Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise 2001



Palais du Luxembourg, 7 février 2001

Troisième table ronde : LES RELATIONS PME-PMI AVEC LA GRANDE DISTRIBUTION

Table ronde présidée par M. Jean FRANCOIS-PONCET, président de la commission des Affaires économiques et du plan du Sénat animée par M. Henri LOIZEAU, directeur de la rédaction de LSA

Sénateurs inscrits participant à la table ronde :ETO IZAO

M. Denis BADRÉ

(UC)

sénateur des Hauts-de-Seine

Mme Annick BOCANDÉ

(UC)

sénateur de Seine-Maritime

M. Auguste CAZALET

(RPR)

sénateur des Pyrénées-Atlantiques

M. Jacques DONNAY

(NI)

sénateur du Nord

M. Bernard DUSSAUT

(Soc)

sénateur de Gironde

M. Alain JOURNET

(Soc)

sénateur du Gard

M. Pierre MARTIN

(RPR)

sénateur de la Somme

M. Gérard MIQUEL

(Soc)

sénateur du Lot

M. Pierre-Yvon TREMEL

(Soc)

sénateur des Côtes d'Armor

Chefs d'entreprise inscrits participant à la table ronde :

M. Christian AREND,

directeur du site de Forbach de la Société Européenne de Diffusion

M. Benoît CORNU,

directeur de la coordination réseaux d'OPERA

M. Francis CORDELETTE,

directeur général France d'AUCHAN

M. Marc POUZET,

PDG de MARIUS BERNARD

M. Alain COUBLE,

PDG de SATF

M. Pierre GIRAUD,

PDG de L'ABEILLE

Mme Odile GUERRAZ,

PDG de SOLEILLOU

M.Rémi GARUZ,

PDG de PRODUCTA

M. Gilbert PELLEGRINO,

PDG de DISPAR

M. Michel-Édouard LECLERC,

PDG de LECLERC

Synthèse du débat :

1. Mettre en place une instance de dialogue permanente entre les distributeurs et les industriels

2. Réexaminer les articles 28, 29, 31 et 31 bis du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques en cours d'examen

M. LE PRÉSIDENT Jean FRANÇOIS-PONCET (président de la commission des Affaires économiques et du plan du Sénat - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Je salue les participants à cette table ronde ainsi que le public ; je ne salue pas les sénateurs puisqu'ils sont chez eux ! (Sourires)

Après les stages effectués par les sénateurs dans des entreprises, voici maintenant la visite en retour des chefs d'entreprise. Cette réunion sera organisée à la ressemblance de celles des commissions sénatoriales, M. Loizeau faisant office de rapporteur. Elle aura pour objet les relations entre les entreprises et la grande distribution. Celle-ci s'est considérablement développée au cours de ce dernier demi-siècle, devenant, pour les parlementaires, un des problèmes qu'ils connaissent le mieux car c'est un de ceux qui suscitent le plus de débats locaux.

Les relations paraissent inégales entre les 70.000 PME et les 300.000 agriculteurs, et les magasins à grande surface qui, aujourd'hui regroupés en cinq centrales d'achats, commercialisent 90 % des produits alimentaires. Les PME ont le sentiment de se retrouver pieds et poings liés par rapport à la grande distribution, à laquelle les Français sont très attachés tant pour la variété du choix offert que pour les prix. Les élus sont donc sollicités par les uns et par les autres, ce qui est pour eux source d'interrogations et, parfois, de cauchemars. Résultat : le législateur est intervenu. Il y eut la loi Royer de 1973, puis la loi Raffarin de 1996, traitant l'une et l'autre de l'établissement des grandes surfaces. Il y eut aussi d'autres lois tendant à régler les relations commerciales entre les producteurs et les distributeurs ; je pense à la loi Galland, à la loi d'orientation agricole et à la loi sur les nouvelles régulations économiques qui atteint le stade ultime de son examen.

