MM. Yves KRATTINGER et François TRUCY, rapporteurs spéciaux

II. LES GRANDS ÉQUILIBRES DU PRÉSENT PROJET DE LOI DE FINANCES

En incluant les pensions - contrairement à ce que fait la LPM -, les crédits de paiement de la mission « Défense » s'élèvent à 38,3 milliards d'euros en CP et 40,2 milliards d'euros en AE dans le présent projet de loi de finances.

Les crédits de paiement relèvent principalement, à hauteur de 33,3 milliards d'euros, de deux programmes :

- le programme 178 « Préparation et emploi des forces », correspondant à la quasi-totalité des dépenses de personnel et au maintien en condition opérationnelle des matériels (22,3 milliards d'euros, dont 15,5 milliards d'euros de dépenses de personnel) ;

- le programme 146 « Equipement des forces », correspondant à la quasi-totalité des dépenses d'équipement (11 milliards d'euros).

Le responsable des programmes 178 et 146 est le chef d'état-major des armées, ainsi que, dans le cas du programme 146, le délégué général pour l'armement. Cette « co-direction » du programme 146 est parfois critiquée, en raison de la dilution de responsabilités qu'elle peut susciter.

La mission « Défense » (crédits de paiement uniquement*), pensions comprises

(en millions d'euros)

LFI
2009

LFI
2010

LFI 2011

PLF
2012

Programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense »

1 735

1 780

1 792

1 799

Programme 178 « Préparation et emploi des forces »

21 822

21 541

21 891

22 293

Programme 212 « Soutien de la politique de la défense »

1 573

2 480

3 014

3 137

Programme 146 « Equipement des forces »

12 208

11 344

10 712

11 052

Total mission « Défense »

37 338

37 145

37 409

38 281

* A l'exclusion des recettes exceptionnelles et des crédits de paiement de la mission « Plan de relance de l'économie ».

Source : projet de loi de finances pour 2012

La mission « Défense » comprend deux autres programmes, plus modestes en termes de crédits de paiement :

- le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » (1,8 milliard d'euros en CP), dont le responsable est le directeur des affaires stratégiques, et correspondant essentiellement aux services de renseignement (environ 0,65 milliard d'euros) et aux « études amont » (également 0,65 milliard d'euros) ;

- le programme 212 « Soutien de la politique de la défense » (3,1 milliards d'euros en CP en 2012), dont le responsable est le secrétaire général pour l'administration, et dont les crédits correspondent essentiellement à la politique immobilière et à la politique sociale.

A. UNE ANNUITÉ 2012 INFÉRIEURE À LA PROGRAMMATION POUR ENVIRON 0,35 MILLIARD D'EUROS

Le tableau ci-après compare la prévision actualisée pour 2011 et les prévisions du PLF 2012, d'une part, et les annuités 2011 et 2012 de la LPM, d'autre part, pour l'ensemble des ressources et des dépenses de la mission.

1. Précisions méthodologiques

Une difficulté méthodologique tient au fait que la loi de programmation militaire (LPM) 2009-2014 est construite en euros 2008, ce qui conduit à réactualiser chaque année l'ensemble des moyens par une application de l'indice des prix à la consommation hors tabac. Les taux d'actualisation utilisés ont été les taux d'inflation constatés pour 2009-2010, puis les taux d'inflation retenus lors de la construction du PLF 2012, soit 0,10 % en 2009, 1,50 % en 2010, 1,50 % en 2011 et 1,75 % en 2012 et 2013.

En outre, les annuités de la LPM, en structure 2008, ont été retraitées des transferts effectués lors de la construction des projets de loi de finances annuels, afin de permettre des comparaisons à structure identique. Depuis le début de la LPM en 2009, le principal changement de périmètre a été le transfert de la délégation à l'information et à la communication de la défense, ainsi que du service historique de la défense, du programme 167 de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » vers le programme 212 de la mission « Défense », à hauteur de 0,15 milliard d'euros. Les transferts et mesures de périmètre ont un impact marginal dans le PLF 2012, à hauteur de 0,01 milliard d'euros.

