VI. DÉBATS SÉNAT PREMIÈRE LECTURE DU 24 NOVEMBRE 2010

Article 41

Mme la présidente. « Art. 41. - I. - La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique est ainsi modifiée :

1° Le premier alinéa de l'article 40 est complété par les mots : «, à l'exception des droits de plaidoirie » ;

2° Au premier alinéa de l'article 44, les mots : « d'amendes ou de condamnations pécuniaires » sont remplacés par les mots : « de créances étrangères à l'impôt et au domaine » ;

(nouveau) Le début du deuxième alinéa de l'article 50 est ainsi rédigé :

« Il est retiré, en tout ... (le reste sans changement) . » ;

(nouveau) L'article 51 est ainsi modifié :

a) Le début du deuxième alinéa est ainsi rédigé : « Dans les cas mentionnés aux 1° et 2° de l'article 50, le retrait est prononcé par le... (le reste sans changement) . »

b) Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l'aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive, la juridiction saisie prononce le retrait total de l'aide juridictionnelle. »

II. - Le I entre en vigueur le 1 er janvier 2011 et est applicable en Polynésie française.

III. - Au IV de l'article 1090 C du code général des impôts, le mot : « judiciaire » est remplacé par le mot : « juridictionnelle » et les mots : « d'amendes ou de condamnations pécuniaires » sont remplacés par les mots : « de créances étrangères à l'impôt et au domaine ».

IV. - L'article L. 723-4 du code de la sécurité sociale est abrogé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, sur l'article.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. L'article dont nous discutons à présent prévoit d'instaurer une participation financière sous la forme de l'avance par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle des droits de plaidoirie dus à son avocat.

En demandant au justiciable de faire l'avance du montant de droits de plaidoirie de 8,84 euros dû à son avocat, cette disposition répond à un double objectif du Gouvernement, que les membres du groupe UMP et moi-même soutenons.

Il s'agit, d'une part, de réduire les dépenses d'intervention. En effet, l'exclusion des droits de plaidoirie des frais couverts par l'aide juridictionnelle devrait entraîner une économie de 5,2 millions d'euros en année pleine. Il s'agit, d'autre part, de participer à la « responsabilisation » des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle en limitant certaines demandes liées à des recours infondés.

Ce dispositif présente des garanties de plusieurs ordres, dont nous nous réjouissons, et que je tiens à souligner.

Premièrement, les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle pourront récupérer la somme sur la partie perdante au procès, ce qui est important.

Deuxièmement, le champ d'application de cette disposition est strictement circonscrit. En effet, si ce droit est dû pour toute audience de plaidoirie devant les juridictions administratives de droit commun et de l'ordre judiciaire, il ne le sera pas devant les autres juridictions, notamment celles qui statuent en matière prud'homale, en matière de contentieux de la sécurité sociale ou de contentieux électoral.

Troisièmement, cette pratique n'est pas révolutionnaire pour les avocats. La loi du 10 juillet 1991 permet d'ores et déjà aux avocats de solliciter de leur client bénéficiaire d'une aide juridictionnelle partielle un complément d'honoraires librement négociable, ce qui s'applique à près de 100 000 dossiers par an.

Pour autant, monsieur le ministre, nous tenons à être rassurés sur plusieurs points.

Tout d'abord, si le client refuse de payer la somme de 8,84 euros, quels sont les moyens dont disposent les avocats pour recouvrir cette somme, qui, je tiens à le rappeler, participe au financement de leurs retraites ?

De plus, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que ces droits de plaidoirie, jusqu'à présent payés par l'État, représentent une part suffisamment réduite du financement de la Caisse nationale des barreaux français et ne sont donc pas de nature à mettre en péril le financement du régime de retraite de base des avocats ?

Enfin, pouvez-vous nous affirmer, monsieur le ministre, qu'en matière pénale ce dispositif ne concernera pas les juridictions d'instruction ?

Par ailleurs, je tiens à saluer les efforts de l'État pour améliorer le recouvrement des dépenses d'aide juridictionnelle de l'ordre de 13 millions d'euros.

Enfin, le précédent garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie, s'était engagé à ce que, une fois la réforme de la garde à vue définitivement votée par le Parlement, l'enveloppe des crédits à consacrer à la garde à vue soit portée de 15 millions à 80 millions d'euros. Nous souhaiterions être rassurés quant à la continuité de cet engagement qui nous apparaît essentiel.

Mme la présidente. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° I-164 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L'amendement n° I-269 rectifié est présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste et apparentés.

