V. RAPPORT SÉNAT N° 111 TOME III (2010-2011)

Commentaire : afin de limiter les risques de refacturation, par l'opérateur historique de télécommunications à ses concurrents, d'une partie du surcoût lié à l'IFER sur les répartiteurs de la boucle locale cuivre, le présent article propose de diminuer de 80 % le tarif applicable à chaque ligne et de diversifier l'assiette de cette composante de l'IFER.

I. L'IFER SUR LES RÉPARTITEURS PRINCIPAUX

A. LES CARACTÉRISTIQUES DE L'IMPOSITION

Ainsi qu'il a été exposé dans le commentaire de l'article 59 du présent projet de loi de finances, une nouvelle imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) a été créée dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle, introduite par l'article 2 de la loi de finances pour 2010 2 ( * ) , et de son remplacement par la contribution économique territoriale (CET). Cette nouvelle imposition répondait à un objectif de neutralisation de l'avantage fiscal , estimé à environ 1,6 milliard d'euros, et de l'effet d'aubaine dont auraient bénéficié quelques « grands gagnants » de la réforme de la TP. L'IFER est perçue par les collectivités territoriales ou leurs groupements intercommunaux à compter de 2011 3 ( * ) .

Parmi les huit composantes 4 ( * ) de l'IFER prévue à l'article 1635 0 quinquies du code général des impôts, l'article 1599 quater B du même code prévoit une imposition des répartiteurs principaux de la « boucle locale cuivre » . La boucle locale désigne la partie de la ligne téléphonique (paires de fils de cuivre) allant du répartiteur de l'opérateur jusqu'à la prise de l'abonné. Elle est ainsi définie par le 3° ter de l'article L. 32 du code des postes et des communications électroniques comme « l'installation qui relie le point de terminaison du réseau dans les locaux de l'abonné au répartiteur principal ou à toute autre installation équivalente d'un réseau de communications électroniques fixe ouvert au public ».

La boucle locale fut au coeur de l'ouverture à la concurrence du marché des communications fixes et électroniques à haut débit, puisque France Télécom, qui en est le propriétaire exclusif, a dû appliquer le principe communautaire de dégroupage de la boucle locale pour permettre à des opérateurs concurrents d'accéder directement à la sous-boucle locale, soit le tronçon qui relie l'abonné au sous-répartiteur. Les conditions techniques et financières y afférentes ont été fixées en 2000 par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

Le II de l'article 1599 quater B prévoit ainsi que l'IFER est due chaque année par le propriétaire du répartiteur principal, soit en pratique France Télécom , au 1 er janvier de l'année d'imposition. L'assiette est définie par le III en fonction du nombre de lignes en service (soit celles qui font l'objet d'un contrat) que comporte chaque répartiteur principal au 1 er janvier de l'année d'imposition.

Le tarif est de 12 euros par ligne , soit, pour les 33 millions de lignes en service fin 2009, un produit brut escompté de 408 millions d'euros en 2010. Aux termes du 2° du I de l'article 1599 bis , les bénéficiaires de ce produit à compter de 2011 sont les régions et la collectivité territoriale de Corse.

Les obligations déclaratives du propriétaire des répartiteurs principaux sont définies par le IV. France Télécom déclare ainsi, au plus tard le deuxième jour ouvré suivant le 1 er mai de l'année d'imposition, le nombre de répartiteurs principaux par région et de lignes en service que chacun comportait au 1 er janvier.

Le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties, sûretés et privilèges sont régis comme en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties.

B. LES DIFFICULTÉS CONSTATÉES

Dès le début de l'année 2010, les opérateurs alternatifs de télécommunication qui bénéficient du dégroupage ont émis la crainte que cette composante de l'IFER crée des effets induits à leur détriment, dans la mesure où France Telecom est, selon eux, susceptible de leur refacturer les coûts correspondants à l'utilisation de la boucle locale cuivre . Cette imposition pourrait donc exercer un impact sur leur situation d'exploitation, en tant que coût afférent à l'activité du marché du dégroupage.

Cette question a été abordée lors de l' « atelier de travail » sur l'IFER organisé par votre commission le 28 avril 2010 . M. Christophe Bresson, directeur fiscal de France Telecom, n'a cependant pas apporté de réponse très précise. Il a considéré que la réforme de la TP n'était pas réalisée à droit constant pour France Télécom et engendrait un surcoût 5 ( * ) , compte tenu du dynamisme des bases d'IFER sur les antennes radioélectriques comme sur la boucle locale cuivre 6 ( * ) , alors que la TP enregistrait une baisse tendancielle de 20 à 30 millions d'euros par an. Il a cependant indiqué ne pas être en mesure de répondre à la question d'une éventuelle révision du barème de tarification des opérateurs concurrents qui utilisent la boucle locale.

Il n'en demeure pas moins que cette augmentation de la pression fiscale sur l'opérateur historique accentue le risque de répercussion du coût sur la facturation de l'utilisation de la boucle locale cuivre.

