1.12. BILAN COMPARÉ DES EXPÉRIENCES FRANÇAISES ET JAPONAISES
PAR MONSIEUR ALAIN DELCAMP
Directeur général de la Communication et du Développement Technologique du Sénat, rapporteur des travaux

Merci Monsieur le Président.

Il y a une trentaine d'années était paru un livre qui avait fait du bruit en France intitulé "le défi américain". Je crois que le « défi franco-japonais » est sans doute plus difficile et plus subtil à relever que le défi américain et je ne suis pas Jean-Jacques Servan Schreiber ; je vais donc vous demander un peu d'indulgence, surtout compte tenu de la densité, de la diversité et du grand intérêt de cette journée.

Auparavant, je voudrais remercier Monsieur Yamasaki et l'équipe de CLAIR ainsi que Monsieur Jacques Valade, Vice-Président du Sénat de nous avoir permis de nous ouvrir encore davantage vers l'extérieur, vers un pays qui nous est proche, avec lequel beaucoup de sénateurs entretiennent des liens très amicaux et efficaces, illustrant ainsi l'importance de deux réalités dont nous avons parlé aujourd'hui, c'est-à-dire la « décentralisation », - le fait que les collectivités locales puissent prendre des initiatives - mais aussi l'importance des initiatives individuelles et personnelles sans qui toutes les constructions institutionnelles n'ont aucune valeur.

Cette densité est venue de la qualité des personnes qui ont bien voulu répondre à notre appel commun et que Monsieur le Président du groupe d'amitié France-Japon, Monsieur Jacques Valade, Vice-Président du Sénat, m'a chargé de remercier très chaleureusement. Je crois qu'ils ont répondu à l'attente d'une assistance que, je l'avoue, j'ai trouvée extrêmement attentive, et qui a fait partie des acteurs de cette journée. Merci à nos nombreux amis japonais d'être venus nous voir, d'avoir pour certains fait le voyage dans le sens inverse du vôtre, Madame, ce qui montre que nous sommes aujourd'hui dans une société qui permet les échanges, et c'était bien le but premier de cette réunion.

Cette réunion avait aussi dans son programme un défi interne, parce qu'elle se proposait de traiter deux sujets apparemment éloignés puisqu'il s'agissait, d'une part, de comparer les expériences japonaises et françaises en matière de décentralisation - donc en matière de réforme institutionnelle - et de comparer, d'autre part, les approches économiques : savoir dans quelle mesure une coopération, des créations de richesses pouvaient être faites par un rapprochement entre nos deux pays représentés par leurs collectivités locales.

Je dois dire que la première conclusion est à mes yeux très évidente : le mélange a parfaitement fonctionné. Nous sommes partis ce matin sur la présentation générale du cadre institutionnel, et nous avons pu comparer. Cet après-midi, nous avons pu, je dirais "entrer dans la réalité japonaise" et nous avons essayé de comprendre, ce qui est une façon de répondre à l'une des dernières interventions.

Comparer et comprendre permettent d'agir. Nous pouvons espérer que l'action se fera en fonction des repères que nous aurons pu affiner aujourd'hui ensemble. L'action se fera aussi en fonction des rencontres que cette réunion aura permis, et en fonction aussi des actions qui auront été initiées à la fois par les collectivités françaises et japonaises sous l'égide du CLAIR et, pourquoi pas, sous l'égide du Sénat, si l'occasion se présente.

Avant d'aller plus avant dans les comparaisons, je voudrais tout de même faire une réflexion générale concernant la France et le Japon. Nous comparer, nous la France, au Japon, notamment en termes économiques, c'est nous faire beaucoup d'honneur. En effet, ce n'est pas un hasard si nous avons commencé cette réunion par l'Europe, puisque si l'on regarde le produit intérieur brut du Japon, on voit qu'il est tout simplement la moitié de l'ensemble du produit intérieur brut des 15 pays européens, donc très au-dessus de celui de la France seule.

Il y a là une première différence dont il faut avoir conscience. Cela ne veut pas dire qu'il faut être trop modeste, mais je crois qu'il faut remettre les choses en perspective. Dans l'autre sens, je voudrais dire à nos amis japonais et aussi à nos amis français qui ont parfois l'habitude de douter d'eux-mêmes, que le développement de la régionalisation en Europe ne rend pas du tout caduque notre propre organisation et que nos régions, à beaucoup d'égards, soutiennent, en tout cas en termes de richesse économique, la comparaison avec les plus grandes régions européennes.

