Premiers États généraux de la démocratie locale et de la parité



Palais du Luxembourg, 7 mars 2005

INTERVENTION DE MME SIMONE VEIL, ANCIEN MINISTRE,
ANCIENNE PRÉSIDENTE DU PARLEMENT EUROPÉEN

Merci à toutes et à tous qui m'avez fait fête depuis le début de l'après-midi. Mais disposant de peu de temps, ne voulant pas faire attendre le ministre de l'Intérieur qui doit arriver d'un moment à l'autre, je vais essayer de me borner à faire quelques réflexions personnelles à la suite des très intéressantes interventions que je viens d'entendre.

En premier lieu, je tiens à remercier Monsieur le Président du Sénat, qui est à l'initiative de cette rencontre qui nous a permis de vivre un moment tout à fait exceptionnel. Je vous ai toutes écoutées très attentivement depuis que je suis arrivée. Je n'ai jamais été maire, je n'ai jamais appartenu à un conseil municipal, mais grâce à vous, j'ai pris conscience de ce qu'est l'activité municipale et le rôle que les femmes y jouent. Ce que vous avez dit m'a passionnée. La vie d'une commune est à l'image de la vie de la nation toute entière et résume sans doute mieux que le Parlement les préoccupations des Français et des Françaises. J'ai longtemps fréquenté le Parlement comme magistrat lorsque j'y accompagnais un ministre, puis comme ministre. J'ai toujours apprécié de pouvoir entendre les débats puis d'y participer, même si je n'ai jamais siégé ni à l'Assemblée nationale, ni au Sénat. J'ai toutefois été députée au Parlement européen pendant treize ans. Pour moi, cet après-midi a été extrêmement enrichissant et fructueux. Aussi j'espère qu'il y aura des comptes rendus très précis de tout ce qui a été dit et qu'ils seront publiés, compte tenu de l'intérêt qu'ils représentent non seulement pour les femmes, mais également pour la vie politique en général.

Je voudrais également remercier Mme Weber, pour les propos qu'elle a tenus à mon endroit ainsi que pour son action au sein du Parlement européen où nous nous sommes connues. L'occasion m'est ainsi donnée de rappeler que les femmes ont joué un très grand rôle au Parlement européen, et que l'Europe a permis de faire considérablement progresser la cause des femmes. En effet, les grandes directives sur l'égalité des droits de la femme ont été prises par les institutions européennes avant d'être introduites dans les législations de nos pays.

Je crois devoir préciser qu'en ce qui concerne l'égalité en matière de salaire, de promotion, de sécurité sociale, de recrutement et plus généralement non-discrimination, la Cour de justice de Luxembourg a toujours été très vigilante. Sans l'Europe, les progrès n'auraient pas été aussi rapides. Pour autant, cela ne veut pas dire que le Traité lui même ni toutes ces directives soient rigoureusement appliquées. Loin de là. Enfin, elles existent et les femmes ont des moyens de se défendre même si, dans certains cas, les astuces des chefs d'entreprises qui les emploient et parfois aussi de l'Administration, sont telles qu'il n'est pas difficile de violer l'esprit de certains de ces principes et d'échapper aux obligations de la loi.

Ce que je voudrais souligner également, puisqu'on a évoqué la parité, c'est que les résultats déjà obtenus même s'ils sont loin d'être suffisants, sont dus à l'impulsion donnée par la Charte d'Athènes qui a été adoptée en 1992 à l'initiative de la Commissaire grecque chargée des droits de la Femme, par un certain nombre de parlementaires européens et notamment par Françoise Gaspard. Je dois avouer qu'à l'époque, j'avais hésité à signer cette charte sur la parité car j'aurais préféré un système de quotas que je trouvais beaucoup plus souple et qui avait permis de réaliser des avancées significatives dans les pays Scandinaves, notamment et en Allemagne. Mais je m'y suis ralliée estimant qu'en tout état de cause il fallait donner un signal fort aux gouvernements de nos pays et surtout donner un espoir aux femmes. Je tiens à rappeler que le Conseil constitutionnel avait auparavant censuré la loi imposant, des quotas de 40 % au minimum pour chacun des deux sexes. Après la décision du Conseil constitutionnel au motif qu'il était contraire au principe d'égalité, il devenait impossible d'imposer des mesures ayant pour objet de favoriser la présence des femmes dans la vie politique sans modifier la constitution, modification dont on craignait qu'elle soit difficile à faire adopter.

