Mercredi 23 octobre 2019

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 13 h 45.

Institutions européennes - Déplacement à Reykjavik à l'occasion de l'Arctic Circle - Communication du président Jean Bizet et de M. André Gattolin, vice-président

M. Jean Bizet, président. - Notre collègue André Gattolin, en s'investissant depuis longtemps sur le sujet des relations avec l'Islande, était avant-gardiste. En effet, avec le réchauffement climatique, ce pays commence à avoir une importance géostratégique et géopolitique non négligeable, et devient un carrefour entre des puissances comme la Chine, la Russie et les États-Unis.

Aussi, avec André Gattolin, auteur de trois rapports sur les questions arctiques, nous nous sommes rendus en Islande du 10 au 13 octobre dernier, à l'occasion de l'Arctic Circle, qui se tenait à Reykjavik. Je devais en effet intervenir en session plénière aux côtés de deux ambassadeurs de l'Union européenne sur la stratégie arctique de l'Union européenne et son éventuelle évolution.

Je voudrais tout d'abord vous préciser que l'Arctic Circle n'est pas une organisation officielle, comme le Conseil de l'Arctique, auquel notre pays participe avec un statut d'observateur. Il s'agit d'un forum créé et présidé par l'ancien Président de la République d'Islande, M. Grímsson, qui a acquis au fil du temps une aura importante sur les enjeux arctiques. François Hollande y était intervenu lorsqu'il était Président de la République. Notre ambassadrice chargée de la négociation internationale pour les pôles Arctique et Antarctique, Ségolène Royal, y intervenait également cette année.

M. André Gattolin, vice-président. - Le programme du déplacement, que nous avons préparé avec notre ambassadeur sur place, Graham Paul, comprenait des plages dédiées aux sessions de l'Arctic Circle et aux enjeux arctiques. À l'origine, l'Arctic Circle visait à intégrer une dimension économique dans les réflexions sur l'Arctique, tandis que le Conseil de l'Arctique concerne davantage la protection de l'environnement. Nous avons notamment eu des échanges sur l'évolution géopolitique et géostratégique avec un expert français, Damien Degeorges, et notre attaché naval au Danemark, Patrick Ratier.

Le programme incluait également plusieurs rencontres bilatérales. Nous avons ainsi rencontré le président du Parlement islandais, la présidente de la commission des affaires étrangères du Parlement islandais, le ministre islandais des affaires étrangères, le président de l'Arctic Circle, ainsi que la ministre des affaires étrangères du Groenland. Nous avons également eu des échanges plus informels avec la Première ministre islandaise, ainsi qu'avec le Président de la République.

Nous avons par ailleurs effectué une visite de soutien à l'action de l'Alliance française, très dynamique. Nous avons enfin échangé avec les dirigeants d'une importante société de pêche, la société Brim, qui a mis en place des modèles très inspirants pour nous ; le secteur halieutique est très important pour l'Islande.

M. Jean Bizet, président. - Nous voudrions vous faire partager quelques points que nous retenons de ces trois journées en Islande concernant les relations entre l'Islande et la France, les relations entre l'Islande et l'Europe, ainsi que les enjeux arctiques de manière plus transversale.

Je voudrais également souligner en préambule que nous avons été interrogés à deux reprises par le ministre des affaires étrangères et la présidente de la commission des affaires étrangères du Parlement islandais sur l'action militaire menée par la Turquie en Syrie à l'encontre des Kurdes. On est loin de l'Arctique, mais c'est un enjeu sur lequel l'analyse du Parlement français était souhaitée.

M. André Gattolin, vice-président. - Deux messages principaux nous ont été adressés au cours des échanges que nous avons eus avec les autorités islandaises, qui ont souligné les très bonnes relations entre la France et l'Islande.

Le premier message concerne le déplacement que la Première ministre, Katrin Jakobsdóttir - c'est aujourd'hui la personnalité politique la plus populaire du pays, à la tête d'une coalition regroupant sa formation politique, le Mouvement des verts de gauche, et le Parti de l'indépendance, un parti de droite -, effectuera en France au cours de la deuxième semaine du mois de novembre. Nous avons été interpellés à plusieurs reprises, afin qu'elle puisse rencontrer le Président de la République lors de ce déplacement. Nous pensons que l'Islande, membre de l'Espace économique européen (EEE), mérite notre attention tant ce pays est largement intégré à l'Union européenne, même s'il n'a jamais rejoint l'Union, pour des raisons liées à la pêche, un peu à l'instar de la Norvège. En termes de niveau de vie et de valeurs, l'Union européenne, ses États membres et l'Islande ont une très grande proximité. Les deux secteurs économiques les plus importants du pays sont le tourisme et la pêche donc la politique commune de la pêche retentit de près sur l'Islande.