Telle est la situation d'un secteur fondamental aussi bien pour la distribution que pour la production. Cette table ronde rassemble des chefs d'entreprises, des représentants de la grande distribution et des sénateurs. Je donnerai d'abord la parole aux producteurs, puis aux distributeurs et, enfin, aux sénateurs pour voir si nous pouvons trouver un terrain d'entente, lequel et sur quels points.

M. Loizeau, directeur de la rédaction de LSA, sera notre rapporteur : il écoutera et proposera une conclusion qui satisfasse tout le monde. (Sourires)

Mme Odile GUERRAZ (PDG Société Soleillou)

Ma société, spécialisée dans les condiments, exerce 70 % de son activité en relation avec la grande distribution. Notre chiffre d'affaires s'élève à 30 millions. Ce n'est pas moi qui cracherai dans la soupe : en 1989, lorsque j'ai repris l'entreprise, son chiffre d'affaires était de 9 millions, c'est à la grande distribution que je dois ce développement.

Nos relations ne sont certes pas toujours au beau fixe. Je regrette en particulier la concentration qui fait diminuer le nombre de clients. Plutôt que de conflits, je parlerai de relations humaines : il est bon que la grande distribution mette en place des hommes avec qui on peut dialoguer en cas de litige. Mon principal regret porte sur le manque de lisibilité de la politique des grands distributeurs. Pour un producteur, les temps d'amortissement sont longs, nous avons besoin de connaître les perspectives de la distribution sur au moins trois ans afin de pouvoir adapter nos outils.

Que vous dire de la réglementation, sinon que je la subis ? La loi Galland a été pour nous une catastrophe car elle a rendu beaucoup plus difficile notre défense par rapport aux grands groupes. Je crains qu'il n'en aille de même avec la loi sur les nouvelles régulations économiques. J'engage les hommes politiques à bien étudier la situation, à interroger les représentants des PME sur les effets pervers possibles de la loi.

M. LE PRÉSIDENT Jean FRANÇOIS-PONCET (président de la commission des Affaires économiques et du plan du Sénat - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

N'imaginez pas que les sénateurs étudient un texte sans parler à ceux qui l'appliquent ! Il y a toute une procédure d'audition ; pour la loi Galland, nous en avons eu entre cinquante et cent. Il est très difficile d'intervenir dans le marché. Quand on le fait, c'est à la demande et sur les conseils de ceux qui sont censés représenter les entreprises.

M. Christian AREND (directeur du site de Forbach Société Européenne de Diffusion)

Nous avons 80 millions de chiffre d'affaires, exclusivement avec les grandes surfaces. Le problème, c'est que la diminution du nombre de centrales d'achats entraîne une diminution du nombre de fournisseurs. Le représentant d'une centrale d'achat préférera négocier une ristourne de 0,01 % avec le représentant d'une multinationale que discuter avec vingt interlocuteurs représentant autant de PME. D'un autre côté, le pousseur de caddies est généralement salarié d'une PME, puisque c'est le premier employeur de France !

Dans les relations entre les petites entreprises et la grande distribution, la correction a déjà commencé ; la grande distribution accepte maintenant de conclure des contrats pluriannuels, de signer des chartes de qualité. Subsiste un gros problème : les conditions générales d'achat ont été rédigées par les juristes de la grande distribution en fonction des conditions générales de vente des grandes entreprises. Certaines clauses, indolores pour les grandes entreprises, sont très nuisibles aux PME. Je pense par exemple à la question des pénalités de retard : alors que nous manquons de transporteurs, il est plus difficile à une petite entreprise qu'à une multinationale d'acheminer sa production ; dans ces conditions, nous faire payer une pénalité de retard de 15 % par jour est franchement excessif. Je comprends l'intérêt de la grande distribution mais si l'on me demande 60 % de pénalités pour quatre jours de retard, on me met à genoux.

La pratique des remises de gamme est également très favorable aux multinationales : on vous propose 3 % de remise sur une lessive si vous prenez aussi cinquante autres produits du même groupe. La grande distribution ne peut évidemment pas refuser une offre pareille, désastreuse pour les petites entreprises. Je souhaite donc que l'article 29 de la loi sur les nouvelles régulations économiques soit réintroduit. Il faudrait aussi en modifier l'article 28 afin de supprimer l'automaticité des pénalités : je peux être taxé par l'administration fiscale pour n'avoir pas facturé une pénalité de retard.

