Mercredi 7 octobre 2015

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Audition de M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective

La réunion est ouverte à 9 h 30.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective depuis le 1er mai 2013.

Je rappelle que France Stratégie est un organisme de réflexion, d'expertise et de concertation placé auprès du Premier ministre, qui se veut à la fois un outil de concertation au service du débat social et citoyen, et un outil de pilotage stratégique au service de l'exécutif. Vous êtes donc au coeur du travail de réflexion sur la stratégie de développement de notre pays, à la croisée des problématiques économiques, sociales et environnementales.

Monsieur le commissaire général, nous souhaiterions vous entendre sur certaines questions qui relèvent plus particulièrement du champ de compétence de notre commission :

- tout d'abord, le sujet de la réindustrialisation de la France. Quels sont les atouts et les handicaps du pays dans ce domaine. Le mouvement de désindustrialisation en cours depuis trente ans peut-il s'inverser ? Les politiques menées dans ce domaine par les pouvoirs publics depuis plusieurs années portent-elles des fruits ?

- ensuite, les perspectives de l'économie française à moyen-long terme : quel niveau de croissance alors que le Fonds monétaire international (FMI) prévoit désormais un taux de croissance d'1,5 % pour 2016 ? Quelles perspectives pour l'emploi ? Quels changements majeurs dans les modes de production, de distribution et de consommation ? Quelle place pour la France dans l'économie mondiale ? A-t-on une idée de ce que sera la France économique de 2020-2030 ?

M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective. - Merci monsieur le Président. Comme vous l'avez dit, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, ou « France Stratégie » pour l'appeler par son nom d'usage qui a le mérite d'être plus ramassé, est un organisme de concertation et de réflexion qui a pour but de nourrir le débat mais qui est aussi au service des assemblées parlementaires ; c'est pourquoi je suis heureux et honoré d'être devant vous ce matin.

La désindustrialisation, c'est-à-dire la baisse de la part de l'industrie dans la valeur ajoutée ou dans l'emploi total, est un phénomène général qui touche toutes les économies, en particulier les économies avancées. Les causes en sont largement communes : la demande se tourne davantage vers les services sous l'effet de l'évolution démographique, de la hausse du revenu par habitant et de l'évolution des modes de vie ; les gains de productivité plus rapides dans l'industrie, phénomène séculaire, réduisent progressivement la part des emplois industriels ; enfin, une part du recul tient à des facteurs partiellement « artificiels » liés à l'externalisation de certains services. Avec l'abandon du modèle d'entreprise intégrée, de nombreux services sont désormais confiés à des sous-traitants, ce qui a pour effet de faire passer un certain nombre d'activités, en comptabilité nationale, de la branche de l'industrie vers celle des services. Or, ce reclassement comptable ne correspond pas, en réalité, à une véritable désindustrialisation.

Si le phénomène est général, la tendance est néanmoins plus marquée en France : l'indice de la production industrielle est en deçà de son niveau de 2007 et proche du niveau d'il y a vingt ou vingt-cinq ans. Il s'agit là d'une stagnation prolongée, après la chute importante - de l'ordre de quinze points - que nous avons connue avant la crise financière. Dans le même temps, l'Allemagne a aussi connu une baisse de la part de l'industrie dans l'emploi total mais dans des proportions moindres : au cours des vingt dernières années, la baisse a atteint 5 points en France contre 3,5 en Allemagne mais en partant d'un niveau nettement plus élevé, de l'ordre de 17 % à 18 % de l'emploi total. Quant à la part de l'industrie dans la valeur ajoutée, elle est stable en Allemagne mais déclinante en France. On observe ainsi une concentration de l'activité industrielle dans la zone euro qui bénéficie tout particulièrement à l'Allemagne. Toujours par comparaison, la tendance française est assez proche de ce que l'on constate aux États-Unis, encore que l'évolution récente de l'industrie américaine soit un peu plus favorable sous l'effet, notamment, de la disponibilité d'une énergie à bas coût.

Si la baisse de la part de l'industrie française a été marquée au cours de la décennie 2000, on observe depuis 2010 une certaine stabilisation. Des efforts de redressement ont été engagés au cours du quinquennat précédent et poursuivis au cours du quinquennat actuel, qu'il s'agisse de la mise en oeuvre du crédit d'impôt recherche (CIR), des efforts d'organisation au travers du Conseil national de l'industrie, du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ou du plan industriel. Mais la raison de la spécificité française en la matière, c'est évidemment la compétitivité.

Ce phénomène est-il inquiétant ? Je n'ai pas la religion de l'industrie, c'est-à-dire que je ne crois pas que la production de biens industriels soit, par nature, préférable à la production de services. Néanmoins, l'industrie reste un secteur décisif pour nos exportations ; c'est aussi un secteur d'innovations à l'origine de gains de productivité et facteur de progrès pour l'ensemble de l'économie. Or, notre industrie est aujourd'hui menacée par une sorte d'« effet de seuil » : à force de reculer, c'est le tissu d'entreprises spécialisées, de sous-traitants et plus généralement de compétences qui disparaît. Une fois passé sous un seuil critique, il sera difficile de revenir en arrière, ne serait-ce qu'en termes de formation, le risque de désaffection pour les métiers industriels étant réel. Au total, il s'agit donc d'une situation inquiétante sur laquelle il nous faut agir.

Il est particulièrement bienvenu que le thème de la compétitivité figure désormais au coeur du débat public. La compétitivité revêt plusieurs dimensions : pour la mesurer, le solde extérieur ne constitue pas nécessairement un bon indicateur - il n'est qu'à voir le cas de l'Espagne dont le passage d'un déficit courant de dix points à un excédent est largement dû à une forte compression de la demande intérieure. À cet égard, l'évolution des parts de marché à l'international est un meilleur indicateur lorsqu'on l'apprécie au regard des performances des autres économies avancées, dès lors que leur part de marché globale baisse inévitablement au profit des économies émergentes.

La compétitivité coût et la compétitivité hors coût sont par ailleurs très fortement liées. En la matière, l'Allemagne fait figure de modèle puisque ses positions dominantes sur de nombreux biens manufacturés lui permettent d'imposer ses prix. C'est aussi le cas en France mais dans un nombre beaucoup plus restreint de secteurs. Il faut donc faire en sorte de renforcer la singularité de nos produits. En effet, lorsqu'une entreprise a une rentabilité insuffisante, elle n'est pas en position de créer, d'innover ; sa gamme de produits est alors davantage concurrencée sur les prix, sa capacité à innover réduite d'autant et ainsi de suite. C'est ce cercle vicieux que l'on observe dans un certain nombre de secteurs industriels.

Lorsque l'on cherche à expliquer notre déficit de compétitivité, on pense immédiatement aux différences de coûts salariaux. Cette analyse est en fait trop étroite car le coût d'un produit industriel résulte aussi d'autres facteurs : coût des matières premières, valeur ajoutée ou encore coût des intrants que sont les services fournis à l'industrie. Or, si les coûts salariaux dans l'industrie manufacturière sont aujourd'hui au même niveau en Allemagne et en France, le coût des intrants en France est nettement plus élevé, qu'il s'agisse des services les plus basiques, tels que le nettoyage des locaux, aux services à plus forte valeur ajoutée, tels que les services comptables. Ce renchérissement des coûts ne vient donc pas de l'industrie elle-même mais de son environnement économique. S'y ajoutent un prix du foncier élevé ainsi que des prix de l'énergie qui, s'ils nous ont longtemps été plus favorables, le sont moins désormais. Sur ce dernier point, la transition énergétique allemande a certes augmenté fortement les prix de l'énergie dans le pays mais les surcoûts y sont essentiellement payés par les ménages, ce qui a permis de préserver l'industrie.

La distribution des salaires dans l'industrie diffère aussi sensiblement entre l'Allemagne et la France : les salariés allemands très qualifiés, à l'origine de la compétitivité hors coût, y sont mieux payés que leurs homologues français ; à l'inverse, les salariés peu qualifiés sont moins bien rémunérés que chez nous. En outre, les salaires relatifs entre l'industrie et les autres secteurs sont à l'avantage du secteur industriel en Allemagne alors que c'est l'inverse en France.

Aussi notre analyse nous conduit-elle à mettre l'accent sur la distinction entre les secteurs potentiellement exportateurs, qu'il faut encourager, et les secteurs non exportateurs que nous avons sans doute trop privilégiés alors qu'il s'agit d'activités moins risquées, moins sujettes à des mutations technologiques, où la concurrence est moins vive et où, par conséquent, les marges sont spontanément plus favorables. À l'opposé, pour développer les secteurs exportateurs, où la bataille est plus rude et où les risques sont plus grands, il faut favoriser l'allocation du travail et du capital dans ces secteurs en les rendant plus attractifs. C'est pourquoi nous pensons qu'il faut opérer ce rééquilibrage entre secteurs exportateurs et non exportateurs.

Se pose aussi la question du socle de compétitivité de notre économie. À vrai dire, je serais très surpris si l'on parvenait à revenir au niveau de part de l'industrie dans la valeur et dans l'emploi d'il y a vingt ans, ni même à retrouver le même ratio qu'en Allemagne aujourd'hui. Il ne faut pas se nourrir d'illusions. En revanche, il est indispensable de réfléchir à un élargissement de notre socle de compétitivité ; je pense en particulier à des services qui n'étaient traditionnellement pas exportables mais qui, sous l'effet des bouleversements technologiques, le deviennent, y compris dans les secteurs de la santé ou de l'éducation. Il ne faut pas raisonner simplement sur l'industrie ou sur l'agro-alimentaire.

