Mercredi 7 octobre 2015

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Questions diverses

Mme Michèle André, présidente. - Le projet de loi de finances pour 2016 nous a été présenté il y a une semaine et Roger Karoutchi est déjà en situation de rapporter sur la mission « Immigration, asile et intégration » dont il est rapporteur spécial. Avant de lui céder la parole, je voudrais vous rappeler que l'article 23 bis du règlement du Sénat relatif à la participation des sénateurs aux travaux du Sénat est en vigueur depuis le 1er octobre et que la présence des sénateurs aux réunions législatives du mercredi matin est prise en compte pour son application. Puisque nous sommes mercredi matin et que le rapport de Roger Karoutchi s'inscrit dans le cadre de nos travaux législatifs, cette réunion relève de l'application de l'article 23 bis. C'est pour cette raison que, dans la convocation que vous avez reçue, le rapport de Roger Karoutchi était signalé par un double encadré, qui désormais signalera les réunions relevant de l'article 23 bis.

Loi de finances pour 2016 - Mission « Immigration, asile et intégration » - Examen du rapport de M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Je vous annonce tout de suite que je demanderai de réserver notre position sur les crédits de cette mission. En effet, le Gouvernement a annoncé qu'il abonderait la politique d'immigration de 279 millions d'euros en 2016, mais nous n'avons aucune idée de leur répartition. D'après les informations orales dont nous disposons, 85 millions d'euros seraient fléchés sur les deux programmes 303 et 104 de la présente mission. Dans l'attente de la répartition de ces crédits, dont le montant pourrait représenter plus de 10 % des crédits de la mission, je préfère réserver notre position.

Dans cette mission, il y a quelques points positifs, un nombre certain de points négatifs, et beaucoup d'interrogations.

Parmi les points positifs, je citerai la construction des places en centre d'accueil des demandeurs d'asile. Je l'avais déjà souligné et salué les années passées, il y a là un véritable effort puisque l'on construit entre 3 000 et 4 000 places de CADA par an depuis 2013. Or, je considère que le cadre CADA devrait être le cadre prioritaire d'accueil des demandeurs d'asile, car c'est une structure contrôlée, équipée, accompagnée.

Cependant, il n'en reste pas moins qu'il reste environ 40 % des demandeurs hébergés dans d'autres structures que des CADA - en particulier des centres d'hébergement d'urgence et des hôtels.

Parmi les points négatifs, il reste, comme chaque année, la sous-budgétisation des dispositifs d'hébergement d'urgence et de l'allocation. S'agissant de l'allocation, la dotation inscrite est systématiquement inférieure d'au moins 40 millions d'euros à la dépense constatée de l'année antérieure. Il en va de même, peu ou prou, de l'hébergement d'urgence. En conséquence, il est nécessaire de procéder à des abondements en cours d'année. Ainsi, le budget global de la mission est de 703 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2016, alors que la dépense véritablement constatée en 2014 s'élevait à 770 millions d'euros. Je doute que qui ce soit pense sérieusement qu'il soit possible de dépenser en 2016 moins qu'en 2014 en matière d'accueil des demandeurs d'asile et des migrants. Cette sous-budgétisation systématique est anormale.

L'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dont l'essentiel des ressources provient de taxes affectées dont le montant est stable à 140 millions d'euros, voit sa subvention de l'État augmenter de 4 millions d'euros. Mais ce petit effort est largement insuffisant au regard des nouvelles missions qui sont confiées à l'OFII, en particulier la gestion de la nouvelle allocation pour les demandeurs d'asile. Ainsi, les crédits supplémentaires ne permettront pas de renforcer les actions en matière d'intégration, mais, à titre principal de recruter des effectifs pour ces nouvelles missions. Je rappelle que l'allocation temporaire d'attente (ATA) était gérée par Pôle emploi, et mal gérée, car cette prestation était trop marginale pour Pôle Emploi, qui n'en assurait pas un contrôle adéquat. Comme nous l'avions demandé il y a deux ans, l'allocation a donc été transférée par la réforme de l'asile à l'OFII.

S'agissant de l'apprentissage du français, l'objectif fixé par le Gouvernement est de faire en sorte que le niveau de français exigé des étrangers en situation régulière passe du niveau A1.1, qui était le plus bas d'Europe, au niveau A1, qui reste peu élevé. En Allemagne, le niveau requis est le niveau B1. En outre, pour l'obtention de la carte de séjour pluriannuelle, ce n'est pas l'obtention de ce niveau, avec diplôme à la clé, qui sera requis, mais seulement la preuve de l'assiduité aux cours ! Peut-être est-ce une réflexion d'ancien professeur, mais je trouve que ce n'est pas une méthode sérieuse pour vérifier l'acquisition de la langue française. En outre, il y a très peu de moyens pour les stages d'intégration républicaine. Il ne reste plus, en la matière, qu'un stage d'une demie journée dérisoire, pour ne pas dire surréaliste, au cours de laquelle on présente en quelques heures l'histoire de France et les valeurs de la République à un public qui, pour moitié, ne comprend pas le français.

Nous pouvons être en désaccord sur les conditions d'entrée sur le territoire et sur le nombre d'étrangers accueillis. Mais une fois que ces derniers sont accueillis et quel que soit leur nombre, nous devrions être d'accord pour nous donner collectivement les moyens de les accompagner, de leur permettre de parler français et de les intégrer à la société française. Il n'est pas normal que les réfugiés, à qui la France a accordé sa protection, soient à peine mieux traités et suivis que les demandeurs d'asile déboutés ; c'est pourtant le cas aujourd'hui !

Nous avons eu un débat sur l'accès des demandeurs d'asile au travail : en réalité, ce n'est pas le débat, car qu'ils soient demandeurs d'asile ou réfugiés, l'accès au marché du travail est très compliqué dans la situation économique que nous connaissons. Il faut sortir de l'incantation, donner des droits nouveaux est inutile s'ils ne correspondent pas aux réalités.

De même, je crois que les financements européens devraient également faire partie de cette remise à plat que j'appelle de mes voeux. J'ai rencontré les représentants de certaines associations, qui m'ont indiqué que certaines structures n'avaient toujours pas reçu en 2015 le solde des fonds européens des années 2011 et 2012. Il y a certes des contrôles à réaliser, mais un tel retard, assorti de l'absence de financements de l'État, met les associations dans une situation extrêmement délicate.

Au nombre des interrogations, je tiens à souligner la familiarisation de la nouvelle allocation pour demandeurs d'asile. Nous l'avions souhaité à la commission des finances, car il n'est pas normal que l'allocation d'un demandeur d'asile seul soit équivalente à celle d'un demandeur marié avec deux enfants. Cependant, le Gouvernement a souhaité que cette évolution se fasse à enveloppe constante, si bien que le nouveau barème devrait induire une baisse du montant moyen par allocataire de près de trois euros par jour. Nous avions l'une des allocations pour demandeur d'asile les plus généreuses d'Europe, nous aurons désormais l'une des plus réduites. Sans doute le ministre de l'intérieur souhaite que la réforme se fasse, mais Bercy limite l'enveloppe...

Le Gouvernement a annoncé que la France devrait accueillir, dans le cadre des deux programmes de relocalisation européens annoncés, entre 30 000 et 31 000 demandeurs d'asile supplémentaires entre fin 2015 et fin 2017. Cependant, avec tout le respect que je dois au personnel de l'administration qui établit les prévisions statistiques et budgétaires, l'idée, avancée par le Gouvernement, qu'il entrerait, de façon parfaitement régulière et ordonnée, 1 280 demandeurs d'asile par mois pendant vingt-quatre mois, n'est absolument pas crédible. L'Allemagne, confrontée à des afflux massifs, ne pourra pas lisser le transfert sur vingt-quatre mois.

L'Allemagne aura probablement reçu, d'ici fin 2015, près de 1 200 000 demandeurs d'asile. Elle aurait déjà demandé de nouvelles répartitions européennes pour Noël et pour Pâques prochain. La politique allemande n'est pas pour autant exempte de calcul - à titre d'anecdote, le nouveau directeur de l'équivalent allemand de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) est l'ancien directeur du Pôle Emploi allemand ! Il y avait sans doute une pression du patronat allemand, qui a besoin de main d'oeuvre, mais ce calcul était fait avec un nombre d'arrivées limité à 500 000. Maintenant, l'Allemagne referme les frontières et demande un effort de solidarité de la part de ses partenaires européens.

Sans fixer de quotas, la France s'est engagée à accueillir 19,3 % des demandeurs d'asile concernés. Donc si 100 000 personnes arrivent d'ici la fin de l'année, comment se prépare-t-on à en recevoir plus de 19 000 sur notre territoire ? Le projet de loi de finances pour 2016 ne prévoit rien pour le moment, le budget est construit sans prendre en compte les événements exceptionnels que nous connaissons et en étant d'ores et déjà inférieur à l'exécution 2014... Attendons donc la concrétisation budgétaire des 279 millions d'euros annoncés.

Contrairement à ce que j'ai pu entendre, il y aura davantage de demandeurs d'asile obtenant le statut de réfugié puisque, sur le seul premier semestre 2015, l'OFPRA nous a indiqué que 14 800 statuts de réfugiés avaient été accordés, soit autant que pour l'ensemble de l'année 2014, et que leur prévision s'établissait environ à 25 000 pour l'ensemble de l'année en cours. Or, même si, je le répète, les réfugiés sont « mal traités » dans notre pays, il est vrai qu'ils « coûtent plus cher » que les demandeurs d'asile puisqu'ils peuvent bénéficier d'aides et de prises en charge, comme le revenu de solidarité active (RSA).

Les crédits de la mission se caractérisent donc à la fois par une sous-budgétisation de certains postes, des efforts incontestables, notamment dans la création de places en CADA et d'hébergement d'urgence, une prévision curieuse sur l'allocation puisque la familialisation devrait, me semble-t-il, engendrer une dépense plus élevée, et, enfin, une interrogation sur les moyens supplémentaires alloués pour accompagner le choc migratoire que nous connaissons.

Selon moi, sans tenir compte des charges supplémentaires engendrées pour les collectivités territoriales ainsi que dans les domaines de la police, de la santé et de l'éducation, 350 millions d'euros supplémentaires seront nécessaires pour accueillir le nombre annoncé de réfugiés. Nous aurons le débat avec le Gouvernement qui annonce 279 millions d'euros et attendons de voir comment ils seront répartis.