M. Pierre GIRAUD (PDG Société L'Abeille)

Nous avons un chiffre d'affaires de 250 millions pour une centaine de personnes. Nous sommes numéro un en France dans notre secteur, où nous occupons la moitié du marché. Nos rapports avec la grande distribution sont équilibrés, les choses se passent assez bien. Je n'ai pas de commentaires particuliers à faire sur la loi Galland.

Je voudrais attirer l'attention sur la question des délais de règlement qui, à ce qu'il semble, sont de plus en plus longs à mesure que l'on va vers le sud ; on en est à plus de 90 jours en France. Ordinairement, cela ne pose pas de problème particulier. En revanche, s'il y a une défaillance du distributeur, le producteur en subit immédiatement la conséquence. En Allemagne, où le délai n'excède pas 45 jours, une défaillance du distributeur n'a pas de conséquence de cet ordre. En cette matière, nous ne faisons pas le poids par rapport à la grande distribution.

Je voudrais également parler des blocages de règlement. Je ne sais pas s'il y a une réglementation sur cette question mais je constate qu'un grand distributeur peut me bloquer depuis un an son règlement, sans m'en donner la raison, sans répondre à nos appels.

M. Gilbert PELLEGRINO (PDG Société Dispar)

Mon entreprise de parapharmacie réalise ses 30 millions de chiffre d'affaires exclusivement avec la grande distribution. C'est un domaine dans lequel nous sommes très peu d'intervenants. Alors qu'auparavant, des sociétés différentes proposaient chacune leurs produits, nous avons réuni les métiers différents qui ont affaire avec la parapharmacie. Nous livrons à flux tendu toutes les semaines.

Travaillant sous marque distributeur, nous avons de meilleures relations avec la grande distribution que si nous étions au service de marques nationales. Nous avons un cahier des charges rédigé en commun ; nos relations ne sont pas seulement avec l'acheteur, elles sont aussi avec le service marketing et le service qualité.

Membre de la Fédération des Entreprises et des Entrepreneurs en France (FEEF), j'ai l'impression d'avoir beaucoup avancé dans la relation depuis que nous pouvons rencontrer des vrais partenaires, qui nous écoutent.

Le seuil de dépendance économique risque de susciter de graves problèmes. Ma production est actuellement dirigée vers Promodes, Carrefour, Cora et Casino. Qu'est-ce que je fais ?

M. Michel-Édouard LECLERC ( PDG Société Leclerc) Venez chez Leclerc ! (Rires)

M. Gilbert PELLEGRINO (PDG Société Dispar)

Si j'arrive chez Leclerc et que je progresse beaucoup, je serai pénalisé pour avoir trop bien travaillé ! Il est dramatique de se sentir ainsi condamné d'avance.

M. Marc POUZET (PDG Société Marius Bernard)

Je remercie le Sénat : pour la première fois, j'ai l'occasion de m'exprimer à la fois avec des décideurs politiques et avec des responsables de la grande distribution. Si le climat est meilleur, on le doit au législateur. Sans loi, rien ne se serait amélioré dans la confrontation du pot de terre et du pot de fer. Il ne faut pas faire comme si toutes les grandes centrales d'achats se comportaient de la même manière ; à certaines, on ne peut rien reprocher. Quand on fabrique des produits régionaux, la grande distribution n'est pas à même de donner son point de vue sur l'aspect qualitatif des choses : entre un homard breton et un homard canadien, entre du safran d'Espagne et du safran d'Iran, beaucoup ne voient pas la différence. La réglementation devrait donc être plus sévère en matière de qualification des produits. Jusqu'au vote de la loi d'orientation agricole, certains distributeurs me disaient qu'il leur était impossible de régler à 30 jours ; maintenant que la loi est passée, ils le font. On voit là combien une loi peut être utile.

