IV. DÉBATS SÉNAT PREMIÈRE LECTURE DU 4 DÉCEMBRE 2010

Séance du samedi 4 décembre 2010

Article 86 quinquies (nouveau)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Alain Milon, rapporteur pour avis. Cet article, inséré par l'Assemblée nationale, vise à créer un droit de timbre annuel de 30 euros pour les bénéficiaires de l'AME et à limiter le nombre des ayants droit de cette aide.

La commission des affaires sociales souligne que l'AME est une prestation qui relève de la solidarité nationale et ne ressortit donc pas à la logique assurantielle des allocations de sécurité sociale reposant sur les cotisations et les participations des bénéficiaires.

Par ailleurs, le dispositif proposé ne supprime pas la possibilité pour le pouvoir réglementaire de déterminer une contribution financière aux soins des titulaires de l'AME. Ainsi, en l'état actuel du texte, les bénéficiaires de cette aide devraient acquitter un droit à l'entrée du dispositif et pourraient néanmoins se voir imposer une participation lors de chaque soin, ce qui reviendrait à leur imposer une charge disproportionnée.

De plus, un droit de timbre de 30 euros représente déjà environ 8 % du revenu maximal des titulaires de l'AME. Il risque donc de représenter une entrave importante aux soins, ce qui ferait perdre son sens au dispositif actuel et ne pourrait qu'augmenter les pressions pour faire entrer les titulaires de l'AME dans le dispositif de la CMU ou dans celui de la CMU-C.

La commission des affaires sociales regrette également la grande complexité du dispositif mis en place pour assurer la collecte du droit de timbre, qui, supposant la création d'un nouveau fonds, suscitera donc de nouveaux coûts. Or ceux-ci paraissent devoir être disproportionnés par rapport aux gains attendus, car le rendement espéré du droit de timbre devrait s'élever à moins de 7 millions d'euros, si l'on se fonde sur le nombre actuel de bénéficiaires et d'ayants droit majeurs.

La limitation du nombre d'ayants droit aurait, pour sa part, des effets limités, puisque 80 % des bénéficiaires de l'AME sont des personnes isolées. Elle se justifie en fait par l'idée que cette aide est de droit pour les enfants en vertu des conventions internationales, mais qu'elle ne doit pas ouvrir immédiatement des droits pour les parents et les familles.

Il convient en effet de lutter contre le risque d'instrumentalisation dont certains enfants pourraient faire l'objet. Toutefois, il paraît difficile en pratique de limiter l'accès aux soins des parents qui s'occupent d'un enfant malade. Le contrôle de la fraude paraît le meilleur moyen de lutter contre les abus.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission des affaires sociales vous proposera, mes chers collègues, d'adopter l'amendement de suppression de cet article qu'elle a déposé.

M. le président. Je suis saisi de six amendements identiques.

L'amendement n° II-40 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L'amendement n° II-159 est présenté par MM. Autain et Fischer, Mmes Pasquet, David, Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.

L'amendement n° II-216 rectifié est présenté par MM. Teulade, Daudigny, Godefroy, Le Menn et Gillot, Mmes Printz, Alquier, Campion, Demontès, Ghali, Jarraud-Vergnolle, Le Texier, Schillinger et San Vicente-Baudrin, MM. Cazeau, Jeannerot, Kerdraon, S. Larcher et les membres du groupe socialiste et apparentés.

L'amendement n° II-235 rectifié bis est présenté par Mmes Morin-Desailly et Dini, M. Détraigne, Mme Gourault et les membres du groupe union centriste.

L'amendement n° II-280 est présenté par M. Milon, au nom de la commission des affaires sociales.

L'amendement n° II-290 rectifié est présenté par M. Collin et Mme Escoffier.

Ces six amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° II-40.

M. Jean Desessard. M. le rapporteur pour avis s'est livré à un plaidoyer remarquable en faveur de la suppression de cet article, plaidoyer qui rejoint l'objet de notre amendement.

L'article 86 quinquies prévoit d'instaurer une participation forfaitaire de 30 euros pour que l'étranger en situation irrégulière puisse bénéficier de l'AME. La création de ce droit d'entrée est tout à la fois dangereuse, injuste et inefficace.

Cette mesure est dangereuse, car elle vise à stigmatiser les étrangers en faisant croire qu'ils sont la cause du déficit public de la France. Selon une logique bien rodée, que nous avons souvent l'occasion de dénoncer, le Gouvernement fait payer les plus pauvres et continue d'exonérer les plus riches.

