DÉBAT

• Vincent LAMANDA, premier président de la Cour de cassation

L'article 132 qui impose au juge de rechercher toute autre solution que la prison commence à être appliqué en jurisprudence. De nombreuses cassations interviennent car le juge ne justifie pas sa décision. Le juge d'application des peines et le Procureur devront examiner si le juge aurait pu prendre d'autres sanctions que la prison et le juge d'application des peines devra voir s'il peut transformer la peine de prison à une autre peine. Ceci vaut pour toutes les peines inférieures à deux ans d'emprisonnement, ce qui pose un grave problème de structure de nos institutions actuelles. En effet, l'institution de jugement ne se situe plus actuellement dans le prétoire mais se déplace dans les bureaux. Le juge d'application des peines, dans le silence et la confidentialité de son cabinet, pourra transformer toutes les peines prononcées par les juges. Nous assistons donc à un glissement manifeste de la décision vers le juge d'application des peines. Le juge de jugement statue en une fois et se prononce sur la culpabilité et la peine alors que le juge d'application des peines peut statuer en plusieurs fois, avec une succession d'instances pénales : le juge pourra, dans un premier temps, mettre un bracelet électronique mobile, puis le placer en détention et le ressortir en semi-liberté, prévoir ensuite une libération conditionnelle... Nous ne sommes alors en présence non plus d'une justice de l'instant mais d'une justice de la durée, ce qui était presque inévitable lorsqu'on a transformé les peines corporelles en 1810 et qu'on a introduit l'emprisonnement, créant une peine qui s'exécute dans la durée.

Le système judiciaire a dû s'adapter avec ses structures à ce type de rapports. Ce point a beaucoup d'importance dans la décision. J'ai présidé pendant très longtemps la Cour d'assises et ai vécu les délibérés où on doit expliquer aux jurés qu'ils prononcent la peine et que le juge d'application des peines peut les modifier. Les jurés souhaitent que la personne ne sorte pas de prison avant tel moment. Il faut alors réaliser de savants calculs qui tiennent compte de la durée de la détention provisoire et des remises de peine initiales et supplémentaires, accordées de manière peu restrictive. Au total, si les jurés voulaient que le condamné reste encore six ans en prison, ils doivent prononcer une peine qui équivaut à 17 ans, ce qui fausse complètement l'analyse de la juridique de jugement puisque la peine change ensuite. Le juge du jugement ne maîtrise plus la peine qui sera exécutée ce qui pose un sérieux problème dans la structure de nos institutions pénales.

• Didier BOCCON-GIBOD

Personne n'ignore que la situation dans les prisons est très particulière. S'occuper quotidiennement de personnes détenues pour une très longue durée interdit de considérer qu'elles sont là comme suspendues. On peut défendre une position qui consiste à dire que le juge, au moment où il prononce la condamnation, sanctionne l'infraction commise. Le juge est chargé de sanctionner un comportement mais il n'a pas à avoir la maîtrise de sa décision : il prononce ce que vaut le fait sanctionné. En prison, les gens évoluent, bien ou mal. Les personnels sont soumis à des pressions. Dans certains cas, les mesures prises en faveur des détenus permettent au personnel d'exercer leurs fonctions. Nous ne pouvons pas écarter ces points. L'éthique du juge ne lui permet pas de dire qu'il faut, pour qu'une personne passe dix ans en prison, prononcer vingt ans. Le juge ne peut que dire quelle est la peine encourue et ce qu'il est possible de prononcer. Il est également possible d'expliquer à un juré que ce qui se passe pendant la détention relève d'autre chose que du prononcé de la sanction.

• Jean DESESSARD, sénateur de Paris

Je crains qu'on donne l'impression ou l'illusion que l'aménagement de peine est un cadeau fait à la personne condamnée. Dans ce cas, on peut regretter le glissement qui se fait d'un juge qui prononce la peine à un juge d'application des peines. Or le juge d'application des peines n'agira pas de la même manière selon la durée de la peine. En outre, pour donner toutes ses chances à l'aménagement des peines, encore faudrait-il qu'il y ait des personnels en nombre suffisant au niveau de l'administration pénitentiaire pour que l'aménagement de peines soit contrôlé et suivi et devienne ainsi une méthode plus intelligente et plus performante qui ne retire rien à la sanction et peut être reçue comme plus contraignante qu'un simple enfermement.

• Jacques-Henri ROBERT

Je vous renvoie au rapport de la commission sur l'analyse et le suivi de la récidive.

• De la salle

Je constate qu'en droit français, la notion de peine revient à la peine applicable, contrairement à la peine américaine puisque des personnes sont condamnées aux Etats-Unis à 100 ans de prison, voire plus.

• Yves BOT

Les points de vue exprimés sont finalement complémentaires : évidemment, les personnes évoluent en prison et le système d'exécution de la peine est donc nécessaire. Ce point de vue est en conformité avec la définition moderne de la peine. Vous disiez que la sanction sert aussi à séparer le criminel de son acte. Si la sanction a cet effet, comment ne pas en tenir compte ensuite au stade de l'évolution de son comportement ? Le problème ne serait-il pas obscurci par le fait que ces mesures destinées à tenir compte de l'évolution du condamné sont aussi utilisées comme des mesures de maintien de l'ordre et de la bonne ambiance au sein des établissements pénitentiaires ? Ceci fausse alors le jeu et renvoie au régime de l'exécution matérielle dans les établissements pénitentiaires. Quels établissements pénitentiaires pour quel type de délinquants ? On n'a peut-être jamais voulu prendre les décisions claires que ces principes impliquaient : si on voulait vraiment spécialiser les établissements pénitentiaires, il faudrait renoncer à la proximité géographique des condamnés avec leurs contacts. En privilégiant la proximité avec les amis, la famille et le métier, on saupoudre sur le territoire national au lieu de spécialiser les établissements pénitentiaires, créant ainsi de la promiscuité.

