Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise 2000



Palais du Luxembourg, 2 février 2000

III. LES RELATIONS DES PME-PMI AVEC LA GRANDE DISTRIBUTION

Table ronde animée par M. Nicolas CRESPELLE, directeur du journal L'Hémicycle en présence de M. Philippe MANIÈRE, rédacteur en chef du journal Le Point

Les entreprises en question

Sénateurs participant à la table ronde :

M. Jean BIZET (RPR) sénateur de la Manche

M. Jean BOYER (RI) sénateur de l'Isère

M. Louis de BROISSIA (RPR) sénateur de la Côte d'Or

M. Alain JOYANDET (RPR) sénateur de la Haute Saône

Chefs d'entreprise participant à la table ronde :

M. Jean-Pierre BARJON, président-directeur général de la société GEYER

M. Laurent DERUELLE, directeur général de la société VIRGIN

M. Claude RICHARD, président-directeur général de la société ALPINA

Le législateur en question

Sénateurs participant à la table ronde :

Mme Maryse BERGE-LAVIGNE (Soc) sénateur de la Haute-Garonne

M. Jean-Paul HUGOT (RPR) sénateur du Maine-et-Loire

M. Bernard MURAT (RPR) sénateur de la Corrèze

Chefs d'entreprise participant à la table ronde :

M. Gérard BOURGOIN, président de la Fédération

des Entreprises et Entrepreneurs de France

M. Jean MADRANGEAS, président-directeur général

de la société MADRANGE

M. Michel RULQUIN, président-directeur général

de la société Home Institut

M. Nicolas CRESPELLE (Directeur du journal L'Hémicycle)

Nous allons parler des relations des PME-PMI avec la grande distribution. Comme le précédent, ce débat va se dérouler en deux parties. Une première partie sera plus spécifiquement consacrée aux entreprises, celles de la grande distribution et les PME-PMI. Dans une deuxième partie, ce sera plutôt le législateur qui sera en question : la réglementation des relations entre les PME-PMI et la grande distribution est-elle la bonne ou faut-il la modifier, ou encore faut-il l'oublier ?

J'observe en préalable, qu'il n'y a pas, sur cette estrade, de représentants de la grande distribution et c'est quelque chose qui mérite d'être noté. La règle du jeu de ces rencontres est que soient présents à mes côtés des représentants des entreprises qui ont reçu des sénateurs et les sénateurs qui ont été reçus dans les entreprises. Une seule enseigne de la grande distribution a reçu un sénateur, CARREFOUR. Or, CARREFOUR n'a pas souhaité être présent, et j'ajoute que l'ensemble de la grande distribution ne souhaite plus aujourd'hui prendre la parole. Sachant que j'allais mener ce débat, j'ai posé avant-hier la question à Michel-Édouard LECLERC qui m'a répondu : « À chaque fois, on se fait assassiner ; on ne veut pas écouter nos arguments ; on ne peut même pas se faire entendre. Du coup, on ne veut plus prendre la parole ». J'ai aussi demandé à Jérôme BÉDIER qui est le Président de la Fédération de la Grande Distribution : même réponse - on ne peut plus, on ne souhaite plus parler. C'est la position que nous avons prise.

Alors, je lancerai le débat à partir de cette position en disant qu'elle pourrait être interprétée de deux façons : soit ces gens-là ne savent pas communiquer, et s'ils ont un bon dossier, ils devraient pouvoir le communiquer. Mais je ne vais pas porter de jugement sur la communication des grandes enseignes, notamment avec les élus et le monde des entreprises. Soit leur dossier est indéfendable, mais d'évidence il ne l'est pas. Il est même tout à fait positif sur la durée pour le consommateur. Soit - dernière interprétation - ils sont ulcérés du procès qui leur est fait. Ils ont l'impression d'être pris pour des boucs émissaires et ils ne savent plus se défendre. Il y a donc un problème de communication de la part de gens ayant le sentiment d'être agressés. Je le dis parce qu'ils ne sont pas là, mais il faut que quelqu'un le dise. Et quand je regarde de l'autre côté, celui des PME-PMI, notamment à travers de ce qui s'est dit aux Assises de la grande distribution, on voit des gens qui eux aussi sont ulcérés, mais cette fois par les comportements de la grande distribution. Alors qu'en est-il vraiment ?

Une intervenante dans la salle

Une seule entreprise de la grande distribution avait été contactée pour ce partenariat, c'était CARREFOUR, elle n'avait pas la possibilité de venir ce matin. M. BÉDIER a été contacté relativement tard pour participer à cette table ronde, mais vous savez qu'il le fait à chaque fois que cela lui est possible. Vous l'avez entendu intervenir sur les ondes et à la télévision pour défendre et représenter ce secteur. C'est un secteur noble, qui emploie beaucoup de personnes en France et qui, il est vrai, a un petit peu le sentiment d'être le bouc émissaire de beaucoup de problèmes dans notre pays. Croyez bien que nous souhaitons nous exprimer sur ce sujet et que ce n'est pas de la désertion de notre part. Il y a peut-être eu un manque de coordination. Nous n'avons rien à cacher. Nous somme très fiers de ce que nous faisons.

M. Nicolas CRESPELLE

Dont acte. Je précise tout de même que j'ai moi-même eu M. BÉDIER au téléphone avant-hier, que je l'avais eu il y a trois semaines, et il y a six semaines et qu'il était tout à fait averti de l'existence de cette table ronde. Encore une fois je ne lui en fais pas reproche et je le comprends très bien. Mais il m'a dit lui-même qu'il ne souhaitait plus se prononcer ou participer à des débats. Je répète simplement que cette profession a un bon dossier, mais en a assez - ce n'est pas une méchanceté de le dire - des attaques qui sont portées contre elle. De l'autre côté, les PME-PMI ont aussi beaucoup à dire. Je voudrais donc poser une première question : comment peut-on bien travailler avec la grande distribution ? Nous avons ici le patron d'une société qui a accueilli un sénateur et qui a en quelque sorte réinventé la limonade, un produit qui était en train de se faire un peu éjecter des linéaires. Alors, comment vit-on lorsqu'on fabrique un produit de grande consommation, avec, sans ou à côté des grands groupes et de la grande distribution ?

M. Jean-Pierre BARJON (PDG de la société GEYER)

Il est vrai que notre société doit beaucoup à la grande distribution. Nous avons multiplié notre chiffre d'affaires par 52 en trois ans, et, cette croissance magique, nous la devons à la grande distribution qui nous a offert une vitrine pour y mettre nos produits. Même si, en fait, cela répondait à une attente des consommateurs, que nous avions décelée.

La grande distribution, c'est un outil logistique qui permet à un supermarché à Perpignan de commander un carton tous les quatre jours sans lequel on aurait aucune chance d'exister, parce que notre offre ne pourrait pas être présente dans le magasin. De ce point de vue-là, la grande distribution est indiscutablement importante, que ce soit en termes de communication, de présence des produits ou de logistique.