M. Alain COUBLÉ (PDG Société S.A. T.F.)

Nous avons 50 millions de chiffre d'affaires avec 64 personnes. Une moitié est destinée à la grande distribution, l'autre à la vente par correspondance, les grands magasins, la petite distribution. Six mois après que j'ai repris cette société, j'ai subi le déréférencement d'une grande surface. Cela m'a fait perdre 20 % du chiffre d'affaires. À notre niveau, cette proportion est catastrophique.

M. Michel DELPON (directeur commercial Société Producta)

Ma société négocie des vins de qualité issus de coopératives d'Aquitaine et du Midi-Pyrénées. Depuis une trentaine d'années, nous commercialisons des vins d'appellation en grande surface. Notre chiffre d'affaires est de 280 millions pour 20 millions de bouteilles.

La loi a du bon mais il arrive qu'elle se retourne contre les PME. La FEEF a travaillé avec le Sénat sur la rédaction de certains articles. Il est très bien de prohiber la vente à perte, encore faut-il qu'elle ne soit pas interdite seulement vis-à-vis du consommateur mais aussi par rapport aux industriels.

Il arrive que la grande distribution nous pille notre savoir-faire : on achète un centre d'embouteillage et on nous prend notre métier. Outre que la chose est désagréable pour les relations entre le producteur et la distribution, elle pourrait être extrêmement dangereuse si la grande distribution se trouvait rachetée par un industriel étranger.

M. Michel-Édouard LECLERC (PDG Société Leclerc)

Le distributeur que je suis reconnaît qu'il est beaucoup plus difficile d'être un industriel qu'un distributeur. Celui-ci a toujours davantage de possibilités et il lui est plus facile de changer son fusil d'épaule.

Nos relations s'améliorent beaucoup. On est très loin du climat que l'on a connu lors des « Assises de la distribution », que je me félicite encore d'avoir boycottées. Je n'ai encore pas compris pourquoi un Gouvernement de gauche avait voulu faire la publicité de M. Luc Guyau !

Le Sénat a changé d'image. Avec la surreprésentation rurale, il avait une image très conservatrice. Désormais, il se tourne vers l'économie vivante. Je crois même que vous êtes plus détaché des lobbys que l'Assemblée nationale. Vous avez su nettoyer des textes irrationnels, dont certains visaient directement des individus, comme votre serviteur. L'intervention du politique est légitime pour corriger les dysfonctionnements du marché.

La grande distribution n'est pas une, elle ne forme pas un club. Nous étions des petits, nous avons grandi. On nous reprochait d'être des provinciaux, nous sommes aujourd'hui fiers de travailler avec L'Oréal, Procter, Nestlé -au point que nous avons un peu trop oublié que nous étions l'épicier de Landerneau.

Les PME sont sous-capitalisées, ce qui fait qu'elles subissent plus violemment les délais de paiement. Elles ont sous-investi dans le commercial, sans se mettre en réseau pour compenser ce manque, si bien qu'elles ne sont pas capables de réagir lorsque s'ouvrent des marchés à l'étranger.

Vous n'avez pas assez de clients ? C'est parce que vous êtes franco-français. Regardez les constructeurs automobiles, les compagnies pétrolières, les banques -il n'y a pas que la grande distribution à être très concentrée. Allez chercher des clients dans les marchés qui s'ouvrent !

Même si mes amis bretons n'en sont pas toujours contents, j'ai décidé qu'un seul producteur ne devait pas avoir une relation commerciale avec nous supérieur au quart de son chiffre d'affaires.

PME et multinationale sont sur le même marché et c'est à ce niveau que les effets de concurrence ou de dumping jouent à plein. L'intervention du législateur est donc très importante : c'est parce que la loi a imposé un délai de paiement que j'ai pu l'appliquer sans crainte que mon concurrent ne m'imite pas. En revanche, quand le législateur s'immisce dans les politiques promotionnelles de chacun, il se trompe. La loi Galland a favorisé les multinationales par rapport aux PME.