En réalité, cette disposition fait peser sur les plus pauvres un nouveau prélèvement, qui n'existe pas pour les autres catégories de la population. Je rappelle que les personnes bénéficiant de l'AME disposent d'un revenu inférieur à 634 euros par mois ; elles sont donc dans le dénuement le plus total. Cette somme leur permet à peine de se loger et de se nourrir et, le plus souvent, elle ne suffit pas.

Ajouter le paiement de 30 euros participe de cette précarité et l'aggrave. C'est la raison pour laquelle cette disposition rompt avec la tradition républicaine d'aide sociale et d'accueil de la France. Mes chers collègues, dois-je vous rappeler que les secours aux démunis sont conditionnés non par la contribution des intéressés, mais par leur besoin de soins ?

Aujourd'hui, cette participation est de 30 euros. Demain, elle pourrait augmenter, comme ce fut le cas pour le forfait hospitalier, emportant avec elle une partie des étrangers sans papiers qui ne pourraient plus s'en acquitter. Il s'agirait d'une atteinte à la santé de ces personnes, qui seraient privées des soins élémentaires pour des raisons de rationalisation budgétaire, le tout dans la précipitation et alors qu'un rapport, qui sera disponible dans deux mois tout au plus, a été demandé sur ce sujet à l'IGAS et à l'IGF.

Dans ce contexte, madame la secrétaire d'État, votre empressement à légiférer sans données économiques objectives ne traduit-il pas une volonté d'exploitation politicienne ? Il est facile de le constater !

Pour conclure, j'ajoute que cette disposition non seulement serait un frein dans l'accès aux soins pour les plus pauvres, mais entraînerait un effet nul sur les finances publiques. Les 6 millions d'euros que la majorité entend économiser seront très vite compensés par des retards de soins et par les frais de fonctionnement engagés pour collecter ces sommes.

L'article 86 quinquies met donc en place un dispositif inique, discriminatoire, injuste et contre-productif sur le long terme. C'est pourquoi nous en demandons la suppression.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour présenter l'amendement n° II-159.

Mme Évelyne Didier. Nous proposons la suppression de cet article pour les mêmes raisons que celles qui viennent d'être exposées.

Sur la forme, tout d'abord, le remboursement des 30 euros aux personnes qui, finalement, auraient droit à l'AME peut poser problème. Comment leur rendre cette somme quand elles ont déjà payé ?

Ensuite, pour recouvrer ces sommes, il faudra sans doute créer une agence, ce qui, d'après les calculs qui ont été réalisés, coûtera plus que ce que la mesure ne rapportera.

Sur le fond, ce dispositif fait peser une charge importante sur des gens qui ont pour vivre - je n'ose pas dire : qui gagnent - moins de 634 euros par mois. Il ne permettra pas de récupérer suffisamment d'argent pour éponger les déficits.

Enfin, madame Procaccia, nous sommes les uns et les autres hostiles à la fraude. J'en suis entièrement d'accord.

M. Alain Gournac. Heureux de vous l'entendre dire.

Mme Évelyne Didier. Lorsque nous proposerons, par exemple, de lutter contre les rétrocommissions, j'espère que, vous ferez preuve du même zèle ! (M. Alain Gournac s'exclame.)

Mme Raymonde Le Texier. Bien dit. Bon réflexe !

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour présenter l'amendement n° II-216 rectifié.

M. Yves Daudigny. Je voudrais dire à ma collègue de droite, puisqu'elle s'est adressée à ses « collègues de gauche », que nous sommes en effet farouchement hostiles à la fraude - que cet article entend fallacieusement combattre - et tout à fait partisans de la sanction des fraudeurs.

Ce que nous reprochons à ce texte, ce n'est pas de s'attaquer à la fraude, c'est de stigmatiser l'étranger, de l'assimiler au fraudeur et de confondre la politique de la santé avec celle de l'émigration. C'est tout à fait différent !

Nous voici confrontés à la mesure la plus emblématique du cynisme des auteurs de ce texte : sous couvert d'économies, l'instauration d'un droit d'entrée annuel de 30 euros par adulte.

L'idée de mettre à contribution ceux qui apparaissent pourtant comme les plus démunis n'est pas nouvelle. Elle est considérée quelquefois comme une mesure équitable et juste, puisqu'il s'agirait, si l'on reprend les termes mêmes utilisés à l'Assemblée nationale par Mme Bachelot, de permettre, avec « un forfait modique, de 30 euros [...] de couvrir les frais d'établissement de la carte et de responsabiliser les personnes ».

