Mardi 29 avril 2014

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30

Réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive - Examen des amendements au texte de la commission

La commission procède tout d'abord à l'examen des amendements sur son texte n° 468 (2013-2014) pour la proposition de loi n° 412 (2013-2014), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 2

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - L'amendement n° 16 supprime la référence inutile à la commission d'instruction, qui constitue désormais une composante de la cour de révision et de réexamen.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Sur ses 18 membres, cinq appartiendront à la formation chargée de l'instruction et treize à la formation de jugement.

L'amendement n° 16 est adopté.

Article 3

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - L'amendement n° 15 corrige une omission dans le texte de la commission.

L'amendement n° 15 est adopté.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - L'amendement n° 19 autorise la cour de révision et de réexamen, en cas d'annulation de la condamnation, à ordonner la suppression des mentions figurant dans les fichiers de police judiciaire et les fichiers d'empreinte : lorsque l'innocence est évidente, en effet, l'inscription dans ces fichiers, qui contiennent des informations sur des personnes suspectées ou poursuivies, n'apparaît plus nécessaire.

M. Philippe Bas. - Que se passera-t-il si la personne est impliquée dans d'autres affaires ?

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Alors, ces données seront conservées.

M. Alain Richard. - En somme, c'est comme le Who's Who : on garde le nom mais on retire certains éléments de biographie.

L'amendement n° 19 est adopté.

Article 5

L'amendement rédactionnel n° 17 est adopté.

Article 6

L'amendement de coordination n° 18 est adopté.

EXAMEN DES AUTRES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article 1er

M. René Vandierendonck. - Comme l'USM, l'on peut estimer qu'il n'est pas cohérent d'étendre les règles de révision aux crimes et délits en ne modifiant les règles de conservation des scellés que pour les crimes. L'amendement n° 3 prévoit une extension de ces dispositions aux délits les plus graves, ceux punis d'une peine d'au moins sept ans de prison. Cela inclurait les condamnations intervenues après correctionnalisation. Si j'en juge par les éléments fournis par la ministre le 27 février à l'Assemblée nationale, cette mesure, sous l'hypothèse d'un taux d'opposition à la destruction des scellés de 10%, exigerait 160 mètres carrés supplémentaires d'espace de stockage, tandis que les frais de gardiennage s'élèveraient pendant dix ans à 1,4 millions d'euros, en mobilisant 6 magistrats et quinze fonctionnaires. Ce n'est pas considérable.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Retrait sinon avis défavorable. Dans les affaires criminelles, le procureur qui souhaite détruire les scellés doit demander l'autorisation de la personne condamnée, et peut, en cas de refus, saisir la chambre d'instruction. Je comprends l'intention de M. Vandierendonck qui songe notamment à la correctionnalisation des viols. Mais il faut être sensible aux difficultés induites pour le fonctionnement de la justice : des milliers de dossiers devront être conservés et le procureur sera sollicité dès qu'une peine de 7 ans est en jeu. Les avantages de cette mesure ne compensent pas les dégâts collatéraux résultant de l'alourdissement des procédures.

M. René Vandierendonck. - Je maintiens mon amendement pour que nous ayons ce débat en séance, et si le rapporteur me demande de le retirer, je le ferai par courtoisie.

M. Pierre-Yves Collombat. - Si le texte reste en l'état, on supprime, pour des motifs financiers, une possibilité de révision sérieuse pour des délits passibles de 7 ans, ce qui n'est pas rien.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Je partage votre avis, mais il faut tenir compte des moyens dont la justice dispose. Des milliers de cas sont en jeu, et non seulement des affaires sexuelles.

M. Alain Richard. - Jean-Pierre Michel, au nom de notre groupe, a déposé une proposition de loi. La Chancellerie s'est montrée réservée, évoquant un manque de moyens. Un rapport doit être rendu à la ministre sur ce sujet. Nous partons de zéro. La situation actuelle n'est pas satisfaisante. Profitons du débat pour demander au Gouvernement à quel moment cette question pourra être tranchée.

M. René Vandierendonck. - La position de Jean-Pierre Michel est maximaliste puisqu'il souhaite une conservation des scellés pendant 30 ans...

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 3.

M. René Vandierendonck. - L'amendement n° 4 prévoit la consultation non seulement du condamné mais aussi des parties civiles lors de la procédure dérogatoire de conservation des scellés. Il n'est pas normal qu'elles ne soient pas consultées. La personne condamnée peut avoir intérêt à voir disparaître certaines pièces à conviction.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Le plus souvent c'est le condamné qui souhaite la conservation des scellés. Dans votre scénario la personne condamnée se réjouirait de la destruction des scellés qui pourraient lui nuire dans l'hypothèse où elle ferait une demande de révision. Cela ne l'exonèrerait pas d'avoir à produire un fait positif nouveau. Avis défavorable. La révision n'est pas un troisième procès. N'alourdissons pas davantage les procédures.

M. René Vandierendonck. - Je salue le travail du rapporteur qui a renforcé le droit des parties dans la procédure de révision. Si je reste défavorable aux révisions in defavorem, la consultation des parties civiles apparaît souhaitable dès que la destruction des scellés est susceptible de créer un élément de doute. Je maintiens l'amendement.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - L'amendement n° 5 supprime un adjectif.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il a, de ce fait, toute notre sympathie....

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 5.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 6 : ne chargeons pas trop les services du parquet. Inutile de prévoir un délai d'un mois : si le procureur ne répond pas, les scellés sont conservés, donc aucun tort n'est fait au condamné !

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.

Article 3

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 1 qui ajoute au fait nouveau tout élément susceptible de remettre en question le caractère indépendant ou impartial de la juridiction ayant prononcé la condamnation. Cet amendement, qui trouve sa cause dans un grave dysfonctionnement survenu il y a soixante ans, confond réexamen et révision.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Le texte ouvre déjà la possibilité de demander la révision ou le réexamen aux petits-enfants du condamné. L'amendement n° 13 l'étend aux parents, descendants et alliés en ligne directe ou indirecte. Cela me semble excessif. Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Pourtant d'après l'objet, dans l'affaire Seznec, ce sont les petits-neveux qui ont porté la demande de révision.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Non, la famille a été simplement associée à la procédure en vertu d'une décision prétorienne.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 13, ainsi qu'à l'amendement n° 2.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 14. Le texte prévoit bien 18 membres, car le premier conseiller dans l'ordre du tableau est le suppléant du président de la chambre criminelle.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 14.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 7. Le texte a clarifié les procédures, ne les complexifions pas. Si la demande de révision est manifestement irrecevable, le président de la commission d'instruction la rejette, inutile d'ajouter « sans préjudice de l'examen au fond ». Dans les autres cas, la commission statue simplement sur sa recevabilité et renvoie, le cas échéant, à la formation de jugement.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Mme Lipietz semble vouloir que des témoins puissent être placés en garde à vue dans certains cas. Nous avions précisé que la commission d'instruction pouvait ordonner un supplément d'information, à l'exception de l'audition de toute personne que l'on peut soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction. Nous ne sommes pas dans un troisième procès, la commission n'a pas pour objet de prononcer une garde à vue ni une détention provisoire. Dès lors, je ne comprends pas l'objet de l'amendement n° 8.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.

La commission émet un avis favorable à l'amendement rédactionnel n° 9 rectifié.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - L'amendement n° 10 interdit à l'État de se retourner contre la partie civile en cas de révision d'une condamnation. Cela serait en effet singulier si la partie civile n'avait pas commis de faute...mais la rédaction de l'alinéa 65 est claire : la « faute » est en facteur commun entre la partie civile, le dénonciateur ou le faux témoin. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - Même observation et même avis.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur. - L'amendement n° 12 est satisfait par le droit en vigueur. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12.

La commission adopte les avis suivants :

AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Auteur

Avis de la commission

Article 2
Systématisation de l'enregistrement sonore des débats en cour d'assises

M. ALFONSI

16

Adopté

Article 3
Instauration d'une cour unique de révision et de réexamen

M. ALFONSI

15

Adopté

M. ALFONSI

19

Adopté

Article 5
Coordination dans le code de l'organisation judiciaire

M. ALFONSI

17

Adopté

Article 6
Coordination dans le code de justice militaire

M. ALFONSI

18

Adopté

AUTRES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Auteur

Avis de la commission

Article 1er
Conservation des scellés

M. VANDIERENDONCK

3

Favorable

M. VANDIERENDONCK

4

Défavorable

Mme LIPIETZ

5

Favorable

Mme LIPIETZ

6

Défavorable

Article 3
Instauration d'une cour unique de révision et de réexamen

Auteur

Avis de la commission

M. TUHEIAVA

1

Défavorable

Mme LIPIETZ

13

Défavorable

M. TUHEIAVA

2

Défavorable

Mme LIPIETZ

14

Défavorable

Mme LIPIETZ

7

Défavorable

Mme LIPIETZ

8

Défavorable

Mme LIPIETZ

9 rect.

