Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise 2001



Palais du Luxembourg, 7 février 2001

LISTE DES SÉNATEURS STAGIAIRES ET DES ENTREPRISES D'ACCUEIL

Monsieur Philippe ADNOT

THOMSON MULTIMÉDIA

Monsieur Louis ALTHAPE

REALVIZ

Monsieur Pierre ANDRE

L'ORÉAL

Monsieur Bertrand AUBAN

AIR FRANCE

Monsieur Denis BADRE

OPERA

Madame Marie-Claude BEAUDEAU

O.S.E.R.

Monsieur Jean-Pierre BEL

CHAMATEX

Monsieur Jacques BELLANGER

NEWWORKS

Monsieur Jean BIZET

GENSET

Madame Annick BOCANDE

AUCHAN

Monsieur Jean BOYER

CFA Nancy

Madame Yolande BOYER

SODEXHO

Monsieur Jean-Claude CARLE

THUASNE

Monsieur Auguste CAZALET

MARIUS BERNARD

Monsieur Gérard CESAR

RIVIERE

Monsieur Yvon COLLIN

DASSAULT AVIATION

Monsieur Robert Del PICCHIA

AMAZON

Monsieur Jacques DONNAY

SATF

Monsieur Ambroise DUPONT

CYBERWORKERS

Monsieur Bernard DUSSAUT

LABEILLE

Monsieur André FERRAND

ARQUES INTERNATIONAL

Monsieur Alain GOURNAC

POILÂNE

Monsieur Hubert HAENEL

RTL

Monsieur Pierre HERISSON

COGEMA

Monsieur Pierre JARLIER

AOL

Monsieur Alain JOURNET

SOLEILLOU

Monsieur Guy LEMAIRE

CYBERSEARCH

Monsieur Jean-Louis LORRAIN

SOCIÉTÉ EUROPÉENNE

DE DIFFUSION

Monsieur François MARC

AUCLAND

Monsieur Pierre MARTIN

PRODUCTA

Monsieur Gérard MIQUEL

DISPAR

Monsieur Philippe NOGRIX

E-LOCAL

Monsieur Joseph OSTERMANN

CFA Var

Monsieur Michel PELCHAT

VALRHÔNA

Monsieur Jacques PELLETIER

ERNST & YOUNG

Monsieur Ladislas PONIATOWSKI

AVENTIS

Monsieur Philippe RICHERT

BM EMBALLAGE

Monsieur Pierre-Yvon TREMEL

LECLERC

Monsieur Jacques VALADE

BAUBE

Monsieur Alain VASSELLE

SAINT-GOBAIN

Monsieur Henri WEBER

KALISTO

APERÇU DES DÉBATS

Première table ronde : La fiscalité de l'entreprise

=> Mise en place d'une TVA sociale

=> Création de fondations sur le modèle européen, permettant d'améliorer le régime fiscal des transmissions d'entreprises

=> Toilettage du dispositif des stocks options

=> Soutien de l'apprentissage

Deuxième table ronde : 35 heures et recrutement

=> Redéfinir la notion de temps de travail

=> Rouvrir le débat sur l'application des 35 heures dans les PME

=> Rouvrir le dossier des heures supplémentaires

=> Dans les mécanismes d'aides ou de réduction des charges, préférer l'incitation à l'obligation

Troisième table ronde : les relations PME-PMI avec la grande distribution

=> Mettre en place une instance de dialogue permanente entre les distributeurs et les industriels

=> Réexaminer les articles 28, 29, 31 et 31 bis du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques en cours d'examen

Première table ronde : FISCALITÉ DE L'ENTREPRISE

Table ronde présidée par M. Alain LAMBERT, président de la commission des Finances du Sénat animée par M. Pierre ZAPALSKI, journaliste à Radio Classique

Sénateurs inscrits participant à la table ronde :

M. Bertrand AUBAN

(Soc)

sénateur de Haute-Garonne

Mme Marie-Claude BEAUDEAU

(CRC)

sénateur du Val d'Oise

M. Jean-Claude CARLE

(RI)

sénateur de Haute-Savoie

M. Robert DEL PICCHIA

(RPR)

sénateur des français établis hors de

France M. André FERRAND

(RI)

sénateur des français établis hors de France

M. Alain GOURNAC

(RPR)

sénateur des Yvelines

M. Jean-Louis LORRAIN

(UC)

sénateur du Haut-Rhin

M. Philipe NOGRIX

(UC)

sénateur d'Ille-et-Vilaine

M. Joseph OSTERMANN

(RPR)

sénateur du Bas-Rhin

M. Michel PELCHAT

(RI)

sénateur de l'Essonne

M. Jacques PELLETIER

(RDSE)

sénateur de l'Aisne

M. Philippe RICHERT

(UC)

sénateur du Bas-Rhin

M. Jacques VALADE

(RPR)

sénateur de Gironde, vice-président du Sénat

M. Alain VASSELLE

(RPR)

sénateur de l'Oise

M. Henri WEBER

(Soc)

sénateur de Seine-Maritime

Chefs d'entreprise inscrits participant à la table ronde :

