III. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE DU 9 NOVEMBRE 2010

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 175 tendant à supprimer l'article 78.

La parole est à Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. L'article 78 du projet de loi modifie significativement le statut de jeune entreprise innovante pour diminuer de façon progressive les aides sous forme d'exonération des charges sociales patronales à la fin de la quatrième année de l'entreprise innovante.

Le statut de jeune entreprise innovante concerne plus de 2 000 entreprises indépendantes, principalement dans les secteurs de la biotechnologie et du numérique, secteurs en forte croissance, sur lesquels la France peut assurer un leadership dans le futur et où il existe encore des places à prendre sur le marché mondial.

Ces entreprises ont quelques spécificités : en général peu d'investissements matériels, de très fortes charges de personnels très qualifiés, 15 % de charges au minimum en recherche et développement ; elles ont aussi une très longue période de développement avant d'avoir des produits commercialisables sur le marché, de fortes périodes de risques, des difficultés à financer le haut de bilan, en particulier auprès des capitaux risqueurs, sur une durée aussi longue. Ces entreprises ont donc besoin d'être accompagnées dans la durée. Ce sont ces entreprises qui subissent de plein fouet le rabot du crédit impôt recherche. Celui-ci a été globalement maintenu pour les grands groupes et pour les PME industrielles, mais moins pour les PME à fortes charges de personnel qualifié.

Il est illusoire de croire que les jeunes entreprises innovantes sont moins fragiles à partir de la cinquième année, comme le suppose la modification du statut de jeune entreprise innovante incluse dans le projet de loi de finances. Ces jeunes entreprises ont bâti leur business plan avec leurs capitaux risqueurs sur huit ans, durée initiale du statut tel qu'il était inscrit dans la loi. Cette modification proposée dans le projet de loi de finances vient remettre en cause le business plan de ces entreprises, alors que la loi initiale a créé ce statut en 2004, donc il y a moins de huit ans.

M. le président. Veuillez conclure, madame de La Raudière !

Mme Laure de La Raudière. Je vais conclure rapidement, monsieur le président, mais le sujet est important.

M. le président. Tout est important !

Mme Laure de La Raudière. La France doit faire face à des enjeux de compétitivité et d'attractivité par rapport à des pays étrangers, que ce soit pour les investissements des capitaux risqueurs, pour nos entrepreneurs ou nos jeunes doctorants, face aux propositions qui leur sont faites par les Etats-Unis ou le Canada, et maintenant par l'Angleterre, si j'en crois les déclarations faites hier par le Premier ministre Cameron.

Chers collègues, le statut de JEI permet la création d'emplois en France dans des secteurs innovants. Voilà pourquoi je vous demande d'adopter mon amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire. Défavorable.

La commission des finances n'a pas examiné cet amendement. Celui-ci propose de maintenir un dispositif intéressant pour les entreprises, ce que je comprends parfaitement. Mais il se cumule aujourd'hui avec un dispositif de crédit impôt recherche largement favorable à ce type d'activité. (Mme de La Raudière manifeste son désaccord.)

À titre personnel, j'estime que la proposition du Gouvernement est satisfaisante.

Il y a en revanche une vraie difficulté pour les entreprises qui bénéficient déjà du dispositif. L'amendement n° 176, que nous allons examiner bientôt, me semble plus intéressant à ce sujet.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Défavorable.

Madame la députée, vous proposez de supprimer l'article 78 qui vise à réformer le dispositif d'exonération de cotisations sociales pour les jeunes entreprises innovantes. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, la réforme proposée étant nécessaire et équilibrée.

Vous l'avez rappelé, les jeunes entreprises font aujourd'hui l'objet d'un soutien beaucoup plus important qu'au moment où cette exonération a été mise en place. Le soutien aux jeunes entreprises a été considérablement amplifié avec la réforme du crédit impôt recherche.

Nous sommes en train d'expertiser l'impact des modalités de réduction à hauteur de 7,5 %, suite au débat parlementaire concernant le crédit impôt recherche. Il est quasiment certain que nous n'arriverons pas aux conclusions que vous formulez et qui ont conduit à la rédaction de cet amendement.