On a fait allusion tout à l'heure au fédéralisme et à l'Etat unitaire, il faut que nous ayons bien présent à l'esprit que ni en terme de superficie, ni en terme d'habitants et ni en terme de richesses économiques, les régions françaises ne sont inférieures aux régions allemandes ou espagnoles. Rappelons-nous simplement que la première région économique européenne, est la région Ile-de-France, qui sans doute a beaucoup à faire avec la préfecture de Kanagawa qui, on l'a tous remarqué, bénéficie de la proximité de la capitale japonaise. Il m'est arrivé d'envier le gouverneur de Kanagawa à l'idée qu'il avait autant de richesses à sa disposition, et je crois qu'il faut toujours comparer les richesses avant de parler des capacités d'intervention économique des collectivités locales. En écoutant Marie-José Tulard, j'avais, à cet égard, à l'esprit des images de régions économiques françaises qui attendent beaucoup de leurs collectivités, parce que leur économie n'a pas spontanément les avantages que peuvent avoir les régions telles que Kanagawa ou que la région de l'Ile-de-France ou encore la région Rhône-Alpes qui, comme vous le savez, fait également partie des dix principales régions européennes.

Si j'essaie maintenant de trouver quelques éléments communs dans ce qui a été dit dans cette journée, il y a une première chose qui me paraît très significative. Comme Madame Dourille-Feer nous l'a très bien dit, dans des pays tels que la France et le Japon, l'économie et la société sont indissociables. Ce qui me frappe le plus en effet, c'est d'abord la place de l'histoire et de la tradition. Cette histoire et cette tradition ont été dans le même sens. Nous avons l'un comme l'autre un passé de centralisation et nous sommes confrontés au même défi, un défi de décentralisation. Il est intéressant de voir qu'au-delà des milliers de kilomètres qui nous séparent apparemment, il y a eu une prise de conscience commune : la centralisation ne pouvait plus répondre aux défis contemporains. Pour répondre à ces défis, nous avions besoin de diversité et d'autonomie pour plus d'efficacité.

Nous avons entrepris ensemble, ou en tout cas parallèlement, un double mouvement, qui illustre les deux parties de ce colloque. Un mouvement de décentralisation, c'est-à-dire un transfert de compétences publiques à un niveau plus proche des citoyens, illustrant ainsi le mouvement auquel nous invite le Conseil de l'Europe à travers ses chartes de l'autonomie locale et régionale. Mais c'est aussi, on ne le souligne jamais assez, un mouvement de privatisation, un mouvement de retrait de la puissance publique, qui dans les deux pays avait une importance très singulière.

Je voudrais dire quelques mots sur les raisons de cette évolution. Outre les raisons personnelles, internes, structurelles, comme cela a été dit, qui nous conduisent vers ce mouvement, il y a aussi des raisons externes. Il y a une raison externe commune qui est la mondialisation, et il y a une raison spécifique pour nous qui est l'Europe. Ces éléments nous apportent deux incitations très différentes.

L'Europe nous apporte de nouvelles réglementations au moment où nous souhaitons supprimer les nôtres, mais aussi un certain nombre d'orientations, qui constituent un défi assez difficile à relever pour une société comme la France, c'est-à-dire la discipline du marché et de la concurrence. Ce n'est pas le premier défi économique et culturel extérieur auquel nous sommes confrontés mais c'est la méthode pour y répondre qui diffère. Naguère, en France comme au Japon, la centralisation a permis à un petit nombre d'hommes de prendre la décision courageuse de s'ouvrir. Ce fut le cas dans la fameuse période Meiji. Toutes proportions gardées, ce fut vrai en France, au moment d'entrer dans le marché commun.

Aujourd'hui, ce ne peut être le résultat d'une seule décision. Nous ne pouvons pas faire autrement. Je dirais que d'une certaine manière cette adaptation nous a été imposée à la base et d'une manière dans laquelle les gouvernements ne peuvent pas toujours grand-chose. Je crois que dans les deux cas, le Japon et la France, nous manifestons - nous avons manifesté - une certaine réticence culturelle. La réticence culturelle française se manifeste à travers nos discours politiques, le contraste que nous vivons entre une politique qui voudrait dominer l'économie et une économie qui lui échappe.

