LES COLLOQUES DU SÉNAT

BICENTENAIRE DU CODE PÉNAL

1810-2010

25/26 novembre 2010

Les propos retranscrits dans ces actes n'engagent que leurs auteurs

et non les institutions auxquelles ils appartiennent

25 NOVEMBRE 2010 - COUR DE CASSATION
ACCUEIL

Vincent LAMANDA,
premier président de la Cour de cassation

Monsieur le garde des Sceaux,

Madame et messieurs les premiers présidents et présidents,

Messieurs les procureurs généraux,

Mesdames et messieurs les professeurs,

Distingués invités,

Mesdames et messieurs,

Chers collègues,

Je suis particulièrement heureux d'accueillir en cette Grand'chambre le colloque consacré à la célébration du bicentenaire du code pénal, qui se poursuivra demain au Sénat.

Monsieur le garde des Sceaux, comment ne pas être sensible à ce que votre première visite en notre Cour coïncide avec cette rencontre internationale. II ne s'agit pas pour vous que d'honorer l'engagement souscrit par votre prédécesseur, mais de démontrer toute l'attention que vous portez à nos travaux.

Nous vous savons grand gré de votre présence et de votre participation.

Nous y voyons un signe fort de votre intérêt pour les thèmes qui vont être abordés pendant ces deux jours et dont la plupart constituent, tant pour les universitaires que pour les praticiens, un sujet constant de réflexions et de débats.

Conscients de ces enjeux, le Sénat et la Cour de cassation ont souhaité placer cet anniversaire sous le double regard du législateur et du juge, en réunissant les meilleurs spécialistes. C'est pour moi l'occasion d'exprimer à M. le Président Larcher et à ses collaborateurs notre profonde reconnaissance d'avoir bien voulu associer la haute assemblée à notre réflexion.

Je me dois aussi de saluer les présidents et les membres des cours suprêmes amies dont la nombreuse présence nous honore, car elle atteste qu'ils demeurent concernés par l'histoire de notre codification et attentifs à ses évolutions.

Que soient ici tout particulièrement remerciés M. le recteur Jean-Marie Carbasse, professeur à l'Université de Montpellier, M. le Doyen André Decoq, professeur émérite à l'Université de Paris, et M. Edouard Verny, professeur à l'Université de Rennes. Ils ont bien voulu nous apporter leur précieux concours dans la conception de ces deux journées d'études et de l'exposition qui les prolongera.

Outre leur immense culture d'historiens du droit et de pénalistes incontestables, ils nous ont apporté, je crois pouvoir le dire, la preuve tangible de leur amitié pour la Cour de cassation.

Nos remerciements chaleureux vont également aux présidents de séance de cette première journée :

M. Bernard Barbiche, professeur émérite à l'école nationale des Chartes, qui a bien voulu se charger d'animer le premier débat sur les fondements philosophiques du code dans une perspective historique de 1810 à nos jours, ainsi que M. le Doyen Henri-Claude Le Gall, président de la Cour de Justice de la République, qui veillera au bon déroulement de la dernière séquence de ce jour, consacrée à l'influence du code de 1810 en Europe.

Enfin, je souhaiterais dire ma vive gratitude à tous nos intervenants, trop nombreux pour que je les cite tous : universitaires, magistrats et avocats, qui ont répondu avec générosité à notre invitation.

Grâce à eux, ce colloque permettra non seulement de célébrer deux siècles de codification pénale, mais aussi de conduire une recherche sur sa justification et son devenir.

Le droit pénal est aujourd'hui l'objet d'une production normative dont la fréquence n'a souvent d'égale que l'importance quantitative. La lisibilité de la norme peut en souffrir, alors qu'elle est essentielle pour satisfaire à l'exigence de sécurité juridique.

Aurait-on perdu de vue le souci de clarté qui a notamment présidé à la codification de 1810 ?

Cet idéal a constamment inspiré cet important travail de synthèse qui concilie magistralement, selon le mot si imagé de Napoléon, « les talons rouges » et « les bonnets rouges », en réunissant, dans un même creuset légal, l'ensemble des délits et des peines, et en s'attachant à préserver le meilleur de la science juridique d'ancien régime ainsi que les heureuses avancées de la période révolutionnaire.

Conduite dans un contexte de culte de la loi, la codification de 1810 est guidée par la conscience que la société, comme l'Etat, doivent disposer d'une référence incontestable, propre à assurer, fût-ce avec rigueur, cette stabilisation que le corps social appelait de ses voeux après tant d'années de bouleversements.