Favorable

Mme LIPIETZ

10

Défavorable

Mme LIPIETZ

11

Défavorable

Mme LIPIETZ

12

Défavorable

La séance est levée à 10 h 05

Mercredi 30 avril 2014

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30

Nomination de rapporteurs

M. Philippe Kaltenbach est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 368 (2013-2014), présentée par Mme Muguette Dini et Mme Chantal Jouanno, modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles.

M. Patrice Gélard est nommé rapporteur sur la proposition de loi constitutionnelle n° 183 (2013-2014), présentée par M. Jean Bizet, visant à modifier la Charte de l'environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation.

M. Jean-René Lecerf est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 252 (2013-2014), présentée par M. Jean-Pierre Sueur, visant à instaurer un schéma régional des crématoriums.

Activités privées de protection des navires - Échanges de vues sur une éventuelle saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

Puis la commission décide de se saisir pour avis sur le projet de loi n° 1674 (A.N. XIVème lég.) relatif aux activités privées de protection des navires (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission).

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires relève pour une large part de la compétence de la commission des lois. Nous pourrons travailler en coopération avec la commission du développement durable, qui a désigné Mme Odette Herviaux comme rapporteure.

M. Alain Richard est nommé rapporteur pour avis de la proposition de loi n° 1674 relatif aux activités privées de protection des navires.

Modernisation et simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures -Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

La commission procède ensuite à la désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'éventuelle commission mixte paritaire se réunira le 13 mai à 17h au Sénat. La réunion ne devrait pas durer très longtemps, si nous sommes d'accord pour refuser qu'un cinquième du code civil soit réformé par ordonnances...

M. René Garrec. - Absolument !

MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-Pierre Michel, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Jacques Hyest, Mme Catherine Troendlé, M. François Zocchetto sont désignés candidats titulaires et Mme Esther Benbassa, MM. Jean-Patrick Courtois, Michel Delebarre, Yves Détraigne, Jacques Mézard, François Pillet, René Vandierendonck sont désignés candidats suppléants.

Transposition de la directive 2012-13-UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

La commission procède également à la désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant transposition de la directive 2012-13-UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales.

MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-Pierre Michel, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Jacques Hyest, Mme Catherine Troendlé, M. François Zocchetto sont désignés candidats titulaires et Mme Esther Benbassa, MM. Jean-Patrick Courtois, Michel Delebarre, Yves Détraigne, Jacques Mézard, François Pillet, René Vandierendonck sont désignés candidats suppléants.

Prévention de la récidive et individualisation des peines - Audition de M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté

La commission procède ensuite à des auditions sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines.

Elle entend tout d'abord M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je souhaite la bienvenue à M. Jean-Marie Delarue, qui quittera bientôt ses fonctions de Contrôleur général des lieux de privation de liberté, à notre grand regret. Mardi prochain, nous examinerons la proposition de loi de Catherine Tasca qui concerne ces fonctions. Mais si nous le recevons aujourd'hui, c'est à propos du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines qui sera, je l'espère, à l'ordre du jour du Sénat en juin ou juillet. Nous procédons aujourd'hui à une deuxième série d'auditions, qui sera suivie si possible de nouvelles auditions publiques très prochainement.

M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté. - Je vous remercie de m'associer à vos travaux. Je connais le rôle du Sénat dans la proposition de loi à laquelle vous venez de faire allusion et qui confortera le rôle du Contrôle général. À propos de ce projet de loi, je ne suis compétent que sur les liens entre le milieu ouvert et la détention, à partir d'un postulat simple : la forme de la prise en charge en détention peut écarter de la récidive et, inversement, une détention qui méconnaît la dignité des personnes la facilite. Rien ne le démontre, sinon quelques études anglo-saxonnes, mais c'est ma conviction et c'est l'inspiration des textes qui ont créé le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Comme je l'ai dit à la conférence de consensus en février 2013, si aucune disposition ne modifie les conditions actuelles de détention, le projet de loi ratera en partie son but. Les détenus eux-mêmes ne se plaignent pas du principe de leur peine ni même, à l'exception des condamnés à des longues peines, du quantum, mais uniquement des conditions de détention et de l'irréalité des aides à la sortie.

La politique pénale, qui définit les incriminations, les sanctions et les modalités de leur exécution se répartit très inégalement entre ces trois domaines : surabondante sur les deux premiers, elle est très peu diserte sur le troisième. Pour cent spécialistes des deux premiers, je n'en vois que trois ou quatre sur l'exécution des peines. Cela évoluera, grâce au Sénat. Dans sa réponse à une question prioritaire de constitutionnalité le 25 avril dernier, le Conseil constitutionnel a considéré « qu'il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux personnes détenues ».

La surpopulation carcérale est un phénomène récent. Les personnes sous écrou étaient 28 000 en 1975, 45 000 en 1985, 53 000 en 1995, 59 000 en 2005 et sont aujourd'hui 68 600. Le taux d'accroissement ont été de 60% de 1975 à 1985, car le point de départ était assez bas, puis de 17 % de 1985 à 1995, de 11 % de 1995 à 2005 et de 16 % et plus entre 2005 et aujourd'hui. Le taux d'incarcération - soit le rapport entre nombre de détenus et population - n'a cessé de baisser sur le long terme sur les XIXème et XXème siècles, sauf - et chacun comprend pourquoi - à la Libération. Mais depuis quinze ans, il remonte jusqu'à être aujourd'hui au niveau de la fin du XIXème siècle. Il ne faut pas y voir l'effet de la seule délinquance, mais de facteurs multiples sur lesquels il faut agir si nous voulons réduire ce taux : les auteurs d'infraction, la loi, les juges, mais aussi les personnes chargées d'exécuter les peines et l'environnement des auteurs, et notamment la famille, que je qualifie souvent de meilleur instrument contre la récidive ; on sait également que le taux d'infractions tend à diminuer fortement, passés 30 ans. Les instruments à notre portée n'occupent donc pas une place centrale : il ne faut pas agir seulement sur les dispositifs mis en place par l'État.

Il ne peut y avoir de prison sans respect de la dignité. C'est un terme galvaudé, aussi je la définirai : selon mon expérience, elle implique le respect de l'intégrité physique, des conditions matérielles décentes et la faculté de garder des relations sociales. Si l'un de ces points n'est pas respecté, la dignité n'est pas respectée - et elle ne l'est pas, bien souvent.

Deux principes de cette loi me satisfont. C'est le cas d'abord de l'introduction dans la loi de la notion de « peine restrictive de liberté » à côté de la peine « privative de liberté », ce qui rompt l'association systématique entre sanction pénale, sévérité et prison. Ce n'est pas une nouveauté absolue, comme en témoignent les travaux d'intérêt général. L'expression aurait pu être plus précise, en parlant de « peine restrictive de droits » ; mais je ne boude pas mon plaisir.

C'est le cas ensuite du principe d'un « retour à la liberté contrôlé, suivi, progressif. » Je dis depuis longtemps que l'efficacité de la prison réside moins dans le jour de l'entrée que dans le jour de sortie du condamné, qui peut être plus ou moins bien préparé : 80% des sorties sont encore des « sorties sèches ». Ce principe n'est pas nouveau, lui non plus, puisqu'existent déjà la semi-liberté et la liberté conditionnelle. On aurait pu imaginer des solutions plus innovantes qu'aujourd'hui, mais le projet de loi se cantonne malheureusement aux formes existantes, soit la seule liberté conditionnelle pour les condamnés à plus de cinq ans et tous les dispositifs pour les condamnés à moins de cinq ans.

