La ruralité,un atout pour demain à défendre ensemble



Palais du Luxembourg, 28 mai 2003

Hervé GAYMARD Ministre de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche et des Affaires Rurales

Je voudrais ici, au nom du Premier ministre, dire tout l'enjeu que représente ce débat et surtout cette action que nous voulons conduire en faveur des territoires ruraux. Nous voulons tout d'abord refuser avec force la fracture territoriale. Le monde rural est en effet victime d'une vision erronée. Ce monde rural est victime de la politique d'aménagement du territoire conduite ces dernières années puisque la culture de nos prédécesseurs, essentiellement urbaine, a méconnu la ruralité. Elle ne lui a accordé que quelques attentions de circonstance quand elle n'a pas dénoncé un conservatisme des campagnes, faute toujours d'en comprendre la réalité. Il nous faut donc dénoncer un certain nombre de préjugés. L'espace rural n'est pas qu'une réserve foncière, un espace interstitiel voué à l'urbanisation. Les activités agricoles et forestières ne peuvent être considérées seulement pour leur utilité récréative et leur valeur écologique et paysagère. L'industrie, le commerce et l'artisanat qui rencontrent des difficultés particulières liées à l'absence d'infrastructures de transports, de services ou télécommunications doivent être encouragées. Il est également inadmissible de constater la désertification médicale ou la dégradation du service public en milieu rural. Cette évolution met en cause la pérennité des activités économiques en milieu rural et empêche le monde rural de jouer un rôle majeur en matière d'équilibre social et environnemental.

Face à la fracture territoriale qui est en quelque sorte la conséquence de la politique dévoyée de l'aménagement du territoire conduite ces dernières années, il nous faut absolument réagir en proposant une nouvelle politique en faveur des espaces ruraux. Nous sommes en effet convaincus que la France rurale est riche en initiatives et en modernité. C'est tout d'abord un espace d'avenir, une terre d'accueil, une terre d'équilibre, une terre d'initiatives. C'est l'espace privilégié où citadins et ruraux peuvent se retrouver et renouer les liens sociaux indispensables au maintien de notre cohésion nationale. Il s'agit ensuite, pour un jeune ménage avec des besoins nouveaux, de la revendication d'un autre mode de vie, attachement au respect d'autrui, accès au logement, amélioration de la qualité et enrichissement professionnel grâce à des relations humaines plus intenses. Il faut garantir la force économique de notre agriculture : compétitivité, produits de qualité liés à des terroirs bien marqués et à des savoir-faire reconnus partout. Il faut préserver le commerce et l'artisanat qui ont conservé des savoir-faire, une culture de la qualité qui sont précieux aujourd'hui.

Mais il faut aussi apprendre à partager l'espace rural. Il est nécessaire de mieux gérer les conflits d'usage du sol dans le respect de la propriété privée ainsi que les contraintes environnementales liées à certains espaces. De même, une réelle maîtrise de l'urbanisation doit s'imposer, notamment autour des villes. Une véritable politique en faveur du développement rural est aujourd'hui indispensable. Cette politique doit être inspirée des valeurs républicaines de solidarité, d'égalité et de modernité pour que ce monde rural tienne toute sa place au sein de notre société.

La France a besoin que des liens économiques et sociaux solides soient préservés ou rétablis entre la ville ou la campagne. Il y a un rôle majeur pour les collectivités locales, notamment à l'heure d'une décentralisation renforcée. Mais il y a aussi le rôle de l'État qui doit apprendre à faciliter la réalisation de politiques principalement définies au niveau régional. C'est un des fondements de la politique de décentralisation que le Gouvernement va mettre en oeuvre. Dans le domaine de l'éducation, par exemple, une gestion plus proche de certains personnels doit permettre de préserver la qualité du service public contrairement à ce qu'on entend beaucoup ces derniers jours. L'éducation doit évidemment rester une compétence nationale mais cela n'est évidemment pas contradictoire avec une meilleure prise en compte des réalités locales. Nos écoles rurales ont en effet le droit de vivre.

Le projet de loi en faveur du monde rural dont nous avons parlé sera présenté au premier conseil des ministres de la rentrée, à la fin du mois d'août. Un comité interministériel, consacré au monde rural, aura lieu en même temps afin de présenter l'ensemble des actions qui seront menées en faveur du monde rural. Ce projet de loi réaffirmera que l'État est le garant de la cohésion nationale et du principe de l'équité nationale. Ce projet de loi sera construit autour de 5 priorités : assurer une meilleure qualité des services au public, aménager les territoires pour renforcer leur attractivité, favoriser les initiatives et les partenariats pour développer l'activité économique, garantir une gestion équilibrée et respectueuse de l'environnement et, enfin, redonner plus d'ambition à la politique de la montagne.

