépasse l’entendement. Nous pourrons toujours en discuter dans le cadre de la navette, mais maintenez-le !

Monsieur le ministre, je partage les propos de ma collègue Rossignol sur le fait de changer de métier. Je ne vais pas m’inventer une histoire, mais j’ai eu l’occasion de rencontrer énormément de gens exerçant des métiers extraordinaires dans la fonction publique.

Vous savez, il y a des femmes et des hommes qui aiment leur métier et qui n’ont pas envie d’en changer. Dans leurs équipes, ils ont rencontré des gens formidables, de l’humanité, ils ont créé du lien social. Ce n’est pas à eux de changer, c’est à nous de créer les conditions pour qu’ils puissent s’épanouir un minimum !

Je vous demande donc de faire preuve de sagesse, mes chers collègues. Personne ne perdrait son identité à ce qu’on se rassemble sur ces amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre. Je reprends la parole, car il s’agit d’un débat important.

M. Stanislas Guerini, ministre. Je suis heureux qu’on puisse le tenir, car nous avons peu parlé des métiers de la fonction publique. Nous pouvons évidemment nous retrouver sur plusieurs éléments.

Je passe mes journées à réfléchir à des moyens d’améliorer la situation des agents de la fonction publique, dont beaucoup sont bien sûr extraordinairement attachés à leur métier et aiment ce qu’ils font, car cela a du sens et qu’ils servent l’intérêt général.

Nous devons donc réfléchir à la fois aux mécanismes de réparation et aux mécanismes d’adaptation. En cela, il y a une différence fondamentale entre vous et nous : vous opposez l’un à l’autre. Vos interventions sont d’ailleurs quelque peu contradictoires.

Tout d’abord, vous dites que ces agents ne veulent pas changer de métier. Or c’est déjà sur ce principe que reposent les bénéfices liés au mécanisme de la catégorie super-active, puisque, comme je vous l’ai dit, ils doivent servir douze ans en tant qu’égoutiers et trente-deux ans dans la fonction publique. Nous avons donc déjà limité la période d’exposition à la pénibilité en la réduisant, pour ce métier en particulier, à douze ans. Il s’agit d’une durée de service plus courte que les dix-sept ans ou vingt-sept ans associés aux autres métiers de la fonction publique. Le système a donc déjà été construit pour permettre de changer de métier. (M. Pascal Savoldelli proteste.)

Au fond, les trois questions que nous devons nous poser sur les métiers comportant une réelle pénibilité sont les suivantes : est-il possible d’aménager son temps de travail ? Est-il possible d’aménager son poste de travail, c’est-à-dire améliorer les conditions de travail ? (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

M. Pascal Savoldelli. Il n’y a pas de télétravail possible pour les égoutiers !

Mme Céline Brulin. Dans quel monde vivez-vous ?

M. Stanislas Guerini, ministre. Est-il possible de changer de métier ?

Nous apportons des réponses à ces trois questions dans le projet de loi.

Sur l’aménagement du temps de travail, nous introduisons la retraite progressive, c’est-à-dire la possibilité de se mettre à temps partiel en fin de carrière, qui n’existait pas auparavant pour la fonction publique – nous aurons l’occasion d’en débattre.

Sur l’aménagement du poste de travail, nous menons une politique de prévention, que je ne veux pas opposer à celle de réparation. Je ne baisse pas les bras. Dans la fonction publique territoriale, il existe, au sein de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) un fonds national de prévention. Savez-vous combien il y a sur ce fonds ? 15 millions d’euros ! Savez-vous combien sont utilisés chaque année pour la prévention ? 5 millions d’euros !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Et c’est un problème !

M. Stanislas Guerini, ministre. Ce fonds est largement sous-utilisé.

La révolution culturelle managériale que nous devons faire, c’est investir davantage sur l’adaptation des métiers et la prévention. (Marques dironie sur les travées du groupe CRCE.) Je vois que le mot « managérial » vous fait réagir, mais je l’assume ! L’attention managériale est celle qui est portée à adapter les postes.

Peut-on changer de métier ? Oui, des parcours doivent être proposés aux agents publics qui le souhaitent pour leur donner la possibilité de se former. Actuellement, nous ne le faisons pas suffisamment. Ces fonds de préventions permettront de financer des formations pour que les agents puissent changer de métier.

Vous voyez, il n’y a pas de fatalité. Nous avons une différence fondamentale : vous dites parfois que deux ans de travail supplémentaire, c’est deux ans de prison ferme ; ce n’est pas ma vision ! (M. Pascal Savoldelli proteste vivement.)

Je ne nie pas la pénibilité des métiers, mais nous devons être capables d’apporter des solutions concrètes et immédiates !

M. Pascal Savoldelli. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! On parle de gens qui meurent ! Vous faites de la polémique !

M. Bernard Bonne. Tout le monde meurt !

M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.