En tout cas, nous n'écartons pas cette question d'un revers de la main. Nous l'étudions plus précisément et, comme nous avons le temps de préparer le terrain avant la discussion au Sénat, nous pourrons adapter le dispositif.

Cette réforme a fortement abaissé le coût des emplois de recherche pour les jeunes entreprises innovantes. Dans ce contexte, et compte tenu de notre volonté de réduire les niches fiscales et sociales, il convient de réexaminer l'exonération des cotisations accordée au JEI. Je le rappelle, nous sommes dans un cadre global, général où les efforts doivent être partagés par tous. L'idée est donc de recentrer le dispositif en le plafonnant et en instaurant une sortie progressive.

Aussi, même si je respecte votre engagement en la matière, je vous demande, madame de La Raudière, de bien vouloir retirer cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Je comprends le sens de l'amendement de Mme de La Raudière, mais je voudrais revenir sur le fond de notre discussion.

Le ministre du budget, dans un contexte des plus difficiles, a présenté les grandes lignes du budget qui ont fait l'objet d'un accord de la part de la majorité. Or ce soir, amendement après amendement, on est en train de remettre en cause certains principes.

Certes, il est très important, au bout de cinq ans, de maintenir un système d'aide aux entreprises innovantes. Mais, à des amendements proposant de continuer à faire des efforts pour tel ou tel secteur, je préférerais proposer au ministre d'aider la représentation nationale à avoir une vision globale du coût de toutes ces exonérations. Nous pourrions alors nous interroger sur la nécessité de les maintenir au bout de la quatrième année ou, comme le propose Mme de La Raudière, au bout de la cinquième année. Je ne doute pas qu'un autre de nos collègues proposera de le prolonger après la sixième année, et ainsi de suite...

Nous devons faire preuve de solidarité envers le Gouvernement. En revanche, le Gouvernement doit nous donner les moyens d'évaluer ces exonérations et de déterminer les mécanismes qui permettraient de conforter les entreprises innovantes, dans un souci de compétitivité.

M. le président. La parole est à Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Je maintiens cet amendement, car, pour répondre à la remarque de M. le rapporteur sur l'amendement n° 176, il ne porte pas sur les seules entreprises innovantes existantes. La question se pose pour les jeunes entreprises innovantes par rapport à nos doctorants, à nos entrepreneurs dans ce secteur et à nos investisseurs, au regard de la nécessité d'une compétitivité internationale. Je pense que, pour l'avenir de la France dans ces domaines stratégiques, nous avons besoin de ce dispositif.

M. le président. La parole est à M. François Baroin, ministre du budget.

M. François Baroin, ministre du budget . D'abord, je veux saluer l'intervention de Michel Hunault.

Bien sûr, il y a dans le texte une logique politique et un engagement fort. Mais c'est aussi une vertu du débat parlementaire que de mettre en lumière ce sur quoi, au titre de la représentation nationale, on a envie d'insister. Cela étant, n'attendez pas du ministre du budget qu'il s'éloigne de l'architecture générale du projet, de sa « statue intérieure » ! Nous devons réduire le déficit de 40 milliards ; c'est un objectif intangible.

En l'occurrence, madame la députée, l'addition des exonérations, dans un contexte de crise générale, doit permettre de maintenir l'objectif d'aider les jeunes entreprises innovantes. Puisque le Gouvernement a fait le choix de préserver un outil qui a fait ses preuves, le crédit impôt recherche, ce dispositif existe ; il est efficace, il a été préservé et n'a été modifié qu'à la marge par la représentation nationale. Il conserve donc tout son élan, tout son impact et toute son énergie. Nous devons conserver ce qui fonctionne et ce sur quoi nous pouvons estimer que des économies sont réalisables sans pour autant altérer en profondeur l'équilibre général. Nous devons absolument faire des économies et les additionner les unes aux autres.