Voici donc les raisons pour lesquelles je demande la réserve des crédits de la mission. Ce sujet dépasse largement la question de l'opportunité ou non de recevoir ces demandeurs d'asile sur notre territoire : en tout état de cause, il convient de disposer des moyens nécessaires pour accueillir ceux pour lesquels l'État s'est, d'ores et déjà, engagé. Je finirai mon propos en indiquant que l'essentiel des demandeurs d'asile concernés par la répartition européenne obtiennent effectivement le statut de réfugié à l'issue de la procédure, soit à 97 % des demandes de Syriens et 100 % pour les Erythréens par exemple.

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois. - Pour compléter les propos de Roger Karoutchi, j'indiquerai simplement que les orientations des réformes initiées par le Gouvernement peuvent éventuellement être partagées, mais qu'elles ont pour handicap majeur de ne pas bénéficier des moyens financiers nécessaires. Si les crédits ne sont pas inscrits, les mesures prises ne se concrétiseront pas et resteront au niveau de la simple déclaration, éventuellement de la bonne intention.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La sous-budgétisation que nous constatons chaque année prend un relief particulier cette année compte tenu de la crise migratoire. Dispose-t-on d'une évaluation du coût engendré par l'octroi du statut de réfugié en termes de dépenses publiques, en particulier s'agissant du RSA ou de la couverture maladie universelle (CMU) ? L'augmentation du nombre de réfugiés n'a pas qu'un impact sur les crédits de cette mission mais aussi sur les budgets des départements qui assurent le financement du RSA.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je souhaitais poser la même question que le rapporteur général. La sous-budgétisation des crédits est encore plus préoccupante que pour les années passées, compte tenu du choc migratoire. Les préfets doivent gérer les enveloppes et les moyens d'hébergement, mais cela dépend également de l'adaptation du nombre de places CADA. La crise actuelle aurait dû être l'occasion de revoir les moyens alloués à la mission comme nous le réclamons depuis longtemps.

M. Vincent Delahaye. - Le rapporteur spécial estime à 350 millions d'euros les besoins supplémentaires qui seraient nécessaires compte tenu du nombre de réfugiés attendus. Quel est le nombre actuel de réfugiés concernés par le budget actuellement prévu de 703 millions d'euros ? Quel montant serait nécessaire pour accueillir les 31 000 personnes qui arriveront probablement d'ici à la fin de l'année 2017, dans les mêmes conditions que celles prévues dans la mission ?

La sous-budgétisation des crédits de la mission pour une année supplémentaire est regrettable et, plus généralement, je condamne cette tendance désormais répandue et qui porte atteinte à la sincérité budgétaire. Il serait utile que la commission des finances fasse la somme de toutes les sous-budgétisations constatées dans le projet de loi de finances pour 2016. Sauf évolution majeure, il n'y a pas de raison que le montant inscrit en prévision ne soit pas au moins identique à celui constaté en 2014.

Mme Fabienne Keller. - Vous indiquez, monsieur le rapporteur spécial, qu'il devrait être difficile de se limiter à l'accueil de 31 000 réfugiés. Est-il possible d'établir les besoins supplémentaires nécessaires, en retenant des hypothèses moyenne et haute du nombre de réfugiés susceptibles d'être accueillis ?

À l'occasion d'un conseil municipal conjoint entre les villes de Strasbourg et de Kehl, il est apparu qu'en Allemagne, le suivi et la préparation de l'accueil des demandeurs d'asile étaient bien mieux organisés qu'en France, même si cela n'exclut pas qu'ils puissent par ailleurs être débordés. La ville de Strasbourg n'était même pas en mesure de dire combien de personnes elle devrait prendre en charge et dans quelles conditions.

La transformation de places d'hébergement d'urgence en places de CADA n'est certainement pas la meilleure solution puisqu'elle ne fait que reporter le problème alors que tous les hivers nous rencontrons déjà des difficultés en matière d'hébergement d'urgence. On fait les Shadoks !

Enfin, quelle est votre appréciation du montant de 1 000 euros accordé aux communes par nouvelle place créée pour l'accueil de réfugiés ? Cette participation de l'État n'est-elle pas très faible et susceptible de conduire à un nouveau transfert de charges vers les communes, alors qu'en Allemagne, pour donner un ordre de grandeur, le coût total de prise en charge d'une famille de réfugiés est estimé à 13 000 euros ?

M. Maurice Vincent. - Je remercie le rapporteur spécial pour son travail, même si je ne partage pas toutes ses conclusions. Je souhaite souligner le fait que le budget accordé pour cette mission a été construit dans le cadre de la procédure normale, sans tenir compte des événements exceptionnels qui se sont produits au même moment.

Le Président de la République et le Gouvernement ont pris une position particulièrement responsable sur ce dossier, en étant généreux tout en tenant compte de nos capacités d'accueil concrètes, contrairement à d'autres pays comme l'Allemagne. L'accueil significatif de 31 000 réfugiés est gérable pour notre pays, ce qui est essentiel pour que cela se passe dans les meilleures conditions.

Il convient de distinguer l'examen des crédits de la mission tels qu'ils nous sont présentés et les moyens supplémentaires qui seront par la suite inscrits pour répondre aux besoins exceptionnels de la situation migratoire actuelle.

S'il est exact que la mission connaît une sous-budgétisation chronique, je souligne également l'effort significatif proposé par le Gouvernement, avec une hausse de 10 % des crédits par rapport à 2015, soit 70 millions d'euros supplémentaires dans un contexte budgétaire pourtant contraint. Mon avis diverge de celui du rapporteur spécial qui ne constate qu'une augmentation de 20 millions d'euros.

J'observe, par ailleurs, qu'alors que le rapporteur spécial nous invite à augmenter les crédits de la mission, y compris en dehors des événements exceptionnels que nous rencontrons, votre famille politique annonce des économies budgétaires à hauteur de 100 milliards d'euros.

En conclusion, votre rapport est relativement modéré et j'en tire la conclusion inverse à la vôtre. Il convient d'adopter les crédits de la mission, compte tenu de l'augmentation déjà prévue et des annonces du Premier ministre permettant de connaître le complément de moyens prévus pour couvrir les besoins exceptionnels attendus. Nous pourrons ensuite discuter de cette enveloppe supplémentaire de 279 millions d'euros et destinée à répondre à nos engagements pris dans le cadre européen.

M. François Marc. - Le rapporteur spécial a fait une présentation très détaillée de la mission et a proposé de réserver le vote sur ses crédits. Je constate pourtant, en lisant ses principales observations, qu'il est favorable au budget proposé sur de nombreux points et qu'il aurait pu le dire oralement. Vous mentionnez ainsi, dans votre note de présentation, la hausse globale des moyens, qui est loin d'être négligeable, l'augmentation des capacités du parc de CADA pour atteindre 33 000 places, la progression de 20 % des crédits consacrés à l'intégration des étrangers en situation régulière, l'augmentation des moyens dédiés à l'intégration des étrangers qui témoigne, je vous cite, d'une « ambition réelle » et enfin le fait que la création de 500 places en CPH est une « bonne nouvelle ». Je vous interroge donc, monsieur le rapporteur spécial, sur l'opportunité de réserver ces crédits compte tenu de l'ensemble de ces points positifs. Pourquoi ne pas y être favorable dès à présent ?

M. Éric Doligé. - Il a été clairement dit que la France accueillera les deux années prochaines plus de 30 000 migrants. Je souhaiterais que puisse être établie une analyse budgétaire du coût pour les finances publiques des personnes qui entrent en France, par tranche de 10 000 : combien coûte l'accueil de 10 000 migrants supplémentaires et comment sont-ils répartis ? Un président de Conseil départemental m'a expliqué que son préfet lui avait écrit pour lui dire que 111 personnes étaient arrivées dans son département et qu'il devait les faire bénéficier du RSA. À ce stade, les départements estiment au moins à 150 millions d'euros la charge qu'ils auront à supporter en raison de l'afflux des migrants. Visiblement, le Gouvernement, conscient que les sommes à engager seront bien supérieures à celles qu'il a prévues dans son projet de loi de finances, considère qu'elles seront prises en charge par les départements ou les communes.

M. Serge Dassault. - Comme l'a dit Roger Karoutchi, il n'y a aucun rapport entre les annonces du Gouvernement et les moyens financiers dont il dispose. J'ajouterai pour ma part que le Gouvernement agit de la sorte de façon systématique et pas seulement sur la question de l'asile ! Il décide des dépenses sans s'occuper des recettes ! Nous ne pouvons pas accueillir tous ces migrants car nous n'avons plus d'argent.

M. Marc Laménie. - L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) va bénéficier d'une augmentation significative de ses emplois à temps plein (ETP). Ces emplois affectés à des tâches administratives ne seraient-ils pas plus nécessaires sur le terrain ?

M. Thierry Carcenac. - Dans le cadre de cette mission, je ne vois pas comment nous pourrions être hostiles à l'accueil d'un certain nombre de migrants sans donner l'image d'une Europe anachronique. Le Gouvernement a annoncé 279 millions d'euros de moyens supplémentaires et il serait souhaitable de disposer d'une vraie consolidation budgétaire afin que nous puissions mesurer les conséquences de l'accueil de ces migrants en matière de RSA, de mineurs étrangers isolés, etc.

M. Philippe Dallier. - La mission dont nous débattons aujourd'hui est corrélée à la mission « Égalité des territoires et logement », puisque nous savons bien qu'il existe un phénomène de vases communicants entre les deux sujets. Je suis convaincu que la sous-budgétisation pour ces deux missions atteint au moins 500 millions d'euros. Ce chiffre est à rapprocher du milliard d'euros de réduction du déficit budgétaire...

Concernant la mission dont je suis les crédits, l'un des objectifs de la ministre était de réduire le nombre de nuitées hôtelières. On voit tout de suite qu'elle pourra difficilement y parvenir dans le contexte que Roger Karoutchi nous a décrit. A-t-il étudié cet aspect des choses, dans la mesure où l'on imagine bien que les gens se logent comme ils le peuvent lorsque les CADA sont pleins ?

Mme Marie-France Beaufils. - Depuis des décennies, la France compte trop peu de places pour accueillir les migrants. Je m'interroge sur les nouvelles places dans les CADA et j'aurais aimé savoir si l'on savait comment elles seront réparties sur le territoire national. S'agit-il réellement de nouvelles places ou seront-elles reconverties au détriment des hébergements pour les personnes sans domicile fixe ?