Il manque un lieu où ces problèmes puissent être évoqués comme nous le faisons aujourd'hui. Il faudrait que nous puissions nous réunir de nouveau, même sans la perspective d'un projet de loi.

M. Francis CORDELETTE (directeur général France Société Auchan)

Le climat se détend. Nous vivons dans un monde très compétitif. Les distributeurs sont très concurrents entre eux et les consommateurs votent chaque jour pour un d'entre nous. La négociation entre un acheteur et un vendeur sera toujours une confrontation. Le vendeur sait toujours s'il a fait une bonne affaire, l'acheteur ne le sait jamais. Auchan travaille avec 9.000 industriels dont 7.200 PME françaises, mais 42 fournisseurs réalisent à eux-seuls la moitié de notre chiffre d'affaires. La concentration chez les fournisseurs est parfois très forte. Pour les céréales, Kellogs détient 60 % des parts du marché ; pour les couches, Pocter en détient 50 % ; pour les colas, Coca en détient 80 %.

Il est anormal de faire payer 60 % de pénalités de retard mais nos clients ne supportent pas une rupture de stocks et, quand nous faisons une publicité, nous ne pouvons en admettre aucune. Il est donc normal qu'il y ait des pénalités de retard mais je répète que 60 %, c'est trop.

M. Benoît CORNU (directeur de la coordination réseaux Centrale d'achats Opéra)

Nous sommes une société récente, issue de la fusion récente entre Cora et Casino. Nous avons dès l'origine jugé nécessaire un dialogue permanent avec les PME. La concurrence est horizontale, elle passe entre les industriels. Quand nos acheteurs sont face à une multinationale qui détient 85 % des parts du marché, ils choisissent celle qui fera le plus de chiffre. Mais nous pouvons insister pour qu'ils comprennent mieux le fonctionnement d'une PME : notre acheteur ne peut convoquer le patron d'une PME, qui doit assumer une multiplicité de tâches, comme il ferait du diplômé de grande école chargé exclusivement de la vente dans une multinationale.

La loi permet de traiter tout le monde de la même façon mais la relation d'achat sera toujours une relation entre deux hommes. Aucune loi n'emplira le bon de commande ! Il est bon que le Sénat propose d'intégrer les accords de gamme dans la loi sur la nouvelle régulation économique : quand un distributeur a 60 références à emplir et qu'un seul industriel lui en propose 50, que fait-il ?

M. LE PRÉSIDENT Jean FRANÇOIS-PONCET (président de la commission des Affaires économiques et du plan du Sénat - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Les dispositions de la loi sont souvent difficiles à appliquer, ne serait-ce qu'à cause des détournements possibles. Il n'est pas rare que l'on voie apparaître le contraire de ce que l'on espérait !

M. Pierre-Yvon TRÉMEL (sénateur des Côtes-d'Armor - Socialiste)

J'ai effectué mon stage chez Leclerc car je suis élu d'un département qui compte de très nombreux producteurs de porc, de viande, de volaille, de légumes, etc. Je me réjouis de la qualité du débat que nous avons ce soir. Le législateur est confronté à un problème très difficile : dans une économie de marché, il doit veiller à la bonne position du curseur, entre un excès d'intervention législative et une insuffisance. La commission des Affaires économiques est à l'écoute des acteurs de la vie économique. Il faudra réfléchir à la manière de maintenir le contact entre nous, après la discussion du texte sur les nouvelles régulations économiques. Je suis très sensible à l'importance des relations personnelles ; nous avons eu d'excellents contacts avec les responsables commerciaux qui négocient dans la grande distribution. À les voir à l'oeuvre de l'intérieur du groupe, on se rend compte que ce ne sont ni des saints ni des voyous. J'ai constaté aussi jusqu'où pouvait aller le souci de la qualité des produits dans un groupe de grande distribution.