Le second message qui nous a été délivré par le ministre des affaires étrangères concerne l'évaluation des mesures prises par l'Islande en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. La crise de 2008 a fait apparaître les faiblesses de la régulation du système bancaire du pays. Des efforts ont été réalisés, mais l'évaluation réalisée par le groupe d'action financière (GAFI) n'est pas entièrement satisfaisante à ce jour. Le ministre nous a assuré que l'Islande est très engagée et déterminée à prendre en compte les différentes remarques formulées par le GAFI par le passé. Il a toutefois fait valoir que, d'un point de purement technique, quelques recommandations ne pourraient pas être satisfaites immédiatement et que le pays avait besoin d'un peu de temps pour adopter l'ensemble des mesures nécessaires. C'est important pour l'Islande car une inscription sur la liste grise aurait des conséquences négatives pour l'économie du pays, qui est bien repartie.

M. Jean Bizet, président. - Les échanges que nous avons eus avec les autorités politiques islandaises ont également porté sur la relation qu'entretient ce pays avec l'Union européenne à l'heure du Brexit.

Je rappelle que l'Islande n'a pas souhaité adhérer à l'Union européenne, mais qu'elle est membre de l'Espace économique européen, qui regroupe l'Union européenne, la Norvège, le Liechtenstein et l'Islande. La relation à l'Union européenne reste un sujet sensible dans un pays qui a acquis son indépendance assez récemment, en 1944, et qui a, au départ, souhaité maintenir un certain équilibre entre les États-Unis et l'Europe. Certains membres du Parlement, notamment du parti du Centre, considèrent que la souveraineté islandaise est menacée par l'étroitesse de sa relation avec l'Union européenne. Le Président du Parlement islandais n'est pas sur cette ligne, mais il a souligné devant nous que, pour l'Islande, la coopération nordique est le premier espace de coopération politique.

À la demande de treize parlementaires, le ministre des affaires étrangères a commandé l'an dernier un rapport sur les avantages et les inconvénients de l'appartenance de l'Islande à l'Espace économique européen et sur son impact pour le pays depuis 1994. Ce rapport a été rendu public le 1er octobre dernier. Il souligne qu'« en rejoignant l'EEE, la société islandaise s'est transformée ». 16 % des lois islandaises votées depuis 1994 ont pour origine directe la mise en oeuvre de l'accord fondant l'EEE.

Cette transformation s'est produite sur tous les plans. C'est le cas sur le plan économique avec l'abandon du contrôle des prix et des capitaux, ainsi que l'accès facilité au marché européen. En 2018, plus des trois quarts des exportations islandaises de marchandises étaient destinés à l'Espace économique européen, tandis que cet espace représentait environ 60 % des importations. Le rapport relève qu'aucun accord bilatéral ne pourrait aujourd'hui remplacer les opportunités offertes par celui de l'EEE.

M. André Gattolin, vice-président. - À ce sujet, il faut rappeler que le Royaume-Uni est le principal client de l'Islande en ce qui concerne les produits de la pêche et les Islandais ne voudraient se priver ni des Européens ni des Britanniques à la suite du Brexit.

M. Jean Bizet, président. - Il faut d'ailleurs savoir que, si les Britanniques savent pêcher, ils ne savent pas vraiment transformer le poisson...

La transformation islandaise s'est également opérée sur le plan social, avec la liberté de circulation des personnes, la délivrance de la carte européenne d'assurance maladie ou encore la disparition des frais d'itinérance pour la téléphonie mobile, et sur le plan culturel, scientifique, éducatif et universitaire - 40 000 Islandais ont participé au programme Erasmus +, soit près de 12 % de la population.

Elle a enfin eu lieu sur le plan environnemental et climatique, dans la mesure où l'Islande, qui partage les objectifs de l'accord de Paris, participe au système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne.

