Mardi 11 juin 2013

- Présidence commune de M. Daniel Raoul, président et de Mme Bernadette Bourzai, vice-présidente de la commission des affaires européennes -

Audition de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur

La commission entend, lors d'une réunion conjointe avec la commission des affaires européennes, Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir, conjointement avec la commission des affaires européennes, dans cette maison qui reste la vôtre. Je vous rappelle, tout d'abord, que le 5 juin dernier, nous avons adopté la proposition de résolution européenne portant sur un partenariat transatlantique. Certains ont pu faire observer que nous avons travaillé dans des conditions acrobatiques, mais l'enjeu le justifiait puisque l'Union européenne (UE) et les États-Unis d'Amérique représentent ensemble près de la moitié du PIB mondial et un tiers des échanges mondiaux. Nos deux commissions ont ainsi tout mis en oeuvre pour que le Sénat puisse renforcer le poids du Gouvernement français lors du prochain Conseil de l'Union européenne consacré à ce sujet. Simultanément, il semblerait que nos relations avec la zone Asie - Pacifique prennent un nouveau visage et vous pourrez peut-être nous en dire plus sur le « partenariat d'exception » avec le Japon annoncé lors du déplacement du Président de la République dans ce pays. Enfin, nos rapporteurs et l'ensemble des commissaires ne manqueront pas de vous poser diverses questions, y compris, peut-être, en abordant la question particulièrement sensible des chevauchements de compétences entre les divers ministères et des initiatives lancées ici où là qui témoignent à tout le moins d'une volonté partagée de relever le défi de la compétitivité et de l'offensive à l'exportation.

Mme Bernadette Bourzai, vice-présidente de la commission des affaires européennes. - Je voudrais tout d'abord excuser le président Simon Sutour, qui se trouve actuellement en déplacement à l'étranger. Je souhaiterais ensuite remercier madame la ministre d'avoir permis que cette réunion se tienne en temps opportun, quelques jours avant la réunion du Conseil qui doit se prononcer sur le mandat de négociation du Partenariat transatlantique. La perspective de cette négociation a inquiété tous ceux qui sont attachés à la spécificité européenne, et surtout française, en matière de politique culturelle dans les services audiovisuels. Préserver la diversité culturelle est un objectif permanent, mais il est particulièrement nécessaire de le mettre en avant quand il s'agit des relations avec les États-Unis, compte tenu de leur prépondérance en matière de services audiovisuels. Les premières propositions de résolution déposées au Sénat - l'une par la présidente de la commission des affaires culturelles, Marie-Christine Blandin, l'autre par le groupe communiste, républicain et citoyen - portaient exclusivement sur ce thème. La commission des affaires européennes, qui en était saisie, a cependant souhaité que le Sénat se prononce sur l'ensemble du mandat de négociation et la commission des affaires économiques a ensuite confirmé et complété cette approche.

Nous adhérons tous à l'idée que les services audiovisuels doivent être clairement exclus des négociations. En effet, il ne s'agit pas seulement pour nous, comme semble le considérer la Commission européenne, de défendre les systèmes d'aide existants. Il s'agit pour l'ensemble des Européens de pouvoir définir eux-mêmes leur politique dans un domaine en pleine évolution technologique. Ce préalable étant posé, il n'est pas souhaitable que la position française apparaisse uniquement défensive et négative. À supposer que les limites en soient bien fixées dès le départ, le Partenariat transatlantique peut représenter une opportunité majeure. Compte tenu de l'importance des deux partenaires, un tel accord pourrait favoriser une meilleure régulation du commerce mondial. A cet égard, nous avons des objectifs positifs à mettre en avant, comme la protection des droits de propriété intellectuelle, la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics ou encore la protection des données personnelles et la convergence des règles prudentielles. Il n'en est pas moins nécessaire de rester extrêmement vigilants sur les aspects qui concernent nos valeurs fondamentales : nous refusons le nivellement par le bas des règles sociales et environnementales, nous préconisons le respect des préférences collectives qu'exprime la législation européenne en matière d'agriculture et d'alimentation et je ne reviens pas sur le thème de « l'exception culturelle ». Dans cette optique, madame la ministre, que peut-on attendre de la réunion du 14 juin ? On peut lire, dans la presse spécialisée, que la Commission européenne aurait réaménagé son projet de mandat de négociation. Qu'en est-il ? Nos partenaires européens sont-ils nombreux à partager nos préoccupations ou bien y a-t-il des approches très différentes au sein du Conseil ? Il nous serait très utile d'avoir des précisions sur ces points pour guider nos choix parlementaires ultérieurs.

Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. - Merci de votre accueil. Comme vous le savez, dès vendredi, je présenterai la position de la France aux 26 autres ministres du commerce extérieur des pays de l'Union européenne. Ces négociations entre l'Union européenne et les Etats-Unis, qui concernent 40 % du commerce mondial et les deux tiers des investissements innovants du monde, pourraient être plus longues et difficiles que certains l'envisagent. Je fais observer que, dans les négociations avec le Canada, nous étions partis d'un mandat relativement imprécis et les discussions se poursuivent encore au bout de cinq ans avec de nombreuses questions nouvelles.

Je rappelle également que les États-Unis sont organisés selon un mode fédéral et plusieurs États ne sont juridiquement pas liés par les choix du gouvernement central et, d'après les rencontres que j'ai pu faire lors de mon déplacement aux Etats-Unis, nous aurons affaire à forte partie. En parallèle, les États-Unis négocient l'accord de partenariat transpacifique et leur intérêt pour cette zone mérite d'être souligné. J'observe que le succès de l'accord transatlantique serait de nature à faire réfléchir les grands pays émergents : la Chine et le Brésil, pour ne pas se trouver exclus de certaines normes, pourraient alors être tentés d'affermir leur position dans le multilatéralisme, lequel serait indirectement favorisé par ces accords.

La France a un intérêt global à la réussite de ce partenariat et la majorité de nos entreprises y sont favorables. Celles de l'agro-alimentaire sont cependant partagées, car les perspectives diffèrent selon les types de produits envisagés et nous devrons peut-être invoquer une clause de sauvegarde pour certains d'entre eux. Nous avons des intérêts offensifs dans des secteurs tels que la chimie, la pharmacie, le textile et l'habillement, les marchés publics, les transports maritimes et aériens. S'agissant de l'accès aux marchés publics, le règlement européen en cours d'élaboration vise à inclure une clause de réciprocité dans ce domaine ; je regrette que l'Allemagne s'oppose à l'introduction d'un tel mécanisme, qu'elle estime à tort protectionniste, alors qu'il pourrait nous être très utile dans nos négociations avec les États-Unis. Je remercie, à cet égard, le Sénat d'avoir adopté une résolution qui soutient l'introduction de cette réciprocité.

Nous avons également des intérêts défensifs. Nous souhaitons d'abord protéger les indications géographiques mais nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, comme en témoigne, du reste, mon récent déplacement en Malaisie et en Indonésie. S'agissant de l'industrie de la défense, avec le soutien du Royaume-Uni et de la Suède, la Commission a accepté de ne pas inclure ce secteur dans le mandat de négociation. Avec l'Allemagne, nous avons demandé que le mandat de négociation encadre le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États : si le contentieux des relations commerciales est étendu aux entreprises contre les États, nous craignons que les avocats et les compagnies américaines ne s'en emparent, comme on l'a observé dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), à l'encontre du Mexique. En ce qui concerne nos préférences collectives, la France réaffirme son refus des OGM ainsi que du boeuf aux hormones et de la décontamination des carcasses : sur ces points nous avons obtenu des avancées.

Nous maintenons une position très ferme sur les services audiovisuels et culturels : ils doivent être exclus du mandat de négociation, conformément à la pratique constamment suivie. De nombreux pays nous indiquent qu'ils sont d'accord avec nous, mais ils craignent, si ces services étaient exclus du mandat de négociation, que les États-Unis ne demandent eux aussi l'exclusion de certains secteurs. Je crois cependant qu'ils pourraient plaider, de toute manière, pour l'exclusion de certains services. La France doit prendre l'initiative sur cette question, même si elle peut paraître un peu isolée au début des négociations : je ne veux pas que la culture fasse l'objet d'un marchandage.

L'actualité m'amène aussi à évoquer la politique commerciale à l'égard de la Chine. La France est favorable aux mesures de défense commerciale. Elles relèvent cependant de la compétence exclusive de la Commission européenne qui a proposé le lancement d'une procédure anti-dumping à l'encontre de la Chine sur les ventes de panneaux photovoltaïques ; je rappelle qu'elle avait été saisie par des entreprises françaises et allemandes, pour un intérêt qui concerne surtout ces dernières. Des taxes sont instituées de manière provisoire, pour une durée d'un an, en attendant les résultats de l'enquête. La Commission s'est également autosaisie dans le domaine des télécommunications, sur le cas des subventions versées aux deux entreprises qui dominent ce secteur en Chine. La Commission se met ainsi en position de négocier avec ce pays et, en réalité, ni l'Union européenne, ni la Chine n'ont intérêt à une guerre commerciale. Les différents contentieux ne représentent d'ailleurs que 1 % de nos échanges et nous soutenons la Commission pour parvenir à un compromis. Par un « effet miroir », la Chine a annoncé l'ouverture d'une enquête sur le vin.

Je conclus sur les responsabilités du commerce mondial en matière de respect des normes sociales et environnementales. L'accident survenu dans une usine au Bangladesh a fait plus de 1000 victimes et des entreprises européennes et nord-américaines ont été indirectement impliquées en tant que clientes à travers des chaînes d'approvisionnement complexes. J'ai récemment attiré l'attention de l'OCDE sur l'importance du respect des normes sociales et environnementales et des entreprises françaises se sont ralliées à la charte sur la sécurité des bâtiments au Bangladesh élaborées par des ONG. J'ai également sensibilisé à cet égard le commissaire Karel De Gucht, qui m'a indiqué qu'il prendrait des initiatives au mois de juillet, et le Premier ministre m'a confié la promotion de la responsabilité sociale et environnementale dans le commerce international. Le commerce international a besoin de règles et de normes environnementales et sociales : c'est le devoir de la France de les promouvoir.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Merci, Madame la ministre, pour cette présentation. J'observe que la proposition de résolution que nous avons adoptée comporte un volet environnemental et aborde également la protection des données individuelles.

M. Roland Courteau. - Vous ne vous étonnerez pas que je revienne sur la mise en place de droits anti-dumping provisoires de 11 %, sur les panneaux photovoltaïques en provenance de Chine, qui devraient être portés à 47 % à partir du mois d'aout prochain. Même si nous soutenons cette démarche, nous sommes inquiets des représailles qu'elle suscite puisque Pékin a lancé une enquête antidumping sur les vins importés d'Europe, avec une menace de taxation si ces investigations se révélaient positives. Or, la Chine est le troisième marché à l'exportation pour nos produits viticoles et représente 800 millions d'euros de chiffre d'affaires. Vous venez, Madame la ministre, de nous apporter des informations rassurantes sur ce point. Par ailleurs, le chef de l'État a évoqué un projet de réunion des 27 membres de l'Union européenne « pour dégager une solidarité de points de vue dans les négociation avec la Chine ». Où en est, concrètement,  cette initiative ?

