MM. Eric DOLIGÉ et Richard YUNG, rapporteurs spéciaux

SECONDE PARTIE
ANALYSE DES QUATRE PROGRAMMES DE LA MISSION

I. LE PROGRAMME 105 « ACTION DE LA FRANCE EN EUROPE ET DANS LE MONDE »

Ce programme, placé sous la responsabilité du directeur général des affaires politiques et de sécurité, regroupe les moyens d'action généraux du ministère des affaires étrangères et du développement international. S'y retrouvent, en particulier, les dépenses d'état-major, les dépenses nécessaires au fonctionnement du réseau diplomatique stricto sensu ainsi que les contributions financières de la France aux organisations internationales dont elle est membre.

A. LE PROGRAMME EN QUELQUES CHIFFRES

Les crédits demandés sur le programme « Action de la France en Europe et dans le monde » dans le cadre du présent projet de loi de finances s'élèvent à 1 794,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 1 799,7 millions d'euros en crédits de paiement . Le tableau suivant retrace la répartition de ces crédits par action.

Répartition par action des crédits demandés

Action

Exécution 2013
(CP, en millions d'euros)*

Autorisations d'engagement
(en millions d'euros)

Crédits de paiement
(en millions d'euros)

En % des CP du programme

2014

2015

2014

2015

Coordination de l'action diplomatique

45,231

87,958

82,729

87,958

82,729

4,6 %

Action européenne

46,303

49,790

49,428

49,790

49,428

2,8 %

Contributions internationales

897,392

799,105

756,277

799,105

756,277

42 %

Coopération de sécurité et de défense

96,491

94,321

93,763

94,321

93,763

5,2 %

Soutien

166,738

229,337

230,623

236,737

235,588

13,1 %

Réseau diplomatique

669,572

579,987

581,877

579,987

581,877

32,3 %

Total

1 921,7

1 840,5

1 794,7

1 847,9

1 799,7

* L'exercice 2013 avait été marqué par d'importantes erreurs d'imputation comptable entre les actions 1, 6 et 7 de ce programme, qui faussent les données à ce niveau.

Source : projet de loi de finances pour 2015, annexe « Action extérieure de l'État »

Ce programme connaît d'assez fortes irrégularités en exécution , une surexécution de 102,9 % en 2013 ayant ainsi succédé à un exercice 2012 au cours duquel seulement 92 % des crédits ouverts en loi de finances initiale avaient été consommés. Cela s'explique en grande partie par des facteurs exogènes, comme la date d'appel de fonds de contributions dues au titre des opérations de maintien de la paix (OMP) menées sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies (voir ci-après).

Les crédits du programme devraient, comme les autres, être mis en réserve à hauteur de 8 % hors crédits de personnel (crédits de « titre 2 », mis en réserve à hauteur de 0,5 %). Cela peut d'ailleurs sembler un peu curieux s'agissant de dépenses obligatoires telles que les contributions aux organisations internationales , qui ont une très forte probabilité d'être débloquées en cours d'année pour honorer les engagements de la France.

Enfin, quelques fonds de concours représentant, au total, une somme de 4,2 millions d'euros , devraient compléter les moyens financiers dévolus à ce programme.

B. LES OBJECTIFS ET LA PERFORMANCE

La partie performance de ce programme évolue quelque peu dans le cadre du présent projet de loi de finances.

Deux indicateurs ont été supprimés :

- le sous-indicateur 2.2.3 « Proportion de postes diplomatiques et consulaires dotés d'un plan de sécurité actualisé », devenu peu significatif car ayant atteint sa cible de 100 %, impossible à améliorer. L'indicateur 2.2 « Veiller à la sécurité des Français à l'étranger » concourant à l'objectif 2 « Renforcer la sécurité internationale et la sécurité des Français » garde donc deux sous-indicateurs suivants, le 2.2.1 « Pourcentage de relecture des fiches `conseils aux voyageurs' par bimestre » et le 2.2.2 « Nombre de consultations du site `Conseil aux voyageurs' » ;

- et l'indicateur 3.2 « Evaluation du poids politique de la France et des Français dans les organisations internationales », mesuré par deux sous-indicateurs, le 3.2.1 « Taux de résolutions adoptées au Conseil de sécurité de l'ONU à l'initiative de la France » et le 3.2.2 « Taux d'élections remportées par la France ou des Français ». Selon les informations transmises par le MAEDI, la conférence de performance du 29 avril 2014 a pris cette décision de suppression dans la mesure où il s'apparentait davantage à un indicateur d'activité que de performance.