S'agissant du CICE, j'ai été chargé de présider le comité de suivi prévu par la loi et composé de partenaires sociaux, de représentants de l'administration ainsi que de quatre parlementaires - deux députés et deux sénateurs, de la majorité et de l'opposition. Nous avons remis en septembre notre troisième rapport avec pour ambition de nourrir la réflexion sur l'évolution du dispositif et de fournir des éléments factuels. Simplement, nous sommes aujourd'hui encore tributaires des données : or, les informations individuelles sur les entreprises pour l'année 2013, première année d'application du CICE, ne seront disponibles que l'an prochain. À défaut, nous avons donc conduit des enquêtes sur les intentions des chefs d'entreprises et sur la façon dont ils s'approprient le dispositif mais il ne s'agit encore que d'éléments très partiels et non de faits.

En matière de perspectives de croissance, le FMI vient de publier, comme vous l'avez rappelé monsieur le Président, ses prévisions. Encore une fois, la croissance mondiale déçoit en raison du ralentissement observé dans les économies émergentes, notamment en Amérique latine, avec un Brésil en récession, ou en Russie. Or, la contribution des pays émergents à la croissance mondiale n'a cessé d'augmenter au point d'en être devenu le moteur principal : dans les années 1990, les économies avancées représentaient la moitié de la croissance mondiale et les économies émergentes l'autre moitié ; entre 2000 et 2007, les premières n'en représentaient plus qu'un tiers et les secondes les deux tiers ; entre 2012 et 2015, une fois passé le choc lié à la crise financière, les pays émergents sont désormais à l'origine de 80 % de la croissance mondiale. Pourquoi ce moteur s'essouffle-t-il ? Alors que les gains de productivité, le développement du commerce mondial et l'ouverture des chaînes de valeur internationale avaient tiré leur croissance dans les dernières décennies, ces différents facteurs s'épuisent : le commerce mondial croît moins rapidement, les phénomènes de redistribution des chaînes de valeur ont probablement atteint un « plateau » et les gains de productivité ralentissent. L'attention se porte tout particulièrement sur la Chine pour laquelle le FMI prévoit encore 6,8 % de croissance, ce qui est encore relativement optimiste bien que le gouvernement chinois tente par tous les moyens, y compris les plus artificiels, de retarder un ralentissement qui semble pourtant structurel.

Jusqu'à présent, la France bénéficie des effets positifs liés à la baisse du prix du pétrole et des matières premières mais subira aussi le contrecoup du ralentissement de la croissance mondiale.

S'agissant des économies avancées et de l'évolution de leurs gains de productivité, personne ne comprend aujourd'hui véritablement ce qui se passe. Ces économies ont connu un ralentissement assez général, bien que d'inégale intensité, de leurs gains de productivité qui a commencé, aux États-Unis, dès avant le choc de 2008 après la grande vague de productivité des années 2000 à 2005. Après 2008, on observe des évolutions très curieuses : au Royaume-Uni, la croissance crée beaucoup d'emplois mais pas de gains productivité ; en Espagne, le secteur de la construction s'est effondré donc les gains ont été mécaniquement importants ; aux États-Unis, en Allemagne et en France, les gains de productivité sont limités, ce qui est paradoxal dès lors que l'on assiste dans le même temps à l'apparition de nouveaux services et à une vague de progrès technologiques qui devraient logiquement se traduire par des destructions d'emplois et des gains de productivité importants. Il est possible que la difficulté à expliquer ce paradoxe résulte de problèmes de mesure de la productivité ; l'OCDE défend quant à elle la thèse d'un ralentissement de la diffusion des innovations dans l'économie, les entreprises leaders faisant toujours des gains importants de productivité mais l'écart avec les autres ayant tendance à s'accroître.

C'est pourquoi les prévisions de croissance doivent être considérées avec prudence. Elles s'appuient sur les tendances récentes observées pour les gains de productivité, qui sont faibles, mais qui comportent une marge d'incertitude forte, à la hausse comme à la baisse. Sur un certain nombre de questions, comme celle de la détermination du potentiel de croissance à moyen terme ou du seuil à partir duquel la croissance économique crée de l'emploi, nous n'avons pas de certitudes robustes.

Quelques mots pour finir sur l'économie française. En se basant sur les derniers chiffres trimestriels disponibles, on observe, sur un an, une accélération de la croissance, qui atteint 1% cette année. C'est mieux que lors des années précédentes, mais cela reste inférieur à la croissance observée dans les pays voisins. Et est-il insuffisant ? Après des années de stagnation, parvenir à 1 ou 1,5 % de croissance est appréciable. Toutefois, nous connaissons un niveau de chômage encore important et la croissance reste encore trop faible au regard d'un tel niveau.

Mme Élisabeth Lamure. - Je souhaiterais revenir sur la mesure de l'impact du CICE. Vous avez souligné qu'elle est encore embryonnaire, bien que nous arrivions au terme de la troisième année de la mise en oeuvre du dispositif, car on ne dispose pas encore des données individuelles qui permettraient une évaluation complète et rigoureuse. Compte tenu des sommes en jeu, de l'ordre de 12 à 13 milliards d'euros par an, nous avons cependant besoin de connaître les tendances rapidement. Les entreprises utilisent-elles ces sommes pour investir, embaucher ou pour renforcer leurs marges ? Sans attendre encore plusieurs années une évaluation complète, je peux déjà indiquer que nous remontent des chefs d'entreprises certaines doléances concernant la lourdeur administrative du dispositif, ainsi que le sentiment d'une duperie, dans la mesure où les sommes reçues au titre du CICE sont en quelque sorte reprises par l'État par le biais d'autres dispositifs -je pense notamment à la taxe additionnelle à l'impôt sur les sociétés. Donc les entreprises nous disent qu'il aurait été plus simple de baisser les charges.

Je souhaite aussi revenir sur la notion de seuil critique que vous avez utilisée concernant la désindustrialisation. Parmi les compétences dont l'absence ou l'insuffisance rend la poursuite d'une activité industrielle impossible, il y a bien sûr la qualification de la main-d'oeuvre. Il faut un vivier de jeunes formés aux métiers de l'industrie pour que des industriels s'installent ou restent en France. Or, comme l'a rappelé une table-ronde récente organisée par la délégation aux entreprises du Sénat, la France souffre d'un déficit dans le domaine de l'apprentissage, singulièrement dans les métiers qui intéressent l'industrie. Selon l'économiste Bertrand Martinot, il y a ce qu'on pourrait appeler une règle des « trois » : il y a trois fois plus d'apprentis en France en Allemagne ; le coût par apprenti est trois fois plus élevé chez nous que chez notre voisin d'outre-Rhin et il y a trois fois plus de jeunes au chômage en France qu'en Allemagne. Le développement de l'apprentissage me paraît donc constituer un enjeu stratégique. Est-ce un sujet dont France stratégie est saisie ?

M. Franck Montaugé. - Dans une interview désormais ancienne, vous faisiez remarquer que si 60 % de la création de richesses se fait dans les métropoles, les territoires hors métropole représentent néanmoins une part importante de la production nationale. Parmi des exemples d'organisation économique possibles pour les territoires, vous citiez le cas de l'aéronautique où les donneurs d'ordre travaillent avec des sous-traitants répartis sur le territoire hors-métropoles. Cette organisation territoriale de la production est-elle encore pertinente ? Quelle est la vision de France stratégie concernant les territoires ruraux et hyper ruraux ?

Concernant l'impact sur l'emploi des technologies émergentes, je pense à la numérisation, à la robotisation, à l'intelligence artificielle, certains spécialistes anticipent la disparition de millions d'emplois. Quelles préconisations faites-vous pour appréhender ces transformations ?

Concernant la mesure de la richesse, votre haut-commissariat préconise de recourir à un tableau de bord comprenant dix indicateurs pour compléter la mesure du PIB. Comment faire pour que ces indicateurs deviennent des outils incontournables de pilotage de l'action économique et sociale.

M. Martial Bourquin. - Je souhaite revenir sur la tonalité pessimiste de vos propos concernant l'avenir industriel de la France. Je suis convaincu que notre avenir est lié à notre industrie. Considérez que les pays qui ont le mieux surmonté la crise financière de 2007-2008 sont ceux qui avaient un socle industriel solide. Il faut miser sur les industries de l'avenir bien sûr, investir sur les secteurs industriels moteurs. L'effort d'investissement dans ce domaine doit être une priorité absolue. Pensez-vous que le CICE devrait être fléché sur cet effort d'investissement justement ?

S'agissant des PME, pensez-vous que notre politique est assez marquée ? Les grands groupes, de plus en plus présents sur les marchés émergents, suppriment de nombreux emplois chez nous, alors que les PME, qui sont les principales créatrices d'emplois, rencontrent des problèmes structurels. Comment aller plus loin pour soutenir le développement de ces entreprises ?

Enfin, sur les entreprises innovantes, en faisons-nous assez ?

M. Daniel Gremillet. - Comme mon collègue, je regrette de ne pas percevoir dans vos propos le caractère d'absolue nécessité de la reconquête industrielle.

Concernant la formation, je rejoins les interrogations d'Élisabeth Lamure. Comment donner l'envie aux jeunes de se tourner vers les formations industrielles ?

Je voudrais également vous interroger sur l'assise territoriale de la compétitivité. Il n'y a pas d'entreprise durablement compétitive qui ne s'appuie sur la compétitivité d'un territoire, car ses propres performances dépendent de la disponibilité d'une main-d'oeuvre qualifiée et efficace, d'infrastructures collectives de transport ou d'énergie, etc. Prenez-vous en compte cet enjeu ?

Enfin, pourriez-vous nous parler de la relocalisation. Y a-t-il une tendance de fond à la relocalisation au-delà de quelques exemples de réussites mis en avant par les médias ? A-t-on des données sur la question ?

Mme Annie Guillemot. - Concernant la réduction des dépenses publiques, le programme de stabilité 2014-2017 prévoit une baisse des dépenses publiques de trois points de PIB sur la période. Dans une récente étude, vous avez indiqué qu'il est préférable, pour réduire les dépenses publiques, de faire des arbitrages stratégiques plutôt que d'utiliser la technique du rabot, c'est-à-dire d'opérer une baisse uniforme des dépenses. Quels seraient selon vous ces choix stratégiques ?

