M. Aymeric Durox. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Le 27 mars dernier, nous apprenions la démission du proviseur de la cité scolaire Maurice-Ravel, dans le XXe arrondissement de Paris. Le rectorat a indiqué qu’il s’agissait d’un simple départ en retraite anticipée pour convenance personnelle ; en réalité, il s’agissait d’une démission pour raison de sécurité.

Ce proviseur avait reçu une multitude de menaces de mort après avoir demandé à une élève, le 28 février dernier, de retirer le voile qu’elle portait au sein de l’établissement. Cette dernière avait même prétendu que le proviseur l’avait violentée, et elle avait porté plainte.

Tout cela était faux, mais la fabrique du mensonge, alimentée par les réseaux sociaux, était en marche. Et dès le 1er mars, le lycée était bloqué, au cri de : « Élève frappée, lycée bloqué ! »

Le 16 mars, le témoignage mensonger de l’élève était diffusé par l’organisme islamiste Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), successeur du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), pourtant dissous en 2020. Onze jours plus tard, donc, le proviseur démissionnait.

Nous connaissons cette fabrique du mensonge. C’est exactement la même qui avait conduit à l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020, et le CCIF était déjà impliqué.

Jean-Pierre Obin, auteur du fameux rapport, a déclaré qu’il s’agissait là d’une « victoire » pour les islamistes et d’un « épisode peu glorieux » pour la République.

Depuis cette triste affaire, les messageries de centaines de lycées ont été noyées sous des menaces de terrorisme islamiste, et pas un jour ne se passe sans que de nouvelles menaces de mort envers la communauté éducative soient révélées. Elles ne représentent pourtant que la partie émergée de l’iceberg, d’après un rapport sénatorial d’information paru voilà moins d’un mois.

Par ailleurs, Mickaëlle Paty, la sœur de Samuel, a récemment dénoncé le peu de progrès réalisés depuis ce qui est arrivé à son frère ; elle a mis en cause la responsabilité de l’État.

Aussi, madame la ministre, ma question est simple : comment comptez-vous protéger les hussards noirs de la République face à l’entrisme islamique ? (MM. Stéphane Ravier, Christopher Szczurek, Joshua Hochart et Thierry Meignen applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Mme Nicole Belloubet, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Durox, j’ai eu l’occasion de le dire lors de ma réponse à votre collègue : nous sommes absolument intransigeants vis-à-vis des atteintes à la sécurité de notre communauté éducative.

Je le redis devant vous : nos enseignants ne sont pas seuls. Nous sommes à leurs côtés, comme nous avons été aux côtés du proviseur du lycée Maurice-Ravel, en nous rendant sur place dès le jour même, le lendemain et les jours suivants, pour le soutenir. Bien entendu, je comprends parfaitement la situation anxiogène qui l’a amené à prendre la décision de se mettre en retrait.

Monsieur le sénateur, nous menons auprès des personnels, je l’ai dit, des actions de sécurité, de soutien psychologique et de soutien juridique. Mais nous avons également mis en place des actions structurantes pour l’ensemble des établissements.

Ces actions structurantes s’articulent autour de trois axes.

Premièrement, ce sont des actions de prévention. Pour cela, nous déployons évidemment des protections matérielles. Je le fais avec mes homologues des ministères de l’intérieur et de la justice. Dès qu’un incident se produit dans un établissement ou à ses abords, nous sommes présents. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Deuxièmement, nous déployons des actions de formation initiale et continue, en direction de l’ensemble de nos personnels, de l’État et des collectivités territoriales.

Troisièmement, et enfin, nous déployons des actions d’accompagnement, dans lesquelles les équipes académiques « Valeurs de la République » sont très présentes. Lorsque les enseignants sont contestés au moment de leurs enseignements, nous proposons également la mise en place d’une cellule pédagogique, afin de leur venir en aide – uniquement à leur demande, car nous respectons la liberté pédagogique des enseignants – et de leur apporter un soutien, en classe et en dehors de la classe.

Bref, l’ensemble de ces dispositifs montrent que nous constituons un véritable bouclier auprès de nos équipes éducatives. Les enseignants ne sont pas seuls : nous sommes en permanence à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox, pour la réplique.

M. Aymeric Durox. Madame la ministre, cela fait sept ans que le Gouvernement auquel vous appartenez est en charge de l’école et de la France, sept ans durant lesquels nous avons eu Samuel Paty, Dominique Bernard et de nombreux rapports qui n’ont jamais été suivis d’effet.

