M. Maurice Vincent, rapporteur spécial

II. LA FORTE AUGMENTATION DE LA VALEUR DU PORTEFEUILLE DE L'ÉTAT

Le rapport relatif à l'État actionnaire souligne « la hausse significative de la valeur du patrimoine coté de l'État ». En effet, au 30 avril 2014, sa valeur s'établit à 84,7 milliards d'euros, soit une augmentation de 40,75 % sur un an contre seulement 16,35 %, sur la même période, pour le CAC 40 . Cette hausse s'explique principalement du fait de l'évolution du cours d'EDF (+ 97,75 % sur un an) entreprise dont l'État possède 85 % du capital.

Dans le cadre de la nouvelle doctrine de l'État actionnaire, cette bonne performance offre la possibilité de réaliser des cessions à des conditions financières satisfaisantes ( cf. infra ).

Néanmoins, une analyse agrégée du portefeuille de l'État, comme celle utilisée pour établir les indicateurs de performances contenus dans le projet annuel de performances du compte spécial, apparaît limitée. David Azéma, lors de son audition du 26 février 2014, constatait d'ailleurs que « nous sommes un conglomérat financier. Un bilan consolidé entre des entreprises aussi différentes que la RATP et Airbus Group n'a pas de sens. Et, pour tout dire, les comptes consolidés que l'on produit soigneusement tous les ans ne signifient rien !

« Dans notre portefeuille, vingt entreprises pèsent pour plus de 80 % de la valeur. Il faut regarder entreprise par entreprise pour juger de la qualité du portefeuille. Mélanger EDF, entreprise très intensive en capital, et La Poste, intensive en main d'oeuvre qui, au surplus, en sont à des stades très différents de développement et de maturité, donne une moyenne qui ne signifie rien . Il faut donc lire nos états financiers - qui sont exacts - avec prudence. En la matière, la consolidation du portefeuille de l'État ne dit pas grand-chose ».

Au total, s'il faut se réjouir de l'augmentation de la valeur patrimoniale du portefeuille de l'État, celle-ci ne découle pas directement de la bonne gestion de l'Agence des participations de l'État, dont la performance est, à ce jour, encore mal appréhendée par les documents budgétaires.

III. DES ENTREPRISES À UN TOURNANT STRATÉGIQUE

A. DEXIA : UNE SANTÉ ENCORE CHANCELANTE

La banque franco-belge Dexia, dont l'État français détient 44,4 %, est officiellement entrée dans un processus de « résolution ordonnée » depuis le 28 décembre 2012. Son bilan, au 30 juin 2014, s'élève toujours à plus de 238 milliards d'euros, ce qui la rend encore systémique pour l'ensemble du secteur bancaire européen.

La promulgation de la loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public a permis de lever une partie des risques pesant sur Dexia liés à la commercialisation des « emprunts toxiques ». Toutefois, comme l'indique la banque, « en date du 30 juin 2014, Dexia Crédit Local avait été assigné par 224 clients, dont 41 sur lesquels la banque a un encours, le reste de l'encours ayant été transféré à la Caisse Française de Financement Local (CAFFIL) » 4 ( * ) .

Néanmoins, comme le relevait notre collègue Jean Germain dans son rapport 5 ( * ) sur la loi précitée, « Dexia et la SFIL ont signé une convention de répartition des charges. Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport sur Dexia, la convention ? prévoit que le risque de condamnation à des dommages et intérêts, c'est-à-dire le risque lié à la commercialisation des prêts structurés, serait porté par [Dexia Crédit Local], y compris lorsque les prêts sont au bilan de [la CAFFIL] ? . En revanche, pour les emprunts inscrits dans son bilan, la CAFFIL supporte le risque lié aux emprunts eux-mêmes, par exemple en cas de défaut de mention du TEG sur le contrat ».

Le rapport relatif à l'État actionnaire rappelle également que « d'importants risques pèsent encore sur le groupe du fait de son exposition au secteur public des pays du sud de l'Europe et des États-Unis, de la forte sensibilité de ses résultats à ses coûts de financement et des risques opérationnels induits par la réorganisation de son activité ».

Ainsi, le 26 octobre 2014, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé que la banque n'avait pas satisfait au « test de résistance » ( stress tests ), conduit sur la base de ses comptes arrêtés au 31 décembre 2013, du fait notamment de sa forte exposition aux dettes souveraines. Néanmoins, la BCE « a précisé que, compte tenu de son statut de banque en résolution bénéficiant d'une garantie des États, Dexia ne sera pas tenu d'augmenter son capital. [...] Aucune autre action de remédiation, ni aucune aide des États, n'a été requise par le régulateur » 6 ( * ) .