Concernant la mesure de la qualité de la croissance, vous avez défini un tableau de bord de dix indicateurs. Comment va-t-il être utilisé ?

M. Gérard Bailly. - Je n'ai pas senti dans vos propos que la priorité industrielle était un credo. Or, le dynamisme économique repose sur la production matérielle. Permettez que je prenne l'exemple de Morez. Trois mille emplois dans la lunetterie il y a quelques années, à peine mille à mille cinq cents aujourd'hui. Derrière, c'est triste... Donc il faut sauvegarder tous les secteurs d'activité. Même la transformation de nos produits se fait de plus en plus souvent dans les pays voisins. Abattoirs, meunerie, transformation du bois dont nous sommes de gros producteur : toutes ces activités partent de plus en plus souvent à l'étranger. Est-ce cela la France de demain ?

M. Roland Courteau. - Ma première question porte sur le CICE : à défaut d'évaluation complète, dispose-t-on de tendances concernant son utilisation par les entreprises ? Y a-t-il des différences sectorielles ? Stimule-t-il le développement des exportations ?

Concernant le domaine de l'énergie, vous avez récemment parlé de crise de l'énergie en Europe et soulevé le problème posé par l'absence d'une politique européenne de l'énergie commune. Quelles sont les voies pour sortir de cette crise et avancer vers une politique de l'énergie intégrée ?

M. Joël Labbé. - Je suis saisi de vertige devant les perspectives qui attendent notre économie. La contrainte de compétitivité pousse au développement de l'innovation, de l'automatisation, de la robotisation non seulement en agriculture, mais plus largement dans toute l'économie. Le secteur agricole perd vingt mille emplois par an. Une étude menée par l'Université d'Oxford estime que 42 % des emplois français sont soumis à une probabilité forte d'automatisation. Les robots de nouvelle génération pourraient traiter 25 % des tâches automatisables d'ici 2025, ce qui engendrerait la perte de trois millions d'emplois à cet horizon. Comment répondre à cette problématique ?

M. Jean-Pierre Bosino. - Monsieur Pisani-Ferry, comme plusieurs de mes collègues, j'ai ressenti dans votre intervention devant la commission un certain pessimisme par rapport à l'industrie, que je ne partage pas : c'est toujours la production de biens qui crée de la richesse. Mais nous payons aujourd'hui les choix du passé, lorsque l'on nous a expliqué que notre pays n'était plus destiné à l'industrie et qu'il devait se concentrer sur le tourisme, les services et la finance ; on en constate aujourd'hui les dégâts, car ce faisant, on a encouragé le départ de notre industrie vers d'autres cieux où les coûts de main d'oeuvre étaient les moins élevés.

On ne peut que déplorer que la seule réflexion qui soit menée depuis plusieurs dizaines d'années porte sur le coût du travail. Or, la part des salaires et des cotisations sociales, qui était de 74 % en 1982, est tombée à 60 % aujourd'hui, la différence ayant été répercutée sur les profits. Ne faut-il pas mener une réflexion sur les autres moyens d'aider l'industrie, notamment en facilitant son financement ? Il faut s'interroger sur le rôle des banques, qui doivent aider les PME à financer les achats de machines qui vont ensuite leur permettre de créer des emplois. Y a-t-il une réflexion actuelle sur la capacité de consommer des gens ? La question se pose en France comme à l'étranger.

Par ailleurs, l'industrie évolue évidemment en permanence et l'on ne saurait prôner un retour à l'industrie du passé. Mais n'y a-t-il pas une réflexion à mener sur les gisements d'emplois liés à la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique, notamment dans les secteurs du bâtiment et des transports ?

M. Philippe Leroy. - Je rejoins ce qui a été dit précédemment par mes collègues : le sentiment que nous partageons est que le constat que vous nous proposez est celui d'une société « peace and love ». Je ne conteste pas la pertinence de votre analyse sur la compétitivité et la croissance, mais il n'y a, dans votre présentation, rien qui peut nous permettre d'agir. Cela est décourageant pour dresser des perspectives. Alors, faites-nous part de votre avis d'expert sur les trois ou quatre axes stratégiques que vous proposez aux politiques pour prendre les décisions les plus pertinentes.

Mme Valérie Létard. - Je suis sur la même tonalité que mon collègue : les élus des territoires que nous sommes sont résolument optimistes et déterminés à accompagner une évolution industrielle qui doit être soutenue et défendue, plutôt que de renoncer purement et simplement à la réindustrialisation de notre pays. Nous avons conscience que l'industrie de demain ne ressemblera pas à celle d'hier, mais la France, comme tous les pays qui ont l'intention de rester des grands pays en matière économique, doit se poser la question de savoir quelle sera demain son industrie.

Dans le Nord, l'industrie est certes beaucoup plus présente que dans d'autres territoires de métropole ; mais l'avenir de l'industrie s'y pose aussi. Prenez l'exemple de l'entreprise Vallourec, qui fournit des biens pour un secteur en difficulté, l'industrie pétrolière, et qui de ce fait risque de voir son périmètre d'activité décliner : cette entreprise compte 1 000 emplois, mais fait également appel à un réseau de 250 PME sous-traitantes ou qui lui fournissent des services. Dire que l'industrie n'a plus sa place dans notre pays, c'est mettre en péril un pan significatif de notre économie. Si l'activité de production actuelle ne pourra sans doute pas se maintenir dans les mêmes conditions, eu égard aux coûts de production dans d'autres pays, on voit bien malgré tout que les enjeux environnementaux, la réalité climatique, notamment discutés dans le cadre de la COP 21, vont conduire à remettre à l'ordre du jour l'idée que le lieu de production doit être proche du lieu de consommation.

Dans ce cadre, l'idée d'une taxe carbone est-elle définitivement abandonnée ? Aujourd'hui, on abandonne peu à peu notre filière acier : doit-on l'abandonner totalement ou au contraire conserver un socle minimum de notre tissu industriel et de nos outils de production sur le territoire national, quitte à le restructurer afin de le rendre plus compétitif et mutualisé, pour conserver une capacité à produire et notre ingénierie ? A force de fermer nos aciéries, on risque de perdre totalement nos capacités en matière de recherche et d'innovation, alors que nous en aurons sans doute besoin à l'avenir. C'est peut-être difficile d'assurer aujourd'hui ce socle minimum, mais il ne faut pas capituler. Alors, comment garder une industrie axée sur des niches à forte valeur ajoutée, qui permettront de conserver notre savoir-faire et notre excellence nationale sur des domaines fondamentaux ?

M. Alain Bertrand. - J'ai eu l'occasion d'assister à l'une de vos interventions antérieures, M. Pisani-Ferry, au cours de laquelle vous indiquiez que le seul avenir était dans les métropoles et les concentrations urbaines ; cela m'avait semblé, à l'époque, très éloigné de la réalité. Je serai donc heureux aujourd'hui d'entendre votre réponse aux interrogations soulevées par notre collègue M. Montaugé sur l'avenir industriel des territoires ruraux.

Je reconnais, comme mes collègues, la qualité de votre expertise, mais nous sommes très demandeurs des pistes d'évolution que vous pourriez suggérer, étant entendu que des mesures ont déjà été prises en la matière, comme le CICE. Votre travail d'expertise doit vous conduire à préconiser des pistes d'évolution dont, le cas échéant, nous serons les relais au plan politique.

Nous avons abandonné certaines productions parce qu'à un moment donné, les produits français étaient plus chers que les produits importés. C'est le cas, par exemple, des cannes à pêche : nous avons abandonné ce marché il y a environ 25 ans car des produits importés moins chers étaient disponibles ; mais aujourd'hui, ces produits étrangers sont devenus eux-mêmes très coûteux. Or, il y a certainement une place en France pour des industries qui produiraient des produits de même qualité et au même prix, et qui trouveront sans difficulté une clientèle.

M. Yannick Vaugrenard. - Les rôles de l'expert et du politique sont évidemment différents : il appartient aux politiques de prendre des décisions, dans l'intérêt général de la nation, mais il est indispensable que les experts formulent des orientations qui sont autant d'outils d'aide à la décision stratégique.

Lorsque l'on regarde la situation de la France, il ne faut pas oublier que nous avons une évolution démographique favorable à moyen terme, mais qui peut être pénalisante à court terme. Ainsi, dans notre pays, le taux de chômage baisse moins, pour cette raison, que dans d'autres pays comme l'Allemagne, qui ne connaît pas la même situation démographique. Il faut donc en tenir compte dans l'analyse afin que celle-ci soit pleinement objective.

Dans le domaine de l'industrie, le principe de confiance est fondamental. Dans la région de Saint-Nazaire, par exemple, l'on a des entreprises tournées vers l'avenir, notamment dans les domaines de la construction navale ou de l'aéronautique. Ces entreprises, pour être performantes, doivent toujours anticiper par rapport aux productions étrangères, et seuls la formation et les investissements dans des produits nouveaux à forte valeur ajoutée peuvent permettre une telle anticipation. Mais pour cela, il faut croire en l'industrie et communiquer auprès des jeunes pour leur faire prendre conscience que l'industrie n'est plus ce qu'elle était il y a cinquante ans.

En outre, dans notre pays, entre 80 et 90 % des emplois proviennent des PME, PMI et des ETI. Il faut un « big bang stratégique » en faveur de ces entreprises, associant les banques et les collectivités territoriales, afin de faciliter leur trésorerie. Elles rencontrent en effet aujourd'hui trop de difficultés à obtenir des financements, alors même que leurs carnets de commande sont remplis.

M. Alain Chatillon. - Je ne peux que marquer mon accord avec la vision qu'ont mes collègues du monde de l'entreprise et de l'industrie.