Le 18 octobre 2020, le Président de la République Emmanuel Macron déclarait que la peur allait « changer de camp ». Rarement une prédiction aura été aussi peu suivie d’effet…

Dans ce domaine-là comme dans tant d’autres, le constat de votre politique est celui d’un échec flagrant. (MM. Joshua Hochart, Stéphane Ravier et Christopher Szczurek, ainsi que Mme Christine Herzog, applaudissent.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 10 avril 2024, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Lors du scrutin n° 168 sur l’ensemble du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, Mme Lana Tetuanui a été enregistrée comme s’étant abstenue, alors qu’elle souhaitait voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

5

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels
Article unique

Adaptation du droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels

Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels (texte de la commission n° 467, rapport n° 466).

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Françoise Gatel, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission mixte paritaire (CMP) chargée d’élaborer un texte sur la proposition de loi de notre collègue députée du Morbihan visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels s’est réunie la semaine dernière et est parvenue à un accord, ce dont nous nous réjouissons.

Ancré dans le quotidien de nos concitoyens, constituant souvent un irritant pour les élus et les chefs d’entreprise, le régime juridique de la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage était jusqu’à présent de nature exclusivement jurisprudentielle.

La présente proposition de loi visait donc à inscrire ce régime dans la loi, dans un objectif de lisibilité, de clarté et de sécurité.

Consensuel dans son principe, le texte a néanmoins été remanié par le Sénat de manière très significative et qualitative. Nous ne pouvons que nous réjouir de la conclusion d’un accord en CMP, qui a permis de préserver le principal apport de la Haute Assemblée.

Il nous a en effet paru nécessaire de répondre aux difficultés rencontrées assez fréquemment par les exploitants agricoles face à de nombreux recours pour troubles anormaux de voisinage, parfois dénués de réels fondements et intentés par des personnes qui avaient connaissance de l’activité de leurs voisins au moment de leur installation.

Le régime de responsabilité spécifique pour les agriculteurs que nous avions instauré demeure dans le texte établi en CMP. Nous en avons néanmoins sécurisé juridiquement la rédaction : pour permettre le maintien, ô combien essentiel, d’activités agricoles dans nos territoires ruraux, nous nous sommes attachés à trouver un équilibre entre préservation de la liberté d’entreprendre des exploitants et droit légitime au recours et à la réparation de voisins éventuellement lésés.

Ainsi précisée, cette dérogation au régime général permettra notamment d’exonérer de leur responsabilité des exploitants qui ont modifié leur activité de façon non substantielle ou pour se mettre en conformité avec les lois et règlements.

Je ne puis m’empêcher, mes chers collègues, de vous raconter ce qui est arrivé dans mon département d’Ille-et-Vilaine, où l’interdiction de l’élevage de poules pondeuses en batterie, prévue par la loi Égalim, a conduit des exploitants à développer un élevage en plein air. Certains voisins ont alors considéré que le fait de voir et d’entendre des poules constituait un trouble anormal de voisinage, alors que les exploitants n’avaient fait que se mettre en conformité avec la norme. Si ce texte est adopté, ces derniers seront préservés de tout recours abusif.

Enfin, nous avons souhaité conserver une définition plus précise de la notion d’« installation » de la personne lésée. Ce terme, un peu vague, nous paraissait générateur d’aléas juridiques. Nous avons ainsi abouti, en lien avec la Chancellerie, dont je salue l’esprit coopératif, à une rédaction qui, tout en visant des actes juridiques, demeure aussi large que possible.

En contrepartie, nous avons fait droit à la demande d’un élargissement de la cause exonératoire prévue par le texte à l’ensemble des activités, et non plus aux seules activités agricoles. Voilà qui devrait donner satisfaction à ceux de nos collègues, nombreux, qui avaient évoqué des situations où la proximité d’une crèche avait donné lieu à des recours pour trouble anormal de voisinage jugés recevables.

Équilibré et enrichi – un vrai texte sénatorial ! –, le présent texte semble pouvoir faire l’objet d’un large consensus au sein de notre assemblée. Je vous invite donc, mes chers collègues, à l’adopter en l’état. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP, RDSE et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, le texte dont nous débattons cette après-midi me tient particulièrement à cœur.

Je veux d’emblée dire ma satisfaction quant à l’issue des travaux de la commission mixte paritaire : désormais, le code civil disposera que nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage.

Toutefois, ne nous y trompons pas : si ce texte répond à un besoin réel exprimé dans nos campagnes, il a vocation, tout du moins dans sa première partie, à s’appliquer à toutes les relations de voisinage.

Chacun, en effet, a le droit de jouir paisiblement de sa propriété, de son logement, de son fonds et d’obtenir réparation du préjudice qu’il subit.