Comme les rapporteurs spéciaux de votre commission des finances l'avaient déjà observé les années précédentes, certaines dispositions de la LPM ne sont pas respectées pour la comparaison effectuée ci-après :

- d'une part, le ministère de la défense n'applique pas la disposition de la LPM selon laquelle les crédits qu'elle prévoit, exprimés en euros de 2008 et à périmètre de 2008, sont « actualisé(s) chaque année par application de l'indice des prix à la consommation hors tabac retenu par la loi de finances de l'année pour chacune des années considérées » ; or, de manière récurrente, l'hypothèse d'inflation retenue chaque année par le ministère de la défense a été celle associée au projet de loi de finances (par exemple, pour 2009, l'hypothèse retenue est celle du projet de loi de finances, soit 2 %, et non celle retenue par la loi de finances, suite aux débats budgétaires : 1,5 %) ;

Comparaison entre les prévisions d'exécution de la mission « Défense » en 2011-2012 et la loi de programmation militaire

Source : ministère de la défense

- d'autre part, le ministère de la défense considère que la LPM implique de majorer en loi de finances les crédits de paiement de 30 millions d'euros en 2010 et 60 millions d'euros à partir de 2011, prélevés sur la réserve de budgétisation prévue par la loi de programmation des finances publiques, afin de contribuer au financement des opérations extérieures (OPEX). Or, la LPM ne comprend aucune disposition de ce type 14 ( * ) .

Toutefois, ces deux effets - minoration des crédits de la mission « Défense » du fait de l'indice des prix retenu, et majoration des crédits pour le financement des OPEX - sont en pratique équivalents, et seront donc négligés pour l'analyse des crédits associés au PLF 2012.

2. Des dotations du PLF 2012 en repli de 0,35 milliard d'euros par rapport à l'annuité 2012 de la LPM

Si l'on compare le PLF 2012 au périmètre LPM (c'est-à-dire en euros 2008) et l'annuité 2012 prévue par la LPM, les crédits de paiement de la mission « Défense » dans le PLF 2012 (soit 28,91 milliards d'euros) sont inférieurs de 1,28 milliard d'euros à l'annuité du PLM 2012 (soit 30,19 milliards d'euros), comme détaillé dans le tableau ci-avant.

Toutefois, les ressources exceptionnelles s'élèvent à 1,13 milliard d'euros dans le PLF 2012 (au périmètre LPM et en euros 2008), alors que l'annuité 2012 de la LPM ne prévoyait que 0,20 milliard d'euros de ressources exceptionnelles. Ce surcroît de recettes exceptionnelles, à hauteur de 0,93 milliard d'euros, compense à hauteur de plus des deux tiers le manque de crédits de paiement (soit 1,28 milliard d'euros), ramenant ainsi à 0,35 milliard d'euros le déficit de ressources dans le PLF 2012 par rapport à l'annuité 2012 de la LPM .

Les dépenses sont donc minorées à due concurrence de 0,35 milliard d'euros (en euros 2008) : comme il a été analysé plus haut pour l'ensemble de la période 2009-2014 de la loi de programmation militaire, ce sont les grands programmes d'équipement dont les crédits sont le plus fortement révisés à la baisse dans le PLF 2012 : leurs dotations ne s'élèvent qu'à 7,51 milliard d'euros (en valeur 2008), en repli de 0,6 milliard d'euros par rapport à l'annuité 2012 de la LPM (soit 8,11 milliards d'euros).

B. DE LOURDES INCERTITUDES SUR LE MAINTIEN DES PLAFONDS D'EMPLOIS PAR RAPPORT À LA LPM

1. Des plafonds d'emplois fixés par la LPM

L'article 6 de la LPM 2009-2014 définit la politique d'effectifs par deux dispositions dont la compatibilité ne va pas nécessairement de soi en pratique :

- des réductions d'effectifs, définies par rapport à l'année précédente en équivalents temps plein (ETP), notion dont on rappelle qu'elle correspond aux effectifs « physiques » à la mi-année ;

- des plafonds d'emplois, notion budgétaire définie en équivalents temps plein travaillé (EPTP), c'est-à-dire en ETP corrigés en fonction de leur présence effective sur l'année, définis en niveau.

Le tableau ci-après indique les hypothèses retenues pour mettre ces deux notions en cohérence.

La notion de plafond d'emplois doit être retenue en priorité, dans la mesure où elle permet davantage des comparaisons d'une année sur l'autre.

On constate ainsi une prévision de réduction des effectifs à hauteur de 53 310 ETPT sur la période 2008-2016, dont une diminution de 30 697 ETPT pendant la durée de la LPM (2009-2014).

