ARTICLE 86 QUINQUIES : DROIT DE TIMBRE ANNUEL DE 30 EUROS ET LIMITATION DES AYANTS-DROIT

I. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE DU 2 NOVEMBRE 2010

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 11, ainsi rédigé :

APRÈS L'ARTICLE 86, insérer la division et l'article suivants :

Santé

I. - Après l'article 968 D du code général des impôts, il est inséré un XII ainsi rédigé :

« XII. - Aide publique à une couverture de santé

« Article 968 E

« Le droit aux prestations mentionnées à l'article L. 251-2 du code de l'action sociale et des familles est conditionné au paiement d'un droit annuel d'un montant de trente euros par bénéficiaire majeur ».

II. - Après le mot : « sens », la fin du premier alinéa de l'article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles est ainsi rédigée : « de l'article L. 161-14 et des 1°, 2° et 3° de l'article L. 313-3 de ce code, à l'aide médicale de l'État, sous réserve, s'il est majeur, de s'être acquitté, à son propre titre et au titre des personnes majeures à sa charge telles que définies ci-dessus, du droit annuel mentionné à l'article 968 E du code général des impôts. »

La parole est à M. Jean Leonetti.

M. Jean Leonetti. L'amendement est défendu.

M. le président. Sur le vote de l'amendement n° 11, je suis également saisi d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Quel est l'avis de la commission sur cet amendement ?

M. Gérard Bapt , rapporteur spécial . Je voudrais en profiter pour introduire deux éléments dans le débat.

En ce qui concerne les bénéficiaires de l'AME, je rappelle que, depuis 2008, les citoyens européens qui, sans couverture maladie ni revenus suffisants, ont perdu le droit à la sécurité sociale, ne sont plus, comme par le passé, couvert par l'assurance maladie et sont en quelque sorte retombés dans l'AME.

M. Claude Goasguen. Et alors ?

M. Gérard Bapt, rapporteur spécial . Cela fait beaucoup de monde ! Et ce ne sont pas seulement des Roumains et des Bulgares, mais des Espagnols, des Italiens, des Belges. Il y a là une première explication de l'augmentation du nombre des bénéficiaires, qui n'est pas seulement due à l'accroissement du nombre des déboutés du droit d'asile.

J'attire l'attention de M. Leonetti sur un second élément technique, qui concerne les hôpitaux. Les soins dispensés dans le cadre de l'AME sont tarifés par les hôpitaux non pas selon la T2A, mais selon un tarif journalier de prestation déterminé par leur direction. Un hôpital en difficulté, engagé dans un plan de redressement, aura tendance à augmenter son tarif journalier de prestation, qui sera ainsi financé par l'AME et non plus par l'assurance maladie. Ainsi, il participe à la réalisation de son plan de redressement à moindre coût social.

M. Claude Goasguen. Vous avez raison !

M. Gérard Bapt, rapporteur spécial . Je souhaitais verser aux débats ces deux éléments : ils sont capitaux pour considérer la situation de l'AME.

M. Claude Goasguen. Ce qui montre bien qu'il faut contrôler !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Rémi Delatte, rapporteur pour avis . Cet amendement n'a pas été discuté par la commission des affaires sociales, et je ne donnerai que mon avis personnel. L'amendement répond de manière équilibrée à un souci d'équité. La recherche de l'équité, en effet, conduit tout naturellement à demander une participation aux bénéficiaires de l'AME. C'est d'ailleurs ce qu'avait décidé la loi de finances rectificative de 2002 en prévoyant un ticket modérateur. Tout le monde s'accorde à dire que ce n'était pas forcément une bonne idée, puisqu'elle est très difficile à appliquer : c'est en effet le praticien lui-même qui doit recouvrer ce droit, ce qui complique les choses.

L'amendement n° 11 vise à éviter cet écueil en instaurant un droit de timbre qui sera acquitté annuellement par les bénéficiaires adultes - les enfants ne sont bien sûr pas concernés. Ce dispositif a l'avantage d'être simple et robuste. Il ne fait pas appel à des procédures compliquées. Les démarches à accomplir par les demandeurs de l'aide sont simples. C'est un droit d'entrée dans le dispositif à acquitter une seule fois, annuellement. Cela représente un peu plus de 2,50 euros par mois, ce qui est tout à fait raisonnable. Ce montant correspond grosso modo au coût administratif d'établissement du dossier et n'a pas de commune mesure avec celui qui serait payé dans le cadre d'un ticket modérateur pour un panier moyen de soins : la dépense moyenne s'élève en effet à 2 000 euros, ce qui ferait un ticket modérateur de 400 euros par bénéficiaire.

Cet amendement restreint en outre le champ des bénéficiaires de l'AME aux seuls conjoint et enfants, en excluant les collatéraux et les ascendants. Je rappelle toutefois que ces adultes et enfants qui sont exclus par cet amendement pourront bien sûr faire valoir leurs droits, pourvu que les conditions requises soient respectées.

Cette mesure aura donc en pratique un impact relativement mesuré, mais une valeur symbolique bien réelle : elle montrera que la solidarité nationale est réelle et incontestable, mais qu'elle ne peut pas tout prendre en charge et ne peut pas, en particulier, se substituer systématiquement aux systèmes de soins défaillants des pays étrangers.

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, rapporteure pour avis.

Mme Jacqueline Fraysse, rapporteure pour avis . Je ne partage pas l'opinion de mon collègue. Je pense que ce forfait d'un montant, d'entrée, de 30 euros va réduire les possibilités d'accès à l'AME. D'une part, il est dérisoire - c'est une évidence - au regard des finances de l'État.