Le fait de subordonner la liberté conditionnelle à l'accord de l'intéressé me semble étrange pour une sanction pénale et, hormis le cas des travaux d'intérêt général, sans précédent. Je me pose des questions sur la temporalité du retour progressif à la liberté : aux deux tiers de la peine, le juge d'application des peines doit décider de la forme que doit prendre l'élargissement pour la durée de peine restant à effectuer. La semi-liberté et la surveillance électronique - appelée couramment le bracelet électronique - sont des régimes extrêmement contraignants que l'on supporte mal au bout de quelques mois et qui ne devraient pas durer plus de six mois. Or, selon ce texte, un tel régime pourrait durer un an pour une peine de trois ans.

Je note avec intérêt l'apparition de la notion de contrainte pénale, mais je regrette que la loi ne précise pas la place qu'elle tient par rapport aux autres sanctions pénales. La loi semble hésiter entre deux possibilités. Selon la première, la contrainte pénale pourrait s'appliquer quelle que soit la gravité de l'infraction lorsque le condamné a une personnalité adaptée à cette sanction, comme semble l'indiquer la condition que la personne requiert un suivi socio-éducatif individualisé et renforcé. Seconde hypothèse, la contrainte pénale serait une sanction moins grave que la prison ; dans cette hypothèse, la contrainte pénale viendrait s'intercaler entre les actuelles alternatives à la prison et cette dernière. C'est ce que sous-entend la loi en la limitant aux infractions pouvant donner lieu à des peines de moins de cinq ans d'emprisonnement. Il me semble que la loi penche vers cette seconde hypothèse : la sanction pénale comme dernière étape avant la prison. Cette situation s'apparenterait à celle qui prévaut pour les mineurs : le centre éducatif fermé est pour certains magistrats l'antichambre de la prison et pour d'autres un avertissement à donner à des adolescents capables de l'entendre. Or cette hésitation génère des désordres. Si la seconde hypothèse prévaut, cela transformerait la prison en lieu de relégation ultime, ce qui corrompra très fortement les conditions de détention, comme autrefois le classement entre les différents types de collèges déterminait le comportement des élèves, qui vivaient très mal le fait d'être relégués dans les collèges d'enseignement technique (CET). Il faut absolument demander des éclaircissements à la garde des sceaux sur ce point.

Je me réjouis de la suppression des peines minimales ou « peines planchers » en cas de récidive introduites par la loi du 10 août 2007. Elles avaient eu des effets sur les incarcérations, mais moins que prévu, puisqu'une étude de 2012 montre qu'elles n'avaient été appliquées que dans 38% des cas, le juge ayant invoqué pour les autres cas une motivation particulière. Ce qui montre bien que ce qui compte, c'est l'application de la loi pénale par les juges.

L'absence de révocation automatique du sursis simple me semble intéressante. En 2011, 70 % des peines ont été prononcées avec sursis, dont 59 % avec un sursis total et 11 % un sursis partiel. C'est donc un assouplissement non négligeable.

Sur la contrainte pénale, je ne comprends pas la répartition entre les attributions du juge d'application des peines et la juridiction de jugement, qui peut décider des mesures de contrainte provisoire en attendant que le juge d'application des peines prononce des mesures définitives ; je plains la personne condamnée en cas de contradiction d'un juge à l'autre. Il serait préférable, à condition que cela aille très vite, de ne confier ces fonctions qu'au juge d'application des peines.

Je suis perplexe devant le manque d'imagination du législateur à fixer les obligations pouvant naître de la contrainte pénale en reproduisant celles actuellement retenues pour le sursis avec mise à l'épreuve. N'y avait-il pas d'autres possibilités, comme d'autoriser le juge à prendre toutes dispositions qui lui paraîtraient adaptées à la fin qu'il poursuit et à la personnalité du condamné ?

La loi élargit les pouvoirs des services de police et de gendarmerie pour retrouver les personnes manquant à leurs obligations, créant ainsi une retenue - une de plus - limitée à 24 heures. Le projet précise, fort heureusement, que les droits tirés des articles 63-2 et 63-3 du code de procédure pénale s'appliquent à cette retenue, mais non, de manière incompréhensible, les articles 63-4 et 63-5, ce dernier concernant la fouille intégrale. Je souhaite que l'ensemble des garanties applicables soient transposées.

Certains points ne figurent pas dans le projet de loi. Ce dernier parle abondamment de l'évaluation de la personnalité. La loi devrait préciser ce que c'est. Les enjeux sont très importants : en 2005, nous avons introduit dans le code de procédure pénale la notion de dangerosité qui a fait florès par la suite. À quoi s'intéresse-t-on ?

J'ai alerté dans un avis public du 6 février 2014, publié au Journal officiel le 25 février 2014, sur le risque d'inconstitutionnalité de la pratique actuelle de la rétention de sûreté. Les personnes concernées sont des grands criminels soumis à une surveillance de sûreté, mais le fait de ne pas respecter une des obligations fixées par le juge n'est pas un crime. Pour certains, le dispositif du dernier alinéa de l'article 706-53-19 du code de procédure pénale n'existait pas lorsqu'ils ont été condamnés. La cour de Strasbourg censurerait à coup sûr cette pratique, en vertu d'une jurisprudence de 2013 concernant les Basques espagnols.

Le projet de loi me déçoit énormément concernant la détention. La prison est victime d'une malédiction par nature car personne ne sait ce qui s'y passe. Les conditions de détention peuvent être un encouragement à la récidive. Trois domaines me paraissent essentiels : le travail en détention d'abord, très peu encadré, sauf par la loi pénitentiaire, minimaliste sur la question. Je sais que le Conseil constitutionnel a validé le dispositif actuel au printemps dernier, mais il laisse toute liberté au législateur de le renforcer. L'encellulement individuel ensuite, au sujet duquel l'échéance prévue par la loi pénitentiaire à l'article 100 prend fin en novembre 2014 ; j'ai d'ailleurs publié un avis public sur ce sujet dans le Journal officiel du 23 avril 2014. L'aménagement de peines de droit commun enfin, sur lequel la loi est muette, alors qu'il serait souhaitable d'ouvrir les critères qui le rendent possible : le critère du travail est aujourd'hui décisif, alors que la prison n'est capable de l'offrir qu'à un quart des détenus, privant ipso facto les trois quarts d'aménagements de peine. Il faudrait y ajouter les conditions de détention, dès lors qu'elles ont un effet très négatif sur la personnalité de l'individu, même si je ne suis pas favorable au numerus clausus.

Je veux conclure sur un exemple : un détenu placé en semi-liberté le 16 décembre dernier avec 250 euros en poche, ce qui est beaucoup plus que la moyenne ; hébergé dans un centre de semi-liberté à Nantes, donc sans problème de logement, il est inscrit à une formation de poseur-monteur à Saint-Nazaire ; il s'inscrit à Pôle emploi le jour de sa sortie. Il fait une demande d'abonnement SNCF avec réduction de 75% le 23 décembre mais, en attendant de l'obtenir quinze jours après, il doit payer l'aller-retour pour Saint-Nazaire au tarif plein, soit 177 euros pour 15 jours. Il s'achète un téléphone avec un forfait à 9 euros, paye 5 euros de photos pour sa demande, déjeune tous les jours pour 6 euros. Le centre d'action sociale lui refuse toute aide puisqu'il est théoriquement pris en charge par l'administration pénitentiaire. Son conseiller d'insertion et de probation ne peut pas lui fournir de tickets services, car il n'a plus de budget en fin d'année... Au bout de quelques jours, cette personne n'a plus un sou en poche, et doit attendre la fin du mois de janvier pour percevoir la rémunération de sa formation professionnelle, alors qu'elle avait bénéficié de chances que n'ont pas tous les sortants, loin de là ... Elle nous a écrit ; nous l'avons renvoyée vers une association caritative, et ne savons pas si une solution a été trouvée.