Le rapport identifie quinze « points d'amélioration » de la relation entre l'Islande et l'Espace économique européen. J'en citerai trois. Il recommande de sortir de l'ambiguïté créée par l'absence de disposition sur la coopération internationale dans la constitution islandaise, en reconnaissant clairement la prédominance des règles de l'EEE sur le droit interne ou en modifiant la constitution islandaise. Il recommande également de consolider la structure à deux piliers de l'EEE, en renforçant les ressources de l'autorité de surveillance de l'Association européenne de libre-échange (AELE), pour lui permettre de collaborer plus efficacement avec les agences de l'Union. Je rappelle que cette autorité de surveillance veille à ce que l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège respectent leurs obligations résultant de l'accord sur l'Espace économique européen et que les entreprises respectent les règles de concurrence. Le rapport recommande enfin aux autorités islandaises de prendre une part plus active dans les travaux préparatoires aux actes législatifs européens, en partenariat avec les pays nordiques, « afin d'exercer une influence au stade de l'élaboration des décisions et ainsi de contrer tout déficit démocratique potentiel ».

M. André Gattolin, vice-président. - C'est un point qui a aussi son importance s'agissant des accords internationaux que négocie l'Union européenne - je pense par exemple à l'accord avec le Canada. L'Islande souhaiterait être associée à ces négociations en amont car elle doit ensuite négocier un accord pratiquement équivalent, sans avoir les moyens, toute seule, de peser sur son contenu comme peut le faire l'Union européenne.

M. Jean Bizet, président. - En effet, dans toute négociation internationale, les rapports de forces et la taille des parties prenantes sont très importants...

Le ministre des affaires étrangères et la présidente de la commission des affaires étrangères, tous deux membres du parti de l'indépendance, ont des discours assez fermes s'agissant de la relation à l'EEE et à l'Union européenne.

Le discours que le ministre des affaires étrangères a tenu devant les ambassadeurs de l'Union européenne au mois de juin dernier soulignait les aspects bénéfiques de l'EEE, mais faisait preuve de « volontarisme politique ». Il ciblait notamment la question de l'accès au marché européen des produits de la mer islandais. Évoquant le Brexit, il mettait en garde contre les campagnes populistes et les fake news qui peuvent entamer la confiance des Islandais dans l'EEE, en relevant qu'« on n'est jamais aussi proche de perdre quelque chose qu'au moment où on le tient pour acquis ».

La présidente de la commission des affaires étrangères a également souligné devant nous que la solidarité dont l'Islande a fait preuve avec l'Union européenne s'agissant des sanctions contre la Russie avait un effet direct et important sur les pêcheurs islandais. Elle a ainsi regretté qu'en retour, l'Union européenne n'ouvre pas plus largement ses portes aux produits de la mer islandais. On voit au travers de ces différents échanges que la question de la relation à l'Union européenne reste un sujet sensible.

Autre sujet sensible que nous avons abordé, celui du Brexit. J'en retiens deux points.

Tout d'abord, l'Islande s'y prépare d'un point de vue logistique. Une partie importante du poisson et des produits laitiers islandais destinés à l'Union européenne transite par le Royaume-Uni. Si elles se montrent confiantes, les sociétés islandaises se préparent néanmoins à tous les scénarios et étudient des réorientations de trafic vers le continent qui pourraient bénéficier aux ports néerlandais.

Ensuite, l'évolution de la situation en Écosse est observée de très près. L'Écosse a des affinités nordiques et arctiques que le ministre de l'énergie écossais a d'ailleurs mises en avant de manière offensive lors d'une session de l'Arctic Circle.

Nous avons eu le sentiment que si le Brexit devait entraîner le départ de l'Écosse du Royaume-Uni - hypothèse évoquée dans le rapport de notre groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne -, l'Écosse pourrait obtenir de l'Islande une écoute favorable en cas de demande d'adhésion à l'EEE ou de liens renforcés avec la coopération nordique.

Je dirais de manière générale que les Islandais sont des gens très pragmatiques et qu'ils sont très attentifs aux aspects économiques. De ce point de vue, la zone nordique-arctique constitue une zone d'influence intéressante pour l'Union européenne, à côté des partenariats oriental et méditerranéen.