Cette logique de rationalisation est tempérée d'un humanisme véritable qui allie au légitime souci d'efficacité, la nécessité d'un respect réaffirmé des droits de l'homme.

La Déclaration de 1789 a, en effet, posé en principe que : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et [que] nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

En résonance avec les thèses de Beccaria, le principe de légalité des délits et des peines répond à un double objectif : faire cesser l'arbitraire qui sévissait sous l'Ancien régime, en privant le juge du pouvoir d'incriminer les comportements et de fixer, à sa guise, les sanctions, en lieu et place de la loi.

Le domaine du droit répressif apparaît ainsi comme celui d'élection d'une sécurité juridique qu'affermit le principe de non rétroactivité de la loi pénale.

Epris d'ordre, Napoléon émet cependant des doutes. Il considère qu'à suivre cette logique, « tout crime reste impuni simplement parce que le législateur n'y a pas pensé ! ».

La réticence de l'Empereur est riche d'enseignements.

Si elle est par essence contraignante, la loi pénale est aussi l'affirmation d'une liberté, dans la mesure où tout ce qu'elle n'interdit pas, demeure permis.

Conçu comme un instrument permanent de régulation sociale, le code de 1810 est certes d'inspiration répressive. Mais, en cela, il tranche avec les législations des régimes dits « de police », dans lesquels, selon l'expression du doyen Carbonnier, « d'avance l'autorité empêche tout, sauf à concéder des autorisations ».

La loi pénale, symbole le plus éloquent de l'emprise des valeurs sociales sur le droit, reflète, parfois avec un certain décalage, les mutations de la société. A titre d'exemples particulièrement significatifs, on peut citer les textes adoptés en 1975 qui supprimèrent successivement l'incrimination de l'avortement, « l'excuse atténuante » du mari tuant sa femme surprise avec un amant et le régime rigoureux frappant l'épouse adultère.

Ce rappel souligne combien la sanction est indissociablement liée avec l'incrimination. Faute de sanction de sa transgression, l'interdiction est privée de portée. La sanction n'est pas le corollaire de l'incrimination, ni le gage de son efficacité. Elle est la condition de son existence même.

Dès lors, la peine porte en elle autant, sinon plus, de signification que l'incrimination, puisqu'elle détermine la catégorie d'infraction et, par suite, la juridiction qui doit en connaître.

Pour être soumises au principe de légalité, les peines n'en doivent pas moins répondre aux exigences pratiques qui guident leur prononcé. Marqués par les rigidités du code des délits et des peines de 1791 qui imposait aux juridictions le prononcé de peines fixes, les rédacteurs du code de 1810 innovent en laissant au juge le pouvoir de moduler les peines correctionnelles, dans des limites qu'ils ont prévues.

La peine est omniprésente dans les réflexions philosophiques qui fondent le droit pénal et les praticiens en font un objet constant de débats dans les prétoires. Ce colloque doit naturellement conduire à nous interroger sur le sens qu'elle revêt aujourd'hui.

Nourri de morale chrétienne, le droit pénal de l'Ancien régime voulait faire expier le coupable, en oeuvrant pour le salut de son âme.

Les châtiments corporels prédominaient. La prison n'était essentiellement qu'un lieu de rétention avant jugement.

Dans cette conception, les peines répondant à une exigence de rétribution, toute faute doit recevoir sa juste sanction, afin de contribuer à l'amendement du condamné et préparer le rachat de ses fautes.

Cette inspiration religieuse transparaît plus encore dans la question préalable. Cette torture infligée au condamné avant son exécution est censée l'inciter à libérer sa conscience par d'ultimes aveux. Car l'éphémère vie sur terre, ne vaut, alors, que comme antichambre d'un éternel au-delà.

Etalonnées à l'aune de la souffrance du condamné, les peines sont d'autant plus exemplaires, qu'elles sont spectaculaires de cruauté.

Le siècle des lumières, si épris de progrès, d'harmonie et de liberté, ne pouvait que vouer aux ténèbres cette conception archaïque, pour se tourner vers un utilitarisme bienveillant.

L'emprisonnement va ainsi progressivement s'imposer comme mode privilégié d'exécution des peines. Désormais, celles-ci seront étalonnées par le temps, décompté par la durée de la privation de liberté infligée au coupable.

On considère, en effet, que l'isolement moralise le condamné, en concourant à lui faire prendre conscience de ses torts. La prison doit servir à sa réhabilitation tant à ses yeux, qu'à ceux du corps social. Le temps de la peine écoulé, il aura définitivement payé sa dette à la société.