M. Frédéric GAGEY,

directeur financier d'AIR FRANCE

M. Jean-Emmanuel GILBERT,

directeur scientifique de OSER

Mme Elisabeth DUCOTTET,

PDG de THUASNE

M. Denis TERRIEN,

PDG d'AMAZON

M. Philippe DURAND,

PDG de ARC INTERNATIONAL

M. Lionel POILÂNE,

PDG de POILÂNE

M. Hervé LE LOUS,

PDG de la SOCIÉTÉ EUROPÉENNE DE DIFFUSION

M. Alexandre JOSEPH,

PDG de E-LOCAL

M. Michel SERRA,

président de la CHAMBRE des MÉTIERS du VAR

M. Bernard FOURNIE,

directeur administratif et financier de VALRHÔNA

M. Frédéric LAUREAU,

associé ERNST & YOUNG

M. Frédéric LAUREAU,

associé ERNST & YOUNG

M. Christophe MAYNADIER,

PDG de BM EMBALLAGE

M. Hervé LECESNE,

PDG de BAUBE

M. Bernard FIELD,

secrétaire général de SAINT-GOBAIN

M Nicolas GAUME,

PDG de KALISTO

Synthèse du débat :

1. Mise en place d'une TVA sociale

2. Création de fondations sur le modèle européen, permettant d'améliorer le régime fiscal des transmissions d'entreprises

3. Toilettage du dispositif des stocks options

4. Soutien de l'apprentissage

M. LE PRÉSIDENT Alain LAMBERT (président de la commission des Finances du Sénat - Union Centriste)

Nous donnerons à nos travaux le même profil que ceux d'une commission parlementaire. Cette commission se compose de quinze sénateurs et de quinze chefs d'entreprise. Cette rencontre doit permettre d'améliorer la loi.

M. LE RAPPORTEUR Pierre ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique)

Le thème de réflexion proposé est très large puisqu'il couvre entre autres l'impôt sur les sociétés, la taxe professionnelle, la TVA et la taxe sur le chiffre d'affaires. Notre priorité, à l'instar d'une véritable commission sénatoriale, est d'ouvrir des pistes législatives.

Mme Elisabeth DUCOTTET (PDG Société Thuasne)

Notre entreprise de textiles spécialisés a été créée en 1847. J'en suis la cinquième dirigeante issue de la même famille créatrice. Notre entreprise est en pleine croissance, elle est autofinancée dans le cadre d'un actionnariat entièrement familial. C'est une moyenne entreprise patrimoniale (MEP) typique. Notre problème est de croître. Aujourd'hui, nous sommes obligés de jouer dans une cour qui n'est plus simplement française mais qui est devenue européenne. Or, les règles du jeu n'y sont pas les mêmes pour tout le monde. Comment croître alors que l'impôt sur les sociétés, la fiscalité de l'actionnariat et, surtout, l'impôt sur la transmission d'entreprise ne sont pas les mêmes ? Songez qu'à chaque génération, nous devons prélever 30 % de la valeur de notre patrimoine pour le transmettre.

Les droits de succession et la fiscalité des associés constituent deux problèmes liés. L'ISF est extrêmement pénalisant pour les actionnaires non dirigeants. Nous sommes obligés de verser des dividendes destinés à donner aux actionnaires de quoi payer l'ISF. Ce sont autant de moyens qui ne peuvent être mobilisés pour l'investissement.

Beaucoup d'entreprises patrimoniales sont obligées d'être cédées en raison de la fiscalité trop lourde sur la transmission.

M. Lionel POILÂME (PDG Société Poilâne)

Pour mettre l'État et les entreprises sur un pied d'égalité, je propose que l'on impose aux entreprises publiques et à l'Etat, qui -lui- ne meurt jamais (Sourires), d'acquitter trois fois par siècle, à l'image des entreprises privées, des droits de succession qui amputent un tiers de leur valeur. On a en effet trop peu conscience de la concurrence déloyale qui peut exister de ce fait entre des entreprises publiques et des entreprises privées dans le même secteur d'activité, Renault et Peugeot par exemple.