Une meilleure qualité des services au public passe par la mobilisation des services de l'État en faveur du développement des territoires ruraux en déclin démographique. En effet, des services publics, gérés dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité conditionnent l'équité territoriale et la cohésion sociale. Une nouvelle logique doit prévaloir : des services différenciés qui s'appuient sur la polyvalence des services et sur les partenariats. À cet égard, l'initiative prise par La Poste, en liaison avec les Chambres de commerce et d'industrie, de confier à des commerçants, par contrat de mandat, l'exercice de services postaux et financiers est tout à fait exemplaire, tant du point de vue de l'utilité sociale que de l'appui au maintien et au développement des commerces de proximité. Il faut également développer les maisons de service public en aménageant leur régime afin de combiner service public et service à caractère privé dans le respect bien évidemment des règles de la concurrence. Les chambres consulaires pourraient être associées aux services de l'État pour la mise en place de tels dispositifs, services inter-consulaires de proximité, informations techniques et économiques, centres de formalités, formations, conseils personnalisés. S'agissant de l'offre de soins, une réflexion est en cours afin de faciliter les maintiens et l'installation des professionnels de santé.

S'agissant de l'attractivité des territoires, il nous faut rechercher de nouveaux moyens pour améliorer la protection des espaces agricoles et forestiers périurbains. La maîtrise de la périurbanisation est en effet un enjeu stratégique national. Aujourd'hui nous péchons, faute de moyens ou d'instruments fonciers adaptés, par comparaison avec ceux qui existent pour les territoires urbanisés. Il faut donner aux régions les moyens de remédier à cette carence. Dans un autre registre, des mesures devraient être présentées afin d'inciter à la rénovation du patrimoine bâti, des bourgs et des villages.

Pour favoriser enfin les initiatives et les partenariats afin de développer l'activité économique, la palette des outils est très large. Nous pensons en particulier à des mesures pour promouvoir les groupements d'employeurs, pour améliorer la situation des travailleurs saisonniers, pour encourager l'agriculture de groupe ou pour simplifier et mieux reconnaître la pluri-activité. Une modernisation du contrôle des structures et une redéfinition des opérations d'aménagement foncier s'imposent également. S'agissant des activités touristiques, commerciales et artisanales, l'accent pourrait être mis sur l'élargissement des possibilités d'interventions du FISAC afin de mieux intégrer la restauration et sur l'amélioration des possibilités offertes par des programmes de réimplantation de commerces de proximité comme le montrent les opérations « Mille Villages » ou « les Multiples ruraux ».

Mais, évidemment, tout ce développement du monde rural ne peut se concevoir sans garantir une gestion équilibrée et respectueuse de l'environnement et de l'espace rural. Cette partie de la loi devrait être particulièrement nourrie : entre la préservation des espaces sensibles, parmi lesquels les espaces humides ont une place essentielle, la préservation de la richesse cynégétique afin de valoriser la chasse dans le développement des territoires, l'aménagement des forêts publiques ou privées ou leur protection contre le risque de la tempête. Une attention toute particulière sera portée à la protection et à la mise en valeur des espaces pastoraux.

Enfin, le Premier ministre n'a garde d'oublier la politique en faveur de la montagne. Je cite le Premier ministre parce qu'étant montagnard, on pourrait m'accuser d'avoir tiré la couverture mais je peux dire que nous faisons des choses très importantes aussi pour l'agriculture des marais qui est un sujet extrêmement important aussi pour l'aménagement du territoire et qui est un peu le pendant de la politique de la montagne. Ce projet de loi en faveur du développement du monde rural aura une partie spécifique qui sera consacrée à la montagne qui, dans le prolongement du rapport que le Sénat a publié, sera évidemment élaboré en concertation avec le conseil national de la montagne.

En conclusion, comme vous le constatez et bien que l'ensemble des mesures n'ait évidemment pas été détaillé, la tâche qui nous attend est d'envergure. Elle est à la hauteur des défis et des enjeux. Les territoires ruraux font la richesse et l'équilibre de notre pays. Il ne faut pas laisser les choses évoluer vers la concentration et le gigantisme. Tout le monde sait que les grandes agglomérations ne sont pas la réponse aux problèmes des gens. Nous militons ardemment pour l'humanisation des territoires, avec des villes à taille humaine, avec des bourgs, des villages et une ruralité qui trouve son développement dans la diversité et la complémentarité de ses activités : agriculture, chasse, loisirs, industries diverses, tourisme. Vous le savez, nous ne croyons pas que la carte de la France soit celle de la standardisation, de la banalisation, de la concentration. C'est au contraire celle de qualité, de la traçabilité, de la diversité, c'est ce que Jean-Pierre Raffarin appelle le taux d'humanisation ajoutée.

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