M. Jacques DONNAY (sénateur du Nord - non inscrit)

La vocation de la distribution est de satisfaire le client par le prix, la qualité, la rapidité de l'approvisionnement. Il lui faut aussi satisfaire ses actionnaires et donc augmenter le chiffre d'affaires et les bénéfices. Pour le producteur, les questions importantes sont la durée des contrats, leur continuité, les retards, le blocage des règlements, l'emploi. On parle de l'importance des contacts humains mais qu'en est-il quand les interlocuteurs changent ? Entre le pot de terre et le pot de fer, le Parlement doit intervenir ; il faut une médiation entre tous les acteurs et avec le législateur.

Mme Annick B OCANDÉ (sénateur de Seine-Maritime - Union Centriste)

Mon regard sur la grande distribution est d'abord celui d'une femme poussant son caddie et qui, pourtant, respecte le commerce de proximité ; c'est aussi celui d'une élue sensible aux doléances des PME. En stage chez Auchan, j'ai constaté que celles-ci avaient été prises en considération. J'ai le sentiment que les choses s'arrangent. Le propre de la loi est qu'elle doit s'appliquer à tous et donc donner une réponse satisfaisante pour tous. L'excès de réglementation a nécessairement des effets pervers. Les Français ont une demande contradictoire : ils critiquent les lois existantes tout en demandant que l'on légifère dès que quelque chose ne va pas. La loi ne peut pas tout résoudre.

M. Auguste CAZALET (sénateur des Pyrénées-Atlantiques -Rassemblement pour la République)

Avant le stage, je ne connaissais rien au problème de la grande distribution. Chez Marius Bernard, j'ai été à bonne école. J'ai essayé de comprendre et, du fond du coeur, je lance un appel à la grande distribution : ne tuez pas nos PME, elles sont indispensables à l'aménagement du territoire ! (Applaudissements)

M. Michel-Édouard L ECLERC (PDG Société Leclerc) Bravo, Marius Bernard !

M. Gérard MIQUEL (sénateur du Lot - Socialiste)

Je remercie le président Poncelet d'avoir pris l'initiative de ces stages en entreprise. Je recommencerai si l'occasion m'en est donnée. Quelle place peuvent avoir les PME face à la grande distribution ? M. Leclerc parle des marchés extérieurs, mais une PME peut-elle prendre un tel risque ? Je me demande si, au-delà d'un certain niveau, une PME n'est pas condamnée à se retrouver dans un groupe plus important. S'il en allait ainsi, la France perdrait une grande richesse.

M. Michel-Édouard LECLERC (PDG Société Leclerc)

Quand mon père s'est lancé, l'épicerie de Landerneau était une PME ! Il faut créer des réseaux, tisser des liens de solidarité. A la différence de ce qui se passe dans les pays protestants, la France est sous-cultivée en matière de réseaux et d'alliances. Il ne faut pas confondre l'indépendance, qui est un bon objectif, avec l'individualisme. Small n'est pas beautiful !

M. Francis CORDELETTE (directeur général France Société Auchan)

Nous ne voulons pas tuer les PME ! C'est elles qui permettent de diversifier l'offre et de l'adapter aux besoins du client. Elles sont le partenaire idéal pour les marques de distributeur.

M. Michel-ÉDOUARD LECLERC (PDG Société Leclerc)

On nous parle de qualité par le haut, de traçabilité, de valorisation des signes de qualité, et voilà que la loi sur les nouvelles régulations économiques nous interdit d'en faire mention sur nos marques de distribution ! Les multinationales ont utilisé les problèmes réels des PME. Pour empêcher des prix prédateurs, on a décidé que la coopération commerciale ne serait pas déductible du prix mais facturée comme une prestation de service ; aucune PME ne peut payer une chose pareille ! La commission européenne travaille actuellement sur la libéralisation du marché automobile ; la première demande des grands industriels est que la prestation commerciale ne puisse pas être répercutée dans le prix et, par conséquent, que les grandes surfaces ne puissent pas diminuer le prix de vente des automobiles.

Quand le législateur se met de la partie, c'est pour régler par la loi des problèmes qu'il aurait mieux valu régler par la négociation et le contrat. Voilà pourquoi on aboutit à des effets pervers.