Le plafond d'emplois doit ainsi être abaissé de 314 200 ETPT en 2009 à 276 000 ETPT en 2014, soit une baisse de 38 200 ETPT (ou 12 % des effectifs du plafond d'emplois en 2009) .

Les suppressions d'effectifs prévues par la loi de programmation militaire : mises en cohérence des chiffres en ETP et en ETPT figurant à l'article 4 de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014

(mission « Défense », à périmètre 2008)

Année

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Total

2009-2014

4 852

7 999

7 926

7 577

7 462

7 462

7 462

2 570

53 310

45 888

+ Effet report n-1

2 426

4 000

3 963

3 789

3 731

3 731

3 731

1 285

- Effet report n+1

- 2 426

- 4 000

- 3 963

- 3 789

- 3 731

- 3 731

- 3 731

-1 285

Suppressions d'ETPT en résultant

2 426

6 426

7 963

7 752

7 520

7 462

7462

5 016

1 285

53 310

30 697

Plafonds d'emplois en ETPT (chiffres figurant dans la LPM)

320 612

314 200

306 200

298 500

291 000

283 500

276 000

Plafonds en LFI (2009, 2010, 2011), PLF 2012 et nouvelle programmation (2013 et 2014)

320 612

314 670

306 564

299 006

293 198

Exécution (1)

316 381

309 848

302 367

294 359

Sous-exécution par rapport à la LFI

4 231

4 822

4 197

4 647

ETP : équivalent temps plein (emploi corrigé pour prendre en compte sa durée hebdomadaire). Défini à un moment précis. ETPT : équivalent temps plein travaillé (ETP corrigé pour prendre en compte la durée de présence de la personne sur l'année). Défini en moyenne annuelle.

Explication : les suppressions d'emplois en ETP sont définies à mi-année. Une suppression de N ETP une année n signifie donc que les ETP diminuent de N entre le 1 er juillet de l'année n-1 et le 1 er juillet de l'année n . Si on suppose que la diminution est linéaire, cela signifie que l'emploi (défini en ETPT) diminue de N/2 l'année n-1 puis N/2 l'année n.

(1) Pour 2011, il s'agit de l'exécution provisoire correspondant à l'effectif moyen réalisé prévisionnel (EMRP), d'après les données connues au 31 mai 2011 par les services gestionnaires des ressources humaines.

Sources : ministère de la défense et rapport de nos collègues députés Patrick Beaudouin et Yves Fromion sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 (commission de la défense de l'Assemblée nationale, n° 1615, XIII e législature, 8 avril 2009)

2. En exécution, des effectifs inférieurs d'environ 4 000 ETPT à la programmation de 2008 à 2011, révélateurs de lacunes dans la gestion du ministère de la défense

Comme le révèle le tableau précédent, si les plafonds fixés par les lois de finances pour 2009, 2010 et 2011 se conforment globalement à la LPM (malgré des écarts annuels de l'ordre de 400 à 500 ETPT), les exécutions de 2009 et 2010, ainsi que l'exécution prévisionnelle de l'année 2011, montrent des sous-exécutions par rapport à la LFI à hauteur de 4 822 ETPT, 4 197 ETPT et 4 647 ETPT .

Cette sous-exécution vient du fait que la déflation a été plus rapide que prévu en 2008 (4 231 ETPT de moins qu'anticipé), cet écart s'étant ensuite à peu près maintenu. Malheureusement, aucune explication n'est apportée par le ministère de la défense dans le commentaire de ces évolutions , en réponse au questionnaire budgétaire de vos rapporteurs spéciaux.

Manifestement, cette sous-exécution intervient à périmètre constant , hors transfert (opéré en 2009) de la délégation à l'information et à la communication de la défense, ainsi que du service historique de la défense, de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » vers la mission « Défense ».

Selon les recherches de vos rapporteurs spéciaux, la sous-exécution correspond manifestement à des départs plus nombreux que prévu , dans le contexte notamment de la réforme des retraites. Parallèlement, le non-renouvellement des contrats permet des suppressions annuelles de l'ordre de 4 000 emplois. Enfin, un autre levier utilisé est l'augmentation du nombre de reclassements dans le reste de la fonction publique, lequel atteindrait 2 100 par an en 2011-2012, soit le double des reclassements opérés avant 2010.