Nos inquiétudes, ce sont évidemment les dérives. La PME doit bien comprendre la règle du jeu. Or, cette règle n'est pas simple. Depuis neuf mois, un travail a été entrepris pour réfléchir sur la relation PME-grande distribution et certaines enseignes ont vraiment joué le jeu. J'aurai un peu envie de dire : la grande distribution, oui, mais certaines enseignes, oui ou non. Beaucoup de choses évoluent et c'est la raison de l'actualité du sujet.

M. Nicolas CRESPELLE

M. Laurent DERUELLE est le directeur de VIRGIN COLA, qui travaille avec la grande distribution, laquelle travaille aussi beaucoup avec COCA COLA. Comment fait-on pour entrer dans les linéaires ?

M. Laurent DERUELLE (Directeur général de la société VIRGIN)

Je pense, avec M. BARJON, que le préalable important consiste à ne pas clouer au pilori la grande distribution qui offre aux PME, aux PMI ou même aux start-up une superbe opportunité de développement. Il faut plutôt illustrer les dérives qui peuvent se produire dans le rapport de force qui nous oppose à la grande distribution. La loi Galland a instauré un certain nombre de pratiques. Mais elle commence à dater. Le contexte a évolué. Du côté de la grande distribution d'abord. Un exemple que j'aime citer : il y a encore quatre ans, juste au début de l'activité VIRGIN COLA, nous avions la possibilité de partager notre chiffre d'affaires entre une dizaine de clients qui faisaient à peu près chacun 10 %. En trois années, pour vous montrer que cela va très vite, quatre ou cinq grandes enseignes vont représenter, l'année prochaine, 90 % de notre chiffre d'affaires. Le contexte a donc évolué. La loi date.

Deuxième observation : je ne suis pas sûr aujourd'hui qu'il y ait des solutions législatives aux rapports entre les PME-PMI et la grande distribution. Et j'avoue que je suis assez à l'aise pour illustrer certaines dérives. En revanche, si l'on me demande la solution, j'avoue que je ne l'ai pas. La loi Galland a probablement eu des effets positifs ; elle a aujourd'hui des effets négatifs et je pense que votre travail, messieurs les sénateurs, et à nous aussi peut-être, c'est de trouver la bonne solution, sans que je sois sûr qu'il y ait une bonne solution législative. Beaucoup de choses reposent sur la responsabilité des différents intervenants.

M. Nicolas CRESPELLE

Monsieur RICHARD, vous êtes le président de la société ALPINA. Comment vivez-vous vos rapports avec la grande distribution ?

M. Claude RICHARD (PDG de la société ALPINA)

Je dirige une entreprise de pâtes alimentaires qui est le numéro 3 français. C'est une PME qui fait un peu plus de 100 millions de chiffre d'affaires. Et si aujourd'hui nous sommes présents sur le marché, c'est grâce à la grande distribution, avec notre entreprise qui s'est développée depuis bientôt 40 ans. La grande distribution pour nous ce ne sont pas des ennemis, ce sont nos clients. On ne peut pas considérer ses clients comme des ennemis. Nos ennemis, ce sont nos concurrents et en particulier nos concurrents italiens. Aujourd'hui, notre vrai problème, c'est que nous nous trouvons en face de concurrents qui travaillent de façon anormale, qui exercent un véritable dumping. L'Italie, par exemple, est en surcapacité de production de 50 % et il est facile pour un fabricant italien de venir faire des offres à 20 % au-dessous des prix de revient français pour essayer de conquérir de nouveaux marchés à notre détriment. À ce moment-là, la grande distribution nous dit voilà : nous avons des offres à tel niveau, on vous donne la préférence, mais il faut vous aligner parce que si on ne prend pas cette offre-là, nos concurrents la prendront et nous serons défavorisés. Voilà, aujourd'hui, quel est notre problème. C'est qu'on est face à une concurrence anormale et qu'aucune loi, en France, n'interdit à un producteur de vendre 20, 30 ou 50 % ou 100 % en dessous de son prix de revient pour démolir des gens qui occupent un marché. Rien ne nous protège. Aux États-Unis, il y a des lois anti-dumping qui permettent à un industriel qui s'estime victime d'une concurrence anormale d'assigner son concurrent devant la justice. Nous, nous ne pouvons pas le faire.

D'autre part, nous rencontrons de nouvelles difficultés au niveau de la productivité, avec le passage aux 35 heures qui a désorganisé l'entreprise par l'embauche de personnes non formées, et qui ne répond pas aux attentes du personnel. Le personnel ne veut pas forcément plus de loisirs, mais plus de salaire. Au total, c'est pour nous un handicap, alors qu'au début on pensait que ce serait un avantage qui nous permettrait de fonctionner, quasiment 7 jours sur 7. Dernier point : nous payons une taxe professionnelle qui représente 1,2 % de notre chiffre d'affaires. Les Italiens ne paient pas de taxe professionnelle. Je considère donc, en tant que fabricant français, que je paie 1,2 % de droit de douane pour vendre dans mon pays alors que mes concurrents en sont exonérés.

M. Nicolas CRESPELLE

C'est le problème de la concurrence fiscale dans la zone euro.

M. Claude RICHARD

Exactement. Et les industriels français ont du mal... à cause de la concurrence fiscale, mais aussi de la concurrence sociale, du dumping.

M. Nicolas CRESPELLE

Voilà une ouverture intéressante : il y a concurrence

intracommunautaire, avec des pratiques différentes. Je vais demander à M. Jean BIZET, Sénateur, qui était chez DANONE, de nous donner son sentiment sur les relations d'une grande entreprise avec la distribution.

M. Jean BIZET (Sénateur R.P.R. de la Manche)

J'étais effectivement en immersion pendant 48 heures chez DANONE avec mon collègue Alain VASSELLE qui, lui, s'est plutôt préoccupé des rapports sociaux et des 35 heures. Personnellement, je me suis plutôt investi dans le délicat problème des relations entre les PME et la grande distribution sous l'angle de la sécurité alimentaire, de la sécurité sanitaire des aliments parce que c'est un problème qui, on l'a vu récemment, met en relation beaucoup plus étroite qu'auparavant les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. C'est tout ce qui tourne autour du principe de précaution. Il est vrai que c'est une approche purement politique du problème, d'une incertitude scientifique, et je regrette que jusqu'à maintenant, il n'y ait pas eu transcription de ce concept dans le droit international ou dans le droit national. Tout doucement, nous y arriverons. On l'a vu il y a quelques semaines à Seattle, aux négociations de l'OMC, où nos partenaires américains ne voulaient pas entendre parler de cette notion et préféraient parler d'« approche de précaution ». De même la semaine dernière, au Congrès de Montréal sur le dossier sur les biotechnologies. Il y a maintenant une approche beaucoup plus saine de la question et le Conseil d'État, le 17 janvier dernier, a donné une forme plus claire au principe de précaution. Cela dit, nous n'avons toujours pas une directive communautaire et nous n'avons toujours pas de transcription en droit national. Même si, très récemment, une commission du Parlement européen, présidée par un Français, le président de l'Institut Français pour la Nutrition a donné, au travers du codex alimentarius une définition bien précise du principe de précaution. Il est en effet déplorable que sur des informations, plus ou moins fondées, une entreprise puisse littéralement s'écrouler et qu'une marque voit son image détériorée pendant des années.