L’introduction de ce principe général dans le code civil consacre la jurisprudence de la Cour de cassation. Cela renforce la sécurité juridique du droit français et assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Le texte institue par ailleurs une exception tirée de la théorie dite de la « pré-occupation », afin de trouver un meilleur équilibre entre les différents intérêts en présence.

Ainsi est posé le principe selon lequel celui qui s’installe à proximité d’un lieu particulièrement bruyant ou odorant ne peut se plaindre d’un trouble anormal du voisinage lorsque la nuisance existait déjà au moment de son installation.

Le texte adopté par le Sénat en première lecture restreignait le périmètre de cette exception aux seules activités économiques. Je me félicite que la commission mixte paritaire soit judicieusement revenue à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, qui visait de façon générale toutes les activités, « quelle qu’en soit la nature », ce qui permettra à la proposition de loi de s’appliquer au plus grand nombre de cas possible.

Je salue également le travail de la CMP sur la notion d’installation du voisin lésé, qui figurait dans la proposition de loi initiale.

Guidée par la sagesse de sa rapporteure pour le Sénat, Mme Gatel, que je tiens à saluer, la commission mixte paritaire a choisi, comme l’a fait le Sénat en première lecture, de privilégier la référence à un acte juridique plutôt qu’à une notion de fait, sujette à interprétation.

Je ne peux par ailleurs que me réjouir de la suppression bienvenue des deux alinéas relatifs aux troubles sonores des enfants, d’une part, et à la codification de la jurisprudence du Tribunal des conflits, d’autre part.

Comme je l’avais dit devant vous en séance publique, les mots ont un sens. Les effets sonores causés par les enfants dans les services aux familles, les aires de jeux pour enfants et les installations similaires ne sont pas, sauf cas extrême, des troubles anormaux de voisinage.

Enfin, le Sénat a souhaité étendre le périmètre d’exonération des activités agricoles par l’ajout de dispositions spécifiques dans le code rural et de la pêche maritime.

Il est en effet ubuesque que certains, dérangés par le bruit des tracteurs et des moissonneuses, s’attaquent à ceux qui nous nourrissent, alors même qu’ils avaient connaissance de l’environnement dans lequel ils s’installaient. Désormais, cela ne sera plus possible, et c’est heureux !

En ce qui concerne la portée de cette exemption, le texte de la CMP vise l’hypothèse d’une modification non substantielle de la nature ou de l’intensité des conditions d’exercice de l’activité. Cette rédaction est plus prudente que celle qui avait été adoptée par le Sénat en première lecture. Elle me semble préférable, dans la mesure où il s’agit de restreindre les conditions dans lesquelles la responsabilité civile peut être mise en œuvre.

En somme, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est soumis aujourd’hui est un texte d’équilibre et de concorde, comme l’a souligné la rapporteure. Il définit les contours de ce fameux « vivre ensemble », respectueux de chacun, que j’ai déjà évoqué devant vous. Cette avancée est permise par une rédaction issue d’un travail de compromis réalisé en parfaite intelligence par vos deux assemblées.

Cette proposition de loi contribuera, j’en forme le vœu, dans le droit fil de la politique de l’amiable, à une résolution plus rapide des conflits et à la pacification des relations de voisinage sur l’ensemble du territoire – nous en avons grandement besoin ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement ; en outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue d’abord sur les éventuels amendements, puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article unique

I. – Le sous-titre II du titre III du livre III du code civil est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« CHAPITRE IV

« Les troubles anormaux du voisinage

« Art. 1253. – Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.

« Sous réserve de l’article L. 311-1-1 du code rural et de la pêche maritime, cette responsabilité n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien, ou à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal. »

II. – L’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation est abrogé.

III. – Après l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 311-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 311-1-1. – La responsabilité prévue au premier alinéa de l’article 1253 du code civil n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien, ou à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions, dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ou qui résultent de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements, ou sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité. »

Mme la présidente. Sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi, dans sa rédaction d’origine, découlait d’une réflexion de longue date autour de la codification du régime de la responsabilité sans faute du fait de troubles anormaux de voisinage.

Cette notion juridique, consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation, repose sur l’appréciation du juge du fond, qui seul détermine la nature du trouble.

Elle est caractérisée, comme le rappelait la rapporteure, par l’existence d’un dommage, le caractère anormal du trouble et une relation de voisinage entre le défendeur et le demandeur – ces éléments étant eux aussi soumis à l’appréciation du juge.

