M. Edmond HERVE, rapporteur spécial

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
SUR LE PROGRAMME 166 « JUSTICE JUDICIAIRE »

- Le programme « Justice judiciaire », hors fonds de concours, s'appuie sur 3,605 milliards d'euros d'autorisations d'engagement , soit une baisse de 15,8 % par rapport à 2011. Les crédits de paiement s'élèvent à 2,978 milliards d'euros , soit une légère hausse de 0,6 %.

- Les créations nettes d'emploi se montent à 282 ETPT , pour un plafond d'emploi fixé à 31 137 ETPT. Elles visent notamment à accompagner deux réformes :

1) la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale (avec un besoin requis de 65 ETPT de magistrats et de 50 ETPT de greffiers) en application de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs ;

2) l'application de la loi n° 2011-803 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (avec un besoin requis de 80 ETPT de magistrats et de 60 ETPT de greffiers).

- Les efforts afin d'accroître les effectifs de magistrats n'ont de sens que s'ils s'accompagnent d'un effort encore plus important en faveur des greffiers, afin de ramener le ratio entre leur nombre et celui des magistrats (actuellement égal à 0,92) à un niveau plus satisfaisant .

- Pour 2011, l'enveloppe allouée au titre des frais de justice s'élève à 470 millions d'euros . Les charges restant à payer devraient toutefois représenter près de 100 millions d'euros à la fin de l'exercice budgétaire 2011, ce montant correspondant à environ deux mois d'activité des juridictions. Il apparaît donc que la sous-budgétisation constatée depuis 2009 se poursuit en 2012, remettant en cause le principe de sincérité budgétaire au sein de la mission « Justice ».

- Le coût de la réforme de la carte judiciaire a été revu à la baisse en passant de 427 millions d'euros à 367 millions d'euros sur cinq ans.

- Ce coût de la carte judiciaire n'intègre pas l'opération de réaménagement du TGI de Paris , qui s'élève à elle seule à 623,5 millions d'euros.

II. LE PROGRAMME 166 « JUSTICE JUDICIAIRE »

A. LES PRINCIPALES ORIENTATIONS : MAÎTRISER LES DÉLAIS DE TRAITEMENT DES AFFAIRES ET PÉRENNISER LES BONNES HABITUDES DE GESTION

Le programme 166 « Justice judiciaire » se rapporte aux moyens des juridictions civiles et pénales, y compris ceux de la Cour de cassation 6 ( * ) . Il inclut également les moyens humains du casier judiciaire national ainsi que ses dépenses en matière de frais de justice, les crédits destinés à la formation des personnels et à la logistique, ainsi que les moyens humains contribuant à la mise en oeuvre de la politique de l'accès au droit et à la justice.

Les dépenses de personnel (69,4 %) constituent la part prépondérante de ce programme .

L'année 2012 doit une nouvelle fois confirmer les bonnes habitudes prises par les gestionnaires depuis la mise en oeuvre de la LOLF dans les juridictions.

La maîtrise des délais de traitement des affaires civiles et pénales continue d'être un objectif essentiel afin de répondre au mieux aux attentes du justiciable.

La maîtrise des frais de justice , devenus limitatifs sous l'empire de la LOLF, représente un autre enjeu majeur.

Ces objectifs ne doivent pas, pour autant, remettre en cause le principe fondamental de l'indépendance de l'autorité judiciaire .

B. LES ACTIONS DU PROGRAMME : LA PRÉPONDÉRANCE DU PÉNAL SUR LE CIVIL

Après ventilation des crédits des actions « Soutien », « Formation » et « Support à l'accès au droit et à la justice », il apparaît que les affaires pénales absorbent 51,6 % des crédits de paiement du présent programme, tandis que le contentieux civil en représente 45,7 %.

Source : d'après le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2012

Il convient de rappeler que, depuis 2007 et afin de faciliter la gestion des personnels dans les différents ressorts des cours d'appel, l'action 8 « Support à l'accès au droit et à la justice » regroupe les moyens humains 7 ( * ) des juridictions (bureau d'aide juridictionnelle), les personnels des maisons de la justice et du droit (MJD), les personnels des conseils départementaux d'accès au droit (CDAD) chargés de leur gestion, ainsi que les personnels du service de l'accès au droit et à la justice et de l'aide aux victimes (SADJAV) 8 ( * ) . Ces personnels étaient auparavant affectés au programme « Accès au droit et à la justice ».

