M. Eric Bocquet, rapporteur spécial

II. VERS UNE STRICTE MISSION « DE GUICHET » ?

A. DES DÉPENSES, MAJORITAIREMENT DE GUICHET, PRÉVUES EN AUGMENTATION DANS LE CADRE DU TRIENNAL

Corollaire de la vocation de solidarité et de redistribution de la présente mission, ses dépenses sont, à plus de 90 %, des dépenses d'intervention du titre 6 . Comme l'illustre le tableau ci-dessous, ce biais est doublement renforcé dans le cadre du PLF 2015, en raison, d'une part, de l'augmentation des dépenses d'intervention dans le cadre de la rebudgétisation du financement du FNSA et de l'augmentation tendancielle des prestations de solidarité (AAH, RSA) et, d'autre part, de la réduction des dépenses de personnel, qui s'inscrivent en baisse de plus de 2 % par rapport à la loi de finances pour 2014.

Répartition des crédits de la mission par titre

(en milliers d'euros)

Crédits de paiement

Exécution 2013

LFI 2014

PLF 2015

Variation

Titre 6 : intervention

11 916 192

12 360 880

14 257 797

15,35%

Titre 6 (en neutralisant l'impact de la rebudgétisation du FNSA)

13 666 192

14 110 880

14 257 797

1,04%

Autres dépenses :

1 483 496

1 497 787

1 492 712

-0,34%

Titre 3 : fonctionnement

758 475

755 202

765 331

1,34%

Titre 2 : personnel

725 022

742 585

727 381

-2,05%

Titre 5 : investissement

22 915

-

-

-

Total pour la mission

13 399 688

13 858 667

15 750 509

13,65%

Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances annexé au présent projet de loi de finances

Les dépenses d'intervention, soit plus de 14 milliards d'euros en 2015, sont dominées par un nombre faible de dispositifs massifs :

- les allocations aux personnes handicapées ou invalides (allocations aux adultes handicapés, allocation supplémentaire d'invalidité) ;

- le financement des établissements et services d'aide par le travail (ESAT) et des travailleurs handicapés ;

- la partie « activité » du RSA , ainsi que les dépenses afférentes (prime de Noël des bénéficiaires du RSA, RSA « jeunes ») ;

- la protection juridique des majeurs .

Une mission dominée par quatre dispositifs d'intervention
en faveur des personnes vulnérables

(prévisions PLF 2015, en millions d'euros)

Source : commission des finances

Comme l'illustre le graphique précédent, ces quatre postes de dépenses représentent à eux seuls près de 90 % des dépenses de la présente mission . Cette concentration est un élément déterminant pour la construction du budget de la présente mission, qui s'en trouve très contrainte. Dans un contexte de déficit public important et de recherche, par le Gouvernement, d'économies en dépenses pour compenser les allègements d'impôts consentis aux entreprises, les marges de manoeuvre budgétaires laissées par la présente mission sont faibles , d'autant qu'une importante partie des crédits restants est constituée de dépenses de personnels des administrations sociales déconcentrées, relativement rigides à court terme.

Dans ce contexte de dépenses d'intervention contraintes, le plafond triennal prévoit une légère augmentation de la dépense entre 2015, 2016 et 2017 , comme l'illustre le tableau ci-dessous.

Plafonds des crédits de paiement de la programmation pluriannuelle
(hors CAS « Pensions »)

(en millions d'euros)

2014 (format PLF 2015)

2015

2016

2017

Plafond des crédits du triennal 2015-2017

-

15 546

15 804

15 997

Crédits LFI

15 380

15 546 (1)

-

-

(1) 15 750 millions d'euros en comptant les crédits du CAS « Pensions » (soit environ 200 millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après le projet annuel de performances

Évolution des crédits prévus, exécutés et programmés depuis 2011

(en millions d'euros)

NB : tous les montants sont donnés hors contributions au CAS « Pensions » ; à compter de 2015, la re-budgétisation du FNSA (soit 1,7 milliard d'euros) est neutralisée.