M. Aymeri de Montesquiou. - La réciprocité est un principe essentiel du commerce international, mais il convient, à mon sens, de se demander quels sont nos véritables objectifs dans cette négociation. Avons-nous intérêt à négocier alors que notre position s'est affaiblie, comme en témoigne le déclin relatif de la compétitivité économique de l'Union européenne, et de la France en particulier. Vous avez ensuite mentionné le volet agricole, domaine dans lequel il est souhaitable de clarifier des règles qui restent aujourd'hui un peu confuses, puisque nous importons très largement du soja OGM en provenance du Brésil. Je souligne également l'importance de la question des normes comptables - encore très différentes d'un pays à l'autre - qui ne doit pas être négligée. J'ajoute que les subventions et autres soutiens financiers aux exportations donnent lieu à des conflits, en particulier dans le domaine de la construction aéronautique. Enfin, pour prolonger les travaux que vous aviez conduits en tant que Rapporteure générale de la commission des finances, il parait opportun de travailler à la diminution des distorsions fiscales qui bénéficient aux grandes entreprises américaines du numérique. L'Irlande et le Luxembourg ont, sur ce point, pris des positions très différentes de la nôtre : ne faudrait-il pas que l'Union européenne puisse parler d'une seule voix en s'accordant, au préalable, sur une position fiscale commune ?

M. Martial Bourquin. - Madame la ministre, vous venez de présenter une position de la France qui, au sein de l'Union européenne, met en avant la clause de sauvegarde de certains secteurs et nos préférences collectives dans le domaine agro-alimentaire. J'apprécie particulièrement que vous ayez pu souligner que cette négociation n'est pas facile et qu'il n'est pas exclu que la France puisse opérer un retrait. Je rappelle à ce sujet que les États-Unis font régulièrement l'objet de procédures relatives à des entorses aux règles de l'OMC et qu'ils disposent, avec la Chine, de l'arme très puissante du maniement des taux de change, cette dernière ayant une influence déterminante sur l'équilibre des échanges.

Je me félicite de votre intervention qui démontre que la France va, à la fois, adopter une position dynamique et défendre nos valeurs spécifiques. Ce n'est pas simple, car si l'Europe reste le premier marché du monde, son unité politique est inachevée alors qu'elle doit faire face à la première puissance du monde qui s'efforce d'obtenir l'ouverture des marchés tout en n'hésitant pas à appliquer certaines mesures protectionnistes. Je rappelle, par exemple, que les États-Unis ont taxé très sévèrement, un an avant l'initiative européenne, les panneaux photovoltaïques en provenance de Chine.

Mme Élisabeth Lamure. - Je reviens à mon tour sur le « coup de colère » de la Chine en faisant observer que ce pays n'a pas attendu le résultat des négociations internationales pour prendre des mesures de rétorsion dans le secteur viticole.

Je souhaite vous interroger sur la problématique des transferts de technologie : comme vous avez pu le constater lors de vos déplacements à l'étranger, certains pays émergents exigent, pour importer nos produits, un « ticket d'entrée » sous forme de transfert de compétences ou d'implantations : la négociation va-t-elle aborder ce sujet ?

Après que l'année 2012 ait marqué une diminution de notre déficit commercial, j'observe enfin que, d'après les dernières statistiques de notre commerce extérieur, un net recul de nos exportations semble se dessiner au premier trimestre 2013 : quelle est votre analyse de cette évolution ?

M. Yannick Vaugrenard. - Je souligne l'importance du partenariat transatlantique et j'apprécie particulièrement les propos que vous avez tenus sur la nécessité pour la France, qui demeure la cinquième puissance économique mondiale, de continuer à porter un message universel. Les événements tragiques qui ont frappé le Bengladesh soulèvent la question des pays qui bénéficient d'une participation à l'OMC sans pour autant respecter les normes de l'Organisation internationale du travail (OIT), laissant ainsi perdurer des situations inacceptables en matière de travail des enfants et des femmes.

Je souligne également que, dans l'hypothèse où le partenariat transatlantique serait signé, il s'imposerait à tous les pays de l'Union européenne mais pas à l'ensemble des cinquante et un États des États-Unis : est-ce logique et n'y a-t-il pas là une forme de concurrence déloyale au plan économique ?

M. Gérard César. - Nous avons, dans le Bordelais, la preuve formelle que les autorités chinoises ont déjà pris des mesures coercitives. La ministre a très opportunément évoqué les accords concernant les indications géographiques et j'en souligne l'importance. Je signale également que le Chili semble tirer parti des mesures de rétorsion à l'égard des vins français pour abaisser ses droits de douanes et lancer une offensive à l'exportation des produits viticoles chiliens. Je souhaite enfin évoquer le cas d'Ubifrance, qui est sous votre tutelle et dans lequel j'ai l'honneur de représenter le Sénat : avez-vous l'intention de soutenir l'action de cet organisme, qui rend des services précieux aux PME, à travers les crédits qui lui seront alloués en 2014 ?

M. Jean Bizet. - Je me réjouis de ce processus contractuel de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne qui devrait permettre de recentrer le commerce international vers la zone européenne alors qu'il a tendance à se déplacer vers la zone Asie-Pacifique. Je suis toutefois assez déçu de l'attitude excessivement défensive de la France et de l'Union européenne. J'ai voté la résolution qui comporte un volet culturel mais il me semble nécessaire de ne pas mélanger les contenus et les contenants : personne ne sait quelle forme prendrons ces derniers à l'horizon de dix ou quinze ans, comme vous l'avez d'ailleurs justement souligné. L'essentiel est de ne pas laisser la France à l'écart des grands courants de l'évolution technologique.

Je reconnais une honnêteté intellectuelle tardive de l'Union européenne sur la question des hormones : leur dangerosité n'ayant pas pu être mise en évidence sur le plan scientifique, il est effectivement préférable d'aborder ce sujet sous l'angle du respect des préférences collectives.

Je complète mon propos par trois observations. Tout d'abord, on peut se réjouir de la désignation d'un nouveau directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) : M. Pascal Lamy a rempli brillamment ses fonctions mais son mandat ne pouvait plus être reconduit. L'occasion n'est-elle pas propice à l'accélération de la dématérialisation des procédures administratives relatives aux échanges commerciaux ? En effet, si certains tarifs douaniers semblent avoir atteint un seuil incompressible de l'ordre de 4 à 5 %, ces procédures administratives qui engendrent des coûts élevés peuvent en revanche être allégées. Ensuite, cet accord bilatéral devrait se conformer aux principes fondamentaux de l'OMC - vous pourrez sans doute nous le confirmer - et ne doit pas rester en marge des dispositifs multilatéraux. Enfin, vous avez évoqué les passerelles entre l'OMC et les instances environnementales internationales et nous attendons des résultats concrets dans ce domaine. Pour avancer sur cette question, il faut prendre en considération le fait que, parmi les 155 pays de l'OMC, beaucoup n'ont pas encore atteint un stade d'évolution avancé et il est également souhaitable de redéfinir la notion de pays en voie de développement.

M. Richard Yung. - L'accord comporte-t-il un volet « propriété industrielle » ?

M. André Gattolin. - J'ai deux questions qui sont à la fois au centre et à la marge de nos préoccupations. La première concerne les études d'impact régional des grands traités de libre échange que nous négocions. Pour l'accord qui concerne le Canada, je n'ai rien trouvé en France et l'Union européenne n'a rien fait non plus, alors que l'Assemblée nationale du Québec a dépensé 7 millions de dollars pour une étude d'impact de ce traité sur la seule province du Québec. L'autre aspect qui m'étonne, dans ce même domaine, c'est le poids de l'acceptation ou non par les différentes provinces des accords signés. La question se posera à la puissance dix pour les États-Unis. Je voudrais savoir si nous allons engager des études d'impact de ce traité sur l'économie française comme le préconise la résolution du Sénat. Nous n'en avons aucune idée précise, même si on nous parle de 0,5 % de croissance supplémentaire.

Un autre point me surprend beaucoup : il s'agit de la dissociation de notre diplomatie économique entre, d'une part, les conseillers économiques des ambassades et, de l'autre, celle d'Ubifrance dont dépendent les PMI-PME. Pour les besoins d'un rapport que je prépare sur l'industrie des jeux vidéo, et s'agissant de l'entreprise Ubisoft, j'ai eu affaire au conseiller économique qui traite les « grands comptes » alors que les PME-PMI qui travaillent avec Ubisoft dépendent d'Ubifrance. Je mets en garde contre un réel un manque de coordination sectorielle, ce qui ne favorise pas l'implantation de nos entreprises.

M. Jean-Claude Merceron. - Je souligne une difficulté pratique : une entreprise vendéenne en affaire avec une entreprise chinoise ne parvient pas à obtenir des visas dans des délais raisonnables pour des cadres chinois qui viennent en formation dans l'entreprise française. Que comptez-vous faire pour régler le problème lancinant des délais trop longs pour les visas, qui ne facilitent pas les échanges ?

Mme Nicole Bricq. - Beaucoup de questions ont été posées sur le vin et je reconnais bien là notre tradition française et sénatoriale. Je serai à Vinexpo le 17 juin et m'exprimerai à ce sujet pour rappeler que je soutiens les producteurs français. Le commissaire Karel De Gucht lui-même a reconnu qu'il n'y avait pas de vin subventionné en France - pas plus qu'ailleurs. Mais la Chine va suivre la même procédure que la Commission : engager une enquête qui peut durer jusqu'à 18 mois et peut-être prendre des mesures provisoires. Ce que vous évoquez, le blocage en douane, est hélas une pratique courante. J'étais à Cognac il y a quelques semaines et j'ai appris que la Chine bloquait des caisses de Cognac. Cela fait partie des aléas du commerce : c'est une mesure préventive et une forme de patriotisme.

Je souligne que les produits haut de gamme n'ont rien à craindre : ils sont hors marché, et en Chine, il n'y a pas de moyenne gamme. Le secteur qui va souffrir, c'est le vin en vrac. La Chine, aujourd'hui, prétend que le dumping s'élèverait à 21 % sur ces produits, en incluant dans le calcul les aides octroyées dans le cadre de l'Organisation commune de marché (OCM), l'aide à la distillation, les aides à la promotion, les assurances agricoles, les aides au développement rural, et les aides régionales. Quoi qu'il en soit, je suis résolument au côté des producteurs dans cette affaire.