Cet exemple montre bien que la question de la sortie n'a pas été réglée en France.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci pour cet exposé qui nous a beaucoup intéressés et touchés.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Personnellement, je pense que la contrainte pénale doit être conçue comme une nouvelle peine, et non comme l'antichambre de la prison ; il faudra bien le préciser. Vous faites une comparaison avec les collèges d'autrefois ; on pourrait en faire avec le droit des mineurs, où le juge des enfants peut prendre toutes les dispositions qui lui semblent nécessaires en fonction de la personnalité du mineur pour l'exécution de la peine en milieu ouvert. Le texte essaie de limiter la récidive, mais il ne tire pas vraiment des conséquences du fait que celle-ci dépend des conditions de détention. Je suis sensible à tout ce que vous avez dit : nous pourrons améliorer ce texte.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je vous remercie de la façon dont vous avez abordé le problème. Vous observez une hausse du taux d'incarcération qui, sans atteindre les sommets américains, devient préoccupante. Nous passons notre temps à reconnaître des droits aux personnes mises en cause, mais on incarcère de plus en plus de gens... Je remarque que cette hausse date des années où le thème de la sécurité est devenu prédominant dans les campagnes électorales : le clivage politique n'étant plus possible sur les questions économiques, il fallait trouver autre chose... C'est du moins mon avis. Nous manquons d'études sur la corrélation entre délinquance et société. Vous demandez que la loi précise davantage ce que signifie l'évaluation de la personnalité. C'est difficile ! Rester dans le vague n'est-il pas préférable pour éviter les dérives que Jean-René Lecerf et moi avons observées au Canada ?

Mme Catherine Tasca. - J'apprécie la manière dont vous insistez sur le rôle de la prison dans la récidive, qui n'est pas seulement explicable par la « mauvaise nature  » des délinquants et des criminels. Il faudra garder cela à l'esprit. Les conditions d'emprisonnement demeurent très loin de ce que nous sommes en droit d'espérer. Vous avez dit que ce projet de loi manquait singulièrement d'imagination quant aux éléments de la contrainte pénale : pouvez-vous en dire plus sur le sujet ?

Mme Hélène Lipietz. - Vos propos sont passionnants et votre travail est une source de réflexion pour nous. Vous signalez que le quantum des peines n'est pas toujours accepté ; ne peut-on pas limiter la longueur des peines comme dans certains pays ? Vous parlez du rôle de la famille : comment faire pour qu'elle devienne un partenaire efficace ? L'encellulement individuel est-il la panacée ? En tant qu'avocate et ayant visité des prisons en tant que parlementaire, je me demande si des régimes plus souples au sein des centres de détention - portes ouvertes, portes semi-ouvertes, portes fermées - ne seraient pas préférables pour redonner de l'autonomie aux personnes condamnées qui sont souvent démunies à la sortie après des peines longues, et se trouvent dans l'incapacité de vivre dehors.

Nos prisons comptent de plus en plus de détenus âgés, notamment pour des délits sexuels. On ne peut décemment pas leur demander de travailler alors qu'ils sont à la retraite.

Les personnels pénitentiaires sont extrêmement dévoués et ils exercent leur travail dans des conditions difficiles. Comment les former pour qu'ils soient plus que des contrôleurs de la vie en prison et deviennent des acteurs de la lutte contre la récidive ? Ils ne cessent de nous demander de les aider, d'améliorer leurs conditions de travail et leur formation.

M. Jean-René Lecerf. - Je regrette que nous ne soyons pas capables d'appliquer les lois que nous votons. À quoi bon, dès lors, en voter de nouvelles ? Nous avions souhaité, lors de l'examen de la loi pénitentiaire, qu'une étude soit menée sur l'importance de la récidive par établissements pour peines. Or rien n'a été fait. Nous avions également prévu l'obligation d'activité dans les prisons qui pourrait être un travail ou une formation : elle ne s'applique que de façon homéopathique et sans volonté politique. Quant aux initiatives intéressantes de l'administration pénitentiaire comme l'initiation au tri sélectif de déchets, elles ne sont pas généralisées.

L'administration pénitentiaire est très opaque : tant que les prisons de la République ne seront pas considérées comme des lieux qui appartiennent aux citoyens, et donc où peuvent entrer les journalistes, toutes sortes d'idées fantaisistes se développeront, et il est facile de manipuler l'opinion avec ces idées.

La contrainte pénale risque d'être considérée comme des cadeaux faits aux détenus, alors que ce n'est pas le cas.

Enfin, je suis stupéfait du procès en sorcellerie fait au projet de loi Taubira qui n'a rien de révolutionnaire et je suis pétrifié de constater qu'au bout de deux ans d'alternance, la législation n'a pas évolué, d'où une surpopulation carcérale sans précédent.

M. Jean-Marie Delarue. - Monsieur Collombat, la sécurité a été considérée par la loi comme un droit fondamental en 1995, ce qui est relativement récent. Aujourd'hui on en fait même le premier droit. Le thème sécuritaire n'explique pas à lui seul la surpopulation carcérale. Les juges ont ainsi tendance à prononcer des peines de plus en plus longues tandis qu'ils multiplient les peines courtes de sorte que la surpopulation s'est accrue « par les deux bouts ».

L'évaluation de la personnalité recouvre deux réalités bien différentes, voire opposées : soit on approuve la méthode des anglo-saxons qui, à partir de questions simples, déterminent le caractère criminel des personnes condamnées par des études actuarielles, soit on examine les données actuelles : comment se comporte la personne et quel est son environnement familial, social et professionnel. Je milite, bien évidemment, pour que l'on adopte la deuxième solution car la première me parait aventureuse. Le projet de loi doit donc être plus précis lorsqu'il évoque l'évaluation de la personnalité.

Madame Tasca, les alternatives à l'emprisonnement sont la liberté conditionnelle, le placement sous surveillance électronique, la semi-liberté et le travail d'intérêt général. Les aménagements de peine restent des contraintes imposées aux personnes condamnées. Désespéré, un homme m'a écrit : il était menacé de retourner en prison car il n'avait pas remplit une obligation du fait d'une urgence médicale. Son conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation ne voulait rien entendre. Certaines contraintes sont impossibles à remplir ; l'article 132-45 du code pénal énumère les obligations, dont une résidence fixe : cette disposition est surréelle lorsqu'on connait les difficultés que rencontrent les détenus qui sortent de prison pour trouver un logement. Il faudrait passer avec ces personnes une sorte de « contrat de finalité » afin qu'elles disposent d'un certain temps pour trouver un emploi et un logement.

Madame Lipietz, au risque de choquer certains, je ne suis pas sûr que de très longues peines, de 25 ans ou perpétuelles, soient adaptées même à de grands criminels. Je souscris assez volontiers à ces pays, même de tradition pénale différente de la nôtre, qui limitent à dix ans les peines maximum, même si le débat sur un éventuel durcissement de la peine maximale a été relancé en Norvège lorsqu'il s'est agi de condamner Anders Breivik.

L'administration pénitentiaire devrait travailler avec la famille, qui est le meilleur élément d'insertion ou de réinsertion, pour obtenir des informations sur la personne incarcérée et voir comment la prendre en charge le mieux possible : c'est un travail conjoint qui doit se faire dès l'entrée en prison.

Le respect du droit à la vie privée de la personne passe par l'encellulement individuel sauf, bien sûr, pour ceux qui souhaitent vivre à plusieurs en cellule. Le Sénat a défendu ce point de vue en 2009 lors de l'examen du projet de loi pénitentiaire. Cela n'exclut pas une différenciation des régimes de détention. Aujourd'hui, le régime « portes fermées » en prison devient un succédané d'une sanction disciplinaire qui ne dit pas son nom.

Je ne suis pas persuadé que la formation du personnel pénitentiaire, qui est plutôt bonne, doive être modifiée. En revanche, il faut revoir la façon dont les gens exercent leurs fonctions, évidemment très difficiles, mais un certain nombre de ces personnes se comportent comme si elles faisaient la loi en prison. J'ai d'ailleurs dit au Président de la République qu'une révolution restait à faire dans ce pays afin que les fonctionnaires, notamment ceux chargés de la sécurité, respectent les lois.

Enfin, je donne acte à M. Lecerf de ses remarques : en effet, la loi n'est pas respectée...ce qui ne nous empêche pas d'en concevoir de nouvelles mais nous appelle à vérifier l'effectivité des lois votées. Et il y a encore beaucoup à faire !

Sur l'opacité de l'administration pénitentiaire, un texte devait permettre aux journalistes d'accompagner les parlementaires visitant les prisons, mais son examen a été repoussé. Toute la question est de savoir comment l'administration pénitentiaire va concevoir ces visites de journalistes.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci, Monsieur Delarue, pour la qualité de votre intervention liminaire et de vos réponses.