M. Hervé LE LOUS (PDG Société européenne de diffusion)

Je suis propriétaire et dirigeant d'une MEP de 90 millions d'euros de chiffre d'affaires dans le secteur de la parapharmacie, qui connaît une croissance de 20 % par an entièrement autofinancée. Nous avons le même souci que Mme Ducottet, nous ne sommes que la province francophone de l'ouest de l'Europe. Or, le poids de la fiscalité et des budgets publics n'est pas le même en France que dans les autres pays d'Europe. Ainsi, le financement de la sécurité sociale, qui assure un haut niveau de sécurité à l'ensemble des travailleurs, repose essentiellement sur des impôts sur les salaires, donc sur le travail, que sont les cotisations sociales.

Quelqu'un qui touche entre 1,3 et 1,4 SMIC, soit 6.500 à 7.000 francs par mois, coûte 15.000 francs à l'entreprise. Le Danemark, par exemple, a résolu ce problème. Les charges sociales n'y sont que de l'ordre de 1 %. Il a été institué, pour le financement de la protection sociale, un mécanisme fiscal très proche de celui de la TVA. Ainsi, une pièce de Légo fabriquée au Danemark l'est avec un coût social proche de celui du salaire net ouvrier alors que son concurrent français devra subir un coût salarial deux fois plus élevé. En revanche, nos produits français, lorsqu'ils entrent au Danemark, sont assujettis à la TVA dans ce pays. Nous payons donc deux fois les cotisations sociales dans le prix de revient de nos produits exportés.

Je propose que l'on commence à transférer une partie du budget social, en commençant par les allocations familiales qui ne représentent que 3 à 4 % du salaire, vers un mécanisme assis sur la valeur ajoutée. Transférer ainsi trois points de cotisations sociales baisserait le coût salarial de l'ordre de 4 %. Un tel arbitrage est à l'évidence favorable à l'emploi. De toute façon, le chef d'entreprise ne fait guère la différence entre une cotisation sociale et un impôt. Nos charges sociales agissent comme une sorte de droit de douane à l'envers, un octroi interne qui pénalise l'emploi.

M. Jacques VALADE (vice-président du Sénat - Rassemblement pour la République)

Le problème de la transmission des propriétés familiales est bien connu du sénateur de la Gironde que je suis. Lors des transmissions des propriétés familiales, qui sont nombreuses dans mon département, une évaluation de la valeur patrimoniale intervient qui dépend, en grande partie, de la tenue des marchés et de la capacité financière des éventuels acquéreurs de ces propriétés, ce qui entraîne une forme de surenchère.

Il est difficile d'évaluer précisément les valeurs de référence qui seront utilisées pour calculer les droits de succession. Ce problème a été évoqué à plusieurs reprises par les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat mais le ministère de l'économie et des finances paraît particulièrement réticent à le régler. Je soumets cette réflexion à la commission.

M. Robert DEL PICCHIA (sénateur des Français établis hors de France - Rassemblement pour la République)

Plusieurs pays européens ont réglé ce problème des droits de succession : la Suisse mais aussi, dans l'Union européenne, l'Autriche, le Luxembourg, la Suède et, bientôt, la Belgique. Il s'agit de passer par des fondations familiales dans lesquelles est investi le capital de la société à transmettre, sous le contrôle d'un système de gestion rigoureux, en exonération des droits de succession. Le nombre de sociétés éclatées au moment des successions, en raison de la présence de multiples héritiers, a diminué de 95 % dans ces pays. C'est là une voie à étudier.

M. LE RAPPORTEUR Pierre ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique)

En effet. Examinons maintenant le cas d'une société qui n'a pas précisément un caractère familial.

M. Frédéric GAGEY (directeur financier Société Air France)

Il est vrai que j'en suis propriétaire mais seulement d'une infime partie. Le problème des droits de succession ne se pose donc pas de la même façon pour moi. Je crois qu'il est essentiel, lorsqu'on examine un problème fiscal, de bien expliquer la réalité économique qui lui est sous-jacente. Je citerai deux exemples précis.

En premier lieu, la location d'avions par des sociétés implantées partout dans le monde. On nous l'interdit actuellement sauf si le pays en question a signé une convention fiscale avec la France. Or, les grandes sociétés européennes comme Lufthansa ou Al Italia le font. Air France est confrontée à une lecture trop stricte de la législation fiscale. Elle subit de ce fait une distorsion de concurrence.

En deuxième lieu, il est arrivé à une petite filiale qui, pour des raisons historiques et techniques ne portait qu'un seul avion de la flotte, de subir toutes les charges d'un contrôle fiscal qui ne tenait aucun compte de sa situation. Une bonne règle fiscale doit être en parfaite cohérence avec les fondamentaux économiques.

M. LE RAPPORTEUR Pierre ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique) Vous prônez une approche au cas par cas ?

