Premiers États généraux de la démocratie locale et de la parité



Palais du Luxembourg, 7 mars 2005

Mme Claire-Lise Campion, sénatrice de l'Essonne, maire de Bouray-sur-Juine, rapporteure de la commission n° 5

Madame la Présidente, chère Monique Papon, merci des mots que vous venez de prononcer. Je salue M. Emmanuel Kessler et chacune d'entre vous, Mesdames et Mesdemoiselles les Maires et chères collègues. Je me joins à Monique Papon, notre présidente, pour vous remercier de votre présence si nombreuse aujourd'hui au Sénat, dans le cadre de ces États généraux de la démocratie locale et de la parité. Effectivement, nous sommes plus de 2 000, comme Monique Papon vient de vous le dire, réunies à Paris aujourd'hui : c'est un réel plaisir pour nous toutes. Vous avez déjà commencé par répondre à un questionnaire qui était assez conséquent. Beaucoup d'entre vous ont fait un long chemin pour arriver ici ce matin à l'heure, au Sénat. Vous allez maintenant participer à ces discussions directement, à notre réflexion sur la vision des femmes maires sur l'avenir de la cité. Monique Papon vient de vous rappeler le sens que nous avons voulu donner à ces États généraux, qui est d'abord de vous écouter, de débattre, d'échanger avec vous et ensuite de relayer et de faire remonter vos préoccupations, vos analyses et vos propositions. Il est évident que nous n'aurons pas, et nous n'avons pas cette prétention, la réponse à tout aujourd'hui. Mais je prends l'engagement avec Monique Papon, au terme de ces travaux d'aujourd'hui, d'être votre porte-parole. Nous répercuterons vos messages, et si nous le pouvons, le cas échéant nous essaierons de les traduire en actes législatifs. Il est important pour nous de vous le dire, ces États généraux ne resteront pas sans lendemain. Vous le savez, le Sénat a bien souvent traduit les préoccupations des élus locaux que nous sommes en lois, améliorant ainsi de multiples situations qui pouvaient poser problème. Pour cette réunion de la cinquième commission, ce matin, nous disposons d'une heure et demie seulement, aussi en accord avec Monique Papon, je vous propose qu'on centre notre réflexion sur deux thèmes principaux.

Le premier thème : la manière, la façon dont vous envisagez en tant que femme élue de préparer l'avenir de votre commune. Votre commune : la cité avec un petit « c ». Et vous allez nous dire la vision de cet avenir, compte tenu notamment des évolutions qui touchent de plus en plus notre paysage institutionnel, et je pense, en particulier, aux intercommunalités et sans doute aussi à la relance de la décentralisation.

Second thème : la façon dont une femme maire vit son engagement. Son engagement politique en tant qu'élue et comment elle voit l'avenir de la Cité, cette fois avec un grand « C ». À vous de nous dire si les femmes peuvent faire de la politique autrement. Et comment elles pensent pouvoir réconcilier les Français avec la politique. Comme base de travail, et avant de vous céder la parole pour ces débats qui sont très importants, ma mission de rapporteure est de vous livrer quelques réflexions personnelles qui ont été alimentées par les réponses au questionnaire que vous avez reçu, il y a maintenant quelques semaines. Pour faciliter ce débat, il va vous être remis - ou il vous a déjà été remis - par le secrétariat un récapitulatif écrit de ces réflexions, de manière à ce que nous puissions, les unes et les autres, suivre les choses plus facilement dans le courant de cette matinée. Cela étant, je ne ferai qu'évoquer les résultats de cette enquête parce que cet après-midi, la séance plénière, au Palais des congrès, sera consacrée à leur présentation officielle, intégrale, et aux commentaires que l'on pourra y faire plus en détail.

Je reviens donc vers vous pour le premier thème de ce matin. Votre vision de l'avenir de la cité avec un petit « c », c'est-à-dire de l'avenir de votre commune. Sur ce point, j'ai été frappée par la conception très volontariste de votre engagement à toutes, puisque presque 70 % d'entre vous, dans ce questionnaire, ont dit avoir voulu réorienter de manière significative la gestion communale précédente. 70 %, c'est important. D'où une interrogation, qui me semble fondamentale : Y a-t-il une approche typiquement féminine de cet engagement communal, et une façon particulière, pour les élues femmes, de gérer les problèmes que rencontrent tous les maires ? Sans être totalement certaine de dégager un sentiment unanime sur ce thème, je vous propose qu'on engage la réflexion dans un premier temps en trois directions.

Premièrement : pensez-vous qu'il puisse y avoir des différences entre les femmes et les hommes dans leurs façons d'aborder les priorités à long terme, c'est-à-dire l'avenir de vos communes et de vos administrés à l'horizon de 10 ou 15 ans ?

Deuxième direction : comment, par rapport aux hommes, les élues femmes voient-elles les évolutions de l'environnement institutionnel de la commune, en particulier avec ces défis majeurs et les enjeux majeurs, qui sont nouveaux, de l'intercommunalité qui forcément nous préoccupent toutes ?

Et, troisième direction : plus généralement, comment en tant que femme, percevez-vous le mouvement actuel de relance de la décentralisation ? Et quelles peuvent être vos interrogations ?

Emmanuel Kessler : Puisque vous avez donné un cahier des charges assez fourni, j'imagine qu'il y a d'ores et déjà dans la salle un certain nombre d'entre vous qui souhaitent apporter leur réflexion ou leur question. Ça va être très libre, il y a des micros qui circulent, un ou deux micros. Ce que je vous demanderai, c'est de lever la main, comme à l'école. On va commencer par vous, Madame. Je vous demanderai simplement d'être relativement brève dans votre intervention pour que vous puissiez être le maximum à vous exprimer. Et de bien vouloir vous présenter pour l'enregistrement et le compte rendu des débats, et puis qu'on situe un petit peu votre commune en un mot. Allez-y Madame, c'est à vous.

Annie Tallard : Je suis maire d'une commune rurale de 120 habitants, dans le fin fond du Puy-de-Dôme, Lastic, à la limite de la Corrèze. J'ai un parcours un peu atypique, n'étant pas née dans le village. Je suis devenue la première femme maire dans le canton, « par accident », parce que personne dans le village ne voulait présenter de liste pour les municipales. Je m'y suis donnée à fond. Mon premier objectif a été de rénover la mairie, de lui redonner un aspect attractif.

Emmanuel Kessler : Cela veut dire que les hommes ne sont pas très attentifs à la propreté ?

Annie Tallard : Ils n'en voyaient pas la nécessité : refaire la façade de la mairie, des petites choses qui changent beaucoup, finalement, l'aspect du village et la vie dans le village. La deuxième orientation essentielle que j'ai imposée ça a été l'entrée dans l'intercommunalité qui avait été refusée dans un premier temps par la commune. Je ne suis pas la seule dans ce cas, et si j'en parle, ce n'est pas pour ma commune seulement, mais pour beaucoup de petites communes similaires dans le monde rural en désespérance. J'insiste sur le mot. J'ai insisté pour entrer dans cette communauté de communes, qui représente pour moi le seul avenir possible de ces petites communes. Pour vous donner un ordre de grandeur, les deux cantons de notre communauté de communes font 4 500 habitants. Les populations sont majoritairement au-delà de soixante ans. C'est une petite ruralité avec des petites exploitations dont les trois quarts ne continueront pas dans 10 ans, après la retraite des parents actuels, les enfants ne continueront pas. Donc, quand vous parlez d'avenir pour ces communes, il est très difficile de leur donner même le goût de continuer. Tout a disparu, les services publics, il n'y a plus rien.