Prévention de la récidive et individualisation des peines - Audition de Mme Nicole Maestracci, membre du Conseil constitutionnel, ancienne présidente du comité d'organisation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, et Mme Françoise Tulkens, ancienne présidente du jury lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive

La commission entend ensuite Mme Nicole Maestracci, membre du Conseil constitutionnel, ancienne présidente du comité d'organisation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, et Mme Françoise Tulkens, ancienne présidente du jury lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous accueillons Mme Nicole Maestracci et Mme Françoise Tulkens. Mme Maestracci est membre du Conseil constitutionnel. En tant que magistrate, elle a exercé de nombreuses fonctions, dont la présidence de la cour d'appel de Rouen. Elle a également présidé le conseil d'administration de l'hôpital de Fresnes. Mme Tulkens est docteur en droit, membre associé de l'académie royale de Belgique et auteur de nombreux ouvrages sur le droit pénal et les droits de l'Homme. Elle a été pendant 14 ans juge à la Cour européenne des droits de l'Homme et vice-présidente de cette cour en 2011 et 2012. Depuis un an, elle est membre du comité scientifique de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Ces deux personnalités ont joué un rôle éminent dans la conférence de consensus qui a mobilisé de nombreux acteurs de la justice lors de la préparation du projet de loi qui nous réunit ce matin.

Mme Maestracci a été présidente du comité d'organisation de la conférence de consensus et elle a pendant de longs mois travaillé pour la préparer. Au cours de cette conférence, un jury a été constitué que Mme Tulkens a présidé. Ce jury a auditionné toutes les personnes qui sont intervenues lors de la conférence du consensus et il a publié un rapport.

Comme Mme Maestracci est membre du Conseil constitutionnel, elle ne pourra pas porter d'appréciation sur le projet de loi puisqu'elle sera peut être amenée à l'examiner dans le cadre de ses fonctions. En revanche, Mme Tulkens pourra s'exprimer librement sur ce texte.

Mme Nicole Maestracci, membre du Conseil constitutionnel, ancienne présidente du comité d'organisation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive. - Merci pour votre invitation. Lorsque j'ai reçu le 18 septembre 2012 la lettre de Mme la Garde des Sceaux me chargeant de la présidence du comité d'organisation de la conférence de consensus, il s'agissait de préparer une réforme de la prise en charge des récidivistes, le projet de loi n'étant qu'une partie de la politique publique qui devait être redéfinie dans son ensemble. La conférence devait donc dresser l'inventaire des données disponibles et mener une réflexion sur cette question.

La méthode de la « conférence de consensus » a d'abord été élaborée pour le milieu médical aux États-Unis. Elle a ensuite été importée en France il y a une vingtaine d'années. J'ai été présidente de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et j'ai piloté une conférence de consensus sur l'opportunité de mettre en place des traitements de substitution. Pour la Haute autorité de santé, j'ai présidé une conférence sur la prise en charge des psychopathes. Comme présidente de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale, j'ai organisé une conférence de consensus sur la prise en charge des sans-abris à la demande du ministre de l'époque, Jean-Louis Borloo, après l'installation des tentes de l'association « Les enfants de Don Quichotte ».

Ces conférences de consensus permettent de transposer une méthode scientifique à des questions qui ne le sont pas strictement. Elles rassemblent les connaissances existantes françaises et étrangères, les mettent à la disposition du plus grand nombre et éclairent les pouvoirs publics pour qu'ils définissent une politique.

Dans le domaine médical, il est assez simple d'organiser une conférence de consensus car on peut définir, en fonction des connaissances scientifiques, quelle est la meilleure pratique. Pour la politique pénale, l'exercice est plus compliqué, car on ne peut l'isoler du reste des politiques sociales, judiciaires, policières et pénitentiaires. Cette conférence ne prétendait donc pas approcher la vérité absolue.

Une conférence de consensus connait trois phases. D'abord, la commande qui peut être faite par une société savante ou par un ministère. Dans le cas présent, la ministre de la justice a pris l'initiative et a désigné les membres du comité d'organisation en tenant compte de divers critères afin que tous les acteurs et toutes les opinions soient représentés. Le comité d'organisation a ainsi été composé d'une vingtaine de personnes. Je n'ai pas été à l'origine de la désignation de ce comité, mais je confirme qu'il était loin d'être monocolore : les débats ont été très animés.

La mission de ce comité était d'abord de réaliser un inventaire bibliographique de l'ensemble des connaissances sur la prévention de la récidive. La lettre de Mme la garde des Sceaux limitait notre mission aux majeurs. Nous n'avons examiné la question des mineurs qu'en fonction du passage de la minorité à la majorité. En France, il existe peu de travaux sur la prévention de la récidive, notamment très peu d'études longitudinales permettant de suivre une population donnée. Depuis des années, les décisions prises ne reposent sur aucune étude préalable. D'autres pays ont conduit des études plus précises, notamment le Canada, les États-Unis, la Grande-Bretagne et les pays scandinaves. Même si ces études sont sujettes à caution, elles ont le mérite d'exister et de montrer quelles sont les actions qui marchent et celles qui donnent des résultats mitigés.

Ensuite, le comité a fait une synthèse de cette étude bibliographique : une quinzaine de fiches ont été rédigées, notamment sur la façon dont les mesures sociales s'articulent, ou pas, avec les politiques judiciaires.

En second lieu, le comité a organisé deux jours d'auditions publiques en février 2013 au cours desquelles nous avons entendu divers experts scientifiques et universitaires, mais aussi des détenus, des victimes, des représentants d'associations. Nous avons demandé aux experts de produire un travail écrit que nous avons remis au jury, qui d'ailleurs participait à ces auditions.

Le comité d'organisation a aussi rédigé la dizaine de questions qui devaient être posées aux experts auditionnés mais aussi au jury. La composition du jury a tenu compte des diverses opinions et de multiples origines professionnelles. Nous l'avons constitué pour moitié de professionnels assez impliqués dans le champ du droit pénal et de l'administration pénitentiaire et pour moitié de « laïcs éclairés ».

Tout le système repose donc sur trois organes indépendants les uns des autres. Dans le domaine de la santé, une telle organisation permet de prévenir les conflits d'intérêts, surtout avec l'industrie pharmaceutique. Dans le domaine judiciaire, il était important de voir si des groupes de personnes différentes pouvaient arriver à des conclusions similaires sur des questions passionnelles.

Nous avons travaillé du 18 septembre à la mi-février, ce qui était une durée très courte : dans le domaine médical, une conférence de consensus dure de 12 à 18 mois... Le travail n'a donc pas été parfait. Le droit pénal est un pari sur l'évolution des hommes, ce n'est pas une science exacte, mais nous avons essayé de présenter un socle de connaissances pour éclairer le débat sur des questions controversées.

Pour adapter la méthode au cas d'espèce, le comité d'organisation a aussi entendu les 70 organisations syndicales professionnelles et associatives avant les auditions publiques. En revanche, faute de temps, il n'a pas eu le temps de recevoir des personnalités individuelles, ce qui est regrettable.

Lors des auditions, nous avons demandé aux experts de fournir des documents écrits ; pendant la conférence, le jury pouvait poser des questions à toutes les personnes auditionnées. Ensuite, le jury a eu 48 heures pour travailler ; enfermé dans une salle, il devait présenter ses conclusions à l'issue des deux jours de conclave.

À l'issue des travaux de la conférence de consensus, trois constats ont été indiscutables.

Le premier, c'est qu'au cours des dix dernières années, le nombre des détenus a considérablement augmenté mais, dans le même temps, la population qui a fait l'objet de condamnations à des peines en milieu ouvert a également augmenté. Les peines alternatives ne se sont donc pas substituées mais elles se sont ajoutées aux peines de prison.

Le deuxième, c'est le sentiment d'épuisement professionnel des acteurs, qui dénoncent une perte de sens et sont inquiets de la gestion purement quantitative des flux. Tous nous ont dit qu'ils connaissaient très mal les profils sociodémographiques de la population pénale. Certains faits sont peu connus : un tiers de la population pénale a un emploi avant l'entrée en prison, 70 % ont un niveau scolaire inférieur au Bepc et 13 % sont illettrés, par exemple.

Le troisième, c'est qu'il apparait que la récidive frappe plutôt les auteurs d'infractions contre les biens et ceux qui commettent de petits délits. Il n'y a pas de corrélation entre la sévérité de la peine et le taux de récidive.