C. LA PROGRESSION CONTENUE DES CRÉDITS DE PAIEMENT : + 0,6 %

Le présent programme compte, hors fonds de concours 9 ( * ) 3,605 milliards d'euros d'autorisations d'engagement , soit une baisse de 15,8 % par rapport à 2011.

Afin de bien interpréter cette baisse, il convient toutefois de rappeler qu'elle fait suite à une hausse considérable de 43,6 % en 2011 , induite par la nécessité de tenir compte des autorisations d'engagement (1,203 milliard d'euros) destinées au financement de la construction de palais de justice, notamment celui de Paris, réalisée dans le cadre d'un partenariat public-privé (PPP).

Les crédits de paiement s'élèvent à 2,978 milliards d'euros, soit une légère hausse de 0,6 % .

Les dépenses de personnel (titre 2) connaissent une augmentation de 1,4 % et s'élèvent, au total, à 2,066 milliards d'euros . Ce montant correspond à un plafond d'emploi fixé à 31 137 ETPT , soit 119 ETPT en plus par rapport à 2011.

Le schéma d'emploi pour 2012 repose sur la création nette de 282 ETPT correspondant au recrutement de magistrats (84 ETPT), de greffiers en chef (24 ETPT), de greffiers (370 ETPT), de secrétaires administratifs (30 ETPT) et à la suppression d'emplois de fonctionnaires de catégorie C (226 ETPT).

Ces créations d'emplois visent notamment à accompagner deux réformes :

- la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale (avec un besoin requis de 65 ETPT de magistrats et de 50 ETPT de greffiers) en application de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs 10 ( * ) ;

- l'application de la loi n° 2011-803 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (avec un besoin requis de 80 ETPT de magistrats et de 60 ETPT de greffiers).

Les dépenses de fonctionnement (titre 3) augmentent de 1,4 % entre 2011 et 2012 et se montent à 762,7 millions d'euros. Les frais de justice 11 ( * ) représentent le premier poste de dépense des services judiciaires en matière de fonctionnement, avec une enveloppe pour 2012 de 470 millions d'euros en crédits de paiement (460 millions d'euros en loi de finances pour 2011).

Les dépenses d'investissement (titre 5) enregistrent, pour leur part, une réduction de 13,8 millions d'euros, soit - 8,7 % . Ces crédits se répartissent en 121,1 millions d'euros au titre de l'investissement hors réforme de la carte judiciaire 12 ( * ) et 23,9 millions d'euros au titre des dépenses d'investissement liées à la carte judiciaire. Ils sont concentrés sur l'action 6 « Soutien ».

Par ailleurs, l'action 6 « Soutien » porte également l'ensemble des dépenses d'intervention (titre 6) du programme « Justice judiciaire ». D'un montant de 4,6 millions d'euros , ces dépenses se ventilent entre une subvention de 1,9 million d'euros au Conseil national des barreaux (CNB) pour la formation des élèves avocats et une participation de 2,7 millions d'euros au fonctionnement de l'établissement public d'exploitation du livre foncier informatisé. La forte baisse (- 64,9 %) des crédits d'intervention en 2012 s'explique par le fait que, jusqu'en 2011, une aide était apportée aux avocats dont le barreau a été supprimé dans le cadre de la réforme judiciaire 13 ( * ) .

D. LA PERSISTANCE DE L'INSUFFISANCE DE GREFFIERS EN JURIDICTION

1. Un ratio greffiers / magistrats encore en deçà du niveau souhaitable

Alors que des efforts conséquents ont été réalisés au cours des dernières années, notamment dans le cadre de la LOPJ, pour palier le manque de magistrats, le niveau des effectifs de greffiers en juridiction demeure un sujet de préoccupation .

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2008, votre rapporteur spécial avait souligné un déficit de créations d'emplois par rapport aux objectifs initialement fixés par la loi de programmation 14 ( * ) . En particulier, il avait déploré un décalage dans ces créations, avec un taux de réalisation de 76 % pour les magistrats et de seulement 32,6 % pour les fonctionnaires.

Au total, le ratio entre le nombre de greffiers et celui de magistrats n'a pas pu atteindre le niveau souhaitable de un pour un . Ce ratio reste « défavorable » aux greffiers, comme en atteste le tableau suivant.