La mission compte donc quatre objectifs, dont trois « politiques » :

- l'objectif n° 1, « Construire l'Europe, que décline un seul indicateur, a priori un peu réducteur « Présence des Français et usage du français dans l'Union européenne » ;

- l'objectif n° 2, « Renforcer la sécurité internationale et la sécurité des Français » qui, outre l'indicateur 2.2 précité, inclut un indicateur 2.1 mesurant le taux de hauts responsables étrangers en activité formés par la France ;

- et l'objectif n° 3, « Optimiser l'effort français en faveur du maintien de la paix », qui mesure l'évolution des mandats des opérations de maintien de la paix.

Il convient de préciser que, pour ces trois objectifs, à côté de ces indicateurs, demeurent de longs développements littéraires, rappelant les objectifs de fond de la diplomatie française, dont l'atteinte peut difficilement se mesurer par des chiffres.

Enfin, un quatrième objectif, plus « classique », « Assurer un service diplomatique efficient et de qualité » comprend quatre indicateur de gestion, eux-mêmes déclinés en treize sous-indicateurs.

C. LES PRINCIPAUX CHOIX BUDGÉTAIRES POUR 2015

Le projet annuel de performances de la mission annexé au présent projet de loi de finances livre de manière précise la nature des crédits demandés pour l'exercice à venir.

Les chiffres saillants et les principales évolutions par rapport à l'année dernière sont résumés ci-après.

1. Des crédits tirés vers le bas par l'évolution favorable des dépenses obligatoires

A périmètre constant, les crédits du programme doivent diminuer de 2,5 % en 2015 , avec notamment une baisse de 3,5 % des crédits de paiement hors dépenses de personnel .

C'est avant tout l'évolution favorable des contributions aux organisations internationales (OI) et aux opérations de maintien de la paix (OMP) qui explique cette tendance. A elles seules, ces lignes devraient diminuer de 43 millions d'euros (- 5,1 %) par rapport à 2014.

Plusieurs facteurs expliquent cette prévision :

- la révision du barème des contributions aux Nations-Unies , qui devrait être formellement décidée fin 2015 mais qui est déjà anticipée ;

- l'anticipation, là aussi, du report de paiement sur 2016 des derniers appels de contributions au titre des OMP, du fait du changement de barème ;

- le taux de budgétisation du taux de change dollar/euro , passé de 1,31 à 1,36 ;

- la maîtrise des budgets des OI , à laquelle de nombreux Etats membres sont devenus sensibles ;

- et une décision de retrait d'une OI, en l'occurrence l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel ( ONUDI ), qui représente une économie de 6,3 millions d'euros .

2. La diminution des crédits de personnel du programme

Les crédits de personnel du programme baissent eux aussi, de 0,4 %, avec un passage du plafond d'emplois de 8 082 ETPT à 7 920 ETPT.

Ce programme est celui dont les effectifs diminueront le plus l'année prochaine , en particulier au sein du réseau diplomatique.

En outre, le ministère a procédé à un resserrement des conditions ouvrant droit à l'obtention d'une indemnité de changement de résidence, qui comprend une partie salariale et une autre liée à des frais de déplacement.

3. La faible budgétisation des dépenses de sécurité et de rénovation lourdes des postes à l'étranger

Comme ces dernières années, les crédits du programme ne retracent pas complètement plusieurs dépenses importantes relatives aux postes à l'étranger , prises en charge de manière dérogatoire par le programme 723 « Contribution aux dépenses immobilières » du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat ».

