La ruralité,un atout pour demain à défendre ensemble



Palais du Luxembourg, 28 mai 2003

Philippe PERRIER-CORNET Directeur de recherche à l'INRA, auteur de « À qui appartient l'espace rural ? »

Pour rester bref dans le temps qui m'est imparti, je vais essayer de résumer en cinq points les idées force : les évolutions, les transformations actuelles du monde rural, des espaces ruraux et leurs enjeux.

Du point de vue de l'emploi et de l'activité économique, l'agricole ne fait plus le rural. Avec 8 % de la population rurale active il n'y a qu'un agriculteur sur douze actifs en moyenne dans le monde rural. L'emploi agricole est en légère progression, puisqu'il représente aujourd'hui à peu près 14 % de l'emploi rural total. Ça, c'est d'un côté économique, l'évaluation de la place d'un secteur d'activité dans l'ensemble d'un espace. On peut en conclure que l'agricole ne fait plus le rural.

Mais, de l'autre côté, il faut insister sur le fait que l'agriculture occupe toujours l'espace rural. Elle a réussi à tenir le territoire, démentant ainsi le discours alarmiste qu'on a eu dans les années 1980 sur l'enfrîchement de la France. S'il est réellement justifié dans quelques zones, ce qui est clair, ce discours ne s'est pas vérifié globalement. En vingt-cinq ans, l'agriculture n'a perdu que 5 % de sa superficie. Elle a tenu le territoire. On a donc ce paradoxe qui se traduit par le maintien de l'occupation du territoire, alors que l'emploi agricole est plus que divisé par deux. Ce paradoxe pose un certain nombre de problèmes sur la place de l'agriculture dans le rural. Cette place a changé tout en restant relativement importante.

La grande majorité de la population des territoires ruraux aujourd'hui est constituée des résidentiels. Ce sont donc les résidentiels et l'économie résidentielle qui tirent l'économie rurale. L'économie résidentielle c'est l'ensemble des commerces, des services aux personnes, des services publics d'éducation, de santé et d'autres administrations. Et ce secteur représente aujourd'hui, quasiment la moitié de l'emploi rural et il est responsable de la création de la plus grande partie d'emplois qu'on a eus dans le rural ces dix dernières années.

Le développement de l'économie résidentielle est bien sûr lié au regain démographique du monde rural. À ce niveau, il peut y avoir débat avec certaines interventions précédentes. Depuis 1990, c'est l'ensemble du rural qui gagne de la population. Et même le rural isolé ne se porte pas si mal que ça. Il ne faut prendre en compte que ce qu'on classe et on peut discuter sur les classifications de l'INSEE et nos classifications. Je suis tout à fait d'accord pour les relativiser.

Premièrement, je considère que l'appellation « espace à dominante urbaine » est un peu ambiguë puisqu'il est encore rural. En effet, 35 % du territoire de l'espace dit à dominante urbaine, compte moins de 70 habitants au kilomètre carré. Ce qui en fait bien un milieu rural.

Pour ce qui est de ce qu'on appelle « rural isolé » et qui est le plus éloigné, certes, la population baisse. Mais il faut savoir que 10 000 communes rurales étaient classées dans le rural isolé en 1990. Il n'y en a plus que 6 000 en 2000. Bien sûr, la différence reste. Mais si vous prenez les 10 000 communes du départ, il y a plus de monde qui y est arrivé ces dix dernières années qu'il n'en est parti. La périurbanisation, c'est quelque chose qu'il faut dépasser. C'est quelque chose qui concerne maintenant vraiment la majeure partie des communes rurales. Il ne faut bien entendu pas oublier que vous avez des zones, des territoires ruraux qui continuent à se dépeupler, mais ils sont minoritaires.

Il est aujourd'hui fort. Peut-être n'a-t-il jamais été aussi fort en France. Ce désir de campagne, il faut voir les choses en face, pour une grande partie des Français, c'est le désir de vivre à la fois en ville et en campagne. On travaille en ville et on habite ou on va se détendre en campagne. Mais ce désir est très fort et rarement il a été aussi fort. Selon une enquête que nous avons faite avec le CREDOC : plus d'un urbain sur quatre Français nous déclarent que dans les prochaines années, ils ont l'intention d'aller habiter en campagne. En face, seulement 8 % font la déclaration inverse.