J'appuie totalement la remarque du rapporteur sur la nécessité de renforcer l'apprentissage du français pour les migrants. Pour avoir accueilli depuis des années des demandeurs d'asile dans ma commune, j'ai pu mesurer la fragilité de cet accompagnement. En revanche, contrairement à ce que j'ai pu entendre, ma commune n'a jamais bénéficié d'aides pour les enfants migrants scolarisés dans ses écoles.

M. François Patriat. - Roger Karoutchi n'a pas mentionné dans son rapport le rôle des collectivités territoriales dans l'accueil des migrants. Aussi bien les communes que certains départements et régions s'impliquent dans plusieurs domaines : l'accueil, les cours de langue.

Une commune de 1 500 habitants de ma région accueille ainsi 70 migrants, pour la plupart Erythréens. Il existe une vraie mobilisation pour accompagner ces personnes dans leurs démarches et dans leur apprentissage de la langue française en dépit des réticences d'une partie de la population.

Et je ne peux pas passer sous silence l'action de certaines régions, comme ma région Bourgogne Franche Comté qui double aujourd'hui l'action de l'Etat, avec tout un accompagnement et une prise en charge dans les lycées pour la formation et l'insertion.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Je veux tout de suite rassurer François Marc : ma réserve vise à attendre la répartition précise des annonces, mais elle s'oriente plutôt vers un vote négatif. Un budget doit être adapté aux réalités. Vous me dites que le budget de cette mission est en augmentation par rapport aux budgets précédents. Mais la situation a complètement changé cette année et nous le savons depuis le mois de juin lorsqu'a eu lieu la première répartition européenne, dont nous pouvions nous douter qu'elle ne serait pas la dernière. J'attends les 279 millions d'euros et leur répartition pour savoir exactement ce qu'il en est, mais cela fait des années que nous signalons que cette mission est sous-budgétée. Je ne suis pas hostile à l'idée que notre politique d'accueil des étrangers soit dynamique, encore faut-il y mettre les moyens !

Le Gouvernement a évoqué 279 millions d'euros supplémentaires. L'Allemagne avait prévu dans le budget 2016 des moyens en très nette augmentation par rapport à 2015 et, avec l'afflux des migrants, a préparé un plan avec 6 à 7 milliards d'euros de plus par rapport à ses prévisions initiales ! L'équivalent allemand de l'Ofpra va recruter 2 000 personnes alors que l'Ofpra ne comptera que 540 employés en 2016, même avec les augmentations de poste. Le directeur de l'Ofpra, que j'ai entendu, m'a dit qu'il était satisfait des créations de postes dont il bénéficiera, pourvu qu'il n'ait pas à accueillir d'étrangers supplémentaires. S'il en recevait 31 000 de plus, il aurait besoin de 50 à 100 postes immédiatement. Sont-ils comptabilisés dans les 279 millions d'euros ? Je ne sais pas. En tout état de cause, il m'a rappelé que, même si le Parlement voulait que le traitement des demandes d'asile soit effectué en 90 jours au maximum, le chiffre réel s'établissait à 200 jours en juin 2015. Les 90 jours ne pourraient être atteints qu'à la condition de ne pas recevoir d'étrangers supplémentaires ou en bénéficiant de 100 nouveaux postes pour accueillir 31 000 migrants de plus.

Je voudrais ajouter que le chiffre de 31 000 n'est d'ailleurs pas du tout crédible, ne serait-ce que parce que ces migrants bénéficieront ensuite du droit au regroupement familial. En outre, l'afflux de migrants va se poursuivre dans les années à venir...

Puisque l'on sait ce qui va se passer, pourquoi ne pas en tirer les conséquences financières dans le projet de loi de finances ? Le rythme de création de nouvelles places en CADA est très inférieur à l'augmentation du nombre de migrants sur notre territoire ! Il n'y a pas d'efforts en matière d'apprentissage du français, en matière d'intégration, le regroupement familial est passé sous silence...

Indéniablement, beaucoup de vous l'ont dit, la charge du RSA pèsera sur les départements. Pour 15 000 réfugiés, la charge annuelle du RSA représente 80 millions d'euros pour les départements. Si on en accueille 31 000, cela signifie 160 millions d'euros de charges RSA ! Les associations aussi sont très inquiètes : il faut un véritable accompagnement social des réfugiés.

Un plan d'ensemble réunissant tous les acteurs et répartissant clairement les rôles est indispensable. Je suis pour ma part favorable à un véritable plan CADA, lieu qui permet un accompagnement approprié. Au total, fin 2017, on aura 33 000 places de CADA : mais si on a les 65 000 demandeurs d'asile classique et 31 000 demandeurs supplémentaires, ce sera complétement insuffisant.

En conclusion, pour répondre à François Marc, s'il n'y avait pas de crise en Europe je vous dirais que ce budget va dans le bon sens, même s'il est sous-budgété. Mais nous allons subir les conséquences de la crise migratoire et il faudra mettre en place un plan pluriannuel à la hauteur de la situation, comme l'a fait l'Allemagne.

À l'issue de ce débat, la commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Dépenses fiscales relatives à la préservation du patrimoine historique bâti - Contrôle budgétaire - Communication

Puis la commission entend une communication de M. Vincent Éblé, rapporteur spécial, sur les dépenses fiscales relatives à la préservation du patrimoine historique bâti.

M. Vincent Éblé, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - J'ai souhaité procéder, dans le cadre de notre programme de contrôle, à une analyse des principales niches fiscales relatives au patrimoine historique bâti appartenant à des particuliers.

Ce contrôle poursuit deux objectifs : proposer un état de lieux aussi complet que possible et identifier les points de blocage qui mériteraient d'être examinés afin d'assurer l'efficacité de la dépense publique.

Il m'a semblé d'autant plus nécessaire de mener ce contrôle que la loi de finances rectificative pour 2014, à travers un amendement gouvernemental, a bouleversé de façon imprévue le régime fiscal des monuments historiques. À cette occasion, j'ai pu constater que les données sur les dépenses fiscales étaient rares et souvent obsolètes. En outre, le Gouvernement a procédé à cette réforme sans étude d'impact préalable et sans en chiffrer le coût ou le gain éventuel.

En effet, si l'utilisation des crédits est retracée dans les documents budgétaires de la mission « Culture » avec un niveau de détail satisfaisant, ce n'est pas le cas des dépenses fiscales en faveur du patrimoine monumental des particuliers. Elles n'ont pas été évaluées depuis plusieurs années, malgré des évolutions importantes intervenues depuis 2009.

À titre liminaire, il me semble utile de rappeler quelques éléments de contexte.

Tout d'abord, la France compte plus de 44 000 monuments historiques, qui peuvent être inscrits ou classés - en principe, le classement correspond à un intérêt patrimonial plus important que l'inscription. Mais comme ces deux dispositifs sont assortis de servitudes, le point de vue du propriétaire est pris en compte. Il peut donc arriver que des monuments soient inscrits, et non classés, car le propriétaire n'a pas souhaité accepter les sujétions liées au classement, plus lourdes. Plus de la moitié des monuments historiques, inscrits et classés, est détenue par des personnes privées. Les monuments inscrits sont détenus à 75 % par des personnes privées. Entre classement et inscription, il y a donc un biais du point de vue du statut du propriétaire.

A ces monuments historiques doivent être ajoutées plus de 339 zones dont l'architecture est protégée. Plusieurs dénominations coexistent : il peut s'agir de secteurs sauvegardés prévus par la loi dite « Malraux » de 1962, d'« aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine » ou AVAP, de « quartiers anciens dégradés » (QAD)...

D'un point de vue budgétaire, environ 280 millions d'euros de crédits ont été consacrés au patrimoine monumental par l'État en 2014, auxquels doivent être ajoutés environ 90 millions d'euros de dépenses fiscales en direction des particuliers. Les dépenses fiscales en direction des particuliers et visant à la préservation du patrimoine historique bâti se répartissent en deux grands ensembles : d'une part, le dispositif « Malraux », qui s'élève à 30 millions d'euros, et qui concerne la rénovation à usage d'habitation des centres villes anciens, d'autre part, le régime des monuments historiques dont le coût budgétaire est plus important, à hauteur de 60 millions d'euros, et qui couvre le champ des dépenses d'entretien et de réparation des monuments historiques.

Il faut d'abord noter que ces dépenses fiscales sont prises entre deux exigences contradictoires : d'une part, ce sont des « niches » donc elles sont suspectes. Mais d'un autre côté, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, les collectivités publiques ne sauraient assurer à elles seules la conservation de l'ensemble du patrimoine bâti. Or les financements privés reposent, en grande partie, sur des dispositifs fiscaux incitatifs.

Le caractère équitable de ces « niches » fiscales a également pu donner matière à débat, dans la mesure où, dans l'opinion publique, les propriétaires de bâtiments historiques sont considérés comme des contribuables aisés - et ils le sont pour la plupart, mais à toute règle existent des exceptions. Il me semble pour ma part que ces dépenses fiscales peuvent se justifier au regard des sujétions particulières auxquelles sont soumis les propriétaires de monuments protégés. L'action des personnes privées en matière patrimoniale est en effet encadrée et contrôlée, ce qui me paraît normal et nécessaire. Mais à ce contrôle doit être adjoint un soutien : en incitant à la dépense privée, le régime des monuments historiques permet d'assurer un entretien régulier des monuments historiques et ainsi d'éviter une coûteuse intervention de l'État sur un monument délabré qui aurait souffert d'un défaut d'entretien. De même, le régime dit « Malraux » permet à des propriétaires privés d'engager des rénovations complètes d'immeubles d'habitation dans des centres villes anciens, malgré les surcoûts découlant de la qualité des immeubles et de leur vétusté initiale.

Outre leur rôle essentiel de témoins du passé, la présence de nombreux monuments historiques et plus largement la qualité architecturale de nos villes contribuent tant à la qualité de vie des Français qu'à l'attraction internationale de notre pays - si la France se trouve être la première destination touristique mondiale, c'est aussi grâce à la richesse culturelle de ses territoires. La gestion de sites et monuments historiques constitue d'ailleurs le secteur le plus important et le plus dynamique de l'économie du patrimoine.

Sans rentrer dans le détail du fonctionnement de chacun de ces régimes, quelques éléments doivent être précisés.