Nous nous sommes interrogés sur le périmètre de la justice pénale, dès lors que 48 % des condamnations pénales concernent des infractions routières, et sur la lisibilité des peines : 81 % des personnes incarcérées restent moins d'un an en prison et 60% moins de six mois. Les courtes peines sont-elles, dès lors, pertinentes ? Parallèlement, la crédibilité des peines en milieu ouvert est posée : l'affaire de Nantes, qui a défrayé la chronique, montre que le suivi en milieu ouvert doit être effectif et que tous les services doivent se coordonner. Quant à l'opinion publique, elle estime souvent que les peines de substitution sont des mesures d'indulgence.

Le taux de récidive est-il plus ou moins important selon que les peines sont effectuées en milieu ouvert ou en milieu fermé ?

Nous nous sommes également interrogés sur le rôle des sanctions financières, dès lors que près de 50% d'entre elles ne sont pas exécutées.

Nous avons constaté que l'évaluation des personnes condamnées n'était pas effectuée alors qu'elle permettrait de prévenir la récidive.

Nous avons aussi comparé le coût de la prison à celui des peines en milieu ouvert.

Nous avons constaté que 80 % de personnes sortent de prison sans suivi, ce qui démontre que les libérations conditionnelles et les aménagements de peine sont encore trop peu nombreux, alors qu'il est indiscutable que la récidive dans ces derniers cas est 1,6 fois moindre que pour les « sorties sèches ».

L'accompagnement social est indispensable afin de résoudre les problèmes de logement et d'emploi. Les personnes sorties de prison doivent être accompagnées pour avoir accès aux dispositifs de droit commun.

Nous nous sommes enfin interrogés sur les causes de l'absence d'études longitudinales en France alors qu'elles permettraient d'éclairer les politiques publiques.

Mme Françoise Tulkens, ancienne présidente du jury lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive. - Merci de me recevoir.

Le jury a donc été désigné par le comité d'organisation et il a été composé d'acteurs impliqués dans le domaine de la lutte contre la récidive mais aussi de personnes venant de divers horizons : des journalistes, des philosophes ou un chercheur de l'université d'Ottawa... Le jury s'est réuni dans un temps extrêmement contraint, l'objectif étant de trouver des points d'accord sur la prévention de la récidive. Dans le rapport final, nous avons estimé qu'une nouvelle politique publique en ce domaine était indispensable. La prévention de la récidive tient, bien sûr, à la politique pénale mais surtout à la politique sociale. Ce thème majeur a guidé toutes nos propositions et je regrette de ne pas le retrouver dans le projet de loi.

Nos recommandations se sont organisées autour de certains principes d'action. Le premier d'entre eux était : comment punir dans une société démocratique ? Ce point est essentiel car la question des droits fondamentaux est au coeur du système pénal.

Quelle est la fonction des peines ? Cette question est récurrente et tourne souvent autour des notions de la prévention et de la rétribution. Pour nous, la fonction essentielle est celle de la réintégration et de la réinsertion dans la société. Il ne s'agit pas de délivrer des valeurs morales ou sociales, ni de régénérer le délinquant, mais de lui permettre de mener une vie compatible avec la société telle qu'elle est et donc de lui offrir des points d'appui pour sortir du parcours délinquant. L'article 1er du projet de loi ne va hélas pas dans ce sens, car il mêle amendement et réinsertion, ce qui est une toute autre logique. L'article 2 évoque l'individualisation : ce concept date du XIXème siècle. Si l'on veut individualiser, il faut modifier de façon substantielle le champ des interventions. La prison n'est pas un lieu d'individualisation, car tout y est standardisé.

Le jury a estimé qu'il fallait sortir de la centralité de la peine de prison, invention du XIXème siècle. Aujourd'hui, il est essentiel de dire que la prison n'est qu'une peine parmi d'autres, et non la peine de référence ou la peine première. Le projet de loi ne s'oriente pas en ce sens, même si la motivation de la peine par rapport à la personnalité de l'individu est prévue, mais nous savons tous que la notion de dangerosité est sujette à caution.

Certains nous ont reproché de ne pas être allés assez loin en ne proposant pas d'abolir la prison : nous n'aurions jamais obtenu de consensus sur une telle déclaration !

À la « contrainte pénale », je préfère la « peine de probation », plus fidèle à l'esprit du cadre européen. Le Conseil de l'Europe définit la probation comme « l'exécution en milieu ouvert de sanctions et mesures définies par la loi et prononcées à l'encontre d'un auteur d'infraction. Elle consiste en une série d'activités et d'interventions qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l'auteur d'infraction dans la société et de contribuer à la sécurité collective ». La peine de probation est une sanction indépendante, à part entière, qui regroupe l'ensemble des peines non privatives de liberté. Ici, il faut y insister, c'est une peine substitutive qui est créée, non une peine alternative. Le terme de « probation » insiste sur le suivi individualisé. J'avoue que j'ai eu un coup au coeur en découvrant à la lecture du projet de loi que la probation était placée tout en bas de l'échelle des peines. J'y vois un risque, celui de repousser encore la réflexion sur la place de l'emprisonnement dans l'ensemble des sanctions pénales. Il serait dommage d'en être toujours là dans dix ans !

Pour mener une politique responsable en matière de sécurité collective, il faut avoir le courage de dire que l'emprisonnement n'est qu'une peine parmi d'autres. C'est un pari, mais il a été longuement pensé et organisé, avec une série d'études à l'appui. Laxisme ? Tolérance excessive ? Proposer des mesures qui pourraient être efficaces dans la lutte contre la délinquance, c'est tout sauf du laxisme. De tels mots ne servent qu'à interdire tout débat sérieux sur la question.

Il faut revoir le périmètre pénal, c'est indispensable. La tâche en revient au législateur. Or le projet de loi ne prévoit rien en la matière. C'est dommage. Si l'on continue à criminaliser à outrance dans tous les domaines, la politique pénale deviendra impossible. La récidive est au coeur de ce projet de réforme. Il faut non seulement la prévenir, mais mettre en place une politique publique de prévention de la récidive qui ne soit pas forcément pénale - sinon on court à l'échec. Le projet de loi prévoit la suppression des peines planchers : je m'en réjouis. Cela contribuera à la paix sociale, car elles n'ont pas de sens. C'est avant tout pour les récidivistes qu'il faut aménager les peines, afin d'éviter de répéter ce qui n'a pas marché auparavant. L'article 7 sur l'abaissement du seuil permettant un aménagement de peines reste mystérieux : il contredit l'esprit général du texte.

La libération conditionnelle n'est pas une faveur faite au condamné. J'ai été heureuse de constater, à la conférence de consensus, qu'aucun de nous, malgré nos différences, ne pensait plus cela. C'est une mise en liberté responsabilisée, avec un suivi individualisé, une surveillance, des conditions à remplir. À tel point que la plupart des détenus la refusent - ce qui reste paradoxal, car la prison ne réinsère pas. La libération conditionnelle devrait être accordée systématiquement, sauf si le juge estime que des raisons s'y opposent. Pour la conférence de consensus, ce devrait être le mode normal de libération, pour les récidivistes comme pour les autres. L'article 16 ne modifie pas beaucoup la situation actuelle. Le plus problématique reste l'accès des détenus aux dispositifs de droit commun. La conférence de consensus avait fait une recommandation sur ce point. Peut-être fera-t-elle l'objet d'un autre texte ?

Une autre recommandation qui n'a pas été reprise concerne la suppression des mesures de sûreté. Le sujet relève du débat politique et social. À terme, ces mesures devront être supprimées, pour répondre aux exigences de la convention européenne des droits de l'homme.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie toutes deux de nous avoir présenté objectivement le travail immense que vous avez mené.

Mme Françoise Tulkens. - La peine de mort a été abolie immédiatement en 1981. Les mesures de sûreté et les peines planchers auraient dû l'être tout de suite, en 2012. C'était mon grand espoir.

Prévention de la récidive et individualisation des peines -Audition de M. Robert Badinter, ancien garde des sceaux, ancien président du Conseil constitutionnel

La commission entend enfin M. Robert Badinter, ancien garde des sceaux, ancien président du Conseil constitutionnel.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Chacun connaît les nombreux titres et qualités de M. Badinter, qui est ici chez lui. Son esprit plane toujours sur les débats de notre commission !

M. Robert Badinter, ancien garde des Sceaux, ancien président du Conseil constitutionnel. - C'est avec plaisir que je suis ici, où je vois tant de visages amis. Le sujet n'a pas le mérite d'une originalité brûlante, cela fait longtemps que nous y travaillons. J'ai le sentiment que cette fois-ci, la sagesse peut prévaloir, grâce à l'apport du Sénat notamment. Le texte est encore à l'étude à l'Assemblée nationale, nous ne connaissons pas le résultat des travaux des députés.