Pour répondre à M. Hunault, j'ai saisi moi-même, il y a quelques semaines, l'Inspection générale des finances, car je souhaite qu'elle rende un rapport, pour le premier semestre de l'année prochaine, dans le cadre global d'une réflexion voulue par le Président de la République sur la stratégie fiscale, avec comme point de départ le débat sur l'ISF et le bouclier. En ouvrant un débat tel que celui-ci et en prenant l'engagement de soumettre au Parlement une loi de finances rectificative pour le mois de juin 2011, il est incontestable qu'une réflexion plus large sera menée sur l'outil fiscal. Je souhaite que le rapport de l'IGF porte sur l'évaluation précise de ce qui marche, de ce qui est efficace, sur la véritable signification des 75 milliards de niches fiscales, sur ce que l'on a additionné au fil du temps sans jamais le remettre en cause, faute d'évaluation, par manque de courage ou par facilité. Mais les quatre ou cinq années qui viennent nous conduisent à faire des économies, donc à revisiter les dispositifs accumulés depuis dix ou quinze ans.

Le même esprit nous anime pour la réduction des niches sociales à hauteur de 45 milliards. Nous disposerons d'un rapport de gens compétents, comptant parmi les meilleurs spécialistes. Il sera sur la table, à la disposition de la représentation nationale qui pourra ainsi se forger une opinion, puis arbitrer dans le cadre de la loi de finances rectificative en juin 2011.

(L'amendement n° 175 n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 142, ainsi rédigé :

À la première phrase de l'alinéa 2, substituer au mot :

« trois »,

le mot :

« six ».

La parole est à M. Patrice Verchère, pour le soutenir.

M. Patrice Verchère. Monsieur le président, je propose de défendre également mon amendement n° 143, ainsi rédigé :

Après la deuxième occurrence du mot :

« jour »,

rédiger ainsi la fin de l'alinéa 3 :

« de la quatrième année suivant celle de la création de l'établissement. Elle est ensuite applicable à un taux de 80 % jusqu'au dernier jour de la cinquième année suivant celle de la création de l'établissement, à un taux de 60 % jusqu'au dernier jour de la sixième année suivant celle de la création de l'établissement, à un taux de 30 % jusqu'au dernier jour de la septième année suivant celle de la création de l'établissement. Ces dispositions sont applicables pour les entreprises créées après le 1 er janvier 2008. »

M. le président. Je vous en remercie, mon cher collègue. Vous avez la parole.

M. Patrice Verchère. Les présents amendements ont pour objet de modifier le projet de réforme du dispositif d'exonération des cotisations sociales accordée aux jeunes entreprises innovantes. Il s'agit, ainsi, de préserver le système d'aide à ces jeunes entreprises pour maintenir l'implantation et le développement en France de PME fortement créatrices d'emplois directs et indirects.

Ces amendements agissent sur plusieurs avantages du dispositif JEI pour les entreprises tout en maintenant l'objectif de maîtrise des finances publiques. Ils doivent également permettre de garantir une stabilité juridique et fiscale aux entreprises, car rappelons que, pour procéder à des investissements en matière de recherche, celles-ci ont besoin d'être assurées de la stabilité de l'environnement fiscal dans la durée. C'est une question de confiance dans l'État.

Les amendements proposent, en premier lieu, l'augmentation du coefficient multiplicateur du plafond annuel défini à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale de trois à six. Selon certaines projections, l'instauration de ce plafond avec un coefficient de trois revient, pour nombre d'entreprises, à leur demander, soit de licencier ou de geler les recrutements, soit d'augmenter leur chiffre d'affaires annuel de plus de 10 % avec moins de moyens pour compenser la hausse. La proposition initiale serait, donc, un mauvais signal envoyé aux jeunes entreprises.

Par ces deux amendements, je suggère, en second lieu, sans remettre en cause le principe de la dégressivité, de repousser à la cinquième année le début de cette dégressivité initialement fixée à partir de la quatrième année. En effet, à partir de la quatrième année, les entreprises sont en phase de consolidation de leur business model et en recherche de capitaux. Elles sont donc tout aussi fragiles qu'à leur création dans un pays où le financement de l'amorçage est peu répandu, à la différence de pays comme l'Allemagne. De plus, pour une entreprise innovante investissant significativement dans la recherche et le développement, les cycles d'innovation prennent du temps et l'effort de recherche et de développement doit être soutenu les dix premières années.