S'agissant de la question de l'égalité des salaires entre la France et l'Allemagne, nous avions constaté dans le cadre de nos travaux d'information antérieurs, que l'on se situait à une moyenne de 30 € de l'heure dans les deux pays. Mais ce qu'il faut rappeler, c'est que les charges sur les salaires y sont complètement différentes et qu'il existe un écart très important avec l'Allemagne, ce qui explique que les ETI allemandes ont trois fois plus de marge que les ETI françaises et que les PME françaises ont quatre fois moins de marge que les PME allemandes. Il y a également un fort différentiel de fiscalité : les PME ont une fiscalité disproportionnée par rapport à celle des grands groupes, qui peuvent défiscaliser à l'étranger. Il faut mettre un terme à cette inégalité flagrante, et il est regrettable que vous ne l'ayez pas souligné dans votre intervention.

Les contraintes réglementaires qui pèsent sur les entreprises sont également un frein très important à leur développement. La réglementation sur le pyrèthre en est un exemple parmi d'autres : les entreprises qui produisent des insecticides à base de pyrèthre sont entravées dans leur développement par des règles mises en place afin de lutter contre des produits originaires des États-Unis. De même, les entreprises de meunerie doivent supporter un versement de 15,5 € par tonne au profit de la mutualité sociale agricole, alors que les farines provenant d'entreprises implantées en Allemagne et en Espagne, qui représentent 40 % du marché français, n'y sont pas soumises. Ainsi, 250 moulins ont dû arrêter leur activité dans les six dernières années. Il faut sauver les PME qui valorisent notamment le patrimoine agricole français.

Compte tenu de la mission de France Stratégie en matière de prospective, des liens sont-ils établis avec le commissariat général à l'investissement, qui gère les 36 milliards d'euros d'investissements d'avenir ?

S'agissant des exportations des produits agricoles et agro-alimentaires, je rappelle qu'il y a six ans, les gains que nous avions dans ce secteur s'élevaient à 12 milliards d'euros ; désormais, ces gains se montent seulement à 9,2 milliards d'euros. Par ailleurs, on comptait 5,2 millions d'emplois industriels en 1980 et aujourd'hui 2,2 millions. Ces chiffres sont inquiétants et devraient vous inquiéter.

M. Michel Houel. - Appliquons enfin les bons remèdes ! La bonne solution, ce ne sont pas les aides d'État, les aides financières aux entreprises : les chefs d'entreprises n'ont pas besoin d'être assistés. Il faut au contraire alléger le coût du travail, mettre fin aux seuils, permettre au chef d'entreprise d'embaucher ou de débaucher selon son activité. Il faut être réaliste et donner au chef d'entreprise la possibilité de remplir sa fonction : gagner de l'argent pour investir et embaucher. C'est à contrecoeur qu'un chef d'entreprise doit débaucher.

Il faut tout remettre à plat et faire de véritables propositions : nous avons la chance d'avoir des PME exceptionnelles, des employés très qualifiés, il faut les soutenir par les bonnes mesures, pour que la France ne perde pas tout ce potentiel.

Mme Sophie Primas. - Je refuse également tout pessimisme par rapport à la situation actuelle. L'industrie se transforme et l'on a parfois la nostalgie de l'industrie lourde, qui employait de nombreux salariés peu qualifiés. Aujourd'hui, nous avons une industrie de pointe, qui emploie des personnes très qualifiées, quoique peut-être pas aussi bien rémunérées qu'en Allemagne. Et je ne regrette pas, contrairement à certains de nos collègues, les industries d'antan, par exemple dans les usines Renault, où les ouvriers travaillaient à la chaîne dans des conditions particulièrement pénibles. La robotisation a grandement amélioré la qualité du travail, et il est encore nécessaire que des employés, désormais plus qualifiés, soient présents aux côtés des machines robotisées.

Aussi, avez-vous examiné la capacité de la France à former des employés susceptibles d'être embauchés dans des industries de pointe ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Vous n'avez pas évoqué, dans votre présentation, l'économie participative ainsi que le rôle des start up. Quelle est l'apport de ces secteurs sur la compétitivité de notre économie ?

M. Jean-Claude Lenoir, président. - L'aménagement du territoire est aujourd'hui en souffrance. On assiste en effet au départ de nombreuses entreprises installées dans des zones rurales pour s'établir dans les agglomérations et les zones urbanisées. Cette situation de concentration géographique est propre à notre pays ; l'Allemagne et l'Italie du nord comportent un tissu industriel beaucoup plus diffus, et de nombreuses entreprises, parfois de 200 à 300 salariés, restent présentes dans la moyenne montagne. Comment enrayer ce phénomène ?

Il existe également un problème d'acceptation sociale de la production industrielle. Dans le secteur de l'énergie, on saborde volontairement notre industrie nucléaire et dans le même temps, on refuse systématiquement toute recherche pour l'extraction du gaz de schiste. Or, dans d'autres pays, comme aux États-Unis et en Australie, où une délégation de la commission s'est rendue il y a quelques semaines, l'utilisation d'autres sources d'énergie fossile, comme le gaz de schiste et le gaz de houille, est en train de bouleverser la donne. Et la baisse du prix du pétrole provient en grande partie de ces nouvelles ressources. Aujourd'hui, l'on assiste dans notre pays à des situations de blocage compte tenu de l'existence d'opposants résolus à des projets pourtant susceptibles de favoriser l'essor économique et de créer des emplois.

M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective. - je remercie les membres de la commission pour l'intérêt qu'ils portent à ces sujets, pour leurs réactions et leur franchise.

S'agissant du pessimisme industriel, quand on vous dépeint la réalité, certains d'entre vous me disent que ce n'est pas celle-là et que je devrais reconnaître qu'elle est différente. Or, j'ajoute en complément de ce que j'ai précédemment dit que les classements internationaux montrent que nous sommes en queue de peloton des pays de l'OCDE, après la Pologne. Notre appareil de formation professionnelle ne fonctionne pas bien. Nous avons des problèmes de formation initiale, de formation professionnelle. C'est un handicap pour les entreprises ! J'invite ceux qui disent que nombre de PME sont potentiellement brillantes à regarder le taux d'équipement en robots de l'industrie, ils verront que celui-ci est inférieur à celui de l'Allemagne. Nous avons un handicap du point de vue des outils de la compétitivité. De même, regardez notre indice de production industrielle, il est 15 points en dessous du niveau de 2007 !

Je partage votre souhait de ne pas faire de pessimisme industriel, mais la lucidité sur la situation industrielle est nécessaire. Le constat reste très inquiétant. Je n'ai pas dit que l'industrie n'avait pas d'avenir, mais qu'on ne pourra pas uniquement compter sur elle pour redresser nos performances en matière de commerce international. Il faut élargir le socle de compétitivité. Faut-il négliger le tourisme, les services ? La réponse est non.

Nous avons fait des choix sur lesquels il convient de s'interroger. Ainsi, nous avons refusé les délocalisations contrairement à l'Allemagne qui a choisi de délocaliser les activités dans lesquelles elle n'avait pas d'avantages afin de se concentrer sur les secteurs dans lesquels elle est la meilleure. Les grands groupes français ont quant à eux investi dans des chaînes complètes de production dans d'autres pays. Nous avons nécessairement affaibli notre industrie.

Certains insistent sur la nécessité de faire vivre le tissu de PME. Cela signifie qu'il faut accepter que certaines PME meurent et d'autres vivent. Autant nous avons besoin d'une politique de la croissance des entreprises, autant une politique spécifique pour les entreprises d'une certaine taille est une erreur.

Les secteurs exportateurs ont été objectivement défavorisés par rapport aux secteurs tournés vers les marchés intérieurs. Si on compare les évolutions de salaires, de prix, de la rentabilité, les secteurs porteurs de développement international ont été défavorisés. Nous avons choisi de favoriser les secteurs de rente, nous en subissons les conséquences. On ne peut pas vouloir modifier cette situation sans en accepter les conséquences.

Sur les aspects territoriaux, il est vrai que le nord de l'Italie ou le Bade-Wurtemberg se caractérisent par la présence d'entreprises de taille intermédiaire dans des secteurs localisés et qui réussissent au niveau international. Nous, nous avons choisi de mettre en place des grands groupes. Faut-il le regretter ? La réponse est non. Nous avons plus d'entreprises de taille mondiale que n'importe quel pays européen, y compris l'Allemagne. C'est un atout. Effectivement, nous avons un déficit d'ETI et il faut aider ces dernières à se développer.

M. Martial Bourquin. - Les relations entre les grands groupes et les PME ne sont-elles pas le problème ? J'observe que les grands groupes bénéficient d'une avance de trésorerie sous forme de crédits inter-entreprises à hauteur de 13 milliards d'euros par an. C'est un problème sur lequel on se penche depuis plusieurs années.

M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective. - Avoir des grands groupes est une force !

Sur la question des territoires, nous avons des métropoles qui sont des pôles de dynamisme, de croissance. Il faut miser sur ces incubateurs de développement. Le risque, c'est que tout s'y concentre. Cependant, ces métropoles sont un atout pour le développement de l'économie française. Ce n'est pas un jeu à somme nulle. Je ne dis pas que certains territoires ne souffrent pas du développement des métropoles, mais globalement l'économie y gagne. Comment organiser ces activités ? Il faut une politique de transport, une politique d'infrastructure numérique, une politique de la mobilité. On ne peut pas dire qu'on va redresser l'industrie, reconstruire une économie tournée vers l'extérieur, sans accepter des transformations.

Parmi les axes d'interventions, il y a la formation, la recherche, l'innovation. Nous avons consacré des moyens significatifs à cette dernière, il faut s'interroger sur ce qui est efficace et ce qui ne l'est pas. Une politique de concurrence est également nécessaire. La différence entre une économie développée et une économie en développement du point de vue de la productivité, c'est que dans les pays en développement l'écart est important entre l'entreprise la plus performante et celle la moins performante. Le développement consiste à réduire cet écart. Ça passe par une politique de concurrence.