M. Nicolas CRESPELLE

Monsieur de BROISSIA, vous étiez chez GEYER, le limonadier. Quels enseignements en avez-vous tiré ?

M. de Louis de BROISSIA (Sénateur R.P.R. de la Côte d'Or)

J'ai eu grand plaisir à faire connaissance et à me lier, j'espère, d'amitié avec Jean-Pierre BARJON. J'ai redécouvert une chose qui est simple pour les chefs d'entreprises : c'est qu'une entreprise, c'est un produit, mais c'est aussi beaucoup d'enthousiasme. La limonade, je la considérais depuis mon enfance comme un produit banal, et même sur la touche, avec l'arrivée du COCA COLA. J'ai donc constaté la réappropriation, grâce à l'enthousiasme d'un homme et d'une équipe, d'un produit devenu banal. J'ai reçu aussi M. BARJON à Dijon et nous sommes allés inspecter les « têtes de gondole ». La distribution, c'est un domaine que je ne connais pas. J'ai dirigé des entreprises de presse. Je connais bien la loi Sapin. J'ai fait un rapport sur la loi Sapin à l'Assemblée nationale. Je trouvais que c'était un problème déjà très complexe. La loi Galland et ses répercussions, c'est encore plus complexe, et c'est normal s'agissant des relations, entre des très grands et des très petits. À la limite, il est plus facile d'orchestrer TF1 ou Canal +. Ce que j'ai vérifié simplement à travers mon stage en entreprise et la visite de Jean-Pierre BARJON, c'est que la grande distribution est indispensable aux PME-PMI. LORINA, malgré toutes ses qualités - je vous conseille de l'essayer c'est une limonade extraordinaire... Mais je ne suis pas là pour faire de la publicité - n'aurait pas de possibilité d'exister sans la grande distribution. Ce que j'ai découvert, donc, c'est que les relations sont beaucoup plus complexes que je le croyais. L'un n'existe pas sans l'autre. La grande surface sans la PMI serait, comment dire, une grande surface des pays de l'Est qui ne fournit que des produits sans marque. La chaleur des grandes surfaces tient au fait qu'on y trouve des produits personnalisés. Mais j'ai découvert aussi le danger que ne connaissent pas, pour les PME-PMI, contrairement à ce que j'ai pu lire, les grandes surfaces. Elles sont dans une situation comptable et juridique délicates. Lorsque j'étais patron de mon entreprise, l'expert-comptable, le commissaire aux comptes n'autorisait à payer que les factures justifiées. Or, pour la grande distribution, il y a ce qu'on appelle la «marge arrière» que j'ai découverte à l'occasion de ce stage.

M. Nicolas CRESPELLE

Pouvez-vous donner une définition de la « marge arrière » ?

M. Louis de BROISSIA

Eh bien la « marge arrière », c'est ce qui n'est pas la « marge avant ». Autrement dit la possibilité d'avoir des facturations non justifiées, donc contestables au plan comptable. Je me permets de le dire parce que j'ai une expérience de chef d'entreprise. Lorsque je suis allé à Dijon chez CARREFOUR, la tête de gondole n'était pas forcément là, même si elle était annoncée. Si elle n'est pas là, on ne paye pas. Si elle est là, il est normal de payer. Il faut en revenir à cette chose simple : transparence et justification.

M. Nicolas CRESPELLE

Avez-vous le sentiment, les uns et les autres, qu'il y a une absence de justification dans ce que vous facturez ou ce que la grande distribution accepte de vouloir facturer ? Autrement dit, y a-t-il des prestations que l'on facture et qui ne correspondent pas à des réalités ou est-ce totalement exceptionnel ?

M. Laurent DERUELLE

Je vais essayer de répondre à votre question. Je crois que plus que le problème de la justification, c'est un des effets pervers de la loi Galland. Le fournisseur, par le biais de ces « remises arrières », négocie et confirme, auprès de son client, un certain niveau de marge, ce qui me paraît complètement anti naturel dans une relation commerciale puisque les marges et les prix doivent répondre à la règle classique de l'offre et de la demande. Le principe de la « remise arrière » consiste à ce qu'un fournisseur s'engage à redonner x %, de 1 à 30 % selon les secteurs d'activité à son client. Par exemple, moi VIRGIN COLA, je reverse x % de mon chiffre d'affaires à mon client, ce qui se traduit par telle ou telle prestation. Le vrai problème, c'est que tout le monde a accepté de cautionner un système qui conduit à facturer non pas seulement une prestation mais aussi des marges - un taux de marge assuré pour la distribution. Et c'est une perversité de cette loi qui a été bien utile à un certain moment mais qu'il faudrait réformer. On peut d'ailleurs se demander si une loi peut régir les relations entre un client et un fournisseur comme l'a fait la loi Galland ? Je pense qu'il faut vraiment se poser les bonnes questions là-dessus.

Deuxième point : il est clair aussi que la difficulté de tout acte législatif est que la loi va s'appliquer, à la fois aux gros distributeurs, aux petits et aux PME-PMI. Même au sein des fournisseurs de la grande distribution nous n'avons pas tous les mêmes intérêts ni les mêmes armes. Pour prendre l'exemple de VIRGIN COLA, je dirai que notre chiffre d'affaires correspond à peine à la moitié du budget de télévision d'une entreprise comme COCA COLA. De sorte que nous ne sommes pas forcément capable de répondre de la même façon à un grand distributeur.

M. Nicolas CRESPELLE

En somme, vous nous dites que la loi ne peut pas régler des problèmes de marketing qui sont des problèmes de positionnement de marque. Il y a des marques qui ont vocation à être très généralistes, à s'adresser à tout le monde et à être très puissantes. À côté de cela, il y a d'autres marques qui peuvent avoir d'autres positionnements avec des ambitions plus modestes, mais tout de même une place pour exister. M. JOYANDET, nous ne vous avons pas encore entendu sur le sujet. Partagez-vous cette analyse, notamment sur la loi Galland ?

M. Alain JOYANDET (Sénateur R.P.R. de la Haute-Saône)

Monsieur DERUELLE a presque tout dit. J'ai été aussi très heureux d'aller chez lui. J'ai vu une start up avec une centaine de très jeunes gens qui animent l'entreprise et je voudrais dire aussi que le VIRGIN COLA est très bon et que Coca pourrait leur laisser un tout petit bout de sa part de marché...