Les taux de dégressivité ont été modifiés en conséquence et, bien que moins progressifs en apparence, car uniquement répartis sur trois ans au lieu de quatre, ils permettront aux entreprises d'anticiper cette dégressivité et d'en tirer encore un avantage substantiel la dernière année.

Enfin, afin de garantir la stabilité de l'environnement fiscal des jeunes entreprises innovantes, ces amendements proposent que les entreprises créées après le 1 er janvier 2008 soient concernées pour éviter un impact sur des trésoreries qui seraient fragilisées dès 2011.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur spécial . Comme précédemment, ces deux amendements n'ont pas été examinés par la commission. Je répète à nouveau que le dispositif très performant du crédit impôt recherche est tout à fait adapté à de telles entreprises. On ne peut pas procéder à une double exonération. Une entreprise innovante pendant huit ans, c'est un processus très long. Nous essayons de parfaire le crédit impôt recherche. Une mission d'évaluation et de contrôle a proposé de nombreuses adaptations qui s'appliquent totalement à ce type d'entreprises. Il est toutefois vrai - et je pense à l'amendement n° 176 - que le changement de règles du jeu en cours de partie pose peut-être un problème aux jeunes entreprises déjà entrées dans le processus.

Je suis défavorable à ces deux amendements présentés par M. Verchère.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Même avis pour les mêmes raisons.

(L'amendement n° 142 n'est pas adopté.)

(L'amendement n° 143 n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 176, ainsi rédigé :

Compléter cet article par l'alinéa suivant :

« II. - Ces dispositions ne s'appliquent qu'aux établissements créés à compter du 1 er janvier 2011.

La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour le soutenir.

Mme Laure de La Raudière. Cet amendement tend à ne rendre applicable le dispositif prévu à l'article 78 du projet de loi qu'aux établissements créés à compter du 1 er janvier 2011. Je propose, ici, de maintenir le dispositif existant pour les jeunes entreprises innovantes déjà entrées dans le dispositif, afin que les règles du jeu ne changent pas en cours de vie.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur spécial . Cet amendement n'a pas été examiné par la commission. Je donnerai donc mon avis personnel, tout en sachant qu'il doit être pondéré par l'observation du ministre, puisque nous devons, en effet, rester dans le cadre budgétaire.

Sur le principe, je trouve dommageable de modifier les règles du jeu en cours de vie de ces entreprises. Cela a été tout le débat concernant le crédit impôt recherche. Ce dispositif fonctionne. Des entreprises s'engagent dans des processus longs. En général, quand une modification de statuts intervient, c'est toujours le nouvel entrant qui la subit. J'aurais donc tendance à émettre un avis favorable à cet amendement aux termes duquel la modification ne doit s'appliquer qu'aux établissements créés à compter du 1 er janvier 2011.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Je reprendrai les mêmes arguments que précédemment.

De plus l'amendement que vous proposez aurait pour effet d'annuler presque intégralement, et ce jusqu'en 2015, l'effet budgétaire de la réforme proposée par le Gouvernement. Il est, par conséquent, naturellement inconcevable que le Gouvernement accompagne un tel amendement. Cette mesure introduirait en outre une différence de traitement injustifiée entre les jeunes entreprises innovantes créées avant 2011 et les autres, alors même que ces dernières auront peut-être, demain, des concurrentes. C'est une organisation quelque peu confuse d'un dispositif qui s'éloignerait de l'esprit originel du crédit impôt recherche, lequel vise justement à doper équitablement un système économique qui en a bien besoin. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement, en dépit de la période d'économies budgétaires dans laquelle nous nous trouvons, n'a pas souhaité s'éloigner de l'esprit d'origine du crédit impôt recherche.

(L'amendement n° 176 n'est pas adopté.)

(L'article 78 est adopté.)

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