M. André Gattolin, vice-président. - Il est vrai que les Islandais voient avec intérêt les relations avec l'Écosse. La population écossaise est plus importante que celle de l'Islande, mais elle reste de taille raisonnable. L'Islande souhaite d'ailleurs discuter et s'associer avec des pays petits et moyens comme les îles Féroé ou le Groenland - c'est ce que les Islandais appellent le Small and Middle States Influence.

J'en viens maintenant aux enjeux arctiques de manière plus générale. Trois points nous semblent devoir être plus particulièrement retenus.

Premièrement, le changement climatique est perçu de manière ambivalente. Certes, tout le monde reconnaît l'enjeu environnemental lié à la fonte des glaciers et aux diverses pollutions qui s'accroissent, mais le changement climatique est aussi analysé par certains acteurs en termes d'opportunités, notamment économiques : c'est évidemment le cas en ce qui concerne le nouveau passage maritime Nord-Est qui permet de relier plus rapidement l'Europe et l'Asie, et est désormais accessible trois à quatre mois par an. Cette dimension de développement économique est très présente, d'autant plus que la Chine est à l'offensive. Or il faut savoir que les populations autochtones de l'Arctique sont très ouvertes aux changements et à l'innovation, contrairement à ce que certains pourraient croire.

Deuxièmement, la dimension géopolitique et géostratégique est de plus en plus présente. C'est une nouveauté qui a été soulignée à plusieurs reprises. La remilitarisation russe sur la côte longeant le passage Nord-Est et l'offensive chinoise des nouvelles routes de la soie ont clairement changé la donne. Les ressources du Groenland, notamment les terres rares, intéressent tout particulièrement la Chine. C'est à cette aune que doit être analysée la proposition de rachat du Groenland formulée par le président des États-Unis, Donald Trump. Les États-Unis considèrent que le Danemark et l'Union européenne sont plutôt dans une posture de laisser-faire et ils marquent un intérêt croissant pour cette zone, y compris sur le plan militaire.

M. Jean Bizet, président. - Troisième et dernier point, qui a donné lieu au débat auquel j'ai participé : quelle peut être la stratégie de l'Union européenne dans ce domaine ?

Je vous rappelle que l'Union européenne a adopté une stratégie pour l'Arctique en 2016. Cette même année, notre pays avait adopté sa feuille de route nationale pour l'Arctique. Notre collègue André Gattolin les avait analysées en détail et de manière critique dans son rapport « Union européenne et Arctique : pour une politique ambitieuse et étoffée », publié en 2017. Il avait alors souligné certaines lacunes de la stratégie de l'Union qui apparaissent flagrantes aujourd'hui, compte tenu de la dimension géostratégique croissante de l'Arctique. Le manque de visibilité des moyens mis en oeuvre est notamment un sujet pour le prochain cadre financier pluriannuel.

Nous en avons débattu avec l'ambassadeur de l'Union européenne pour l'Arctique, Mme Marie-Anne Coninsx, et le conseiller d'un think tank interne à la Commission européenne, l'ambassadeur Jari Vílen. Dans un document publié cet été, ce think tank recommande de réviser la stratégie de 2016, qui apparaît désormais décalée par rapport aux nouveaux enjeux.

L'Union européenne a organisé son premier Forum Arctique en Suède il y a trois semaines. Les intervenants concluaient également à la nécessité de réviser cette stratégie. Reste à savoir selon quelles modalités et quel calendrier. Or les deux ambassadeurs ont relevé que l'Arctique n'est pas apparu, à ce stade, comme une préoccupation importante de la nouvelle Commission européenne. C'est pourtant un enjeu d'importance face aux trois grandes puissances qui s'affirment dans la zone - Russie, Chine et États-Unis en ont clairement vu les avantages économiques et géostratégiques. Indéniablement se pose la question de l'articulation entre ces feuilles de route nationales et la stratégie de l'Union, la feuille de route française était la première à prévoir clairement cette articulation. Comme je l'ai souligné lors de mon intervention, au-delà du nécessaire dialogue entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen, il faut également prévoir des modalités d'échange avec les parlements nationaux. C'est primordial, même si cet espace vit très bien, et que l'Islande et la Norvège, notamment, n'ont pas forcément envie d'une montée en puissance d'un nouveau partenaire.