Cette notion s’accompagne d’exonérations, notamment en cas de « pré-occupation », c’est-à-dire de préexistence de l’activité entraînant un trouble anormal du voisinage : à partir du moment où l’activité à l’origine du trouble préexistait à l’installation du voisin, elle ne peut être constitutive d’un trouble anormal du voisinage. Tout cela apparaît assez logique.

Toutefois, le texte qui nous est présenté à l’issue de son examen par chacune des chambres du Parlement répond à des objectifs qui visent à exclure, par principe, les activités agricoles de la liste des causes de trouble anormal du voisinage : une exonération de responsabilité est ainsi prévue pour les activités qui sont antérieures, légales, et qui correspondent à une activité agricole au sens de l’article L. 311-1 du code rural.

La seule condition posée à cette exclusion de principe plutôt floue est que « des conditions nouvelles [ne doivent] pas [être] à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ».

Sous couvert de traiter les conflits de voisinage qui surgissent quand des néoruraux et des citadins sont gênés par le chant du coq, cette proposition de loi risque d’avoir des conséquences bien plus importantes sur des contentieux impliquant des exploitations agricoles polluantes, par exemple lorsqu’un élevage de taille moyenne s’est transformé en un élevage intensif, ou des activités industrielles. Le texte ne doit pas offrir un droit à polluer aux industriels et aux gros exploitants.

L’image fantasmée des néoruraux ne doit pas masquer la dégradation des conditions de vie et la mise en danger des personnes qui habitent en milieu rural et qui se plaignent des pollutions environnementales : je pense notamment à l’affaire des algues vertes en Bretagne, dont la prolifération est provoquée par l’accumulation de nitrates d’origine agricole dans les bassins versants. Je pourrais aussi citer l’affaire de l’usine ArcelorMittal, dans le bassin industriel de Fos-sur-Mer.

De telles affaires seraient-elles encore possibles si ce texte était adopté ?

La notion de « conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine de l’aggravation du trouble anormal » est floue et peu opérationnelle. De plus, sa portée a été anéantie par les discussions qui ont eu lieu dans notre assemblée. J’ai ainsi entendu en première lecture M. Duplomb, soutenu par la rapporteure, affirmer : « Le trouble est de même nature quand une ferme passe de soixante à cent vaches laitières. » Qui doit juger de cela, mes chers collègues ? Est-ce le juge, au cas par cas, ou bien le législateur, au travers de ce texte ?

Notre groupe, vous le savez, souhaite le contrôle du juge. C’est pourquoi l’exonération spécifique pour les activités agricoles, qui figure dans le texte de la CMP, nous paraît trop large.

Prenons le cas des épandages de pesticides. Nous avions soulevé ce sujet lors de l’examen de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS : nous avions demandé, en vain, que les maires puissent adapter les règles et les distances. Il est malheureusement possible que la majorité de cet hémicycle souhaite une exonération légale dans ce cas, au motif qu’une activité légale ne saurait être perçue comme un trouble anormal de voisinage. Dont acte.

Mais alors, qu’en est-il de ce raisonnement lorsqu’il s’agit de refuser l’installation d’éoliennes ? Cette activité est tout aussi légale ; elle est même essentielle, compte tenu de l’urgence de la transition environnementale. Et elle devrait pourtant être limitée ou sanctionnée sous prétexte de l’existence d’un préjudice visuel et parce qu’elle est nouvelle ? Ce raisonnement nous paraît pour le moins douteux…

Nous regrettons surtout que ce texte soit réduit, pour des raisons électorales, à la problématique agricole. Les troubles anormaux du voisinage existent aussi en ville, comme cela été récemment souligné par les voisins d’un nouveau fast-food à Paris.

Ai-je besoin de rappeler que les personnes les plus précaires sont souvent celles qui subissent les plus grands dommages liés à des troubles du voisinage, alors qu’elles n’ont pas de solution de relogement ?

Les effets sur la santé de la fréquentation routière sont connus et entraînent des problèmes liés aux pollutions sonores et de l’air.

La surfréquentation d’une route départementale liée à la création d’une entreprise, d’un chantier ou d’une activité à proximité touche les riverains, qui se retrouvent condamnés à habiter là où plus personne ne veut résider.

Nous regrettons donc la modification juridique opérée dans ce texte : celle-ci, j’y insiste, n’a d’autre but que de protéger les responsables de nuisances et de pollutions, dès lors que celles-ci servent l’activité économique et le profit.

Cette proposition de loi protège seulement les activités agricoles. Ses partisans se drapent dans une défense caricaturale de la ruralité et de l’agriculture, qui seraient perturbées et entravées par l’arrivée des rats des villes. Notre groupe, conscient des troubles liés à l’agriculture intensive, à l’industrialisation productiviste et au « quoi qu’il en coûte » économique, ne peut soutenir un tel texte. L’on peut et l’on doit prévoir un contrôle du juge sur les préjudices que subissent nos concitoyens du fait d’activités dans leur voisinage.