L'amendement n° I-349 est présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° I-164

Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, je défendrai en même temps les amendements n os I-164 et I-165, qui ont le même objet puisqu'ils portent sur la prise en charge par l'État du droit de plaidoirie. Cela devrait justifier la longueur de mon intervention sur un sujet important qui mérite, en effet, que l'on s'y arrête quelques minutes.

Nous souhaitons, par l'amendement n° I-164, supprimer l'article 41 en ce qu'il constitue une grave régression dans la conception française de l'accès au droit, notamment du droit à la défense, et une atteinte fondamentale au droit de toute personne de bénéficier de l'aide juridictionnelle totale.

Cet article vise en effet à supprimer la prise en charge par l'État du droit dû par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle à son avocat pour chaque plaidoirie.

Ce droit de plaidoirie, d'un montant de 8,84 euros, sera donc payé à l'avocat par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle.

La première conséquence de cette disposition est simple : il n'y aura plus, en France, d'aide juridictionnelle totale, puisqu'une partie des dépenses d'instances seront prises en charge par le bénéficiaire.

La deuxième conséquence, qui est tout aussi fâcheuse, doit être évaluée à la lueur de la pratique des avocats qui accueillent les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle : ces dispositions ont pour effet d'opérer un transfert de charge vers les avocats de ce droit de plaidoirie, sans aucune évaluation concrète de l'incidence de ce transfert de charges sur l'exercice même de la profession d'avocat.

En effet, devant les difficultés matérielles rencontrées par les avocats pour recouvrer ce droit, notamment dans le cadre de procédures d'urgence ou en matière de procédure pénale, il est à craindre que les avocats ne puissent jamais le récupérer.

Imaginez un avocat, en comparution immédiate, demander à son client, qu'il rencontre trois minutes avant l'audience, le paiement de 8,84 euros avant de faire sa plaidoirie ! C'est absolument ridicule, voire humiliant pour l'avocat comme pour le client !

Le principe de l'aide juridictionnelle totale est justement l'absence de transaction entre le client et son avocat : nous parlons là de clients qui sont souvent dans une grande précarité ; leur demander de payer un droit de 8,84 euros nous semble relever d'une telle absurdité que, dans la pratique, les avocats renonceront à recouvrer ce droit.

La troisième conséquence réside dans l'affectation du droit de plaidoirie payé à l'avocat.

L'effet pervers de cette disposition réside également dans le fait qu'en réalité ce droit qui est perçu par les avocats et qui leur permet de financer leur retraite est reversé directement à la Caisse nationale des barreaux de France, la caisse de prévoyance et de retraite des avocats.

Ce seront avant tout les avocats qui défendent les personnes les plus démunies qui subiront l'injustice d'une telle disposition. On le sait, ces avocats ne sont pas les plus fortunés : en effet, ce ne sont pas les gros cabinets d'affaires qui s'occupent de ces personnes. Leur engagement est inversement proportionnel à leur portefeuille et il est absolument injuste de leur demander une telle contribution.

J'ajoute que la philosophie qui sous-tend cette disposition est celle du refus du Gouvernement de tirer toutes les conséquences des récentes décisions de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l'homme concernant la garde à vue.

Nous le savons, le système actuel de l'aide juridictionnelle ne permettra pas, sans une réforme financière profonde, d'assumer les coûts liés à la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue, telle qu'elle est envisagée dans le projet de réforme de la garde à vue présenté à l'Assemblée nationale.

Le Gouvernement doit donc trouver des fonds pour financer l'aide juridictionnelle, qui risque d'exploser une fois le texte adopté.

Au lieu de présenter un financement spécifique de l'aide juridictionnel dans le cadre du budget pour 2011, prenant en compte la réforme à venir, le Gouvernement s'en sort en faisant peser sur les avocats la nécessaire augmentation du budget de l'aide juridictionnelle !

Il s'agit donc d'une disposition non seulement injuste pour les personnes directement concernées qui n'ont parfois même pas les moyens de payer ces 8,84 euros, mais également pernicieuse, puisque les bénéfices que le Gouvernement entend en tirer serviront à financer l'appel d'air que va créer la réforme de la garde à vue, et tout cela sans concertation ni association du Conseil national des barreaux.

Je vous renvoie à ce sujet aux résolutions adoptées les 19 et 20 novembre par le Conseil national des barreaux qui en disent long sur la position de la profession sur cette question.