M. de Montesquiou indique que nous discutons en position de faiblesse mais je réponds au contraire, que nous sommes 500 millions de consommateurs européens, ce qui renforce notre pouvoir de négociation.

M. Bourquin a bien illustré le concept de réciprocité en évoquant les marchés publics. Les marchés publics sont plus fermés aux Etats-Unis qu'en Europe et nous souhaitons simplement demander que les éventuels assouplissements soient réciproques. C'est l'objet de la négociation et c'est l'idée que j'ai défendue auprès de nos amis allemands. M. Bourquin a aussi évoqué la parité dollar/euro, mais la monnaie ne fait pas partie des négociations puisque, dans l'Union européenne, tous les États ne sont pas dans la zone euro. Rappelons que les dévaluations monétaires peuvent influencer la demande intérieure mais on ne doit pas les utiliser pour faire de la dévaluation compétitive vis-à-vis des autres partenaires commerciaux.

Mme  Lamure a parlé des transferts de technologie et je vous confirme qu'ils ne sont pas couverts par cet accord. Elle a justement mentionné la problématique du « ticket d'entrée » : effectivement, nous ne sommes plus dans cette ancienne relation vis-à-vis des grands émergents qui consistait à arriver dans un pays avec l'idée que la seule qualité de nos produits permet de les exporter facilement. Aujourd'hui, soit nous avons un produit de niche et alors la question ne se pose pas, soit le marché est concurrentiel, ce qui est le cas le plus fréquent, et alors les pays acheteurs nous demandent de nous internationaliser et de produire localement. En même temps, ces pays demandent des transferts de compétences, de savoir-faire et de technologie. Il faut désormais admettre que l'acheteur de nos produits doit être aussi un partenaire. Dans certains secteurs, l'État aura naturellement son mot à dire : il s'agit des secteurs stratégiques comme le nucléaire où il faut encadrer les transferts. Mais ce partenaire émergent peut devenir un concurrent, ce qui nous incite à garder une longueur d'avance pour conserver une attractivité suffisante. Mme Lamure m'interroge également sur les chiffres du commerce extérieur et fait très précisément référence aux dernières statistiques douanières. Il est vrai que le déficit s'élevait à environ 67 milliards en 2012, ce qui s'explique essentiellement par le poids de notre facture énergétique. J'ai pour objectif de rééquilibrer nos échanges hors énergie, car il est impossible de maîtriser le coût de cette dernière : tout ce que nous pouvons faire, c'est favoriser l'efficacité énergétique. Les chiffres de notre commerce extérieur s'améliorent, mais nous avons toujours un problème avec notre marché de proximité, c'est-à-dire l'Europe et plus particulièrement l'Espagne et l'Italie, comme en témoigne la chute des ventes d'automobiles dans ces deux pays du sud de l'Europe. En avril, nos exportations ont progressé de 4 %, mais nos importations repartent aussi à la hausse.

M. Vaugrenard, M. Bizet et M. Gattolin ont évoqué la question des normes sociales. J'ai reçu les neuf candidats à la succession de Pascal Lamy et j'ai posé à chacun d'entre eux la même question sur le rapprochement de l'OMC des autres organisations internationales comme l'OIT. Ce sont des domaines différents, mais les normes sociales sont une source de concurrence déloyale, au-delà de la problématique essentielle des droits de l'Homme.

Je remercie M. Bizet d'avoir rendu hommage à Pascal Lamy qui a soutenu les grands principes du libre-échange. Je souligne que le commerce Sud-Sud mondial, représente aujourd'hui un tiers du commerce international. Les règles traditionnelles sont mises à mal et certains considèrent que le multilatéralisme est en panne. Certes, plusieurs échéances se profilent pour remédier à cette situation et tenter de relancer le cycle de Doha. Cependant, les grands émergents ont bouleversé les règles habituelles du commerce mondial parce qu'ils sont devenus des puissances de premier ordre mais ils n'assument pas leurs responsabilités de puissance commerciale vis-à-vis du reste du monde, et c'est cela qui crée de la distorsion. Les accords de libre-échange qui se négocient aujourd'hui dans le Pacifique et l'Atlantique vont mettre ces nouvelles puissances au pied du mur. Le Brésil se présente tantôt comme un pays riche avec les pauvres et tantôt un pays pauvre avec des riches : en jouant sur les deux tableaux, il parvient à rendre son marché très difficile d'accès. La qualité essentielle d'un bon directeur de l'OMC réside dans sa capacité à rallier les Etats-Unis et les grands émergents au multilatéralisme.

Le sénateur César, administrateur d'Ubifrance, exerce sa vigilance et je l'en remercie. Je réponds par la même occasion à M. Gattolin : en 2008, le Gouvernement a pratiqué la « dévolution » : les services compétents pour les grands contrats, qui sont des services du Trésor, sont implantés dans les ambassades sans pour autant relever du ministère des affaires étrangères. Ubifrance se consacre à l'essentiel du commerce, assuré par les PME, PMI et ETI. Le commerce extérieur de la France s'élève à 440 milliards dont 8 % sont assurés par les grands contrats comme l'aéronautique. Tout le reste correspond au commerce courant dont le « navire amiral » que constitue le luxe. Quant à la question des visas, j'y vois le signe que les PME se mobilisent de plus en plus pour conquérir les marchés lointains. Nous réorganisons nos services sur le territoire et à l'étranger pour soutenir cet effort. Dans le cadre de la modernisation de l'action publique, je suis chargée d'évaluer notre dispositif à l'exportation pour le rendre plus lisible.

M. Gérard César. - Il y a trop d'opérateurs !

Mme Nicole Bricq. - Oui, c'est vrai, il faudrait s'organiser comme les Allemands et les Italiens, mais les acteurs concernés ne souhaitent pas toujours se fédérer. Aujourd'hui, l'État doit faire des économies. Le budget d'Ubifrance est modeste, mais ma ligne est claire : il s'agit de privilégier l'accompagnement des entreprises dans la durée. Je vais donc privilégier la montée en gamme du personnel par rapport aux dépenses d'intervention. Ma proposition de réforme consiste en des économies de structure importantes pour mieux servir les entreprises.

M. Gérard César. - Il faut conserver les VIE (Volontaires internationaux en entreprise).

Mme Nicole Bricq. - C'est évidemment très important et je reviendrai devant vous sur ce sujet.

M. Merceron m'a interrogée sur les visas. Nous avons très vite identifié le problème et le Gouvernement travaille à la création d'un « visa entrepreneur » de longue durée qui renforcera l'attractivité du territoire. En tout état de cause, un délai de six mois d'attente me semble inadmissible. Je pense aussi à une labellisation des entreprises françaises exportatrices afin qu'elles bénéficient d'un traitement particulier. Après expertise, ce dispositif, s'il est concluant, pourrait être opérationnel en 2014.

Je précise à M. Yung que les brevets ne font pas partie de la négociation. J'observe que certaines entreprises, très innovantes, ne déposent plus de brevets parce qu'elles considèrent qu'elles seront inéluctablement copiées : en conséquence, elles s'efforcent de maintenir une avance technique constante.

Nous devons aussi faire des progrès dans l'Union douanière européenne : M. Yung est chargé par le Premier ministre de cette mission. Il s'agit de faire avancer la lutte contre la contrefaçon qui nous cause un préjudice d'un montant de 6 milliards par an. Juridiquement, la jurisprudence Nokia nous empêche de contrôler les marchandises en transit sur le territoire de l'Union. Je rends à cette occasion hommage aux douaniers qui font d'énormes efforts de productivité depuis plusieurs années. Je souligne enfin la nécessité d'améliorer notre logistique portuaire et aéroportuaire.

Mercredi 12 juin 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Enseignement supérieur et recherche - Examen du rapport pour avis

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à l'examen du rapport pour avis sur le projet de loi n° 614 (2012-2013), relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche.

M. Daniel Raoul, président. - Mes chers collègues, nous allons examiner le projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, sur lequel nous nous sommes saisis pour avis. Je donne la parole à la rapporteure pour notre commission, Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Ce projet de loi est examiné au fond par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, en ce moment même. Notre avis porte plus particulièrement sur les volets « recherche », « gouvernance » et « transfert » du texte, qui relèvent de notre commission ; il n'aborde donc pas les aspects « enseignement supérieur », qui sont du ressort de nos collègues de la commission saisie au fond.

Ce projet de loi constitue le septième texte législatif sur ces thématiques en cinquante ans. Les deux derniers, je vous le rappelle, étaient la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006 et la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU » ou « loi Pécresse ».

Le projet de loi reprend en grande partie les préconisations du député Jean-Yves Le Déaut, contenues dans le rapport remis au Premier ministre en début d'année, qui lui-même s'inspire fortement des réflexions tenues lors des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, organisées fin novembre 2012. Adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 28 mai dernier, il sera débattu en séance dans notre assemblée à partir du 19 juin.

Mais pourquoi un texte portant notamment sur la recherche, alors que nous multiplions les prix Nobel, médailles Fields, médailles d'or du CNRS, etc... ? C'est que ce secteur, certes d'excellence, souffre aussi d'importantes limites. Je vous les avais d'ailleurs exposées lors de l'examen pour avis des crédits de la « mission recherche et enseignement supérieur » (MIRES), que je rapporte au nom de la commission.

Tout d'abord, l'organisation de notre recherche est bien trop complexe, à tel point que même les spécialistes ne s'y retrouvent plus. On parle à cet égard de « mikado institutionnel », source de confusion et de redondance. Accaparés par la bureaucratie de nos appels d'offre, nos chercheurs ne répondent pas assez à ceux provenant de l'Europe, et notre taux de retour diminue.

Cette complexité est aggravée par l'absence d'un réel pilotage stratégique au plus haut niveau. Une stratégie nationale de recherche et d'innovation (SNRI) a bien été adoptée en 2009 mais elle s'est trouvée diluée, et l'État n'a pas assumé son rôle d'impulsion et de coordination.

À l'échelle territoriale, les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) devaient rassembler universités, grandes écoles et organismes de recherche, mais leur bilan est très inégal, comme l'a souligné la Cour des Comptes en 2011.

L'évaluation, confiée à une autorité administrative indépendante, l'Autorité d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), reste en outre perfectible. Très décriée à l'origine, l'Agence, créée en 2007, a fait d'importants progrès ces dernières années, sous la houlette de son président Didier Houssin. Elle fait toutefois encore l'objet de critiques, telles que son éloignement des sujets évalués, le caractère de sanction de ses évaluations ou sa tendance à aller au-delà de ses fonctions en se prononçant sur l'opportunité des programmes de recherche.