Emmanuel Kessler : Merci, Madame, de votre témoignage. Vous avez bien illustré la réorientation que vous avez voulu donner à l'action municipale.

Marie-Gabrielle Gagnadre : Je suis maire d'une commune de 5 000 habitants (Lezoux) dans le Puy-de-Dôme. Je suis élue depuis 1971, je suis également conseiller général depuis 1985. Je commence mon quatrième mandat. J'ai failli aller à l'Assemblée nationale, il ne m'a manqué que 1 %. C'est peut-être parce que j'étais une femme, si j'avais été un homme, j'aurai certainement été élu. Je ne regrette rien.

Pour moi, être élue et être élue femme, ce sont deux directions. Il y a d'abord le quotidien, la gestion du quotidien. L'embellissement de la commune, comme il a été dit lors de la précédente intervention, est important : rendre la commune propre, la fleurir, ce son des choses qui ne coûtent pas très cher. Le quotidien, ce sont aussi les services, tous les services à l'enfance, le service aux personnes âgées, tout ce qui facilite la vie de tous les jours. Ça, c'est la première direction.

La deuxième direction, c'est de réaliser de grands projets structurants, parce qu'en plus je suis présidente d'une communauté de communes de 14 000 habitants, que j'ai mise en place en 1998. Les grands projets structurants, pour moi, cela a été le raccordement à l'autoroute, que j'ai mis 9 ans à obtenir. À côté de la mise en place de la communauté de communes, il y a eu l'humanisation de ma maison de retraite. Il faut très longtemps pour cela. J'ai commencé en 1987, j'en suis à la troisième phase, il en reste encore une. Pour les grands projets, il faut vraiment du temps pour les faire aboutir, et quelquefois c'est un peu décourageant. Il faut de la volonté, il faut du temps. Mais je voudrais dire autre chose d'important, c'est l'intercommunalité, le souci d'intercommunalité : c'est vraiment important d'être efficace tout en gardant l'identité des communes, c'est-à-dire de ne faire en communauté que ce que les communes ne peuvent pas faire seules mieux et moins cher, qu'une intercommunalité.

Emmanuel Kessler : Voilà une explication très claire de ce qu'on appelle, parfois, le principe de subsidiarité. Madame, allez-y.

Renée Stievenart : Je suis maire d'une commune du Valenciennois, Aubry-du-Hainaut (Nord), et j'appartiens à la Communauté de communes de Valenciennes-Métropole, créée par M. Borloo. Pour moi, je suis élue depuis 1983 comme conseiller, avec le même conseil municipal, et lorsqu'en 2001 le maire n'a pas souhaité se représenter, c'est moi qui ai pris la place, donc je dirige la même équipe. Depuis 1983 j'avais envie, quand je m'étais fait élire à cette époque-là, de développer des actions en direction des familles. Et j'ai toujours déploré que les hommes du conseil municipal, puisqu'à cette époque j'étais la seule femme, ne soient intéressés que par des travaux publics, des trottoirs, des assainissements, etc. Comme je ne voulais pas entrer en conflit avec eux, et que c'était dans l'intérêt des habitants, je n'avais pas de raison de m'y opposer. Mais je me suis dit que si un jour je devenais maire, j'agirais en faveur des familles. C'est ce que j'ai fait au niveau de la commune depuis 2001.

Je voulais dire une autre chose, c'est que les femmes maires et les femmes dans la politique ne sont pas carriéristes. On prend le temps de faire les choses, on n'a pas besoin de réaliser tout, tout de suite parce qu'il y aura l'échéance électorale.

Moi, c'est ce que je m'efforce de faire, et au niveau de l'intercommunalité ce que j'essaie de développer, ce que j'essaie de faire passer comme message, c'est qu'on doit essayer de se fédérer au maximum. Je regrette que l'on fasse tout en intercommunalité. Je suis maire d'une petite commune de 1 600 habitants, et je n'ai pas de projets communautaires. Donc à la limite, je ne peux pas recevoir d'aides, sauf la solidarité, et je trouve qu'on ne comprend pas assez qu'il faut développer les services de proximité, les services aux personnes. Si je demande une halte-garderie, ce n'est pas pour faire une halte-garderie comme on peut en voir à Valenciennes, c'est pour avoir une halte-garderie qui va rendre un service ponctuel aux habitants de la commune. Et tout est comme cela, et je crois que c'est dans ce sens que vouloir tout centraliser, ce n'est pas bon. Je pense qu'il faut laisser des petites structures de proximité. C'est vrai que cela a un coût, mais on doit nous aider, nous les petites communes, sinon on va mourir, c'est tout. Voilà le message que je voulais faire passer.

Emmanuel Kessler : Merci, Madame, de votre témoignage. Il y a donc déjà deux choses qui émergent. On va voir si ça continue. L'idée que les femmes maires investissent des sujets que les hommes ont parfois délaissés, et d'autre part que les femmes maires que vous êtes s'intéressent à l'intercommunalité. Mais je dirais une intercommunalité bien cadrée où, en tout cas, le curseur soit situé au bon endroit entre l'action des communes et l'action de la structure intercommunale.

Maryse Casanova : Je suis maire d'un village de 300 habitants dans la Haute-Garonne, Puymaurin. J'ai une anecdote sur la différence entre les hommes maires et les femmes maires. Le maire précédent avait trente ans de mandat et quand je suis arrivée, la cour de la maternelle servait le week-end de terrain de pétanque, donc le lundi il y avait des mégots plein la cour. Il n'y avait pas une fleur dans le village, exactement tout ce qu'ont dit mes collègues. On n'est pas carriéristes, je crois que, dans l'ensemble, qu'on soit réélue ou pas, nous nous voulons très pragmatiques, très près du terrain, et souhaitons nous adapter à la commune et aux besoins des gens. Nous rencontrons un autre problème dans notre commune, c'est la question de l'intercommunalité. Nous n'arrivons pas à mettre en place une communauté de communes, parce que dans le canton tous les maires sont des hommes, à part moi, et qu'ils veulent garder leur pouvoir. Ils ont l'impression que le pouvoir sur 47 habitants et la notoriété sont bien plus grands que si nous étions en communauté de communes. Donc nous sommes dans un statu quo.