Par ailleurs, le plafond d'emplois proposé dans le PLF 2012 s'écarte sensiblement (à hauteur de 2 200 ETPT) de la LPM , sans davantage d'explications.

Comme le détaille le tome I de votre rapporteure générale sur le projet de loi de finances pour 2012, le schéma d'emplois du ministère de la défense, en 2012, prévoit la suppression de 14 000 postes (ETP), soit 7 462 ETPT en année pleine , conformément aux prévisions du Livre blanc détaillées ci-dessus.

Le taux de non-remplacement des départs en retraite au ministère de la défense s'élèverait ainsi à 78,9 %, soit le taux le plus élevé parmi l'ensemble des ministères, mais le Gouvernement a précisé que ces données ne sont pas significatives faute, pour le ministère de la défense, d'avoir rempli le tableau des entrées et des sorties à périmètre constant.

La question est posée de savoir pourquoi le ministère de la défense est le seul ministère à ne pas avoir pu communiquer ces effectifs à périmètre constant .

Au final, la non-exécution du plafond d'emplois, l'écart entre le PLF 2012 et la LPM et l'incapacité à remplir les tableaux d'entrées et de sorties à périmètre constant sont autant d'indices de lacunes dans la gestion de ses effectifs .

Ces déficiences nuisent à la sincérité budgétaire , en ne permettant pas de disposer de données objectives pour l'analyse de l'évolution des emplois.

C. LE NON-RESPECT DE LA LPM FAIT PESER UN RISQUE SUR LE MAINTIEN DES CAPACITÉS OPÉRATIONNELLES

Le présent projet de loi de finances présente en outre la particularité de prévoir une nouvelle dégradation de la capacité de projection de l'armée de terre , après une première révision à la baisse opérée dans le PAP de la mission « Défense » annexé à la LFI 2011.

1. Un indicateur pertinent...

La capacité de projection de l'armée de terre est l'une des composantes de l'indicateur 178-1.3 « Capacité des armées à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France », retenu comme l'un des quatre « indicateurs principaux » 15 ( * ) de la mission « Défense ».

Dans leur rapport sur la loi de règlement 2008, les rapporteurs spéciaux de votre commission des finances écrivaient : « S'il fallait retenir un seul indicateur de la mission « Défense », ce serait probablement celui relatif aux capacités de projection de l'armée de terre, dont dépend directement l'impact opérationnel global ».

Cet objectif consiste à pouvoir projeter 30 000 combattants pendant un an sans relève après un préavis de six mois.

2. ... dont la dégradation traduit le poids des contraintes budgétaires

Or, la loi de finances pour 2011 avait prévu que cet objectif, auparavant atteint à 100 % , ne le serait plus qu'à 95 % en 2011 et 90 % en 2013. Cette évolution défavorable avait été expliquée dans le PAP de la mission « Défense » par une précision laconique, mais révélatrice des conséquences du non-respect de la LPM :

« Les prévisions tiennent compte des contraintes budgétaires de la période ».

Dans le PLF 2012, la prévision actualisée 2011, la prévision 2012 et la cible 2013 abaissent à nouveau l'atteinte de cet objectif, à seulement 82,5 % , avec une nouvelle explication, inquiétante dans un contexte de développement des opérations extérieures conduites par la France :

« La cible 2013 pour le contrat 30 000 hommes a été ramenée à 82,5 % compte tenu des capacités de production des industriels, actuelles et à court terme, qui ne pourraient pas assurer la maintenance et le ravitaillement sur la durée d'un an prévue au Livre blanc ».

Les capacités de production des industriels dépendent, notamment, des commandes de l'Etat dans le cadre des grands programmes d'équipement, dont il a été observé qu'ils étaient les premiers touchés par les restrictions budgétaires.

Le maintien de la capacité de projection opérationnelle est pourtant l'une des priorités fixées à l'horizon 2020, qui figure au Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008. La dégradation de cet indicateur est la traduction des restrictions budgétaires, qui affectent tant les effectifs que les équipements du ministère de la défense .

D. LA RÉFORME EN COURS DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES

Votre rapporteur spécial François Trucy suit chaque année avec une attention particulière les évolutions du service de santé des armées (SSA), dont il a nouveau rencontré les représentants cette année, le 9 novembre 2011. Cette audition a été notamment l'occasion de faire le point sur les suites données au rapport public thématique 16 ( * ) de la Cour des comptes consacré au SSA.