Soulignons enfin le manque de valorisation de notre recherche dans la sphère économique, et donc l'insuffisance du transfert. Si nous sommes au 6ème rang mondial pour la recherche scientifique, nous sommes au 15ème seulement pour ce qui est de l'innovation. Nos entreprises ne tirent donc pas tout le profit qu'elles pourraient de l'excellence de notre recherche. Cette carence s'explique par la « cassure » traditionnelle entre universités, grandes écoles et sphère économique, mais aussi par la faible part de la recherche privée dans notre pays et par le manque de soutien à la valorisation de leurs inventions par les chercheurs.

Face à toutes ces limites, le projet de loi agit sur trois grands axes, mais sans aller assez loin il me semble.

Il cherche en premier lieu à améliorer la gouvernance et la simplification. Une stratégie nationale de la recherche (SNR), déclinée en huit thématiques, est mise en place. Je vous proposerai de l'étendre au transfert, pour avoir une stratégie nationale de la recherche et du transfert (SNRT), ce qui irait de pair avec la volonté de la ministre en charge de la recherche d'en faire un volet important du texte.

Un Conseil stratégique de la recherche (CSR) est installé près du Premier ministre afin d'élaborer, d'appliquer et d'évaluer cet agenda stratégique ; il comprend deux parlementaires. Le Haut conseil des sciences et technologies (HCST), peu utilisé, est supprimé, tandis que le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT) est fondu avec le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER).

À l'échelon territorial, un schéma régional de la recherche et de l'innovation est créé ; je vous proposerai de mieux y associer les collectivités autres que la région, tels que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Par ailleurs, les PRES sont supprimés au profit d'un nouveau type de regroupements : les communautés d'universités et d'établissements. Celles-ci contractualiseront à la fois avec l'État et avec chacune de leurs entités autour de projets communs. Je vous proposerai de consacrer le statut de confédération, qui leur apporterait plus de souplesse et prend en compte les spécificités locales, et de sécuriser leurs statuts par un vote à la majorité qualifiée des deux-tiers.

Le deuxième axe du projet de loi concerne l'évaluation. Le texte met fin à l'AERES et la remplace par une nouvelle autorité administrative indépendante : le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES), qui comprend deux parlementaires. Il validera des procédures d'évaluation menées par des instances tierces, ou procèdera lui-même à l'évaluation si un blocage survient. Il évaluera à la fois les équipes de recherche et les formations et diplômes.

Les auditions ont fait apparaître l'incohérence d'une telle suppression de l'AERES. Son activité d'évaluation externe est acceptée sur le principe par tout le monde désormais, et ses méthodes sont de mieux en mieux perçues par la communauté scientifique. Elle a obtenu une importante accréditation à l'échelle européenne et acquis une réputation à l'échelle internationale. La remplacer par une nouvelle entité engendrerait de coûts importants et retarderait les évaluations à venir. Il nous a semblé, à ma collègue rapporteure pour la commission de la culture, Mme Dominique Gillot, et moi-même, qu'il valait mieux conserver l'AERES - notamment sa dénomination - tout en la faisant profiter des évolutions positives qui sont contenues dans le texte. Aussi je vous proposerai plusieurs amendements en ce sens.

Le dernier grand volet du texte concerne le transfert de la recherche vers le monde économique. Plusieurs articles en font un objectif général de l'enseignement supérieur et de la recherche et introduisent la notion d'innovation. On ne peut qu'y être favorable, même si cela ne fait qu'élever au niveau législatif des dispositions qui ont aujourd'hui valeur règlementaire.

Outre ces dispositions déclaratoires, le texte contient une seule mesure opérationnelle en matière de transfert. À l'article 55, il oblige les chercheurs publics à déclarer leurs inventions à leurs employeurs, et ces derniers à les breveter, puis à les valoriser, en priorité auprès de petites et moyennes entreprises (PME) qui les exploiteront sur le territoire européen.

Or, il est nettement ressorti de nos auditions que cette disposition posait problème. Certes, nous comprenons et approuvons entièrement son objectif, qui est de soutenir nos PME européennes en les rendant plus innovantes. D'un point de vue juridique cependant, cette disposition contrevient au droit communautaire et à celui de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), car elle introduit une discrimination selon le type d'entreprise et constitue un obstacle aux échanges.

Mais surtout, elle s'avèrerait totalement contreproductive : en effet, 80 % environ des entreprises qui licencient nos brevets sont à la fois des entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou des grandes entreprises, et situées à l'extérieur de l'Union européenne. La mesure nous empêcherait donc de valoriser la majeure partie de notre recherche en aval, ce qui serait pour elle autant de ressources en moins. Et ce alors que l'État se désengage de plus en plus de leur financement, en leur demandant d'y pourvoir elles-mêmes. Des organismes tels que la Caisse des dépôts et France Brevets ont été très clairs quant à ces risques. Aussi je vous proposerai de supprimer la partie litigieuse de l'article 55.

S'agissant de brevets, je vous proposerai également, à l'initiative de notre président Daniel Raoul, de ratifier l'accord européen prévoyant le brevet unitaire, qui simplifiera le quotidien de nos chercheurs et de nos entreprises. Le président de l'Office européen des brevets, que nous avions auditionné il y a quelques temps, avait attiré notre attention sur l'importance pour notre pays, qui accueillera la juridiction européenne unifiée des brevets, de ratifier cet accord dans les meilleurs délais.

Enfin, je vous proposerai d'étendre le bénéfice des contrats de travail à durée déterminée à objet défini, qui est expérimental et doit normalement s'arrêter au 26 juin prochain, pour une période d'un an, En effet, ce type de contrat permet très utilement à des organismes de recherche de recruter des ingénieurs et des cadres pour une durée comprise entre 18 et 36 mois. Or, il n'est pas prévu qu'il soit reconduit, faute d'avoir d'une évaluation pourtant attendue.

Au final, ce texte laisse donc une impression mitigée.

Il comporte des avancées indéniables, que ce soit en ce qui concerne la réussite étudiante - même si elle ne relève pas de notre compétence -, la gouvernance de la recherche ou encore son évaluation, dès lors que l'on s'accorde à préserver l'AERES en la faisant évoluer. Il a par ailleurs été enrichi par nos collègues députés, notamment en confortant le statut des jeunes chercheurs auprès des entreprises et de la haute administration, ou encore en prévoyant une modalité d'association des établissements d'enseignement supérieur et de recherche aux communautés de site.

Dans le même temps, ce projet de loi ne bouleverse pas fondamentalement les choses, et ne propose souvent que des retouches cosmétiques à des dispositifs déjà existants. En outre, il n'aborde pas des enjeux importants. La place de l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance la recherche sur projets et dont les dotations de l'État diminuent au profit des organismes de recherche, n'est pas évoquée, pas plus que celle des multiples structures créées dans le cadre du programme « investissements d'avenir » (PIA), qui auraient naturellement trouvé leur place dans les communautés de site remplaçant les PRES.

Aussi je vous proposerai d'adopter un certain nombre d'amendements améliorant le projet de loi dans sa partie « recherche » et « gouvernance ». Pour le reste, et du fait de ces éléments mitigés, je m'abstiendrai personnellement lors du vote sur l'ensemble du texte en séance.

M. Daniel Raoul, président. - Je vous conseille la lecture du récent rapport de la Cour des comptes sur la recherche, avec lequel je me trouve totalement en phase. Il souligne que, depuis dix ans, le montant global des crédits publics de la recherche n'a jamais diminué. C'est leur ventilation qui est problématique. Il y a eu d'abord une concentration des crédits vers l'ANR, puis un recentrement vers les grands organismes de recherche comme le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Dans ce mouvement de balancier, il y a un équilibre à trouver entre les « programmes blancs » et les programmes liés à l'État stratège. Ma proposition serait un partage entre 40 % des crédits vers les « programmes blancs » et 60 % vers les programmes correspondant aux priorités stratégiques de l'État. Je crois qu'on ne peut pas pousser trop loin les « programmes blancs » au détriment des programmes thématiques.

M. Philippe Leroy. - Ce texte ne va pas bouleverser le paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il apporte des progrès mais ce n'est pas une loi fondamentale. Une chose me soucie : on ne parle jamais des grands organismes publics de recherche, les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), comme s'ils n'existaient pas, alors qu'ils occupent une place centrale. Leur rôle devrait être rappelé dans cette loi.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Ce texte n'a pas vocation à révolutionner le monde de la recherche mais à trouver un meilleur équilibre entre, d'un côté, la recherche appliquée et la facilitation des transferts en direction du monde économique et, de l'autre, la recherche fondamentale et académique. On ne peut pas couper les liens entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée et les répercussions sur l'économie. L'équilibre à trouver n'est pas simple, entre d'un côté le risque d'assujettir la recherche fondamentale aux impératifs de la rentabilité de court terme et, de l'autre, celui d'ignorer la nécessité de renforcer les retombées pratiques de l'effort de recherche et la valorisation des brevets. Je ne sais pas exactement où et comment placer le curseur, mais je sais qu'il y a néanmoins une urgence à développer les retombées économiques de la recherche. Dans le cas de la Haute-Garonne, qui est bien pourvue en matière de recherche, puisqu'on y trouve tous les grands établissements publics, des grandes universités, des pôles de compétitivité et de grands groupes industriels tournés vers l'innovation, on a le sentiment qu'il manque malgré tout un fil directeur pour optimiser l'effort collectif. Une des difficultés est que le monde de la recherche et de l'innovation est par nature évolutif et que l'encadrement législatif doit lui-même être évolutif.

M. Bruno Retailleau. - Ce texte a un défaut majeur, souligné par les universités de droite et de gauche : c'est la gouvernance. La force des grandes universités étrangères ne tient pas seulement à un effet de taille mais avant tout à leur mode de gouvernance : elles ont de grands managers, des présidents forts avec une autonomie. Or, ce texte va désarticuler la gouvernance de nos universités de deux manières. L'élargissement du conseil d'administration (CA) va compliquer sa conduite alors qu'elle est déjà très complexe et délicate. Il y aura plus de représentants nommés et, plus particulièrement, plus de représentants désignés par des personnes ayant une coloration politique forte comme les présidents de régions,... Par ailleurs, on va instaurer une dualité en établissant un conseil académique aux pouvoirs élargis aux côtés du conseil d'administration.

M. Daniel Raoul, président. - L'ouverture du CA aux collectivités qui financent les contrats de plan État-région me paraît une bonne chose ! Ce n'est pas qu'une question de politisation. Les collectivités qui financent ne peuvent être écartées de la gouvernance. En revanche, je pense que la formation des présidents d'université est insuffisante. Ce sont peut-être de très bons philosophes ou mathématiciens, mais ils n'ont le plus souvent aucune compétence en matière de gestion et de management. Imposer un stage en entreprise avant de leur confier la direction d'une structure aussi grande et complexe qu'une université ne serait peut-être pas inutile...