Il nous semble donc que notre commission devra continuer à suivre ce dossier avec attention dans les mois qui viennent. Si son agenda le permet, nous pourrions notamment auditionner la Première ministre islandaise lors de sa prochaine venue en France. Nous signalerons également sa présence à Paris à M. le président du Sénat.

M. André Reichardt. - Lors d'un déplacement en Islande, j'ai visité le siège officiel du gouvernement islandais, une maison de taille modeste qui ne bénéficie pas de protection apparente, et j'ai été marqué par la facilité d'accès aux responsables publics.

M. Jean Bizet, président. - En effet, la culture sécuritaire de l'Islande est différente de la nôtre !

M. Philippe Bonnecarrère. - Pierre Loti a décrit la situation des pêcheurs bretons partant pêcher en Islande. En reste-t-il aujourd'hui ?

M. André Gattolin, vice-président. - Il reste des pêcheurs français allant pêcher en Atlantique Nord-Est mais cela n'a plus rien à voir avec la grande pêche décrite par Pierre Loti. La pêche est une activité économique majeure pour l'Islande qui a progressivement affirmé ses droits sur des zones de pêche, ce qui a donné lieu aux « guerres de la morue ». La société de pêche que nous avons visitée nous a indiqué que le marché français est important pour elle et qu'elle fournit notamment des enseignes de produits surgelés.

M. Jean Bizet, président. - Puisque vous évoquez l'histoire et la mémoire de la France en Islande et en Arctique, je voudrais vous informer que la ministre des Affaires étrangères du Groenland, Mme Ane Lone Bagger, a appelé notre attention sur la maison de Paul-Emile Victor au Groenland, qui nécessite des travaux de restauration. La mémoire de Paul-Emile Victor reste vive. Compte tenu de cette dimension culturelle et symbolique forte, je saisirai avec André Gattolin le ministre de la Culture pour examiner si une aide peut être apportée à ce projet.

M. André Gattolin, vice-président. - Une aide a déjà été apportée par le passé, par le biais de la dotation d'action parlementaire. Il me semble qu'une intervention du ministère de la Culture serait justifiée pour sauvegarder ce patrimoine qui contribue au rayonnement de notre pays.

Institutions européennes - 4e partie de session ordinaire de l'APCE du 30 septembre au 4 octobre 2019 -Communication de Mme Nicole Duranton

M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, je vais maintenant donner la parole à Nicole Duranton pour nous rendre compte, au nom de nos collègues qui sont membres de la délégation française à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, de la dernière partie de session de cette assemblée, qui s'est tenue à Strasbourg voilà trois semaines.

Il s'agissait d'une session spéciale à plusieurs titres : d'une part, elle intervenait après la réintégration de la délégation parlementaire russe au sein de l'hémicycle du Conseil de l'Europe, réintégration intervenue en juin, qui avait suscité beaucoup d'émoi et qui en suscite encore ; d'autre part, elle se déroulait encore sous présidence française du Comité des ministres du Conseil de l'Europe. C'est pour cette raison que le Président de la République est intervenu devant l'Assemblée de Strasbourg, marquant ainsi le 70anniversaire du Conseil de l'Europe.

C'est aussi pour cette raison que se tiendra demain et après-demain, sous la coprésidence de MM. Richard Ferrand et Gérard Larcher, la conférence des présidents des parlements du Conseil de l'Europe. Le Président Larcher m'a invité à l'y accompagner, avec le président Cambon, et nos collègues Nicole Duranton et Maryvonne Blondin. La présidence française s'achèvera à la fin du mois de novembre. D'ici là, et dans ce cadre, notre délégation parlementaire à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe organise jeudi 14 novembre au Sénat, un colloque sur les droits de l'homme et la démocratie à l'ère numérique, auquel je vous encourage tous à participer.

Mme Nicole Duranton. - La quatrième partie de session de l'APCE, la dernière sous présidence française du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, s'est tenue à Strasbourg du 30 septembre au 4 octobre dernier.

La délégation du Sénat y était représentée par nos collègues Maryvonne Blondin, Bernard Cazeau, Bernard Fournier, André Gattolin, François Grosdidier, Claude Kern, Jacques Le Nay, André Reichardt, André Vallini et moi-même.

Outre le retour de la Russie, la précédente partie de session, fin juin, avait été marquée par l'élection du nouveau Secrétaire général du Conseil de l'Europe, Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ, ministre croate des affaires étrangères.