Je ne me serais pas exprimé avec autant de passion que Mme Tulkens, ni avec autant de précision que Mme Maestracci. Tout est dit. Qu'apporte le texte proposé ? J'ai la conviction que c'est un bon texte, mais qui reste inachevé, d'où l'importance de l'intervention du Sénat. Le texte revient sur des principes qui nous sont chers et qui ont été perdus de vue dans la décennie précédente, comme l'individualisation des peines et des sanctions.

L'échec constant de la politique pénale en France se mesure à mon sens au taux d'incarcération. Nous connaissons bien les conséquences détestables de l'incarcération à outrance, notamment s'agissant des courtes peines. Bien entendu, je ne plaide pas pour le mythe d'une société sans prison que défendait Michel Foucault. « Envoyez-moi l'avant-projet de loi, je serai heureux de le présenter », lui disais-je. Cela le faisait rire. Je n'ai jamais rien reçu.

Au 1er janvier 2002, on comptait 48 594 détenus en France. Dix ans plus tard, il y en avait 67 073, soit une augmentation de 38%. Le taux n'a pas diminué après 2012 : aujourd'hui, on compte 68 859 détenus ... La situation rend encore plus perplexe si l'on considère que le recours au bracelet électronique a permis de contenir cette inflation. Au 1er avril 2014, 11 234 personnes étaient sous bracelet électronique. Où en serions-nous sans cela ? Cela fait frémir, quand on connaît la situation dans les établissements pénitentiaires, surtout dans les maisons d'arrêt.

L'individualisation des peines devrait contribuer à faire baisser le taux d'incarcération. Le projet de loi propose des peines substitutives ou alternatives - je ne discuterai pas la portée des adjectifs. La consultation de la conférence de consensus est une méthode que j'approuve. Or, si l'on confronte les douze préconisations de cette conférence avec les dispositions du projet de loi, l'écart est important. À quoi bon réunir autant de personnalités compétentes, venues de tous les horizons, si l'on ne tient pas compte de leurs recommandations communes ?

La période napoléonienne, particulièrement le Consulat, est la gloire de notre histoire législative. Comme aimait à le dire le doyen Carbonnier, la France change tout le temps sa Constitution mais jamais sa constitution civile. Pourquoi un militaire, même de génie, a-t-il réussi là où les législateurs précédents avaient échoué ? Le code civil a été réalisé dans des conditions rapides. Le coup de génie de Bonaparte a été de fonder la légitimité qui lui manquait sur un ordre juridique ralliant tous les Français. Sans doute l'idée lui a-t-elle été inspirée par ses conseillers - Cambacérès peut-être pas, plutôt Portalis. Le travail de synthèse est intervenu à l'étape ultime de l'élaboration du code civil, car Bonaparte savait que s'il associait l'ensemble des corps juridiques et judiciaires à cette élaboration, la situation serait ingérable. En respectant chacun, il a réussi ce coup de génie politique de mettre en oeuvre le code civil et d'en faire l'expression d'un consensus juridique total.

La conférence de consensus est ce qu'on a produit de mieux depuis longtemps. Il faut selon moi examiner les écarts entre ses propositions et les dispositions du projet de loi et travailler à les réduire.

Le moment est venu de savoir si nous voulons faire une énième réforme ou redéfinir notre droit pour les décennies à venir. Il est indispensable de projeter ce droit dans l'avenir européen si nous voulons qu'il perdure. La proposition des trois piliers ou d'un triptyque est excellente. Tout devient clair : prison, qui cesse d'être la réponse de référence ; probation, couvrant l'ensemble des mesures autres que l'emprisonnement ; peines pécuniaires. J'espère que vous adopterez cette structure claire que propose la conférence de consensus. Faire de la contrainte pénale un simple substitut à l'emprisonnement minorerait sa portée symbolique, elle ne serait rien d'autre qu'un sursis avec mise à l'épreuve, bricolé sous une autre forme. Le découplage de la probation par rapport à la prison s'impose. Sinon, la réforme se réduira à une série d'améliorations ou d'aménagements.

Un problème de constitutionnalité se pose certes en cas d'inexécution de la contrainte pénale. Il est prévu que le juge d'application des peines saisisse alors un autre juge qui prononcera une peine d'emprisonnement. Mais à quel titre ? On résoudrait simplement la difficulté en inscrivant dans la loi que l'inexécution d'une peine de probation constitue une infraction en soi.

Il n'est que temps d'en finir avec les peines planchers. Un certain nombre de sénateurs ont dit tout le mal qu'ils en pensaient, au moment où elle est apparue. Elle contredit l'individuation des peines, renforce la surpopulation pénale dans les maisons d'arrêt et pèse comme un carcan sur la liberté des magistrats. Elle aurait dû disparaître dès le début de la législature, je regrette que l'on ait attendu aussi longtemps - mais je connais trop bien les difficultés auxquelles se heurte le garde des Sceaux dans l'exercice de ses fonctions, lorsqu'il prend des initiatives qui ne font pas consensus.

Je tiens à dire qu'en aucune manière vous ne sauriez accepter la disposition du projet de loi qui prévoit de redescendre à un an le seuil d'aménagement des peines. Ce niveau a été établi à deux ans, en 2009, dans le cadre de la loi pénitentiaire ; il figurait d'ailleurs dans le projet de loi gouvernemental, défendu par Mme Dati : j'avais salué ce moment de grâce. Redescendre à un an n'aurait d'autre effet que d'ajouter quelques milliers de détenus à la population carcérale. Tout le bénéfice de la suppression des peines plancher se volatiliserait. C'est inconcevable, surtout sous un Gouvernement de gauche.

La libération conditionnelle devrait être de droit, sous réserve de la décision du juge : nous sommes tous d'accord. Ce qui doit être inscrit dans la loi, c'est l'obligation de se pencher sur le sort de chaque personne. L'expérience prouve qu'une libération conditionnelle vaut bien mieux qu'une sortie sèche, a fortiori en cas de récidive ou d'infraction grave.

Ce projet est bon ; il reste inabouti. Au Parlement de veiller, c'est son rôle, à ce que de bons motifs soient traduits dans de bons dispositifs.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci pour cet exposé très fort.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je partage totalement ce qui a été dit par Robert Badinter.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Concrètement, comment définir ce qu'est une peine de probation, ou la contrainte pénale ? Ce n'est ni une alternative à la détention, ni une détention. Nous aurions grand intérêt à rendre concrète cette définition, à bien expliquer les choses à nos concitoyens.

M. Alain Anziani. - Comme l'a dit M. Badinter, l'objectif n'est pas de faire une réforme pénale supplémentaire, mais une réforme qui donne du sens à la peine et qui prévienne la récidive. Je ne suis pas sûr que le texte réponde à cet objectif. J'ai une inquiétude sur la contrainte pénale, car j'imagine mal ce qu'elle va devenir entre les mains des juges et des praticiens : certainement pas ce que le législateur voudrait. Dans son contenu, la contrainte pénale doit être définie de manière précise et concrète, si l'on veut éviter le dévoiement d'une partie de la réforme.

M. Pierre-Yves Collombat. - Vu la façon dont la réforme a été engagée, je nourris peu d'espoirs sur ce qui en sortira. M. Badinter a rappelé l'envolée du recours à l'incarcération. Elle ne date pas des années 2000 bien qu'on ait fait alors un usage politique, voire politicien, du thème de la délinquance. Les chiffres nous ont été donnés par M. Delarue : entre 1975 et 1995, on est passé de 28 000 à 53 000 détenus. Pourquoi cette inflation ? Michel Foucault disait aussi que « rien n'est plus difficile que de punir ». La philosophie de la conférence de consensus est behavioriste. Qu'est-ce que redonner sens à la peine ? Tant que cette question restera ouverte, toute réforme se heurtera à un mur d'incompréhension et pourra donner lieu à toutes sortes d'interprétations erronées.

M. Jean-René Lecerf. - Le sens de la peine, nous avons eu bien de la difficulté à l'inscrire dans la loi pénitentiaire. Le sens de la peine, c'est de prévoir la réinsertion et la possibilité de mener une vie exempte d'infraction. Cette définition est modifiée par le nouveau texte. Je souhaiterais que l'on se penche sur le sort des 10 % de personnes incarcérées qui sont dans un état mental tel que la peine n'a aucun sens.