C. LES CHOIX AYANT PRÉSIDÉ À LA RÉFORME PROPOSÉE

Afin de limiter les risques d'effets induits sur les opérateurs alternatifs de télécommunication tout en garantissant le produit fiscal pour les collectivités territoriales, les axes suivants ont été identifiés :

- abaisser fortement le tarif par ligne composant le répartiteur principal , afin de limiter le coût de production qui en résulte pour France Telecom et partant, les refacturations éventuelles aux opérateurs tiers ;

- élargir l'assiette de l'IFER à d'autres équipements pour minorer les risques de refacturation des coûts de production ;

- afin de faciliter la gestion, le recouvrement et le contrôle de cette composante, prévoir que celle-ci soit régie comme en matière de cotisation foncière des entreprises . Cette harmonisation est également mise en place par l'article 59 du présent projet de loi de finances pour les autres composantes de l'IFER.

Concernant la nouvelle assiette de l'IFER, plusieurs options étaient envisageables : prévoir une taxation de l'immeuble abritant le répartiteur principal, imposer le répartiteur au prorata des lignes non dégroupées, ou prévoir que la composante de l'IFER sur les répartiteurs s'applique également aux équipements du marché de la commutation auquel les concurrents de France Telecom sont moins susceptibles de recourir, soit les unités de raccordement d'abonnés et les cartes d'abonnés.

Selon le document d'évaluation préalable du présent article, la première option présentait un risque juridique important, car si la ventilation de la taxe à refacturer aux opérateurs bénéficiaires du dégroupage est effectuée actuellement suivant la répartition de la surface du bâtiment abritant les répartiteurs principaux, il n'est pas certain que cette analyse puisse être validée en cas de contentieux. Il pourrait en effet être argumenté que la clef de répartition de la taxe doive être plutôt en lien direct avec l'utilisation du répartiteur (c'est-à-dire le nombre de paires de cuivre de chaque opérateur), plutôt que la surface utilisée pour chaque opérateur.

La deuxième option présentait quant à elle un inconvénient budgétaire , l'assiette de l'imposition ayant en principe vocation à diminuer fortement si le rythme du dégroupage se maintient. Elle présentait également un risque constitutionnel au regard du principe d'égalité devant l'impôt, car elle pouvait être jugée discriminatoire à l'égard de l'opérateur exerçant une influence significative sur le marché des télécommunications, qui supporterait seul le coût de cette imposition.

La troisième option a donc été retenue car elle permet de limiter de manière significative les risques d'effets induits potentiels de l'IFER sur la situation des opérateurs de télécommunication tiers, comme dans le cadre de l'ancien dispositif de TP . En effet, cette dernière était considérée comme un coût rattaché aux différents marchés de gros et de détail au prorata de la valeur des équipements utilisés. L'IFER s'appliquant actuellement aux répartiteurs principaux est en revanche uniquement rattachée au marché d'accès de gros aux infrastructures physiques de réseaux, ce qui est de nature à modifier de manière substantielle les coûts de production de l'opérateur exerçant une influence significative sur les différents marchés. L'extension de l'IFER aux équipements du marché de la commutation permet de limiter les risques de refacturation des coûts de production par l'opérateur dominant.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le I du présent article réécrit l'article 1599 quater B du code général des impôts, précité, pour intégrer les orientations évoquées plus haut : diminution du tarif de l'IFER sur les répartiteurs principaux, élargissement de l'assiette à certains équipements de commutation et gestion de l'imposition comme en matière de cotisation foncière des entreprises.

Le I de l'article 1599 quater B précise la nouvelle assiette de l'IFER, qui se compose donc des répartiteurs principaux de la boucle locale cuivre, comme aujourd'hui, et des unités de raccordement et cartes d'abonnés du réseau téléphonique commuté. Ces équipements seront définis par un décret . Compte tenu de la diminution du tarif applicable aux répartiteurs principaux exposée infra , ces nouveaux éléments de l'assiette sont supposés représenter à l'avenir environ 80 % du produit global de cette composante de l'IFER.

Le II ( alinéa 5 ) dispose que l'IFER est annuellement due, comme dans le droit actuel, par le propriétaire de chacun des trois éléments de l'assiette au 1 er janvier de l'année d'imposition.

Le III ( alinéas 6 à 9 ) établit le nouveau tarif des matériels imposés. Le tarif applicable aux répartiteurs principaux, qui demeurent imposés en fonction du nombre de lignes en service qu'il comporte au 1 er janvier de l'année d'imposition, passe de 12 euros à 2,4 euros par ligne , soit un produit d'environ 80 millions d'euros pour cette fraction de l'assiette. Les tarifs unitaires applicables aux nouveaux équipements sont de 6 350 euros par unité de raccordement d'abonnés et de 70 euros par carte d'abonné .