Le régime des monuments historiques concerne, comme son nom l'indique, les monuments protégés - inscrits ou classés. Il est, en principe, réservé aux immeubles détenus de façon directe. Les copropriétés et SCI en sont donc a priori exclues, à moins qu'elles ne reçoivent un agrément délivré par le ministère du budget. Cet agrément peut être délivré sous deux conditions. Avant le 1er janvier 2015, ces deux conditions tenaient à l'intérêt patrimonial du monument et à la nature des charges des d'entretien. Depuis le 1er janvier 2015, l'immeuble doit être classé et affecté à 75 % à l'habitation. Les monuments historiques inscrits détenus par une copropriété ou une SCI ont donc été exclus du dispositif par la réforme de 2014, au motif qu'ils ne présentent pas un intérêt patrimonial suffisant. Cela me semble méconnaître la réalité du terrain ; j'y reviendrai.

Sous certaines conditions, les propriétaires peuvent déduire les charges et déficits fonciers de leurs revenus fonciers ou de leur revenu global. Les charges foncières sont par exemple constituées des dépenses de réparation et d'entretien, des frais de gestion, des intérêts d'emprunt... Cette réduction de l'assiette n'est pas limitée par un plafond. L'éventuel déficit foncier qui résulte de la différence entre revenu foncier et charges foncières peut être déduit du revenu global si l'immeuble donne lieu à la perception de recettes. La détermination exacte des charges foncières prises en compte et du revenu dont elles sont déduites dépend de nombreuses caractéristiques, en particulier de l'ouverture au public.

La logique du régime Malraux est un peu différente : il ne s'agit pas d'une déduction de certaines dépenses de l'assiette mais d'une réduction d'impôt sur le revenu. À l'intérieur de certaines zones géographiques, les propriétaires qui assurent la rénovation complète d'un immeuble à usage d'habitation peuvent déduire de leur impôt un certain pourcentage des dépenses exposées sous plusieurs conditions.

Les propriétaires doivent notamment s'engager à louer le bien pendant neuf années consécutives à la suite de l'achèvement des travaux. La réduction d'impôt fait l'objet d'un plafonnement à hauteur de 100 000 euros.

Notre analyse fait ressortir plusieurs observations.

De façon générale, le régime « Malraux » et celui des monuments historiques sont marqués par une relative complexité. Celle-ci s'explique en partie par un phénomène de « sédimentation » législative : année après année, des contraintes supplémentaires sont apparues pour limiter les cas d'optimisation fiscale en même temps que des dispositifs nouveaux voyaient le jour. La simplification de ces dispositifs me semble souhaitable et nécessaire : elle suppose un travail d'évaluation rigoureux, qui n'est, pour l'heure, pas conduit. Celui-ci ne pourra pas être mené en l'absence de données fiables et exige à son tour que le suivi de ces dépenses fiscales soit affiné. À l'échelle nationale, aujourd'hui, ni le ministère de la culture, ni celui du budget ne sont capables d'indiquer les niveaux de dépense publique et de dépense fiscale consenties en faveur des monuments historiques inscrits d'une part, classés d'autre part, détenus par des propriétaires privés. L'absence d'une telle donnée - pourtant fondamentale - est d'autant moins acceptable que les dépenses fiscales relatives aux monuments historiques et à la restauration immobilière représentent actuellement presque un cinquième du total des dépenses fiscales de la mission « Culture ». En vue d'une meilleure maîtrise de la dépense publique, il me paraît indispensable que le Parlement bénéficie d'une information complète sur ces sujets.

L'analyse du régime des monuments historiques me conduit à formuler trois remarques. Première remarque : ce régime présente aujourd'hui certaines incohérences. En particulier, la définition de l'ouverture au public, qui date des années 1960, demeure marquée par plusieurs archaïsmes. À titre d'exemples, la période hivernale, les visites scolaires ou encore l'organisation d'événements exceptionnels se trouvent exclues de cette définition. Aujourd'hui, beaucoup de manifestations culturelles et d'animations territoriales permettent d'accéder à un monument sans qu'il soit, au sens strict et classique du terme, ouvert à la visite payante. C'est une façon de partager un monument que de l'ouvrir pour un évènement exceptionnel, autour d'un salon d'antiquités, d'un rassemblement de véhicules anciens, ou même d'une compétition de sport dans le parc d'un château, par exemple. Il me paraît donc nécessaire de moderniser la définition de l'ouverture au public, par exemple en l'annualisant.

Au-delà de réformes techniques, il s'agit de clarifier les objectifs de la dépense fiscale en faveur des monuments historiques car la dépense fiscale a la double vocation d'encourager l'entretien, par la personne privée, du monument qu'elle détient mais aussi de permettre des retombées du point de vue de l'économie touristique de proximité. Ne cherche-t-on qu'à promouvoir l'ouverture à la visite ou s'agit-il au contraire de lier politique patrimoniale et politique du logement, comme en témoigne la réforme intervenue en loi de finances rectificative et prévoyant la délivrance d'un agrément uniquement pour les monuments affectés pour au moins 75 % à l'habitation ? Se pose également la question de savoir si la valorisation économique est, ou non, prise en compte.

Pour ma part, je ne peux que constater à quel point les visites culturelles sont concentrées sur quelques monuments. Il me semble qu'un gîte ou une chambre d'hôtes bien gérés, et aménagés dans le respect de l'histoire des lieux, peuvent attirer un public parfois plus large et produire davantage de bénéfices économiques et de retombées touristiques pour le territoire qu'une ouverture quelques semaines par an. Si la question de l'élargissement des objectifs de la dépense fiscale en matière de monuments historiques ne saurait recevoir de réponse facile, son examen doit au moins être ouvert.

Deuxième remarque : l'existence de deux agréments distincts pourtant délivrés par la même administration et sous les mêmes conditions constitue une lourdeur inutile qui pourrait être simplement évitée.

En effet, comme je l'ai expliqué, une société civile immobilière (SCI) ou une copropriété souhaitant bénéficier du régime fiscal dérogatoire propre aux monuments historiques doit obtenir un agrément délivré par le ministère du budget. Les conditions de délivrance sont les mêmes dans les deux cas : arrêté de classement au titre des monuments historiques au moins douze mois avant la demande d'agrément et affectation à l'habitation pour au moins 75 % des surfaces habitables portées à la connaissance de l'administration fiscale.

Mais, comme ces conditions sont distribuées à deux alinéas différents du même article du code général des impôts, l'administration fiscale a déduit qu'en cas de changement de régime de division du bâtiment, un nouvel agrément doit être accordé par le ministère du budget. Cette situation conduit à une perte de temps, tant pour l'administration fiscale que pour les personnes ayant entrepris les travaux, qui se voient alors contraintes de les interrompre dans l'attente d'un nouvel agrément.

Pour remédier à cette inutile complexité, je vous propose de créer un agrément unique, qui réunirait celui destiné aux sociétés civiles immobilières (SCI) et celui destiné aux copropriétés. De cette façon, un changement de régime de division de la propriété n'entraverait pas la poursuite de travaux de rénovation déjà entamés.

Troisième remarque : il est urgent que les monuments inscrits, détenus sous forme de copropriété ou de société civile immobilière (SCI), puissent à nouveau bénéficier du régime fiscal des monuments historiques et que les conditions de délivrance de l'agrément soient repensées.

Les monuments inscrits détenus sous ces formes ont en effet été exclus de l'agrément ministériel à l'occasion de la loi de finances rectificative pour 2014. Comme je l'ai déjà souligné, aucune étude d'impact préalable n'a été réalisée. Cette exclusion se fonde sur l'idée que seuls les monuments classés présenteraient un intérêt patrimonial justifiant l'intervention publique.

Cette conception - dont on peut penser qu'elle a été formée à Bercy - me semble méconnaître la réalité du terrain. D'une part, le régime de l'agrément a d'abord été pensé pour des grands bâtiments (anciennes casernes, hôpitaux, couvents...) dont la détention par un propriétaire privé unique est exceptionnelle, du fait de leur taille très importante. Ces édifices sont majoritairement inscrits. D'autre part, il n'y a pas de frontières nettes entre inscription et classement d'un monument - d'ailleurs, la plupart des monuments classés étaient au départ des monuments inscrits. En outre, pourquoi la dépense fiscale serait-elle justifiée pour les monuments inscrits détenus en propriété directe et pas pour les monuments inscrits détenus par une copropriété ? Le régime de propriété influerait-il donc sur l'intérêt patrimonial du bâtiment ? Il est évident que non.

Non seulement cette exclusion des monuments inscrits est infondée, mais ses conséquences sont graves. Plusieurs projets de rénovation de monuments présentant un réel intérêt patrimonial ont été contraints à l'abandon, et nombre de petites entreprises spécialisées en la matière sont aujourd'hui menacées de faillite.

Il me paraît donc urgent de réintégrer les monuments inscrits, détenus sous forme de copropriété ou de société civile immobilière, à l'agrément ministériel qui permet l'application de conditions fiscales favorables à leurs travaux d'entretien.

En outre, les critères de délivrance de l'agrément tels qu'ils découlent de la réforme de 2014 ne me paraissent pas assurer une protection effective de la qualité des immeubles à conserver. L'affectation de trois quarts des surfaces à l'habitation rendra impossible la rénovation de certains bâtiments industriels : il en est ainsi, par exemple, des anciens ateliers Christofle à Saint-Denis, situés dans une zone dont le plan local d'urbanisme interdit l'habitation.

Par ailleurs, imposer que cette affectation intervienne dans un délai de deux ans après la demande d'agrément paraît méconnaître la réalité des délais d'instruction et de conduite des opérations de rénovation de monuments historiques : l'instruction des études pour obtenir l'autorisation de travaux, la vente des lots et le chantier lui-même prennent plus de deux ans... d'autant plus que la délivrance de l'agrément par les services fiscaux se fait rarement en moins de six mois : un quart du délai est consommé par l'administration fiscale elle-même. La vocation cachée de ce type de contraintes est révélée par une observation attentive des choses...

Le régime de l'agrément doit donc être profondément repensé : outre la réintégration des monuments inscrits, il s'agit de mettre en oeuvre des critères souples, conçus dans une perspective non seulement budgétaire, mais aussi patrimoniale.

Enfin, concernant le régime « Malraux », dans le cas d'un « secteur sauvegardé », je note que l'intérieur des bâtiments n'est pas bien protégé. En effet, le plan dit « de sauvegarde et de mise en valeur » qui accompagne la création des « secteurs sauvegardés » inclut théoriquement l'intérieur des immeubles. Cependant, si le plan de sauvegarde a déjà été approuvé, ce qui est le cas des principales villes patrimoniales de France, le niveau de protection est largement insuffisant. Tant que le volume intérieur des pièces n'est pas modifié, les propriétaires sont libres de procéder à toutes les modifications qui leur semblent souhaitables. Ils peuvent donc arracher des boiseries ou prélever des plafonds peints dans la perspective d'une revente « au détail » à des antiquaires.