M. Claude Bérit-Débat. - Sur ce problème de la gouvernance, de vraies inquiétudes s'expriment. Les collectivités ont leur place dans le CA à mon sens. La question de la place du monde économique est plus de nature à créer des inquiétudes et celles-ci doivent être prises en compte. Je voudrais revenir sur l'article 55 et l'enjeu des activités de transfert. Permettre, au travers de la recherche, de stimuler le développement économique sur un territoire, c'est important...

M. Daniel Raoul, président. - D'où l'intérêt de donner une place aux collectivités dans le CA !

M. Joël Labbé. - Le texte ne va pas assez loin. Par ailleurs, le sujet n'est pas urgent au point de justifier le recours aux ordonnances. Notre groupe pense que si le transfert de la recherche vers le monde économique est nécessaire, il doit aussi être étendu à la société civile, via notamment les organisations non gouvernementales (ONG) reconnues et les fondations. Enfin, la recherche fondamentale et la recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales doivent être préservées. Notre groupe s'abstiendra.

M. Martial Bourquin. - La France recule fortement dans les classements mondiaux en matière de recherche. Notre effort de recherche est très loin de celui de la Corée, où le budget de la recherche représente 5 % du PIB. Au-delà du volume des crédits, l'orientation de l'effort est tout aussi décisive ! Ce projet de loi va créer une dynamique de valorisation de la recherche. La politique qui est proposée va faire émerger une culture de l'innovation et du transfert. Ce texte inscrit dans le transfert parmi les missions de la recherche et cela brise un tabou.

M. Alain Chatillon. - Le monde universitaire doit être plus proche de la démarche entrepreneuriale. Les personnes qui ont des responsabilités dans le domaine de la recherche devraient systématiquement faire un stage de quelques semaines dans une entreprise.

Je crois aussi qu'il faut développer la réactivité des pôles de compétitivité. Dans le pôle agro-alimentaire que je préside, les clubs de l'innovation ont permis de faire venir les chercheurs et de les intégrer à sa dynamique. Cela a permis de valider 83 projets, dont 42 retenus par le Fonds unique interministériel, et de générer 850 emplois en six ans, principalement dans des PME. Il faut travailler aussi sur les mesures d'incitations, en particulier en direction des chercheurs. Le cadre statutaire doit encore évoluer pour leur permettre de mieux tirer parti de leur investissement. Enfin, la question de la protection de l'innovation doit encore progresser. Dans le domaine de l'agro-alimentaire, les brevets sont peu répandus : 80 % des innovations passent par des tours de main et des enveloppes Soleau. Il faut renforcer la protection liée à cet outil, qui permet d'affirmer une antériorité mais pas d'apporter une protection.

M. Philippe Leroy. - Je ne souhaitais pas a priori m'exprimer sur la question de la gouvernance, mais je tiens à souligner que le texte ajoute de la confusion à la confusion qui existe déjà dans ce domaine. Les universitaires passeront encore plus de temps à discuter entre eux au lieu de faire de la recherche. Le conseil académique est à mon avis absurde. Le président du conseil académique va devenir le concurrent du président de l'université ... Cela me conduit vers l'abstention sur ce texte, au moins. Par ailleurs, je tiens à dire mon inquiétude concernant les écoles d'ingénieurs. Je crois qu'on va sauver celles qui ne dépendent pas du seul ministère de l'éducation nationale. Mais les autres vont être banalisées dans le tissu universitaire, alors même que les ingénieurs sont au coeur des processus de transfert entre la recherche et l'industrie.

M. Jean-Jacques Mirassou. - La difficulté est de trouver le juste équilibre pour que la recherche ne soit pas orientée uniquement par des objectifs de profit vers des secteurs où l'on est certain d'avoir des débouchés économiques. Il y a des pans entiers du savoir et de la recherche qui n'ont pas ou peu de retombées économiques anticipables et qui pourtant doivent être pris en compte. Je compte sur le débat et les amendements pour faire progresser le texte. Enfin je voudrais quand même souligner que si l'organisation et la gouvernance du monde de la recherche sont complexes, les chercheurs eux-mêmes ne sont pas exempts de toute responsabilité, car ils ont organisé leur propre sphère d'influence et de recherche en citadelles, pour que le voisin ne puisse y entrer.

M. Daniel Raoul, président. - Simplement une remarque sur le sujet des ordonnances. L'article 65 prévoit simplement la codification du code de la recherche et de l'éducation et ne porte pas sur les sujets de fond du projet de loi.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Les grands organismes de recherche ne sont pas absents du texte, même si chacun d'entre eux n'y figure pas nommément. Il est proposé de les associer aux communautés d'universités et d'établissements créées par l'article 38. Leur stratégie continue d'être fixée au niveau national, mais on leur permet, par convention, de réaliser des partenariats avec les communautés. Un de nos amendements, commun avec celui de la rapporteure pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, leur ouvre d'ailleurs la faculté de recourir à des confédérations, statut apportant davantage de souplesse, pour réaliser ces rapprochements.

En revanche, les instituts de recherche technologique (IRT) sont effectivement occultés dans le texte, tout comme l'ensemble des instruments créés dans le cadre du PIA, ainsi que l'ANR. S'agissant de cette dernière, il nous faudra réfléchir à la part des crédits de la recherche qu'il faudra lui octroyer, afin de financer notamment des projets qui ne rentrent pas dans les thématiques stratégiques définies à l'échelle nationale.

La gouvernance des universités ne relève pas de notre compétence en tant que commission des affaires économiques. Toutefois, il a été évoqué, lors du débat à l'Assemblée nationale, la possibilité que le président du comité académique préside également le comité scientifique, afin de garantir une plus grande cohérence entre les deux entités.

La disposition prévoyant une valorisation prioritaire de la recherche auprès de PME dont l'activité est réalisée sur le territoire européen obligerait nos organismes de recherche à prouver qu'aucune d'entre elles n'était intéressée, et les priverait in fine de marchés d'importance desquels ils tirent une part substantielle de leurs financements.

M. Daniel Raoul, président. - Nous en venons maintenant à l'examen des amendements de la rapporteure.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Le groupe UMP indique qu'il ne prendra pas part au vote.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 1, à l'article 11, vise à étendre au transfert la stratégie nationale de la recherche (SNR).

L'amendement n° 1 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 2, à l'article 12 bis A, est un amendement de conséquence du premier.

L'amendement n° 2 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 3, portant sur l'article 12 ter, tend à associer les collectivités autres que la région à l'élaboration des schémas régionaux de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (SRESRI).

L'amendement n° 3 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 4, à l'article 13, est encore un amendement de conséquence du premier, qui étend la SNR au transfert.

L'amendement n° 4 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 5, portant sur l'article 38, associe systématiquement à l'élaboration du contrat pluriannuel d'établissement les régions, ainsi que les autres collectivités et leurs groupements, qui accueillent des sites universitaires ou des établissements de recherche.

L'amendement n° 5 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 6, également à l'article 38, requiert un avis favorable donné à la majorité qualifiée des deux-tiers du conseil des membres d'une communauté d'universités et d'établissements pour réviser les statuts desdites communautés.

L'amendement n° 6 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 14, encore à l'article 38, tend à consacrer le caractère confédéral des relations établies entre des établissements publics ou privés et des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel dans le cadre d'une association.

L'amendement n° 14 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 7 vise à supprimer l'article 48, afin de maintenir l'AERES tout en faisant évoluer ses missions et son fonctionnement.

L'amendement n° 7 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 8, à l'article 49, est un amendement de conséquence du précédent.

L'amendement n° 8 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 9, portant sur l'article 50, est également un amendement de cohérence avec celui maintenant l'AERES.

L'amendement n° 9 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 10, supprimant l'article 51, tire encore les conséquences de celui maintenant l'AERES.

L'amendement n° 10 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 11, s'imputant sur l'article 52, s'inscrit dans la même logique que les quatre précédents.

L'amendement n° 11 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 12, à l'article 55, supprime la disposition obligeant les personnes publiques détenant des titres de propriété industrielle issus d'inventions de leurs employés à les valoriser prioritairement auprès de PME s'engageant à l'exploiter sur le territoire européen, car elle est trop restrictive.

M. Claude Bérit-Débat. - Je proposerai, sur ce point, un amendement pour prendre en compte spécifiquement les PME.

M. Daniel Raoul, président. - On ne peut discriminer les entreprises désirant licencier des brevets auprès de personnes publiques selon leur taille ou leur implantation territoriale !

M. Martial Bourquin. - Les Allemands contournent ce type d'interdictions en créant des fondations mi-publiques, mi-privées.

M. Bruno Retailleau. - Et pourquoi ne pas élargir le dispositif des PME aux entreprises à taille intermédiaire (ETI) ?

M. Daniel Raoul, président. - Cela ne le soustraira pas aux difficultés juridiques évoquées. Mais vous pourrez déposer des amendements sur ce point en vue de la séance si vous le souhaitez.

L'amendement n° 12 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 13 crée un article additionnel après l'article 55 ter qui autorise l'approbation de l'accord européen relatif à une juridiction unifiée du brevet.

L'amendement n° 13 est adopté.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'amendement n° 15 crée un article additionnel après l'article 64 prolongeant d'un an l'expérimentation de contrats de travail à durée déterminée à objet défini, auquel ont recours certains organismes de recherche.

L'amendement n° 15 est adopté.

M. Daniel Raoul, président. - Merci Madame le rapporteur, vous allez à présent déposer l'ensemble de ces amendements, qui seront examinés par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

Nomination de rapporteurs

La commission procède ensuite à la nomination de rapporteurs sur le projet de loi n° 1015 (AN, XIVe lég.), relatif à la consommation (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission).

La commission désigne MM. Alain Fauconnier et Martial Bourquin comme rapporteurs du projet de loi n° AN 1015 relatif à la consommation (sous réserve de sa transmission).

- Présidence commune de M. Daniel Raoul, président et de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire -

Pacte de compétitivité - Audition de M. Louis Gallois, commissaire général à l'investissement

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission entend, lors d'une réunion commune avec la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire, M. Louis Gallois, commissaire général à l'investissement.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Je suis heureux de vous accueillir devant nos deux commissions réunies pour vous entendre sur l'état d'avancement du Programme d'investissements d'avenir (PIA), en place depuis 2010, et sur la mise en oeuvre du Pacte de compétitivité, adopté en novembre 2012. Au-delà de son bilan financier au 1er trimestre 2013, il serait utile que vous fassiez le point sur la gouvernance du PIA. Ainsi, comment votre action s'articule-t-elle avec la banque publique d'investissement (BPI), qui ne sera déclinée dans les régions qu'à compter de septembre ? L'attente est grande sur le terrain. Quelles conséquences sur vos opérateurs de référence ? Quelle répartition des rôles, quelle coordination pour renforcer les complémentarités et les effets de levier ?