Aussi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’opposera-t-il à ce qu’est devenu ce texte, loin de répondre à l’intention louable de sécuriser, sur le plan juridique, la notion de trouble anormal de voisinage. Les conditions d’exemption, trop larges et trop peu protectrices des personnes subissant les préjudices, peuvent aboutir à créer un véritable droit à nuire et à polluer. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, si les conflits de voisinages ne sont pas nouveaux, leur nombre est néanmoins en hausse sur tout notre territoire.

Dans bien des cas, les maires et les élus locaux sont en première ligne pour tenter de régler des situations soit qui s’enveniment depuis des années soit qui sont apparues à la suite d’arrivées plus récentes.

Je voudrais les remercier de jouer ce rôle de médiateur ou de conciliateur, qu’ils endossent parfois à leurs propres dépens. Il arrive en effet, malheureusement, que des maires soient agressés, parfois gravement, par des administrés, alors qu’ils tentent de régler des conflits de voisinage.

Ils constituent le premier rempart contre ces phénomènes, et c’est bien souvent grâce à eux que de nombreux conflits de voisinage ne se judiciarisent pas. Nous ne pouvons les laisser seuls face aux maux de notre société.

L’augmentation de ces conflits est symptomatique d’une dégradation du climat social et d’un affaiblissement du lien social dans notre pays. Dès lors, nous ne pouvons que saluer la volonté d’intégrer dans le code civil la notion de trouble anormal du voisinage. La codification proposée est une manière de garantir une application homogène de la jurisprudence sur tout le territoire.

Il s’agit ici de légiférer sur l’obligation de réparer un dommage causé à son voisin. En la matière, nous devons prendre des précautions. Notre rôle est d’abord de trouver le juste équilibre entre la protection des personnes face à des voisins quérulents et la garantie du droit au recours pour les nombreuses victimes de nuisances anormales.

Nous devons en effet garder en tête que nombre de locataires ou de propriétaires, compte tenu de l’état du marché immobilier, ne peuvent choisir le lieu où ils habitent. La précarité financière contraint certaines personnes à vivre dans des logements où elles subissent nuisances sonores ou pollution, au détriment de leur santé. Il nous faut donc aussi agir pour que chacun ait droit à un environnement décent.

Si nos usines et nos exploitations agricoles sont essentielles pour l’activité économique, il n’en reste pas moins que les personnes vivant à proximité des sites les plus polluants voient leur santé se dégrader, trop souvent sans pouvoir réagir, comme l’illustre l’affaire récente de Fos-sur-Mer.

Dans le Nord, à Lille, l’usine de batteries d’Exide, appelée Tudor, a craché des fumées chargées de poussières de plomb pendant plus d’un siècle et de nombreux cas de saturnisme ont été détectés dans le quartier populaire avoisinant. Si la maison mère américaine a été plusieurs fois condamnée pour pollution aux États-Unis, cela n’a pas été le cas en France.

Ne créons pas un droit à polluer, à faire du bruit et à détériorer la santé des plus précaires, au prétexte que cela faciliterait la réalisation de profits financiers. Il est de notre devoir de protéger l’intérêt général et de garantir un droit au recours à toutes les personnes victimes d’un trouble anormal de voisinage. Il ne saurait y avoir de sacrifiés de la pollution dans notre pays !

Enfin, je voudrais rappeler que la concertation en amont est primordiale pour éviter les conflits de voisinage.

Si ce texte permet d’écarter l’engagement de la responsabilité lorsque le trouble anormal provient d’activités antérieures, il faut tout de même rappeler que certaines installations récentes d’activités polluantes et bruyantes n’ont pas toujours été réalisées en concertation avec les riverains. Or le manque de concertation est bien trop souvent à l’origine de nombreux conflits. Je pense notamment à l’installation d’une antenne-relais à Saméon : grâce à la lutte de la municipalité et d’un collectif d’habitants, le pylône nocif a été déplacé – et je pourrais citer bien d’autres exemples…

Si nous saluons la recherche d’un équilibre dans ce texte, il ne s’agit que d’un pansement sur des maux plus profonds de notre société. Les conflits s’accumulent et se judiciarisent. Nous ne pouvons nous contenter de jouer les arbitres entre des intérêts privés divergents ; nous devons aussi œuvrer pour l’intérêt général en retissant du lien social.

Toutefois, nous voterons pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)