Au Japon, et j'ai trouvé à cet égard l'exposé sur l'économie extrêmement intéressant, on avait l'impression que ce pays s'était ouvert, mais avait conservé en quelque sorte, un « filet de sécurité social », une organisation de la société qui lui avait permis de répondre de façon moderne en adaptant des ressorts traditionnels. On peut se demander aujourd'hui si, finalement, ce ne sont pas ces ressorts traditionnels qui sont touchés à leur tour de plein fouet par la mondialisation, et qui font que l'économie japonaise a les difficultés que l'on connaît, qui sont très certainement passagères, mais qui semblent effectivement avoir des causes plus que conjoncturelles.

Cette importance de la tradition et de l'histoire, je la retrouve dans la méthode qu'ont suivie les deux pays pour mener leur décentralisation. La décision de procéder à la décentralisation a été un choix tout à fait conscient et volontariste de la part des deux gouvernements et des deux sociétés.

Le Japon a, à cet égard, fait les choses avant la France, à la suite de la Deuxième Guerre mondiale, mais je trouve très amusant de rappeler ce que beaucoup d'entre vous savent c'est que, lorsque les Japonais ont voulu passer à une deuxième phase de la décentralisation à la fin des années 90, ils ont fait exactement ce que nous faisons d'habitude en pareil cas : ils ont créé une commission qui a réuni un certain nombre d'experts de façon à savoir ce qu'il faudrait faire pour bien décentraliser.

Je ne rappellerai pas à Monsieur Yamasaki, qu'en 1976, c'est ce que nous avons fait pour une décentralisation qui a abouti en 1982 et qu'aujourd'hui nous nous posons nous aussi le problème d'une deuxième vague de la décentralisation. Nous venons de créer une nouvelle commission de la décentralisation présidée par l'un de ceux qui avait fait la première, à savoir Monsieur Pierre Mauroy, ancien Premier ministre et aujourd'hui sénateur.

D'autre part, ces commissions débouchent sur des « trains législatifs » tout à fait globaux et là, nous nous séparons très nettement d'autres pays, comme notamment les pays anglo-saxons pour ne pas les nommer qui, eux, procèdent de façon beaucoup plus pragmatique.

Nous, nous faisons de grandes lois, nous essayons de tout régler en une seule fois. Il est amusant aussi de rappeler que la loi de 1999 qui vient d'être votée au Japon modifie d'un seul coup 475 lois, si je ne me trompe pas, ce qui montre à la fois la minutie, le systématisme et la volonté politique qui sont derrière.

Parmi les traits de l'organisation administrative japonaise et française qui me paraissent illustrer cette communauté d'inspiration, j'en relèverai quelques-uns :

Le souci de péréquation, d'abord, souligné ce matin par Monsieur Jinno. C'est l'idée, au fond, que nous voulons bien la liberté, mais que nous sommes aussi très attachés à l'égalité ; nous voulons que toutes les collectivités aient les moyens de réagir à peu près dans les mêmes conditions, quelle que soit la richesse de leur environnement.

Autre idée intéressante et qui est encore aujourd'hui en débat : ce que l'on appelle le « dédoublement fonctionnel ». Les gouverneurs au Japon sont élus, et même au suffrage universel direct. Les maires, les présidents de conseils généraux et régionaux sont élus également en France, s'ils sont d'abord les exécutifs des collectivités territoriales, ils sont également représentants de l'Etat, et à ce titre, ils sont amenés à appliquer un certain nombre de politiques nationales. On verra que les Japonais ont considéré que cette situation devait changer. Ce n'est pas tout à fait ce que nous faisons pour notre part.

Troisième idée : c'est une certaine stabilité des structures appelons-les régionales, puisque Monsieur de Bruycker nous a donné l'autorisation de nommer ainsi des choses très différentes. Les 47 préfectures qui ont servi au transfert de pouvoir celles qui ont "des faux préfets", des gouverneurs élus, des gouverneurs un peu à l'américaine, ces 47 circonscriptions n'ont pas bougé. Depuis le XIX e siècle, c'est peut-être un des défis communs auxquels nous sommes confrontés, c'est d'avoir nous aussi des circonscriptions dont on peut se demander si elles sont adaptées à une action suffisamment globale.