Par l'amendement n° I-164, nous vous proposons donc de supprimer l'article 41, en attendant une réforme plus globale de l'aide juridictionnelle, nécessaire au regard notamment des récentes décisions de la Cour de cassation concernant la conformité de notre système de garde à vue à la Convention européenne des droits de l'homme.

Enfin, je souligne que cet article ouvre une brèche dans un droit fondamental qui est le droit de la défense.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour défendre l'amendement n° I-269 rectifié

Mme Nicole Bricq. Je ne reprendrai pas les arguments de nature juridique présentés par Mme Boumediene-Thiery, auxquels nous souscrivons.

Il fallait oser introduire une mesure qui consiste à mettre à la charge des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle un ticket modérateur dans le projet de loi de finances pour 2011 ! Si ces personnes sollicitent l'aide juridictionnelle, ce n'est pas pour commettre un abus de droit, mais parce que, étant en situation de précarité ou de pauvreté, elles n'ont pas les moyens de se payer un avocat.

Tout cela pour obtenir une recette estimée en année pleine à 5,2 millions d'euros dans le meilleur des cas, alors qu'on laisse proliférer dans ce projet de loi de finances, comme dans tous ceux qui l'ont précédé depuis une dizaine d'années, des niches fiscales, sans parler du bouclier du bouclier fiscal !

Je ne rappellerai pas les douze amendements que nous avons proposés dans ce projet de loi de finances pour en finir avec ces exonérations coûteuses, improductives, anti-sociales, dont le coût se chiffre à des dizaines de milliards d'euros. Avec cet article, on taxe les plus faibles de nos concitoyens.

Je ne pensais pas que vous oseriez faire cela !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Eh si !

Mme Nicole Bricq. L'Assemblée nationale a osé le faire, le Gouvernement a donné son accord et je pressens que le rapporteur général ne va pas accepter nos amendements de suppression.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Vous pressentez bien !

Mme Nicole Bricq. Sans compter qu'il est effectivement habile de transférer la charge des frais de plaidoirie entièrement à la profession des avocats !

Franchement, il est indigne de proposer une telle mesure dans ce projet de loi de finances.

M. Daniel Raoul. C'est indécent !

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour défendre l'amendement n° I-349:

M. Thierry Foucaud. Comme mes deux collègues précédentes, je suis scandalisé par cette mesure, car on ne peut ignorer que 90 % des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle le sont au titre d'une aide totale, pour la simple et bonne raison qu'ils gagnent moins de 950 euros par mois.

Et vous ne voulez pas supprimer le bouclier fiscal, qui rapporte au minimum 30 millions d'euros par an à Mme Bettencourt, laquelle ne sait même pas combien elle gagne : voilà le véritable scandale ! Je ne vais pas aller plus avant, car mes collègues ont déjà développé un certain nombre d'arguments, que je fais miens.

Pour ce qui le concerne, le groupe CRC-SPG souhaite bien évidemment garantir à une France qui ne cesse d'ailleurs de s'appauvrir le droit de se défendre : c'est la moindre des choses que l'on puisse attendre d'un État de droit. Nous demandons donc la suppression de cet article.

Mme la présidente. Pour la clarté des débats, j'appelle maintenant en discussion les amendements n os I-384 et I-165, qui font l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° I-384, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

I. - Alinéas 2 et 3

Supprimer ces alinéas.

II. - Alinéas 11 et 12

Supprimer ces alinéas.

III. - Pour compenser la perte de recettes résultant des I et II ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - La perte de recettes résultant pour l'État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Cet amendement est similaire à ceux qui viennent d'être présentés.

L'article 41 du projet de loi de finances pour 2011 supprime la prise en charge par l'État du droit dû par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle à son avocat pour chaque plaidoirie ou représentation des parties aux audiences de jugement. Ce droit s'élève actuellement à 8,84 euros.

Par cette disposition, le Gouvernement entend instaurer une participation financière afin de sensibiliser les justiciables au coût de l'aide juridictionnelle et de limiter les recours abusifs.

La suppression de l'intervention de l'État aura pour conséquence d'obliger le justiciable admis à l'aide juridictionnelle à faire l'avance du montant du droit de plaidoirie dû à son avocat.

De cette situation, découlera un certain nombre de problèmes.

D'une part, il sera matériellement difficile pour les avocats, notamment dans le cadre de la défense d'urgence, de récupérer le montant du droit de plaidoirie pour chaque mission d'assistance auprès du justiciable.

