M. Edmond HERVE, rapporteur spécial

VIII. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

• La mission « Justice » est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2012, de 7,42 milliards d'euros de crédits de paiement (hors fonds de concours), soit une progression de 3,5 % . Ses autorisations d'engagement passent de 8,957 milliards d'euros à 9,795 milliards, soit une hausse de 9,3 %.

• Cette progression des dotations ne saurait cependant, à elle seule, suffire à porter un jugement positif sur le projet de budget de cette mission .

• La trajectoire budgétaire de la présente mission souffre d'un léger dépassement (41 millions d'euros, soit 0,7 % des crédits de paiement prévus) de l'autorisation accordée par la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.

• La vétusté de certains établissements pénitentiaires ainsi que la surpopulation carcérale (le taux moyen d'occupation des prisons est de 115,4 %) demeurent des sujets de vive préoccupation.

• Les efforts afin d'accroître les effectifs de magistrats n'ont de sens que s'ils s'accompagnent d'un effort encore plus important en faveur des greffiers, afin de ramener le ratio entre leur nombre et celui des magistrats (actuellement égal à 0,92) à un niveau plus satisfaisant .

• Pour 2012, l'enveloppe allouée aux frais de justice s'élève à 470 millions d'euros . Alors que ce poste de dépenses redémarre à la hausse depuis 2009, le montant inscrit en PLF amène à s'interroger sur la sincérité du budget proposé pour le programme « Justice judicaire » .

• La réorganisation de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) s'accompagne, sous l'empire de la révision générale des politiques publiques (RGPP), de réductions d'emplois importantes. Soumettant les services de cette direction à rude épreuve, cette logique de suppression des postes remet en cause la qualité du travail des équipes sur le terrain .

• Le coût de l'accès à la justice n'a cessé de s'alourdir au cours de la période récente . La multiplication des taxes à la charge du justiciable (droits de plaidoirie, contribution pour l'aide juridique, droit devant être acquitté lors de l'introduction d'une instance en appel) porte atteinte au principe d'égalité devant la justice, en élevant une barrière invisible, mais bien réelle, à l'entrée des prétoires.

A. SINCÉRITÉ BUDGÉTAIRE ET BONNE ADMINISTRATION ?

Ces deux questions viennent à l'esprit à la suite de l'analyse du programme 166 « Justice judiciaire » de ce projet de budget.

1. Nouvelles dépenses et complexité

Lors de son audition, la directrice des services judicaires, Véronique Malbec, a rappelé que le nombre de magistrats en juridiction est passé de 7 633 en 2005, à 7 995 en 2007 et à 8 269 en 2009.

Nous ne pouvons que nous réjouir de cette évolution, tout comme de celle intéressant le rapport greffier-magistrat : de 0,86 en 2010, il passe à 0,92 en 2011. Les prévisions sont les suivantes : 0,94 en 2012, 0,99 en 2013 et 1,03 en 2014. Soit 7 433 greffiers en 2011, 7 637 en 2012, 7 999 en 2013, 8 242 en 2014. Regrettons le retard mis à atteindre le rapport d'« un pour un ». Il complique la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Alors que la recherche d'économies est à l'ordre du jour, que faut-il penser du coût de l'introduction des jurés populaires en correctionnelle ?

Le tableau ci-dessous livre les estimations de la directrice des services judiciaires (pour les futures expériences conduites à Toulouse et à Dijon).

Le coût de l'expérimentation des jurés populaires

(en euros)

Rémunération des jurés

Toulouse

Dijon

- sans indemnité journalière

147 000

94 536

- avec indemnités journalières

282 000

181 000

- rémunération des magistrats

394 000

192 000

- rémunération des vacataires

26 340

21 952

- frais postaux

19 555

19 555

Source : direction des services judiciaires

Au moment où la simplification est invoquée par le Président de la République, est-il opportun de passer de deux types de formations correctionnelles à cinq. A ce sujet, le Président de l'Union des syndicats de la magistrature (USM), dans son discours précité ajoutait : « Cinq, sans compter les audiences relais en matière de comparution immédiate, avec toutes les difficultés en terme d'audiencement, de salles et d'erreurs d'aiguillages, sources de ralentissement et de dysfonctionnements ».

2. Le coût d'accès à la justice

Il demeure un sujet d'importance car il commande le principe d'égalité.

L'imposition d'une taxe de 35 euros, sous peine d'irrecevabilité, avant toute assignation en matière civile, sociale et commerciale, couplée à 150 euros pour l'appelant et l'intimé en appel, est une atteinte au principe d'égalité et de gratuité. Le principe d'une mise à contribution des contrats d'assurance-recours continue de nous paraître juste.