La session d'automne a, quant à elle, été marquée par la venue, le 1er octobre, du Président de la République, qui s'est exprimé dans l'hémicycle, puis a participé à la cérémonie célébrant le 70e anniversaire du Conseil de l'Europe. Si les tensions étaient nettement moins vives qu'en juin, la situation est loin d'être pacifiée et reste marquée par plusieurs défis.

En premier lieu, les stigmates de la crise russe étaient toujours visibles. Certes, nos collègues russes étaient présents et actifs, et la Russie a également repris le versement de sa contribution au budget du Conseil de l'Europe, mais le parlement ukrainien a refusé de désigner une délégation, si bien que les députés ukrainiens n'ont pas participé à nos travaux. Quant aux délégations balte et géorgienne, elles n'ont pas voulu prendre part aux cérémonies du 70e anniversaire. Par ailleurs, le bureau de l'Assemblée a donné suite à la demande du groupe ADLE de tenir un débat d'actualité sur le thème de la violation des droits démocratiques et la répression des manifestations pacifiques en Russie dans le contexte des élections au conseil de la ville de Moscou. Un débat d'actualité ne donne pas lieu au vote d'une résolution ; cependant, il a été l'occasion de dénoncer le non-respect par la Russie des résolutions de l'APCE la concernant et, plus généralement, la violation par ce pays de plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits de l'Homme.

Dans son discours devant l'Assemblée en tant que présidente du Comité des ministres, la secrétaire d'État chargée des affaires européennes, Amélie de Montchalin, a estimé que « le retour de la délégation russe [...] engage la Russie » et a affirmé que « la Présidence française veillera à ce que la Russie respecte toutes ses obligations statutaires, qu'elle continue de mettre en oeuvre [...] toutes les décisions de cette institution ». Sur ce point, l'Assemblée et le Comité des ministres ont poursuivi leurs discussions sur une nouvelle procédure complémentaire entre ces deux organes en cas de manquement d'un État membre à ses obligations statutaires. Amélie de Montchalin a indiqué que son objectif était que cette « procédure de réaction conjointe » soit opérationnelle en janvier 2020. En dernière extrémité, elle pourrait conduire, à l'issue de plusieurs étapes obéissant à des conditions précises, à l'exclusion de l'État membre concerné de l'Organisation ou à la suspension de son droit de représentation. Cette nouvelle procédure est envisagée de façon très progressive : des sanctions éventuelles ne seraient prises qu'après une étape de dialogue politique coordonné avec l'État membre, puis une autre au cours de laquelle serait instituée une procédure spéciale de suivi, le tout étant ponctué d'évaluations régulières. Selon la secrétaire d'État française, la mise en oeuvre de la procédure de réaction conjointe doit obéir à quatre principes : prévisibilité, réactivité, crédibilité et réversibilité.

En second lieu, le Conseil de l'Europe reste confronté à de nombreux autres défis.

Lors de sa première intervention dans l'hémicycle, Mme Pejèinoviæ Buriæ ne l'a d'ailleurs pas caché, elle a estimé que le Conseil de l'Europe devait « rester, pour ses membres, une plateforme paneuropéenne - unique - de dialogue et de coopération constructifs » et devait aussi « demeurer la référence, s'agissant de la promotion et de la protection de la démocratie, des droits de l'Homme et de l'État de droit sur notre continent ». La Secrétaire générale a évoqué la nécessité de stabiliser et pérenniser le financement du Conseil de l'Europe, et de poursuivre la réforme de son fonctionnement et de ses structures. Mais les difficultés sont nombreuses : non-respect de certaines décisions de la Cour de Strasbourg, voire contestation de la Convention européenne des droits de l'Homme, existence de conflits gelés, persistance de la corruption, atteintes à l'indépendance de la justice, discours de haine et fake news en ligne, pauvreté, etc. Elle a conclu sur ces mots : « Je prends mes fonctions à une période difficile pour le Conseil de l'Europe. Je ne me fais pas d'illusions : exercer mon mandat ne sera pas facile. »

Dans son discours, très apprécié, devant l'Assemblée, le président Macron a réaffirmé « l'indéfectible attachement » de la France au Conseil de l'Europe et à la Convention. Tout en rappelant le bilan positif de l'Organisation, par exemple la disparition quasi totale de la peine de mort en Europe, il a noté que, « trente ans après la chute du mur de Berlin, les murs de cette maison commune sont toutefois fissurés ». Il a en effet dénoncé les atteintes aux droits fondamentaux, notamment en Turquie, et dans les démocraties illibérales. C'est pourquoi il s'est dit attaché à vouloir « reconstruire ici l'unité de notre continent sur le socle de nos valeurs communes ».