S'agissant du CICE, je partage votre impatience quant aux résultats de ce dispositif. Je rappelle que sont concernées un million d'entreprises dont certaines clôturent leurs comptes après le 31 décembre et qui doivent déclarer leur créance auprès de l'administration fiscale. Pour évaluer correctement le dispositif, je dois examiner pour chacune d'elles leur comportement par rapport à l'emploi, à l'investissement, au commerce extérieur, au salaire...Trois équipes de recherches sont prêtes à travailler sur ces questions et n'attendent que les données.

En attendant, je peux seulement vous donner les résultats des enquêtes que nous avons menées. Ainsi, un tiers des entreprises du secteur industriel indiquent consacrer le CICE à augmenter l'emploi, un autre tiers à augmenter les salaires et pour le dernier tiers à diminuer les prix de vente. Pour les entreprises de services, elles consacrent le CICE à l'emploi, un peu aux salaires et très peu à une diminution du prix de vente. Ce sont des tendances. Il y a souvent un décalage entre les déclarations d'intention des entreprises et la réalité, c'est pourquoi je m'interdis à ce stade de conclure. Pour prendre des décisions, vous avez besoins de mesures et pas seulement de tendances. Je vous serai plus utile quand j'aurais des données factuelles.

M. Vincent Aussilloux, directeur du département « économie - finances ». - Sur les indicateurs complémentaires au PIB, nous avons travaillé avec le CESE. L'objectif est d'avoir un petit nombre d'indicateurs. Il a fallu se concentrer sur les dix indicateurs les plus importants, ce qui a été difficile. Ce tableau de bord servira pour les études d'impact ou les évaluations des textes existants. Les administrations publiques devraient dans leur rapport annuel d'activité pouvoir rendre compte de leurs actions au regard de ces indicateurs. La réflexion sur la responsabilité sociale des entreprises devra également être liée à ces indicateurs.

M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective. - Je reviens sur le CICE et ses lourdeurs. Il y a eu un temps d'apprentissage en 2013, notamment sur le plan comptable. Aujourd'hui, les entreprises se sont approprié ce dispositif. Quand le bénéfice de ce dispositif est marginal, les entreprises peuvent décliner ce CICE, mais il s'agit toutefois de cas marginaux.

Je partage vos constats sur l'apprentissage. Le Gouvernement a d'ailleurs mis en avant la nécessité de faire des efforts dans ce domaine. Notre système ne fonctionne pas bien alors même qu'il existe des moyens publics. Le système allemand est éloigné du nôtre. En Allemagne, l'orientation est précoce, l'apprentissage fait partie de la norme sociale tandis qu'il demeure dévalorisé en France. Parmi les éléments positifs, je souhaiterais rappeler que nous avons progressé dans la formation des nouvelles générations, 40 % d'entre elles vont à l'université.

S'agissant de la réduction des dépenses publiques, la méthode du rabot est largement employée en France : on contient les dépenses plutôt que d'opérer des choix. Dans certains domaines, les dépenses publiques doivent être restreintes tandis que dans d'autres, l'intervention publique demeure nécessaire. Il faut opérer des choix, en faisant par exemple des revues stratégiques de dépenses. Par ailleurs, certaines dépenses servent à pallier les dysfonctionnements du marché. Je pense par exemple au logement pour lequel nous consacrons deux points de PIB, avec des résultats médiocres. La construction étant dans une situation difficile, on ne souhaite pas réduire les efforts, mais structurellement ce n'est peut-être pas la meilleure manière d'utiliser l'argent public.

Nous ne ferons pas les mêmes choix que les États-Unis et l'Australie sur les politiques en matière de gaz de schiste. Nous n'avons pas le même environnement. Avons-nous raison d'interdire toute expérimentation ? Ça peut se discuter. Il ne faut pas croire que sur ce sujet nous aurions des mutations qui nous mettraient à égalité avec des pays qui disposent d'un potentiel énergétique considérable et qui peuvent reconstruire une stratégie de réindustrialisation sur le faible coût de l'énergie. Nous avons bénéficié des coûts faibles d'énergie avec le nucléaire. Cependant ce facteur de compétitivité s'érode.

S'agissant du programme d'investissements d'avenir (PIA), le commissariat général à l'investissement nous a demandé d'examiner les performances des PIA 1 et PIA 2 afin de faciliter les choix lors de l'élaboration du PIA 3. J'ai mis en place une commission présidée par M. Philippe Maystadt, ancien président de la Banque européenne d'investissement, qui est chargée de donner des éléments de diagnostic d'ici février-mars 2016. Comme pour le CICE, des évaluations du PIA ne pourront être réalisées que lorsque les programmes auront complètement produit leurs effets, soit d'ici cinq à dix ans.

Sur la baisse du coût du travail, la France se caractérise par des exonérations de cotisations sociales, pour avoir à la fois un salaire minimum net relativement élevé, une protection sociale et un coût du travail qui ne nous pénalisent pas. L'effort budgétaire est en conséquence considérable.

S'agissant des start-up et de l'innovation, nous avons une culture d'ingénieur, d'inventeur mais nous ne sommes pas un pays de « perfectionneurs ». Nous avons une tradition d'innovation radicale qui se revivifie quand on voit le nombre de diplômés qui choisissent l'aventure des start-up. Les dispositifs de soutien sont importants, foisonnants. Il faut ici encore s'interroger pour savoir lesquels sont les plus efficaces. Il faut permettre aux start-up de se développer rapidement. La vitesse de développement est en effet un facteur essentiel du succès. La France est bien positionnée sur la première phase de création d'entreprise, cependant la phase de croissance demeure problématique.

Enfin, sur l'impact des technologies sur l'emploi, les études menées aux États-Unis montrent que le progrès technique crée des emplois très qualifiés, des emplois peu qualifiés et détruit des emplois intermédiaires. C'est très différent de ce qu'on pouvait observer il y vingt -trente ans où l'emploi qualifié augmentait tandis que l'emploi peu qualifié diminuait. On n'observe pas exactement ce phénomène en France, mais je pense qu'on est qualitativement dans le même type d'évolution.

Désignations de rapporteurs

La commission nomme Mme Sophie Primas, rapporteur sur le projet de loi n° 665 (2014-2015), ratifiant l'ordonnance n° 2015-615 du 4 juin 2015 relative à la mise sur le marché et à l'utilisation de matières fertilisantes, des adjuvants pour matières fertilisantes et des supports de culture.

La commission nomme Mme Sophie Primas, rapporteur sur le projet de loi n° 666 (2014-2015), ratifiant l'ordonnance n° 2015-616 du 4 juin 2015 modifiant le code rural et de la pêche maritime en vue d'assurer la conformité de ses dispositions avec le droit de l'Union européenne et modifiant les dispositions relatives à la recherche et à la constatation des infractions aux dispositions de son livre II.

La commission nomme M. Daniel Gremillet, rapporteur sur le projet de loi n° 707 (2014-2015), ratifiant l'ordonnance n° 2015-953 du 31 juillet 2015 relative à la réforme de l'ordre des vétérinaires.

Organismes extra parlementaires - Désignations

M. Gérard César est proposé à la désignation du Sénat pour siéger au sein du conseil d'administration de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer).

M. Joël Labbé est proposé à la désignation du Sénat pour siéger comme titulaire au sein de l'Observatoire des espaces naturels agricoles et forestiers.

Loi de finances pour 2016 - Désignation de rapporteurs pour avis

La commission a procédé à la désignation de rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2016.

MM. Gérard César, Jean-Jacques Lasserre et Mme Frédérique Espagnac sont désignés rapporteurs pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

M. Bruno Sido est désigné rapporteur pour avis de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » (énergie).

M. Michel Le Scouarnec est désigné rapporteur pour avis de la mission « Écologie » (pêche et aquaculture).

MM. Philippe Leroy, Martial Bourquin et Mme Élisabeth Lamure sont désignés rapporteurs pour avis de la mission « Économie ».

M. Serge Larcher est désigné rapporteur pour avis de la mission « Outre-mer ».

M. Henri Tandonnet est désigné rapporteur pour avis de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

Mme Dominique Estrosi Sassone est désignée rapporteur pour avis de la mission « Egalite des territoires et Logement ».

Mme Annie Guillemot est désignée rapporteure pour avis de la mission « Politique des territoires » (ville).

M. Alain Chatillon est désigné rapporteur pour avis du compte spécial « Participations financières de l'État ».

Application des lois - Désignation de rapporteurs

MM. Ladislas Poniatowski et Roland Courteau sont désignés rapporteurs pour assurer le suivi de l'application de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

La réunion est levée à 12 h 00.

Jeudi 8 octobre 2015

- Présidence de MM. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques et Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -

Audition de M. Phil Hogan, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural

La réunion est ouverte à 10 h 10.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - Je suis très heureux de vous recevoir, monsieur le Commissaire. Votre venue s'inscrit dans le prolongement des travaux lancés par le président Larcher avant l'été, pour faire face à la crise qui suscite une forte mobilisation du monde agricole. Nous avons écrit à Jean-Claude Juncker, tenu plusieurs réunions élargies aux producteurs, aux transformateurs et aux distributeurs, afin de préparer des solutions y compris législatives. Nous souhaitons porter à votre connaissance des questions que les agriculteurs se posent, et recueillir vos observations. Ce matin, lors de l'entretien que vous avez eu avec Gérard Larcher, vous avez tenu des propos qui laissent à penser que ces rencontres sont non seulement utiles, mais peuvent être extrêmement fructueuses.

M. Jean Bizet, président. - Dans cette conjoncture très difficile, où les agriculteurs se plaignent d'être soumis à toujours plus de contingences environnementales ou sanitaires, nous sommes heureux de vous recevoir afin de savoir si Bruxelles a bien pris la mesure du problème. Nous avons pourtant des motifs de satisfaction : après la manifestation du 3 septembre, les Français ont montré qu'ils étaient derrière les agriculteurs ; nous savons que l'Europe ne les abandonnera pas, dans cette période de mutation comme il y en a eu auparavant.