Deux derniers traits communs : le premier, c'est l'idée qu'entre les deuxièmes niveaux, c'est-à-dire entre les régions, les collectivités intermédiaires et les communes, il n'y a pas, ni au Japon ni en France, de hiérarchie. Ceci est une grande différence par rapport à certains pays que l'on présente comme très décentralisés, comme l'Allemagne qui sont en fait des pays où les niveaux sont hiérarchisés, l'un dépendant étroitement de l'autre. C'est peut-être un avantage, en tout cas en terme de démocratie.

En second lieu, nous avons assisté à des débats qu'on aurait cru très français, très franco-français, à propos du mode d'alimentation des budgets locaux et j'ai enregistré avec plaisir, à un moment où nous Français nous commençons à remettre en cause ce principe, que finalement les Japonais ne concevaient pas l'autonomie territoriale, l'autonomie des collectivités locales, sans des impôts locaux sur lesquels les élus auraient une réelle capacité de décision.

Il y a bien sûr aussi des différences et, si vous le voulez bien, je distinguerai trois catégories de différences, trois lieux de différences. D'abord, c'est au niveau de l'organisation des communes. C'est un élément du paysage qui peut faciliter un certain nombre de coopérations. C'est ensuite le problème des compétences, autrement dit la « quantité d'autonomie » et, enfin, la qualité de l'autonomie, c'est-à-dire la réalité du pouvoir de décision des élus, tout ceci étant dit à grands traits et en priant tous ceux qui seraient plus compétents que moi de m'excuser si je commets une inexactitude.

En ce qui concerne les communes, il y a là une différence importante entre la France et le Japon. Les Japonais ont fait ce que nous n'avons jamais osé ni voulu faire profondément, c'est-à-dire réduire le nombre de nos communes. Les Japonais partaient d'ailleurs de beaucoup plus loin, puisqu'en 1883 il y avait plus de 70 000 communes au Japon, et qu'ensuite elles sont très vite tombées à 15 000 à la fin du XIX e siècle et qu'elles sont 3 500 depuis 1960, alors que nous-mêmes en avons dix fois plus. Je ne porte pas de jugement sur ce point, mais il y a là une volonté de rationalisation, qui est peut-être supérieure à la nôtre.

Deuxième différence, il me semble que les Japonais sont peut-être plus réalistes que nous, dans le fait qu'ils acceptent la diversité de statuts et de compétences, et ceci en fonction de l'importance des communes ; vous trouverez dans le numéro 34 de l'excellente publication que produit le CLAIR qui vous a été distribuée, un inventaire des différentes catégories de communes. Vous verrez que, suivant la population, elles ont plus ou moins de compétences et certaines villes ont les mêmes compétences qu'un département. C'est une des exceptions françaises que de ne pas faire ce qui se passe assez couramment, comme notamment en Allemagne ; lorsque les villes sont grandes, il est parfois difficile de superposer au même endroit une grande ville et un département.

Enfin, c'est le développement de la coopération. Vous me direz quand on a 36 000 communes, on est plus incité à coopérer que quand on n'en a « que » 3 500. La France à cet égard, adopte une stratégie que l'on pourrait appeler de contournement, c'est-à-dire qui consiste de façon incitative, suivant différents moyens, à arriver à une certaine rationalisation du paysage.

Je constate que je me mets à parler comme les technocrates dont a parlé Monsieur Portelli tout à l'heure ! Il reste que nous assistons en France à une explosion de cette coopération, dont Madame Tulard pourrait parler beaucoup mieux que moi, mais qui, en raison de la diversité des formules proposées, est en train d'ajouter de la complexité à notre paysage puisque tout cela se passe au niveau intra-départemental. Au Japon cette coopération est annoncée, mais n'est encore qu'esquissée.

Troisième point, c'est le contenu de l'autonomie, c'est-à-dire les compétences et les moyens de les exercer. D'abord, je voudrais rappeler ce qui a été dit à un moment de la matinée, à savoir que dans ce pays - je parle du Japon - qui n'est paraît-il pas décentralisé, ou pas suffisamment, la part des budgets locaux est supérieure au budget de l'Etat, ce qui le met dans une position que ne connaissent que très peu de pays européens, à vrai dire moins que les doigts d'une main et encore.