Le CAS doit ainsi consacrer 10 millions d'euros de crédits aux dépenses de sécurisation des postes , minorant d'autant les crédits d'investissement de l'action 7 du présent programme, qui s'élèveront, à ce titre, à 19,1 millions d'euros.

De même, seuls 2,2 millions d'euros seront consacrés par le programme 105 aux dépenses d'entretien lourd à l'étranger , alors que le besoin est de l'ordre d'une douzaine de millions d'euros. Là encore, ce sont les crédits du programme 723 qui assureront le financement du différentiel.

4. Une relative tension sur les autres dépenses

Les autres dépenses du programme connaissent une certaine tension.

Les loyers budgétaires (France et étranger), qui représentent 92,7 millions d'euros, augmentent ainsi de 1,54 %.

De manière générale, les frais de fonctionnement du réseau diplomatique augmentent de 2 % , tiré vers le haut par les tendances inflationnistes observées dans de nombreux pays, tant pour le coût des locations, que pour celui des consommations de divers fluides (électricité, gaz, etc.). De même, les prix des billets d'avion restent orientés à la hausse.

Des dépenses plus aisément contrôlables ont, en revanche, été rognées : tel est le cas des crédits informatiques (- 1,2 %) et des crédits relatifs à la coopération de sécurité et de défense (- 3,6 %).

D. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOS RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Le poids élevé des dépenses contraintes, principal facteur de vulnérabilité du programme

Le niveau des crédits demandés apparaît sincère , même si, comme indiqué précédemment, une vingtaine de millions d'euros de dépenses qui auraient eu vocation à figurer dans ce budget seront, en fait, pris en charge par le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat ».

En termes de soutenabilité budgétaire, les restes à payer sont stables (156,1 millions d'euros en montant estimé à fin 2015) et concernent, pour l'essentiel, le loyer du bâtiment de la Courneuve (118,1 millions d'euros), des baux fermes de location à l'étranger (6,1 millions d'euros) ainsi que des contrats de maintenance à l'étranger pour lesquels des contrats pluriannuels ont été passés.

Néanmoins, du fait de sa structure, l'exécution de ce programme reste soumise à des aléas .

En effet, les dépenses « obligatoires » (contributions aux OI et aux OMP, loyers budgétaires, CAS pensions) pèsent 56 % des crédits demandés.

Or des incertitudes demeurent, en particulier :

- sur le format des OMP, certaines crises étant susceptibles de survenir en cours d'exercice ;

- et sur le cours du dollar . Le budget a été construit sur une hypothèse de cours de 1,36 dollar pour un euros ; au moment où votre commission des finances examine les crédits de cette mission, le cours réel s'établit à 1,25 dollar pour un euro et peu de facteurs semblent plaider pour un raffermissement notable de l'euro à court terme. Un écart de 10 centimes annulerait par exemple complètement l'économie prévue sur les contributions aux OI et aux OMP (43 millions d'euros).

2. L'avenir du CAS « Immobilier » : un pari du MAE sur trois ans

Notre ancien collègue Roland du Luart a bien décrit 3 ( * ) , il y a deux ans, le mécanisme particulier de retour intégral du produit des cessions d'immeubles à l'étranger dont bénéficie le ministère, en échange notamment de sa prise en charge des dépenses de rénovation lourde.

Depuis lors, l'exercice 2014, dernière année théorique de ce régime dérogatoire, a été marqué par la prise en charge de deux dépenses supplémentaire par le CAS « Immobilier » : une contribution au désendettement fixée à 22 millions d'euros et le financement à hauteur de 10 millions d'euros de travaux de sécurisation des postes à l'étranger.

Le présent projet de loi de finances propose, en son article 22, de prolonger ce système pour trois ans, jusqu'en 2017 . Néanmoins, ce même article pose le principe d'une participation forfaitaire au désendettement de ces recettes, à hauteur « d'un montant au moins égal à 25 millions d'euros par an en 2015, 2016 et 2017 ».