La recherche est une priorité du PIA ; plusieurs structures ont été créées (Idex, Labex, Equipex, Sociétés d'accélération de transfert de technologies), or le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche ne les mentionne pas. Comment assurer la cohérence, sans complexifier le paysage ? Quelles sont vos propositions pour un meilleur transfert de technologie vers l'entreprise - même si je préfère parler de valorisation de la recherche ?

Enfin, quelle appréciation portez-vous sur les premières mesures de mise en oeuvre du Pacte de compétitivité ?

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - À mon tour de dire combien nous sommes heureux de vous recevoir. Notre commission s'occupe d'aménagement du territoire, de transport, de développement durable. Quelle est votre vision sur le financement du très haut débit, essentiel au désenclavement des territoires ruraux ? Quelles sont les priorités d'investissement en matière de développement durable, qu'il s'agisse de rénovation des bâtiments ou d'énergies renouvelables ? Enfin, quelles sont à vos yeux les priorités dans le secteur des transports ? Le futur schéma national des infrastructures de transport (SNIT) nous inquiète beaucoup...

M. Louis Gallois, commissaire général à l'investissement. - Merci de me recevoir, avec M. Philippe Bouyoux, commissaire général adjoint, qui pourra compléter mes réponses.

Sur les 35 milliards d'euros de dotation initiale du PIA, 20 milliards sont consommables, les autres étant placés pour produire des intérêts, qui financent des structures telles que les Idex. A ce jour, 28 milliards d'euros sont engagés, 20 milliards contractualisés. Nous avons dépensé 4,7 milliards d'euros en espèces ; nous dépenserons 4 milliards chaque année en 2013, 2014 et 2015, puis le programme diminuera progressivement jusqu'en 2018, date où il ne restera que les intérêts des dotations non consommables, soit 400 à 500 millions d'euros par an.

Le nouveau gouvernement a confirmé la structure du PIA ainsi que, son mode de financement et ses principes, qui avaient été arrêtés par la commission Juppé-Rocard. Il a toutefois redéployé 2,2 milliards d'euros vers la priorité productive, c'est-à-dire vers l'industrie. Nous sommes en train d'engager les 7 milliards d'euros restants, qui sont d'ores et déjà fléchés, notamment vers le très haut débit. Quant à un éventuel ré-abondement, c'est au gouvernement d'en décider.

Le commissariat assure également le suivi du Pacte de compétitivité. Adopté le 6 novembre 2012, celui-ci comporte 35 mesures, dont la plus emblématique est le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE). Les deux tiers ont d'ores et déjà fait l'objet de textes et de mesures de mise en oeuvre. D'autres ont conduit à commander des rapports : le rapport Berger-Lefebvre sur le financement à long terme de l'économie, le rapport Beylat-Tambourin sur l'innovation remis à Mme Fleur Pellerin et qui donnera lieu à de prochaines annonces de la ministre. D'autres enfin ne pourront être appliquées avant la promulgation de la loi traduisant l'accord national interprofessionnel du 11 janvier, actuellement soumise au Conseil constitutionnel, et les négociations qui vont ensuite s'engager sur la formation professionnelle.

Un premier bilan en avril montrait déjà que ces mesures étaient mises en oeuvre par les ministères avec dynamisme, même si certaines sont échelonnées. Il faudra préserver la cohérence initiale des 35 mesures tout au long de leur mise en oeuvre et ne pas en oublier en route, car la compétitivité est un phénomène complexe où tout est lié. Pour l'heure, aucune ne semble être en déshérence.

J'ajoute que la reconquête de la compétitivité prendra du temps. Le plan 2010 de Gerhard Schröder a été mis en oeuvre sur dix ans, par trois majorités successives : SPD, SPD-CDU, CDU-libéraux. Cette persévérance explique son succès. Il ne faut pas escompter de résultats visibles immédiats, c'est l'affaire de plusieurs années.

Contrairement à ce que croit savoir le Figaro, le CICE est très bien parti : nous en sommes à plus de 500 millions d'euros de préfinancements. C'est à mes yeux plutôt un sujet de préoccupation, car ce succès révèle surtout l'ampleur des difficultés de trésorerie des entreprises. Oséo est bien mobilisé sur le financement du CICE. Les banques l'ont soutenu plus mollement et les experts-comptables ont également mis du temps à valider les besoins de crédit.

M. Daniel Raoul, président. - Les bons débuts montrent peut-être aussi que le CICE était bien ciblé ?

M. Louis Gallois. - En ouvrant le dispositif à toutes les entreprises, le Gouvernement a voulu privilégier l'emploi. À l'inverse, l'industrie n'étant pas particulièrement ciblée, l'impact est plus faible sur la compétitivité industrielle. Je proposais d'aller jusqu'à 3,5 fois le Smic ; en optant pour 2,5 Smic, on touche les entreprises de main d'oeuvre, mais pas nécessairement l'industrie où les salaires sont souvent plus élevés. Cela dit, la compétitivité industrielle allemande profite aussi de services bon marché ; une baisse du coût des services de nettoyage ou de gardiennage, par exemple, a un impact indirect sur l'industrie.

En matière de très haut débit, l'objectif est d'équiper l'ensemble du territoire d'ici 2022, avec une montée progressive en débit dans certaines régions. Les zones denses seront équipées par les opérateurs privés ; les zones conventionnées, où la rentabilité n'est pas assurée, par les opérateurs privés et les collectivités territoriales ; enfin, dans les zones où les opérateurs ne veulent pas aller, des programmes d'initiative publique, pour 20 milliards d'euros, seront financés aux deux-tiers par les industriels, au tiers par les collectivités publiques - État et collectivités territoriales à parité. Le PIA contribue pour 1 milliard d'euros aux 3 milliards qu'apporte l'État, et consent pour 0,7 milliard d'euros des prêts aux opérateurs. Les collectivités territoriales bénéficient, elles, de prêts de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). La feuille de route gouvernementale a été arrêtée le 28 février dernier, les négociations sont en cours avec un certain nombre de collectivités territoriales.

Je siège au conseil d'administration de la BPI et nos deux instances travaillent ensemble, par exemple dans le cadre des comités de filière. Nous apportons également des outils à la BPI : fonds pour la société numérique (FSN), fonds d'amorçage, etc. Nous sommes associés à la gouvernance de ces fonds : si la BPI est seule en contact avec les clients, la politique d'attribution des fonds est partagée avec le commissariat général dans le cadre de comités de pilotage. Les choses fonctionnent bien. La BPI n'est pas encore constituée mais Oséo n'a pas cessé de fonctionner et il assure le préfinancement du CICE de manière tout à fait satisfaisante.

M. Daniel Raoul, président. - Tout le monde attendait de la BPI une accélération de l'aide aux PME, dans l'accès au crédit et même au financement de haut de bilan.

M. Louis Gallois. - CDC Entreprises, dont l'action sera reprise par la BPI, continue elle aussi de fonctionner. Nous sommes dans une phase de mise en place. Quoi qu'il en soit, la BPI est une banque, elle sera soumise aux règles prudentielles : elle pourra se montrer plus patiente que les banques, avoir des objectifs de rentabilité plus modestes, mais elle ne pourra prêter à des entreprises incapables de rembourser... N'oublions pas l'exemple des sociétés de développement régional ! La BPI devra faire preuve à la fois de dynamisme et de patience, mais elle sera tenue par la réglementation bancaire. Elle ne fonctionnera certainement pas à robinet ouvert !

M. Daniel Raoul, président. - Elle ne fera pas de soins palliatifs...

M. Louis Gallois. - Nous avons deux objectifs en matière de développement durable : préparer la transition énergétique en matière d'efficacité énergétique, d'économies d'énergie et de développement d'énergies nouvelles, et faire émerger des acteurs industriels. Les nouvelles technologies sont foisonnantes. Il y aura forcément des échecs. Les panneaux solaires en ont été un pour l'Europe. Nous nous heurterons peut-être aussi à des impasses techniques. Les investissements sont lourds, la rentabilité limitée : il faudra trouver le bon mix de financements publics et privés, et attirer ces derniers.

Les énergies renouvelables ne sont pas rentables aujourd'hui. Comment gérer des sources d'énergie qui pèsent sur le coût global de l'énergie ? Nous finançons les démonstrateurs, les opérations exemplaires, telle cette éolienne off shore de très grande taille qu'Alstom teste sur sol à Saint-Nazaire, mais nous ne financerons pas le déploiement des parcs d'éoliennes en mer. Je crois beaucoup aux hydroliennes, car nos courants marins réguliers et prévisibles sont un vrai gisement. Là aussi, nous finançons les démonstrateurs.

Les instituts d'excellence dans le domaine des énergies décarbonées (IEED) sont l'équivalent des instituts de recherche technologique (IRT). Mon prédécesseur, René Ricol, avait retenu neuf projets en mars 2012 ; nous venons seulement de signer le premier. Ce délai, inacceptable, s'explique par les difficultés rencontrées à Bruxelles, qui nous ont amené à revoir certains montages financiers. Après le projet Pivert, en chimie du végétal, cinq autres projets sont prêts à être signés.

Les fonds démonstrateurs de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) interviennent dans trois domaines : les énergies décarbonées, les réseaux électriques intelligents, l'économie circulaire. À ce jour, 75 projets ont été sélectionnés, pour 650 millions d'euros de dépenses sur les investissements d'avenir : 23 % en faveur d'établissements publics de recherche, 44% pour les grandes entreprises et 33 % pour les PME - c'est énorme, car ces dernières représentent moins de 20 % de la recherche industrielle en France. Nous avons des projets à l'instruction pour environ 200 millions d'euros, ciblés sur les filières industrielles. L'objectif est de créer des vitrines pour aider les acteurs nationaux à exporter. En matière d'économie circulaire, et plus précisément de valorisation des déchets, les gisements sont décevants ; il faudrait un meilleur regroupement des déchets industriels pour atteindre une masse critique. Là encore, nous ciblons la filière industrielle plutôt que les opérations de traitement. Simplifier, accélérer, inciter les acteurs à travailler ensemble, voilà nos mots d'ordre.

Enfin, la France est une référence mondiale en matière de sûreté nucléaire. C'est un atout à l'exportation, un véritable actif qui valorise l'ensemble de la filière nucléaire. À la suite de la catastrophe de Fukushima, nous avons dégagé 50 millions d'euros et retenu 23 projets, qui s'étendent sur quatre à huit ans, autour de quatre thèmes : réflexion sur les évènements initiateurs, gestion du déroulement de l'accident, gestion de crise et conséquences pour l'homme et l'environnement.

M. Martial Bourquin. - Merci pour ces éclaircissements. Première question : quelle place pour l'automobile et les mobilités de demain dans le cadre de la transition énergétique ? Les technologies évoluent vite. Que prévoit le Grand emprunt dans ce domaine ?