M. Frédéric GAGEY (Société Air France)

Il est vrai qu'Air France a résolu la plupart des problèmes fiscaux les plus classiques. Ceux qui demeurent concernent des activités complexes comme la location d'avions, le financement d'avions et diverses opérations transfrontières. L'essentiel est que l'économie doit être placée au premier rang de la préoccupation fiscale.

M. LE PRÉSIDENT ALAIN LAMBERT (président de la commission des Finances du Sénat -- Union Centriste)

L'impôt a pour premier objet le rendement. Il doit faire fonctionner l'État et lui permettre d'accomplir ses missions. Quelle que soit l'idée que l'on ait sur le bon niveau de l'impôt, il faut un impôt. Mais cet objectif est servi par divers instruments qui doivent être justes et le moins anti-économiques possible. Les instruments fiscaux doivent encourager le dynamisme de l'économie et non la freiner.

M. Hervé LECESNE (PDG Société Baube)

L'entreprise est l'un des agents économiques les plus taxés. On lui demande de collecter la TVA, mais aussi de payer l'IS, la taxe sur les salaires, la taxe professionnelle, etc. Malheureusement, les entreprises sont peu associées à la définition des modalités de la gestion des impôts qu'elles doivent assumer. Pourquoi ne pas associer davantage les entreprises en tant que telles, par exemple à travers les chambres de commerce, selon un mode d'élection qui reste à inventer, aux travaux des assemblées parlementaires.

M. LE RAPPORTEUR Pierre ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique)

Cette rencontre marque déjà un premier pas. Mais venons-en aux préoccupations de la nouvelle économie.

M. Denis TERRIEN (PDG Société Amazon.fr )

Notre situation est en effet différente. Nous avons connu une croissance très rapide et créé en un an et demi de nombreux emplois. Or, dans notre secteur, l'emploi peut être réparti partout dans le monde. Nous rencontrons deux problèmes principaux : la taxation des stock-options et les charges sociales. Nous devons rémunérer nos ingénieurs avec des stock-options. Pour des raisons fiscales, nous avons dû, pour recruter ces ingénieurs, les expatrier en Angleterre. Ils travaillent pour nous, filiale française d'une société américaine. Mais une fois expatriés, ils continueront vraisemblablement leur carrière pour d'autres sociétés à l'étranger. J'ai donc contribué à la fuite des cerveaux alors que Amazon.fr est le premier exportateur de la culture française à l'étranger.

Certes, une loi récente a prévu un dispositif de bons de souscription pour les créateurs d'entreprises ; mais il ne concerne que les sociétés qui sont introduites en bourse, ce qui n'est pas l'objectif d'une filiale française d'une entreprise étrangère. Je précise que j'ai créé plus d'emplois que l'ensemble de nos concurrents français réunis ces deux dernières années. Nous n'avions aucun employé quand nous sommes arrivés, nous en avons plus de 200 aujourd'hui.

Lorsque nous nous sommes installés en Hollande, en Grande-Bretagne et en Allemagne, nous avons pu négocier avec ces pays des accords spécifiques sur les stock-options. Par la suite, l'Allemagne a décidé de baisser fortement sa taxation des stock-options. Il est impératif de réduire de cinq ans à deux ou trois ans la période au terme de laquelle on peut exercer son droit d'option.

Il y a également toute une réflexion à mener sur le problème plus vaste des cotisations sociales.

M. Hervé LE LOUS (PDG Société européenne de diffusion)

J'ai une question pour M. Gagey. Deux entreprises ne font pas figurer la TVA sur leurs factures : Air France et la SNCF, ce qui nous interdit de récupérer la TVA sur les frais de transports de nos salariés. Il serait sympathique de mettre un terme à cette « dérogation ».

M. Jean-Claude CARLE (sénateur de Haute-Savoie - Républicains et Indépendants)

Mme Ducottet a raison. Dans la cour européenne, chacun ne joue pas avec les mêmes atouts. Aujourd'hui, les entreprises sont les vaches à lait de l'Etat. Elles subissent une instabilité et une disparité des règles fiscales qui les handicapent. C'est aussi un problème culturel. Notre société n'aime pas beaucoup l'entreprise. On sait que le monde politique lui-même connaît mal l'entreprise. 55 % de nos collègues députés et 33 % des sénateurs sont issus de la fonction publique...

M. Alain GOURNAC (sénateur des Yvelines ~ Rassemblement pour la République)

Eh oui !

M. Jean-Claude CARLE (sénateur de Haute-Savoie - Républicains et Indépendants)

... La loi fiscale doit être stable. Je vais déposer une proposition de loi constitutionnelle et une proposition de loi organique à cette fin. Le législateur doit tracer un cadre, puis laisser aux partenaires sociaux, économiques et politiques un peu d'oxygène.