Au fil des années, l'efficacité de l'emprisonnement comme mode de traitement du phénomène criminel fait l'objet d'une mise en question grandissante.

La nécessité qui s'impose, à l'issue du second conflit mondial, d'un renforcement des droits de l'homme, comme d'une meilleure prise en compte de la vulnérabilité des mineurs auteurs d'infractions et d'une plus grande attention à la condition pénitentiaire, trouve, souvent en dehors du code pénal, sa traduction législative.

Ce courant de pensée reçoit une nouvelle consécration au cours de la deuxième moitié du XX e siècle, au travers de l'émergence de nouvelles peines destinées à substituer l'emprisonnement.

Favorisée par l'importance croissante reconnue aux droits économiques et sociaux dans un monde qu'uniformise la communication, la privation des droits semble revêtue d'une efficacité excédant de beaucoup la seule privation de liberté.

En remplaçant l'incarcération, la privation de droits particuliers ne semblerait-elle pas aujourd'hui reléguer au second plan le temps pris comme étalon de la peine ?

Le retrait du permis de conduire, l'inéligibilité, l'interdiction d'exercer une profession, voire de paraître dans un stade, la confiscation du véhicule, ne sont-ils pas, d'ores et déjà, plus douloureusement ressentis qu'une condamnation à une lourde peine d'emprisonnement assortie du sursis ?

Il s'agit là, en définitive, de l'aboutissement de deux logiques : le principe de légalité des peines, croisé avec celui d'individualisation des sanctions. Le législateur s'efforçant inlassablement de prévoir des peines mieux adaptées, tant à l'infraction qu'à l'auteur de celle-ci, mais aussi à la réalité des structures sociales.

Cette amorce d'un nouveau sens de la peine est encore en devenir et les travaux de ces deux journées contribueront certainement à enrichir les réflexions sur un sujet au coeur des préoccupations de toute société démocratique.

Une commémoration est l'occasion privilégiée de considérer, avec l'objectivité qu'apportent les années, les faits et les gestes qui nous ont précédés.

La vision lucide du passé conduit à envisager résolument l'avenir pour mieux le préparer. Le poète ne recommande-t-il pas de se tourner vers hier pour mieux se souvenir de demain ?

Je vous souhaite un fructueux colloque, en vous renouvelant mes voeux de bienvenue à la Cour de cassation.

Jean-Louis NADAL,
procureur général près la Cour de cassation

Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, la Cour de cassation est particulièrement honorée de votre présence aujourd'hui à cette conférence.

Vous avez pris le soin tout particulier, quelques jours seulement après votre nomination place Vendôme, d'honorer un engagement pris par votre prédécesseur, Mme Michèle Alliot-Marie, que je veux remercier de l'intérêt soutenu qu'elle a toujours porté pour les conférences organisées par notre Cour et particulièrement pour l'importante conférence sur le parquet européen organisée en février 2010 dont les actes publiés très récemment constituent l'état le plus avancé de la réflexion sur ce sujet. M. le garde des Sceaux, je vous exprime ma gratitude pour votre présence à notre conférence. La justice de notre pays, en matière pénale tout particulièrement, ne cesse en effet d'être au coeur de tous les débats. Votre intervention de ce jour marque tout l'attachement, l'intérêt et la réflexion que vous portez à ces questions. Croyez bien que vous trouverez à la Cour de cassation, des interlocuteurs désireux d'apporter leur regard et leur expertise.

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Mesdames et messieurs les premiers présidents et procureurs généraux des Cours suprêmes européennes et étrangères, quel honneur de vous accueillir en France, à la Cour de cassation. Votre présence à cette conférence signe l'ancrage européen et international de notre Cour. Elle marque la dynamique d'ouverture sur l'extérieur de notre institution. Je vous remercie infiniment de votre présence aujourd'hui.

Je souhaite, à cet égard, saluer tout particulièrement le président du réseau des Procureurs généraux près les cours suprêmes des Etats membres de l'Union européenne, le procureur général Vitaliano Esposito. Ce réseau, je le rappelle, est né, ici-même, le 6 février 2009 à la Cour de cassation et s'assigne comme objectif de réfléchir à toutes les questions portant notamment sur le ministère public en Europe.

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Je salue également l'ensemble des hautes personnalités nationales présentes, ainsi que tous les intervenants à cette conférence, parlementaires, professeurs de droit, magistrats et avocats. Je leur exprime ma gratitude pour le soin qu'ils ont apporté à la préparation de cette conférence.