Aujourd'hui, on a vraiment une attractivité très forte et il faut en prendre toute la mesure. Je crois que rarement on a eu un discours aussi positif sur le rural de la part des urbains français du fait de ce désir de campagne. C'est une image positive du rural qu'il faut prendre en compte absolument.

Aujourd'hui, le rural est plus industriel et ouvrier qu'on ne le croit. Il l'a toujours été, on nous l'a démontré historiquement, mais on y prêtait moins attention du fait qu'on était polarisé sur l'agriculture du point de vue productif. Les ouvriers représentent 35 % de la population active rurale. C'est une proportion qui est bien plus élevée qu'en ville où ils ne représentent qu'à peine le quart de la population active urbaine. En conséquence, dans l'espace rural aujourd'hui, il y a environ quatre fois plus d'ouvriers que d'agriculteurs en activité. Et s'il y a autant d'ouvriers, c'est qu'il y a beaucoup d'industries.

D'une part, ce cadre, majoritairement constitué de PME résiste mieux à certaines crises que connaît l'industrie urbaine. Même si on a aujourd'hui quelques bassins industriels ruraux sérieusement sinistrés, globalement on a une assez bonne résistance de cette industrie. Mais cette résistance est fragile. On a là un certain nombre de problèmes liés au rôle beaucoup plus clé qu'on ne le croit de l'industrie et des PME rurales.

D'autre part, depuis quelques années on assiste à un desserrement significatif de l'industrie urbaine sur les communes rurales proches. Ce qui va poser un certain nombre de problèmes par rapport à la fonction résidentielle de ces espaces. Cette question du rural plus ouvrier ou plus industriel est peut-être insuffisamment prise en compte dans les constats faits sur le rural.

C'est l'idée que désormais, l'ensemble des espaces ruraux doivent être considérés en même temps et comme des espaces naturels. Ils ne sont plus simplement des espaces réservés, des espaces de lieux remarquables sur lesquels on fonderait les questions environnementales. Cette question émerge très fortement dans d'autres pays européens. Elle est moins perçue en France, mais il faut la prendre en compte.

Les politiques environnementales, principalement d'origine européenne, s'imposent de plus en plus aux échelons nationaux. Par conséquent, nos usages de la nature doivent suivre, que ce soit avec les objectifs de conservation de la diversité, de la préservation des ressources naturelles pour les générations futures, de contribution à la prévention des risques naturels globaux comme les risque climatiques etc. Ces questions qui sont émergentes aujourd'hui ne peuvent plus être ignorées pour le développement rural, même si ce sont nos voisins européens qui sont bien plus avancés.

En conclusion, l'espace rural en France aujourd'hui est multifonctionnel. Cette multifonctionnalité qui renvoie à des usages et à des utilisations en fonction des espaces ruraux nombreux et variés est importante. Elle doit être prise en compte. On peut essayer d'organiser le monde rural autour de trois grandes figures du rural.

La première, c'est effectivement cette image du rural comme espace productif, cette campagne ressource. C'est notre rural historique, le rural de l'agriculture, de la forêt et de l'industrie. La seconde figure, c'est le rural non plus comme espace productif, mais comme espace consommé.

C'est notre campagne cadre de vie liée au développement résidentiel. Elle a fait irruption dans la France rurale dans les années 1970 et s'est développée. Certains la présentent aujourd'hui, comme le pivot du monde rural, suite à la croissance démographique. La troisième figure, c'est celle d'une campagne préservée et réservée. C'est le rural comme espace naturel, comme espace préservé au nom d'impératifs qui dépassent largement les besoins et les objectifs des ruraux actuels. Il pose les problèmes de développement durable qui exigent qu'on prenne effectivement en compte les générations futures et la bonne santé d'ensemble de la planète. Cet aspect de la multifonctionnalité est le noeud des enjeux et de l'action publique.

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