MM. Michel Bouvard et Thierry Carcenac, rapporteurs spéciaux

II. LE PROBLÈME CENTRAL DE LA VALORISATION DES CESSIONS

A. LA HAUSSE ATTENDUE DES PRODUITS DE CESSION

Au titre de l'exercice 2015, le montant prévisionnel des cessions immobilières est évalué à 521 millions d'euros , soit 51 millions d'euros de plus que les montants prévus pour 2014. Cette hausse anticipée des produits de cessions tient au plus grand nombre et à la plus grande importance des biens que l'État entend mettre sur le marché en 2015, même si vos rapporteurs spéciaux appellent à la plus grande vigilance compte tenu de la relative atonie qui caractérise actuellement le marché de l'immobilier .

L'état du marché de l'immobilier est en effet l'un des principaux déterminants montant définitif des cessions, et explique l'essentiel des écarts - positifs ou négatifs - constatés chaque année. Au total, 5,13 milliards d'euros de cessions ont été réalisés entre la création du CAS en 2005 et l'année 2013 , comme le montre le tableau ci-dessous.

Produits des cessions immobilières de l'État

(en millions d'euros)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Prévision LFI

600

439

500

600

1 400

900

400

500

530

470

521

Réalisation

634

798

820

395

475

502

598

514

391

Écart

+ 34

+ 359

+ 320

- 205

- 925

- 398

+ 198

+ 14

- 139

Source : PAP et RAP successifs ; questionnaire budgétaire.
Les réalisations portent sur les montants effectivement encaissés à la fin de l'exercice.

D'après les informations transmises à vos rapporteurs spéciaux, les produits des cessions effectivement encaissés au 9 septembre 2014 sur le CAS s'élevaient à 371 millions d'euros , auxquels on peut ajouter 27 millions d'euros restant à percevoir. Compte tenu du nombre de cessions restant programmées sur l'année, soit 867 biens pour une valeur globale de 328 millions d'euros, la prévision de la loi de finances pour 2014 devrait pouvoir être respectée 26 ( * ) . Comme le montre le tableau ci-dessous, les cessions réalisées au 5 août 2014 étaient en large majorité attribuables au ministère de la défense .

Montant des cessions réalisées au 5 août 2014, ministère par ministère

Ministère

Cessions
(en euros)

Cessions
(en %)

Ministère de la défense

154 672 535

64,9%

Ministère des affaires étrangères et européennes

29 345 076

12,3%

Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

20 548 318

8,6%

Ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat

7 107 153

3,0%

Ministère de la justice et des libertés

5 607 576

2,4%

Ministère de l'agriculture et de la pêche

5 281 125

2,2%

Ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi

4 894 930

2,1%

Biens non affectés

4 063 679

1,7%

Ministère de l'intérieur, de l'Outre-mer et des collectivités territoriales

2 400 773

1,0%

Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

1 619 990

0,7%

Ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative :

1 400 373

0,6%

Ministère de l'éducation nationale

1 206 500

0,5%

Ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité

267 000

0,1%

Ministère de la culture et de la communication

10 000

0,0%

Total :

238 425 028

100,0%

Source : France Domaine, questionnaire budgétaire.

B. LA NÉCESSITÉ RÉFLEXTION D'ENSEMBLE SUR LA POLITIQUE DE CESSIONS

Les écarts entre prévisions et cessions effectives ne sauraient, toutefois, être seulement imputés à la situation du marché de l'immobilier. De fait, la question de la juste valorisation des biens mis sur le marché par le service France Domaine se pose chaque année avec acuité . Tout en reconnaissant, lors de son discours du 15 mai 2013 devant le Conseil immobilier de l'État (CIE), certains progrès accomplis par France Domaine, le ministre délégué chargé du budget, Bernard Cazeneuve, a rappelé « la nécessité d'une plus grande professionnalisation, d'une programmation plus fine et plus exigeante, en matière immobilière ».

De fait, une surévaluation des recettes peut suggérer que certains biens puissent être finalement cédés à un prix inférieur à leur valeur vénale réelle, afin de réaliser des économies budgétaires immédiates .

À cet égard, vos rapporteurs spéciaux déplorent que très peu d'informations pertinentes soient disponibles pour juger du bien-fondé d'un prix de cession , notamment en ce qui concerne l'immobilier de prestige. À titre d'exemple, l'ensemble de Penthemont a été cédé en 2014 pour un montant inconnu. Il s'agit d'un ancien couvent et d'un ancien bâtiment militaire, situés entre la rue de Bellechasse et la rue de Grenelle dans le 7 e arrondissement de Paris, soit 12 438 m² occupés par le ministère de la défense jusqu'en 2015. Il convient toutefois de noter que certaines cessions réservent plutôt de bonnes nouvelles, à l'instar de la vente, en juin 2014, de la résidence de l'ambassadeur de France auprès de l'ONU à New York, pour un montant de 70 millions de dollars , très largement supérieur au prix initial de 48 millions de dollars.

Plus généralement, une réflexion d'ensemble s'impose sur la politique de l'État en matière de cessions . Vos rapporteurs spéciaux estiment que l'alternative qui existe entre la cession d'un bien et sa valorisation locative mériterait d'être plus souvent explorée. De fait, une judicieuse valorisation locative - quitte à ce que celle-ci soit confiée à un tiers - est susceptible de produire davantage de recettes budgétaires à long terme.

Un autre exemple de stratégie de court-terme , auquel votre commission des finances s'était intéressée 27 ( * ) , est fourni par la vente, en juin 2011 et pour 52 millions d'euros, de la résidence du consul de France à Hong Kong, qui fut suivie de la location par le même consulat de cette même résidence, dans une ville où les loyers ne sont pas garantis. N'est-ce pas là un choix de « facilité », consistant à rechercher des recettes de cessions immédiates quitte à supporter des charges locatives pérennes par la suite ?

Enfin, le cas de la SOVAFIM (société de valorisation foncière et immobilière) est emblématique des dérives de la gouvernance de la politique immobilière de l'État . Cette société, créée en 2006 par l'État pour céder les actifs devenus inutiles de Réseau ferré de France (RFF), n'a pas été capable de mener à bien les nouvelles missions qui lui ont été confiées, qu'il s'agisse de la cession ou de la valorisation d'autres actifs publics, ou encore de portage des structures en attente d'affectation. Comme le rappelle la Cour des comptes dans son rapport annuel 2014, la SOVAFIM s'est peu à peu transformée en société foncière, tandis que l'État se déchargeait sur elle de missions de financement et de maîtrise d'ouvrage. Recommandée par la Cour des comptes dès 2011, la dissolution de la SOVAFIM n'a toujours pas été décidée, ce que déplorent vos rapporteurs spéciaux .


* 26 Source : questionnaire budgétaire.

* 27 Cf. audition du 5 juin 2013 de Nathalie Morin, chef du service France Domaine, et de Yves Saint-Geours, directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères, sur la politique de cession de biens immobiliers sis à l'étranger du ministère des affaires étrangères.