Je remercie tout particulièrement le recteur Jean-Marie Carbasse pour avoir été à la conception du programme et des choix scientifiques qui ont pu être faits. L'ensemble des intervenants - et je les remercie de bien vouloir me pardonner de ne pas tous les citer nommément - vont, par leurs éclairages respectifs, nous permettre de se pencher sur deux siècles d'histoire du code pénal et sur ses perspectives d'avenir.

Je voudrais surtout rappeler que cette conférence a été organisée conjointement par la Cour de cassation et le Sénat. Cette association est le symbole du lien entre le Parlement et l'Institution judiciaire, de ce lien entre la loi et la jurisprudence, dans une démarche de réflexion commune et de respect mutuel. Je veux remercier très chaleureusement M. Gérard Larcher, Président du Sénat, pour son engagement, dès le début de cette initiative et de l'intérêt tout particulier porté à cette manifestation.

Enfin, les remerciements les plus chaleureux doivent être adressés au premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, qui a eu l'heureuse initiative de cette conférence sur le Bicentenaire du code pénal.

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Si commémorer a une portée mémorielle, par la célébration et le souvenir d'un événement national, c'est aussi et surtout, de manière essentielle, un moyen de tracer des perspectives d'avenir en tirant les enseignements du passé. Si l'on applique cette réflexion au code pénal de 1810, l'on observe que cette fonction de commémoration ne pouvait pas mieux trouver à s'appliquer, à l'heure où le législateur s'interroge, sans cesse, sur l'évolution des textes pénaux.

Au-delà de la fonction répressive du droit pénal, il est essentiel de rappeler que les règles pénales sont avant tout le miroir de notre société et le marqueur des valeurs qu'elle défend. Le législateur entend énoncer avant toute chose, par ces règles, les valeurs fondamentales qui structurent notre société. Commémorer le bicentenaire du code pénal, c'est donc porter un regard sur notre société et son évolution. Pour illustrer ce point, je voudrais citer l'exemple du code pénal de 1994, particulièrement démonstratif à cet égard : en effet, ce code de 1994 place les infractions contre les personnes en tête du code pénal et à son fronton, le crime contre l'humanité.

Le législateur a voulu en effet signifier la valeur sacrée que revêt à ses yeux la vie humaine et il a souhaité tirer les conséquences d'une histoire meurtrie du XX e siècle.

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Ce code de 1810 est, pour sa part le reflet des conceptions libérales du siècle des Lumières. Il est le dernier grand code napoléonien, continuation du code pénal de 1791, oeuvre de la Constituante. Il est marqué par deux phénomènes principaux : une rationalisation du droit par l'oeuvre de codification et le renouvellement de l'ordre public.

Les codes de 1791, puis de 1810, posent tout d'abord les grands principes : principe de la légalité, principe de l'égalité et principe de la personnalité des peines. Les peines s'inscrivent en outre dans une durée : elles ont une fin et peuvent faire l'objet d'un effacement symbolique par la réhabilitation.

Le code pénal de 1810 est aussi marqué par l'influence de Montesquieu et de Beccaria sur la question du libre-arbitre : il ne saurait y avoir de peine, de punition, si l'acte commis n'est pas un acte libre. Sur ce point, va naître la notion de démence comme cause générale d'irresponsabilité dans le célèbre article 64.

Le code pénal de 1810 est le reflet de son époque en ce qu'il est axé prioritairement sur la protection des intérêts politiques, avec les « crimes et délits contre la chose publique ». La protection de l'État contre les agressions extérieures et intérieures ou contre les abus de pouvoir commis par des représentants de l'autorité étatique constituent en effet à cette époque un enjeu majeur. C'est ainsi que le code pénal napoléonien, reprenant la hiérarchie du code de 1791 réprime en premier lieu les crimes et délits contre la chose publique, et place les infractions contre les particuliers en second lieu de ses préoccupations.

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Ce code va réussir à durer durant 180 ans, en se transformant au gré des évolutions de la société. Et nous verrons sur ce point comment l'évolution du droit pénal au cours du XIXème et, surtout, du XXème siècle, va bouleverser la hiérarchie traditionnelle des intérêts protégés.

Ces évolutions seront marquées par la nécessité de réprimer les formes nouvelles de délinquance, souvent liées aux évolutions techniques ou technologiques. Ces bouleversements vont toutefois, de manière principale, se traduire par l'importance croissante portée aux infractions contre les personnes, en illustrant la relative perte d'intérêt du législateur pour les infractions contre la chose publique.

Une des raisons principales est à rechercher dans l'émergence du mouvement d'affirmation des droits de l'homme et des droits fondamentaux marqués par la protection des intérêts individuels des personnes.