Sophie Dessus : Je suis maire d'Uzerche, dans la Corrèze, conseillère générale, présidente de communauté de communes. C'est une ville de 3 300 habitants. Je vais tenir un discours peut-être un peu différent. D'abord, je trouvais que ça ronronnait un petit peu quand j'ai été élue maire en 2001. J'ai été élue dans une équipe hommes/femmes, moitié-moitié. La première chose que j'ai demandée, c'est que je voulais que l'on refasse complètement notre ville, sur une période de 7 à 10 ans. Ce n'était pas carriériste, puisqu'il me faut un peu de temps quand même pour tout redynamiser et faire en sorte que notre commune, qui est située à la croisée de deux autoroutes, la 20 et la 89, puisse revivre, accueillir de nouvelles populations, des entreprises, faire en sorte qu'il y ait de la culture et qu'on respecte l'environnement. On a mis en place un énorme projet, on a appelé ça « poly structurant », sur 10 ans, vous voyez que j'ai de l'espoir. Le budget a été arrêté et toutes les actions rattachées sont décidées. Je suis allée rechercher des fonds européens, étatiques, régionaux, pour pouvoir le faire financer. C'est un travail considérable, mais peu importe. L'esprit féminin, c'est avec beaucoup d'humour et beaucoup de douceur, jamais de brutalité.

Un petit mot sur les communautés de communes : certes, je suis présidente de communauté de communes, mais pour la proximité, j'essaie de garder un parfait équilibre entre nos communes, parfois contre l'avis d'autres maires. Seuls les maires et les adjoints connaissent parfaitement toutes les mamies, toutes les personnes isolées, parce que c'est ça le monde rural, et il faut que l'on garde cette proximité, et que les mairies ne soient pas uniquement des petits fantômes. Là ce n'est pas toujours facile à gérer, mais j'y tiens beaucoup et on y travaille. C'est un long combat qui m'inquiète : si on perd nos services publics, en milieu rural, c'est terminé, on n'aura plus d'habitants, ils iront vivre ailleurs vers les villes. Qu'on nous donne réellement les moyens financiers !

Emmanuel Kessler : En tout cas, c'est une préoccupation que vous pouvez exprimer ce matin : que services publics, décentralisation, et que les mairies ne soient pas des fantômes, j'ai noté votre expression.

Brigitte Lemoine : Je suis maire de Champagne-sur-Oise (Val-d'Oise), située dans la banlieue parisienne. C'est une commune qui connaît la remontée des habitants de Paris vers la lointaine banlieue. J'ai été élue maire pour la première fois en 1983 et j'ai perdu mon mandat en 1989 ; réélue dans l'opposition en 1995, j'ai été réélue maire en 2001. J'ai retrouvé en 2001 ma commune dans la situation de 1983. Nous avions un très gros problème, une centrale EDF, dont on annonçait la fermeture parce qu'elle avait atteint sa limite d'âge dès 1984. Lors de mon premier mandat, dans le cadre des grands projets d'évolution de la cité, j'ai préparé l'avenir, une reconversion industrielle, en créant une zone artisanale. Une zone artisanale, à côté d'une centrale EDF, c'est une peccadille, bien sûr, mais ça nous sert maintenant, puisque la centrale est fermée depuis 2003. Nous avons donc perdu la taxe professionnelle, et nous nous trouvons dans une situation où pendant 12 ans, on a dépensé sans investir pour l'avenir. Je dois donc gérer une commune en état d'urgence. Je dois constamment sélectionner les priorités. Donc je me trouve, moi, dans la situation, non pas du confort et de la beauté de l'environnement, mais dans une situation de sélection des priorités. Lors de mon premier mandat, j'ai pu créer des centres de loisirs, des cantines et des garderies. Aujourd'hui, nos projets d'avenir c'est trouver des compensations, les préparer dans le plan local d'urbanisme, c'est gérer le quotidien un peu d'une manière « masculine », dirons-nous, dans la mesure où je suis obligée de m'intéresser à l'assainissement, aux trottoirs, autant qu'au monde de l'enfance et des personnes âgées.

Emmanuel Kessler : Ce serait caricatural de ressortir d'ici en disant que les hommes ne s'intéressent qu'à l'assainissement et les femmes qu'au social. D'ailleurs, il existe maintenant des femmes qui essaient d'éviter les mandats de maire, ou d'adjoint au maire chargé du social, parce qu'après on les cantonne dans ce type d'action.

Ghislaine Lapchin : Je suis maire d'une commune du Val-d'Oise (Vienne-en-Arthies), et je voudrais dire à ma collègue du département que je l'envie énormément, parce qu'elle est obligée de sélectionner maintenant les priorités. Moi je les sélectionne depuis toujours, parce qu'on n'a jamais eu de taxe professionnelle. Je pense qu'elle a manqué d'inconfort. Je voulais simplement souligner la difficulté : dans le Val-d'Oise, ou peut-être en Île-de-France, on est les champions de France des syndicats intercommunaux. C'est pour ça que l'intercommunalité a autant de peine à se créer, parce qu'on trouve dans nos syndicats intercommunaux tous nos besoins. Et on ne comprend pas pourquoi on nous oblige à nous regrouper en communauté de communes. Dans mon canton, la communauté de communes est une question de pouvoir. Je voulais simplement dire que je regrette le côté normatif de cette loi : pourquoi ne pas nous laisser continuer à gérer nos communes ? On ne voit pas toujours l'utilité de ce regroupement en communauté de communes. Laissons-nous du temps, demandons aux représentants de l'État de nous laisser le temps de travailler.

Michèle Collard : Je suis maire de la commune de Mauchamps, 275 habitants, dans le sud de l'Essonne. Je fais partie de la même communauté de communes que Mme Campion, nous travaillons fort régulièrement ensemble. Pour répondre à votre question : « Comment, en tant que femme, on envisage de préparer l'avenir de la cité ? », il me semble que pour nous, en tout cas, dans notre cas, je rejoins un petit peu les collègues de la région parisienne, le gros souci pour ce qui est de l'avenir, c'est de maintenir le caractère rural de notre commune. L'espace agricole qui nous entoure est vital pour ces populations qui partent tous les matins vers Paris et qui ont énormément de transport, pas d'emploi sur place ou tout au moins, pas suffisamment. Nous sommes en intercommunalité depuis l'année dernière. Je suis personnellement assez satisfaite de la façon dont ça fonctionne, contrairement à ce que je viens d'entendre dire. Je crois que depuis un an et demi, pour notre part, on y a gagné un certain nombre de choses, à commencer par des services aux populations, notamment en direction de la petite enfance puisque c'est la toute première action qui vient d'être menée. Puisque nous sommes un certain nombre de petites communes sans étiquette, il s'agit surtout de se battre pour gagner, et de conserver cet espace environnemental qui est quand même très préservé à 40 kilomètres de Paris. Notre crainte est cette urbanisation qui galope, et qui se rapproche de nous. Si j'ai une action à mener, comme l'ont dit les collègues tout à l'heure, ce serait peut-être de se battre à tout prix pour garder ce cadre de vie qui est très important pour nous, je crois, et cet espace agricole auquel on tient tant.

Françoise Ramond : Je suis maire d'une commune qui s'appelle Épernon, 5 000 habitants, en Eure-et-Loir. Et je suis présidente d'une communauté de communes de 11 000 habitants. Je rejoins tout à fait le maire du Puy-de-Dôme, je suis tout à fait d'accord sur cette recherche de proximité au quotidien des femmes maires, et je suis tout à fait d'accord sur l'importance de l'intercommunalité. J'habite Épernon, qui est à 65 kilomètres de Paris : on est aussi dans la grande aspiration parisienne, et tout mon effort au niveau de l'intercommunalité, c'est de développer une zone d'activité économique et de réussir ce projet avec tous mes collègues de l'intercommunalité.