Le MAEDI est donc tenu de réaliser au moins 50 millions d'euros de cessions par an afin que ce système lui reste profitable (et même environ 65 millions d'euros en prenant en compte les dépenses de sécurisation des postes et de rénovation lourde qui incombent à ce CAS), ce qui présente la dimension d'un pari.

Les trois années à venir seront sans doute les dernières au cours desquelles le potentiel d'opérations à réaliser rendra ce mécanisme utile en termes d'intéressement du ministère à l'optimisation de son parc immobilier.

3. La nécessité d'adapter réellement les missions des postes diplomatiques à leur format

Au cours des trois années 2015 à 2017, l'adaptation du format des postes se poursuivra ( cf. première partie du présent rapport), avec notamment la transformation de treize nouvelles ambassades en « postes de présence diplomatique », au format très réduit, qui s'ajouteront aux treize postes actuellement existant .

Un tel mouvement est nécessaire afin d'assumer le choix du Gouvernement de maintenir la présence française dans la quasi-totalité des pays du monde. Il est néanmoins indispensable que les missions de ces postes soient réellement redéfinies en conséquence.

De même, les postes dits à « missions prioritaires », également à format adapté, doivent recevoir clairement la liste desdites missions prioritaires, qui ne sauraient englober l'ensemble des missions des principales ambassades.

4. Ambassadeurs thématiques : des objections qui demeurent

Enfin, les observations formulées il y a deux ans par votre rapporteur spécial Richard Yung 4 ( * ) demeurent d'actualité.

Selon les informations transmises par le ministère, il existe toujours plus de vingt ambassadeurs de ce type, dont les conditions de nomination (parfois par une simple note de service), demeurent discutables.

Il convient qu'un débat puisse enfin avoir lieu, au Sénat, sur l'utilité réelle de ces ambassadeurs ainsi que sur le montant des crédits qui leur sont alloués.

C'est pourquoi votre rapporteur spécial Richard Yung propose un amendement diminuant symboliquement les crédits du programme (150 000 euros), qui viserait les moyens de fonctionnement des ambassadeurs thématiques . Une telle initiative imposera au Gouvernement de justifier l'existence de ces postes et les conditions dans lesquelles les intéressés exercent leur activité.

Les principales observations de vos rapporteurs spéciaux
sur le programme « Action de la France en Europe et dans le monde »

- Les crédits demandés au titre du programme « Action de la France en Europe et dans le monde » diminuent de 2,5 % en 2015 .

- Cette baisse est principalement due à la diminution de 43 millions d'euros des contributions aux organisations internationales , sous l'effet de plusieurs facteurs (révision du barème des Nations-Unies, sortie de l'ONUDI...).

- Cette diminution pourrait néanmoins être remise en cause si le taux de change entre l'euro et le dollar (actuellement 1,25 dollar pour un euro) restait éloigné de la prévision de 1,36 dollar pour un euro.

- Plus de vingt millions d'euros de crédits liés à la rénovation lourde des postes à l'étranger et à la sécurisation de ces postes restent pris en charge par le produit des cessions immobilières hors de Franc e , au travers d'un compte d'affectation spéciale.

- Un système dérogatoire de retour du produit des cessions immobilières au ministère restera en place jusqu'en 2017 . Néanmoins, le MAEDI devra participer de manière forfaitaire, à hauteur d'au moins 25 millions d'euros par an, au désendettement de la France. Une telle formule représente un véritable « pari » sur le potentiel d'optimisation qui reste encore à réaliser sur le parc immobilier à l'étranger.

- L'adaptation du format des ambassades se poursuivra entre 2015 et 2017, avec la création de treize nouveaux « postes de présence diplomatique », au format très réduit. Il est indispensable que les missions de tels postes soient bien adaptées à leur taille.

- Un amendement de réduction des crédits du programme proposé par votre rapporteur spécial Richard Yung permettra de débattre de la légitimité des « ambassadeurs thématiques » et des moyens qui leur sont octroyés.


* 3 Rapport général n° 148 (2012-2013), Tome III, annexe 1.

* 4 Rapport général n° 148 (2012-2013), Tome III, annexe 1 précité.