Source : commission des finances

Cependant, la progression prévue est relativement faible, puisqu'elle est de seulement 2,9 % sur la période . Or, sur la période 2012-2014, les dépenses de la mission ont augmenté de 7,9 %, à périmètre constant, en particulier sous l'effet du dynamisme de la dépense d'allocation aux adultes handicapés et, secondairement, de celle du RSA « activité ». Or, le dynamisme de la première ne semble pas devoir se réduire, tandis que celui de la seconde devrait, en revanche, significativement augmenter du fait de la revalorisation exceptionnelle du RSA de 10 % sur le quinquennat, qui a été engagée dès 2013. Ainsi, entre 2015 et 2017, la revalorisation devrait représenter un surcoût de 230 millions d'euros pour l'Etat, soit plus de la moitié de l'augmentation des crédits prévue par le triennal (voir infra ).

Les plafonds de dépenses prévus par le triennal sont donc peu réalistes et il est probable que le dynamisme sous-estimé, dans un contexte de crise économique et sociale persistante, de la dépense d'AAH et de RSA, conduise à un dépassement significatif du plafond dès le budget 2016.

B. LA RÉDUCTION CONTINUE DES DÉPENSES PILOTABLES

Dans ce contexte contraint, les dépenses dites « pilotables » sont les principales victimes de la présente programmation budgétaire . Ainsi, le présent projet de loi de finances procède à des réductions de crédits particulièrement douloureuses :

- suppression de l'aide personnalisée de retour à l'emploi (APRE) au sein du FNSA ;

- poursuite de la suspension du plan de création de places en ESAT ;

- réduction des crédits de fonctionnement et de personnel de l'administration , en particulier grâce à la poursuite des suppressions d'effectifs au sein du programme n° 124.

De façon générale, votre rapporteur spécial ne peut que s'interroger sur la pertinence d'une politique publique de solidarité qui, progressivement, se réduit à ses seuls dispositifs de guichet et n'est plus en mesure de proposer des aides ciblées à l'insertion sociale (APRE), ni de fournir l'effort d'investissement nécessaire à la croissance et la modernisation de ses structures (investissement dans les ESAT), ni encore, surtout, d'avoir les moyens humains nécessaires à l'articulation des actions sociales sur l'ensemble du territoire.

C. DES FINANCEMENTS PLUS LARGES À PRENDRE EN COMPTE

1. Des « tuyaux » budgétaires qui réduisent la visibilité sur le financement de certains dispositifs

Au-delà de ces réductions, votre rapporteur spécial s'interroge sur certaines mesures d'affectation de recettes qui réduisent la lisibilité de certains financements . Il en va ainsi, notamment, de l'affectation d'une fraction de la contribution exceptionnelle de solidarité des fonctionnaires qui abondera, à hauteur de 200 millions d'euros en 2015, le Fonds national des solidarités actives pour financer la revalorisation exceptionnelle. De même, la dotation de fonctionnement de l'Etat pour les maisons départementales des personnes handicapées, porté par le programme n° 157, sera complétée par une subvention exceptionnelle de 10 millions d'euros en provenance de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Votre rapporteur spécial regrette l'utilisation de ce type de « tuyaux » budgétaires, qui réduisent la clarté de la présentation du budget et limitent la visibilité des parties prenantes sur la pérennité du financement en question .

2. L'absence persistant de pilotage des dépenses fiscales

Avec un montant prévisionnel de 13,4 milliards d'euros en 2015, les dépenses fiscales rattachées à la mission sont particulièrement importantes , mais, moins dynamiques que les dépenses budgétaires, leur niveau est désormais inférieur à celui des crédits de la mission.

Montant, depuis 2012, des dépenses fiscales de la mission

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

Montant des dépenses fiscales

13 536

13 515

12 659

13 413

Source : commission des finances, d'après les projets annuels de performances

En particulier, les dépenses fiscales liées au handicap représentent un montant très significatif, de près de huit milliards d'euros d'après le projet annuel de performances , d'autant plus difficile à suivre qu'il concerne à la fois les recettes de l'Etat et des collectivités territoriales, et qu'il s'adresse aux publics des personnes handicapés, âgées et, dans certains cas mêmes, valides. Dans ce contexte, la Cour des comptes a publié en février 2014 un rapport sur la fiscalité du handicap qui souligne un « empilement de mesures sans cohérence » et qui reprend le constat, déjà établi par votre rapporteur spécial, d'une absence de pilotage des dépenses fiscales par le ministère des affaires sociales (voir encadré ci-dessous). Ainsi, dépenses fiscales et dépenses budgétaires, malgré leur quasi-équivalence en termes de montant, ne sont jamais articulées dans la définition de la politique publique du handicap.