Par conséquent, je vous suggère d'élargir la procédure d'autorisation préalable à tous les travaux effectués à l'intérieur des monuments à conserver, à l'exception des travaux d'entretien et de réparation ordinaires. L'architecte des bâtiments de France aurait alors un droit de regard sur ces travaux et pourrait éviter la revente, ou la simple suppression, d'éléments pleinement constitutifs du patrimoine. Les « secteurs sauvegardés » par le dispositif Malraux seraient ainsi complétement protégés, tant pour les intérieurs que pour les extérieurs des édifices.

Ces cinq recommandations me semblent permettre d'améliorer l'efficacité de ces « niches fiscales », de leur rendre leur vocation et leur dimension patrimoniale. Nul doute que l'examen du projet de loi de finances pour 2016, dont nous débattrons en séance publique dans quelques semaines, sera l'occasion de discuter plus en détail des moyens accordés à la politique patrimoniale.

Je vous remercie de votre attention.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous avions eu l'occasion d'aborder ce sujet dans le cadre de la dernière loi de de finances rectificative pour 2014, mais le dialogue avec le gouvernement, à une heure tardive qui plus est, s'est avéré difficile. Le rapporteur a rappelé la réalité des chiffres : il existe plus de 22 000 monuments privés, pour une dépense fiscale estimée à 58 millions d'euros. Quand on fait le rapport de ces deux chiffres, on constate que les montants unitaires sont relativement faibles, au regard de l'obligation, pour les propriétaires privés, de respecter la loi de 1913 dont on a récemment fêté le centenaire.

La grande spécificité des propriétaires de monuments historiques par rapport aux propriétaires d'autres types de bâtiments tient à l'obligation de conservation qui leur incombe. En outre, si le propriétaire est défaillant, l'État peut juridiquement s'y substituer pour réaliser les travaux. C'est donc une obligation collective qui pèse à la fois sur l'État et le propriétaire, gardien du monument.

Bien sûr, c'est une dépense fiscale, mais est-ce une niche comparable aux autres ? Je souhaiterais rappeler qu'à mon initiative, le régime a été durci en 2009 afin de prévoir une obligation de conservation minimale de quinze ans. L'achat et la restauration d'un monument historique s'inscrivent donc dans la durée, à la différence d'autres investissements réalisés uniquement pour payer moins d'impôts.

S'agissant de l'impact en termes d'attractivité, on constate avec les journées du patrimoine l'attrait de nos monuments historiques pour le public. Beaucoup de touristes viennent en France pour visiter nos monuments, ce qui a aussi des conséquences positives en termes d'emploi.

Ma question portera simplement sur la réforme un peu brutale et improvisée du gouvernement dans le cadre de la loi de finances rectificative de décembre 2014 : le ministère de la culture a-t-il été associé à cette réforme, dont l'impact n'a pas été mesuré ? Je souscris pleinement aux propos du rapporteur lorsqu'il estime qu'il n'y a pas de raison objective d'opérer une distinction entre le type de propriétaire, qu'il soit individuel, en copropriété ou en SCI. Je me demande même si une telle différence est conforme à la Constitution. C'est l'intérêt du monument qui prime, indépendamment du statut du propriétaire.

Enfin, avez-vous des exemples précis de chantiers qui ont été arrêtés du fait de cette réforme hâtive, avec des conséquences en termes d'emplois ?

Pour toutes ces raisons, je pense qu'il faudrait revenir sur la réforme du gouvernement et je souscris totalement aux conclusions du rapporteur.

M. Antoine Lefèvre. - Je souscris également aux propositions du rapporteur auxquelles, en tant que maire de la ville présentant le plus grand secteur sauvegardé de France, je suis particulièrement attentif. Il est vrai qu'il faut soutenir ce domaine qui représente des emplois, comme vous l'avez dit, et il est urgent de simplifier les différents dispositifs.

Les dispositions récentes ont mis à mal tout le secteur des monuments historiques : certains projets de restauration ont été arrêtés avec toutes les conséquences économiques et patrimoniales que cela induit.

Il est important, notamment pour les agréments des SCI et des copropriétés, de simplifier le dispositif. Il faudra donc profiter de l'examen du projet de loi relatif à la création, à l'architecture et au patrimoine qui vient d'être adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, et qui sera prochainement transmis au Sénat, pour définir ce que nous attendons en termes de rénovation du patrimoine du point de vue de sa valorisation économique, à travers le tourisme dans nos territoires. En particulier, s'agissant du mode de comptabilisation des visites publiques, certains archaïsmes me paraissent réellement devoir être modernisés selon une dynamique de marché.

Comptez-vous saisir l'occasion du projet de loi précité pour simplifier le dispositif de rénovation de notre patrimoine afin de le rendre à nouveau attractif et soutenir l'ensemble de cette filière ? Je précise que l'Association nationale des villes et pays d'art et d'histoire (AVPH), qui est particulièrement dynamique sur l'ensemble du territoire et qui rassemble beaucoup de collectivités, est préoccupée par l'évolution de ce secteur.

M. Jean-Claude Requier. - La politique du patrimoine est une bonne politique qui stimule le tourisme et l'économie, au bénéfice de touristes et des habitants locaux, qui apprécient de vivre dans un cadre rénové.

J'ai longtemps été maire de Martel, dans le Lot, ville qui a été restaurée, et qui fait partie d'un pays d'art et d'histoire. J'ai pu constater, depuis mon enfance, qu'il y a eu une évolution dans la prise en compte du patrimoine historique, d'ailleurs souvent grâce aux gens qui n'étaient pas originaires de la ville et qui appréciaient la beauté de notre architecture. Ainsi, quand j'étais enfant, les monuments anciens étaient souvent vus comme de vieilles pierres méritant d'être détruites pour céder la place à de nouvelles constructions plus modernes et plus rentables. La prise de conscience de la valeur du patrimoine a permis de mener à bien de nombreuses rénovations.

Après ce préambule, voici quelques remarques sur le rapport.

Je suis favorable à la réintroduction des monuments inscrits dans l'agrément car, dans les faits, il y a souvent peu de différence entre ceux-ci et les monuments classés en termes d'intérêt patrimonial. Dans votre rapport, vous indiquez que l'exclusion ne présente d'intérêt ni sur le plan patrimonial, ni sur le plan budgétaire. Je ne comprends pas cette assertion, car j'imagine que l'exclusion des monuments inscrits présente un intérêt pour Bercy ? Que voulez-vous dire par là ?

Il conviendrait ensuite d'élargir les périodes d'ouverture des monuments historiques, mais on trouve beaucoup d'endroits fermés l'hiver car les propriétaires sont absents. Je serais tout à fait d'accord pour élargir l'ouverture de ces monuments au profit des groupes scolaires.

Peut-être pourrait-on également mieux délimiter les zones de visite pour éviter certains désagréments aux propriétaires ?

Enfin, je suis favorable à ce que l'on protège les intérieurs, ce qui permettrait d'éviter certains pillages.

En conclusion, je suis tout à fait favorable aux conclusions du rapporteur.

M. Alain Houpert. - Je voudrais féliciter le rapporteur pour la qualité et la précision de son travail. Les propriétaires de monuments historiques ne sont pas toujours des gens riches, mais ce sont toujours des personnes passionnées par le patrimoine et par leurs territoires, qui acceptent de nombreuses contraintes. La restauration d'un monument historique est en effet un véritable dialogue avec l'architecte des monuments de France. Je pense donc que ces propriétaires ont besoin d'une aide fiscale. Je rejoins le rapporteur quand il souligne la rupture d'égalité entre les propriétaires directs et les copropriétés ou SCI, et il me paraît urgent de supprimer la différence de traitement entre monuments classés et inscrits.

Il me semble que l'agrément ministériel devrait être simplifié. Je rappelle que les copropriétés concernent souvent des grands immeubles nécessitant une rénovation. Les décisions nécessitant d'être prises ensemble, en copropriété, sont souvent tardives. Or, le problème des monuments historiques tient à la négligence des hommes mais aussi à l'usure du temps.

Je voudrais terminer en disant que lorsqu'on détient un monument historique, on n'en est pas propriétaire : c'est le monument qui est propriétaire de nous.

M. Marc Laménie. - Ce rapport nous interpelle, car nous sommes tous attachés à notre patrimoine. Concernant la proposition relative aux ouvertures au public, je remarque que ces dernières rapportent souvent très peu aux particuliers qui veulent faire partager leur passion, mais qu'elles leur coûtent très cher. Entretenir le patrimoine coûte réellement une fortune. Beaucoup n'ouvrent pas l'hiver, les périodes de visite s'étalant souvent entre Pâques et la Toussaint, hormis les grands monuments ouverts toute l'année. Pour les groupes scolaires, les visites sont souvent concentrées entre mai et juin, et leur aspect pédagogique me paraît fondamental. En conclusion, je ne sais pas quelles peuvent être les bonnes solutions en termes de calendrier.

M. Éric Bocquet. - Marie-France Beaufils et moi souscrivons pleinement aux propositions du rapporteur qui, parce qu'elles relèvent du bon sens et de la simplification, ne peuvent que recueillir l'assentiment de tous.

Sur les 44 000 monuments historiques répertoriés, connaît-on la proportion de ceux qui ont déjà fait l'objet de travaux de rénovation achevés, ou en cours, et de ceux qui restent à traiter ?

En outre, l'administration fiscale exerce-t-elle une bienveillante vigilance sur d'éventuelles stratégies d'optimisation fiscale qui pourraient s'éloigner de l'objectif initial de revalorisation du patrimoine ?

M. Claude Raynal. - Ce rapport souligne avec pertinence l'ensemble des difficultés liées à la rénovation des monuments historiques. Je m'interroge néanmoins, comme Jean-Claude Requier, sur le manque d'intérêt budgétaire de la mesure décidée en projet de loi de finances rectificative pour 2014. Cela signifie-t-il que les gains pour l'État issus de cette mesure sont minimes, et de quel montant parle-t-on ? Selon l'impact budgétaire de cette mesure, les positions peuvent en effet différer.

Si les quatre premières propositions me paraissent pertinentes, sous la réserve financière que je viens d'évoquer, j'ai davantage de doutes quant à la proposition relative à la protection des intérieurs, qui touche à la question de l'habitat, et donc au confort de la demeure pour les propriétaires. Ne risque-t-on pas d'aller trop loin dans les contraintes en matière de réglementation de la rénovation des intérieurs ?