Evolution des effectifs de greffiers affectés auprès de magistrats et de magistrats depuis 2006

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Greffiers (a)

6 915

6 942

7 012

7 059

7 079

7 433

Magistrats (b)

7 891

7 950

8 113

8 195

8 185

8 080

Ratio (a/b)

0,88

0,87

0,86

0,86

0,86

0,92

Source : Chancellerie

Le ratio actuel de 0,92 greffier par magistrat traduit une faiblesse du soutien logistique susceptible d'être apporté aux magistrats , tant pour le rendu des décisions de justice que pour la gestion des juridictions.

Les efforts afin d'accroître les effectifs de magistrats n'ont de sens que s'ils s'accompagnent d'un effort encore plus important en faveur des greffiers , afin de ramener le ratio entre le nombre de fonctionnaires et celui de magistrats à un niveau véritablement satisfaisant.

2. Un frein au bon fonctionnement des juridictions

Votre rapporteur spécial insiste sur cette difficulté qui peut mettre en péril l'ensemble de l'équilibre de l'institution judiciaire .

Le rythme des départs à la retraite , qui s'accélère depuis 2008, ne peut en effet que contribuer à aggraver la situation, la pyramide des âges des personnels des juridictions judiciaires étant particulièrement défavorable.

Par ailleurs, alors que de nouvelles promotions sortent de l'école nationale de la magistrature (ENM), la réforme de l'ENG, menée en 2003, entraîne un décalage dans le temps des flux d'entrée , la durée de la scolarité de l'ENG étant passée de 12 à 18 mois.

La résorption du goulet d'étranglement est d'autant plus difficile qu'il faut 6 à 9 mois pour ouvrir un concours de magistrat ou de greffier. Le délai entre l'autorisation d'un concours de recrutement et ses premiers effets sur le terrain s'élève donc à au moins deux ans .

Votre rapporteur spécial souhaite souligner l'insuffisance des effectifs des greffiers et le handicap qu'elle fait peser sur le bon fonctionnement de l'ensemble du système judiciaire .

3. Le nécessaire recentrage des greffiers sur leur « coeur de métier »

Cette évolution défavorable du ratio fonctionnaires de greffe / magistrat appelle une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences plus optimale.

En application du décret n° 2007-1106 du 16 juillet 2007, un corps de secrétaires administratifs des services judiciaires a été créé. Dans ce cadre, 175 emplois ont été affectés (par transformation d'emplois de catégorie C), en 2008 puis à nouveau en 2009, dans les secrétariats et les régies des juridictions les plus importantes ainsi que dans les services administratifs régionaux (SAR). En 2010 et 2011 respectivement, 79 et 30 emplois ont encore été consacrés à de tels postes. La prise de fonctions de ces agents permet de recentrer progressivement l'activité des greffiers sur leurs activités juridictionnelles et l'assistance du magistrat, ainsi que de les dégager de certaines fonctions administratives auxquelles ils participaient.

En outre, la Chancellerie estime que la réforme de la carte judiciaire et le recours accru aux nouvelles technologies de l'information et de la communication doivent contribuer à améliorer sensiblement les conditions de travail des greffiers et leur productivité.

En conclusion sur ce sujet, votre rapporteur spécial rappelle que votre commission a demandé à la Cour des comptes, en application de l'article 58-2° de la LOLF, une enquête sur « l'impact de la réforme des tutelles des majeurs » . Cette enquête, dont les conclusions seront connues très prochainement, devrait pouvoir apporter un certain nombre d'enseignements au regard de la charge de travail pesant sur les magistrats et les greffiers en juridiction.

E. LE DÉRAPAGE DES FRAIS DE JUSTICE

1. L'évolution de cette dépense au cours des années 2000

La difficulté très sérieuse posée par les frais de justice au sein du budget de l'institution judiciaire est apparue de manière frappante au cours des années 2000. Ainsi, sur la seule période allant de 2003 à 2005, cette dépense a cru de 42,7 %.

Votre rapporteur spécial, alors notre collègue Roland du Luart, avait mis en évidence cette tendance structurelle et inquiétante à l'occasion de son rapport « La LOLF dans la justice : indépendance de l'autorité judiciaire et culture de gestion » 15 ( * ) . A la suite de ce rapport, votre commission avait, demandé à la Cour des comptes, en application de l'article 58-2° de la LOLF, une enquête sur les frais de justice, dont votre rapporteur spécial avait analysé les conclusions dans son rapport « Frais de justice : l'impératif d'une meilleure maîtrise » 16 ( * ) .