M. Marc POUZET (PDG Société Marius Bernard)

Ce que dit M. Leclerc n'est pas adapté aux toutes petites entreprise, celles dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions. Pour nous, tout est transparent : nous n'avons aucun intérêt à vendre moins cher nos produits parce qu'ils ont une spécificité très forte. La loi Galland nous protège en évitant toute dégradation de nos prix, tout en nous permettant de préserver notre marché.

M. Michel-ÉDOUARD LECLERC (PDG Société Leclerc)

Je parlais de l'agro-alimentaire, où les tensions sont les plus fortes. Là, la concurrence se fait sur le montant de la coopération commerciale.

M. Marc POUZET (PDG Société Marins Bernard)

Est-il normal que l'on demande à une petite entreprise de ranger elle-même tous ses produits dans la gondole du supermarché ? Il faut que les gens de chez vous sachent à qui ils ont affaire : une entreprise de 35 salariés ne peut pas en mettre 250 dans vos magasins.

M. Benoît CORNU (directeur de la coordination réseaux Centrale d'achats Opéra)

Dans la mesure où il n'y a que cinq centrales d'achats, il n'est pas rare que l'une d'entre elles représente le quart, voire la moitié du chiffre d'affaires d'une petite entreprise. Cette dépendance économique doit être gérée ; nous demandons aux entreprises de nous alerter quand un certain seuil est dépassé. Toutefois, il faut bien se dire qu'une jeune entreprise fait 100 % de son chiffre d'affaires avec son premier client.

Le déréférencement fait partie de la vie normale du commerce. La loi sur les nouvelles régulations économiques tend à donner la priorité à l'ancienneté de la relation mais nos plus anciens fournisseurs sont Coca-cola, Nestlé, Procter, etc. Avec Soleillou, la relation est forcément beaucoup plus récente. Mieux vaudrait lier cela à la part de marché que chaque entreprise a dans le chiffre d'affaires : quand un seul distributeur détient 20 % du chiffre d'affaires d'une entreprise, c'est énorme.

M. Michel DELPON (directeur commercial Société Producta)

M. Leclerc a déploré tout à l'heure que tout signe d'appellation d'origine soit interdit sur les marques de distribution. La FEEF renouvelle sa demande à propos des articles 31 et 31 bis de la loi sur les nouvelles régulations économiques.

Mme Christine AUDIC (Fédération des Entreprises et des Entrepreneurs de France)

Les articles 31 et 31 bis se contredisent. Législateur, écoutez-nous ! La conjonction des articles 31 et 31 bis aurait un effet dévastateur sur les entreprises. Je vous en supplie, supprimez la définition des marques de distribution ! Il faut s'en tenir à un cahier des charges partenarial. (Applaudissements)

M. Gilbert PELLEGRINO (PDG Société Dispar)

La loi ne doit pas tout réglementer. Pour nous, la question du seuil de dépendance économique est très importante ; si une entreprise fait 30 %, tant mieux. Si c'est 32 %, c'est encore mieux.

M. Michel-Édouard LECLERC (PDG Société Leclerc)

Sur ce point, la loi est absurde : on veut nous faire payer 500.000 francs par infraction constatée, sur chaque produit.

M. Gilbert PELLIGRINO (PDG Société Dispar)

Regardez ce qui s'est passé avec le développement des grandes surfaces : on a fait une loi pour l'interrompre, on en a vu le résultat. Ne recommençons pas. M. Leclerc me dit d'aller voir à l'exportation. Je suis allé chez GB, ils ont été rachetés par Carrefour. Je vais en Espagne, c'est Continent et Champion... Ne me menez pas à l'exportation, cela entrera dans mon chiffre d'affaires et ma dépendance sera encore accrue.