D'autre part, un justiciable admis à l'aide juridictionnelle est libre de renoncer à son action, notamment lorsqu'il est en demande. Cette possibilité de retrait rend impossible la mise en oeuvre d'un dispositif faisant du paiement du droit de plaidoirie une condition préalable à l'obtention de l'aide juridictionnelle.

Enfin, la proposition consistant à faire des bureaux de l'aide juridictionnelle les percepteurs du droit de plaidoirie ne saurait raisonnablement être acceptée. Ces bureaux ne sont en effet pas organisés pour percevoir ou redistribuer des fonds.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de ce dispositif.

Mme la présidente. L'amendement n° I-165, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Alinéas 2 et 11

Supprimer ces alinéas.

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l'avis de la commission sur ces cinq amendements ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mes chers collègues, dans mon rapport écrit, auquel je vous renvoie, je rappelle que moins de 350 000 admissions à l'aide juridictionnelle étaient dénombrées en 1991. En 2009, ce chiffre s'élevait à plus de 900 000 !

En tant que rapporteur spécial de la mission « Justice », notre collègue Roland du Luart s'intéresse depuis des années à ce sujet. Si l'article 41 nous est soumis aujourd'hui, c'est en partie grâce aux propositions de la commission des finances du Sénat. Dans un rapport que nous avons approuvé en son temps, notre collègue indiquait : « Chaque président de bureau d'aide juridictionnelle semble être en mesure de livrer quelques anecdotes concernant des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle multipliant les actions en justice d'autant plus aisément qu'ils finissent par acquérir une parfaite connaissance de l'appareil judiciaire et disposent d'un «droit de tirage» illimité en matière d'aide juridictionnelle. »

Il faut ramener les choses à leur juste proportion : l'instauration d'un ticket modérateur rapporterait environ 4 millions d'euros, alors que le budget de l'aide juridictionnelle s'élève en 2011 à 285 millions d'euros.

Cela dit, monsieur le ministre, des questions justifiées ont été posées, en particulier par notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx dans son intervention sur l'article. En ce qui concerne le paiement du ticket modérateur, dont le montant est d'environ 8 euros par cause défendue, l'avocat va devoir se retourner vis-à-vis de son client, qui doit s'en acquitter. Le Gouvernement pourrait-il nous exposer les conditions pratiques de la mise en place de cette réforme ?

Mes chers collègues, la commission est donc hostile aux amendements de suppression.

M. Bernard Frimat. C'est malheureux : on fait les poches des contribuables, alors qu'on fait cadeau de milliards d'euros à Mme Bettencourt et consorts...

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre. Madame Des Esgaulx, vous avez parfaitement rappelé l'esprit des dispositions que le Gouvernement souhaite prendre pour rationaliser l'aide juridictionnelle.

Nous voulons responsabiliser les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle en prévoyant une participation minimale de 8,84 euros au droit de plaidoirie pour tous les justiciables, pour mettre fin à certains abus : le budget de la justice n'a pas à soutenir des procédures dilatoires ou abusives qui nuisent à son propre fonctionnement.

L'Assemblée nationale, notamment Mme Marland-Militello, a eu une approche très constructive en complétant et en améliorant le texte du Gouvernement dans ce même esprit.

Pour ces raisons, le Gouvernement est évidemment défavorable aux amendements qui reviennent sur ces évolutions nécessaires.

Madame la sénatrice, je veux néanmoins vous rassurer sur les points que vous avez soulevés.

En ce qui concerne les moyens dont disposent les avocats lorsque le client refuse de payer la somme de 8,84 euros, vous avez rappelé qu'ils ont déjà l'habitude de recouvrer directement des sommes auprès des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle. La procédure ne sera pas différente et les avocats pourront demander l'avance de cette participation aux droits de plaidoirie avant d'engager les différentes procédures. Par ailleurs, cette somme est incluse dans la liste des dépens mis à la charge de la partie perdante.

Sur le montant de ces droits et le financement de la Caisse nationale des barreaux français, je dirai que les droits de plaidoirie payés par l'État ne représentent que 3,6 % du financement du régime de retraite de base des avocats. Il s'agit donc d'une part symbolique, qui ne remet évidemment pas en cause le financement du régime de retraite de base des avocats.

Quant au champ d'application de ce dispositif, je vous confirme qu'il ne s'applique pas, en matière pénale, aux juridictions d'instruction.

Enfin, je peux vous assurer que le Gouvernement s'est budgétairement engagé, à hauteur de 80 millions d'euros, à financer la réforme de la garde à vue, qui fait partie des objectifs et des éléments de l'encadrement budgétaire.

Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je voudrais réagir aux propos qui viennent d'être tenus. Il est tout de même un peu facile de donner l'impression que l'augmentation du nombre de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle n'est due qu'à des abus, même s'il y en a peut-être.

Vous avez l'air d'ignorer que de plus en plus de personnes précaires, de chômeurs ou d'exclus se retrouvent devant la justice. En leur ôtant le droit à la défense, nous violons des principes fondamentaux.

Par ailleurs, comme la Conférence des bâtonniers et plusieurs syndicats d'avocats l'ont fait remarquer, une telle disposition est indigne et témoigne d'un mépris total non seulement des droits de la défense, mais aussi du métier d'avocat.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Moi qui suis très hostile au bouclier fiscal, j'estime qu'on ne peut tout de même pas dresser un parallèle, comme l'ont fait certains intervenants, entre l'instauration d'un modeste ticket modérateur et la portée financière, qui est - je le reconnais - tout à fait scandaleuse, du bouclier fiscal.

Pour ma part, je suis favorable à l'instauration de ce ticket modérateur, comme pour la CME et la couverture maladie universelle, car cela permettra d'éviter de nombreuses dérives : la gratuité totale aboutit bien souvent à des abus.

Mme la présidente. La parole est à M. François Marc pour explication de vote. .

M. François Marc. Monsieur le ministre, je me joins à ceux de mes collègues qui ont considéré qu'il était indécent d'essayer de récupérer 5 millions d'euros avec ce dispositif, alors que nous défendons en vain, depuis plusieurs jours, des amendements dont l'adoption aurait permis de rapporter des centaines de millions d'euros. Il est effectivement indécent de se retourner vers certains de nos concitoyens qui ont, pour 90 % d'entre eux, moins de 900 euros par mois.

Certains diront que leur demander une dizaine d'euros, ce n'est pas grand-chose. Moi qui ai participé, comme certains d'entre vous, à des commissions locales de lutte contre les exclusions, je peux vous dire que dix euros, ce n'est pas rien, c'est même parfois très significatif.

À cette occasion, j'ai pu constater à maintes reprises combien le budget d'une famille disposant de revenus de l'ordre de 600, 700 ou 800 euros est ficelé au centime près, avec l'intervention des travailleurs sociaux.

Je voudrais reprendre les chiffres cités par M. le rapporteur général et qui figurent dans son rapport : en 1991, les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle étaient au nombre de 348 000 ; aujourd'hui, ils sont un peu plus de 900 000, soit presque trois fois plus. Pourquoi ce chiffre a-t-il triplé ?

Une première explication est celle qui est avancée par les auteurs de la proposition et qui figure dans le rapport : l'augmentation du nombre de demandes s'expliquerait par le fait que se sont progressivement formés des experts ayant une parfaite connaissance de l'appareil judiciaire et le sentiment de disposer d'un droit de tirage illimité en matière d'aide juridictionnelle. Et l'on jette l'opprobre sur ces petits malins qui vont tirer le meilleur parti du dispositif.

Il existe pourtant une autre explication, mes chers collègues : le triplement du nombre de personnes qui sollicitent l'aide juridictionnelle est sans aucun doute à rapprocher de l'état de pauvreté dans lequel se trouvent aujourd'hui nombre de nos concitoyens. C'est de ce côté-là qu'il faut chercher !

Rappelez-vous la « fracture sociale », qui était l'objet d'un programme politique il y a moins d'une dizaine d'années ! Aujourd'hui, elle est loin d'avoir été comblée. Elle s'est même élargie ! Pour s'en convaincre, il suffit de regarder les statistiques de l'INSEE ou bien d'écouter le Secours populaire ou n'importe quel autre organisme qui travaille dans le secteur social et qui recense le nombre de démunis dans notre pays.

Si l'on considère le problème en termes financiers, 5 millions d'euros, je le répète, ce n'est pas beaucoup. À ceux qui nous rétorqueraient que, en ces temps de vache maigre, ce n'est déjà pas si mal, je les invite à ne pas oublier un aspect essentiel, à savoir la dimension éthique, la solidarité que nous devons à ceux de nos concitoyens qui sont aujourd'hui dans le besoin. C'est en se plaçant sur ce terrain que cet article a été jugé indécent. Cette appréciation mérite d'être partagée.

Telles sont les raisons pour lesquelles il faut adopter les trois amendements de suppression de ce dispositif tout à fait inacceptable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques n os I-164, I-269 rectifié et I-349.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° I-384.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° I-165.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 41.

(L'article 41 est adopté.)