Je voudrais aussi insister sur les moyens. Même une politique pénale tendant à réduire la part de l'incarcération exige des moyens. Une étude d'impact sur la mise en oeuvre de la loi pénitentiaire indiquait qu'elle nécessitait 1 000 agents de probation. Ils n'ont jamais été recrutés. La loi prévoyait l'aménagement des peines dès deux ans d'emprisonnement. Jean-Jacques Hyest et moi avons eu bien du mal à préserver cet acquis ! On propose de redescendre à un an. On nous dit que la mesure n'est pas si grave, en réalité, car la probation peut aller jusqu'à cinq ans...

M. Jean-Jacques Hyest. - J'ai été heureux d'entendre M. Badinter sur le sujet. Une question me semble sans réponse à ce jour : la prison augmente-t-elle ou réduit-elle le risque de récidive ? Dans mon département, j'ai l'exemple d'un jeune de moins de 16 ans qui, en trois mois, avait commis 57 délits graves de vol et de casse de voitures. Les policiers attendaient qu'il atteigne seize ans pour mettre fin à cette sombre série ! L'esprit de la loi pénitentiaire est que, pour tout condamné, quelle que soit la durée de la peine de prison, la réinsertion et la préparation de la sortie commencent au premier jour d'incarcération. Je déplore moi aussi que l'on emprisonne des personnes souffrant de graves troubles psychiatriques - ce n'est pas le cas dans d'autres pays européens.

Qu'est-ce exactement que la contrainte pénale ? Je ne le sais toujours pas. Un sursis avec mise à l'épreuve ? Il faut donner un contenu à la notion, sinon ce sera une réforme pour pas grand-chose... Il faut y mettre les moyens. La comparaison avec d'autres pays montre combien le manque de moyens nuit à la mise en oeuvre d'une politique. C'est faute de moyens que la loi pénitentiaire ne fonctionne pas. Le manque de personnel pour accompagner les détenus pendant leur incarcération entraîne des catastrophes, certes rares, mais dont l'impact sur l'opinion publique est considérable.

Mme Catherine Tasca. - Nous ne pouvons pas rester dans le flou sur ce que recouvre la notion de contrainte pénale, il faut l'illustrer très concrètement, sinon elle sera absorbée dans la panoplie des mesures possibles au lieu d'apparaître comme une invention nouvelle.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Chacun se rend bien compte des difficultés de communication sur cette réforme. Il est facile d'opposer à ce projet des situations concrètes. Il y a quelques temps, j'ai participé à une émission de télévision, en compagnie de Christiane Taubira. Etait également présente la mère d'une petite fille agressée sauvagement. Son témoignage de quelques minutes a rendu inaudibles tous les arguments rationnels. Et pourtant le système tel qu'il est ne fonctionne pas. Il faut proposer des mesures plus diversifiées et efficaces ; il faut aussi savoir les expliquer et faire percevoir leur nécessité à l'opinion publique.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le triptyque est efficace. Une peine privative de liberté, la prison, qui peut être écourtée par des tâches effectuées en dehors de l'établissement pénitentiaire. Une peine restrictive de droits, la contrainte pénale ou probation, dont le juge détermine la nature (confiscation du passeport, travail d'utilité collective, assignation à résidence,...) selon la personnalité de l'auteur, les faits, l'environnement social ; et si le condamné n'exécute pas cette peine, il commet un délit. Enfin, une peine pécuniaire, l'amende.

M. Robert Badinter. - La contrainte pénale et sa mise en oeuvre doivent être expliquées. C'est une tâche d'autant plus difficile que pour l'essentiel, elle existe déjà. Les modalités du sursis avec mise à l'épreuve y correspondent. Il faudra préciser ce que la contrainte pénale apporte de nouveau. La prison inclut le sursis ; la probation inclut le sursis avec mise à l'épreuve. Les trois piliers sont un moyen efficace de clarifier l'originalité de la réforme.

Le sens et la fonction de la peine sont deux choses distinctes. La fonction de la peine est bien connue : rétribution, dissuasion et réinsertion - c'est l'esprit que nous devons faire souffler. L'échec de la réinsertion est un échec de la peine. La réinsertion doit commencer au premier jour d'exécution de la peine, c'est une exigence posée par le Conseil de l'Europe et le Sénat s'honorerait à l'inscrire dans le projet de loi. Dans un dispositif de droit pénal, la peine a une fonction répressive mais aussi une fonction expressive, c'est-à-dire qu'elle exprime certaines valeurs. Le présent projet est un texte de procédure pénale cependant, qui vise d'abord à clarifier et à améliorer la mise en oeuvre de la loi pénitentiaire. Il est d'abord technique.

Une remarque : dans l'avenir, cette loi restera comme une consécration du pouvoir des magistrats en charge de l'application des peines par rapport à celui des juges du tribunal correctionnel. Le transfert de pouvoir de la formation de jugement au juge d'application des peines (JAP) est considérable. Cela restera dans l'histoire de la sanction pénale.

La question des moyens est au coeur des interrogations. L'étude d'impact me paraît optimiste. Si l'on considère le nombre de juges et de greffiers prévus, particulièrement dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip), l'enveloppe ne suffira pas. Or, que de réformes ont échoué dans le passé faute de moyens...

Un texte de procédure pénale qui ne renforce pas la fermeté à l'égard des auteurs se heurte forcément à l'incompréhension des victimes. Qu'apporte le texte aux victimes ? Une mesure me semble étrange : faut-il vraiment faire connaître à la victime le jour où la peine expire ? N'est-ce pas contribuer à faire resurgir la souffrance après de nombreuses années, ou bien courir le risque de ranimer un désir de vengeance ? Je ne vois pas en quoi cette disposition d'information est utile. Quant à l'impact des témoignages à la télévision, je le connais : après l'abolition de la peine de mort, j'ai vécu huit ans en confrontation télévisée avec des parents de victimes. Rien n'est plus douloureux que le visage des victimes. Face à leurs témoignages, tout discours rationnel est insupportable. Ce déséquilibre entre la rationalité et l'émotion est structurel à l'image.

J'ai observé la montée récente de la vengeance, supplantant la justice dans les textes de loi. Ceux-ci se font toujours plus répressifs pour soulager la douleur des victimes. Il faut avoir la plus grande humanité vis-à-vis des victimes. Cependant considérer la justice pénale comme un lieu de catharsis pour la souffrance et le deuil des victimes, ou bien comme un cadre que l'Etat met à leur disposition pour satisfaire une forme de vengeance, est la grande erreur des dernières décennies. Sans doute cette évolution tendait-elle à réparer une certaine froideur de l'institution. Mais on est allé trop loin et je m'interroge sur l'avenir de cette justice pénale mise au service de la vengeance. Il y a comme un retour à un lointain passé.

Je le répète, enfin, ramener l'aménagement des peines à un an n'est pas concevable, il ne faut pas céder sur ce point.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je suis choqué par la confusion qui s'installe dans la répartition des tâches entre juge correctionnel et juge d'application des peines. Quelle est la légitimité du JAP ? Il ne faudrait pas en arriver à un système dans lequel le juge correctionnel se prononce sur la culpabilité, le JAP sur la peine. Le juge correctionnel prononce des mesures, le JAP en contrôle l'exécution. Il en va ainsi de la contrainte pénale, c'est au tribunal de prononcer la peine, au JAP d'en contrôler l'application. Il faut être clair là-dessus.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Augmenter les moyens de la justice demande un très grand courage en cette période d'économies budgétaires.

M. Robert Badinter. - Les chiffres devraient rassurer à cet égard. Rien ne coûte plus cher qu'un emprisonnement. La différence est saisissante entre le coût d'un bracelet électronique et celui d'une journée d'emprisonnement. C'est une erreur que de vouloir d'abord construire des prisons pour décider ensuite de la politique pénale à mettre en oeuvre. Rien n'est plus coûteux que l'allongement de la détention.

Si le juge du siège se prononçait uniquement sur la culpabilité, le JAP prenant ensuite le relais pour la peine, cela créerait une césure dangereuse dans le procès pénal. La conséquence inévitable serait la réapparition de la dangerosité, se substituant à la responsabilité comme motif de la peine.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je remercie encore M. Badinter pour sa participation à la réflexion de notre commission.

La réunion est levée à 12 h 15