Je nuancerai vos propos sur les énergies alternatives : la non-rentabilité à court terme peut être la rentabilité de demain. L'Allemagne, qui n'a pas connu la bulle immobilière, a su développer la machine-outil et monter en gamme, en bénéficiant d'une main d'oeuvre moins chère. Résultat, chaque usine qui se crée dans le monde achète une machine-outil allemande ! Veillons à préparer l'avenir, et à ne pas réserver aux énergies alternatives la partie congrue du Grand emprunt.

Il fallait un choc de compétitivité, le Gouvernement l'a fait. Attention toutefois à ce que le CICE ne soit pas capté par les grands groupes : certains demandent d'ores et déjà aux PME 2 % de marge sur le CICE ! En 1980, les entreprises consacraient 30 % de leurs ressources financières au paiement des dividendes ; en 2012, on en est à 80 % ! Si bien que la France se retrouve au niveau du Portugal en matière d'investissement... Le choc de compétitivité doit être l'affaire de l'État mais aussi des entreprises.

M. Gérard Bailly. - Le très haut débit est fondamental pour les territoires ruraux. Le monde rural a toujours souhaité une vraie péréquation. On demande beaucoup d'argent aux petites collectivités locales, or la dotation globale de fonctionnement (DGF) est deux fois plus importante pour les villes que pour le monde rural. Une telle inégalité est-elle justifiée ?

Il y a dix ans, on affirmait que les biocarburants étaient l'énergie de l'avenir, avant de faire volte-face. L'hydroélectricité est une énergie peu chère, renouvelable, bref, une valeur sûre. Or les associations ont réussi à interdire les petites centrales sur 85 % de nos rivières ! Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la biomasse ? Quel est votre point de vue sur le gaz de schiste ?

La compétitivité n'a-t-elle pas souffert des charges imposées à nos entreprises ? L'élevage aussi est concerné : nos abattoirs se vident au profit de l'Allemagne, où les travailleurs coûtent beaucoup moins cher. Quel avenir pour notre agriculture, qui consomme beaucoup de main d'oeuvre ?

Accélérer les procédures, dites-vous ? Je signe des deux mains. Commençons par supprimer les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), ou au moins, demandons-leur de changer de méthodes : elles sont à l'origine de bien des problèmes !

M. Louis Gallois. - Je transmettrai votre requête en haut lieu...

M. Ronan Dantec. - Certains de vos propos m'ont fait bondir. Je vous ferai parvenir le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le coût de l'électricité, selon lequel les énergies renouvelables sont d'ores et déjà concurrentielles.

M. Bruno Sido. - Allons !

M. Ronan Dantec. - Même M. Henri Proglio l'a dit !

Vous financez des démonstrateurs, très bien. Mais y a-t-il une réelle stratégie française de structuration des filières industrielles, en lien avec les objectifs de la transition énergétique portés par le président de la République ? À Saint-Nazaire, on n'est plus dans une logique de démonstration, mais bien dans une logique de production de séries ; les coûts sont maîtrisés et diminuent.

Des points faibles existent. La première génération de compteur Linky s'avère incapable d'accompagner la transition énergétique. Envisagez-vous de consacrer des moyens au développement d'un nouveau compteur, susceptible d'être exporté ? Avez-vous élaboré des stratégies industrielles à la hauteur des enjeux de la transition énergétique ?

Également, nombre de PME, pourtant rentables, ne parviennent pas à trouver la centaine de milliers d'euros nécessaire pour franchir le cap, lorsqu'elles rencontrent un problème d'impayé. L'appareil de décision français a-t-il conscience de ces difficultés ? Culturellement, la France privilégie plutôt les grands groupes.

M. Claude Bérit-Débat. - Beaucoup d'entreprises, notamment en milieu rural, ne connaissent pas l'existence du CICE. Il faut mieux diffuser l'information.

En outre, quelle est la part des crédits consacrés à la formation professionnelle  dans le programme des investissements d'avenir ? Combien ont été consommés ?

Mme Évelyne Didier. - Des marges de progression existent concernant la valorisation des déchets et l'économie circulaire, notamment sur les taux de récupération des produits en fin de vie. Le maillage du territoire devra aussi être amélioré. Si quatre ou cinq usines de récupération des matelas suffisent à l'échelle de notre pays, d'autres produits sont sans doute susceptibles de donner lieu à un maillage plus serré.

Économie circulaire ? Mais quand une filière de responsabilité élargie du producteur (REP) fonctionne bien, elle se voit prise en mains par de grands groupes, au détriment des PME et des PMI. Comment conserver le circuit de l'économie circulaire et son ancrage territorial ? Faut-il élaborer des schémas au risque de freiner l'initiative privée ? Quel équilibre trouver ? Les filières souhaitent s'organiser elles-mêmes sans intervention publique.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Comment être sûrs que les démonstrateurs sont fondés sur des choix pertinents car ils restent dans le champ de l'expérimentation et sont peu nombreux ?

Dans le très haut débit, les opérateurs privés se consacrent aux zones urbaines rentables et les collectivités territoriales interviennent ailleurs : est-ce bien cela ?

M. Louis Gallois. - C'est un constat. C'est la logique d'une économie de marché.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Enfin, avant de songer au compteur Linky, le mieux pour réaliser des économies d'énergie n'est-il pas de commencer par réhabiliter les logements passoires ?

M. Jean-Claude Merceron. - Valérie Létard, rapporteure sur le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et la recherche, souhaitait poser deux questions. Pourquoi les structures mises en place dans le cadre des investissements d'avenir ne sont pas mentionnées dans le projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche ? Ne faut-il pas les associer aux contrats de site ? En outre, sur les 35 milliards du programme des investissements d'avenir, 18 sont consacrés à l'Agence nationale de la recherche (ANR), le reste aux organismes de recherche. Est-ce satisfaisant ? Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, entend continuer la stratégie de vases communicants de l'ANR vers ces derniers, déjà inscrite dans la dernière loi de finances. Mais l'ANR aura-t-elle encore les moyens de financer les projets sélectionnés dans le PIA ?

M. Yannick Vaugrenard. - Je vous remercie pour le soutien que vous avez apporté au projet éolien d'Alstom à Saint-Nazaire, car c'est une diversification précieuse. Le développement de l'éolien ne compensera pas cependant le recul du nucléaire. Notre industrie nucléaire est en pointe. Saurons-nous l'utiliser pour favoriser le développement industriel ?

Les PME et les PMI ne sont pas suffisamment informées des possibilités du CICE. Leurs dirigeants ont le nez dans le guidon car ils affrontent de grosses difficultés : ils ignorent les nouveaux textes de loi. Comment améliorer leur information?

Vous avez évoqué la BPI sans excès d'enthousiasme. Qu'apporte de plus cette banque, par rapport aux structures déjà existantes, comme Oséo ? Les symboles ont leur importance : que pensez-vous du choix du siège de la BPI ?

M. Raymond Vall, président. - Notre commission a visité le centre de recherche en géothermie de Soultz-sous-Forêts, près de Strasbourg. Les Allemands se sont retirés du GIE pour développer leur propre filière industrielle. Et nous ? Nous ne faisons rien. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a repéré plusieurs sites où forer. On dispose pourtant des savoir-faire et des industriels pour exploiter ce gisement d'énergie renouvelable stable. Qu'en pensez-vous ? Des centrales de 4 mégawatts coûtent entre 4 et 7 millions d'euros. Pourquoi ne pas encourager cette filière ? Il est temps de passer aux actes.

M. Bruno Sido. - Christian Bataille au nom de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, que je préside, a rédigé un rapport consacré à la sortie du nucléaire.

M. Louis Gallois. - Un excellent rapport !

M. Bruno Sido. - Je suis partisan de profiter de toutes les énergies renouvelables... surtout si le problème du stockage de l'énergie est résolu. Quoi qu'il en soit, la France est un acteur mondial du nucléaire, industrie d'exportation avec un niveau élevé de sécurité. Si nous diminuons la part du nucléaire, conserverons-nous notre leadership ?

L'économie circulaire est une idée astucieuse qui marche bien, comme au Danemark. Mais les déchets industriels sont trop diffus. Cette logique ne conduit-elle pas à la concentration des industries en clusters, afin de récupérer tous les déchets au même endroit ? N'est-ce pas contradictoire avec un aménagement équilibré du territoire ?

M. Philippe Bouyoux, commissaire général adjoint. - Nous menons des actions centrées sur la mobilité de demain. Elles concernent tout d'abord l'automobile. En lien avec l'Ademe, nous avons lancé des appels à manifestation d'intérêt (AMI) ciblés, portant notamment sur l'allègement des véhicules ou l'hybridation, financés grâce à des subventions, des avances remboursables ou encore des prises de participation pour rupture technologique, comme dans le cas de PSA. Hier un nouvel AMI, de 250 millions d'euros, a été lancé, il porte sur la création d'un nouveau véhicule consommant deux litres aux 100 kilomètres. En outre, nous menons une action sur la ville, en soutenant des éléments innovants au sein de projets portés par les collectivités territoriales. Ainsi l'an dernier nous avons financé des projets de transport en commun en site propre à hauteur de 200 millions ou le déploiement de prises pour des véhicules électriques. Néanmoins il reste des crédits sur ces programmes.

M. Louis Gallois. - Certaines énergies renouvelables sont rentables, en particulier l'hydraulique, qui est la plus rentable, ou l'éolien on shore, mais non l'éolien offshore. Il faut poursuivre la recherche et faire baisser les coûts. L'hydrolien pourrait s'inscrire dans une fourchette de prix comparable à l'hydraulique ; il s'agit d'une énergie plus facile à gérer que d'autres parce que l'on connaît les courants et leur intensité et que l'on peut donc prévoir le niveau de la production d'énergie.

J'en viens au CICE. Il est impossible de s'insérer dans le secret de la négociation entre un grand groupe et un fournisseur. Tout acheteur cherche à faire baisser les prix. Plus que les grands groupes, le comportement de la grande distribution, non exposée à la concurrence internationale, est préoccupant. La loi prévoit que les entreprises doivent expliquer l'usage qu'elles font du CICE. Ne soyons pas naïfs, la transparence a ses limites : le CICE est versé dans les comptes de l'entreprise, celle-ci l'utilise comme elle le souhaite. Le CICE sert surtout à compenser les actuelles difficultés de trésorerie - cela ne me choque pas. Quant aux dividendes, le dividende par euro investi n'a pas augmenté. En revanche, le régime fiscal a été considérablement durci, les chefs d'entreprise en parlent à tous les hommes politiques qu'ils rencontrent.

Monsieur Bailly, les zones agricoles sont presque intégralement situées dans des zones d'initiative publique, où le très haut débit sera financé par les collectivités territoriales et l'État. Mais sur deux tiers du territoire, le financement émane du privé. Reste un tiers où les fonds publics sont sollicités. Que voulez-vous, on n'attire pas les mouches avec du vinaigre ! Pourquoi France Télécom, Bouygues ou Free iraient-ils là où cela ne leur rapportera rien ?

