M. François PATRIAT, rapporteur spécial

III. LES PREMIERS CONSTATS RELATIFS À LA COLLECTE ET À LA RÉPARTITION DU PRODUIT DE LA TAXE D'APPRENTISSAGE APPELLENT UNE RÉFORME DU DISPOSITIF

A. LE LANCEMENT D'UNE MISSION DE CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

A la lumière de la création du CAS FNDMA, l'attention de votre rapporteur spécial avait été attirée sur la pertinence du maintien du taux de 22 % du quota de la taxe d'apprentissage ( cf. encadré ci-dessous) au titre d'une des recettes du compte spécial, mais aussi sur la complexité des modalités de collecte et de répartition du produit de taxe d'apprentissage.

Un éclairage « historique » sur l'origine du taux de 22 % de la taxe d'apprentissage
en faveur du CAS FNDMA

En effet, la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale a rendu plus transparentes la collecte et la répartition de la taxe d'apprentissage à travers la création du FNDMA. Se substituant au Fonds de péréquation de la taxe d'apprentissage (FNPTA), le FNDMA a eu pour mission de recevoir les versements effectués au Trésor public par une personne ou entreprise redevable de la taxe d'apprentissage afin de s'acquitter de tout ou partie de cette dernière ou par les OCTA et de les reverser aux fonds régionaux de l'apprentissage et de la formation professionnelle continue (FRAFPC).

Ses ressources étaient alors constituées des ressources de l'ex FNPTA (151 M€), des recettes supplémentaires provenant de la suppression de certains chefs d'exonération (185,6 M€), des recettes correspondant aux sommes alors perçues à titre résiduel par le Trésor public (25 M€) et des économies de frais de gestion (3 M€), soit un total de 364,6 M€.

Préalablement à l'adoption de la loi du 18 janvier 2005 précitée, le montant de la taxe d'apprentissage se répartissait comme suit : 60% au titre du barème ou hors quota (financement des premières formations technologiques et professionnelles) et 40% au titre du quota (30% affectés au CFA et 10 % au titre de la péréquation).

A l'issue de la réforme, la répartition du montant de la taxe d'apprentissage a été la suivante :

- 48% au titre du barème ;

- 52 % au titre du quota, lui-même réparti comme suit : 30 % de la taxe dédiés au financement des CFA, 10 % au titre de la péréquation et 12% au titre des COM.

La jonction de la péréquation (10 % de la taxe d'apprentissage) et des COM (12 % de ladite taxe), au sein du FNDMA nouvellement créé, a abouti à un fléchage d'un montant global s'élevant donc à 22%.

Source : réponse au questionnaire budgétaire.

C'est donc sur la base de cette interrogation de départ que votre commission des finances du Sénat a confié à votre rapporteur spécial le soin de conduire, en application de l'article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, une mission de contrôle sur la répartition du produit de la taxe d'apprentissage, cette mission ayant pour objet d'évaluer les enjeux qui s'attachent à la collecte de cet impôt, ainsi que de dresser un bilan sur l'utilisation des différentes composantes de cette taxe au profit de l'apprentissage.

B. DES PREMIERS CONSTATS « TRÈS CRITIQUES »...

Au terme d'un premier cycle d'auditions et, sur la base des réponses au questionnaire adressé par votre rapporteur spécial à la DGEFP, les premiers constats effectués peuvent être qualifiés de « très critiques » sur la collecte et la répartition de la taxe d'apprentissage et peuvent se résumer à cette formule : « ni l'Etat, ni les régions n'ont la main » sur la répartition de la taxe d'apprentissage qui représente 1,95 milliard d'euros (en 2010) soit 6,2 % de la dépense totale de la formation professionnelle (31,5 milliards d'euros en 2010).

Ainsi, la DGEFP pointe de nombreuses dérives, parfois graves, des dispositifs de collecte et de répartition.