Emmanuel Kessler : Est-ce que vous pensez, Madame, que quand on est dans un milieu intercommunal, c'est finalement plus facile de rassembler quand on est une femme que quand on est un homme ?

Françoise Ramond : J'ai été élue à l'unanimité, alors je ne sais pas si c'est plus facile, mais je constate que ça fait 4 ans qu'existe ma communauté de communes et je pense qu'on fait un énorme travail de relationnel quand on est présidente de communauté de communes. En 4 ans, on a fait beaucoup de choses, les services à la population ont été transférés entièrement. Il y a un énorme travail souterrain.

Marguerite Géré : Je suis maire d'une commune de 350 habitants (Saint-Loup-du-Dorat), en Mayenne, dans la région des Pays de la Loire. J'ai été élue maire après avoir fait un mandat en tant que conseiller municipal, et j'ai été élue sur une liste ouverte. C'est-à-dire que venait s'inscrire qui voulait, avec pour objectif de travailler. C'est peut-être un peu plus facile dans une petite commune, et là je voudrais en venir justement à l'intercommunalité. Nous avions, depuis 1990, mis un syndicat intercommunal en route, qui nous a préparés petit à petit à l'intercommunalité. Je dois dire que dans une commune de 350 habitants -j'ai une école avec 68 élèves - le fonctionnement en personnel est lourd. Je n'ai pas de taxe professionnelle. La plus grosse commune faisait 1 000 habitants, et nous n'avions pas de gros projet. Nous avons préparé l'intégration dans cette intercommunalité, nous comptons aujourd'hui 12 000 habitants. Il y a seulement deux femmes dans cette intercommunalité. Cette structure m'a permis de construire des logements afin de garder la population sur place, d'avoir les enfants à l'école chez moi et de réaliser des travaux d'assainissement. Il y a des choses que je n'aurais pas fait toute seule, et je partage le sentiment que certaines communes peuvent être adhérentes ou non adhérentes, selon la position que l'on peut avoir dans sa commune.

Jeannette Chataigne-Gaschard : Je suis de l'Aude, et probablement le maire d'une des plus petites communes, puisqu'on a 40 habitants, répartis en trois lieux (Mayronnes). Le village comporte 15 habitants permanents, les autres résidents sont dans des hameaux plus éloignés. C'est un problème pour la circulation, pour le transport scolaire, pour tout ce que vous pouvez imaginer.

Ce que je voulais dire, c'est que nous, on est plus de non-natifs que de natifs de la région. La demande des gens est la qualité de vie. On l'a, puisqu'on a de l'espace et c'est très beau. Alors, il y a eu une démarche culturelle avec un sentier d'exposition de sculpture en plein air, et on reçoit jusqu'à 5 000 personnes. Or, il n'y a ni café, ni aucun service qui aille avec : donc ce sont des retombées sur le canton, ce qui fait que les gens du canton souhaitent que l'on continue cet effort. Par ailleurs, des questions relatives à l'assainissement se posent. Mais ne doit-on pas rester une petite commune pour laisser aux gens qui viennent un espace de respiration ? C'est une question que se pose le conseil municipal.

Emmanuel Kessler : Service public, environnement, avenir du monde rural : ce sont des préoccupations très fortes et qui traversent l'ensemble de vos témoignages.

Claire-Lise Campion : Je crois qu'il faut s'orienter vers la deuxième question, le deuxième thème de ce matin que j'évoquais tout à l'heure. Votre vision de la Cité avec un grand « C », même si, bien entendu, certaines d'entre vous disent que la Cité, c'est bien loin du quotidien. C'est-à-dire, le sens de votre engagement, votre conception de l'entrée en politique. Alors, l'entrée en politique, je la mets entre guillemets, et évidemment nous prenons le sens politique au sens noble du terme, et la contribution spécifique que les femmes peuvent apporter pour réconcilier les Français avec leurs élus. Permettez-moi de citer un autre pourcentage assez décisif dans l'enquête qui a été faite auprès de vous. À la question qui vous a été posée : « Selon vous, les femmes exercent-elles leur fonction élective différemment des hommes ? », vous avez répondu oui massivement, puisque c'est à 80 %. Ce chiffre à lui seul est évidemment une interpellation forte, votre interpellation. C'est surtout et aussi un formidable espoir de modernisation de la vie politique de notre pays, j'en suis très convaincue personnellement. À nouveau, je voudrais vous livrer quelques réflexions du résultat de cette enquête, et donc je vous les présente sous forme de quatre questions. Vous êtes très partagées, quasiment moitié-moitié sur l'utilité réelle de la loi sur la parité pour l'accès des femmes à des fonctions électives. Ça a toujours été depuis le début, et j'ai fait partie de celles qui se sont interrogées à un moment donné. Je m'interroge beaucoup moins maintenant, je vais vous dire pourquoi. Il est vrai que cette obligation, l'application de la parité, s'applique et ne concerne donc que les communes de plus de 3 500 habitants, mais ne pensez-vous pas que cette loi a permis de créer un contexte favorable, un véritable appel d'air à l'entrée des femmes dans les fonctions électives ? Vous me permettrez de prendre l'exemple que nous trouvons ici, au Sénat, puisque aujourd'hui nous sommes 57 femmes sénatrices sur les 331 Sénateurs soit, Monique Papon le disait tout à l'heure, un tout petit peu plus de 17 %. C'est bien l'obligation de parité des listes qui a permis à l'origine de féminiser plus fortement le Sénat.

Quelques chiffres pour illustrer cela, et c'est l'exemple du Sénat, mais je pense que l'on doit pouvoir aussi, même si c'est moins flagrant, le transposer dans nos municipalités : la série qui a été élue en 1992 a fait que 5 sénatrices ont été seulement élues cette fois-là au Sénat. En 2001, la série élue comptait 22 sénatrices, et sur ces 22, il y en avait 20 qui avaient été élues au scrutin proportionnel, dans les départements où la parité était obligatoire. Deuxième question : « Pour vous, l'exercice d'un mandat électif est-il avant tout un engagement citoyen au service des autres ? ». Le débat qui est entamé depuis ce matin depuis quelque temps nous le montre bien, et l'enquête révèle que vous ne concevez pas votre engagement dans la vie publique comme une démarche de professionnelle de la politique. Vous l'avez dit aussi tout à l'heure. D'où la question : « Voyez-vous la politique autrement ? Quelle place accordez-vous à la proximité ? »

On a déjà entendu de nombreuses réactions sur toutes ces questions. On sait que c'est une place importante au contact avec les administrés et à la transparence.

Troisième question, une autre tendance s'est dégagée de vos réponses. Une préférence pour la gestion à long terme, plutôt que pour la gestion quotidienne, même si cette gestion quotidienne, vous l'avez dit, dans différents exemples, est importante et capitale pour les habitants de nos communes « Qu'en est-il concrètement pour vous de cette vision à long terme pour vos communes ? ». Et dernière et quatrième question : « Est-ce que vous pensez, enfin, que les femmes puissent apporter une contribution spécifique à la réconciliation de nos concitoyens avec la politique ou au contraire, pensez-vous que les femmes seront fatalement rattrapées par des travers qu'aujourd'hui beaucoup dénoncent ? »

Emmanuel Kessler : Voilà quatre questions sur lesquelles vous pouvez réfléchir pour tenter d'y apporter votre réponse. Ça fera peut-être la transition entre les deux parties.