Cette mesure est bien évidemment inéquitable et injuste, tout autant que dangereuse et contre-productive d'un point de vue médical aussi bien que financier. Elle constitue une remise en cause inédite du principe fondateur de l'aide sociale de notre pays, selon lequel les secours aux démunis sont seulement conditionnés par le besoin de soins, et non par la contribution des intéressés.

Il n'est pas inutile d'ajouter que, à revenus équivalents, ni les bénéficiaires de l'assurance maladie ni ceux de la CMU-C n'ont de droits d'entrée à payer ni de reste à charge dans la prestation.

Je le répète, les personnes concernées gagnent moins de 634 euros par mois. Certaines ont des ressources nulles ou presque. Si une somme de 30 euros peut paraître faible, elle représente au minimum 5 % des revenus mensuels des personnes les plus pauvres. Pour un couple, la participation s'élèverait à 60 euros, à payer en une seule fois.

Cette contribution annuelle ne pourra avoir - si elle est maintenue - qu'un effet négatif sur l'accès aux soins des bénéficiaires de l'AME et un impact financier tout à fait illusoire sur la dynamique de la dépense.

En réalité, un tel droit d'entrée ne pourra que pousser ces personnes à renoncer aux soins, ou alors à choisir, au sein d'une même famille, qui sera couvert par l'AME et qui restera dépourvu de couverture santé.

Dans le meilleur des cas, ces personnes se verront contraintes de repousser le plus tardivement possible la dépense, si bien que des pathologies simples, qui auraient pu être parfaitement soignées en amont, dégénéreront en complications graves et coûteuses.

Lorsqu'une personne a besoin de soins, l'humanité et le bon sens veulent qu'on les lui accorde. En effet, comment ne pas assister une personne en souffrance parce qu'elle n'a pas les papiers nécessaires ?

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour présenter l'amendement n° 235 rectifié bis .

Mme Anne-Marie Payet. Notre groupe demande également la suppression de cet article.

Premièrement, cette mesure nous semble malvenue en termes financiers.

Tout d'abord, le principe d'équité exige que l'on diminue plus énergiquement d'autres dépenses de l'État avant de réduire celles qui sont destinées aux plus démunis.

Ensuite, la recherche d'économies s'arrête là où commence la protection de la vie.

Enfin, évitons la myopie qui consiste à économiser un euro aujourd'hui pour en dépenser dix demain.

Cette mesure retardera, voire empêchera l'accès aux soins médicaux dont les personnes malades ont besoin. Leur état de santé se dégradera, le risque de contagion sera accru, les frais qu'il faudra engager pour soigner ces personnes et ceux qui auront contracté la maladie seront bien supérieurs aux 6 millions d'euros de recettes attendus.

Deuxièmement, cette mesure n'est pas pertinente sous l'angle de la santé publique. Je le répète, nous ne pouvons feindre d'ignorer que l'imposition d'une charge financière à des personnes extrêmement démunies incitera au report des soins, voire au renoncement à ces derniers. Des pathologies simples risquent de dégénérer en complications graves. La responsabilité qui est la nôtre exige que nous évitions de telles situations.

Troisièmement, cette mesure est contraire à l'un des principes fondateurs de l'aide sociale : en France, lorsqu'un sans-abri est en danger, l'État s'efforce de lui offrir un hébergement sans lui demander de s'acquitter d'un droit annuel qu'il ne pourra pas payer.

Pour ces trois raisons, nous demandons au Sénat de supprimer, dans sa sagesse, cet article.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° II-280.

M. Alain Milon, rapporteur pour avis. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l'amendement n° II-290 rectifié.

Mme Anne-Marie Escoffier. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces six amendements identiques ?

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. La commission s'en remet à la sagesse du Sénat, monsieur le président.

M. Alain Gournac. Sagesse...

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le droit de timbre de 30 euros que cet article prévoit de mettre en place ne remet pas en cause le principe de la gratuité des soins. En effet, si celui-ci est adopté, les frais de santé des bénéficiaires de l'AME continueront d'être intégralement pris en charge, moyennant donc, et uniquement pour les personnes majeures, le paiement d'un droit annuel. Il ne s'agit en aucun cas de verser une participation financière pour chaque prestation de santé.

C'est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces six amendements identiques.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n os II-40, II-159, II-216 rectifié, II-235 rectifié bis , II-280 et II-290 rectifié.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, l'article 86 quinquies est supprimé.