M. Jacques GAILLARD (Société SATF)

J'ai créé un petit groupe qui réalise 1,2 milliard de chiffre d'affaires ; je ne vais pas cracher sur la grande distribution qui est une chance inestimable pour la France. Si des Américains reprenaient la grande distribution française, un débat comme celui-ci ne pourrait plus avoir lieu. Merci de nous avoir envoyé des sénateurs ! Vous êtes tellement conscients des problèmes que je suis surpris que l'on n'arrive pas à les résoudre. (Applaudissements)

Grâce à Auchan, j'ai pu aller en Espagne ; je suis allé au Portugal grâce à Intermarché et à Auchan ; c'est de la même manière que nous sommes allés en Pologne : nous suivons la grande distribution. Nous sommes tous engagés dans une compétition mondiale ; plus nos clients seront forts, plus nous le serons aussi. Faites moins de lois, laissez-nous être compétitifs ! (Applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT Jean FRANÇOIS-PONCET (président de la commission des Affaires économiques et du plan du Sénat -- Rassemblement Démocratique et Social Européen)

La grande distribution est, pour un très grand nombre de PME, vitale et incontournable ; il était bon de le rappeler. Les relations restent concurrentielles, elles ont et auront toujours quelque chose de difficile. Si l'on compare la situation actuelle à celle d'il y a cinq ans, on voit une évolution dans la façon dont les PME agissent vis-à-vis des grands groupes et aussi dans celle dont ceux-ci tiennent compte des entreprises naissantes.

Que peut faire le législateur? Si la loi peut avoir des effets pervers, elle est néanmoins nécessaire. Le Sénat fait de gros efforts d'écoute -même s'il ne comprend pas toujours ! (Sourires) Des dispositions plus ou moins bien comprises peuvent avoir un effet de boomerang. Comme l'a dit M. Trémel, il est toujours difficile au législateur d'intervenir dans un marché.

Vous vous êtes retrouvés pour demander l'instauration d'échanges permanents. Je ne sais pas si le Sénat peut le faire ; peut-être la commission d'examen des pratiques commerciales répondrait-elle à votre demande ? La commission des Affaires économiques est disposée à prendre des initiatives en ce sens. Nous avons le désir d'être utiles. Si des grandes surfaces sont implantées à l'étranger, elles peuvent amener avec elles des PME. C'est sans doute la meilleure manière de leur mettre le pied à l'étrier.

Nos débats ont été riches, ouverts, constructifs. Nous avons pu instaurer un climat dénué de virulence. On verra si le Sénat peut ajouter quelques briques à cet édifice. Je vais maintenant donner la parole à M. Loizeau, qui va faire office de rapporteur.

M. Le Rapporteur Henri LOIZEAU (directeur de la rédaction de LSA)

J'ai observé un tir groupé sur quelques articles de la loi sur les nouvelles régulations économiques. On a proposé de supprimer l'article 28 et de réintroduire l'article 29 ; on a marqué la contradiction entre l'article 31 et l'article 31 bis. Avec la commission d'examen des pratiques commerciales, la loi sur les nouvelles régulations économiques ne met-elle pas en place un lieu de débat ? Il est vrai que cette commission serait présidée par un magistrat, ce qui ne correspond peut-être pas au souhait des éventuels participants.

M. Michel-Édouard LECLERC (PDG Société Leclerc)

Je ne sais ni à quoi servira cette commission, ni comment elle est censée s'insérer dans le cadre juridique actuel. En outre, elle aurait à sa disposition une charte coercitive. Je préférerais que, sur le modèle américain, on désigne un rapporteur permanent que l'on pourrait solliciter. Peut-être le Sénat pourrait-il lancer cette idée.

M. LE PRÉSIDENT Jean FRANÇOIS-PONCET (président de la commission des Affaires économiques et du plan du Sénat - Rassemblement Démocratique et Social Européen)

Concluons là-dessus. Puisque personne n'a protesté, je considère que cette proposition est acceptée. Nous allons réfléchir à ce qu'a dit M. Leclerc : la commission des Affaires économiques organisera une ou deux réunions par an et on verra si c'est utile ou non. Si ça l'est, on continuera.

Je vous remercie des paroles aimables que vous avez tenues sur le Sénat. Mesurant les critiques dont nous sommes l'objet, nous apprécions d'autant plus les compliments qui peuvent nous être faits. (Applaudissements)

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