Édith Errasti : Je voudrais vous faire partager mon expérience sur la parité. Je suis maire de Soissons, 30 000 habitants. Je suis jeune élue de 2001, enfant de première adjointe. C'était un ami qui m'a amenée en me disant : « Écoute, tu as un engagement citoyen dans ta ville, est-ce que tu ne veux pas m'accompagner ? Oui, alors allons-y. » Et puis, après le décès brutal de ce maire, je l'ai remplacé, et je suis donc maire de la ville et je ne le regrette pas. Cela n'était pas du tout mon projet personnel. C'est arrivé comme ça. Je suis heureuse de ce débat car nous, les femmes, avons une vision un peu différente de celle des hommes, qui est complémentaire. On est bien à mon sens dans le débat de la démocratie locale, puisque nous savons attendre 9 mois la naissance d'un enfant. Nous savons attendre 25 ans l'éducation d'un enfant. Nous savons pendant 50 ans construire une famille, et cela ressemble un petit peu à notre engagement citoyen dans la ville. Nous voulons rassembler, être à l'écoute des autres, que chacun se réalise et prenne son épanouissement et ça me semble un rôle très important pour le maire d'une ville ou même d'une petite commune. Je me dis aussi que nous, les femmes, même si c'est nous qui avons la trousse à maquillage en général avec nous, nous sommes quand même plus dans l'être que dans le paraître, et vous serez toutes d'accord, je pense, pour dire que l'être, c'est quand même ce que l'on préfère. C'est dans ce sens que la politique m'intéresse. Chez nous, dans l'Aisne, on dit les choses, et je me sens plus une faiseuse qu'une diseuse, la plupart du temps. Tout cela pour dire que les femmes sont sur le terrain et qu'elles ne sont pas inutiles.

Nous avons une représentation féminine de 50 % et j'observe que, dans mon équipe, les femmes sont sur le terrain, c'est une bonne chose, mais elles se transforment en « superwomen » à essayer de concilier leur vie professionnelle, familiale, d'élue. Dans leur vie d'élue, elles essayent d'être présentes sur tous les terrains, alors que les hommes, à côté de cela, forts de cette représentation féminine sur toutes les petites choses de la vie, se recentrent ou se concentrent sur les présences aux grandes commissions, sessions, réflexions. J'observe, mois après mois, que nos hommes se démobilisent. Toute ma vie, j'ai lutté pour le partage du pouvoir entre les hommes et les femmes. On en est encore loin.

Emmanuel Kessler : Les hommes ne sont pas là pour vous répondre, donc vous pouvez y aller, Madame.

Annie Davy : Je suis maire d'une commune de 3 300 habitants (Bédée, Ille-et-Vilaine). Je suis élue depuis 1989, et je considère que la parité a permis de retrouver plus de femmes élues et je crois que la force que nous avons, c'est de régler les problèmes de société et qu'il faut retrouver au niveau du monde politique, les hommes et les femmes à parité. Bien qu'ayant une commune de moins de 3 500 habitants, j'ai établi la parité au niveau de mon équipe municipale et des postes de maires adjoints. Ensuite, je pense que si la femme favorise le lien social au niveau de sa commune, elle offre aussi effectivement une approche différente et je pense que, lorsqu'on respecte cette parité homme/femme au niveau municipal, on a aussi une approche de l'ensemble des dossiers qui peuvent nous préoccuper : que ce soient des dossiers sociaux, les politiques de l'habitat, les politiques de développement économique. Je pense que les femmes peuvent peut-être réconcilier les Français avec la politique, ce qui n'est pas facile, parce que je crois qu'aujourd'hui le chemin est long. C'est vrai qu'on a plusieurs centres d'intérêts et que la famille reste toujours quelque chose pour nous d'important et qu'on a souvent le sentiment d'être un peu coupable, et c'est un sentiment que l'on a peut-être plus fort que les hommes. Je crois que la parité a favorisé le renouvellement politique. Donc, nous avons une approche différente des problèmes de société d'aujourd'hui qui ne sont pas ceux d'hier, qui sont, je crois, des problèmes de jeunesse, de politique de l'habitat au sens large du terme.

Emmanuel Kessler : Il ressort pour l'instant de tous vos témoignages que vous n'êtes pas toutes forcément du même avis et que si des lois contraignantes sont un moindre mal, cela a permis une certaine dynamique qui donne aujourd'hui cette meilleure complémentarité des équipes au niveau municipal entre hommes et femmes.

Jacqueline Aboudaram : Je suis maire de Bazainville, dans les Yvelines, une ville de 1 200 habitants, et présidente d'une communauté de communes, qui s'est créée en 1998, regroupant environ 13 000 habitants. En ce qui concerne la parité, dans nos villages, nous ne sommes pas tenus de la pratiquer, et même si nous y étions obligés, nous ne pourrions pas l'effectuer parce que nous avons beaucoup de difficultés à trouver des femmes disponibles pour se joindre à l'équipe municipale, même si elles en ont envie. La difficulté pour nous, qui sommes aussi dans l'Île-de-France, dans le « Far West » des Yvelines, c'est que la plupart de nos villages qui étaient des villages ruraux sont devenus des villages urbains, avec une population qui part le matin et qui rentre le soir et qui est demandeuse de services qu'on ne peut pas toujours leur offrir. L'intercommunalité ne permet pas certains services comme les entreprises de loisirs. Mais tout ce qui est cantine, accueil périscolaire, ça reste encore du ressort de la commune, mais ce n'est pas toujours très facile à organiser.

Micheline Fusée : Bonjour, je suis maire d'une commune dans l'Oise, de 600 habitants (Saint-Vaast-de-Longmont). Nous n'avons pas le même problème que les communes dont on vient de parler. Mais dans tous les cas, en ce qui concerne la parité, je pense que c'est dommage qu'on ait eu à faire une loi exprès, parce qu'il me semble que les femmes auraient dû et devraient prendre plus conscience de la nécessité de participer à la gestion des communes et à la vie des habitants qui les occupent. Je voulais dire qu'en ce qui concerne les communes rurales, c'est difficile pour les femmes de se mobiliser pour participer à cette gestion, dans la mesure où il y a encore un machisme très fort. Je le subis chaque jour dans ma commune et c'est parfois très difficile à gérer. Cela nous empêche quelquefois d'agir avec toute la liberté dont on aurait besoin.

Emmanuel Kessler : C'est-à-dire ?

Micheline Fusée : Par exemple, sur la commune, j'ai toujours un noyau d'hommes qui s'élèvent contre tout, créent des associations, et nous mettent des bâtons dans les roues.

Emmanuel Kessler : Et vous pensez que si vous étiez un homme ça ne serait pas la même chose ?

Micheline Fusée : Cela ne se passerait pas de la même façon.