Ceci étant, je voudrais tout de même nuancer ce qui a été dit, lorsque dans le petit tableau qui a été distribué, la part des budgets locaux français paraît faible. En fait, vous savez que l'un des effets de la décentralisation, c'est qu'en l'espace d'une vingtaine d'années, les budgets locaux sont arrivés maintenant au niveau de la moitié du budget de l'Etat, ce qui n'est pas si mal, c'est-à-dire un tiers des budgets publics.

Deuxième chose encore plus significative, c'est la part du personnel employé par les collectivités locales japonaises et la part employée par les collectivités françaises. A cet égard, la part du personnel local est infiniment supérieure à la part se trouvant au niveau national, et les Français qui m'écoutent, qui sont pour beaucoup des chefs d'entreprise, comprendront très bien que la décentralisation ne peut pas coexister avec une administration centrale très importante. C'est un point capital qui me fait dire à nos amis japonais qu'ils ne sont pas aussi peu décentralisés qu'ils nous le disent. L'herbe est toujours plus verte dans le pré d'à côté, c'est bien connu, mais ceci dans un contexte de moindre administration que la France.

La part des compétences se trouve beaucoup plus grande, mais là, c'est parce que nous avons un système, qu'il est utile de connaître si l'on veut s'implanter au Japon, dans lequel l'éducation est, quasi totalement, de la responsabilité des collectivités territoriales et, en particulier, des préfectures. La police est aussi une responsabilité des préfectures. Si bien qu'en masse, entre les enseignants et les policiers, on a une partie de l'explication de la différence de situation.

Là où les différences existent aussi, mais peut-être dans l'autre sens (jusqu'à présent, j'ai plutôt parlé pour le Japon, là je nuancerai un peu à l'avantage de la France) en disant que la qualité de la décentralisation est peut-être momentanément supérieure en France, dans la mesure où, pour l'exercice des compétences, les collectivités locales et, en particulier, les exécutifs locaux ont, au moins théoriquement, plus d'autonomie.

On avait coutume de dire au Japon jusqu'à la deuxième décentralisation de 1999, que les préfectures passaient, je crois, 70 % de leur temps à gérer des affaires d'Etat et les communes 30 ou 40 % de ce même temps. C'est parce qu'il existait au Japon et il existe toujours des compétences dites déléguées que les communes étaient obligées d'accomplir tellement au nom de l'Etat et suivant les directives de l'Etat.

On ne trouve à ce point ce genre de situation en Europe que dans les pays qui viennent de sortir du système dit socialiste ou communiste. L'un des axes de travail du Conseil de l'Europe, c'est de bien montrer que les compétences déléguées doivent être réduites le plus possible, et c'est le sens de la réforme qui vient d'être votée à Tokyo.

En ce qui concerne le contrôle, je crois que Monsieur Portelli nous a tout dit. Nous avons un système de contrôle très léger, au moins en théorie, puisqu'il n'y a pratiquement plus aucun contrôle sauf juridictionnel. Je crois cependant que nous sommes en train de commencer à vivre une nouvelle phase, à travers la multiplication des contrôles financiers et juridictionnels. Si l'on s'en tient cependant à notre belle construction juridique, nous avons de ce point de vue-là, un avantage comparatif, y compris avec nos voisins européens.

Enfin, au niveau du pouvoir local, il faut savoir à qui on s'adresse lorsqu'on veut s'implanter. Je crois qu'il y a une différence très importante entre le Japon et la France, c'est que la France a un système d'autonomie locale ou régionale qui privilégie l'exécutif. C'est dire qu'une des questions, cela a été dit ce matin, que l'on pourrait poser à notre décentralisation, c'est "quelle place, quel avantage présente-t-elle pour le citoyen en termes de démocratie ?". On sait aujourd'hui que ceux qui la critiquent, portent volontiers le fer à ce niveau-là. Le Japon, de son côté, a des institutions inspirées théoriquement des Etats-Unis, mais qui, au niveau local, ressemblent beaucoup à la Grande-Bretagne, il y a un système de type parlementaire, avec un gouverneur qui est élu au suffrage direct et une assemblée qui est elle-même élue au suffrage direct. Le gouverneur peut dissoudre l'assemblée, l'assemblée peut renverser le gouverneur et cela peut d'ailleurs aller très loin puisque les fonctionnaires eux-mêmes peuvent être révoqués à la suite d'initiatives populaires.