1. Les spécificités du service de santé des armées

A titre liminaire, il convient de rappeler que le SSA emploie environ 15 000 personnes, dont 10 000 militaires. Les charges du SSA dont de l'ordre de 1,5 milliard d'euros, dont 800 millions d'euros pour l'activité hospitalière, 500 millions d'euros pour le soutien des forces et 150 millions d'euros pour la formation et la recherche.

Le dimensionnement du SSA découle de ses missions essentielles : assurer le soutien médical des forces en OPEX, et faire fonctionner sur le territoire national des hôpitaux d'instruction des armées (HIA) « armant » environ 3 000 lits.

Les activités du SSA sont financées par des crédits de paiement de la mission « Défense », mais aussi, en contrepartie de son activité hospitalière, par des « attributions de produit » (versements de la sécurité sociale, des mutuelles...), de l'ordre de 500 millions d'euros par an.

En effet, contrairement à ce que l'on croit souvent, les hôpitaux militaires accueillent une majorité de patients civils et n'ayant aucun lien avec la défense (environ 60 %), la part des militaires étant nettement minoritaire (environ 20 %). Le passage en janvier 2009 à la tarification à l'activité (T2A), utilisée par les hôpitaux publics, a par ailleurs contribué à « normaliser » ces recettes, jusqu'alors négociées chaque année. Le passage à la T2A doit être complet en 2012.

L'activité hospitalière du SSA est « déficitaire », chaque année, de l'écart entre ces 500 millions d'euros, et les 800 millions d'euros de charges hospitalières, soit environ 300 millions d'euros. Le SSA considère que, compte tenu des spécificités militaires de son activité, il convient de parler d' « écart de facturation » plutôt que de « déficit ». Par ailleurs, certaines recettes dont bénéficient les hôpitaux publics manquent au SSA.

2. Les observations de la Cour des comptes, point d'appui à une évolution du SSA

Le rapport public thématique de la Cour des comptes comprend quatorze propositions, la plupart techniques et de bon sens, et n'appelant pas de commentaire particulier.

Le ministre de la défense ne conteste véritablement qu'une proposition de la Cour des comptes, la proposition 11 de « fixer l'objectif de retour à l'équilibre des comptes d'exploitation des hôpitaux d'instruction des armée, déterminer le calendrier pour y parvenir, et en élaborer les modalités avec le dispositif civil de santé ».

Ainsi, il écrit : « Certains développements de la Cour me paraissent cependant devoir justifier un réexamen. Il en est ainsi de ceux relatifs au « déficit d'exploitation » des HIA, qui me semble devoir être considéré comme la première approche d'un coût de possession [d'un dispositif de santé militaire] (...) Il serait (...) aujourd'hui inexact et aventureux de vouloir assimiler ces montants très imparfaits à un « déficit d'exploitation » dénué de sens dans ce contexte ».

Il est vrai que la Cour des comptes est très critique au sujet de ce déficit, par exemple quand elle écrit : « Les hôpitaux militaires constituent le premier déficit hospitalier de France. S'il avait été pris en compte par la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins du ministère de la santé, il aurait conduit, à lui seul, à augmenter de plus de la moitié le déficit des hôpitaux publics en 2008 (506 millions d'euros de déficit net) alors que les hôpitaux d'instruction des armées ne représentent que 2 % des capacités hospitalières publiques ». La Cour des comptes donne ainsi parfois l'impression de recommander un système analogue à celui du Royaume-Uni, qui a fermé ses hôpitaux militaires, et qui apparaît moins efficace sur le terrain que le système français 17 ( * ) .

Il est certain que l'activité civile des HIA pourrait encore être accrue, ce qui fournirait des recettes supplémentaires à la mission « Défense » et contribuerait à améliorer le savoir-faire des praticiens . Parallèlement, il convient d'encourager un renforcement de la coordination avec les hôpitaux civils.

3. Des spécificités du SSA à apprécier à leur juste valeur

Vos rapporteurs spéciaux estiment que l'objectif de retour à l'équilibre fixé par la Cour des comptes méconnaît certaines spécificités du SSA.