Le IV de l'article 1599 quater B ( alinéas 10 à 13 ) adapte les modalités de déclaration et de gestion de la composante révisée de l'IFER. Le redevable déclare ainsi, au plus tard le deuxième jour ouvré suivant le 1 er mai de l'année d'imposition, et par région :

- le nombre de répartiteurs principaux et de lignes en service que chacun comportait au 1 er janvier, comme c'est le cas actuellement ;

- pour les nouveaux éléments de l'assiette, le nombre d'unités de raccordement d'abonnés et de cartes d'abonnés au 1 er janvier.

De façon cohérente avec l'alinéa 153 de l'article 59 du présent projet de loi de finances, qui harmonise les modalités de gestion de l'ensemble des composantes de l'IFER, l'alinéa 13 du présent article prévoit que le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties, sûretés et privilèges de cette composante sont régis comme en matière de cotisation foncière des entreprises, et non plus de taxe foncière sur les propriétés bâties.

Enfin par coordination , le II du présent article ( alinéa 15 ) modifie le 2° de l'article 1599 bis du code général des impôts (dans sa rédaction issue du 2.3 de l'article 77 de la loi de finances pour 2010), relatif aux composantes de l'IFER perçues par les régions et la collectivité territoriale de Corse, pour faire référence à la nouvelle assiette de cette composante modifiée.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Ainsi que notre collègue député Gilles Carrez, rapporteur général du budget, l'a précisé dans son rapport sur la seconde partie du présent projet de loi de finances, les nouveaux équipements constitutifs de l'assiette sont essentiellement utilisés pour le réseau traditionnel de téléphonie fixe et non pour la transmission de données. S'ils permettent effectivement de réduire fortement les risques de répercussion sur les opérateurs concurrents, dont l'offre au titre du dégroupage inclut diverses prestations, parmi lesquelles la transmission numérisée de la voix, leur dynamique fiscale est faible voire négative et risque donc de ne pas apporter aux régions les recettes escomptées.

Dans son rapport annuel d'activité pour 2009, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) relève ainsi que le nombre de lignes fixes, qui représenteront une part mineure de la future assiette, croît à un rythme modéré de 1,2 % par an depuis 2005, tandis que le nombre d'abonnements au réseau commuté diminue très rapidement , d'environ 8 % par an. Le « stock » de matière imposable connaît donc une baisse tendancielle.

A l'initiative de notre collègue député Gilles Carrez, l'Assemblée nationale a donc adopté un amendement (nouveau III ) tendant à garantir pour les régions, à titre conservatoire, un produit fiscal d'au moins 400 millions d'euros. Si le produit de cette composante devient inférieur à 400 millions d'euros, les tarifs applicables au titre de l'année suivante sont relevés à due concurrence, selon l'écart constaté entre le produit effectivement perçu et 400 millions d'euros.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre rapporteur général conçoit bien l'option choisie par le Gouvernement : pour limiter le risque que l'opérateur historique, propriétaire de la boucle locale, ne refacture à ses concurrents le surcroît d'imposition lié à la CET et à l'IFER, il est nécessaire de diversifier l'assiette de cette dernière en intégrant des éléments peu ou pas utilisés par ces concurrents. Ces derniers sont par ailleurs redevables de la composante de l'IFER assise sur les stations radioélectriques, en particulier celles de téléphonie mobile.

En revanche, notre collègue député Gilles Carrez a bien identifié le problème de la contraction tendancielle de ces nouveaux éléments de l'assiette , en particulier des abonnements au réseau commuté, et donc le risque de perte fiscale pour les collectivités territoriales attributaires. On sait en effet que nombre de particuliers conservent une ligne fixe mais l'utilisent pour bénéficier des offres « triple play » ou « quadruple play » (téléphonie fixe et mobile, Internet à haut débit et télévision) plutôt que dans le cadre d'un abonnement téléphonique traditionnel.

La « clause de sauvegarde » budgétaire adoptée par l'Assemblée nationale est donc opportune.

Décision de la commission : votre commission a décidé de réserver sa position sur cet article.


* 2 Loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

* 3 Elle est perçue par l'Etat en 2010, année de transition durant laquelle s'applique la « compensation-relais ». La composante afférente aux matériels roulants utilisés pour le transport de voyageurs en Ile-de-France, introduite par la loi relative au Grand Paris (n° 2010-597 du 3 juin 2010), est perçue au profit de la Société du Grand Paris.

* 4 Soit l'imposition des installations éoliennes et hydrauliques, des installations photovoltaïques, des centrales nucléaires ou thermiques à flamme, des transformateurs électriques, des stations radioélectriques, des répartiteurs principaux, du matériel roulant de la SNCF et du matériel roulant de la RATP utilisé pour le transport de voyageurs en Ile-de-France.

* 5 Selon Christophe Bresson, France Telecom devait s'acquitter en 2010 d'une imposition globale de 680 à 690 millions d'euros, soit un montant nettement supérieur à celui escompté, de 625 millions d'euros.

* 6 Dont les tarifs ont été calculés en 2009 d'après les bases constatées de 2008.