Après une pause dans cette dynamique à la hausse en 2006 (- 22,1 %), le dérapage de cette dépense s'est toutefois à nouveau manifesté depuis 2009 17 ( * ) . En 2010, ce poste a ainsi augmenté de 8,2 %.

2. Les facteurs expliquant cette tendance

Plusieurs séries de facteurs contribuent à l'explication de la dérive des frais de justice mise en évidence supra . Elles concernent tant la justice pénale que la justice commerciale.

a) Pour la justice pénale

Le redémarrage des frais de justice en matière pénale s'explique, d'une part, par l'augmentation du volume de certaines prescriptions , et, d'autre part, par des revalorisations tarifaires .

L'effet « volume », tout d'abord, se manifeste plus particulièrement dans le domaine médical , des analyses génétiques et des interceptions judiciaires . Il est généralement lié à des réformes.

A cet égard et s'agissant de la dépense en frais médicaux (qui constitue le premier poste de dépense de frais de justice), on peut par exemple citer la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté , qui développe le recours à l'expertise psychiatrique (que ce soit en début ou en fin de placement).

Par ailleurs, la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure a étendu le périmètre des infractions conduisant à une inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) et a ainsi eu un fort impact sur les frais de justice en développant le recours aux analyses génétiques, réalisées à partir de prélèvements sur individus ou à partir de traces biologiques 18 ( * ) .

Du côté des revalorisations tarifaires, plusieurs sont intervenues concernant les honoraires médicaux 19 ( * ) et les tarifs de traduction et d'interprétariat 20 ( * ) .

b) Pour la justice commerciale

Plusieurs réformes sont intervenues au cours des dernières années et ont eu pour effet un gonflement de la dépense en matière de frais de justice. On peut notamment citer :

- la réforme des procédures collectives (par le décret n° 2006-1709 du 23 décembre 2006), qui a supprimé la possibilité de demander aux parties le versement d'une provision pour frais de procédure (désormais avancée par le Trésor) ;

- la réforme du tarif des greffiers de commerce (par le décret n° 2007-812 du 10 mai 2007), qui prévoit le paiement de leurs frais en début de procédure et non plus à l'issue de celle-ci.

En outre, la suppression de 55 tribunaux de commerce dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire a eu pour conséquence d'accélérer les demandes de remboursements présentées par les greffiers de commerce concernés.

Au-delà des réformes, l'augmentation des procédures collectives liées à une conjoncture économique défavorable a également eu un impact direct sur le volume des frais de justice commerciale.

3. Les difficultés de gestion en 2011

L'enveloppe allouée pour l'année 2011 au titre des frais de justice s'élève à 459,6 millions d'euros .

Les crédits disponibles en début de gestion, compte tenu de la réserve de précaution (22,6 millions d'euros) et de la réserve complémentaire constituée au titre du dispositif « Etat exemplaire » (0,6 million d'euros), étaient de 436,4 millions d'euros .

Cependant, suite au dégel de la réserve de précaution du programme « Justice judiciaire », à l'affectation à l'unité de budgétisation « frais de justice » des reports de crédits 2010 et à une mesure de gel à titre conservatoire, ces crédits ont été portés à la fin du mois d'août à 462,7 millions d'euros .

Le déploiement de cet arsenal de mesures était d'autant plus justifié que des retards de paiement des collaborateurs occasionnels du service public de la justice ont été constatés en 2011. Ces retards ne concernent que très rarement les jurés (considérés comme des créanciers prioritaires), mais davantage les experts et les interprètes (même si les chefs de cour sont attentifs à la situation des créanciers « personnes physiques »).

Certains créanciers ont régulièrement saisi l'administration centrale, faisant état d'importantes créances impayées , notamment :

- en matière d'affranchissement, La Poste (plus de 8,5 millions d'euros d'impayés) ;

- en matière d'analyses génétiques, les laboratoires IGNA (2,6 millions d'euros) et IFEG (1,5 million d'euros) ;

- en matière de mesures pré-sententielles (enquêtes sociales rapides, enquêtes de personnalité...), la Fédération « Citoyens et Justice » (3,6 millions d'euros) ;

- en matière de géolocalisation, la société Deveryware (5 millions d'euros, soit près d'un an de chiffre d'affaires pour cette société) 21 ( * ) ;

- en matière de location de matériel d'interception, la société Elektron (2,5 millions d'euros).