S'agissant de la collecte :

- celle-ci est effectuée par un grand nombre d'organismes (141 dont 63 établissements consulaires, 55 organismes de collecte de la taxe d'apprentissage - OCTA - nationaux et 23 OCTA régionaux) alors que seuls les 10 plus gros concentrent plus de la moitié (51 %) de la collecte totale ;

- plusieurs modes d'habilitation des organismes de collecte coexistent (ministères en charge de l'emploi, de l'éducation nationale, de l'agriculture et préfets de région). Ils n'obéissent pas aux mêmes critères d'attribution et sont délivrés à des organismes de différentes natures dont les champs géographiques et professionnels peuvent se chevaucher, empêchant ainsi toute visibilité de la collecte et de son processus de répartition ;

- le système conduit à une concurrence entre les principaux organismes de collecte et génère des pratiques anormales (utilisation des frais de gestion de la taxe d'apprentissage pour le financement de campagnes publicitaires et d'offres de services spécifiques aux grands groupes ; recours à des courtiers ou « rabatteurs » de taxe alors que la réglementation ne l'autorise pas) qui, au final, peuvent être considérées comme un financement déguisé des OCTA aux frais de ressources humaines engagés par les grands groupes pour gérer leurs alternants, et conduisent à « truster » le produit de la TA au profit de l'enseignement supérieur ;

- une telle situation entraîne une « très grande hétérogénéité » des performances de gestion des organismes de collecte (les frais de collecte varient de 1 à 140 en fonction de l'organisme ; les obligations comptables sont imparfaitement respectées).

S'agissant de la répartition :

- la gouvernance des OCTA ne favorise pas la réponse aux besoins des territoires dans les décisions d'affectation de la TA. Il en ressort que contrairement au principe de « libre affectation » de la TA par l'entreprise, les OCTA sont de fait les seuls décideurs de l'affectation des fonds (soit la liberté d'affectation est relative, soit celle ci est pratiquée au niveau de la branche professionnelle et autofinance l'appareil de formation qu'elle gère en direct) ;

- compte tenu des faiblesses des procédures d'agrément et de l'hétérogénéité des acteurs, le dispositif actuel ne prévoit aucune mutualisation dans la répartition des fonds collectés, alors même qu'il pourrait s'agir d'un objectif attendu d'une taxe à caractère fiscal ;

- le système actuel de listes préfectorales ne permet pas d'identifier avec précision les formations éligibles au financement de la TA et les organismes qui les dispensent. Ce problème réglementaire d'affectation des fonds de la taxe d'apprentissage ne favorise pas prioritairement le financement des établissements qui en auraient le plus besoin.

C. ... QUI APPELLENT À UNE RÉFORME PROFONDE DU DISPOSITIF

Les constats et dérives signalés concernant les OCTA plaident pour une réforme profonde de la collecte qui doit précéder ou accompagner une non moins importante refonte du mécanisme de répartition :

- simplifier, clarifier et homogénéiser la collecte (agrément précis délivré au niveau national soit par le transfert de la collecte aux URSSAF - comme cela est le cas pour l'assurance chômage -, soit par un adossement au réseau des organismes paritaires de collecte agréés qui ont été réformés dans le cadre de la formation professionnelle). Une autre solution, non formulée par la DGEFP, serait de rationaliser le réseau des OCTA, comme cela est en cours pour les OPCA (réduction de leur nombre, conventions d'objectifs et de moyens) ;

- introduire un pilotage régional dans la répartition de la TA en fonction des priorités de formation définies au travers du contrat de plan régional de développement de la formation professionnelle (CPRDFP).

Voici brièvement synthétisés les principaux constats et préconisations issus de cette première phase de collecte d'informations. Par ailleurs, de nombreux autres problèmes mettent en lumière l'opportunité d'engager une réforme ambitieuse de la TA. Les deux motifs suivants en illustrent la nécessité :

- le contrôle de la TA est déficient. Dans les faits, l'administration fiscale ne dispose plus de l'information relative au paiement de la TA. Ce sont les employeurs qui autoliquident et s'autocontrôlent dans leurs obligations de versement ;

- il n'existe aucune articulation des financements par la taxe et par les régions. Si les régions perçoivent 22 % de la taxe d'apprentissage via le fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage, le reste de la taxe est réparti sans stratégie globale autre que celle suivie par chaque entreprise ou organisme collecteurs.

Compte tenu du fait que les modalités de répartition de la TA dépassent très largement le seul cadre de l'apprentissage et que la répartition de ses fonds doivent être examinées au regard de l'ambition que le Gouvernement va fixer en matière d'accès à la qualification des jeunes, conformément à la feuille de route de la « grande conférence sociale » du 9 et 10 juillet 2012, ainsi que du nouveau cadre juridique de répartition des compétences qui résultera de la nouvelle étape de décentralisation, votre rapporteur spécial a décidé de poursuivre ses travaux dans la perspective de présenter au premier trimestre 2013 ses observations et recommandations .