Emmanuel Kessler : Votre témoignage fait réagir en tout cas. Merci.

Michelle Gualde : Je suis maire de Saint-Jean-Ligoure, en Haute-Vienne. Je voulais dire que j'étais contre la loi sur la parité. Je pense que si les femmes sont compétentes, elles seront élues aussi bien que les hommes. Je suis maire d'une petite commune rurale sans aucun problème. Je voulais insister sur le bénévolat : dans nos communes, on manque de bénévoles, j'insiste beaucoup sur cette pénurie. Je pense qu'en politique, on parle beaucoup trop d'argent. À mon avis, les plus méritants, ce sont les maires des communes de moins de 500 habitants qui remplissent leur fonction par plaisir, choix, goût. Je pense que dans la vie politique, il faut aussi une dose de bénévolat, et peut-être que nos élus, à tous les niveaux, ont perdu cette notion. La politique, ça ne doit pas devenir un métier à tous les niveaux. Je crois que les femmes maires, peut-être, font plus volontiers bénévolement leur fonction de maire.

Emmanuel Kessler : Je ne voudrais pas défendre les hommes, mais il y a aussi beaucoup d'élus hommes de petites communes, qui agissent par passion.

Sylvie Houzard : Je suis maire d'une commune rurale de 656 habitants, en Seine-Maritime, dans le canton de Cany-Barville, qui s'appelle Vittefleur. J'ai été élue maire en 1992 lors d'une élection partielle. Je me présentais pour être conseillère municipale et, du jour au lendemain, je me suis retrouvée à la tête de la commune, parce que plus personne ne voulait être maire. La loi sur la parité, c'est une bonne chose aujourd'hui, même si je n'y étais pas favorable, parce que c'est sans doute le seul moyen pour nous, bien que nous ayons aussi quelques connaissances, de pouvoir participer aux listes et aux différents mandats qui nous sont proposés.

Personnellement, je connais quelques difficultés parce que notre communauté de communes regroupe 38 communes et 24 000 habitants. Je suis la seule femme maire sur ces 38 communes, ce qui me pose quelques difficultés, parce que nous sommes dans un milieu rural. Je n'appartiens pas à ce milieu, je suis une horsain, comme on dit. C'est peut-être ce qui a facilité ma réélection en 1995 et en 2001. Mes collègues maires ne me font pas de cadeaux. La vision de la cité, je crois que je l'ai eue dès le départ, puisqu'étant dans une commune rurale, j'ai souhaité maintenir le commerce, qui était en voie de disparition. Nous avons mené une action, et ça marche très bien, puisque aujourd'hui nous avons 4 commerces, plus un restaurant qui fonctionnent bien où la commune s'est beaucoup investie. Je crois qu'il est important dans notre village rural d'apporter un service de proximité, quand on voit que beaucoup de personnes âgées n'ont pas les moyens de se déplacer. J'ai également développé les services à la population. J'ai créé une halte garderie-crèche, et je crois que ça fonctionne très bien, nous avons même une liste d'attente. Même dans les petites communes, nous pouvons apporter des services. Cela nous amènera peut-être une nouvelle population puisque, pour pouvoir accueillir une population, il faut avoir des services publics.

Nicole Chevassus : Pour moi, c'est une expérience complètement différente, puisque je suis élue à la ville de Lyon, dans une mairie d'arrondissement. Ce sont des expériences qui se rejoignent, toutefois. Il est vrai que j'ai été, en effet, contre la parité, mais à partir du moment où une loi est nécessaire, c'est un bon choix.

Le pouvoir centralisateur est en mairie centrale, comme à Paris et comme à Marseille, nous sommes donc presque une ville de plein exercice, mais à la fois on n'a ni le pouvoir, ni le choix, ni le carnet de chèques. C'est extrêmement difficile, parce que c'est un travail quotidien, et quand on a 115 km de trottoir à patrouiller, c'est très difficile. Comme avantage, nous avons une équipe de 27 élus, dont 20 à la commune et nous avons beaucoup délégué de façon à couvrir ce territoire. C'est vrai que certains hommes ont des carences énormes dans certains domaines, notamment en matière sociale (crèches, résidences pour les personnes âgées...). Moi, j'ai confiance et je dis qu'effectivement les femmes ne sont pas carriéristes. Elles ne travaillent pas pour être réélues mais travaillent pour le mandat qu'elles effectuent.

Marie-Josée Morlot : Je suis maire d'un village de 150 habitants (Origne), dans le sud de la Gironde, en Aquitaine. Je souhaite vous faire part de mon expérience : j'étais adjointe dans la mandature précédente, et je suis arrivée par hasard. Comme vous avez pu le lire dans la presse, j'ai été élue par mon opposition. Donc, les débuts ont été particulièrement difficiles. J'ai été très fraîchement accueillie bien entendu au sein de mon conseil municipal, et je suis la doyenne. Je n'ai que des jeunes et, grâce à cette municipalité, le village qui était presque « mort », comme quoi il ne faut pas perdre espoir, comporte maintenant 150 habitants ; j'ai 57 enfants, des parents jeunes, forcément, et je n'ai que 20 personnes âgées. Parmi tous ces jeunes, je n'ai que deux RMIstes.

Il s'est avéré que nous avons eu, un mois après notre arrivée, à 300 mètres de la commune, une proposition de centre de déchets utiles sur 30 hectares : je suis en pleine forêt, donc on a abattu 4 hectares de terrain, qui ont échappé à la tempête de 1999, sur lequel on allait installer un fonds de déchets utiles. Il y a quatre communes autour de ce centre et j'étais la seule femme maire. Les trois autres maires qui sont des hommes, pas de mon bord politique, ont tout de suite dit : « Écoutez, vous êtes le chef de file de ce contre-projet qui dure depuis 2001 ». Je dois dire que les hommes m'épaulent bien. Alors ça donne sûrement une autre approche des femmes dans la gestion du quotidien, parce que toutes les populations m'ont soutenue et les gens viennent souvent me dire : « Merci pour le combat que vous menez ». Dans ma petite commune, les femmes sont très actives, j'ai une adjointe et un adjoint. Voilà des jeunes femmes qui travaillent beaucoup, qui sont femmes d'artisans, qui aident leur mari et qui restent sur la commune. C'est assez vivant, on a construit des jeux d'enfants, notamment un plateau sportif pour les plus petits. Pour une petite commune comme la nôtre, c'est très dynamique.

Emmanuel Kessler : Vos expressions ne sont pas manichéennes, on n'aura pas entendu que du mal des hommes ce matin. C'est déjà bien.

Annie Paillet : Je suis maire de Gray-la-Ville en Haute-Saône, une commune d'un peu plus de 1 000 habitants. Je voudrais rendre hommage aux hommes : mais pas les hommes élus, les hommes qui restent à la maison : qui, lorsqu'on arrive de réunion, nous ont préparé le dîner et ont mis le couvert, et qui s'occupent des tâches ménagères. Je voudrais leur dire quand même merci, parce qu'ils le méritent bien honnêtement.

Emmanuel Kessler : Ce sera noté dans le rapport.