Les événements nous ont facilité la tâche : l'affaire des «jupettes » qu'il n'est sans doute guère besoin de vous rappeler, ont mobilisé les femmes qui ne pouvaient se résigner à ce que la France soit la lanterne rouge de tous les pays Européens, quant au pourcentage de femmes élues dans les parlements nationaux. Nous avons donc constitué un groupe de dix femmes, toutes ministres ou anciens ministres, cinq de l'opposition et cinq de la majorité, pour travailler sur un projet tendant à instaurer la parité, reprenant je tiens à le souligner, ce qui était depuis longtemps un combat pour diverses associations féminines. Ce que je tiens à souligner, parce que, la rencontre d'aujourd'hui le montre bien, c'est à quel point les femmes savent travailler ensemble, même si elles ne partagent pas les mêmes opinions et qu'elles n'appartiennent pas aux mêmes partis politiques ou qu'elles sont d'opinions très différentes. Ce qui traduit un esprit de respect des autres, et de tolérance qui repose sur la volonté de s'enrichir de l'expérience que nous avons acquise les unes et les autres. À cet égard je dois dire qu'au Parlement européen, où les femmes sont généralement plus nombreuses que dans les parlements nationaux, les femmes sont beaucoup plus présentes, beaucoup plus actives que les hommes. Ceux qui dans nos pays respectifs sont appelés à choisir les candidats devraient le savoir et en tenir compte davantage. Mme Weber ne me démentira pas. En outre ce souci qu'elles ont de travailler avec les autres, est encore plus important au Parlement européen, que dans les parlements nationaux parce que pour y être entendues et suivies, il faut savoir transcender non seulement les clivages politiques, mais aussi prendre en compte les différences nationales résultant de nos traditions culturelles. Si l'on ne respecte pas ces exigences, il est très difficile de constituer des majorités cohérentes, ce qui n'est pas toujours facile depuis qu'il y a 25 pays au sein de l'Union Européenne. Les différences de culture sont un enrichissement, mais exigent de trouver entre nous des compromis afin de pouvoir trouver un accord sur un texte précis. S'agissant de la plupart des questions qui concernent plus particulièrement les femmes, leurs conditions de travail, la vie familiale, leur statut personnel, les situations sont très diverses, il est donc indispensable de s'écouter les unes, les autres pour trouver des solutions acceptables pour obtenir une large majorité.

Au Parlement Européen, peu après mon élection à la Présidence, j'avais obtenu d'un bureau composé très majoritairement d'hommes non sans difficulté, la création d'une commission des droits de la femme qui a joué un rôle très actif. J'en attendais beaucoup et je dois dire qu'elle s'est montrée encore plus efficace que ce que j'espérais.

En marge de la Commission des droits de la femme, Commission constituée par des membres de tous les groupes politiques à la représentation proportionnelle et qui avait compétence pour examiner les textes ayant un caractère officiel, il nous arrivait de nous réunir également entre nous de façon informelle pour avoir ces débats, très libres, sur des questions qui nous paraissaient importantes pour les femmes, mais qui n'étaient pas nécessairement de la stricte compétence de la Communauté européenne.

De ces rencontres sont nées certaines initiatives qui ont permis ultérieurement de faire voter des résolutions qui, ont abouti à des propositions de directives présentées par la Commission de Bruxelles. À travailler ainsi ensemble, nous éprouvions de grandes satisfactions, la liberté de propos et la diversité de nos origines permettant d'être plus concrètes et plus efficaces. Avant leurs propres idées, avant les difficultés qu'elles peuvent rencontrer dans leurs propres carrières, les femmes veulent améliorer la condition des femmes en général, par souci de justice et de solidarité et parce qu'une meilleure intégration des femmes est un enjeu considérable pour l'équilibre de notre société. Loin des idées et des discours parfois très théoriques des hommes, les femmes sont généralement beaucoup plus concrètes et pragmatiques, ne serait-ce que parce que l'éducation des enfants et la vie quotidienne du ménage reposent essentiellement sur elles.