Je dirais qu'il y a des avantages des deux côtés. Il existe en tout cas les éléments d'un dialogue plus qu'intéressant, car même s'il y a entre nous très certainement, comme l'a rappelé Monsieur Yamasaki, des différences irréductibles, il y a des éléments de compréhension incontestables, puisqu'on est à peu près d'accord sur la manière de construire les sociétés ou les institutions et qu'après c'est une question de dosage.

Pour finir, je voudrais ouvrir quelques débats qui me sont apparus à la lumière des exposés.

Je ne voudrais pas faire un part trop congrue à l'économie, et c'est maintenant que je voudrais en parler un petit peu, de façon très modeste, en montrant les interactions entre les deux parties de ce matin.

D'abord, je crois que la question institutionnelle est dominée aujourd'hui par les difficultés financières des deux Etats. Il y a sans aucun doute une différence de degré temporaire, mais il n'y a pas de différence de nature. La vraie question est de savoir comment les institutions de la France et du Japon vont faire face à ce besoin de « dégraissage global » qui leur est imposé de l'extérieur, et comment, surtout, elles vont parvenir à ce dégraissage sans mettre à mal la fameuse autonomie locale et régionale qui est tout de même le sujet principal.

C'est là que gisent tous les débats sur la fiscalité qui ont été esquissés tout à l'heure et auquel nos amis japonais ont contribué, notamment par Monsieur le Ministre conseiller, en fin de matinée.

Le deuxième point, c'est le débat sur la dimension des collectivités locales. Ce point a été peu souligné, mais il y a peut-être, tout de même, en dépit de la relative exiguïté du pays, certainement un problème de coopération entre les préfectures elles-mêmes. Quel est le niveau pertinent d'action économique décentralisée ? Est-ce que c'est la préfecture ou est-ce que c'est un autre niveau ? Nous connaissons ce débat en France et nous ne l'avons pas tranché.

Il y a une autre question qui est de savoir jusqu'à quel point on peut clarifier ce qui relève de l'Etat et ce qui relève des collectivités locales. J'ai tendance à penser, - le côté de mon esprit, disons « institutionnel » ou « français » si vous préférez -, que cela serait tellement bien si tout était écrit et qu'on sache où l'on va chaque fois qu'on pousse une porte. Mais depuis que j'ai entendu les interventions des économistes et des chefs d'entreprise, je me dit qu'au fond, la diversité et le pragmatisme ne sont sûrement pas si mauvais.

Cette cascade institutionnelle dont vous parliez, Madame, qui laisse la part au hasard et à l'initiative, n'est peut-être pas si mauvaise. En tout cas, nous ne sommes certainement plus au moment de la construction des grandes cathédrales et encore moins des cathédrales institutionnelles.

Troisième réflexion : la rencontre des activités locales et de l'économie, à travers certainement l'aide aux entreprises mais encore plus à travers la gestion des services publics locaux. A cet égard, il me semble que le Japon et la France se ressemblent, car il y a une multiplicité d'entreprises de services publics au niveau local qui sont foisonnantes et qui sont, comme l'a très bien montré Madame Tulard, à la frontière entre le privé et le public. Si je devais souligner une différence entre la France et le Japon, c'est que la séparation entre le privé et le public chez nous conserve de l'importance alors qu'au Japon elle est un peu moins visible. Au fond nous sommes, les uns et les autres, dans des sociétés de transition.

Enfin, et dernière chose, nous sommes deux pays réputés pour nos jardins. Il y a le jardin à la française et le jardin à la japonaise. Ils se distinguent tous les deux du jardin anglais par leur côté rationnel, organisé, pensé et symbolique. Parfois, j'ai eu l'impression que nous regardions alternativement dans le jardin du voisin, en disant : "Oh la la! mais qu'est-ce qu'il est mieux, de ce côté c'est extrêmement enviable, on devrait faire pareil".

Je crois que l'époque du jardin rationnel est passée, et que le temps du pragmatisme, du hasard et surtout de la volonté individuelle est arrivée. Je crois que la meilleure réponse, la meilleure illustration, c'est pour ça d'ailleurs que nous lui avions demandé de conclure, a été donnée par Madame Ducottet, qui préside la société Thuasne. Elle nous a dit que tout avait dépendu d'elle, de quelques élus et de « quelques rencontres intelligentes ». Je crois, en regardant l'assistance, que cela a sans doute été encore le cas aujourd'hui.

Merci.

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