Annie Paillet : Une chose moins drôle, c'est la ruralité. Nous sommes actuellement confrontés à des cartes scolaires qui sont absolument aberrantes et nous risquons des fermetures de classes alors que le nombre d'élèves augmente et qu'on est en train de se battre justement pour que les petites communes rurales gardent leurs écoles, leurs enfants, leurs vies, parce que c'est ça la vie d'une commune. Et malheureusement, nous avons affaire, je ne vais pas dire à des hommes, mais à des technocrates, je ne sais pas si ce sont des hommes ou des femmes, qui fonctionnent avec des machines à calculer et pas avec des enfants. On a des fermetures à 26 élèves et demi, n'oubliez pas le demi-élève. La question que je voulais poser, c'est qu'on ait un peu plus les pieds sur terre et que la ruralité soit vraiment prise en compte, même dans nos petites communes.

Denise Laurent : Je suis maire d'une commune de 250 habitants (Briaucourt, Haute-Saône). J'ai été élue aussi par accident, parce que dans nos petites communes peu de gens ont envie de s'investir, et la parité n'existe pas. Nous sommes 2 femmes et on s'entend très bien, on forme une équipe formidable et c'est moi qui entraîne les hommes et les maires des trois communes voisines. Nous fonctionnons en RTI au niveau des écoles et nous sommes, nous aussi, confrontés à une fermeture de classe. J'espère que nous arriverons à la défendre, mais les maires hommes s'appuient aussi sur moi. En intercommunalité, nous appliquons presque la parité et je crois que les femmes, nous nous défendons très bien.

En ce qui concerne l'assainissement, puisqu'on en parlait tout à l'heure, j'y associe le social, parce que je fais du social avec un grand « S ». C'est-à-dire que mon prédécesseur voulait mettre à tout prix un lagunage qui aurait dérangé le village. Nous avons réussi à concilier les deux, à la fois faire de l'assainissement et faire du social pour ne pas déranger les habitants de la commune afin qu'ils l'acceptent plus facilement.

Parce que, nous les femmes, nous sommes très proches de la population et je répète que pour le contact, je crois que nous sommes meilleures que les messieurs.

Emmanuel Kessler : C'est votre point de vue, Madame.

Sylvie Vermeillet : Je suis maire de Cernans, une commune rurale du Jura. C'est mon deuxième mandat, et je suis également conseillère régionale de Franche-Comté. Je crois au bienfait de l'équilibre et la parité a permis l'émergence de nouvelles élues et l'émergence de certaines sensibilités qui, à mon avis, permettent d'appréhender des problèmes beaucoup plus largement et puis de les traiter, également à mon avis, avec infiniment plus de richesse. Je voudrais surtout intervenir sur le long terme et l'avenir des cités, parce que je me rends compte qu'ici les femmes ont de l'énergie à revendre, je voudrais en particulier m'adresser au Sénat, et aux libertés que vous voudrez bien nous accorder. J'ai un peu d'inquiétudes par rapport à la synergie des intercommunalités et du tissu économique. Les fonds de concours dans la loi du 13 août 2004 nous ont donné un petit peu d'oxygène, mais je ne suis pas tout à fait encore convaincue. Je vais être un peu technique, l'article III-167 du traité de la Constitution européenne, au nom du principe de la concurrence, risque de compromettre les aides que les intercommunalités ou les collectivités pourraient mettre en oeuvre au profit des entreprises. Je souhaite m'adresser à vous pour que cette énergie, ici présente, au niveau local, ne puisse pas être compromise par cet article. Et en tout cas, nous sommes des élues de terrain, nous sommes là pour faire des diagnostics. En général, ce sont les maires, ou le président d'EPCI, qui font le meilleur diagnostic, et je suis là pour vous demander de nous faire plus confiance. Le peuple nous a fait confiance, est-ce que les lois ne peuvent pas nous aider un petit peu plus, nous laisser un petit peu plus de liberté pour donner des aides là où elles sont nécessaires ? Bien sûr toujours sous contrôle, nous en sommes garants. Mais continuer à dynamiser le tissu économique, continuer à créer des actions de proximité, comme chacune d'entre nous le revendique. Je compte sur vous pour tout cela. Merci.

Emmanuel Kessler : Votre intervention Madame, était d'autant plus intéressante qu'au début de cette matinée, il a été souligné que le Sénat était aussi une caisse de résonance des préoccupations des élues et que les choses pouvaient ensuite se traduire sous forme de propositions de lois ou sous forme, en tout cas, d'un acte législatif.

Élisabeth Launay : Je suis maire de Louans, une commune d'Indre-et-Loire, de 600 habitants. J'ai été élue maire en même temps qu'élue tout court, il y a trois ans. Le mandat se partage en deux temps et j'ai moi-même l'impression que le premier temps est un temps d'exécution, de projets qui étaient déjà initiés et qu'il fallait exécuter, donc obligée de s'informer, d'acquérir une certaine compétence et dans un deuxième temps, peut-être avec une vision à plus long terme. Et je dirais que c'est peut-être là que je me retrouve le mieux à me dire que maintenant il y a un document d'urbanisme à établir et que là, on va pouvoir faire du travail intéressant, parce qu'on va pouvoir imaginer ce que pourra être notre commune de 600 habitants qui est dans la grande ceinture tourangelle. Donc, très vite, ma préférence je crois va au long terme.

Annie Tallard : Je m'excuse de reprendre la parole, mais il y a une petite chose sur la parité qui n'a pas été dite, à mon sens, et qui est importante : sur le plan éthique, j'étais tout à fait contre il y a 10-15 ans. Nous n'avons pas de parité dans la commune mais j'ai quand même forcé la main et d'autres collègues l'ont fait, pour que certaines femmes se présentent, simplement parce qu'il en fallait onze. Et je me suis aperçue que ça a permis à ces femmes de se révéler à elles-mêmes. On leur a un peu forcé la main, et finalement ce sont des conseillères municipales extrêmement efficaces et qui se sont découvertes, qui n'avaient pas idée de leurs qualités.

Andrée Abry : Je suis maire d'une commune de 3 400 habitants (Eloyes), dans les Vosges. Je pense qu'il est très important dans un conseil municipal qu'il y ait effectivement des hommes et des femmes. Cet équilibre, qu'il soit exactement paritaire ou qu'il soit un petit peu différent, ce n'est pas grave, mais là où les femmes sont, je pense, elles ont une sensibilité un peu différente, surtout concernant les notions de durabilité et de développement à long terme. Parce que, ce que nous voudrions, en fait, c'est léguer à nos enfants un monde correct, que ce soit dans le domaine économique, environnemental ou social.

Monique Papon : Madame la rapporteure, pouvez vous nous tirer les comptes de synthèse, et faire état du nombre de participants, car tout le monde n'a pas pu encore s'exprimer. Et surtout de l'énergie qui apparaît dans les débats auxquels nous avons assisté.