M. Gérard Bailly. - À Dijon ou Briançon on ne paie rien, mais pas à Dole ou Lons-le-Saunier.

M. Louis Gallois. - Dole doit faire partie d'une zone couverte par un opérateur. Certaines petites agglomérations appartiennent à des zones conventionnées. France Telecom a été autorisée à investir à Laval en contrepartie d'un investissement dans une zone moins rentable. On plafonne de fait, par ces obligations, la rentabilité dans les zones denses, assurant ainsi un équilibre.

M. Gérard Bailly. - Dans les zones non couvertes, les collectivités territoriales sont obligées de mettre la main à la poche. La péréquation nationale n'est pas suffisamment forte.

M. Louis Gallois. - Elle a été renforcée dans la nouvelle feuille de route, établie le 28 février dernier.

L'hydraulique est la meilleure des énergies. Je croyais que la plus grande part des rivières était équipée.

M. Gérard Bailly. - Mais on a interdit la mini-hydraulique sur 85% de la longueur des rivières.

M. Louis Gallois. - En tout cas, cette technique, classique, ne relève pas des investissements d'avenir.

M. Daniel Raoul, président. - Dans mon département, les élèves d'un lycée professionnel ont installé un alternateur sur un ancien moulin. Pourquoi ne pas généraliser cette pratique ?

M. Louis Gallois. - Posez cette question à la ministre en charge de l'énergie.

M. Gérard Bailly. - Autrefois toute l'économie reposait sur ces petits barrages !

M. Louis Gallois. - Les investissements d'avenir n'ont pas vocation à équiper le territoire, mais à amorcer des processus. Nous investissons sur des démonstrateurs également dans le domaine de la biomasse, dont nous cherchons à évaluer la capacité énergétique. Nous finançons des projets de production de méthane à partir de digestats ou de bois. Nous n'avons pas de projets sur le gaz de schiste. À nouveau, je vous laisse le soin d'interroger la ministre.

Un mot sur la compétitivité. Dans les abattoirs allemands, les employés roumains ou bulgares sont payés 2 à 3 euros de l'heure. Le cresson du Val-de-Marne est empaqueté en Allemagne. Dans son intérêt comme dans celui de l'Europe, l'Allemagne doit se doter d'un salaire minimum : il renforcerait le pouvoir d'achat national, donc la croissance du pays. Je l'ai dit aux Allemands. Il faut ouvrir un débat sur les services à très bas coût, dont bénéficie l'agriculture allemande, qui exporte plus que la nôtre. J'ajoute que 300 000 hectares de maïs sont utilisés pour la production de biocarburants.

M. Daniel Raoul. - Avec des subventions de la politique agricole commune (PAC) qui finance, finalement, la production de méthane !

M. Louis Gallois. - Monsieur Dantec, concernant les énergies renouvelables concurrentielles, je le répète, nous nous en tenons aux démonstrateurs ; nous n'avons pas la capacité de passer à un stade ultérieur. Sur la stratégie industrielle, il faudrait interroger le ministre Arnaud Montebourg.

Enfin, vous avez évoqué le compteur Linky. Nous investissons dans toutes les formes de smart grids, au stade des démonstrateurs. Notre logique n'est pas celle du déploiement.

M. Philippe Bouyoux. - Dans les smart grids, nous investissons dans les grands réseaux comme dans la domotique. Le programme smart Lyon prend en compte tout l'écosystème du compteur électrique : celui-ci affiche un certain nombre d'informations et permet une gestion fine de l'énergie, ce que ne fait pas Linky.

M. Louis Gallois. - La BPI est dotée de moyens permettant d'accroître les interventions en faveur de ces entreprises, en haut comme en bas de bilan. Mais elle ne pourra prêter qu'à des entreprises viables.

La connaissance de l'outil CICE s'est fortement améliorée récemment, mais elle ne sera réellement bonne que si les banques, interlocuteurs privilégiés des PME, en font la publicité. Ces deux derniers mois, des progrès sensibles ont été faits.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Mais justement, les banques refusent de prendre des risques à l'égard des entreprises, alors qu'elles ont elles-mêmes bénéficié d'un plan de soutien de plusieurs milliards d'euros.

M. Louis Gallois. - Les banques ne prennent aucun risque à préfinancer le CICE.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Il ne faut pas exclure des financements bancaires certaines entreprises en difficulté, mais potentiellement viables, qui pourraient être sauvées grâce à une petite prise de risque.

M. Louis Gallois. - Avec le CICE, les banques sont couvertes par la recette de l'année suivante ; mais elles trouvent que leur rémunération est trop faible.

M. Philippe Bouyoux. - L'enveloppe de 500 millions d'euros consacrée à la formation professionnelle a été à moitié consommée et des projets sont en cours d'instruction. En outre, depuis janvier dernier, conformément aux réorientations annoncées par le Gouvernement, nous privilégions les initiatives pilotes destinées à renforcer le lien entre formation initiale et formation continue. Nous finançons des projets ambitieux, organisés autour d'un pôle de référence métier pertinent ou traduisant un effort de regroupement entre des acteurs qui ne travaillaient pas ensemble. Il reste cependant, sur cette enveloppe, des crédits à affecter.

M. Louis Gallois. - J'en conviens, la valorisation des déchets, lorsqu'elle exige une massification donc une concentration des déchets, ne va pas dans le sens d'un bon aménagement du territoire. En outre, Madame Didier, il est vrai que lorsqu'une activité se développe, de grosses entreprises commencent à s'y intéresser. Emmaüs, par exemple, récupère les tissus. Or, son principal concurrent n'est autre que GDF-Suez, qui a eu l'habileté de créer une petite entreprise d'insertion dans cette niche. On ne peut le lui interdire.

Mme Évelyne Didier. - Si l'on avait conservé ce secteur sous maîtrise publique...

M. Louis Gallois. - Mais la ressource n'est pas sous maîtrise publique. Elle dépend des particuliers pour les tissus ou les matelas, des industriels pour certaines matières. EADS recycle depuis longtemps ses déchets en titane. Sur quel fondement l'État pourrait-il interdire aux grandes entreprises d'intervenir ? D'autant que de minuscules PME deviennent parfois des acteurs de poids, voyez l'évolution d'une entreprise comme Paprec ! Instaurer une territorialisation stricte supprimerait aussi l'effet de masse et donc la rentabilité.

M. Daniel Raoul, président. - Un exemple montre qu'une combinaison est possible entre grandes et petites entreprises : Veolia sous-traite la séparation des appareils électroménagers à des entreprises d'insertion et effectue ensuite le retraitement.

M. Louis Gallois. - La fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars) que je préside compte beaucoup d'entreprises d'insertion en son sein. Je me bats pour que les prix de revente aux grands groupes de retraitement des déchets ne soient pas ridicules, mais la relation commerciale est dure !

Monsieur Mirassou, nos choix de démonstrateurs sont-ils pertinents ? Nous pouvons nous tromper. Il est possible que certains choix aboutissent à des impasses, mais notre rôle consiste à prendre des risques.

Quant au très haut débit, si la partie la plus profitable revient au privé, n'est-ce pas la loi du genre ?

M. Philippe Bouyoux. - Une réserve toutefois : dans les zones très denses le coût d'installation des prises est faible, mais les foyers sont déjà équipés, satisfaits du débit et donc plus difficiles à convaincre de l'intérêt de choisir un nouvel abonnement. L'inverse est vrai en zone rurale. Il existe un risque commercial dans les zones denses.

M. Jean-Jacques Mirassou. - On a vu pire !

M. Louis Gallois. - Il convient de trouver le bon équilibre, en évitant toute rente de situation.

Sur les logements passoires, un programme est consacré à la rénovation thermique de l'habitat diffus des personnes à très faibles revenus. Ce programme a été difficile à lancer car les personnes âgées sont souvent réticentes et le ticket modérateur, pour elles, demeure élevé - nous finançons 75% du montant des travaux. Le plafond de ressources a cependant été relevé, le ticket modérateur réduit, et l'objectif ramené à 25% d'économies.

M. Claude Bérit-Débat. - Appuyez-vous sur les collectivités territoriales !

M. Louis Gallois. - Je vous rejoins. Rien n'est possible sans elles ! Dans bien des communes rurales, sans l'intervention du maire, les entreprises seraient perçues comme des démarcheurs.

Rien dans le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et la recherche ne s'oppose à la mise en oeuvre des programmes des investissements d'avenir, y compris pour les Idex.

M. Daniel Raoul, président. - Le président de la République ou le Premier ministre ont-ils la volonté de redéployer les investissements d'avenir, concentrés pour 70% sur le plateau de Saclay ?

M. Louis Gallois. - Notre objectif n'est pas l'aménagement du territoire. Toutefois nous veillons à l'ancrage territorial de nos actions. Nous nous sommes dotés d'une cellule territoriale, dirigée par un ancien préfet de région, qui tient la carte de nos investissements pour veiller à l'équilibre. Nous avons investi dans toutes les régions.

Certes, 18 milliards d'euros sont consacrés à l'ANR, mais 15 sont des crédits non consommables. Sur la diminution des crédits de l'agence, il convient d'interroger Mme Geneviève Fioraso.

La création de la BPI est une bonne idée. Il faudrait aussi qu'elle devienne le guichet unique des aides de l'État destinées aux PME. Quant au choix de son siège, je soutiens Nicolas Dufourcq qui s'est installé dans la partie la moins noble du boulevard Haussmann. Je suis certain qu'il a négocié un loyer raisonnable. Il est normal que la BPI soit installée dans de tels locaux.

M. Yannick Vaugrenard. - Je ne partage pas cet avis.

M. Jean-Jacques Mirassou. - C'est la partie la moins noble du boulevard ?

M. Louis Gallois. - On touche presque Montmartre ! Cet endroit du boulevard sent presque le souffre...

M. Jean-Jacques Mirassou. - Le boulevard Haussmann serait border line ?

M. Louis Gallois. - Un mot sur la géothermie : elle est exploitée depuis vingt ans en Alsace grâce à la fracturation hydraulique... sans que cela ait suscité le moindre émoi.

M. Philippe Bouyoux. - Un appel à manifestation d'intérêt a été lancé. Quelques dossiers ont été déposés. Nous étudions plusieurs thématiques : la géothermie pour la production d'électricité, les méthodes de forage pour accéder au réservoir. Ces projets seraient pertinents pour l'outre-mer où l'électricité est chère.

M. Louis Gallois. - Monsieur Sido, le stockage des énergies intermittentes est un enjeu majeur. Les solutions actuelles entraînent des pertes colossales : de l'ordre de 80% pour le stockage par hydrogène.

Enfin, sur le nucléaire, il faut interroger Delphine Batho, responsable de l'élaboration du schéma de transition énergétique.

M. Daniel Raoul, président. - Je vous remercie.