Enfin, la simplification des normes doit être inscrite à l'ordre du jour. Le droit doit être accessible au juge. Quand la Cour de justice de l'Union européenne, cherchant à dégager un principe, balaie les normes appliquées dans les 27 Etats membres, elle a parfois un peu de mal à comprendre la réalité des principes qui sont appliqués en matière pénale.

• Eric DEZEUZE

Une des tendances actuelles de notre société, décrite comme une démocratie d'opinion, voire dans un Etat pénal postmoderne, ne dégagerait-elle pas une nouvelle fonction de la peine prononcée, à savoir une fonction ostentatoire et une fonction d'apaisement social et populaire à travers la multiplication de peines croissantes ou de lois sur la récidive créant des peines plancher destinées à rassurer la population ?

• Jacques-Henri ROBERT

Les positivistes disaient que les peines sont nécessaires non pas tant parce qu'elles sont utiles que parce que si on ne les appliquait pas il y aurait un grand scandale populaire. Telle était la conclusion à laquelle était parvenue Ferri.

• Christian RAYSSEGUIER

Ne pensez-vous pas que le droit pénal de la peine est de moins en moins envisagé sous le prisme de la culpabilité et de plus en plus sous le prisme de la dangerosité ?

• Jacques-Henri ROBERT

Un juge qui croirait au libre arbitre s'interrogerait sur la part de la volonté individuelle et des circonstances dans un crime : le juge pourra se poser la question mais ne pourra toutefois jamais la résoudre. Il jugera alors les mobiles et donc la dangerosité, et arrivera alors au même endroit que le juge déterministe qui nierait le libre arbitre et sanctionnerait l'individu selon sa dangerosité, appréciée par rapport au mobile. Le crime d'honneur est bien plus délibéré qu'un crime crapuleux, inspiré par la nécessité ou par des vices ; il est bien plus déterminé par le libre arbitre et sera pourtant moins puni que le crime crapuleux, du moins en 1900.

C'est donc bien la dangerosité et non pas la mesure de la liberté qui conduit à la mesure de la peine.

• Jean-François MATTEI

Nous sommes davantage dans une démocratie d'émotions que dans une démocratie d'opinion. Notre société n'ose plus juger et n'ose plus sanctionner, que ce soit à l'école, à l'université ou dans la société, faute d'outils moraux, religieux et intellectuels qui nous permettaient de juger sur une échelle des valeurs, et donc des peines. Nous n'avons plus le courage pour juger le comportement d'autrui, qu'on soit rigoureux ou qu'on soit laxiste. Demandons-nous si c'est la souffrance de la victime ou celle du criminel qui sera emprisonné qui nous fait peur ou si c'est notre propre souffrance dans le regard que nous jetons sur la victime ou sur le criminel ? Je crois que nous avons peur de regarder ce que subit la victime, même si nous le regardons à la télévision. Il y a en même temps une sorte de catharsis ou de purification qui fait que nous libérons nos instincts d'émotions envers les victimes mais aussi envers les bourreaux.

La société n'ose plus regarder véritablement ce qu'est le crime car nous n'avons pas le regard assez ferme pour le regarder et pour le juger. Il s'agit davantage d'un problème psychologique que juridique.

• Jean DESESSARD

Est-ce que la multiplication des peines n'aboutit pas en fait à juger la personne plus pour ce qu'elle est que pour ce qu'elle a fait ? On le voit dans la rétention.

• Jacques-Henri ROBERT

On les juge pour leur dangerosité, soit pour ce qu'elles sont et ce qu'elles feront.

• Jean-Marie DELARUE

Je suis évidemment davantage sensible à l'effectivité des textes qu'à leur libellé. Les peines sont multipliées dans leur exécution mais le code pénal ne prévoit pas que la personne emprisonnée perdrait son logement, faute de pouvoir le payer, ou les contacts avec ses enfants. C'est pourtant cette suite de peines qui s'ajoute à la sanction pénale elle-même.

Les jurés de Cour d'assises disent qu'ils veulent que la personne soit emprisonnée jusqu'à telle date : or tel n'est pas le sens de notre législation. Il faut se projeter dans l'avenir quand on condamne, en tenant compte des évolutions possibles qui se produisent en prison, et certaines sont considérables.

• Christine SAUZEAU

L'économie et le droit étaient auparavant enseignés conjointement. La France connaît une crise économique, avec une délinquance en cols blancs. La France est en désindustrialisation ; l'atelier du monde est en Chine. Quelles peines imaginerez-vous pour tous ceux qui ont perdu leur travail et devront voler un morceau de pain pour se nourrir, à la suite d'un licenciement et aux débâcles des marchés internationaux ?

• Jacques-Henri ROBERT

Les positivistes avaient dit : la meilleure des peines pénales, c'est la loi civile.

• Christian RAYSSEGUIER

L'article 707 du code de procédure pénale indique : « l'exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ».

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