Puisqu'on m'a demandé d'évoquer ma carrière, je dirais que c'est le pragmatisme, la réalité telle que je la vis au quotidien que je retiendrai Je ne suis ni une militante politique, ni une militante féministe, j'ai un grand souci de mon indépendance, c'est pour moi une chose essentielle. Mais l'indépendance, je l'ai toujours mise non pas au service d'une idéologie ou de personnalités politiques mais au désir d'exister en restant proche des gens afin de répondre aux besoins des citoyens, dans une société qui évolue très vite. Mes fonctions ministérielles m'on permis d'être en relation avec de nombreuses associations avec lesquelles je continue à travailler dans tout le secteur médico-social. Par ailleurs, l'Europe, symbole de la réconciliation et de la paix a constitué pour moi un engagement très important, car ce qu'elle a permis de réaliser à cet égard me paraît un véritable miracle qui me permet, non pas d'oublier la barbarie du XX e siècle, mais de penser que nous avons su en faisant l'Europe préparer un avenir meilleur pour tous.

Je dirai que c'est à cause de cette proximité qu'ont les femmes politiques avec les réalités de la vie quotidienne, leurs joies et leurs difficultés, leur pragmatisme qu'aujourd'hui, j'ai été très intéressée que beaucoup d'entre vous aient souligné la complémentarité. Depuis des années le débat est ouvert entre celles qui refusent d'admettre toute différence entre les hommes et celles qui estiment au contraire qu'hommes et femmes, à travers leurs différences sont complémentaires.

La lecture du livre de Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, plaidoyer très argumenté et très intelligent en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes, m'a à l'époque beaucoup marquée. Mais pour Simone de Beauvoir, l'égalité c'était aussi la similarité. À l'appui de ses idées, elle m'a un temps convaincue comme beaucoup, que seules les différences d'éducation entre les filles et les garçons seraient à l'origine de leurs différences de comportement. Pourtant j'ai rapidement acquis la conviction que les hommes et les femmes dans bien des situations, n'avaient pas du tout les mêmes approches, ni les mêmes priorités ni les mêmes méthodes... Je ne reprendrai pas tout ce qui a été dit à ce sujet et que vous avez vous-même démontré à travers des exemples très convaincants. C'est sans doute ce qui explique mon féminisme et je l'assume pleinement. C'est parce que nous sommes différentes et complémentaires, que la présence des femmes dans les postes de responsabilité et notamment en politique me paraît indispensable. Un Parlement où le pourcentage de femmes est aussi faible, moins de 10 %, est nécessairement sous l'influence prédominante de la façon de voir des hommes, de la pensée et des valeurs masculines. Tandis que, lorsqu'elles sont présentes, en nombre suffisant, dans d'autres lieux, ce qui est de plus en plus le cas dans les conseils municipaux, cette mixité est infiniment mieux adaptée aux réalités. Aussi je souhaite que les femmes y soient encore plus nombreuses. Je rends hommage au Sénat qui a maintenant fait une place aux femmes, grâce à la loi sur la parité et souhaite qu'à l'avenir cette évolution se poursuive en bannissant les pratiques qui tendent à éviter l'application de la loi sur la parité. Il n'est plus admissible que l'oeuvre législative dont il n'est pas besoin de souligner ici l'importance, soit essentiellement de la compétence des hommes qui sur bien des sujets n'ont pas nécessairement les mêmes aspirations et les mêmes options que les hommes. De même pour nombre de questions concrètes qui peuvent paraître de peu d'importance, mais qui ont des conséquences non négligeables dans la vie quotidienne, ce qui est aussi le cas pour les décisions ou les choix pris au sein des entreprises. Pendant très longtemps, j'ai été frappée de ce que, dans les avions, dont les responsables sont aussi le plus souvent des hommes, le confort des sièges était conçu pour des hommes. De même pour la hauteur des placards ou des éviers adaptés à la taille des hommes. En ce domaine, les choses ont changé, on tient compte bien davantage, dans leur conception, de leur utilisation par des femmes ne serait-ce que parce qu'il y a maintenant beaucoup de femmes qui travaillent dans ces secteurs.

Il peut paraître inutile de rappeler que ce sont les femmes qui mettent les enfants au monde, même si bien des hommes se sentent aujourd'hui frustrés. Certaines femmes y voient également qu'elles n'excluent pas pour l'avenir! Ce n'est pas mon cas : je répugne même à l'imaginer. Après vous avoir écouté, cet après-midi, je vois bien qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir mais que, grâce à vous, beaucoup a déjà été fait. Je n'ai parlé de ce qui reste à faire, parce que quelquefois non seulement cela m'irrite mais aussi m'attriste. Cela va trop lentement, je le dis franchement tout simplement parce qu'il n'y a pas assez de femmes en situation de faire bouger notre société et lutter contre les discriminations dont les femmes sont victimes.