M. Charles Guené. - Je m'avoue sceptique s'agissant de la délivrance de l'agrément commun aux copropriétés et aux SCI, dans la mesure où il n'y aurait pas identité des associés. On sait que dans une copropriété, on reste dans un univers patrimonial, mais dans le cas d'une SCI qui aurait d'autres associés, ne s'expose-t-on pas au risque d'une logique moins patrimoniale qu'économique ou spéculative ? J'ai certes des convictions libérales mais il me semble qu'il faut être prudent sur ces « niches » fiscales.

M. Bernard Lalande. - Je suis très satisfait de constater que l'on peut s'intéresser ici, à la commission des finances, à un sujet qui passe souvent à côté de nos préoccupations, alors que l'on découvre qu'il y a 44 000 monuments historiques.

En matière de rénovation des monuments historiques, on recourt à des artisans d'art ainsi qu'à des matériaux quelquefois bien plus onéreux qu'en cas de travaux classiques. Le taux de TVA qui s'applique est de 5 % ou 10 % maintenant. Ne pourrait-on envisager un taux de 2,1 % spécifique à la rénovation des monuments historiques, afin de permettre un allègement sur les restaurations patrimoniales ? Nous le faisons en faveur de la Corse et des outremers, pourquoi ne le ferions-nous pas pour notre patrimoine ?

M. Vincent Eblé, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - Je vous remercie de vos encouragements sur ce travail, dont j'ai bien conscience qu'il pourrait être encore approfondi. Je l'ai dit, nous manquons d'éléments d'informations, et la première de mes recommandations est bien de faire en sorte qu'on dispose de ces éléments pour poursuivre ce travail de diagnostic afin de définir plus précisément les orientations qui nous semblent devoir être prises.

La réforme que nous pourrions conduire une fois ces éléments obtenus pourrait passer par un véhicule budgétaire - loi de finances ou loi de finances rectificative - ou par le projet de loi sur la création, l'architecture et le patrimoine. Si nous y introduisions des mesures relatives à la modernisation du patrimoine monumental, nous ne prendrions à mon sens aucun risque de censure en tant que cavalier législatif, contrairement à ce qui est arrivé dans le cadre de l'examen de la loi dite « Macron ». Je rappelle que l'Assemblée nationale avait en effet tenté de revenir sur la modification introduite en loi de finances rectificative dans le cadre de cette loi aux dispositions très variées, mais la disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel.

Vous m'avez demandé de citer un autre exemple de restauration de monument historique affecté par la réforme de décembre 2014. Je citerai le cas du château de Montmaur, dans l'Aude, exceptionnel monument de style Renaissance qui fait l'objet d'une opération d'acquisition-restauration par une opératrice toulousaine. Il s'agit d'un projet de division en dix-huit lots de copropriétés qui seraient affectés à du logement locatif pour l'essentiel. Il poursuit donc, au-delà de l'objectif de rénovation patrimoniale, un objectif louable de production de surface locative, à une période où l'on s'efforce d'augmenter le nombre de logements locatifs disponibles. Les services des monuments historiques ont validé le projet de division du monument, considérant qu'il ne porte pas atteinte à son intégrité.

Quelques lots n'avaient pas encore été vendus, et l'opératrice envisageait de les vendre sous forme de SCI non familiale à des acheteurs groupés pour acheter un lot. Elle s'est vue demander un nouvel agrément. En raison de la réforme de la loi de finances rectificative pour 2014, dans la mesure où l'édifice est inscrit mais non classé, sa demande a été rejetée.

En conséquence, le chantier est interrompu, et l'entreprise générale aveyronnaise agréée « monuments historiques » a retiré ses personnels du chantier en panne que j'ai néanmoins pu visiter. Du point de vue fiscal, Bercy estime sans doute que l'arrêt de ce chantier est une « aubaine ». Pour autant, puisqu'il est interrompu, il n'occasionnera plus aucune retombée économique ou fiscale. Autrement dit, si le gain est hypothétique, la perte nette est réelle et immédiate. C'est pourquoi je ne parviens pas à comprendre les motivations du gouvernement en la matière.

Au cours de nos travaux, j'ai compris qu'entre le ministère des finances et celui de la culture, c'est le premier qui a la main. Il semblerait que la rue de Valois ne dispose pas d'équipes compétentes dédiées à la comptabilité, à l'analyse et au diagnostic précis des dispositifs fiscaux, en particulier en matière de patrimoine monumental. La direction générale du patrimoine sollicite donc des créations d'emplois, ce qui comme vous pouvez l'imaginez n'est pas extrêmement simple, pour obtenir les ressources humaines susceptibles de réaliser ce travail, indépendamment des services de Bercy. Les deux ministères se renvoient mutuellement la balle ; cette situation ne peut pas durer si l'on veut savoir de quoi il retourne.

En ce qui concerne l'ouverture au public, il ne s'agit en aucun cas de contraindre les propriétaires à ouvrir l'hiver, mais de prendre en considération ceux qui sont en mesure de le faire, et de ne pas regarder uniquement les périodes estivales.

S'agissant de l'état des lieux des 44 000 monuments historiques, il n'existe pas. Nous n'avons de comptabilité que sur le flux des opérations menées année par année. Les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) ne disposent d'aucune donnée consolidée sur le stock. Il faudrait agréger les chiffres en provenance des différentes régions, ce qui n'est pas fait. Il n'y a donc aucune possibilité de savoir quel est l'état de nos 44 000 monuments protégés.

Sur la question de l'agrément commun au profit des SCI et du possible biais en matière d'identité des associés, je rappelle que l'agrément porte sur l'intérêt du projet de rénovation, lequel n'est pas lié à la nature des propriétaires. Il y a une obligation de conservation pendant quinze ans qui me semble apporter des garanties. Il peut éventuellement y avoir un intérêt d'optimisation fiscale pour certains investisseurs, mais à partir du moment où cet investissement présente, du point de vue de la sauvegarde patrimoniale et de la production de surface de logement, un double intérêt public, je pense qu'il ne faut pas s'interdire d'orienter des investissements privés qui, en l'espèce, ne seront jamais remplacés par des investissements publics. Le regroupement des deux agréments allégerait l'instruction administrative.

Nous aurons l'occasion de revenir sur ces sujets à l'occasion de nos prochains travaux.

La commission des finances donne acte de sa communication à M. Vincent Éblé et autorise sa publication sous la forme d'un rapport d'information.

Moyens consacrés au renseignement au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » - Contrôle budgétaire - Communication de M. Philippe Dominati, rapporteur spécial

La commission entend une communication de M. Philippe Dominati, rapporteur spécial, sur les moyens consacrés au renseignement au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ».

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - En janvier 2015, notre pays a été une nouvelle fois touché par le fléau du terrorisme.

À la suite de ces événements dramatiques, notre commission a décidé de me confier une mission de contrôle sur les moyens consacrés au renseignement intérieur au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ».

J'ai fait le choix d'ordonner ce contrôle budgétaire autour de deux grandes questions. Les services ont-ils les moyens d'assurer leurs missions ? L'efficacité de l'organisation administrative du renseignement intérieur pourrait-elle être améliorée à moyens constants ?

Avant de vous présenter mes conclusions, permettez-moi tout d'abord un bref rappel concernant l'organisation du renseignement intérieur. Désormais, quatre services y concourent.

Parmi ces quatre services, trois relèvent de la police nationale. La DGSI, le « navire amiral » rattaché directement au ministre, est principalement responsable du contre-espionnage, de la prévention du terrorisme et de la protection du patrimoine économique et scientifique. Le Service central du renseignement territorial (SCRT), rattaché à la sécurité publique, reprend 90 % des missions des renseignements généraux (RG) et a été récemment chargé de la détection des « signaux faibles » en matière de terrorisme. La Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) est chargée du renseignement de proximité et de la prévention du terrorisme et des extrémismes à Paris.

La gendarmerie dispose quant à elle depuis peu de son propre service - la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) - qui doit permettre à la gendarmerie de disposer d'une capacité propre d'appréciation des situations.

À l'issue de ce contrôle, mon premier constat est globalement positif : les services sont actuellement en mesure d'assurer leurs missions.

J'ai pu constater le dévouement et le professionnalisme des agents rencontrés à l'occasion des déplacements et des auditions, que je tiens ici à saluer.

Sur le plan de l'organisation administrative, les réformes de 2008 et 2013 ont permis dans une certaine mesure de rationaliser et d'adapter l'architecture du renseignement intérieur à l'évolution de la menace.

Sur le plan juridique, la loi du 24 juillet 2015 a utilement renforcé les moyens à la disposition de nos services.

Sur le plan des moyens humains, même avant les attentats de janvier, la France ne souffrait pas d'un sous-investissement dans le renseignement intérieur. Avec environ 6 200 postes, les effectifs des services français, pondérés par la population, apparaissent en effet comparables aux effectifs canadiens et supérieurs à ceux de nos principaux voisins européens - même si les comparaisons sont toujours délicates dans ce domaine.

Toutefois - et c'est ma deuxième observation - ce diagnostic doit être relativisé sur la période récente par l'accroissement de la menace terroriste, qui pèse de manière asymétrique sur les différents pays européens.

La crise syrienne a conduit à un « changement d'échelle » de la menace terroriste qui fragilise nos services. La France fait partie des pays européens les plus touchés : le nombre de combattants étrangers pour un million d'habitants est deux fois plus élevé dans notre pays qu'au Royaume-Uni et en Allemagne et dix fois plus élevé qu'en Espagne et en Italie.

Or, cette augmentation de la menace se traduit par un surcroit d'activité important pour les services. À titre d'illustration, le nombre d'affaires de terrorisme liées au conflit en Syrie a connu une augmentation de 200 % en moins d'un an en France.

Dans ce nouveau contexte, le renforcement des effectifs des services de renseignement est prioritaire. Aussi, l'annonce de la création de 1 735 emplois supplémentaires au sein des services dans le cadre des plans de lutte contre le terrorisme de 2013 et 2015 devra être concrétisée.

Surtout, compte tenu de la fragilité de la situation actuelle, il est nécessaire d'anticiper l'évolution de la menace et de mettre en place dès à présent une stratégie permettant d'accroître l'efficacité du renseignement intérieur à moyens constants.

À cette fin, - c'est ma troisième observation - une nouvelle évolution de l'organisation administrative du renseignement intérieur semble indispensable.

Nos principaux alliés - à l'exception du cas très particulier des États-Unis - ne comptent en général qu'un seul service de renseignement intérieur. Nous en avons quatre.