Tout d'abord, une pénibilité maximum et un danger permanent ou quasi permanent, paraissent créer des conditions qui permettent de dire que les militaires français ne sont pas des « fonctionnaires en uniforme ».

Ensuite, la gestion des hôpitaux militaire est par nature différente de celle des hôpitaux civils, notamment en cas de conflit majeur. Pendant la première guerre du Golfe, l'Hôpital des Armées Sainte Anne avait été obligé d'évacuer tous ses lits, afin de les réserver à l'accueil des éventuels arrivants. De même, les hôpitaux militaires sont également sollicités en cas de catastrophe naturelle à l'étranger. Enfin, quand nos forces sont engagées dans les OPEX, aux quatre coins du monde, dans des territoires hostiles, les armées envoient nécessairement des unités sanitaires complètes aptes à parer à toutes les situations chirurgicales, médicales ou dentaires, ce qui contribue hautement au moral et au maintien de la condition opérationnelle de nos troupes, engagées loin de leurs bases.

La qualité des personnels du SSA mérite d'être soulignée, alors que ses responsables ont fait part d'un sentiment de démoralisation à votre rapporteur spécial François Trucy, ce qui risque d'accroître encore les difficultés à pourvoir certaines spécialités, notamment dans les services de réanimation et d'anesthésie, de radiologie et de psychiatrie.

4. Les suites données au rapport de la Cour des comptes

Suite au rapport de la Cour des comptes, le SSA a indiqué à vos rapporteurs spéciaux avoir élaboré un projet de service , validé par le ministre de la défense et des anciens combattants le 15 avril 2011 et présenté en conseil des ministres le 18 mai 2011.

Le projet de service s'articule autour de quatre axes :

- la redéfinition de l'offre de soins au profit de la communauté de défense , par la définition, d'ici juin 2012, d'un parcours de soins des militaires, des civils de la défense et de leurs familles, qui donne la priorité aux militaires blessés, tout en renforçant par ailleurs la coopération internationale ;

- la poursuite de l'effort sur le recrutement et la formation des professionnels de santé , ce qui implique notamment de prolonger la réorganisation de la formation initiale des praticiens des armées, opérée en 2008, par un regroupement accru des centres de formation ;

- la consolidation des différentes composantes du SSA (la médecine d'unité, le secteur hospitalier militaire, le ravitaillement sanitaire, la recherche biomédicale de défense et la formation médicale et paramédicale), l'objectif du SSA étant selon lui « de maintenir cet ensemble cohérent, seul à même de délivrer un soutien médical complet, tant au profit des forces engagées dans des processus opérationnels qu'au profit des populations lors de crises sanitaires », ce qui écarte donc toute évolution analogue à celle, décriée, qu'ont connue les hôpitaux militaires britanniques ;

- l'amélioration de la performance économique de l'ensemble du SSA, autour d'un objectif de réduction de moitié de « l'écart de facturation » entre 2009 et 2015 , date à laquelle celui-ci ne serait alors plus constitué que du poids des pensions civiles et militaires des agents de l'Etat imputé aux personnels des hôpitaux.

C'est donc sur la voie d' une réforme ambitieuse que s'engage le SSA, tout en maintenant ses spécificités par le refus, notamment, d'une gouvernance hospitalière centralisée, telle que l'a pourtant recommandée la Cour des comptes.

Vos rapporteurs spéciaux seront attentifs au suivi de cette réforme, dont les enjeux financiers sont importants puisqu'ils prévoient, à terme, une réduction de 150 millions du « déficit » du SSA.

E. LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « GESTION ET VALORISATION DES RESSOURCES TIRÉES DE L'UTILISATION DU SPECTRE HERTZIEN »

1. Un compte d'affectation spéciale longtemps inopérant

L'article 54 de la loi de finances pour 2009 18 ( * ) a créé un compte d'affectation spéciale « Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien » .

Les recettes de ce compte sont essentiellement constituées du « produit des redevances acquittées par les opérateurs privés pour l'utilisation des bandes de fréquences libérées par les ministères affectataires, à compter du 1 er janvier 2009 ».

« (...) Ce compte retrace : (...)

« a) Les dépenses d'investissement et de fonctionnement liées aux services de télécommunications et visant à améliorer l'utilisation du spectre hertzien, y compris le transfert de services vers des supports non hertziens ;

« b) Les dépenses d'investissement et de fonctionnement liées à l'interception et au traitement des émissions électromagnétiques à des fins de renseignement », c'est-à-dire au renseignement électronique.