Le budget du programme « Accès au droit et à la justice » passe de 331,3 millions d'euros en 2011 à 354,8 millions d'euros en 2012. Est-ce suffisant lorsque l'on prévoit une progression des admissions de 930 000 en 2011 à 948 000 en 2012 !

3. Les frais de justice

Dans son rapport spécial sur la mission « Justice » en loi de finances pour 2011, notre collègue Roland du Luart notait « un inquiétant redémarrage de la dépense depuis 2009 » et évoquait pour 2011 « un problème de sincérité budgétaire ». En 2009, la dotation initiale se montait à 409 millions d'euros et la consommation finale s'est élevée à 432,5 millions d'euros, soit une progression de 7,7%. En 2010, les frais de justice totalisaient 467,8 millions d'euros (+ 8,2 %). Pour 2011, les crédits ont été portés à la fin du mois d'août à 462,7 millions d'euros, 383,9 millions d'euros sont payés à ce jour. Mais sur 2011, il y a eu un report de 100 millions d'euros. Il en serait de même, au minimum, en 2012. Rappel : l'enveloppe 2012 est de 470 millions d'euros.

Outre ce qui figure dans le corps du présent rapport, voici nos principales observations :

- le législateur, lorsqu'il officie, doit avoir à l'esprit les conséquences financières que la loi peut entraîner. Ainsi, le contentieux médical peut générer des dépenses importantes découlant de l'intervention des experts médicaux ;

- la qualité d'une bonne justice, le principe d'égalité peuvent avoir une incidence sur les frais de justice qui sont inséparables de notre système judiciaire. Le bon fonctionnement de celui-ci ne peut être perturbé par des retards de paiement des experts qui concourent à la manifestation de la vérité.

Ces observations ne doivent pas empêcher que diverses mesures annoncées soient effectives - sans qu'elles portent atteinte à la liberté de prescription des magistrats : négociations et contrôles, réforme du circuit de paiement. Il est d'ailleurs légitime de s'interroger sur leur retard.

4. Un impératif

Au nom de la bonne administration, il importe que le ministère se dote des moyens nécessaires au contrôle du partenariat public-privé. Le coût des loyers découlant de celui-ci passe de 80 millions d'euros en 2011 à 114 millions d'euros en 2012.

Des mises en commun ministérielles, une agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) active, un dialogue étroit avec les administrations déconcentrées s'imposent. La renonciation systématique de l'Etat à sa qualité de propriétaire n'est pas nécessairement à terme une condition d'économie. D'une manière générale, l'Etat semble manquer d'une politique foncière immobilière. A-t-on épuisé les voies de la délocalisation ?

B. UNE APPROCHE RÉPRESSIVE INFLATIONNISTE

1. L'inflation législative

Elle se fait tout d'abord par la multiplicité des lois votées successivement et dans la précipitation.

Citons plus spécialement pour la présente année, à titre d'exemples :

- la loi relative à l'exécution des décisions de justice et aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées ;

- la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ;

- la loi relative à la garde à vue ;

- la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.

Pour éclairer ce mouvement, il conviendrait d'ajouter certaines propositions de loi telles que celle visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants.

Nous devons nous interroger sur l'initiative législative.

M. Guy Carcassonne 85 ( * ) , écrivait dans le numéro 115 de la revue « Pouvoirs » en 2005 : « Un fait divers, une émotion quelconque mais aussi un problème tangible provoquent une démangeaison législative plus ou moins rapide. La loi est une réponse à défaut d'être une solution. On légifère d'abord puis, rarement et seulement si l'on n'a rien de plus rentable à faire, on réfléchit ensuite ».

M. Gilles Finchelstein 86 ( * ) , dans un essai intitulé « La dictature de l'urgence » écrit très justement que c'est bien souvent le « « 20 heures » télévisé qui relatant un fait divers entraine la procédure législative : c'est moins la loi qui fait l'évènement que l'évènement qui fait la loi ». L'urgence peut aboutir à de graves erreurs : confondre par exemple polygamie et adultère !

J'en veux pour preuve les interrogations que l'on peut avoir sur l'effectivité de nos lois. Saisit-on bien la suite des moyens qu'il faut pour faire vivre une loi ? Nous ne cessons de demander au juge pénal.