Autrement dit, bien qu'elle ait échoué au test de résistance, la situation de la banque est apparue suffisamment solide aux autorités européennes dans un contexte où Dexia réduit progressivement son bilan, notamment par des cessions d'actifs. Le processus de résolution a toutefois vocation à se poursuivre sur plusieurs années pendant lesquelles le suivi fin des risques doit être poursuivi.

Au total, le constat dressé, en juillet 2013, par la Cour des comptes reste d'actualité : « au-delà des coûts constatés à ce jour, de l'ordre de 6,6 milliards d'euros , Dexia représente des risques importants et durables pour les finances publiques françaises , qu'il appartient à l'État de maîtriser. Ces risques concernent la gestion extinctive du groupe Dexia résiduel et la gestion de l'ensemble SFIL/CAFFIL, mais aussi le soutien qu'apporte la Caisse des dépôts et consignations au financement de ces dernières structures. [...]

« Durant les sept ans à venir, il ne faut pas qu'il y ait appel effectif à la garantie de 85 milliards d'euros dont 38,75 milliards d'euros [...] pour l'État français, ni d'obligation pour les États de recapitaliser la structure en gestion extinctive. Les projections financières du plan de résolution sont jugées, par les acteurs, conservatrices et prudentes, en l'état actuel des prévisions économiques et de taux d'intérêt, mais incertaines si l'amélioration des conditions macro-économiques et la hausse des taux d'intérêt ne se réalisaient pas.

« La Cour souligne également le caractère fortement aléatoire des prévisions économiques et le fait que le plan de résolution n'a pas immunisé Dexia contre les risques qui étaient antérieurement inhérents à son activité : le plan reproduit le même modèle de financement, et la gestion extinctive limite les marges de manoeuvre. Dès lors, en l'absence de respect de la trajectoire qui a été tracée, la nécessité de la recapitalisation par les États constituerait un risque substantiel » 7 ( * ) .

B. SNCM : VERS UN REDRESSEMENT JUDICIAIRE ?

La Société nationale Corse Méditerranée (SNCM) a été privatisée en 2006 mais l'État détient toujours 25 % de son capital au travers de la Compagnie Générale Maritime et Financière (CGMF). Les autres actionnaires sont Veolia Transdev 8 ( * ) pour 66 % et les salariés pour 9 %.

Ainsi que le rappelle l'Agence des participations de l'État, en réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial, « la situation financière de la compagnie est très dégradée. Les comptes 2013 ne sont pas encore approuvés mais, après un résultat net négatif de - 14,3 millions d'euros en 2012, la SNCM devrait enregistrer en 2013 un résultat négatif de plus de 40 millions d'euros. De la même manière, le résultat d'exploitation devrait passer de - 27,3 millions d'euros à - 64,1 millions d'euros entre 2012 et 2013.

« Par ailleurs, un risque financier pèse sur la SNCM du fait de deux contentieux européens. La Commission européenne a, le 2 mai 2013, ordonné à la France de recouvrer 220 millions d'euros d'aides publiques jugées incompatibles avec les règles européennes de la concurrence. Il s'agit de subventions versées par la collectivité territoriale de Corse à la compagnie depuis 2006 au titre du service complémentaire (capacité accrue pendant les vacances scolaires avec deux ferries en plus des quatre navires qui effectuent les rotations normales). La Commission a introduit à l'encontre de la France un recours en manquement pour non exécution de la décision du 2 mai 2013.

« Un contentieux relatif à la restructuration-privatisation de la SNCM est également en cours. [...] Par une décision du 11 septembre 2012, le Tribunal de l'Union européenne a annulé la décision de la Commission qui avait validé le processus. La Cour de justice a rejeté, le 4 septembre dernier, le pourvoi de la France et de la SNCM contre cette décision du Tribunal. La Commission a pris une nouvelle décision le 20 novembre 2013 concluant à l'illégalité des aides versées et demandé à la France de les recouvrer auprès de la SNCM, décision qui est contestée par la France. Le montant des aides concernées, hors intérêts moratoires, s'élève à 220 millions d'euros . [...]

« En 2013, la SNCM avait établi un plan de restructuration visant à rétablir la santé financière de la compagnie. Ce plan prévoyait des mesures destinées à améliorer la productivité de la Compagnie et le renouvellement d'une partie de sa flotte. Compte tenu des difficultés financières de l'entreprise, la commande de nouveaux navires a été suspendue.