Comme nous l'avions déjà fait remarquer à votre prédécesseur, M. Ciolo°, des distorsions de concurrence peuvent résulter d'un respect variable de la réglementation. En France, nous avons malheureusement l'habitude de sur-transposer. Les autorités russes semblent prêtes à lever leur embargo sanitaire sur le porc dans les pays indemnes, France, Espagne, Danemark, comme l'ambassadeur M. Orlov et son conseiller agricole nous l'ont indiqué. Même si votre logique est de raisonner à 28, ne serait-il pas pertinent d'accepter cette levée partielle, afin d'assouplir le marché ? Le plan d'aide de 500 millions d'euros a constitué sans conteste une bouffée d'oxygène, avec une quote-part nationale de 63 millions : quelle ventilation allez-vous recommander ?

Le secteur agricole est-il éligible au plan Juncker ? Le texte du règlement ne contient aucune mention de l'agriculture. Selon le président du syndicat agricole majoritaire, 3 milliards d'euros seraient pourtant nécessaires à la modernisation de l'ensemble des filières agricoles. Le Conseil agriculture du 7 septembre a prévu une distribution de lait aux réfugiés ; la Commission montrerait ainsi au grand jour son humanisme dans une approche à l'américaine - je pense au Food stamp program - qui a une autre vertu, assouplir les marchés, comme une restitution du XXIème siècle.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - Les mots ont leur importance. La France est persuadée de connaître une crise profonde qui va au-delà d'une crise conjoncturelle, et qui nécessite une politique énergique. Mais pour ce faire nous avons besoin d'aide. Cette crise survient dans une conjoncture particulière, celle des négociations transatlantiques, qui se déroulent dans de très mauvaises conditions, marquées par une grande opacité côté américain. Nous risquons d'être perdants en raison de notre fragilité. Jusqu'où l'Union européenne peut-elle aller dans la flexibilité ? Est-il possible de tenir compte des particularités locales, des modèles spécifiques hérités de l'histoire, qui ne doivent pas pour autant être figés ? Quid du droit de la concurrence devant les oligopoles ? Quels mécanismes financiers l'Union européenne est-elle prête à mettre en oeuvre pour moderniser et améliorer la compétitivité du système français ?

M. Phil Hogan, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural. - Merci infiniment de votre invitation. Les problèmes que vous avez évoqués sont au coeur des dernières discussions : aucun commissaire n'allouerait 500 millions d'euros d'argent du contribuable s'il n'avait pas compris l'importance de la crise. J'ai eu un échange franc, sain, utile avec le ministre Le Foll, avec qui je ne suis pas d'accord sur tout. La France a eu un rôle essentiel dans la définition de la PAC. Je partage son idée que les exploitations familiales sont la pierre angulaire de l'agriculture, et que cette dernière apporte une contribution importante au bien-être des pays, ainsi qu'à la reprise économique de l'Union européenne.

L'aide de 500 millions d'euros, dans une période où les crédits sont des ressources rares, montre bien que conformément à sa tradition, la Commission européenne, selon les mots de M. Juncker, est un « défenseur résolu de la PAC ». Lors de mon entrée en fonction il y a douze mois, lorsque nous avons discuté des manières de limiter l'impact de l'embargo russe, je me suis opposé à la tentation d'utiliser la réserve de crise, soit l'argent des agriculteurs eux-mêmes, ce qui leur a économisé 433 millions d'euros. J'ai introduit des aides au stockage privé pour la viande porcine pour 150 millions. Nous avons dégagé 500 millions d'aides dès les premiers signes de difficultés sur les marchés émergents, et 420 millions d'euros supplémentaires pourront être mobilisés en mesures ciblées, soit près d'1 milliard d'euros en tout, en plus des 42 milliards d'aides directes. À ces grands défis économiques et sociaux, il faut des réponses robustes.

Nous avons consacré 420 millions à des aides au soutien de la trésorerie des exploitations et nous avons confié la distribution de cette aide aux États membres, plus à même de connaître la situation particulière de leurs agriculteurs. La France bénéficiera ainsi de 63 millions, qu'elle pourra compléter du même montant sur ses crédits propres.

Face à une crise internationale, où le ralentissement du marché chinois touche aussi la Nouvelle-Zélande, l'Australie et l'Amérique du Nord (et pas seulement leurs productions laitières) nous avons proposé une aide au stockage privé plus que doublée, avec une période de stockage d'un an. Cela retire des produits du marché et contribue à améliorer la trésorerie des agriculteurs. La tendance à la hausse des prix à l'international en fait une mesure profitable pour tous.

Il faut expliquer aux agriculteurs que la majorité des États membres n'a pas opté pour une hausse du prix d'intervention, qui crée un débouché artificiel. Pour la viande porcine, les prix ont baissé depuis le début de l'embargo russe ; nous voulons élargir au lard le système de stockage privé. Des quantités importantes de fromage bénéficieront du système. Je suis aussi engagé en faveur de la haute qualité des produits européens : le 1er décembre, une nouvelle politique promotionnelle sera mise en place, avec un budget qui passe de 80 à 110 millions d'euros.

Je comprends vos préoccupations. La Commission a réagi très vite en 2014 avec son aide sur les fruits et légumes, que j'ai décidé de renouveler. Je m'attache aussi à ouvrir des possibilités sur les marchés tiers et recevrai ainsi différentes délégations. J'agis conformément à la politique fixée en 2014 par le Conseil des ministres et le Parlement européen. J'utiliserai tous les instruments à ma disposition.

Selon les dernières statistiques, les exportations agricoles sont en hausse. La France a exporté 21 milliards d'euros de produits agro-alimentaires vers les pays tiers, soit un tiers de ses exportations agricoles. L'agroalimentaire a produit un excédent commercial de 12 milliards. Il est préoccupant que les agriculteurs aient à subir un embargo injuste. Mon collègue Vytenis Andriukaitis fait tout son possible pour y remédier. Nous espérons cependant un changement d'attitude côté russe dans les mois qui viennent.

Nous préparons actuellement un instrument permettant de distribuer des produits laitiers aux réfugiés pour un coût de 30 millions d'euros, mesure exceptionnelle plus que justifiée.

Des propos que la presse m'a attribués ont fait planer le doute sur mon engagement. Ce que j'ai dit, c'est que si vous vendez en dessous de votre coût de production, vous aurez des problèmes sur le marché. Nous travaillons bien sûr sur les prix, mais aussi sur le coût des produits entrants, qui varient d'un pays à l'autre mais aussi d'une région à l'autre. Depuis 2014, le taux de marge de la production laitière a diminué à cause de la baisse des prix, mais devrait augmenter en 2015.

La PAC est orientée vers les marchés, mais aussi vers l'environnement, les aspects sociaux et le patrimoine culturel européen. C'est pourquoi le contribuable européen consacre à cette politique 42 milliards d'euros par an sous la forme d'aides directes, sur lesquels 7,5 milliards ont été reçus par les agriculteurs français. Pour que les agriculteurs ne vendent pas en dessous du coût de production, nous devons renforcer leur position dans la chaîne alimentaire, renforcer le dialogue entre tous les acteurs, comme c'est déjà le cas en Espagne et au Royaume-Uni, où certains supermarchés ont d'ores et déjà augmenté le prix du lait. Le ministre français est dans cette optique ; le président Juncker a reconnu dans son discours sur l'état de l'Union qu'il s'agissait d'une priorité, sur laquelle je travaille avec les commissaires à la concurrence et au marché intérieur, Mmes Vestager et Bienkowska. Le président Juncker a demandé aux États membres de regarder de plus près les structures du marché, en particulier le commerce de détail. La Commission étudiera avec attention leurs propositions qui pourront se traduire dans la législation. Je me félicite que la France travaille sur les relations contractuelles et j'attends les résultats de ces réflexions.

Le Fonds européen pour les investissements stratégiques ou Fonds Juncker a pour but de soutenir les investissements de petites entreprises et pourra relancer des activités de tourisme rural et d'agriculture biologique. Il faudra attirer des investisseurs privés par un système financier adéquat. Le comité de pilotage du fonds compte parmi ses membres le vice-président de la Banque européenne d'investissement qui est très attentif aux questions agricoles.

Nous exportons pour 122 milliards d'euros de produits agro-alimentaires, et importons pour 104 milliards, belle performance en dépit de l'embargo russe. La France est le leader pour l'exportation de beurre, de poudre de lait écrémé et de poudre de lactosérum. Elle contribue aussi à l'excédent grâce à ses produits de qualité. L'agroalimentaire représente beaucoup d'emplois en Europe. Les produits français sont très connus et pourraient l'être davantage. Des négociations sont en cours avec le Japon, le Vietnam et le Mexique. Je serai proactif dans les négociations avec les États-Unis pour protéger les produits de grande qualité, en particulier ceux dont l'origine est protégée. Je crois en un accord bénéfique pour les agriculteurs et la société dans son ensemble ; je n'accepterai l'accord final que s'il est équilibré.

La PAC est trop compliquée ; c'est pourquoi j'ai mis la simplification au coeur de mon action, pour que les agriculteurs puissent développer tout leur potentiel sans le fardeau de procédures trop lourdes. Je souhaite travailler sur le verdissement et le développement rural, la flexibilité et les objectifs écologiques. J'espère vous présenter bientôt des mesures applicables dès 2016.