J'ai bien écouté tout ce qui m'a été expliqué durant ce stage. C'était d'ailleurs une très, très bonne idée et il faut faire en sorte que beaucoup de parlementaires fassent des stages en entreprise. Je suis aussi chef d'entreprise, et cela m'a permis d'avoir un regard un petit peu différent. Pour répondre à M. DERUELLE, je n'ai pas l'impression, très franchement, que le législateur soit très utile pour régler les problèmes entre la grande distribution et les PMI-PME. Pourquoi ? Tout simplement, parce que c'est une affaire de responsabilité individuelle, pour beaucoup et parce que c'est aussi une affaire de rapports de force. Lorsqu'on est VIRGIN COLA, on dépend de la grande distribution pour se faire une place au soleil et il faut jouer des coudes pour y arriver. Mais quand on a un bon produit, finalement on y arrive, et c'est surtout une question de qualité, des hommes et des femmes qui veulent se battre pour développer leur entreprise. Et le rapport de force, on voit bien qu'il est prêt à s'inverser puisque, quand on est COCA COLA, c'est la grande distribution qui a besoin de vous parce qu'il ne peut pas y avoir une grande surface sans COCA COLA. À un certain niveau, le rapport de force s'inverse au profit du créateur contre le distributeur.

Dans cette affaire, le législateur a essayé de faire en sorte - peut-être en toilettant un peu les textes actuels - que les créateurs de nouveaux produits puissent avoir - petit à petit pour ne pas déstabiliser ceux qui ont réussi auparavant - une place au soleil dans la grande distribution. Et puis....

M. Nicolas CRESPELLE

Juste une question avant d'aller plus loin. Ne pensez-vous pas que la simple concurrence entre enseignes les pousse à essayer de se différencier les unes des autres avec des produits nouveaux ou des produits différents ? Autrement dit, n'est-ce pas le simple jeu de la concurrence qui conduit à ce que le produit soit bon ?

M. Alain JOYANDET

J'allais y venir et c'est peut-être le seul point sur lequel nous devons nous interroger. Il m'a semblé, pendant ces journées d'immersion, que le handicap c'est la concentration. Il y a une quinzaine d'années, il devait y avoir une vingtaine de donneurs d'ordre, et maintenant 4 ou 5 seulement, et l'on peut imaginer qu'à un moment donné, par exemple, il ne reste que deux très grands groupes, responsables d'accepter ou de ne pas accepter un nouveau produit. Et alors se pose vraiment le problème de la concurrence. Car seule la concurrence peut favoriser l'émergence de nouveaux produits tout en permettant aux anciens de conserver leur place. Encore faut-il que l'organisation du marché permette cette concurrence. Le législateur a-t-il là un rôle à jouer ? Sans doute, pour aller peut-être vers un peu plus de transparence et de vérité. Mais ce n'est pas son rôle essentiel.

M. Nicolas CRESPELLE

Alors vive l'arrivée de Wal-Mart en France...

M. Jean BOYER (Sénateur Républicain et Indépendant de l'Isère)

J'ai pour ma part été immergé à la Société ALPINA, qui fabrique des pâtes et dont le président s'est exprimé tout à l'heure. J'ai visité une usine qui travaille très intelligemment parce qu'elle a inventé des produits nouveaux. Ceci dit, M. CRESPELLE a parlé du fait que beaucoup de gens étaient ulcérés. Les fournisseurs sont ulcérés, les clients sont ulcérés. Je ne sais pas si vous avez eu connaissance d'un document qui a été envoyé par CARREFOUR et PROMODES et qui est un véritable catéchisme de l'ensemble des aides que peut apporter cette « doublette ». Or à la page 15, on peut lire : attention, Wal-Mart arrive en France, et l'on voit des chiffres étonnants, bouleversants pour la grande distribution française. Il est certain que PROMODES et CARREFOUR qui se sont unis - et je crois qu'ils ont bien fait - sont terriblement inquiets de l'arrivée d'une société qui depuis 1987 a installé, acheté 21 hypermarchés, 74 hypermarchés, 21 datant de 1997, et 229 supermarchés britanniques en 1999. Pour l'observateur que je suis, voilà qui est très inquiétant pour la grande distribution française.

Lorsque les partenaires sont ulcérés, je crois - et mon président ne me contredira pas, lui qui cherche toujours à faire rencontrer les hommes et à les faire s'entendre, qu'il faudra des « face à face » dont nous parlions tout à l'heure. Une intervenante regrettait que certaines catégories de distributeurs n'aient pas été convoqués. Quelques « face à face » donc, dans le calme, pour pouvoir régler avec intelligence un certain nombre de problèmes qui ne peuvent pas se régler par la loi.

M. Philippe MANIÈRE

Je voudrais revenir brièvement sur l'utilité de certaines lois. On a parlé de la loi Galland. Moi j'aimerais parler de toutes les lois qui ont, au fil du temps, limité l'ouverture de nouvelles surfaces de grands commerces. Parce que là aussi, je pense que l'on peut discuter de l'opportunité de ces lois et de leur rapport « qualité prix » après quelques décennies d'application. Quel jugement peut-on porter ? D'abord, cela n'a pas sauvé le petit commerce. Là où il n'y a plus personne pour faire ses courses, il n'y a plus de petits commerces. C'est dommage mais c'est ainsi. Deuxième point : cela a eu un effet pervers. Je ne parle pas de la partie immergée de l'iceberg, les journaux sont pleins de la partie émergée avec le financement des partis politiques. Dès lors que les hommes politiques peuvent donner des autorisations d'ouverture ou non, certains d'entre eux, et je ne me prononce pas sur le pourcentage, vont forcément faire payer l'autorisation. C'est regrettable et cela a des conséquences importantes en termes d'image des hommes politiques. Je pense aussi que si les grandes surfaces ont des moeurs parfois peu « câlines » avec les fournisseurs, c'est peut-être aussi lié au fait que les politiques leur ont donné l'exemple. Troisième point : l'enrichissement des propriétaires. Moi je suis pour que les gens soient riches et heureux. Mais, tout de même, cette loi a eu pour conséquence que les gens qui étaient propriétaires de mètres carrés se sont enrichis considérablement. Il n'y a rien qui augmente plus en France que les parts de grandes surfaces parce qu'à partir du moment où les ouvertures sont limitées, vous gérez la pénurie et vous devenez très riche si vous avez la chance d'avoir des mètres carrés. Demandez aux gens qui vendent des vignobles dans le Bordelais ou dans le Languedoc, ils n'ont plus qu'une catégorie de clients, des patrons de Super U..., qui ont fait fortune grâce à la loi.