Plus inquiétant encore, certaines évolutions récentes ont accru l'éclatement de notre organisation. L'exception parisienne a été étendue à la petite couronne en 2009 avec la réforme de la police d'agglomération. Le sentiment de « marginalisation » de la gendarmerie a conduit à créer en son sein un service de renseignement spécifique en 2013, alors même que le renseignement territorial devait bénéficier d'un monopole sur le renseignement de proximité et constituer un laboratoire du rapprochement entre police et gendarmerie.

Dans ce contexte, les dispositifs de coordination entre les services ont été opportunément renforcés, en complément du rôle de coordination interministérielle traditionnellement assuré par l'Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), rattachée au DGPN.

Toutefois, l'organisation administrative actuelle est confrontée à trois faiblesses structurelles pour lesquelles les dispositifs de coordination mis en place n'apportent pas réellement de solution.

Premièrement, l'efficacité des mécanismes de coordination repose avant tout sur la « bonne volonté » des différents directeurs.

Deuxièmement, la multiplication des dispositifs de coordination ne semble pas avoir permis de mettre fin au climat de défiance entre les services au plan territorial, notamment entre policiers et gendarmes.

Troisièmement, la complexité de l'organisation actuelle impose la mise en place d'une multiplicité de mécanismes de coordination qui peuvent apparaître comme coûteux en termes d'effectifs, dans un contexte budgétaire contraint.

Aussi, je suggère dans ce rapport une évolution ambitieuse visant à passer de quatre à deux services de renseignement intérieur.

Dans cette perspective, le repositionnement du SCRT constitue une première étape indispensable.

En effet, les intérêts des directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) et des agents du renseignement territorial sont souvent contradictoires. Dans certains cas, il arrive même que le DDSP filtre les notes du renseignement territorial destinées au préfet lorsqu'elles remettent en cause son action. Par ailleurs, le rattachement à la sécurité publique se traduit par une faible autonomie budgétaire et de recrutement. Ce rattachement suscite également une réaction de défiance de la gendarmerie, qui a notamment conduit à la création d'un service de renseignement dédié en son sein.

Aussi, un rapprochement entre le SCRT et la SDAO pourrait être envisagé.

Une possibilité serait de fusionner la SDAO et le SCRT en contrepartie d'un rattachement de la nouvelle entité aux deux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie.

Une alternative consisterait à faire de la nouvelle entité une direction générale du ministère de l'intérieur - ce qui aurait pour avantage supplémentaire d'accroître son indépendance et son autonomie budgétaire et de recrutement.

Cette réorganisation pourrait ouvrir la voie à une évolution de plus grande ampleur visant à achever l'évolution débutée en 1965 avec le transfert de la mission de contre-espionnage de la préfecture de police de Paris à la DST.

Concrètement, il s'agirait de mettre fin à l'exception parisienne que constitue la DRPP. Sa mission de lutte contre le terrorisme et les extrémismes violents pourrait être confiée à une direction zonale de la DGSI. Sa mission d'information générale pourrait être confiée à une direction zonale de la nouvelle entité chargée du renseignement de proximité. Sa mission de lutte contre l'immigration clandestine et le travail illégal pourrait enfin être transférée à la police aux frontières.

À plus long terme, il pourrait même être discuté de l'opportunité d'instaurer un seul grand service de renseignement intérieur, à l'image de ce qui existe chez nos principaux voisins.

S'agissant de l'UCLAT, son rattachement à la DGPN semble contradictoire avec la nature interministérielle de ses missions et source de rivalités entre forces de police et de gendarmerie. Aussi, je propose dans ce rapport de clarifier son positionnement.

Au-delà de la question de l'organisation administrative, les moyens consacrés au renseignement intérieur doivent être mieux ciblés afin de gagner en efficacité. C'est ma quatrième observation.

Tout d'abord, je remarque que le renseignement territorial demeure le « parent pauvre » du renseignement intérieur.

Ses personnels ne représentaient fin 2014 que 60 % de ceux des RG, alors que dès 2011 la Cour des comptes notait que le renseignement territorial a conservé 90 % des missions des RG. Depuis, il s'est même vu confier une mission supplémentaire de détection des « signaux faibles » en matière de prévention du terrorisme.

Ainsi, il existe de nombreux départements dans lesquels le renseignement territorial n'a pas atteint une taille « critique » lui permettant d'assurer correctement l'ensemble de ses missions. Au 31 décembre 2014, les effectifs demeurent ainsi inférieurs à dix agents dans vingt-six départements.

Je recommande donc de donner la priorité au renforcement des effectifs du renseignement territorial.

Par ailleurs, une inquiétude forte existe concernant l'évolution des moyens mis à la disposition des personnels.

Les données disponibles, bien que difficiles à isoler, indiquent par exemple que la part des dépenses de personnel a atteint un niveau critique tant à la DRPP qu'au SCRT.

Ce déséquilibre se traduit déjà par des difficultés opérationnelles importantes. J'ai ainsi pu constater dans un département que le service départemental du renseignement territorial (SDRT) ne disposait que d'un seul poste internet pour treize agents. D'autres exemples de ce type sont mentionnés dans le rapport.

Aussi, il est indispensable d'assurer un équilibre entre la croissance des dépenses de personnel et l'évolution des dépenses de fonctionnement et d'investissement.

Enfin, il apparaît que les implantations territoriales de certains services concourant au renseignement intérieur ont été insuffisamment adaptées à l'évolution de la menace. On reste bien souvent sur l'histoire.

Au-delà de la nécessité du mieux cibler les moyens, le rapport met également en évidence que des contraintes pesant sur la formation et le recrutement des agents continuent de freiner la productivité de nos services. C'est ma cinquième observation.

Les faiblesses du modèle français de recrutement et de formation en matière de renseignement sont bien connues : les concours administratifs existants ne permettent pas toujours de recruter les profils adéquats, alors même la formation continue est peu développée et que le recrutement de contractuels est freiné sur le plan juridique et financier.

Les réformes de 2008 et 2013 ont permis, dans une certaine mesure, de faire évoluer les modalités de recrutement et de formation.

Toutefois, des marges de progrès importantes subsistent.

Sur le plan du recrutement, les opportunités offertes par la transformation de la DCRI en direction générale demeurent insuffisamment exploitées. À titre d'exemple, la part des contractuels y est plafonnée à 15 %, alors qu'elle est déjà de 23 % à la DGSE. S'agissant des autres services concourant au renseignement intérieur, les évolutions sont faibles voire inexistantes, pour des raisons autant administratives que culturelles.

Sur le plan de la formation, l'offre des différents services demeure marquée par son éclatement. Les premiers efforts de mutualisation doivent impérativement être amplifiés.

Il est également regrettable que les liens avec le monde universitaire demeurent aussi faibles.

Enfin - et c'est mon dernier constat - l'effectivité du contrôle parlementaire du renseignement intérieur pourrait être renforcée.

Il est aujourd'hui impossible d'identifier les crédits et les effectifs des services concourant au renseignement intérieur dans les documents budgétaires, ce qui est pourtant déjà possible pour les services relevant du ministère de la défense.

Aussi, je fais dans le rapport plusieurs préconisations pour rénover l'architecture budgétaire du renseignement intérieur.

Par ailleurs, il me semble qu'une plus grande complémentarité des travaux de la Délégation parlementaire au renseignement et des commissions chargées des finances pourrait être recherchée.

Là encore, diverses propositions sont examinées dans le rapport pour renforcer la dimension budgétaire du dispositif de contrôle parlementaire des services de renseignement.

Je vous remercie.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je remercie Philippe Dominati d'avoir choisi ce sujet d'une actualité particulière. Je pensais que la création de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) avait permis d'aboutir à la constitution d'un service de renseignement unique. Or on s'aperçoit à la lecture du rapport que la situation est plus complexe que cela et qu'il existe un éclatement des moyens qui n'est pas source d'efficacité.

J'aimerais avoir davantage de précisions sur deux sujets qui ont été abordés. Le premier concerne les moyens consacrés à la surveillance d'internet. Vous expliquez, dans votre rapport, que le service départemental du renseignement territorial que vous avez visité ne disposait que d'un poste internet pour treize agents, alors que l'on connaît l'importance de cette activité. Comment cette priorité est-elle prise en compte ? Des moyens spécifiques sont-ils accordés à la surveillance d'internet ?

Ma deuxième question porte sur les moyens consacrés à la surveillance des flux financiers, et en particulier aux flux liés au financement du terrorisme. Existe-il des liens entre les services de renseignement et les organismes comme TRACFIN ou les banques à ce sujet ?

Par ailleurs, vous constatez que le moyen normal de recrutement dans la fonction publique qu'est le concours n'est pas toujours adapté en matière de renseignement, par exemple lorsqu'il s'agit de recruter des informaticiens spécialisés ou des personnels parlant certaines langues rares. Il me semble effectivement que faciliter le recrutement de personnels contractuels pourrait être une solution.

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - S'agissant de la surveillance d'internet, il est difficile d'identifier les moyens mis à la disposition du renseignement territorial puisqu'ils sont regroupés au sein de l'enveloppe globale des directions départementales de la sécurité publique. C'est seulement en visitant ces services que l'on peut se rendre compte de la situation.

Ces services doivent pouvoir agir en milieu fermé comme en milieu ouvert. Or il n'y a parfois pas assez d'effectifs pour assurer ces deux missions. De même, un service départemental que j'ai visité n'était pas en capacité de réaliser des interceptions téléphoniques, le centre d'interception le plus proche étant trop éloigné.

S'agissant de TRACFIN, ce service ne relève pas du renseignement intérieur. Toutefois, il existe des liaisons institutionnalisées entre les services de la communauté du renseignement - à laquelle la DGSI et TRACFIN appartiennent.

M. Philippe Dallier. - J'aimerais revenir sur le cas de Paris et de la police d'agglomération. Il y a quelques années, le préfet de police de Paris n'avait compétence que sur Paris. Désormais, comme je l'avais préconisé dans un rapport d'information de 2008 sur l'avenir du Grand Paris, il est également compétent dans les trois départements de la petite couronne. Dans ce rapport, vous proposez de changer cette l'organisation. Est-ce une si bonne idée que cela ?

M. Antoine Lefèvre. - Je comprends assez mal la suspicion qui semble exister entre les différents services de renseignement. Depuis le film « Le grand blond avec une chaussure noire », il semble que la situation n'a guère évolué.