C'est ainsi que le code pénal a été irrigué par cette dynamique des droits de l'homme, ce qui a conduit les législateurs successifs à accorder une place grandissante à la protection de la personne, mouvement qui a culminé quand le code pénal de 1994 a placé les infractions contre les personnes au premier rang de ses préoccupations, comme je le rappelais au début de mes propos.

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Aborder l'évolution du code pénal et ses transformations nécessite en outre de porter un regard sur son application par les juridictions et par la Cour de cassation. A cet égard, rappelons que Portalis, dans son discours introductif au code civil, avait estimé qu'« en matière criminelle, il faut des lois précises et point de jurisprudence ».

Il sera intéressant de constater comment, surmontant la défiance des révolutionnaires à l'égard des magistrats, la jurisprudence criminelle va devenir une source de droit à part entière, au point que certains auteurs ont pu considérer que cette jurisprudence s'est affirmée comme un outil de puissance et de pouvoir au service de la Cour de cassation.

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Une autre dimension apparaît essentielle et sera abordée au cours de nos travaux : c'est le sens de la peine et son évolution. Michel Foucault a montré comment, sous l'ancien droit, la peine s'appliquait sur le corps même du condamné. Il fallait marquer le corps, le châtier. L'archaïsme et la cruauté de ces châtiments vont susciter l'indignation à partir des siècles des Lumières.

Beccaria considère notamment qu'une peine cruelle est contraire au contrat social qui est à la base du droit de punir. C'est ainsi que les rédacteurs du code pénal de 1791 décidèrent de mettre fin aux supplices, « ces spectacles cruels qui dégradent les moeurs publics et indignes d'un siècle humain et éclairé » , selon les mots de Le Peletier Saint-Fargeau. Notons toutefois comment ce code de 1791, repris par le code de 1810 maintiendra la peine de mort, sans se contredire en apparence, en considérant que « la peine de mort consistera dans la simple privation de la vie, sans qu'il puisse jamais être exercé aucune torture envers les condamnés ».

C'est ainsi que l'emprisonnement fait son entrée dans le code pénal, comme véritable sanction. Ce n'est plus le corps qui est l'objet de la sanction, mais sa liberté, en considérant que la fonction punitive a pour but de rééduquer le coupable et de favoriser son amendement. Notons que le code pénal maintiendra certains supplices qui seront définitivement supprimés par la loi du 28 avril 1832.

Ainsi, après les peines de première génération portant sur le corps, naissent les peines de deuxième génération, qui impactent la liberté du condamné. Il sera intéressant de voir comment sont nées les peines, en quelque sorte, de troisième génération, qui portent sur les droits pouvant être restreints ou faire l'objet de privation.

Mais, une dimension nouvelle est en train de voir le jour. Albert Camus avait écrit prophétiquement que le XXI e siècle sera le siècle de la peur. Parce que, pour reprendre le titre d'un ouvrage de Mme Mireille Delmas-Marty, l'on vit dans « un monde dangereux » , la question de la prévention du crime prend une place de plus en plus essentielle dans le débat publique. C'est le développement des mesures de sûreté. Il sera donc particulièrement intéressant, en se penchant sur 180 années d'évolution pénale, de réfléchir à ces évolutions.

***

D'autres dimensions pourront aussi être examinées au cours de cette conférence :

- en premier lieu la dimension constitutionnelle : l'impact du droit constitutionnel est, aujourd'hui, de la question prioritaire de constitutionnalité sur le droit pénal, doit être examiné avec une grande attention ;

- en second lieu, l'irrigation du droit pénal par le droit de la Convention européenne des Droits de l'Homme et de la jurisprudence de la Cour européenne constitue un aspect essentiel de l'évolution du droit pénal ;

- enfin, depuis l'entrée en vigueur le 1 er décembre 2009 du traité de Lisbonne, l'émergence d'un droit pénal européen devient réalité. Sans doute, s'agit-il ici d'une dimension décisive de l'évolution du code pénal et du droit pénal.

Lors de la conférence de février dernier sur le Parquet européen, bien des auteurs ont pu relever que la naissance du Parquet européen imposait que soient posées des règles d'incrimination et des principes fondamentaux communs. Je commençais mes propos en rappelant que le code pénal était le miroir de notre société. Le droit pénal européen qui se construira sera à cet égard le marqueur des valeurs que l'Europe entend promouvoir.

Je voudrais pour terminer remercier encore très chaleureusement l'ensemble des intervenants. Et avant de vous céder la parole, je vous redis, Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, tout l'honneur qui est le nôtre de vous accueillir à la Cour de cassation.

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