Dernier point enfin : puisqu'on nous dit que les grandes surfaces sont trop puissantes, peut-être que cela ne gênerait pas qu'il y ait de la concurrence ; et je me demande si, en un sens, les lois ROYER, RAFFARIN, etc., ne sont pas en contradiction avec l'intention de la loi Galland et tout ce qu'on est en train de discuter aujourd'hui. Plus il y a d'acheteurs possibles, mieux cela vaut pour les vendeurs et si on limite le nombre des nouveaux mètres carrés, si on limite la capacité d'arrivée en France de nouveaux intervenants, on met les prestataires en situation de dépendance par rapport aux acheteurs. Si Wal-Mart vient en France, c'est peut-être une excellente chose pour le consommateur parce que finalement, Wal-Mart va avoir l'image de l'affreux américain. Que peut-il faire pour avoir une bonne image ? Probablement faire des choses très spectaculaires qui consisteront à mettre en tête de gondole, peut-être en ne faisant pas tellement payer, des trucs et des bidules, genre foie gras français etc. Peut-être que Wal-Mart aura une politique plus « câline » vis-à-vis des fournisseurs ? En tout cas, je ne vois pas d'inconvénient à ce que Wal-Mart débarque chez nous. Je sais bien que je suis là sur un terrain que je ne connais pas bien. C'est du reste pour cela qu'on m'a demandé mon avis. Mais je suis toujours étonné de voir que les prestataires ne se fédèrent pas beaucoup. Il y a des centrales d'achat mais très peu de centrales de vente. Cela doit être très difficile mais ceux qui résistent dans le monde, les fleuristes hollandais, les marchands de poisson de certains pays qui ne font pas comme à GUILVINEC où l'on pleure toute l'année parce qu'il n'y a plus personne pour acheter le poisson mais où, en même temps, personne ne s'organise pour maîtriser la filière. Peut-être qu'il y a moyen, en France aussi, d'organiser en face de ces centrales d'achat, pas forcément des centrales de vente - je vois bien monsieur, vous faites valoir qu'il y a des problèmes d'entente, des problèmes légaux - mais en tout cas une capacité d'organisation pour essayer de peser face à la capacité d'achat.

Dernière interrogation, enfin et là aussi, c'est très prospectif. Internet ne va-t-il pas redonner un peu de pouvoir aux fournisseurs par rapport aux distributeurs ? On pourrait penser que oui. Mais la réponse n'est pas si évidente. Après tout, dans dix ans, on aura peut-être trois ou quatre sites qui feront 90 % du débouché comme on a aujourd'hui 3 ou 4 grandes surfaces qui font 90 % du débouché. Mais ce n'est pas sûr : l'effet d'échelle, qui rend la concentration si désirable quand on a des magasins et des capacités de stockage à développer, est moins intéressant quand on vend grâce à un supermarché virtuel. On peut donc espérer qu'à terme, une partie importante de la distribution se fasse par Internet dans des conditions de concurrence plus satisfaisantes pour les fournisseurs.

M. Nicolas CRESPELLE

Nous allons passer à la deuxième partie du débat qui vient d'être lancée par cette intervention.

M. Paul ROBERT

Président d'une PME-PMI, je pensais assister à un débat de PME-PMI et pas de multinationales. Je ne veux pas faire de publicité pour ma propre enseigne, mais la société COCA COLA, c'est une multinationale, une société qui travaille en France mais aussi partout dans le monde. Lorsqu'elle avait, il y a dix ans, comme cela a été dit par un de ses concurrents, 15 enseignes qui faisaient 90 % de son chiffre d'affaires, et qu'aujourd'hui elle n'en a plus que 5 qui font 80 % de son chiffre d'affaires, elle peut se tourner vers d'autres marchés. La société VIRGIN, est une multinationale que je sache. C'est une société anglaise très diversifiée dans l'alimentaire, dans le transport, dans tout un tas de domaines. Le débat ne porte pas sur les multinationales par rapport à la grande distribution, mais sur les PME-PMI. Qu'est-ce qu'une PME-PMI ? C'est une société qui connaît les mêmes problèmes - vous avez 5 clients qui font 80 % de votre chiffre d'affaires - mais c'est aussi une société qui doit faire en moyenne 80 % de son chiffre d'affaires en France. Elle ne peut donc pas se permettre de perdre un client. Cela, c'est fondamental. Elle n'a pas la possibilité de trouver d'autres débouchés pour assumer sa pérennité. Je trouve très bien que la grande distribution ait permis à toutes les PME-PMI de se développer. Je ne suis pas contre elle ; on a besoin d'elle. Mais il y a des abus qu'il faut faire cesser et je voudrais en dire deux mots.

Si ces PME-PMI disparaissent, ce sont des milliers de petites entreprises qui vont disparaître. Ce n'est probablement pas très grave en soi mais je pense qu'elles ont un savoir faire, elles ont un potentiel de création. Ce sont des gens qui innovent, des gens qui investissent et, tôt ou tard, on se rendra compte de ce que cela représente. Or, ce n'est pas du tout comme cela ailleurs. Si vous allez aux États-Unis, les rapports entre les PME-PMI et les gens comme Wal-Mart sont des rapports de coopération, et d'investissement.

On a parlé tout à l'heure de la partie comptable, de l'approbation des comptes de la grande distribution. Alors là, les bras m'en tombent... Quelle est la réalité quotidienne d'une PME-PMI ? Sur un tarif de 100, en gros elle va donner 20 à 25 % de ristourne à la grande distribution, quelle qu'elle soit. Cela veut dire que son tarif, il n'est pas de 100, il est de 70. La différence, ces 30 %, elle a plusieurs noms de baptême : la « gondole », la « remise en avant », la coopération, la ristourne de fin d'année, tout ce que vous voulez. S'il faut vérifier que la « tête de gondole » est bien là, une multinationale peut le faire, pas une PME-PMI. Et c'est la même chose pour le catalogue, « on va mettre votre produit » : « et puisqu'on a oublié, on est désolé ». Mais on a mis la marque de l'enseigne qui a copié votre produit. Cela vaut dans l'alimentaire, dans la parfumerie, dans le bazar. Il faut quand même dire les choses telles qu'elles sont.

Un dernier point et j'en aurai fini : je ne veux pas faire de publicité pour mon entreprise. Elle fait 60 millions de chiffre d'affaires. J'ai 25 millions de fonds propres. Savez-vous combien, hier soir, la grande distribution me devait ? Exactement 17 millions de francs. Cela ne nous concerne-t-il pas tous, tels que nous sommes, autour de la table ? Croyez-vous qu'il n'y a pas des choses à faire ? Ces 17 millions de francs qui me sont dûs, je dois les financer. J'ai des fonds propres, je peux les financer, mais moi je paye mes fournisseurs quasiment au comptant, ou à 30 jours, à 60 jours, je fais pour le mieux, certainement pas à 120 jours. Cela aussi, il faut le savoir. Où est-ce que je veux en venir ? D'abord, au constat que ce sont une partie des PME-PMI qui financent toute la distribution. La grande distribution n'envoie plus de traites. Elle s'est organisée. Elle paye à terme. C'est-à-dire qu'au lieu de recevoir au bout de 30 jours une traite que je pouvais escompter, ce que tout entrepreneur peut comprendre, maintenant je vais être payé au bout de 120 jours après déduction des participations publicitaires, les catalogues et des ristournes de fin d'année. Et croyez-vous qu'on me demande mon avis ? Mais je ne parle pas que de moi. Je parle pour toutes les PME-PMI. On ne leur demande pas leur avis. Et si l'on compare ces pratiques avec la loi en vigueur, on rêve. Si l'on se demande : a-t-on le droit de déduire un montant pour une participation publicitaire, la réponse est simple : qu'on ait le droit ou pas, de toute façon, la distribution, elle, le fait.