Claire-Lise Campion : Oui tout à fait, Monique Papon. Nous avons pu entendre que les femmes maires que vous êtes investissent bien souvent des sujets qui ont pu être délaissés précédemment par des élus hommes. Nous avons entendu d'une manière très prégnante le fait que les femmes maires ne sont pas carriéristes, elles sont souvent à cette fonction nouvelle pour elle par hasard, c'est des mots que nous avons entendu plusieurs fois : par hasard, parce que par exemple dans vos petites communes il n'y avait pas de candidat, il n'y avait pas de volontaires, on est venu vous chercher, on vous a sollicitée, c'est un point, je pense important, qui est ressorti assez souvent. La notion de proximité, la notion de souci de la vie quotidienne de nos concitoyens, des habitants de nos communes, c'est aussi quelque chose qui est ressorti beaucoup dans vos propos et qui est très important pour vous. Les services aux personnes -vous avez beaucoup parlé de l'enfance, de la petite enfance, en disant que parfois ce n'était pas une préoccupation précédente, de vos prédécesseurs -, les services aux personnes âgées, à tous ceux qui, génération après génération, âge après âge, forment nos familles. Vous avez souvent employé le mot « famille » dans vos interventions. Vous avez également beaucoup évoqué les problèmes liés à la ruralité, liés aux tailles et à l'ancrage de vos communes rurales avec les soucis de leur devenir, de ces petites communes rurales. Avec la notion des ces services publics de proximité qui sont indispensables également et qui posent beaucoup de questions dans la vie quotidienne des femmes maires que vous êtes. Vous avez évoqué également l'intercommunalité, beaucoup sont également présidentes de communauté de communes, c'est une bonne nouvelle, une bonne surprise, de voir que nous ne sommes pas cantonnées exclusivement à la gestion de nos petites communes rurales. Vous avez donc beaucoup parlé également du travail de préparation à cette intercommunalité quotidienne, la nécessité de faire un gros effort dans le relationnel avec ceux qui ne connaissent pas encore complètement la gestion quotidienne de leur commune et qui vont devoir le faire dans l'intercommunalité. Nous avons terminé cette matinée en évoquant beaucoup la question de la parité : j'avais un peu provoqué les choses, mais c'est effectivement des notions qui vous tiennent à coeur. Beaucoup d'entre vous on dit : « Au début, je n'étais pas pour cette loi sur la parité, effectivement, mais petit à petit, les années passant, je vois l'intérêt de cette loi. » La parité a permis donc de mieux équilibrer - on est bien d'accord les unes et les autres, il n'est pas question de parler du strict équilibre obligatoirement, mais en tous les cas de meilleur équilibre, vous l'avez dit à de nombreux moments. Elle a permis de se consacrer à des sujets différents : vous avez évoqué les questions de la jeunesse, de l'habitat. Difficultés à trouver, malgré tout, des femmes pour les intéresser et les amener à nous accompagner, à vous accompagner dans la gestion quotidienne de nos communes.

Je voudrais terminer également en redisant que notre volonté à Monique Papon et à moi, comme à l'ensemble de nos collègues dans l'ensemble de nos 5 commissions ce matin, est bien de déboucher, si cela est utile et pointé comme nécessaire dans nos discussions, sur des propositions de lois. Voilà donc, pour faire très vite parce que ce rendez-vous pour la photo est très important, ce sera l'image, le symbole que nous garderons toutes présent à l'esprit pendant les années qui viennent, quand nous serons et vous serez reparties dans vos communes. Donc merci de ces débats très riches ce matin. Comme il est prévu dans l'organisation de la journée, Monique Papon vous l'a redit, il m'appartient maintenant avec les administrateurs du Sénat et avec M. Kessler de préparer le rapport qui sera forcément succinct, puisque nous serons là aussi contraints par le temps. Donc merci encore, Monique Papon et moi nous sommes missionnées pour être vos porte-parole : soyez convaincues qu'en ce qui me concerne, je le ferai avec fidélité, avec conviction et également avec enthousiasme. Merci encore et à tout à l'heure.

Synthèse de la Commission n° 5
« La vision des femmes maires sur l'avenir de la cité »

Chargée de débattre de la vision des femmes maires sur l'avenir de la cité, la commission n° 5 s'est attachée à la manière dont, en tant que femmes, les élues municipales peuvent, par leur engagement, contribuer à améliorer la qualité de vie de leurs concitoyens et à réconcilier les Français avec la politique, tout en replaçant ce thème dans le contexte du développement de l'intercommunalité et de la relance de la décentralisation.

Les débats ont montré que la plupart des femmes maires faisaient de la préparation de l'avenir de la cité un axe primordial de leur action politique, avec un certain nombre de choix à moyen et long termes assez généralement partagés, tels que l'embellissement et l'assainissement du cadre de vie, le respect de l'environnement dans les projets d'équipements publics et la valorisation du patrimoine, notamment en milieu rural. Certaines ont pourtant regretté de ne pas toujours disposer des moyens suffisants pour engager de tels projets à long terme.

Un large consensus s'est établi sur le fait que pour la plupart des femmes maires, la priorité est de faire la politique avec et pour ceux qu'elle concerne, en consacrant une place essentielle au contact et au dialogue avec les habitants.

La commission a constaté l'importance accordée par ses membres à la préservation et au développement des services publics de proximité, en particulier en milieu rural : services aux familles (petite enfance et scolarisation), aux personnes (accueil des personnes âgées), vie quotidienne, etc.

Les femmes maires ont réaffirmé leur attachement à la commune en tant qu'échelon privilégié d'une action politique de proximité, tout en percevant la coopération intercommunale comme un instrument de gestion plus efficace pour certaines réalisations. Plusieurs d'entre elles ont fait valoir leur prise de responsabilité dans les structures intercommunales.

Si beaucoup de femmes maires étaient au départ réticentes au principe d'une loi sur la parité, la plupart ont considéré qu'elle avait contribué à faire évoluer les choses dans un sens positif, en donnant une impulsion à la participation des femmes à la vie politique et en permettant à certaines d'entre elles de se révéler dans une fonction à laquelle elles n'auraient pas forcément songé.

Elles ont estimé que les femmes maires, attachées à une approche volontariste de l'action politique, voyaient dans leur engagement le moyen d'impulser une nouvelle dynamique, en concertation avec leurs collègues masculins.

À cet égard, beaucoup d'intervenantes ont jugé que l'équilibre entre les femmes et les hommes était nécessaire à une bonne gestion des affaires publiques.

La commission a enfin souligné l'aspiration des femmes maires à être utiles à leur commune plutôt qu'à faire une carrière politique.

Elle a estimé que pour un grand nombre de femmes maires, la participation aux organes de coopération intercommunale est conçue comme un moyen d'agir efficacement au service de leur commune, plutôt que comme un tremplin dans la conquête d'autres mandats qu'au demeurant, assez peu d'entre elles envisagent de briguer.

Après un large échange de vues, les travaux de la commission n°5 ont mis en évidence trois grandes lignes de force :

la volonté des femmes, dans un contexte de relance de la décentralisation, de s'investir pleinement dans la vie municipale, avec comme premier objectif d'y préparer l'avenir au plus près des préoccupations des citoyens et d'y renforcer le lien social ;

la préservation de l'identité de la commune, notamment en milieu rural, tout en trouvant un juste équilibre avec le développement des structures intercommunales ;

la prise en compte, au coeur de l'action communale, de l'écoute, du dialogue et de l'apport spécifique des femmes à la vie politique.

En route vers la photo de groupe...

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