M. Claude Goasguen. C'est vrai !

Mme Jacqueline Fraysse, rapporteure pour avis . D'autre part, il est au contraire lourd de possibles conséquences pour les personnes qui doivent s'en acquitter.

M. Yves Bur. Non !

Mme Jacqueline Fraysse, rapporteure pour avis . Mme la ministre a parlé d'un montant d'environ deux euros par mois. C'est dérisoire en valeur absolue mais cela devient quelque chose d'important lorsque l'on n'a que 634 euros par mois pour vivre.

M. Yves Bur. C'est du misérabilisme !

Mme Jacqueline Fraysse, rapporteure pour avis. Ce forfait est donc contre-productif.

J'observe en outre que les forfaits ont toujours vocation à être augmentés ; nous en avons l'expérience. Le montant du forfait hospitalier, relativement modeste lors de son instauration, est aujourd'hui de 18 euros.

Mme Valérie Rosso-Debord. C'est vous qui l'avez instauré !

Mme Jacqueline Fraysse, rapporteure pour avis . Pour toutes ces raisons, cette mesure est tout à fait contre-productive. C'est une mesurette mesquine au regard des finances de l'État et préoccupante quand on considère la fragilité du public visé.

Mme Valérie Rosso-Debord. C'est symbolique !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé. Avis favorable, monsieur le président. Nous ne faisons que mettre en oeuvre une disposition qui date de 2002 et qui tendait à instaurer un ticket modérateur, une participation au forfait journalier.

M. Claude Goasguen. Absolument !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé. En fait, nous tournions autour du dispositif depuis un moment parce que nous ne voulions pas que la mise en oeuvre d'un ticket modérateur fît courir un risque aux établissements et aux professionnels de santé qui auraient évidemment fait l'avance des soins et parce que nous ne voulions pas nous retrouver dans l'incapacité de récupérer ce ticket modérateur.

La proposition d'un forfait modique, de 30 euros, permet de couvrir les frais d'établissement de la carte et de responsabiliser les personnes.

Comme l'a excellemment dit Rémi Delatte, le système est robuste : on se procure dans les circuits habituels un timbre analogue à un timbre fiscal. Cette proposition est tout à fait intéressante et permet de faire entrer la loi en action.

Quant au procès d'intention selon lequel le forfait serait voué à être augmenté, je crois qu'il faut être sérieux : on ne fait pas de procès d'intention à un gouvernement, on le juge sur ses actes, et l'on vote ou non la mesure proposée.

Le forfait de 30 euros me paraît tout à fait acceptable au regard de la fragilité des personnes considérées.

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. C'est en effet l'enjeu du débat : faut-il prévoir ou non le paiement d'un droit annuel ?

Qu'en est-il sur la forme ?

L'article additionnel que tend à introduire l'amendement fixe un montant de 30 euros. On fixe donc le montant du droit annuel dans la loi ! Bientôt, on indiquera dans la loi le numéro de téléphone à composer pour faire ceci ou cela. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Cela signifie du moins que, lorsque l'on voudra modifier ce montant, que ce soit pour l'augmenter ou pour le réduire, il faudra faire voter une loi. Enfin, puisque vous aimez cela, allons-y !

L'instauration de ce droit annuel de 30 euros est évidemment plus grave sur le fond.

Tout d'abord, ce n'est pas une somme anodine. Voilà vraiment une barrière à l'accès à l'AME. Pour une personne dont les ressources sont, par définition, inférieures à 634 euros par mois, 30 euros, c'est une somme importante. Telle est la réalité.

Vous tombez alors dans l'incohérence la plus complète : la mesure va pénaliser les personnes qui ont le plus besoin de l'AME, et ce alors même que vous prétendez vouloir rendre l'AME plus sélective pour n'ouvrir son bénéfice qu'à celles et ceux qui en ont vraiment besoin. La barrière sera pourtant plus infranchissable pour les personnes les plus précaires ! Cela tombe sous le sens.

Cette mesure est donc totalement incohérente, mais l'on voit bien ce qu'il y a derrière.

M. Delatte a d'ailleurs un peu vendu la mèche. Pour mieux contrôler les bénéficiaires, on limiterait la notion d'ayant-droit aux conjoints et enfants, en excluant les ascendants, les descendants et les collatéraux jusqu'au troisième degré. M. Delatte a lui-même dit que cette mesure n'avait pas vraiment de portée, puisque ces personnes pourraient être directement éligibles, et il a précisé : « C'est une mesure symbolique. » Le mot est lâché. Ce n'est que pur affichage politique, et vous chassez sur les terres de M. Le Pen ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Au moins, les choses sont claires !

M. le président. La parole est à M. Dominique Tian, après quoi nous passerons au vote.

M. Dominique Tian. Tout d'abord, combien rapporte cette mesure ? Six millions d'euros, c'est déjà ça, et l'on fait la chasse aux classes moyennes pour des sommes moindres. Si l'on peut donc récupérer ces 6 millions...

Par ailleurs, M. Bapt a parlé de la tendance à facturer les journées hospitalières au tarif fort. Cela doit nous inquiéter un peu. J'ai relevé le chiffre : ce sont 60 millions d'euros qui sont facturés par l'AP-HP à l'État, qui règle cette facture. En somme, tout le monde s'y retrouve, et le seul perdant est l'État.

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'amendement n° 11.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 89

Nombre de suffrages exprimés 87

Majorité absolue 44

Pour l'adoption 60

Contre 27

(L'amendement n° 11 est adopté.)

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- mardi 2 novembre 2010 ;

- mardi 2 novembre 2010 (suite) .