2. L'inflation des annonces pénitentiaires

Nous retrouvons cette approche répressive inflationniste dans l'actuelle politique pénitentiaire avec la surcharge des prisons (64 726 personnes incarcérées pour 56 081 places opérationnelles). Le taux de surpopulation atteignait au 1 er juillet dernier 115,4 % (110,1 % au 1 er juillet 2010).

Que penser des annonces successives du Président de la République ?

Nous avons entendu le Président de la République annoncer le programme « 13 200 » places pénitentiaires supplémentaires. Quelques mois après, 11 000 places venaient s'y ajouter. Le 22 juin 2009, voilà un autre chiffre de 5 000. Début 2011, il était question de 60 000 places de prisons pour 2017. Après « Pornic » nous étions à 70 000. Le 13 septembre 2011, le Président de la République annonce, pour l'horizon 2017, 80 000 places. Mais il conviendrait de différencier ces places.

Nous connaissons l'état de nos prisons mais comment conjuguer, avec cette méthode, programmation de réhabilitation et construction neuve, comment conjuguer construction neuve et maitrise foncière ? Nous nous éloignons de la rigueur de gestion prospective, du principe de la pluriannualité du plan. Tout n'est pas « soluble » dans l'enfermement. L'après-prison existe, il faut le prendre en considération, même si l'opinion n'y est pas sensible.

Pour rester dans le même registre, souhaitons :

- que le « transfert des transfèrements », décidé en 2006 et appliqué progressivement en 2011, soit correctement géré en prenant le temps du recrutement, de la formation des agents préposés, du dialogue entre le personnel de la pénitentiaire et les magistrats sans oublier le juste transfert des postes (le ministère de la justice estime lui-même que les 800 ETPT transférés sont insuffisants) ;

- que le nombre d'agents du service pénitentiaire d'insertion et de probation affecté au service des bracelets électroniques soit suffisant. Ces agents chargés de l'enquête de la faisabilité ainsi que du contrôle du respect des obligations travaillent dans des conditions très tendues.

C. LA DÉTRESSE DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

Nous ne reprenons pas ici les observations générales sur la RGPP, mais la situation de la protection judiciaire de la jeunesse autorise l'insistance.

Désespoir et désespérance résument l'état d'esprit des acteurs de ce secteur auquel nous devons rendre hommage.

Commençons par dénoncer une communication qui tourne le dos à la réalité. Une fois de plus, c'est le discours répressif qui sollicite l'opinion : faut-il pourtant rappeler que sur les 110 000 adolescents confiés à la protection judicaire de la jeunesse, 95 % sont en milieu ouvert.

Pourquoi faut-il que le ministre de l'intérieur, dans son commentaire du « Livre blanc sur la sécurité publique » 87 ( * ) s'en prenne exclusivement à une approche judiciaire des mineurs en mettant en cause « la lenteur de la justice » par rapport aux actes commis « par des mineurs qui doivent être remis dans le droit chemin le plus tôt possible ».

Revenant sur la responsabilité des parents et de la famille, il « souhaite créer une contravention à l'égard des parents qui laissent leurs enfants de moins de 13 ans seuls dans la rue la nuit après 23 heures. Le montant doit être dissuasif : 150 euros par exemple. Si cela ne suffit pas à provoquer une prise de conscience des parents, je souhaite qu'ils s'engagent par la signature d'un contrat de responsabilité parentale avec suspension possible des allocations familiales en cas de non respect des termes de ce contrat ».

Le service de la protection judicaire de la jeunesse a vu ses postes diminuer de 420 en trois ans. En 2012, il devra compter 106 postes en moins. Nous retrouvons aussi le phénomène de sous-budgétisation.

Au cours de l'année 2011, 40 à 50 contrats de personnel spécialisé n'ont pas été renouvelés faute de moyens, pour rentrer dans l'enveloppe des crédits budgétaires.

Pour le secteur associatif habilité, le report de charge reste une procédure habituelle : 27 millions d'euros pour la période 2009-2010, 34 millions d'euros pour la période 2010-2011 (soit un mois de fonctionnement) et enfin 40 millions d'euros pour la période 2011-2012.

Acteur historique majeur, ce secteur gère 1 293 établissements (le public en gère 273). Ses représentants estiment qu'entre 2008 et 2012, leurs subventions ont baissé de 21 %, soit une diminution de 60 millions d'euros. Ils constatent un décalage entre les besoins et les moyens, l'affichage politique et la réalité, l'inflation législative répressive et la nécessité de renforcer la dimension élective au profit des jeunes. Dans l'immédiat, beaucoup d'associations n'ont pas encore reçu d'accord budgétaire pour 2011. Un sixième du budget de certaines associations ne serait pas financé.