M. LE RAPPORTEUR PIERRE ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique)

Cela n'a pas toujours été le cas, en matière d'assurance-vie par exemple.

M. Jean-Claude CARLE (sénateur de Haute-Savoie - Républicains et Indépendants)

Mes propositions tendent notamment à limiter la rétroactivité fiscale.

M. Lionel POILÂNE (PDG Société Poilâne)

Souvenons-nous de la commission Legendre, composée de marchands et de commerçants venus voir Colbert qui leur demandait comment créer plus de richesses. Laissez-nous faire, ont-il répondu au ministre ! Interrogeons-nous aussi sur l'obésité actuelle de l'État. Je ne sais pas quelle est sa taille idéale (peut-être 15 % ou 20 %) mais certainement pas 53 % comme aujourd'hui !

M. Jacques PELLETIER (sénateur de l'Aisne - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Mme Ducottet a raison : le problème de la fiscalité des successions est capital. On ne peut laisser la situation en l'état. L'Allemagne a donné l'exemple. Examinons ce qui est fait dans tous les pays de l'Union européenne et trouvons une solution médiane. Il y a là un sujet d'étude intéressant pour notre commission des Finances.

M. André FERRAND (sénateur des Français établis hors de France - Républicains et Indépendants)

L'évolution de l'attitude de la société française à l'égard de l'entreprise doit nous incliner à l'optimisme. L'entreprise est de plus en plus aimée. Je suis chargé du rapport de la mission du Sénat sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises. La fiscalité est un thème récurent des nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé. Il ne faut pas envisager l'expatriation de façon trop malthusienne.

La France doit tirer le meilleur parti de la mobilité internationale ; elle a d'évidents atouts à faire valoir, comme la qualité de vie qu'elle offre. On a envie de venir en France, on ne veut pas en partir sauf contraint et forcé. Beaucoup de gens responsables et raisonnables pensent qu'il faut faire en sorte que notre pays devienne compétitif. Je suis convaincu qu'il existe une majorité (peut-être pas politique mais arithmétique) prête à y oeuvrer.

M. Philippe DURAND (PDG Société Arc International)

Notre entreprise familiale (depuis 1825) vient de changer de nom. Elle réalise un chiffre d'affaires, en l'an 2000, de 1,4 milliard d'euros et emploie 18.000 personnes. 86 % du personnel productif est employé en France. Nous voyons bien au-delà des frontières de l'Europe. Le sénateur Ferrand est venu me voir parce qu'il avait lu un article sur les hésitations de mes actionnaires à choisir la France pour y implanter un investissement de 100 millions d'euros.

Comme M. Le Lous et Mme Ducottet, ce qui m'importe, c'est la globalité de la charge fiscale, y compris patrimoniale. Quels sont les critères de localisation d'un investissement ? Mes actionnaires veulent être convaincus, avant d'investir en France, que la masse globale des impôts va réellement diminuer dans notre pays. Or, force est de constater que ce ne fut pas le cas toutes ces dernières années, sous des Gouvernements de droite comme de gauche. Le sénateur Pelletier doit savoir comment la France se situe en Europe.

Je fais deux propositions : il faut tout d'abord nous décomplexer par rapport au problème culturel que nous avons avec la richesse. Commençons par augmenter le traitement des députés et des sénateurs ! Faire la loi est un travail qui mérite une juste rémunération. Ensuite, baissons les charges sociales et le coût du travail des bas salaires. Je rappelle que notre industrie manufacturière emploie un grand nombre de personnes non qualifiées. Le coût du travail, charges comprises, est de 44 % en France ; il doit baisser sur les bas salaires, pas sur les ingénieurs et les techniciens.

M. LE RAPPORTEUR PIERRE ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique) Passons du cristal au verre...

M. Bernard FIELD (secrétaire général Société Saint-Gobain)

Le groupe Saint-Gobain (29 milliards d'euros de chiffre d'affaires, présent dans 46 pays) ne fait pas que du verre. Le capital du groupe est coté entièrement en bourse. Il me semble qu'il faut tout d'abord agir sur la fiscalité de l'actionnariat, qui a été alourdie sous l'effet de trois mesures successives : la réduction du périmètre du régime mère/fille ; la réduction de l'avoir fiscal qui touche directement les actionnaires personnes physiques ; la montée en puissance du précompte d'impôt exigé pour distribuer des dividendes. Ces trois mesures récentes dissuadent de nombreuses personnes physiques et morales d'entrer sur le marché des actions. J'ajoute que l'absence de fonds de pension français (45 % du capital de nos entreprises est détenu par des personnes morales étrangères) contribue aussi à cette dissuasion.