M. Claude Raynal. Monsieur le ministre, vous êtes moyennement convaincant. Dans un propos, il y a toujours du juste et du moins juste, on en comprend une partie…

Ce qui pose problème, c’est la gestion des délais. Nous connaissons le discours entrepreneurial, faisant état d’une vision positive de la fonction publique qui se mobilise, qui change, etc. Nous sommes nombreux à avoir été élus locaux et nous savons qu’il faut parfois mobiliser et motiver les agents pour que les choses changent, notamment dans les communes.

Le problème, c’est la différence entre le temps du discours et celui de sa mise en pratique. Nous devons penser à la réalité actuelle, à savoir que, dès maintenant, les agents vont être amenés à travailler deux ans de plus. Voilà la réalité !

Les mesures dont vous parlez, si tant est qu’elles soient mises en œuvre, mettraient dix ou quinze ans à porter leurs fruits. En attendant, vous ne résolvez rien. La réalité des chiffres qui vous ont été présentés continuera. Nous devons garder cela à l’esprit et trouver des solutions de court terme. C’est pourquoi nous voterons ces amendements.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je reprends à mon compte l’argument de M. Raynal sur la temporalité. La réalité, c’est que les gens n’ont qu’une vie. Nous ne pouvons pas nous contenter de leur dire que nous ferons mieux dans dix ans grâce à la prévention, que les métiers auront évolué, que les mutations d’emplois seront plus faciles… En effet, pourquoi ne pas repenser la durée de départ à la retraite dans ce cas ?

Sauf que pour ceux dont nous parlons, c’est ici et maintenant qu’il faut agir. Même en travaillant avec la meilleure volonté du monde sur votre fonds de pension, vous ne préviendrez pas les risques du jour au lendemain ni n’organiserez la mutation de ceux qui exercent ce métier depuis longtemps.

Puisque vous nous annoncez une loi Travail, j’espère que nous aurons l’occasion de discuter de la façon dont le système a parcellisé les tâches, de la façon dont les travailleurs sont non plus considérés comme les acteurs d’une collectivité, l’entreprise, mais comme des unités, plus ou moins interchangeables à cause des contrats précaires et de la sous-traitance, devant accomplir une tâche à l’instant t.

Or, historiquement, toutes les logiques de promotion sociale dans l’emploi ont été liées à la continuité des salariés dans une même entreprise ou branche, grâce à la formation en continu. Nous avons tué cette logique, chacun étant désormais circonscrit dans sa propre tâche et devant trouver un nouvel emploi dès la fin de l’accomplissement de celle-ci.

Vous allez dire à tous ces agents : « Maintenant, tu dois travailler plus longtemps même si tu n’es pas apte à le faire. » Ce n’est pas en disant aux gens qu’ils vont travailler plus et qu’ils devront se former pour arriver à suivre, que nous allons régler le problème.

La première des choses à faire, c’est de maintenir le système actuel : les égoutiers ne doivent pas partir à la retraite au-delà de 52 ans. Cela ne nous empêchera pas de débattre sur l’évolution du travail, la formation continue, etc. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST. – M. Yan Chantrel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Mon collègue Pascal Savoldelli défend cet amendement avec passion, et même une certaine émotion, car s’il rencontre, comme beaucoup d’entre nous, de nombreux travailleurs et travailleuses qui exercent des métiers utiles et essentiels, le métier d’égoutier est à part.

En effet, l’espérance de vie d’un égoutier est dégradée de dix-sept ans par rapport à celle d’un cadre et de dix ans par rapport à celle d’un ouvrier. Nous devons entendre cela.

Pour ma part, je ne comprends pas qu’on ait supprimé les régimes spéciaux des gaziers et électriciens. Je n’imagine pas un électricien de 63 ans et 9 mois escalader un pylône pour nous remettre l’électricité un 31 décembre en plein froid…

Mais revenons-en aux égoutiers : monsieur le ministre, quand vous nous répondez qu’un égoutier, qui finit sa carrière à 52 ans, peut se mettre à temps partiel à partir de 40 ans ou 45 ans, vous méconnaissez la situation de l’assainissement. Un chef de famille ne peut se permettre de se mettre à temps partiel et de percevoir un salaire dégradé. Personne ne le souhaite !

Par ailleurs, vous affirmez que l’on peut changer durant sa vie. Oui, bien sûr, et nous croyons d’ailleurs à la formation tout au long de sa vie. Mais croyez-vous sincèrement qu’un égoutier, qui travaille en horaires décalés, de nuit, et exerce un métier pénible, va rentrer chez lui après sa journée et se dire : « Allez, je vais bosser pour passer un concours et prendre un autre boulot de cadre C dans la fonction publique ! » Personne n’y croit !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. C’est caricatural !

M. Fabien Gay. Les égoutiers sont usés par la vie ! Si vos propositions sont belles sur le papier, elles ne fonctionnent pas dans la réalité. Nous vous demandons donc de faire au moins un geste pour les égoutiers.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour explication de vote.