Encore un mot : le problème de trésorerie que vous devez avancer, c'est fondamental. La distribution vous dit : si vous avez besoin de trésorerie, ce n'est pas compliqué ; venez chez moi, je vais vous payer, je vais vous prendre 0,5 % pour le service, 0,7 % pour rémunérer votre argent puis je vais vous payer cash. C'est-à-dire que non seulement ils font, en gros, 20 % de notre chiffre d'affaires mais en plus ils vont nous tenir par les finances. Dans d'autres pays cela se passe différemment. Tous ces grands distributeurs, ils achètent cash. Moralité : plus vous laissez faire, plus vous considérez qu'il n'y a rien à faire, plus vous favorisez la grande distribution. Moi, je suis pour la libre concurrence mais ne défavorisez pas les PME-PMI. Un exemple pour conclure sur le sujet. Dans un secteur qui a évolué, qui a été régulé, celui des produits frais, on paye à 30 jours. Pourquoi ne fait-on pas évoluer la loi ? Vous avez une PME-PMI qui a financé ses investissements, son stock. En réduisant le délai de paiement des distributeurs, vous lui redonnez de l'oxygène, vous lui redonnez le moyen de réinvestir et de soutenir la concurrence.

Mes propos ne sont pas pour dire : il ne faut pas de concurrence, il faut nous protéger. Mes propos sont pour dire : il faut qu'on soit à armes égales et il n'y a aucune raison que sur ces deux aspects - les conditions de paiement et les ristournes - on en arrive à des décalages aussi importants. Pour moi, les ristournes, il faut les remettre sur les factures afin que le consommateur en soit le bénéficiaire.

M. Nicolas CRESPELLE

Merci de votre témoignage.

Mme Monique PATELOUP

Il y a un grand absent à cette tribune : le secteur des constructeurs automobiles et de ses sous-traitants. Ces derniers sont souvent des PME industrielles et familiales, qui crèvent parce que les constructeurs les abandonnent pour faire venir des produits de l'étranger. Ne serait-il pas judicieux de mettre en place des conventions entre les sous-traitants et les constructeurs automobiles sur l'innovation et la recherche, ce qui permettrait aux sous-traitants d'être beaucoup plus compétitifs et aux constructeurs de ne pas chercher à l'étranger la main d'oeuvre qui existe sur place ?

M. Nicolas CRESPELLE

Au fond, dans ces divers témoignages, ce qui est en cause, c'est une espèce de restructuration aux forceps, par la distribution ou par les constructeurs automobiles, de leurs fournisseurs et peut-être, et c'est un sujet qu'il faudrait aborder, qu'il est certains métiers où il y a des concentrations naturelles qui font que, hélas, pour la diversité, Monsieur, il y a un certain nombre de PME-PMI qui sont appelées à fusionner ou à disparaître. Aujourd'hui, qui peut se lancer dans du yaourt normal. Il y a des grandes sociétés qui ont tout absorbé. Là aussi, ce que j'essaie de dire c'est qu'il y a un mouvement de l'économie générale qui est mis en cause par ce que vous évoquiez. Si vous le permettez, on va passer à la deuxième partie du débat qui va être la suite de celui-ci, avec d'autres interlocuteurs.

M. Jean-Paul CHARRIÉ (Député du Loiret)

Je voulais juste m'adresser à mes collègues sénateurs. Certains d'entre eux, qui sont pourtant des législateurs comme moi, ont dit qu'on ne résoudrait pas les problèmes par la loi. Je voudrais leur faire passer ce seul message : si la loi ne doit pas entraver le bon fonctionnement de la libre concurrence, si la loi ne garantit pas à n'importe quelle entreprise, qu'elle soit grande ou petite, la pérennité d'un marché, il faut quand même un minimum de règles du jeu, et c'est vrai dans tous les domaines de liberté. Soyez convaincus que s'il n'y a pas un minimum de règles du jeu dans l'économie de marché, nous allons passer d'une économie administrée par l'État, à une économie administrée par deux ou trois puissances financières, ce qui sera pis. Que la loi Royer ne soit pas bonne, d'accord, mais il faut un minimum de réglementation.

M. Nicolas CRESPELLE

Nous allons en parler.

M. Alain JOYANDET

Je demande un droit de réponse. On n'a pas dit qu'il ne fallait rien faire, on a dit qu'il fallait « toiletter », qu'il fallait des règles du jeu, mais que la loi ne ferait pas tout. En fait, on dit la même chose.

M. Nicolas CRESPELLE

Dans cette deuxième partie du débat, que nous avons un peu abordée, nous allons nous demander si la batterie de lois qui régissent les relations entre la grande distribution et les PME-PMI est adaptée. Si les lois qui régissent le commerce sont bonnes ? Et que faut-il faire aujourd'hui ? Faut-il revenir sur la loi Royer ou simplement amender la loi Galland. Bref, comment peut-on, comment doit-on réguler le marché ou au contraire faut-il simplement se donner les conditions d'une concurrence saine et ouverte, et qui donne sa chance à tous les intervenants ?

Je voudrais demander son opinion à Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE : la législation qui régit les relations entre le commerce et la grande distribution, au fond, est-elle la bonne ?

Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE (Sénateur socialiste de la Haute-Garonne)

J'ai bien entendu la leçon de M. CHARRIÉ : je ne vais pas dire le contraire. Mais je voudrais d'abord dire deux mots, l'accueil que j'ai reçu à CARREFOUR où j'ai fait un stage. Je connaissais CARREFOUR, la grande distribution en tout cas, parce que je suis consommatrice. Habitant une ville, je n'ai pas trop le choix, je vais faire mes achats dans les grandes surfaces. J'ai donc été heureuse de voir l'autre côté, l'organisation de la grande distribution. J'avais évidemment suivi la crise de cet été, notamment les relations avec les petits agriculteurs. J'ai donc posé un certain nombre de questions, auxquelles il m'a été répondu. On m'a donné des documents et notamment le Livre blanc des relations, des accords avec les PME auxquelles a fait allusion M. BOYER. Je veux donc dire que j'ai été bien reçue. J'ai rencontré des dirigeants meurtris par la « diabolisation » des grandes surfaces, et qui essayaient de montrer comment ils travaillaient.