M. Henri WEBER (sénateur de Seine-Maritime - Socialiste)

Que, dans une telle assemblée, notre fiscalité soit mise en cause et que l'on réclame moins de charges et moins de contraintes ne me surprend pas. La nécessité d'une réforme fiscale est évidente. M. Gattaz, alors qu'il présidait le CNPF, réclamait déjà l'allégement de la fiscalité des successions. Quelques alternances plus tard, le fait que le problème se pose toujours nous informe de sa complexité. Le désamour qui a été évoqué appartient au passé d'un pays largement paysan, catholique et marxiste. (Rires) Il y a sans doute encore plus de marxistes que de paysans dans ce pays !

Il est vrai que notre fonds culturel est hostile au profit, à son accumulation et, surtout, au profit comme fin en soi. Les pays d'Europe du Nord, de culture protestante, ont une histoire différente. Mais l'image de nos entreprises a changé profondément. Nous, socialistes, considérons que les entrepreneurs sont des acteurs sociaux de première importance, tout à fait utiles, indispensables, non substituables, irremplaçables. Ce groupe social doit être aussi nombreux et aussi dynamique que possible. Comme pour le reste de la population, il en est d'excellents et d'exécrables. Faisons en sorte qu'il y ait le plus d'excellents possible, comme pour toutes les catégories de la population.

Les années quatre-vingt ont été marquées par la modernisation réussie de notre système productif et financier qui explique en grande partie les performances actuelles de notre économie. Dans les années qui viennent s'ouvre le grand chantier de la réforme de l'Etat, dans ses trois fonctions traditionnelles, (l'État régalien, l'État redistributeur, l'État régulateur). La réforme fiscale constitue une pièce centrale de ce chantier. Mais nous savons tous qu'il n'y aura pas de grand soir fiscal et que le processus ne peut être que progressif. Des jalons ont déjà été posés : la CSG, qui n'est pas une petite affaire et qui monte en puissance, le RMI, le crédit d'impôt sont autant de pièces du puzzle de la réforme fiscale. C'est dans cette perspective que nous devons inscrire notre réflexion.

Rappelons que l'impôt ne finance pas seulement l'État régalien mais qu'il assure également le fonctionnement des services publics et la redistribution sociale. Si notre société n'a pas implosé au cours des années de crise, c'est aussi grâce à cette redistribution. Quant au Danemark, nous savons que le niveau des prélèvements obligatoires et que le coût du travail y sont supérieurs aux nôtres.

Donc, l'impôt est nécessaire ; il doit être aussi juste que possible et aussi peu antiéconomique que possible. Ce Gouvernement a tracé la voie en le réduisant de 200 milliards de francs. C'est un signal très clair.

M. LE PRÉSIDENT Alain LAMBERT (président de la commission des Finances du Sénat -- Union Centriste)

Personne n'a souligné que si les impôts sont si élevés dans notre pays, c'est parce que les dépenses y sont très élevées. Nous mentirions si nous promettions de réduire les impôts sans baisser les dépenses. Soyons lucides ! L'instabilité fiscale s'explique aussi par nos tentatives répétées, année après année, pour limer les effets antiéconomiques de notre législation fiscale. Nous sommes dans une sorte de spirale de l'enfer : nous essayons d'atténuer les souffrances fiscales en utilisant les instruments de chirurgie que nous avons à notre disposition. Le niveau global des prélèvements ne pourra pas être moins élevé si le niveau de dépenses n'est pas réduit. (Applaudissements)

M. LE RAPPORTEUR Pierre ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique)

Il est vrai qu'à côté des paradis fiscaux existent aussi des enfers fiscaux !

M. Denis TERRIEN (PDG Société Amazon.fr )

L'Europe aidera la France à sortir de la spirale infernale. Nous ne pouvons refuser le mouvement de fond apporté par les économies anglo-saxonnes qui tend à libérer les forces vives de la nation. Prenons le train en marche, à défaut de l'avoir lancé ! L'Allemagne vient de décider de baisser de dix points ses prélèvements, nous ne pouvons pas ne pas en faire autant.

M. Alexandre JOSEPH (PDG Société E-local)

Notre société de la nouvelle économie qui réalise des portails de proximité a accueilli le sénateur Nogrix pendant deux jours. Tous mes actionnaires habitent en Belgique. Ils ne paient plus d'impôts en France depuis deux ou trois ans. Le régime fiscal des stock-options et la durée de cinq ans posent problème pour embaucher des cadres supérieurs. Mais chez nous, tout le monde a des stock-options, de la standardiste au directeur général. J'aimerais être traité comme un client par l'administration fiscale. Or, quand j'appelle, on me demande d'écrire une lettre et je ne connais jamais le nom de mon interlocuteur...