Afin de remédier à ces difficultés , le ministère de la justice et des libertés s'efforce d'améliorer le circuit des frais de justice, qui est caractérisé par un paiement à l'acte, faisant intervenir plusieurs acteurs et générant de ce fait des délais de traitement parfois importants.

Pour autant, les difficultés de gestion au cours de l'exercice 2011 comme le report de charges prévisible (environ 100 millions d'euros 22 ( * ) ) tendent à démontrer la justesse de l'avertissement lancé par votre commission lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2011 s'agissant d'une remise en cause du principe de sincérité budgétaire 23 ( * ) . Votre commission dénonce d'ailleurs, chaque année depuis 2009, la sous-budgétisation des frais de justice en loi de finances.

4. Un problème de sincérité budgétaire pour 2012

Cette situation amène votre rapporteur spécial à être d'autant plus attentif au budget prévu pour ce poste de dépense l'année prochaine.

Pour 2012, l'enveloppe allouée au titre des frais de justice s'élève à 470 millions d'euros , soit une augmentation de seulement 2,3 % par rapport à l'autorisation initialement accordée en 2011.

Cette dotation tient compte notamment :

- du financement de la part employeur des cotisations sociales des collaborateurs occasionnels du service public de la justice (30 millions d'euros) ;

- de la poursuite de la réforme de la médecine légale 24 ( * ) , entrée en application le 15 janvier 2011 ;

- de l'impact de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure (LOPPSI 2) (17,2 millions d'euros) 25 ( * ) .

Dans le projet de loi de finances pour 2012, les frais de justice figurent, au sein du programme « Justice judiciaire », parmi les crédits de fonctionnement des actions ci-après (en crédits de paiement) :

- Action 1 « Traitement et jugement des contentieux civils » : 63,1 millions d'euros ;

- Action 2 « Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales » : 325,6 millions d'euros ;

- Action 3 « Cassation » : 0,3 million d'euros ;

- Action 5 « Enregistrement des décisions judiciaires » : 1,5 million d'euros ;

- Action 6 « Soutien » : 79,5 millions d'euros 26 ( * ) .

F. LA RÉVISION À LA BAISSE DU COÛT DE LA RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE

1. Un budget de 28,9 millions d'euros pour 2012 entièrement porté par le programme « Justice judiciaire »

Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2012 afin de financer, sur le programme « Justice judiciaire » , les mesures liées à la mise en oeuvre de la réforme de la carte judiciaire s'élèvent à 178,9 millions d'euros en autorisations d'engagement (34,4 millions d'euros en 2011) et 28,9 millions d'euros en crédits de paiement (62,7 millions d'euros en 2011).

Sur le programme « Justice judiciaire », ces crédits se décomposent comme suit :

- 4,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 5 millions d'euros en crédits de paiement affectés en dépenses de fonctionnement courant (loyers, nettoyage des locaux libérés, déménagement du mobilier et des archives...) ;

- 174,8 millions d'euros en autorisations d'engagement et 23,9 millions d'euros en crédits de paiement prévus pour les dépenses d'investissement (volet immobilier de la réforme) .

Initialement, le financement du volet immobilier de la carte judiciaire devait également être supporté par une mobilisation des crédits du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » . Ce CAS retrace les produits de cessions des immeubles appartenant à l'Etat. En dépense, il permet l'octroi de droits d'utilisation d'une partie de ces produits par les ministères. Le taux de « retour sur cessions » pour le ministère de la justice et des libertés était fixé à 85 %, le reliquat (15 %) étant affecté au désendettement de l'Etat.

Toutefois, à ce jour, le volet immobilier de la réforme n'a bénéficié d' aucun apport issu de la ressource spécifique inscrite au CAS . Il est désormais acté que, au titre de 2012, le financement des opérations relatives à la carte judiciaire sera exclusivement issu des dotations budgétaires.

2. Une réforme désormais chiffrée à 367 millions d'euros sur cinq ans

Le coût de la réforme avait été initialement chiffré, par le ministère de la justice et des libertés, à 427 millions d'euros sur cinq ans. Cette estimation était encore celle annoncée l'année dernière, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2011.