L'ouverture du compte d'affectation spéciale a répondu à la volonté d'inscrire la gestion des fréquences hertziennes dans une stratégie patrimoniale de valorisation de biens immatériels par le versement de redevances pour l'utilisation de fréquences libérées par l'Etat.

En effet, grâce au basculement de la télévision analogique vers le numérique, une partie du spectre radioélectrique doit pouvoir être libérée et redistribuée . En France, l'arrêt complet de la télévision analogique est prévu, au plus tard, en novembre 2011.

En pratique, comme l'avait observé notre collègue André Ferrand, rapporteur spécial du CAS « Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien » lors de l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2011, le CAS est longtemps demeuré inopérant car aucune procédures de mise sur le marché n'a été lancée, ni en 2009, ni en 2010 .

Dans ce contexte, faute des ressources initialement prévues en 2010 pour le ministère de la défense (à hauteur de 600 millions d'euros) , il a été indiqué dans les réponses au questionnaire budgétaire de vos rapporteurs spéciaux que « des mesures de priorisation des opérations et de gestion du report de charges ont été prises ». Le Gouvernement sera interrogé en séance sur l'interprétation qu'il convient de donner à cette formulation sibylline , qui laisse sous-entendre que les opérations prévues ont dû être reportées, en l'absence de ressources, mais que ces reports auraient pu entraîner des charges de gestion , dont le mode de financement n'est pas précisé.

En 2011, la cession de fréquences du ministère de la défense a permis, pour la première fois, la perception de recettes sur le CAS, retracées dans le programme 762 « Optimisation de l'usage du spectre hertzien ». Ces opérations ont été décrites plus haut, parmi les ressources exceptionnelles du ministère de la défense 19 ( * ) .

Les ressources provenant des autres cessions de fréquences figurent dans l'autre programme (n° 761) de la mission, en vue du désendettement de l'Etat.

L'absence d'objectifs et d'indicateurs de performance associés aux missions du programme n'est pas conforme à la LOLF et devra donc être corrigée lors de la préparation du PLF 2013, d'autant plus que des ressources effectives figureront dès 2011 au programme 762.

2. Le programme 761 « désendettement de l'Etat »

Comme les années précédentes, le programme 761 « Désendettement de l'Etat » n'est pas doté dans le projet de loi de finances.

Cette situation amène à s'interroger sur les raisons pour lesquelles aucune procédure de mise sur le marché n'a été engagée, s'agissant des cessions de fréquences des autres ministères que celui de la défense.

Les ressources ainsi obtenues contribuent, à hauteur de 15 % de leur montant, au désendettement de l'Etat, tandis que le ministère affectataire de la fréquence libérée perçoit le solde (85 %).


* 14 La LPM prévoit que, dans le cas des OPEX, « en gestion, les surcoûts nets non couverts par la provision (surcoûts hors titre 5 nets des remboursements des organisations internationales) seront financés par prélèvement sur la réserve de précaution interministérielle », prévue par l'article 51 de la LOLF. La réserve de précaution n'a rien à voir avec la réserve de budgétisation, créée par la loi de programmation des finances publiques 2009-2012, et dont la fonction est d'abonder en loi de finances les crédits de certaines missions, par rapport aux plafonds fixés par la programmation triennale.

* 15 Les autres « indicateurs principaux » sont : l'indicateur 212-1.1 « Taux d'évolution des opérations d'infrastructure programmées » ; l'indicateur 146-1.1 « Taux de réalisation des équipements » ; l'indicateur 146-2.2 « Evolution annuelle moyenne des devis à terminaison des opérations d'armement principales ».

* 16 « Médecins et hôpitaux des armées », octobre 2010.

* 17 Dans sa réponse au rapport précité de la Cour des comptes, le ministère de la défense écrit que « la fermeture des hôpitaux militaires en faveur de l'appui du NHS est aujourd'hui perçue par les anglo-saxons eux-mêmes comme une entrave à la qualité des services proposés, provoquant une variation du respect de la conformité des normes de soins apportés sur les zones de conflit et au Royaume-Uni ».

* 18 Loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009.

* 19 Cf. supra , paragraphe I B 2.