M. Eric Bocquet, rapporteur spécial

II. LE PROGRAMME 157 « HANDICAP ET DÉPENDANCE »

A. UN PROGRAMME BUDGÉTAIREMENT LOURD, QUI REPRÉSENTE UN PILIER DE LA SOLIDARITÉ NATIONALE

Le programme n° 157 « Handicap et dépendance » est, de loin, le principal programme de la mission en termes budgétaires. Il représente en effet, pour l'année 2015, une dépense totale de 11,6 milliards d'euros, soit 73,7 % des crédits de la mission . Sa maquette, qui est inchangée par rapport à la loi de finances initiale pour 2014, est composée de quatre actions :

- l'action n° 1 « Évaluation et l'orientation personnalisée des personnes handicapées », qui porte la dotation de fonctionnement de l'Etat aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ;

- l'action n° 2 « Incitation à l'activité professionnelle », relative aux crédits des établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ;

- l'action n° 3 « Ressources d'existence », qui finance l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI) ;

- l'action n° 4 « Compensation des conséquences du handicap », qui porte essentiellement les dotations de fonctionnement des instituts pour enfants déficients sensoriels ;

- l'action n° 5 « Personnes âgées », qui finance des associations actives dans le domaine de l'accompagnement des personnes âgées dépendantes ;

- l'action n° 6 « Pilotage du programme », qui assure le financement de quelques opérateurs nationaux ou locaux chargés du suivi de la politique du handicap.

En pratique, comme l'illustre le tableau suivant, la quasi-totalité des crédits est concentrée sur les actions n° 2 et n° 3 , qui sont les deux seules du programme à connaître une augmentation par rapport à 2014. Leur évolution explique la progression générale des crédits, qui passent de 11,4 milliards d'euros à 11,6 milliards d'euros en 2015 (+ 1,4 %) . L'augmentation programmée est ainsi plus faible que celle constatée les années précédentes, notamment entre 2013 et 2014 (+2,4 %).

Évolution par action des dotations du programme n° 157

(en millions d'euros)

Autorisations d'engagement = crédits de paiement

Exécution 2013

LFI 2014

PLF 2015

Évolution

Action n° 1
« Évaluation et orientation personnalisée des personnes handicapées»

65,5

64,9

56,3

- 13,3 %

Action n° 2
« Incitation à l'activité professionnelle »

2 688,6

2 706,6

2 747,9

+ 1,5 %

Action n° 3
« Ressources d'existence »

8 420,4

8 647,8

8 774,0

+ 1,5 %

Action n° 4
« Compensation des conséquences du handicap »

19,4

16,6

16,1

- 3,0 %

Action n° 5 « Personnes âgées »

6,3

3,1

2,4

- 22,6 %

Action n° 6 « Pilotage du programme »

3,5

4,1

3,8

- 7,3 %

Total programme 157

11 169,2

11 443,1

11 600,5

+ 1,4 %

Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances annexé au présent projet de loi de finances

B. LE FINANCEMENT DES MAISONS DÉPARTEMENTALES : UNE RÉDUCTION QUI MASQUE UN FINANCEMENT EXCEPTIONNEL PAR LA CNSA

L'action n° 1 permet le financement de la participation de l'Etat au fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) . Elle a deux objets :

- la contribution de l'Etat au fonctionnement général des MDPH ;

- la compensation financière des vacances d'emplois au titre des personnels initialement mis à disposition des MDPH par l'Etat et qui n'ont pas été remplacés après leur départ en retraite ou leur réintégration. En effet, il convient de rappeler que la principale contribution de l'Etat au fonctionnement des MDPH, en pratique, n'est pas financière, mais relève de la mise à disposition d'agents de l'Etat au service des maisons départementales.

La dotation prévue par le programme n° 157 pour les MDPH est de 56,3 millions d'euros, soit une réduction de près de 9 millions d'euros par rapport à 2014 (-13 %) . Pourtant, le projet annuel de performances indique que « la participation de l'Etat au fonctionnement des MDPH doit s'élever à 66,3 millions d'euros en 2015, soit une augmentation de 2,98 % par rapport à la LFI 2014 ». En réalité, cette hausse est uniquement portée par une « contribution complémentaire de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) à hauteur de dix millions d'euros ».

Outre le fait que cette contribution vient artificiellement augmenter la dotation globale de l'Etat aux MDPH, elle pose deux principales questions. La première a trait à son impact sur la Caisse, dont la substitution aux financements insuffisants de l'Etat en faveur du fonctionnement des MDPH n'est pas la vocation. La seconde porte sur le point de savoir si cette contribution qui, d'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial, sera inscrite dans une ligne spécifique du budget de la CNSA, est exceptionnelle ou si elle a vocation à être pérennisée dans les prochains budgets. Votre rapporteur spécial considère que l'Etat n'a pas à faire assumer ses difficultés budgétaires par des financements exceptionnels en provenance d'une Caisse nationale qui a d'abord vocation à financer les dépenses des établissements médico-sociaux .