Les représentants du secteur associatif habilité expriment des craintes quant aux procédures d'harmonisation « public-privé ». Ces craintes portent sur la définition des éléments comparatifs, sur le coût des mesures d'investigation, sur l'évolution du coût moyen de fonctionnement des CEF qui passerait de 594 euros en 2011 à 575 euros en 2012 (après avoir été de 642 euros en 2007).

Ce passage de 594 euros à 575 euros s'obtiendrait par une amélioration du taux d'occupation, une diminution des dotations de fonctionnement (- 2,5% en 2012, comme en 2011), un encadrement de 24 ETPT pour 12 places (au lieu de 26-27 ETPT dans certains CEF associatifs).

Le ministère prévoit de créer 20 CEF supplémentaires (45 existent aujourd'hui). C'est donc la preuve que celui-ci refonde la protection judiciaire de la jeunesse sur le pénal.

Le CEF peut-il tout faire ? N'y-a-t-il pas un risque de dévoiement ?

Certains estiment que nous n'avons pas besoin de 20 CEF supplémentaires et qu'il faudrait faire fonctionner ceux qui existent.

Pour conclure :

- une durée moyenne de séjour en CEF est nécessaire pour tenter de diminuer la récidive. Les spécialistes estiment cette « bonne » durée à sept mois (et non à quatre ou cinq mois) ;

- par rapport à l'enfermement, il doit y avoir un amont et un aval. Dans certaines directions régionales, il a été dit qu'il n'y avait plus de budget d'accompagnement du jeune placé en extérieur ;

- les associations, lorsqu'il s'agit de jeunes majeurs, ne travaillent plus dans un cadre contractuel (contrairement à ce qui se passe pour les mineurs) ;

- enfin, il faut veiller à la réduction du délai de prise en charge par l'administration de la protection judiciaire. Il peut s'écouler 20-25 jours entre la sortie de chez le juge et la rencontre d'un éducateur. Cette « zone grise » est à risque.

D. UNE AUTONOMIE À PARFAIRE : CELLE DU CSM

Avec la constitution du programme 335, le Conseil supérieur de la magistrature acquiert son autonomie budgétaire. La diversité des primes en fonction de l'origine institutionnelle des personnels souligne un mal chronique de notre organisation générale.

Votre rapporteur spécial n'a pas à se prononcer sur les attributions et les modalités du fonctionnement dudit Conseil. Il est toutefois dans son rôle de tirer des conclusions du principe d'autonomie.

D'une part, une localisation hors du Palais de l'Elysée conforte cette autonomie. Simplement si l'actuelle situation - rue de Ségur - présente des avantages financiers (le CSM ne paie que des charges), il faut savoir qu'elle est temporaire et doit se terminer à l'été 2012. Il faut donc qu'un nouveau lieu d'accueil soit trouvé. Il n'est pas certain que le CSM puisse, dans le calendrier exposé par son Président, trouver une solution qui dépendrait d'une « opération tiroir » gérée par France Domaine pour le compte du ministère de la justice.

D'autre part, la gestion informatique comptable dépendant du ministère de la justice, le Président du CSM y voit une « reprise en main inadmissible » avec pour conséquence un retard de paiement pour les entreprises ayant contracté avec le CSM. Sur les 478 842 euros engagés, 227 798 auraient été payés.

Le Président du CSM regrette que l'on oppose une question technique à l'exercice d'une réelle autonomie.

E. L'INSUFFISANCE DU DIALOGUE SOCIAL

Votre rapporteur spécial connaît les difficultés habituelles du dialogue social en général, mais il existe incontestablement des incompréhensions. Nous avons pu le constater en comparant les statistiques des uns et des autres, que ces documents intéressent les personnels, les emplois crées ou supprimés, les vacances de postes, la fermeture ou l'ouverture d'établissement. De même, il a entendu des remarques concernant l'architecture, le fonctionnement des nouveaux établissements pénitentiaires ; la qualité d'un service public dépend aussi des relations établies entre ses acteurs, en interne comme en externe.

Des attentes ont été exprimées. Le ministre a connaissance de celles que lui a transmises le secteur associatif habilité et qui portent plus spécialement sur le report de charges, la réduction d'encadrement des CEF, la consolidation des CEF existants...

Ce secteur associatif habilité demande qu'une instance de concertation auprès du garde des Sceaux, permette d'approfondir la politique associative du ministère de la justice.


* 85 Professeur de droit public à l'université de Paris X.

* 86 Directeur de la fondation Jean Jaurès.

* 87 Le Monde du 27 octobre 2011.