Par ailleurs, le rapport relève le manque de moyens informatiques des services, qui paraissent pourtant essentiels à la conduite des activités de renseignement.

En ma qualité de rapporteur spécial de la mission « Justice », j'ai visité il y quelques jours la prison de Fleury-Mérogis. Existe-t-il des liens entre l'administration pénitentiaire et les services de renseignement intérieur afin de lutter contre la radicalisation en milieu carcéral ?

M. Éric Doligé. - Je remercie le rapporteur spécial pour la qualité de son rapport. J'aimerais revenir sur le tableau qui montre que, dans les différents pays comparés, il n'existe généralement qu'une seule structure dédiée au renseignement intérieur, contre quatre en France. Or à l'exception du Canada, le nombre d'effectifs pour 100 000 habitants est plus important en France que chez nos voisins. Peut-on en conclure qu'il existe un lien entre le nombre de services et le nombre d'effectifs, et que la réduction du nombre de structures conduirait à un gain d'efficacité ?

M. Francis Delattre. - Comme l'a rappelé Philippe Dallier, la préfecture de police de Paris a élargi son périmètre d'action, ce qui n'était pas une mauvaise solution. Mais entre Épinay, qui se situe en Seine-Saint-Denis, et sa ville voisine d'Argenteuil, située dans le Val-d'Oise, quelle est la différence en termes de besoins de renseignement ? C'est toute la zone urbaine de la région parisienne que la compétence du préfet de police devrait embrasser.

Aujourd'hui, l'organisation géographique du renseignement intérieur est totalement éclatée. Par exemple, les renseignements ne circulent pas entre la police et la gendarmerie.

Par ailleurs, le djihadisme radical est impliqué dans le blanchiment d'argent et le trafic de drogues. Mais qui connaît la situation de ces trafics dans les quartiers ? Ce ne sont ni les services de renseignement, ni la police judiciaire, mais les policiers de terrain. Pourtant, les informations qu'ils détiennent ne sont pas exploitées correctement car lorsqu'une affaire prend de l'ampleur, elle est généralement confiée à un service spécialisé. Les polices municipales doivent également constituer des partenaires importants du renseignement.

Il existe des moyens pour le renseignement mais ces moyens ne seront pas mobilisés efficacement tant que l'on n'aura pas rationalisé l'organisation des services.

M. Philippe Dominati, rapporteur. - C'est exactement ce que je décris dans mon rapport.

M. Roger Karoutchi. - Les services de renseignement avec lesquels j'ai été en contact m'ont dit être persuadés que la majorité des cas de radicalisation se produit sur les réseaux sociaux. Certes, les moyens des services de renseignement ont été renforcés afin de surveiller internet, mais cette activité reste marginale car elle n'est pas dans la culture de nos services.

Quand j'ai lancé l'alerte il y a quelques semaines sur les nombreux appels au meurtre effectués sur les réseaux sociaux lors de l'opération « Tel-Aviv sur Seine », aucune suite n'a été donnée. En juillet 2014, lorsque des personnes ont manifesté dans les rues de Paris en criant « Mort aux juifs », les services de renseignement m'ont indiqué qu'ils avaient à leur disposition des vidéos et photos qui n'avaient pas été exploitées. C'est une bonne chose de renforcer les moyens du renseignement mais il faut également faire en sorte que nos services aient la capacité d'agir librement.

M. Yannick Botrel. - Il faut saluer la qualité et l'opportunité de ce rapport, qui souligne un certain nombre de points positifs : les services de renseignement sont en mesure d'accomplir leur mission et il n'y a pas de sous-investissement. Pour autant, on constate une certaine complexité de l'organisation.

S'agissant du terrorisme, il y aurait eu, selon les médias, plusieurs tentatives d'attentats déjouées au cours de la période récente, ce qui démontre l'efficacité de nos services.

J'ai entendu l'observation de Roger Karoutchi sur les suites qui sont données lorsque des agissements extrêmement condamnables sont constatés. En réalité, les services de renseignement sont là pour faire du renseignement. Les éléments sont recoupés et c'est dans un second temps que l'on passe à l'exploitation. Entre le recueil et l'exploitation, il y a forcément un délai.

Le rapporteur souligne la bonne volonté des directeurs mais également le climat de défiance entre les services. C'est un phénomène ancien et forcément contreproductif. Je ne sais pas si l'on trouvera un jour le moyen d'y mettre un terme. Faut-il restructurer autour de deux pôles ? L'idée est sympathique. Comment est-on arrivé aux quatre pôles actuels ? Est-ce au nom de la subsidiarité, de la recherche d'une efficacité déconcentrée ? Faut-il faire le chemin inverse ? Je suis intellectuellement intéressé par la réponse que pourra donner le rapporteur.

Un rapport ne peut traiter de tous les sujets, mais il y en a un qui m'intéresse particulièrement. Il s'agit de l'espionnage économique. Dans les Côtes-d'Armor, nous avons un plateau industriel qui travaille avec le monde entier sur des technologies de pointe. Entendre de petites entreprises expliquer qu'elles ont l'impression d'être surveillées par des officines très lointaines m'a quelque peu troublé.

M. Marc Laménie. - Quel est le coût global du renseignement intérieur pour la police et la gendarmerie ?

Le rapporteur décrit le renseignement territorial comme le « parent pauvre » du renseignement intérieur. D'autres services ne peuvent-ils pas venir renforcer le maillage territorial, comme l'administration des douanes ou les groupements d'intervention régionaux (GIR) ?

M. Dominique de Legge. - Je voudrais insister sur le fait que sécurité intérieure et sécurité extérieure sont de plus en plus liées. Bien des menaces qui pèsent sur notre territoire se forment à l'extérieur. Le rôle du ministère de la défense et de ses services de renseignement est à cet égard essentiel. En outre, nos troupes participent directement à la sécurité intérieure, notamment à travers l'opération Sentinelle.

M. Éric Bocquet- Je voudrais souligner la pertinence de la recommandation selon laquelle il faut remédier au déséquilibre entre la croissance des dépenses de personnel et l'évolution des dépenses de fonctionnement et d'investissement, qui part du constat de difficultés opérationnelles importantes. J'ai pu les constater dans ma région. À titre d'exemple, le parc automobile est composé de véhicules parfois particulièrement anciens, avec 200 000 kilomètres, 300 000 kilomètres voire 400 000 kilomètres au compteur. Certains ne roulent même plus, y compris parfois parce qu'il n'y a pas le carburant nécessaire. Le renseignement, c'est aussi aller sur le terrain.

Est-ce que les crédits de la mission « Sécurités » pour 2016 prennent en compte ce problème et permettent de mettre en adéquation les dépenses de fonctionnement et d'investissement avec la croissance des dépenses de personnel, les unes n'allant pas sans les autres ?

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - Le renseignement est un domaine délicat pour les parlementaires et parfois même pour l'exécutif. Il n'y a eu aucune évolution majeure de l'organisation du renseignement intérieur entre la création de la DST à la Libération et la réforme de 2008, qui a doté le renseignement intérieur d'un navire amiral - la DCRI. Cette réforme a été amendée en 2013, après avoir fait le constat que l'entité chargée de remplacer les « renseignements généraux » ne fonctionnait plus sur le terrain, nombre de ses effectifs ayant été transférés à la DCRI. On a également autorisé la gendarmerie à créer son propre service. C'est pourquoi il existe désormais quatre services de renseignement intérieur.

Sur ce point, j'observe que les chefs d'État, sous la Ve République, ont eu des appréciations variées à l'égard des services de renseignement. On peut se demander si l'exécutif a la volonté de concentrer les services ou au contraire de les morceler.

Aujourd'hui, il y a bien morcellement. Quand on interroge les responsables, on entend : « Tout va très bien Madame la marquise ». Force est de constater qu'il y a des résultats positifs. La plupart des services ne réclament pas de moyens humains supplémentaires. Leurs agents sont extrêmement motivés et responsables.

Pour autant, on peut s'interroger sur l'efficacité des mécanismes de coordination qui visent à faire fonctionner l'organisation complexe que Francis Delattre nous a dit observer sur le terrain.

Par ailleurs, l'efficacité des services dépend autant du niveau de leurs effectifs que de leur capacité à attirer les personnels à la pointe des connaissances utiles. Nous avons besoin de recruter différemment.

S'agissant du problème, soulevé par Éric Bocquet, de l'adéquation des moyens mis à la disposition des personnels, la situation se dégrade pour l'ensemble des forces de police et de gendarmerie depuis plusieurs années. J'aurai l'occasion d'aborder la question du parc automobile à l'occasion de l'examen de la mission « Sécurités » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016.

Pour répondre à Philippe Dallier, il ne s'agit pas de « casser » un service qui fonctionne mais d'assurer une continuité territoriale. En rationalisant l'organisation du renseignement de proximité, on obtiendra un meilleur « tamis » pour repérer les « signaux faibles » et les faire remonter à la DGSI.

Sur ce point, je suggère plusieurs pistes mais la décision appartient à l'exécutif. En tout cas, je pense qu'on gagnerait énormément à avoir deux services.

Je souligne également que souvent nous avons souvent l'information mais que nous ne parvenons pas toujours à l'analyser correctement. C'est pourquoi les services doivent s'ouvrir sur le plan de la formation et du recrutement.

Marc Laménie demandait combien tout cela coûte. Il y a une certaine discrétion sur le sujet. D'ailleurs, les données sont noyées dans les documents budgétaires, contrairement à ce qui se passe pour le ministère de la défense. Je ne peux pas être très précis mais le coût total est de l'ordre de 450 millions d'euros, d'après les sources ouvertes dont nous disposons - y compris journalistiques.

J'ai fait attention à ce que les informations contenues dans ce rapport ne nuisent pas à l'efficacité des services. C'est par exemple pour cela que je ne donne pas trop de détails concernant l'évolution des implantations territoriales.

Sur ces sujets, c'est au ministre de l'intérieur qu'il revient d'apprécier quel est le bon moment pour faire évoluer nos services. Pour ma part, je constate qu'ils fonctionnent bien mais qu'ils pourraient fonctionner mieux.

Mme Michèle André, présidente. - Je remercie Philippe Dominati pour la manière dont il a abordé cette question délicate. Il ne faut pas rendre publiques des informations qui pourraient servir à des personnes malveillantes. C'est à la fois la grandeur et la fragilité des démocraties.

La commission donne acte au rapporteur de sa communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Nomination d'un rapporteur

La commission nomme M. Francis Delattre rapporteur pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.

La réunion est levée à 12 h 25.