Interrogé en ce sens par votre rapporteur spécial, le Gouvernement a indiqué, dans sa réponse au questionnaire budgétaire, qu'« il n'a pas encore été possible été de tirer les conséquences du rapport public visé sur les dépenses fiscales relatives au handicap et leur présentation dans le PAP qui reste extérieure au responsable de programme ».

Les conclusions du rapport public de la Cour des comptes sur la fiscalité du handicap

Les dépenses fiscales relatives au handicap sont éclatées, au sein de la loi de finances, entre différents programmes budgétaires, sans concertation ni coordination. De nombreuses mesures fiscales ne sont pas recensées, alors qu'elles peuvent avoir un impact significatif pour les contribuables concernés. Dans ce contexte, le pilotage de l'ensemble de ces mesures par le responsable du programme 157, qui porte la politique menée en faveur des personnes handicapées, n'est pas assuré . Par ailleurs, les effets de la fiscalité liée au handicap ne sont pas appréhendés ; le coût réel des mesures fiscales n'est pas véritablement connu, pas plus que leurs conséquences sur l'accès aux prestations sociales, le nombre des bénéficiaires, l'incidence sur leur revenu ou le service réellement rendu au regard de leurs besoins en termes d'insertion, de mobilité, de maintien à domicile. Toutefois, en prenant en considération davantage l'origine du handicap que son degré de gravité, et en tenant insuffisamment compte des revenus des personnes concernées, le dispositif fiscal peut introduire, voire renforcer, des inégalités de revenu entre les personnes handicapées elles-mêmes . Il en est ainsi dans de nombreux cas, entre des personnes présentant un degré de handicap comparable, ou entre des handicapés de niveaux de revenu différents.

Enfin, constitué d'un empilement historique de mesures disparates, cet ensemble s'articule mal avec le régime des prestations mises en place pour les personnes handicapées et n'a pas été réexaminé en fonction de leur évolution depuis l'entrée en vigueur de la loi du 11 février 2005 (réévaluation de l'allocation aux adultes handicapés, création de la prestation de compensation du handicap en particulier).

La Cour a déjà formulé, à l'occasion de précédents rapports, des recommandations visant à harmoniser les définitions et les traitements du handicap par les différents régimes, ainsi qu'à limiter l'hétérogénéité des décisions de reconnaissance du handicap, sur lesquelles s'appuie ensuite l'administration pour accorder des avantages fiscaux. Le présent constat la conduit à les renouveler et à ajouter les recommandations suivantes :

1. mieux appréhender le nombre et la situation des personnes handicapées, notamment en améliorant la connaissance de leurs revenus par les enquêtes de l'INSEE et de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques - du ministère chargé des affaires sociales ;

2. rationaliser la présentation des dépenses fiscales participant à la politique en faveur des personnes handicapées, notamment par leur regroupement au sein du programme 157 et une meilleure articulation de leur présentation avec celles des dépenses budgétaires relevant de la même politique ;

3. fiabiliser et compléter les estimations existantes de façon à mesurer l'impact global des mesures fiscales, tant en termes de bénéficiaires que de coût ;

4. actualiser périodiquement les listes de matériels concernés (appareillages, équipements du logement, etc.) selon les évolutions techniques ;

5. procéder à un réexamen d'ensemble des mesures fiscales et sociales dans le but d'améliorer leur articulation - suppression des doublons, incohérences et complexités inutiles ; renforcement des complémentarités ; prise en compte des effets sur les disparités de revenus entre personnes handicapées, en révisant en priorité :

- les mesures portant sur la compensation du handicap : en particulier, la prestation de compensation du handicap, les exonérations de charges et les dépenses fiscales visant le même objectif (majoration du plafond des dépenses pour les emplois à domicile, déduction au titre de l'équipement de la résidence, etc.) ;

- les nombreuses aides à l'accessibilité : fiscales, sociales (prestation de compensation du handicap, notamment) ou autres (prime à l'amélioration des logements locatifs, notamment) ;

- les différentes mesures fiscales relatives à la transmission du patrimoine.

Source : Cour des comptes, « La fiscalité liée au handicap : un empilement de mesures sans cohérence », rapport public annuel, février 2014