Je veux que les jeunes européens considèrent l'agriculture comme une carrière convenable. Les jeunes agriculteurs rencontrent des problèmes dans l'accès aux terres et au crédit, à quoi s'ajoute le frein que représente l'attrait de la vie citadine. Seuls 6 % des agriculteurs ont moins de 35 ans en Europe. La France fait beaucoup dans ce domaine, au profit de 7,5 % des agriculteurs. Nous travaillons sur des instruments financiers dans un domaine où les régions françaises sont à la pointe, comme le Languedoc-Roussillon. La Banque européenne d'investissement (BEI) travaille ainsi avec des banques comme le Crédit agricole, qui finance les installations pour 200 millions d'euros.

Les Français ont joué un rôle très important dans la création et le développement de la PAC. N'oublions pas sa mission historique : assurer aux citoyens européens une alimentation de qualité sûre, produite de manière durable, tout en garantissant un niveau de vie suffisant pour les agriculteurs. Ces principes ne doivent pas être balayés. La fourniture d'une nourriture de haute qualité et traçable est un bien commun dont dépendent les 47 millions d'emplois liés à l'agriculture dans l'Union européenne. L'agriculture nourrit le monde ; nous devons faire en sorte qu'elle prospère au XXIème siècle.

M. Daniel Gremillet. - Merci d'accepter d'échanger avec nous. Les agriculteurs sont un peu perdus dans la dérive de l'Union européenne vers une gestion administrative tatillonne. Sur les surfaces d'intérêt écologique, demander le détail des parcelles est excessif. L'identification des animaux pour la traçabilité des bovins ou ovins aussi. Si nous en croyons les interprétations des juristes, un bovin non bouclé n'a plus à être sur la chaîne alimentaire ! Il me semble préférable d'appliquer une obligation de résultat : l'agriculteur doit être capable de déterminer le père et la mère de l'animal, et non l'envoyer à l'équarrissage s'il a arraché sa boucle. La France a des surfaces de prairie importantes. Considérer qu'il s'agit d'une prairie naturelle si elle existe depuis plus de cinq ans est excessif : la luzerne, le dactyle peuvent perdurer pendant dix ans, c'est bon pour l'agriculture et c'est bon pour la planète !

Je ne pleure pas sur la fin des quotas laitiers ; mais nous devons reconnaître que cette régulation des cours a été abandonnée sans anticipation de la suite... Vous ne voulez pas augmenter le prix d'intervention ; mais aujourd'hui, le prix de marché du lait ne permet pas à un homme ou à une femme de vivre de son travail. Or l'article 34 du traité de Rome grave dans le marbre l'objectif de « garantir un revenu équitable aux agriculteurs ». Sans vouloir revenir aux anciens schémas - produire pour stocker - je constate une absence d'anticipation.

Je ne suis pas d'accord avec vous sur l'embargo russe. Les agriculteurs ont été piégés par une situation qui dure, et que vous ne pouvez pas gérer de manière provisoire.

Les quotas betteraviers seront abandonnés en 2017 ; que pensez-vous du régime dérogatoire envisagé ? La France a su jusqu'à présent garder sa performance économique en même temps qu'une grande diversité de races animales. Pourrons-nous y parvenir longtemps ? Prendrez-vous des initiatives à ce sujet ?

M. Claude Kern. - Quid du refus d'apurement des comptes de la PAC ? La Commission a jugé insuffisante la précision géographique appliquée par la France, qui devra ainsi payer 1 milliard d'euros au titre du refus d'apurement. N'est-ce pas exagéré de demander une précision militaire à 50 centimètres près, pour une Commission qui s'engage pour la simplification ?

M. Yannick Vaugrenard. - La confiance du consommateur est fondamentale ; il serait donc utile de renforcer les exigences de traçabilité des produits, aussi pour résoudre des problèmes de concurrence déloyale. Je note votre volonté de simplification de la PAC et des normes : les agriculteurs croulent sous la paperasse. L'Europe souffre d'une technocratie pointilleuse et les citoyens européens ne savent pas toujours que la Commission a un rôle de proposition, non de décision.

M. André Gattolin. - Dans un rapport du 30 septembre dernier, l'ONG Genetic Ressources Action International (Grain) dénonce la mainmise de l'agro-business et des producteurs d'engrais dans la promotion de « l'agriculture intelligente », que vous défendez, alors qu'elle représente un défi, voire un facteur potentiel d'aggravation du changement climatique. Le méthane et l'oxyde d'azote issus des engrais et de l'élevage produisent un effet de serre bien plus grave que le CO2. Une lettre ouverte de 355 ONG du 21 septembre dernier a exprimé cette préoccupation. Le semencier controversé Monsanto prône lui aussi une agriculture intelligente, mais quels sont les contours de ce concept ? Quelle est sa cohérence avec les objectifs européens pour la COP21 ?

M. Martial Bourquin. - Nous avons entendu votre conception d'une PAC idéale. Nous pouvons constater une détresse profonde des paysans, des producteurs, qui se traduit par un taux de suicide important. Ils sont très investis dans leurs exploitations et doivent vendre à perte. Nous sénateurs, parlementaires de terrain, devons vous dire ce qu'ils vivent. Dans les jours, les mois qui viennent, nous pourrions perdre des milliers d'exploitations. C'est l'indépendance alimentaire qui est en jeu. La PAC doit prendre en compte ses objectifs, mais aussi la situation actuelle. La hausse des prix du lait serait un secours immédiat. Laisser faire le marché est-il possible ?

Les distorsions de concurrence provoquées à nos frontières par des travailleurs détachés qui ne sont pas régis par les mêmes conditions fiscales et sociales que les Français posent un problème à l'agriculture. L'Europe compte-elle agir pour une concurrence plus loyale, voire une harmonisation ? Le traité transatlantique porte en germe des dangers pour l'agriculture européenne ; êtes-vous prêts à défendre l'intérêt européen ? Le droit européen l'emportera-t-il sur l'arbitrage, qui a déjà prévalu dans d'autres traités ?

M. François Marc. - Merci de votre clarté, monsieur le Commissaire, ainsi que pour vos engagements en faveur de la défense de l'agriculture familiale et des jeunes agriculteurs. Les revenus des producteurs laitiers sont un sujet majeur en France. De nombreux agriculteurs en Bretagne me disent que leur courant de pensée n'était pas très favorable aux quotas il y a quelques années, mais que leur point de vue a changé devant les effets pervers de leur suppression, qui les ont rendus partisans de la régulation. Les mesures prises - je songe au stockage - sont conjoncturelles. La hausse des prix d'intervention n'a pas été retenue : est-ce parce qu'elle aurait coûté trop cher ? Certains producteurs pensent que les raisons de principe l'ont emporté, le modèle libéral s'accommodant difficilement d'une telle option.

Stéphane Le Foll est à Moscou aujourd'hui. Depuis février 2014, l'embargo semble avoir suscité chez les Russes une ambition d'installer une production porcine menant à l'autosuffisance. Recherchez-vous des débouchés alternatifs ? Cela serait indispensable pour préserver un prix suffisant.

M. Joël Labbé. - Je suis sans doute minoritaire ici, mais je défends, comme une partie de l'opinion publique, une agriculture familiale et paysanne, qui représente 50 % des emplois dans le monde. La fuite en avant de l'agriculture industrielle met à mal les économies du Sud. Les accords de partenariat avec l'Afrique de l'Ouest provoquent une concurrence déloyale entre nos produits subventionnés et la production des éleveurs locaux, sans compter les barrière non tarifaires que représentent nos normes. Nous mettons en péril l'agriculture africaine ! Quant au traité transatlantique, il permettra aussi un gigantesque dumping.

M. Michel Raison. - Vous comprenez les agriculteurs dans leur diversité, tant mieux. Je ne regrette pas les quotas, ni les systèmes d'intervention antérieurs, qui étaient excessifs ; mais le peu qui reste de régulation n'est-il pas, à l'inverse, notoirement insuffisant ? Vous parlez de mesures sur le fromage et le gras. Ne pourrait-on pas imaginer un système intermédiaire de régulation, en particulier sur le lait ? Les discussions avec les transformateurs et les distributeurs sont utiles, mais ne suffisent pas, car ils ne font pas le prix international. Vous dites qu'il aurait été mauvais d'augmenter le prix d'intervention ; or, dans le règlement OCM, il est écrit que ce prix est déterminé en tenant compte de critères objectifs, coûts de production, prix de marché,... Dès lors que le prix actuel est en dessous du coût de production, la Commission est-elle susceptible de changer d'avis ? Ou bien s'agit-il d'une position de principe - auquel cas, autant dire tout de suite que le règlement ne sert à rien !

Vous avez souligné l'importance du développement rural. Avez-vous des précisions sur le calendrier des mesures que vous annoncez : arriveront-elles avant la fin de l'année ?

Le monde de l'élevage doit faire face à une maladie, la fièvre catarrhale ovine (FCO) ou maladie de la langue bleue, jadis exotique, aujourd'hui, hélas, banale. Or elle est classée parmi les maladies réglementées, ce qui implique des procédures très rigoureuses et des conséquences très négatives. Compte tenu des risques sanitaires limités - la viande est parfaitement consommable et la maladie ne se transmet pas à l'homme -, ne pourrait-on pas la déclasser en simple maladie animale ?

M. Bruno Sido. - Concernant les quotas betteraviers, deux directions de la Commission semblent avoir des interprétations différentes et gagneraient à s'entendre : l'une considère que la négociation doit avoir lieu au niveau de petits groupes de planteurs de betteraves et d'une sucrerie, quand l'autre considère qu'elle doit être faite entre des représentants globaux des deux acteurs.

M. Gérard César. - Les agriculteurs et les éleveurs sont des entrepreneurs soumis aux aléas climatiques, au risque d'épizooties animales... Peut-on envisager des cofinancements entre l'Union européenne et les États membres ? Une assurance récolte, une assurance revenus, une assurance épizootie animale seraient fort utiles.

M. Jean Bizet, président. - Vous avez évoqué la révision de la PAC à mi-parcours en 2016, ainsi que la simplification. Est-ce à dire que vous comptez aller plus loin dans la simplification à l'occasion du rendez-vous de l'an prochain ? Peut-on espérer que la PAC intègre bientôt une connotation assurantielle, plus que redistributive ?