Il apparaît toutefois que cette évaluation a été révisée à la baisse dans le projet de loi de finances pour 2012. Le coût total est désormais anticipé à 367 millions d'euros .

Le volet immobilier de la carte avait été initialement chiffré à 385,5 millions d'euros, répartis sur trois ans pour les autorisations d'engagement et sur cinq ans pour les crédits de paiement. Ce coût est dorénavant estimé à 339 millions d'euros. En effet, les premiers chiffrages avancés lors du lancement de la réforme avaient été établis sur la base d'une organisation encore en cours d'ajustement et reposaient sur des ratios uniformes, ne correspondant pas à une programmation physique fine des opérations.

Par ailleurs, concernant le plan d'accompagnement social des personnels concernés par la réforme de la carte judiciaire, le montant total des crédits alloués était initialement prévu à hauteur de 21,5 millions d'euros. Or, la dépense totale ne s'élève finalement qu'à 16,8 millions d'euros.

Enfin, une enveloppe de 20 millions d'euros était à l'origine dédiée au dispositif d'accompagnement des avocats dont le barreau était supprimé suite à la mise en oeuvre de la réforme de la carte judiciaire 27 ( * ) . Cette aide aux avocats ne s'élèvera finalement qu'à 11,2 millions d'euros.

Votre rapporteur spécial insiste sur le fait que ce budget alloué à la réforme de la carte judiciaire ne tient pas compte des réaménagements nécessaires pour le TGI de Paris .

A lui seul, le projet du TGI de Paris représente un coût estimé à 623,5 millions d'euros 28 ( * ) , soit une enveloppe supérieure à la totalité de celle consacrée au reste de la carte judiciaire. Financée grâce à un partenariat public-prive (PPP), cette opération a suivi son cours en 2011 via la poursuite de la procédure de consultation des entreprises. L'attribution du contrat de partenariat devrait intervenir en 2012, pour une livraison de la nouvelle « Cité judiciaire » en 2015 .

S'agissant de ce PPP comme d'ailleurs de ceux concernant l'administration pénitentiaire ( cf. infra ), votre rapporteur spécial souligne l'importance de préserver une maîtrise d'ouvrage en capacité d'assurer le suivi et le contrôle de ce type de marché, afin d'éviter un dérapage des coûts dans le temps .

Il convient, à cet égard, de rappeler qu'un établissement public du Palais de Justice de Paris (EPPJP) a été créé en 2004 29 ( * ) pour assurer, notamment, le rôle de maître d'ouvrage dans l'opération immobilière de très grande envergure que représente la future « Cité judiciaire » à Paris. Opérateur du programme « Justice judiciaire » jusqu'en 2010, cet établissement public relève, depuis le 1 er janvier 2011, du programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice ». Il a ainsi rejoint dans ce programme l'agence pour l'immobilier de la justice (APIJ). Il compte 15 ETPT et perçoit une subvention pour charges de service public de 2,4 millions d'euros .

G. LA PERFORMANCE DU PROGRAMME

Pour le programme « Justice judiciaire », les objectifs retenus par le projet annuel de performance de la présente mission se situent dans le prolongement de ceux fixés par la LOPJ avec une attention particulière attachée à l'amélioration de l'efficacité de la justice au service des citoyens, à l'adaptation du droit pénal à l'évolution de la délinquance et au développement de l'effectivité de la réponse pénale .

D'une manière générale, les indicateurs portant, tant en matière civile que dans le domaine pénal, sur les délais des procédures, l'ancienneté du stock, le nombre d'affaires traitées par magistrats et par fonctionnaires, sont satisfaisants dans leur conception. Ils répondent aux préoccupations des justiciables qui souhaitent une « justice plus rapide » .

L'analyse des performances du programme en matière de délais pour les décisions rendues met en évidence une réduction de ces délais au civil . Ainsi, pour les CA par exemple, une affaire civile était en moyenne traitée en 11,7 mois en 2010, mais l'a été en 11,5 mois en 2011 (avec une cible de 11 mois en 2012).

De même, les efforts pour réduire les stocks au civil semblent continuer de porter leurs fruits , comme l'illustre l'évolution de l'indicateur rendant compte de l'ancienneté moyenne du stock par type de juridiction : 13,2 mois en 2010 et 13,1 mois pour 2011 (avec une cible de 13 mois en 2012) dans le cas des TGI.