Enfin, comme toute start-up, nous dépensons plus d'argent au début que nous en gagnons. Or, le crédit de TVA qui nous est accordé dans ce cas doit être théoriquement, selon les textes, remboursé en deux mois. Il faut en fait attendre trois à six mois, sans intérêts de retard ! L'administration fiscale pourrait, sans frais, respecter le délai réglementaire ou remplir un formulaire que je pourrais montrer à mon banquier pour lui indiquer que je lui ai fourni tous les éléments lui permettant d'effectuer le remboursement. C'est une proposition très simple et peu coûteuse pour l'Etat. (Applaudissements)

M. Frédéric LAUREAU (associé Société Ernst & Young)

J'approuve la proposition de M. Le Lous sur la TVA sociale. J'avais écrit un article sur ce dispositif dans La Tribune en 1995. Je me réjouis que cette idée commence à faire son chemin. Le Parlement pourrait aussi lever les blocages structurels qui empêcheront l'harmonisation le jour où les obstacles politiques seront levés. Je pense, par exemple, à la taxe professionnelle, très chère au Sénat car elle finance les collectivités locales et qui n'est pas harmonisable. Il faut pourtant y réfléchir sinon le jour où les Européens voudront régler ce problème, ils ne le pourront pas.

M. Lionel POILÂNE (PDG Société Poilâne)

Le vérificateur fiscal est extraordinairement puissant puisqu'il joue à la fois le rôle de gendarme, de juge d'instruction et de tribunal. Ce sont là des pouvoirs exorbitants.

M. LE RAPPORTEUR Pierre ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique) On ne peut tout de même pas supprimer tous les vérificateurs !

M. Lionel POILÂNE (PDG Société Poilâne)

Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Michel SERRA (président de la chambre des métiers du Var)

Il conviendrait de moderniser le statut de l'entreprise individuelle pour l'aligner sur celui des PME et des exploitations agricoles, de favoriser la transmission des entreprises artisanales et de tripler le seuil d'exonération de la taxation des plus-values sur la vente des fonds de commerce. Il est un sujet qui me tient particulièrement à coeur : nous formons beaucoup d'apprentis au sein des C.F.A. Or, sur les sept milliards de la taxe d'apprentissage, les métiers ne récupèrent que 3 %. Ils forment pourtant un tiers des apprentis en France. Il y a là quelque chose à faire pour la formation professionnelle et pour la formation à la citoyenneté de ces jeunes qui sont souvent au départ défavorisés.

M. Jean-Emmanuel GILBERT (directeur scientifique Société O.S.E.R.)

Il conviendrait que l'État reporte, au pire, voire supprime, si possible, les charges qu'il impose aux jeunes créateurs d'entreprises à qui l'on demande de payer avant même qu'ils reçoivent des rentrées d'argent. Certes, ces reports de charges comporteraient un risque pour l'État mais l'essentiel du risque est tout de même pris par le créateur d'entreprise qui investit son propre temps et, souvent, tous ses moyens pour mener à bien son projet.

M. LE RAPPORTEUR PIERRE ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique)

Je retiens de cet échange plusieurs propositions qui me paraissent dignes d'être mises aux voix. Commençons par la « TVA sociale » proposée par MM. Le Lous et Laureau...

M. LE PRÉSIDENT Alain LAMBERT (président de la commission des Finances du Sénat - Union Centriste)

Il s'agit d'une formulation générale dont le dispositif doit être précisé.

M. LE RAPPORTEUR Pierre ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique) ... Il appartiendra aux sénateurs de le faire.

M. Lionel POILÂNE (PDG Société Poilâne)

Mais nous n'allons pas créer un impôt nouveau ! Je suis très réservé.

M. Frédéric LAUREAU (associé Société Ernst & Young)

Il s'agit tout au contraire de supprimer des cotisations patronales !

La première proposition est adoptée .

M. LE RAPPORTEUR PIERRE ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique)

Nous en venons à la deuxième proposition : la création de fondations sur les modèles européens évoqués par M. Del Picchia, permettant d'améliorer le régime fiscal des transmissions d'entreprises.

M. LE PRÉSIDENT ALAIN LAMBERT (président de la commission des Finances du Sénat -- Union Centriste)

C'est un dispositif qu'il faut étudier, en prenant garde de veiller au principe d'égalité cher au Conseil constitutionnel. Je suggère de libeller cette proposition ainsi : « Organiser un régime fiscal plus favorable pour la transmission d'entreprises ».

La deuxième proposition est adoptée .

M. LE RAPPORTEUR PIERRE ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique)

Troisième proposition, inspirée par M. Terrien : réduire la durée de blocage des stock-options de cinq ans à deux ou trois ans.