« Le relevé de décision du 9 juillet 2014, rédigé, sous l'égide du médiateur Gilles Belier, à l'issue du mouvement de grève des salariés de la SNCM prévoit un processus de travail entre la SNCM, ses actionnaires et ses salariés afin d'élaborer un nouveau projet industriel qui permette de sauver le maximum d'emplois, de préserver les activités de l'entreprise et la continuité territoriale entre la Corse et le continent. Ce processus de travail, dans lequel l'État est représenté par le ministère des transports, doit s'étendre sur la période juillet-octobre 2014. Il doit permettre d'établir un scénario permettant de se conformer au droit européen et, en particulier, aux obligations de récupération découlant des décisions de la Commission européenne ».

En 2014, l'État a procédé, à partir du compte spécial « Participations financières de l'État », à trois avances d'actionnaire pour un montant de 10 millions d'euros chacune .

Si ces avances ont été utiles à la SNCM dans un contexte financier dégradé, il est probable qu'elles seront perdues si la compagnie entre dans une procédure de redressement judiciaire. Cette possibilité, évoquée par l'actionnaire majoritaire et le Gouvernement, a été « gelée » jusqu'en octobre 2014 afin de laisser le temps au médiateur de conduire sa mission. Au regard des états financiers de la compagnie, le remboursement de plus de 440 millions d'euros d'aides reste pose cependant une vraie question, qui rend plus délicate la recherche d'un repreneur.

C. NEXTER : VERS UNE FUSION AVEC L'ALLEMAND KMW

Le 1 er juillet 2014, l'État a annoncé qu'un accord avait été conclu dans le secteur de l'armement entre l'entreprise française Nexter, détenue à 100 % par l'État, et l'entreprise allemande KMW (Krauss-Maffei Wegman) afin d'étudier les conditions d'un rapprochement entre ces deux entités.

En réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial, l'Agence des participations de l'État indique que « dans un contexte de réduction des budgets de défense européens et d'accroissement de la concurrence internationale, le rapprochement entre Nexter Systems et KMW vise à constituer un leader européen de l'armement terrestre, bénéficiant d'une gamme élargie de produits, des compétences et savoir-faire complémentaires des deux sociétés et suffisamment compétitif pour assurer dans la durée son développement, notamment à l'export .

« Le protocole d'accord signé début juillet constitue la première étape du processus devant conduire au rapprochement effectif des deux entreprises au sein d'un nouveau groupe au premier semestre 2015. Par ce protocole d'accord, les deux entreprises et leurs actionnaires se sont engagés à négocier des accords définitifs pour parvenir à ce but. Le projet sera présenté aux instances représentatives du personnel en temps utile, et il devra être autorisé par le Parlement .

« En pratique, une société commune sera créée dans quelques mois, dont l'État détiendra 50 % via la holding GIAT Industries et l'Agence des participations de l'État, et dont les actionnaires actuels de KMW détiendront aussi 50 %. L'État détiendra en outre une action spécifique 9 ( * ) (golden share) dans Nexter Systems afin de protéger les actifs stratégiques pour la France que l'entreprise détient.

« La société commune détiendra 100 % de Nexter Systems et de KMW et sera en charge de la stratégie et du pilotage du groupe, dont elle rendra compte à ses actionnaires. Une gouvernance équilibrée sera mise en place afin de respecter l'identité de chacune des deux entreprises actuelles ».

A priori , ce rapprochement devrait, dans un premier temps, permettre de mutualiser certains centres de coûts, comme les achats. Une intégration complète devrait prendre plusieurs années.

Le stade préliminaire de ce projet ne permet pas encore de se prononcer sur ses conséquences en termes d'emplois ou de développement industriel . En tout état de cause, il sera examiné en détail par le Parlement lors de l'examen du futur projet de loi pour l'activité qui devrait prévoir une disposition autorisant le rapprochement des deux entreprises 10 ( * ) .


* 4 Communiqué de presse de Dexia du 8 août 2014.

* 5 Rapport n° 515 (2013-2014) de M. Jean Germain, fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 mai 2014.

* 6 Communique de presse de Dexia du 26 octobre 2014.

* 7 Cour des comptes, Dexia : un sinistre coûteux, des risques persistants , juillet 2013.

* 8 Cette société est elle-même détenue à parité par Veolia et la Caisse des dépôts et consignations.

* 9 Une action spécifique permet à l'État de s'opposer à ce qu'un actionnaire acquiert plus d'un certain seuil de capital ou de droits de vote. Elle vise à maintenir la prééminence de l'État sur les décisions les plus importantes de la société.

* 10 Communication en Conseil des ministres d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, http://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2014-10-15/le-projet-de-loi-pour-l-activite .