Au pénal, s'agissant du délai moyen de traitement des procédures, on doit regretter l'absence de données disponibles en réalisation pour 2010, à l'exception de la Cour de cassation (137 jours).

Une fois la décision rendue, encore faut-il qu'elle soit exécutée. De ce point de vue, le taux de mise à exécution progresse , sauf en matière de peine de prison ferme (86 % en 2011, contre 92,4 % en 2010). Par exemple, le taux de mise à exécution d'une condamnation à un travail d'intérêt général (TIG) était de 89,6 % en 2008, de 89,4 % en 2009 et de 97,1 % en 2010 (91 % en prévision pour 2011).

A cet égard, il convient de noter que la mise en place de bureaux d'exécution des peines (BEX) 30 ( * ) a constitué un facteur d'efficacité certain, en évitant toute discontinuité entre le prononcé de la décision à l'audience et la mise en oeuvre de la sanction.

L'indicateur portant sur la « Dépense moyenne de frais de justice par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale », rattaché à l'objectif 4 « Maîtriser la croissance des frais de justice », constitue une base pertinente pour un suivi efficace et dans le temps de ce poste budgétaire. Il devient d'autant plus stratégique que la dynamique de ces frais repart à la hausse depuis 2009.

En 2008, cette dépense moyenne s'élevait à 211 euros. En 2009, elle se montait à 225 euros et l'année 2010 l'a vue atteindre 288 euros. La prévision actualisée pour 2011 est, pour sa part, établie à 250 euros .

Votre rapporteur spécial estime toutefois que cet indicateur, portant sur la seule matière pénale, mériterait d'être complété pour couvrir l'ensemble du domaine des frais de justice . Un tel enrichissement, par l'intermédiaire de sous-indicateurs, permettrait en effet de disposer d'une vision plus complète de l'évolution de ce poste de dépense.

Enfin, l'objectif 5 « Développer la communication électronique » permet de rendre compte de la capacité de l'institution judiciaire à tirer le meilleur profit des nouvelles technologies.

Il est mesuré au travers de l'indicateur « Nombre d'utilisations de la visioconférence » portant sur les CA (5 000 en prévision actualisée pour 2011 et 5 500 en cible pour 2012) et les TGI (9 000 en prévision actualisée pour 2011 et 10 000 en cible pour 2012).

S'agissant de la visioconférence, votre rapporteur spécial souligne toutefois que, dans un avis du 14 octobre 2011, publié le 9 novembre 2011 au Journal officiel, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté , Jean-Marie Delarue, a rappelé que « si l'usage de la visioconférence peut être un palliatif parfois inévitable, il ne doit en aucun cas devenir une commodité inconditionnelle et doit surtout être précisément encadré ».


* 6 Depuis la création de la mission « Justice », le Gouvernement a pris l'engagement d'exonérer de gels budgétaires la Cour de cassation et de ne soumettre les autres juridictions de l'ordre judiciaire à ce type de mesures qu'après accord du garde des Sceaux, ministre de la justice.

* 7 Cette action s'appuie au total sur 13 ETPT de magistrats et 559 ETPT de fonctionnaires.

* 8 Le service de l'accès au droit et à la justice et de l'aide aux victimes (SADJAV) a remplacé, dans le cadre de la réorganisation des directions et des services conduite en 2008 par la Chancellerie au niveau de son administration centrale, le service de l'accès au droit et à la justice et de la politique de la ville (SADJPV).

* 9 1,6 million d'euros, principalement au titre de participations diverses aux dépenses de réception, de formation et de fonctionnement des tribunaux de commerce.

* 10 A compter du 1 er janvier 2012, la participation des citoyens assesseurs au fonctionnement de la justice pénale va être expérimentée dans les cours d'appel (CA) de Dijon et de Toulouse.

* 11 Dépenses de procédure laissées à la charge de l'Etat, selon les articles 800, R. 92 à R. 94 et R. 218 du code de procédure pénale.

* 12 Dont 10 millions d'euros au titre des opérations liées à l'adaptation des juridictions dans le cadre de la mise en place des jurés populaires.

* 13 Intégralement versée, cette aide n'a désormais plus lieu d'être.

* 14 Rapport spécial n° 91 (2007-2008) - tome III - annexe 16.

* 15 Sénat, rapport d'information n° 478 (2004-2005).

* 16 Sénat, rapport d'information n° 216 (2005-2006).