M. LE PRÉSIDENT ALAIN LAMBERT (président de la commission des Finances du Sénat -- Union Centriste)

Ce sujet des stock-options est un véritable tabou qu'il faut lever clairement, sans ambiguïté.

M. Philippe NOGRIX (sénateur d'Ille-et-Vilaine - Union Centriste)

Je suis sénateur, je ne suis pas entrepreneur mais j'ai travaillé en entreprise. Il faut faire comprendre aux Français que le profit est un bien. C'est l'indispensable moteur du développement des entreprises et un puissant facteur de motivation.

M. Henri WEBER (sénateur de Seine-Maritime - Socialiste)

Je suis moi aussi partisan du profit ! Qu'il se porte aussi bien que possible ! Mais je ne participerai pas au vote sur ce point, pas plus que sur les autres ! Il faut savoir si nous nous prêtons à une mascarade ou si nous faisons des choses sérieuses. Je ne peux me prononcer que sur des propositions précises. Ce sujet des stock-options ne souffre pas le flou artistique. Bien sûr, je veux favoriser la création d'entreprise et la prise de risque des entrepreneurs. Mais nous ne pouvons pas ignorer les affaires récentes où l'on a vu le chef d'une grande entreprise, passé par moult cabinets ministériels, partir avec 200 millions de stock-options. C'est un scandale qui a secoué notre pays. Non, le profit ne justifie pas tout !

M. LE PRÉSIDENT Alain LAMBERT (président de la commission des Finances du Sénat -- Union Centriste)

J'essaie de conduire ces débats dans la sérénité et conformément aux règles du jeu. Le terme de « mascarade » m'a blessé. Il ne s'agit pas ici de faire un véritable travail parlementaire, mais d'illustrer sa complexité. Nous nous prononçons ici sur de simples orientations. Nous sommes dans une assemblée parlementaire, il nous appartiendra de jouer tout notre rôle le moment venu. Je tiens à marquer sans aucune ambiguïté que je n'ai pas souhaité, ici, piéger qui que ce soit. (Applaudissements)

M. Henri WEBER (sénateur de Seine-Maritime - Socialiste)

Proposer de réduire la période de détention des stock-options de cinq à trois ans, c'est beaucoup plus qu'une simple orientation ! C'est une mesure concrète sur laquelle je ne saurais m'engager. Je répète que je ne me prononce pas.

M. LE PRÉSIDENT ALAIN LAMBERT (président de la commission des Finances du Sénat - Union Centriste)

Il s'agit ici d'ouvrir la voie d'un travail utile en proposant le réexamen de l'outil « stock-options » . Je vais donc consulter sur l'opportunité de remettre sur le métier l'instrument fiscal que constituent les stock-options.

M. Jean-Emmanuel GILBERT (directeur scientifique Société O.S.E.R.)

Encore faudrait-il s'entendre sur la notion de créateur d'entreprise. Nous sommes quatre cocréateurs et aucun d'entre nous n'est considéré, dans le cadre actuel, comme un créateur. Il n'est même pas question pour nous de stock-options mais nous ne pouvons ignorer les dérives évoquées par M. Weber ! Je ne peux pas non plus me prononcer sur une proposition si imprécise.

M. LE PRÉSIDENT ALAIN LAMBERT (président de la commission des Finances du Sénat - Union Centriste)

Je vous rassure : la loi est élaborée sur la base de documents écrits et précis. Mais ici, je vous consulte sur la proposition de toilettage du dispositif des stock-options.

La troisième proposition, ainsi modifiée, est adoptée, MM. Weber et Gilbert ne prenant pas part au vote .

M. LE RAPPORTEUR PIERRE ZAPALSKI (journaliste à Radio Classique)

Il nous reste une proposition à choisir entre les deux évoquées par M. Serra : le statut de l'entreprise individuelle et le financement de l'apprentissage.

M. Michel SERRA (président de la chambre des métiers du Var)

Ce sont deux problèmes très différents. S'il faut en choisir un, je propose la taxe d'apprentissage.

M. Jean-Claude CARLE (sénateur de Haute-Savoie - Républicains et Indépendants)

La réforme de la taxe d'apprentissage est une question extrêmement vaste.

M. Michel SERRA (président de la chambre des métiers du Var)

Nous demandons simplement que l'on nous donne les moyens de continuer à assumer nos missions dans ce domaine.

M. LE PRÉSIDENT Alain LAMBERT (président de la commission des Finances du Sénat - Union Centriste)

Proposons de soutenir l'apprentissage !

M. Henri WEBER (sénateur de Seine-Maritime - Socialiste) Je ne prends pas part au vote. La quatrième proposition est adoptée . La séance est suspendue à 11 heures 40.

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