Actes du colloque Vive la Loi


Réaction du témoin

M. Pierre FAUCHON, Sénateur

L'importance des travaux périphériques élaborés par le Parlement, qu'a évoquée M. Karpik, doit être soulignée, compte tenu de la qualité de ces rapports. Ces travaux sont d'ailleurs de plus en plus connus grâce à leur diffusion sur Internet, ce qui favorise la réflexion la plus large et participe ainsi de la démocratie. Nous devons d'ailleurs rendre hommage aux administrateurs du Sénat et de l'Assemblée nationale qui sont pour beaucoup dans la qualité de ces travaux, en parvenant à les placer à bonne distance des engagements politiques et à bonne proximité du terrain.

Les différents exposés ont par ailleurs souvent conduit à constater une certaine impuissance du droit et de la loi. Ainsi, lorsque, dans le domaine des moeurs, il n'y a plus guère de corps de convictions auquel tout le monde adhère et d'autorité qui s'impose à chacun, le législateur est contraint de dégager des principes qui relèvent davantage de la sagesse que de la loi, en évitant de s'intégrer à aucune doctrine préconçue, qui serait l'expression de la volonté de quelques-uns et non l'expression de la volonté générale. Il est donc vrai que le législateur tâtonne, même si le résultat n'apparaît pas si négatif, au regard des lois successives sur le divorce, par exemple.

Dans le domaine des technologies avancées, la technoscience semble également mener les débats. Le législateur se sent cependant démuni devant tant d'interrogations sans réponse, en l'absence de religion ou de doctrine bien établie pour le guider. Dans nos démocraties, la conviction de l'un ne l'emporte pas automatiquement sur la conviction de l'autre. Une certaine opinion peut être confortée par une majorité à un moment donné, mais pourra être démentie par une nouvelle majorité, en vertu de la règle de l'alternance qui caractérise les démocraties.

Dans le domaine du travail, enfin, la loi n'apparaît pas très puissante, mais elle ne prétend pas à ce statut, préférant laisser toute sa place au contrat. Dans tous les cas où cela est possible, le contrat est nettement préférable à la loi, celle-ci devant encourager les partenaires sociaux à s'entendre entre eux. La loi ne peut cependant se faire discrète que si les partenaires sociaux se montrent forts et sont davantage suivis par leurs troupes qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Il est cependant des domaines où la puissance de la loi est indéniable, tels qu'en droit public, par exemple, où la loi est fortement encadrée par l'action du Conseil constitutionnel, ou dans le cadre de la construction européenne, où la loi a permis de créer en quelques décennies l'union de nombreux pays, fait sans précédent depuis la fondation des Etats-Unis, alors que les empires se sont toujours construits par le sabre et le feu. En droit pénal, la modification de la loi sur la responsabilité, qui a réduit le champ de la responsabilité pénale, a modifié profondément la jurisprudence relative à l'action des maires, aux activités de loisirs des enseignants, à l'action des chefs d'entreprise en matière d'accident du travail, etc. L'efficacité de la loi demeure donc effective dans de nombreux domaines.

En matière environnementale, enfin, il est difficile de trouver une voie médiane entre ceux qui craignent qu'une rédaction trop générale de la loi conduise à interdire à peu près toute nouvelle activité, car elle engendrerait nécessairement des risques, et ceux qui s'insurgent contre le rejet de l'inscription du principe de précaution, qui serait la source de dangers certains.

De manière plus générale, Mme Kristeva a souligné le fait que l'être humain avait besoin d'être encadré par des lois, à condition toutefois que ces lois soient ressenties comme justes. Or le législateur a sans doute des efforts à accomplir pour permettre aux normes qu'il édicte d'être mieux comprises. Pour cela, il doit faire en sorte, d'une part, que les lois soient au plus proche de la réalité - d'où l'importance des enquêtes, des commissions et des rapports - et d'autre part, qu'elles soient compréhensibles, tant du point de vue des termes employés que du sens qui leur est donné, qui doit être reconnu comme porteur de vérité. Il nous faut donc aujourd'hui développer l'explication et la communication des lois, afin de soutenir la démocratie vivante.

M. Jean-Paul DELEVOYE

De même qu'Antigone affirmait que les lois non écrites sont supérieures aux lois écrites, on peut se demander si l'affaiblissement de la conscience individuelle de nos concitoyens et le déplacement de leur lecture de l'interdit ne contribuent pas à susciter des exigences erronées à l'égard de la loi. Celle-ci ne saurait en effet en aucun cas compenser le recul des vertus individuelles. Cette problématique doit nous amener à la réflexion, mais aussi nous conduire à changer certaines pratiques politiques, qui tendent à donner davantage de force aux opinions qu'aux convictions. Si d'aucuns considèrent qu'une loi est juste lorsque les sondages semblent l'accréditer et une autre est injuste lorsqu'elle fait l'objet des critiques d'une majorité, il convient de redonner toute sa place au temps long et se départir de la pression de l'urgence, de la médiatisation ou de la passion. A l'instar des scientifiques, les responsables politiques doivent savoir prendre le recul nécessaire à la réflexion et garder le cap qu'ils se sont fixé.

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