La ruralité,un atout pour demain à défendre ensemble



Palais du Luxembourg, 28 mai 2003

Jean-Luc TRANCART Directeur Délégué de la Lyonnaise des Eaux France

Le secteur de l'eau et de l'assainissement est un petit secteur au regard de La Poste ou EDF. En termes de salariés, le secteur de l'eau et de l'assainissement représente 40 000 personnes dont la moitié travaillent d'ailleurs dans des entreprises privées et l'autre moitié dans des régies municipales ou syndicales. Une entreprise comme la nôtre, Lyonnaise des Eaux en France, représente, pour l'activité « eau » en France, 8 000 personnes.

En revanche, quand on regarde la question rurale, les maires ruraux sont nos principaux clients parce que si 80 % des consommateurs d'eau que nous desservons sont des urbains, nous avons 80 % de nos clients, ceux avec lesquels nous avons des contrats de délégation de services publics, qui sont des élus locaux ruraux. Pour nous, le monde rural est extrêmement important.

Quand on interroge les Français sur leur vision des services publics, il y a deux valeurs qui émergent quasiment de toutes les enquêtes : la solidarité territoriale et l'égalité. En matière de solidarité territoriale, pour une entreprise comme La Lyonnaise des Eaux, les infrastructures sont là et les tuyaux ne vont pas disparaître. La conception qu'on peut présenter du fonctionnement de la solidarité géographique, c'est la gestion des crises. On ne pourrait pas, avec une entreprise comme la notre, avec 8 000 salariés, assurer une couverture permanente, 24 heures sur 24, de la sécurité du fonctionnement des réseau et de l'alimentation en eau si on n'avait pas justement une solidarité de l'urbain vers le rural en maintenant des équipes en ville qui peuvent se mobiliser à tout instant en cas d'inondation, de rupture de réseau, de catastrophes ou de problèmes de qualité. C'est ce que nous faisons.

L'eau est un service public bien sûr, un service public sous responsabilité locale, mais c'est également un aliment. Chacun d'entre nous consomme environ deux litres d'eau par jour. Tous les ans le Ministère de la Santé présente les résultats de la qualité de l'eau en France. Les dépassements des normes européennes persistent et concernent la bactériologie, les nitrates et les pesticides, comme chaque année et les communes où l'on observe ces dépassements sont exclusivement des communes rurales. Il est vrai qu'on ne peut pas parler de fracture mais il y a une vraie inégalité devant la santé. Certes les normes sont extrêmement protectrices et ont été bâties avec des coefficients de sécurité considérables. Mais il y a deux inégalités. La première, c'est qu'il n'y a pas de raisons que dans les villes, on respecte les normes et que dans les campagnes on ne les respecte pas. C'est une question de principe. La deuxième problème c'est que la médiatisation des questions de l'eau est devenue considérable. Le métier que je fais depuis 25 ans m'a permis de constater qu'à partir des années 90 le nombre d'articles sur l'eau en France a été multiplié par vingt. Dans le même temps, les Français expriment une réelle crainte par rapport à leur santé, à l'alimentation. La rencontre de ces deux éléments entraîne un phénomène de peur. On aboutit à ce paradoxe : plus les gens sont défavorisés, plus, du fait de cette crainte qu'ils ont vis-à-vis de la qualité de l'eau, ils vont acheter de l'eau en bouteille. Le geste de consommation est contraint par une pression médiatique et une mauvaise qualité réelle de dépassement de normes des eaux distribuées en France. Ce n'est pas une fracture car la santé de personne n'est menacée mais c'est une inégalité à laquelle il faut s'attaquer.

Il y a également une inégalité tarifaire entre la ville et la campagne parce que dans bien des cas les communes rurales payent pour ceux qui vivent dans les résidences secondaires. Le prix de l'eau tient en effet aux tuyaux et non à l'eau. Dans le domaine de l'eau, comme dans tous les domaines d'infrastructure et notamment de génie civil, il y a des effets d'échelle qui sont considérables. Par habitant, pour éliminer un polluant donné, cela va coûter beaucoup plus cher avec des petites installations qu'avec des grosses. Pour reprendre l'exemple des nitrates ou des pesticides, cela va coûter six fois plus cher dans une commune rurale d'éliminer ces pesticides. Il y a là encore une inégalité.

Il y a des solutions techniques qui sont de notre responsabilité et de celle de la recherche publique et qui consistent à imaginer le maximum d'installations qui permettent de faire des économies d'échelle. Nous avons trouvé un certain nombre de choses, notamment dans le domaine des membranes.

Des solutions existent du côté des organisations. On peut mutualiser les organisations entre la ville et la campagne pour gérer les crises, amener du matériel en cas de problème et ne pas avoir à chaque fois à multiplier les équipements de sauvetage.

Il y a trois autres solutions. La première, c'est la solidarité financière. La France a depuis trente ans, un outil formidable de gestion de l'eau à la disposition des maires et de la puissance publique qui est l'Agence de l'Eau. Les Agences de l'Eau ont très bien réussi une solidarité amont-aval, une solidarité environnementale. En matière de lutte contre les inégalités sur la qualité de l'eau, elles pourraient être bien mieux mobilisées qu'elles ne le sont à ce stade. La seconde concerne les questions administratives. Nous avons exactement les mêmes façons de travailler, les mêmes procédures de délégation de service public entre une ville de 200 000 habitants et une ville de 1 000 habitants. La loi Sapin prévoit 17 étapes coûteuses et complexes, qu'il devient urgent de simplifier. La troisième consisterait à faire preuve de pragmatisme. Dans les domaines de l'eau, il existe des positionnements idéologiques invraisemblables. Avant de construire une usine, on me répond qu'il faut faire de la prévention et que l'idéal serait effectivement qu'il n'y ait ni pesticides ni nitrates dans l'eau. Et quand je construis une usine, plus personne ne s'intéresse à la rivière et les pollutions repartent. Il devient impossible de concilier deux choses que sont la prévention et le traitement dans le domaine de la qualité de l'eau.

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