Que faire ? S'interroger. Surtout pas. Ce serait la négation de notre travail de législateur. En République, le code, c'est le respect de la loi. La loi existe. Vous l'avez rappelé. On peut soit la supprimer, soit la changer, soit l'appliquer, soit l'amender, l'adapter à l'évolution du commerce. Je rappelle que nous sommes en économie de marché - cela me plaît bien de dire cela, là où je suis et d'où je viens - nous ne sommes pas en économie administrée. La négociation commerciale libre est le fondement même de l'économie de marché. Ces précautions étant prises, je pense que nous devons, nous législateurs, trouver les moyens d'adapter la loi et notamment la loi Galland. Je pense que la loi peut encourager de nouvelles relations entre les PME, les petits agriculteurs et la grande distribution. Comment ? Par des chartes, par des contrats, par la suppression de la « marge avant », de la « marge arrière ». L'excellent rapport de l'Assemblée nationale de M. CHARRIÉ sur l'évolution de la distribution montre que ces problèmes de comptabilité sont une exception française, et qu'ailleurs en Europe - en Allemagne, en Grande-Bretagne - mais aussi dans les pays d'Asie, les relations sont fondées sur le principe « parole donnée, parole tenue », et on ne change pas la règle du jeu au milieu du gué - il faudrait peut-être adopter ces pratiques dans notre pays.

M. Nicolas CRESPELLE

N'y a-t-il pas là un effet pervers de la loi ?

Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE

Probablement. C'est pour cela qu'il faut changer la loi pour aller dans le sens du contrat, de la négociation, de la parole tenue, des prix nets.

M. Nicolas CRESPELLE

Qu'en pensez-vous, Monsieur BOURGOIN ?

M. Gérard BOURGOIN (Président de la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France)

Partant du principe que la loi existait, ce qui nous paraissait le plus important c'était d'abord de l'appliquer. Or, que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui se dérègle ? Il y a un cadre qui existe mais il n'est pas appliqué parce qu'il y a un des partenaires qui est plus fort que l'autre, lequel est peut-être un petit peu soumis. Je voudrais faire une très grande différence entre ce que l'on appelle la PME, c'est-à-dire l'entreprise franco-française qui a un cercle de rayonnement en France, voire en Europe, qui est donc une entreprise de taille humaine et, sans que ce soit péjoratif, « bien de chez nous ». Et puis la filiale française de groupes multinationaux, européens, qui ne considèrent la France que comme un département de leur développement, 10 %, 15 %, 20 %, de leur chiffre d'affaires, 2 % pour certains, et qui, bien sûr, n'ont pas du tout la même réaction et le même comportement. Nous, la Fédération des Entreprises et des Entrepreneurs de France, nous avons fait des propositions en disant : « ces propositions doivent être basées sur le respect ». Le respect, c'est quoi ? C'est que la force dominante ne profite pas de sa force pour rendre la plus petite dépendante et lui faire avaler n'importe quoi. Certes, elle ne met pas un fusil à canon scié sur le ventre au vendeur des PME pour lui faire dire oui. Mais elle fait miroiter beaucoup de coopération commerciale, de potentiel de développement, de mise en avant des produits et puis elle oublie de respecter la règle du jeu. Alors la PME est pénalisée. Elle ne développe pas son chiffre d'affaires comme elle l'a prévu. Elle s'est engagée sur des stratégies d'investissement ? mais elle n'a pas de contrat à long terme. C'est-à-dire qu'elle n'est pas garantie qu'elle conservera le marché pendant deux ou trois ans. Or, c'est à ce moment-là qu'elle se fait menacer, qu'elle finit par dire oui et se condamne elle-même. Après quoi elle vient chercher du « bouche-à-bouche » partout, auprès des hommes politiques, auprès des organisations professionnelles, auprès de ses amis.

Je crois donc qu'il faut imposer l'application de la loi Galland. C'est-à-dire qu'il n'y ait pas de facturation de « marge arrière » sans réciprocité, que le service soit réel, que l'on supprime ce que l'on appelle les « avoirs d'office », des factures qui sont faites systématiquement à l'encontre d'une PME-PMI, comme si le service avait été rendu, et qui bloquent ses règlements et créent des litiges. Si bien que d'un mois de délai de paiement, vous passez à deux mois, trois mois ou quatre mois et vous avez dans une société qui fait 60 millions de chiffre d'affaires, 17 millions dehors, c'est-à-dire 30 % du chiffre d'affaires, pratiquement quatre mois, qui sont « dans la nature », alors qu'il s'agit peut-être d'un produit périssable, qui avait quatre ou cinq ou dix jours de vie, et dont les produits de la vente ont été encaissés par la grande distribution. Je crois qu'il faut interdire les prélèvements d'office, les avoirs d'office et que la facturation du service ne puisse être faite que lorsqu'il est vraiment exécuté. Il faudrait aussi que la grande distribution reconnaisse les augmentations de tarifs, par exemple à cause d'une hausse du prix de l'énergie ou du passage aux 35 heures. Bref, si nous respectons tout cela, nous pourrons y arriver.

M. Nicolas CRESPELLE

En somme, votre position consiste à dire : il y a une loi, appliquons-la et essayons de bien l'appliquer.

Passons maintenant la parole à votre voisin, à M. MURAT. Que pensez-vous de ce sujet ?

M. Bernard MURAT (Sénateur R.P.R. de la Corrèze)

Je ne pense plus rien parce que tout a été dit. Je suis personnellement chef d'entreprise, tout en étant Sénateur maire de Brive la Gaillarde, dans le département rural de la Corrèze. J'ai eu la chance d'aller chez MADRANGE, pour voir de plus près ce qui s'y passait. C'est une entreprise qui innove et qui a du talent et trouve sa place « en tête de gondole » quelles que soient les règles du jeu. Et je ne sais plus quel intervenant a souligné qu'il fallait surtout permettre à des PME-PMI françaises qui innovent et qui ont des idées de bénéficier des promotions qui se font sur les « têtes de gondole ». Je crois qu'effectivement il y a là matière à réfléchir. Nous sommes certes là pour légiférer. Je rappellerai seulement à mon ami CHARRIÉ que toiletter certaines lois, d'accord, mais surtout ne nous laissons pas aller à ce travers très français qui consiste à voter de nouvelles lois sans abroger les anciennes.

Je voudrais encore dire qu'en France, il y a un problème quand on parle de PME-PMI : une entreprise de 500 employés en Île-de-France, c'est une PME ; en Corrèze, c'est une multinationale ! Et les règles du jeu sont tout à fait différentes, notamment par rapport à la grande distribution. Le poids n'est pas le même. Enfin, je voudrais dire à M. MANIÈRE, dont je lis les articles pertinents dans « Le Point », que je fais partie d'une génération qui ne se reconnaît pas dans l'image qu'il a voulu donner des hommes politiques et de la grande distribution. Nous sommes une large majorité de parlementaires, qui n'ont jamais eu, ni de près ni de loin, à « magouiller » ni avec la grande distribution, ni avec quelque entreprise que ce soit. Je tenais à le dire parce que je crois que, à force de répéter cela à travers les médias, on donne une image fausse de la représentation nationale.