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - Les programmes européens de développement rural dépassent la simple problématique agricole. Que pouvez-vous nous dire des intentions de la Commission européenne pour soutenir les stratégies de nos territoires ruraux ?

M. Phil Hogan. - Selon vous, les agriculteurs seraient un peu perdus. Je ne le crois pas ! Ils ont des problèmes, oui, et ils les gèrent intelligemment. Il y a eu dans la période récente pour les producteurs de lait deux bonnes années durant lesquelles on ne les a pas entendus. Aujourd'hui ils s'expriment, je les comprends. La cause des difficultés, cependant, n'est pas à chercher dans la politique mise en place au 1er janvier 2015. Les exploitants ont produit 5 % de lait en plus en 2014 - pas la France, qui a bien tenu son marché, mais d'autres pays...

Mme Anne-Catherine Loisier. - C'est là tout le problème.

M. Phil Hogan. - La décision de supprimer les quotas a été prise en 1998, confirmée en 2003, comme en 2008 sous présidence française, puis à nouveau lors de la réforme de la PAC en 2013. Je mets en oeuvre les politiques décidées par le Conseil et le Parlement...

Le filet de sécurité, ce sont les 42 milliards d'euros versés chaque année aux agriculteurs en aides directes ; et les 3 centimes par litre en compensation de l'abandon du recours au prix d'intervention, ainsi que décidé il y a cinq ans. Ne faudrait-il pas rendre les 3 centimes, si l'on décidait de relever le prix d'intervention ? À cela s'ajoutent les 820 millions d'euros attribués aux États membres - charge à eux de les répartir comme ils le souhaitent - via le fonds de gestion rurale.

Cela ne m'empêche pas de négocier avec la BEI pour modifier les programmes de développement rural, dégager des crédits supplémentaires à des taux plus intéressants, restructurer les marchés laitiers, améliorer le marketing et le verdissement. J'espère parvenir à des accords d'ici le printemps 2016, afin de donner aux agriculteurs plus de visibilité sur la durée et le coût des prêts ainsi que sur la volatilité des prix.

L'embargo est une décision politique. Qui a décidé d'entrer en Ukraine ? Pas moi, mais M. Poutine ! Nous, Européens, avons choisi la solidarité avec l'Ukraine. Je soutiens depuis le premier jour l'idée d'aides pour les fruits et légumes et j'ai organisé les conditions du stockage privé pour la viande porcine, je l'ai dit. Cela ne s'est hélas pas encore traduit par une augmentation des prix, mais un nouveau programme est prêt. Une telle mesure a l'avantage de l'immédiateté, contrairement aux décisions du Conseil des ministres. J'ai travaillé aussi sur les aides à la trésorerie, l'abondement des aides ciblées.

Un groupe de travail sur la betterave a été constitué, réunissant des représentants des États membres concernés, pour anticiper les problèmes qui apparaîtront lorsque les quotas seront supprimés : nous visons un atterrissage en douceur.

M. Bizet me pose une question technique sur la viande bovine : j'étudierai comment pourraient être modifiés les textes pour prendre en compte sa préoccupation.

Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : jamais je n'ai prétendu que le mécanisme du prix d'intervention était plus coûteux que d'autres mesures. J'affirme, en revanche, que ses conséquences économiques sont lourdes pour les fermiers eux-mêmes. L'aide au stockage privé, qui allègera le marché de 200 000 tonnes l'an prochain, me paraît plus utile.

S'il n'y a pas de soutien, au sein du conseil des ministres, aux mesures que vous proposez, je n'y peux rien ! Je suis bien obligé de prendre en compte le rapport des forces qui s'y dégage.

Il m'est difficile d'entendre que la situation actuelle menace 20 % des producteurs de lait : pour la France, 63 millions d'euros ont été débloqués, que votre gouvernement peut abonder à concurrence du même montant. En 2009-2010, nous avons connu une crise du lait : le prix de revient au litre était alors de 28,7 centimes en France, et le nombre de producteurs a reculé de 5,9 %, pas de 20 %. En 2013-2014, malgré un prix record de 36,4 centimes, vous avez perdu 3,7 % de vos producteurs. D'autres facteurs sont en jeu, par exemple les départs à la retraite. Du reste, c'est moins le prix moyen pour la France qu'il faut considérer, que le prix dans chaque région, car il varie entre 20 et 30 centimes. En Normandie, il est de 22 centimes. C'est pourquoi nous avons voulu plus de flexibilité, afin que les États membres tiennent compte de la diversité des situations.

S'agissant des pénalités de 1,1 milliard d'euros au titre du refus d'apurement, la seule marge de manoeuvre dont je disposais était le rééchelonnement, pour la France comme pour les autres pays sanctionnés.

La simplification est ma grande priorité, car tout le monde se plaint de la bureaucratie et je partage ces critiques. Il me tient à coeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger l'argent des contribuables. Je ferai une annonce à ce sujet prochainement.

Je ne crois pas être naïf sur le traité transatlantique. Je remarque que l'Union européenne n'est pas toujours considérée comme un partenaire égal par les États-Unis, or, l'Europe n'est pas l'un de leurs territoires périphériques... Nous entendons être respectés. Je participe aux négociations puisque l'agriculture en est une partie importante. Des avancées ont été marquées ces derniers jours. Toute notre attention vise à protéger les standards alimentaires, environnementaux, etc.

Quant à la sécurité alimentaire, l'important est de décider quels sont nos objectifs, sachant que la population mondiale va augmenter de 30 % en quarante ans. Pour nourrir tout le monde durablement, il faut se préoccuper dès aujourd'hui des ressources en eau, de la fertilité des sols, des manières de produire plus avec moins. J'ai été ministre de l'environnement, je suis bien au fait de ces enjeux.

L'agriculture intelligente exigera une pratique génomique dans l'élevage bovin, pour réduire les émissions de CO2 des animaux. Le marché l'exigera, que cela plaise ou non aux éleveurs.

La forêt est-elle partie intégrante de l'agriculture, ou en est-elle séparée ? Ce point n'a pas encore été réglé au sein de la Commission, il faut l'avouer.

Je veux dire également à M. Bourquin que nous mettons à disposition des régions qui souffrent tous les outils dont nous disposons, et que nous leur portons une grande attention. Tout programme de développement rural peut être modifié rapidement - chaque année. Ceux concernant la France seront terminés fin novembre, ils prennent en compte la biodiversité, la bioéconomie, et je précise que 50 % des fonds seront consacrés aux investissements hors exploitations : les sommes iront donc aux communautés rurales.

Vous dites que les paysans que vous rencontrez sont inquiets ; je les rencontre moi aussi ! Je ne peux laisser dire que nous perdons des millions d'exploitations, quand l'Union européenne verse 300 euros par vache aux éleveurs. « Faire plus » demandent certains : mais que faire de plus ?

Sur la main d'oeuvre et la mobilité, nous travaillons avec les Allemands, et Marianne Thyssen, la Commissaire européenne en charge de l'emploi, aura des choses à vous dire prochainement.

La France était hostile aux quotas laitiers il y a trente ans. Aujourd'hui elle est pour. Je relève une certaine incohérence. Certes, tout le monde a le droit de changer d'avis... En ce qui me concerne, je défends un modèle d'exploitation familiale et mes efforts visent à trouver des marchés de substitution, car tout million d'euros d'exportations supplémentaires se traduit par des emplois supplémentaires dans les fermes.

Enfin, un groupe de travail a été constitué pour étudier les aspects financiers des marchés agricoles. Il formulera ses propositions d'ici un an.

La fièvre catarrhale ovine n'entre pas dans mes attributions. Je ne puis donc guère vous apporter de réponse...

M. Michel Raison. - Nous vous demandons une réponse, mais surtout, une réponse satisfaisante !

M. Phil Hogan. - Je transmettrai à qui de droit votre question. De même les plafonds d'émissions relèvent du Commissaire à l'environnement. Un dernier mot pour vous assurer que je n'attends pas la révision à mi-parcours de la PAC pour m'atteler à la simplification.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - Vous souhaitiez rencontrer des parlementaires lors de votre déplacement en France ; à cause d'un problème d'agenda, vous n'avez pas vu les députés. Mais les sénateurs vous remercient de toutes les informations données. Je retiens que vous avez deux chantiers prioritaires, la simplification et le financement des investissements.

M. Jean Bizet, président. - Vous avez décidé de créer une task force composée de six hauts fonctionnaires, dont un français, pour étudier les produits financiers innovants, les instruments à terme, qui pourraient aider à gérer la volatilité. Elle réfléchira aussi à une meilleure répartition de la valeur ajoutée dans la filière. Elle rendra ses conclusions fin 2016. Nos deux commissions mettent la dernière main à une proposition de loi qui comprendra des propositions financières allant dans le même sens. Il est temps de donner aux agriculteurs une garantie de revenus, quels que soient les aléas climatiques, sanitaires, géopolitiques. Quant à la simplification, elle est indissociable de la rationalisation d'une PAC dont le modèle a fini par s'épuiser. Il est dommage, quand on verse 45 milliards d'euros par an, de susciter autant de mécontentements. Raison de plus pour revoir notre approche...

Nos deux commissions ont aussi créé un groupe de suivi des négociations transatlantiques. Le Sénat français n'a pas une position de refus, il est très ouvert et surtout, il souhaite que l'Union européenne soit très offensive. Il serait temps que l'agriculture cesse d'être la variable d'ajustement des négociations multilatérales ! Le temps économique est plus rapide que le temps politique, la PAC n'est plus suffisamment réactive. Il faut y réfléchir.

Monsieur le Commissaire, nous vous ferons parvenir par écrit les questions techniques auxquelles nous attendons réponse, et vous remercions de ces échanges.

La réunion est levée à 11 h 50.