La vie de beaucoup de femmes est encore très difficile, peut-être même souvent plus difficile qu'autrefois. Légalement, elles ont accès à toutes les professions. De même, elles ont les mêmes droits en matière de salaires et de promotions, mais la loi est souvent bafouée. Est-il besoin de souligner qu'en cas de difficultés conjugales, de séparation du couple, de ménages recomposés très fréquents aujourd'hui, ce sont les femmes qui subissent les conséquences plus lourdes de ces situations. Il y a aussi de plus en plus de femmes qui sont seules, parfois de leur fait, d'un choix qu'elles assument mais aussi le plus fréquemment parce qu'elles ont été abandonnées par le père de leur enfant. C'est sur elles que reposent alors toutes les responsabilités et les difficultés, Comment ne pas évoquer aussi les violences conjugales, dont on sait qu'elles ne cessent d'augmenter parce que notre monde est de plus en plus violent. Sans doute aussi des femmes osent elles maintenant en parler, ce qu'elles n'étaient pas en mesure de faire dans le passé. L'éclatement de la famille, phénomène lié à l'urbanisation et à l'allongement de la vie, pèse lourdement sur les plus démunies. D'une façon générale, c'est sur elles que reposent les difficultés de la société d'aujourd'hui. Aussi je voudrais bien qu'on ait un peu plus de douceur vis-à-vis d'elles, un peu plus d'attention et de considération. Quand je parle de considération, je pense au courrier que vous recevez, dont vous avez fait état, où l'on s'adresse à vous en vous appelant, « Monsieur le maire », même lorsqu'il s'agit d'un courrier administratif. Je peux vous dire que je reçois souvent des courriers adressés, par des gens qui se croient trop importants pour avoir des femmes comme interlocuteurs. En fait ceux qui sont réellement importants, sont, eux, attentifs à ce genre de choses et vous traitent avec moins de désinvolture. De plus en plus, les fax, les messages par Internet, entraînent une absence totale de forme, voire une grossièreté de la part de beaucoup qui considèrent qu'on est à leur service, surtout lorsqu'ils s'adressent à une femme. On est parfois effaré.

Aussi il me paraîtrait très utile que l'on enseigne aux jeunes à mettre un peu de politesse et d'égard, dans les relations quotidiennes et à manifester un peu de respect vis à vis des autres, qu'il s'agisse aussi bien d'une femme que d'un homme. Ce sera déjà aussi un progrès, et je comprends pourquoi, quand vous recevez des lettres disant « Monsieur le Maire », vous en êtes choquées ; vous êtes des femmes et vous voulez qu'en en prenne acte. Moi aussi je suis une femme, et je veux qu'on me reconnaisse comme telle.

Jean Dumonteil : Merci Simone Veil, merci Madame la ministre d'État. (La salle se lève pour applaudir Mme Veil.) Bravo ! Merci. Je crois que cette ovation, Madame Veil, est la preuve de tout ce que vous doivent ceux et celles qui sont dans cette salle.

Et merci d'avoir terminé votre propos par un appel à la douceur, que n'exclut pas le courage politique que vous avez manifesté tout au long de votre vie publique.

Voici maintenant venu le temps de notre troisième table ronde consacrée à la vision des femmes maires sur l'avenir de la cité.

Troisième table ronde

La vision des femmes maires sur l'avenir de la cité

Nelly OLIN, Ministre déléguée à l'Intégration, à l'Égalité

des chances et à la Lutte contre l'exclusion

Jean PUECH (Aveyron, UMP),

Président de l'Observatoire Sénatorial de la décentralisation

Monique PAPON (Loire-Atlantique, UMP), Présidente de la commission n° 5

Claire-Lise CAMPION (Essonne, Soc), Rapporteure de la commission n° 5

Michèle ANDRÉ (Puy-de-Dôme, Soc), Présidente de la commission n° 4

Valérie LÉTARD (Nord, UC-UDF), Rapporteure de la commission n° 4

Gérard CORNU (Eure-et-Loir, UMP), Sénateur

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