* 17 Cf . rapport spécial n° 111 (2010-2011) - tome III - annexe 16.

* 18 Ces analyses sont désormais prescrites tant dans le domaine de la grande criminalité que dans celui de la délinquance de masse, sachant qu'elles demeurent particulièrement coûteuses en matière criminelle.

* 19 Ces frais correspondent principalement aux examens effectués au cours de l'enquête (examens des gardés à vue et des victimes, autopsies), aux examens psychiatriques, médico-psychologiques et psychologiques, aux prélèvements sanguins ainsi qu'aux examens toxicologiques, biologiques et radiologiques. Si l'augmentation de la dépense est due pour partie à l'accroissement de l'activité pénale et à l'augmentation des prescriptions dans ce domaine, elle s'explique également par les éléments suivants :

- les revalorisations successives (au 1 er août 2006, 1 er juillet 2007 et 1 er janvier 2011) de la lettre C, qui détermine le tarif de certaines prestations en matière de frais de justice (examen médical de garde à vue, examen médical des victimes...) ;

- le décret n° 2008-764 du 30 juillet 2008, qui revalorise les honoraires des experts psychiatres et prévoit l'application d'un tarif majoré pour les expertises concernant les victimes d'infractions sexuelles (ce tarif majoré n'était jusque-là applicable qu'aux expertises concernant les auteurs de ces infractions).

* 20 La très forte progression de ce poste de dépense s'explique par les revalorisations tarifaires introduites par le décret n° 2008-764 du 30 juillet 2008 et son arrêté d'application du 2 septembre 2008. En effet, ces textes ont non seulement revalorisé le tarif de l'heure d'interprétariat, mais aussi introduit des majorations pour la première heure d'interprétariat
(+ 40 %) et pour les missions de nuit, de week-end et les jours fériés.

* 21 Modifiant l'état B de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, un amendement adopté à l'unanimité du Sénat et à l'initiative de notre collègue Roland du Luart, avec avis défavorable du Gouvernement, a d'ailleurs visé à abonder l'enveloppe des frais de justice d'un montant supplémentaire de 5 millions d'euros, afin notamment d'apporter une solution à ce problème.

* 22 Selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial lors de l'audition de Véronique Malbec, responsable du programme « Justice judiciaire » et directrice des services judiciaires, le 10 novembre 2011.

* 23 Cf . rapport spécial n° 111 (2010-2011) - tome III - annexe 16.

* 24 La coexistence de deux réseaux (hospitalier et de proximité) ainsi que la prise en charge, par le ministère de la justice et des libertés, du coût de fonctionnement des structures hospitalières (qu'il ne finançait pas jusqu'alors) constituaient deux facteurs d'accroissement notable du montant des frais de justice (de l'ordre de 30 millions). La réforme s'accompagne, par ailleurs, parallèlement d'une économie de 30 millions d'euros sur les honoraires médicaux. En effet, alors qu'auparavant le paiement s'effectuait à l'acte, le financement des structures dédiées à la médecine légale (dépenses de personnel et dépenses de fonctionnement) est désormais effectué sur la base de conventions passées entre le ministère de la justice et des libertés et celui de la santé. Seuls les médecins appartenant au réseau de proximité continueront d'être rémunérés à l'acte.

* 25 A titre d'exemple, une recherche plus systématique de stupéfiants dans le cadre des contrôles routiers induit des frais de justice supplémentaires. Si l'examen salivaire est positif, il doit être confirmé par une analyse sanguine.

* 26 Il s'agit des frais postaux, de l'indemnisation des victimes, de celles ayant bénéficié d'une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, ainsi que des frais liés aux révisions et erreurs judiciaires. On peut se demander si ces dépenses sont vraiment de même nature que celles liées aux procédures civiles et pénales (enquêtes...) et si elles ne devraient pas être disjointes de ces frais de justice, qui font l'objet d'une problématique particulière.

* 27 Au total, 23 barreaux ont été concernés par la réforme de la carte judiciaire, regroupant 510 avocats.

* 28 Sénat, rapport d'information n° 38 (2009-2010) « La future implantation du tribunal de grande instance (TGI) de Paris : la fin des hésitations », Roland du Luart.

* 29 Décret n° 2004-161 du 18 février 2004.

* 30 Expérimentaux dans huit juridictions en 2004, ils ont été généralisés à compter du 1 er janvier 2007.