Sur la Russie, il a, à la fois, mis en évidence les insuffisances de l'État de droit et les apports de son appartenance au Conseil de l'Europe, tout en se félicitant du retour de sa délégation parlementaire - « ce n'est pas un geste de complaisance ; c'est une décision d'exigence », a-t-il dit.

Ensuite, le Président de la République a considéré que certains sujets sensibles étaient l'objet de ce qu'il a appelé « la tension éthique qui vient traverser nos démocraties », illustrant ses propos par quatre exemples : la lutte contre le terrorisme, le maintien de l'ordre, la lutte contre la désinformation, et la maîtrise des flux migratoires et la protection du droit d'asile.

Il a conclu son discours en évoquant la création d'un Observatoire de l'enseignement de l'Histoire. Amélie de Montchalin avait précédemment expliqué qu'il ne s'agissait pas « d'écrire un manuel d'histoire unique pour 47 pays », mais « de dresser un état des lieux neutre et de permettre aux spécialistes de se parler, de travailler ensemble sur la façon dont notre passé est enseigné dans les écoles ».

Enfin, cette partie de session a donné l'occasion à plusieurs de nos collègues de la délégation française de faire adopter plusieurs rapports. Notre collègue Maryvonne Blondin a notamment présenté deux rapports, le premier sur les violences obstétricales et gynécologiques, et le second, en binôme avec un parlementaire lituanien, sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Moldavie. Je laisse Mme Blondin vous donner plus de détails sur ses rapports.

Mme Maryvonne Blondin. - J'ai préparé le premier rapport en tant que membre de la commission Égalité et non-discrimination, sur un sujet qui n'avait jamais été traité par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, non plus d'ailleurs que par la délégation aux droits des femmes du Sénat. Il s'intitule « Reconnaître les violences obstétricales et gynécologiques, et protéger les droits des patientes ».

J'en ai parlé récemment à Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, qui m'a félicité d'avoir réalisé ce travail. Ce rapport est très large, 37 pays ayant répondu sur les 47 qui ont été destinataires du questionnaire. Le Conseil national des gynécologues et obstétriciens de France a changé son fusil d'épaule et met en place une commission spéciale pour se conformer aux préconisations contenues dans mon rapport. Ce rapport a fait l'objet d'une large couverture à la radio comme à la télévision, ainsi que sur les réseaux sociaux.

Il permettra peut-être que l'Assemblée nationale et le Sénat se saisissent du sujet pour faire avancer les choses.

Je suis également corapporteure sur la Moldavie pour la commission du suivi du respect des obligations et engagements. Ce pays subit, depuis février dernier, des crises économiques et sociales très importantes et souffre de graves problèmes judiciaires ainsi que d'une corruption très forte. Or il est important, aux yeux de la commission, d'accompagner sa démocratisation.

La Moldavie fait partie des pays tampons entre l'Est et l'Ouest, que nous ne devons pas délaisser et que la France doit soutenir et accompagner.

J'occupe ces fonctions depuis 2017, à la suite de Mme Durrieu, et avec mon collègue M. Egidijus Vareikis, de Lituanie, nous nous interrogeons aujourd'hui sur la situation du pays, que nous suivons très régulièrement.

Un accord un peu antinomique a été conclu en Moldavie entre le camp pro-occidental et le camp prorusse qui n'avaient jusqu'alors pas de relations. Parvenir à se mettre temporairement d'accord sur des points précis pour gouverner le pays, manifeste une maturité politique qui justifie que ce pays soit accompagné, dans le cadre du Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Grevio), la convention de Venise et d'autres structures du Conseil de l'Europe.

M. Jean Bizet, président. - Bravo pour ce rapport, ma chère collègue, qui a en effet été bien relayé. Il a utilement levé des zones d'ombre

La réunion est close à 14 h 50