M. Nicolas CRESPELLE

Je vais demander au sénateur Jean-Paul HUGOT de nous dire un mot de son expérience chez Home Institute.

M. Jean-Paul HUGOT (Sénateur R.P.R. du Maine-et-Loire)

Je suis d'accord pour légiférer s'il y a un changement substantiel dans le secteur qui nous intéresse et à mon avis, c'est le cas. Je me suis rendu avec les vendeurs de l'entreprise sur le terrain et j'ai pu constater que ni respect ni confiance ne régnaient dans la région nancéienne. Quand le vendeur arrivait sur place, il ne savait pas si ce qui avait été négocié avait été réalisé. La plupart du temps, nous sommes allés des gondoles aux lieux de stockage et avons fait le travail qui n'avait pas été fait.

J'ai aussi noté que à l'époque où les PMI-PME avaient comme interlocuteurs un millier d'enseignes, le dialogue était d'une nature qui justifiait les lois que nous connaissons. Quand, aujourd'hui, la distribution se réduit à quatre ou cinq enseignes, il y a un changement substantiel qui appelle une réflexion sur de nouvelles lois.

Dernier point, qui pour moi a été une grande surprise. Je suis en effet maire d'une ville moyenne, Saumur, en Maine-et-Loire, qui cherche à promouvoir aussi bien l'implantation de la grande distribution que celle des PMI-PME. Or j'ai constaté que la grande surface n'est plus une entreprise qui vend les produits des fournisseurs mais plutôt une sorte de propriétaire foncier qui loue un espace dont les charges incombent totalement aux PME-PMI. Et cette image a été suffisamment marquante pour que je souhaite désormais que sur le plan législatif, on prenne en compte ces évolutions substantielles. Je pense qu'il faudrait, pour commencer, poursuivre à travers une enquête sénatoriale l'analyse qui a été engagée par la trentaine de sénateurs qui sont allés dans les entreprises.

M. Nicolas CRESPELLE

Monsieur MADRANGEAS, j'aimerais bien que vous disiez à votre tour ce que vous pensez de ces relations.

M. Jean MADRANGEAS (PDG de la société MADRANGE)

MADRANGE est la « multinationale » corrézienne, comme l'a défini le Sénateur MURAT avec beaucoup d'esprit. Nous réalisons un chiffre d'affaires de deux milliards de francs et nous nous sommes développés avec l'innovation, bien sûr, et avec le temps. Ce temps a permis de bâtir la confiance. Aujourd'hui, nous sommes liés au destin de nos clients dans un modèle dit « modèle français » qui travaille avec des marges arrières, des prestations de services qui ont été permises par un système législatif propice à ce type de développement. Nos concurrents, et notamment le modèle hard discount allemand, travaillent beaucoup sur du net. Les Américains également. Je considère que nous sommes liés à l'existence et à la subsistance de ce modèle français, de même que nos clients. Nous avons à la FEEF un président qui ne manque pas de générosité, ni d'imagination, Gérard BOURGOIN. Je pense que c'est au travers de telles organisations que le dialogue doit s'engager avec la distribution. Nous ne pouvons malheureusement pas créer de centrales de vente, comme vous le proposiez tout à l'heure. Cela me semble extrêmement complexe. En revanche, nous pouvons avoir ce type d'organisation qui représente la voix de l'offre. Nos clients sont les premiers intéressés à faire évoluer le débat et à trouver une solution qui moralisera le système. Leur position est trop inconfortable par rapport à ce qui, statistiquement, va se produire, c'est-à-dire l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché français de la distribution.

M. Nicolas CRESPELLE

Monsieur RULQUIN, je crois que vous avez pas mal de suggestions à faire.

M. Michel RULQUIN (PDG de la société HOME INSTITUT)

En effet, mais d'abord je veux dire que j'ai l'impression d'être un handicapé. Quand je vais dans une centrale d'achat, je recherche la place où il y a un petit gars sur un chariot qui vient rencontrer les acheteurs. On est dans un système complètement pervers. J'ai, grâce à la grande distribution, réussi à monter une entreprise importante, en tant que PME, puisque je fais 127 millions de francs de chiffre d'affaires. Après m'avoir aidé au départ, maintenant, ils sont en train de me mettre la tête sous l'eau pour me faire mourir. Pour un homme qui avance - j'étais plombier avant de faire du cosmétique - et j'ai réussi à monter de belles entreprises, c'est l'impuissance totale. L'impossibilité de pouvoir me faire entendre, de me faire respecter. Je suis agressé dans mon intégrité et c'est dur. On a essayé de négocier des contrats, améliorés par Geneviève ou Gérard, et le lendemain ils vous font signer le contrat de l'année dernière, et huit jours après, ils vous suppriment deux références sur douze sans que vous ayiez votre mot à dire. Ce n'est pas normal. C'est pourquoi je dis que la loi doit être respectée. Les données ont changé, il faut peut-être de nouvelles règles mais on ne peut pas continuer comme ça. Je connais des sociétés qui, comme moi, sont à bout. C'est révoltant.

M. Nicolas CRESPELLE

Merci de votre témoignage qui est profondément humain.

Un intervenant

Au cours des deux débats, je me suis aperçu qu'on avait une tendance, très française, à diaboliser l'étranger et à distinguer ce qui pour moi est une erreur, entre la PME-PMI française et la PME-PMI multinationale. Comme si les PME, sous prétexte qu'elles ont des capitaux étrangers, ce qui est le cas de VIRGIN COLA, n'étaient pas devant les mêmes problématiques que l'entreprise de M. RULQUIN. VIRGIN COLA fait à peu près le même chiffre d'affaires que M. RULQUIN, et connaît exactement les mêmes pressions.

Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE

Dans sa générosité, M. BOURGOIN a prêté au Premier ministre des paroles qui n'ont pas été les siennes lors des Assises du 13 janvier, il n'a jamais dit que l'État allait se mêler de tout.

M. Gérard BOURGOIN

Dont acte Madame.

Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE

Tout le monde réclame, depuis ce matin, un changement des règles. Le législateur français peut agir sur les règles valables à l'intérieur du pays. Mais il y a des grands distributeurs, des grands groupes industriels et dans une économie de marché, ouverte sur l'extérieur il nous faut aussi être vigilants, au niveau de l'Europe, et de l'OMC. Il faut veiller au respect d'un minimum de concurrence et c'est aussi notre rôle en tant que politiques.

Mme LEDIT

La loi Galland de 1996 est venue en sus d'un texte de 1986. Va-t-on encore faire un autre texte ? Qu'on nous laisse faire notre travail commercial, que la parole donnée soit une parole gardée comme autrefois, on « topait là » dans le métier de maquignon et c'était respecté. Si les Assises ont eu le mérite de dénoncer un certain nombre d'abus, ce n'est pas elles qui régleront les problèmes commerciaux, et surtout pas la loi.

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