Sur le fond du fonctionnement des MDPH, votre rapporteur spécial ne peut que confirmer son analyse développée dans le cadre de son précédent rapport spécial, sur la nécessité d'un « suivi global des parcours de prise en charge des personnes handicapées » . En effet, son contrôle budgétaire en cours sur les ESAT le conduit à penser que la première des priorités réside dans l'amélioration de l'information et du suivi, à destination d'abord des acteurs concernés, sur les orientations décidées par les CDAPH et les places disponibles dans les différents établissements. Dans ce cadre, votre rapporteur spécial appelle à une évaluation rapide et, le cas échéant, à une généralisation de l'expérimentation lancée dans les MDPH du Calvados et du Nord qui, d'après les réponses au questionnaire budgétaire, doivent « améliorer le traitement des demandes de prise en charge du handicap ».

C. L'ALLOCATION AUX ADULTES HANDICAPÉS : LE RETOUR À LA SOUS-DOTATION ?

Instituée en 1975, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) bénéficie, sous condition de ressources, aux personnes handicapées ne pouvant prétendre ni à un avantage vieillesse ni à une rente d'accident du travail . Le plafond individuel de ressources est fixé, au 1 er septembre 2014, à 9 605,40 euros par an. Au 1 er septembre 2014, le montant de l'allocation à taux plein est de 800,45 euros par mois .

Le bénéficiaire doit justifier alternativement :

- d'un taux d'incapacité d'au moins 80 % (« AAH 1 ») ;

- d'un taux d'incapacité compris entre 50 % et 80 % et d'une « restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi » (RSDAE) , qui est appréciée et reconnue par la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH, placée au sein des maisons départementales des personnes handicapées), en vertu de l'article L. 821-2 du code de la sécurité sociale (« AAH 2 »).

Les crédits d'AAH, prévus à 8 524,43 millions d'euros pour 2015, sont en augmentation de 123,63 millions d'euros par rapport à 2014 (+ 1,47 %) .

Cette légère augmentation résulte :

- de l'effet-prix lié à la revalorisation annuelle (à la fois l'effet en année pleine de la revalorisation de 1,3 % ayant eu lieu au 1 er septembre 2014, et la revalorisation qui devrait avoir lieu au 1 er septembre 2015) ;

- l'augmentation du nombre de bénéficiaires , sous l'effet de la crise économique et sociale, du report de l'âge légal de départ à la retraite et d'un effet de transfert de publics depuis le RSA vers l'AAH. Ainsi, le nombre de bénéficiaires devrait s'établir en 2015, d'après les informations fournies à votre rapporteur, entre 1 045 000 et 1 064 000 (+1,2 % par rapport aux prévisions actualisées de bénéficiaires 2014).

Cependant, votre rapporteur spécial constate que les estimations du Gouvernement relatives à la décélération de l'augmentation du nombre de bénéficiaires sur le dernier exercice se sont révélées optimistes . La prévision en loi de finances initiale pour 2014 était de 1 028 200 bénéficiaires. Or, d'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial, le nombre de bénéficiaires au 31 décembre serait plutôt entre 1 042 000 et 1 051 000. Ce sont en particulier les bénéficiaires du type « AAH 2 », pour lesquels la restriction durable et substantielle à l'emploi est appréciée par la CDAPH, qui connaissent la plus forte augmentation.

S'agissant du niveau de la dépense, la dotation 2014 sera probablement insuffisante . En effet, sur la base des six premiers mois de l'année, la dépense d'AAH devrait s'établir à environ 8 497 000 euros, pour une dotation initiale de 8 400 000 euros . Dans ses réponses au questionnaire budgétaire, le Gouvernement a ainsi indiqué que « compte tenu de la tendance haussière des dépenses, et bien que la décélération constatée en 2013 se poursuive, la levée de la réserve de précaution sera sollicitée comme lors des exercices précédents. Par ailleurs, les travaux de fin de gestion permettront d'identifier d'éventuels besoins complémentaires , qui seront prioritairement traités par redéploiements internes au sein du programme ou à la mission solidarité (principe d'auto-assurance) et, le cas échéant, par une demande d'ouverture de crédits en loi de finances rectificative ».

En pratique, la dotation prévue pour 2015 est à peine supérieure à la dépense réelle vraisemblable de 2014, soit 8 500 millions d'euros . Compte tenu du tendanciel, la dépense d'AAH en 2015 pourrait avoisiner les 8 700 millions d'euros. L'écart entre la dotation 2015 et la dépense probable de 2014 est de seulement 50 millions d'euros. Les simples effets-prix de la pérennisation de la revalorisation ayant eu lieu au 1 er septembre 2014 et de celle à venir du 1 er septembre 2015 représentent un surcoût d'environ 80 millions d'euros. En y ajoutant la progression régulière, quoique légèrement ralentie, du nombre de bénéficiaires, il y a tout lieu de penser que le présent programme présente une sous-dotation de l'ordre de 100 à 200 millions d'euros.

Par ailleurs, l'action n° 3 porte également le financement de l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI) , qui complète les ressources des bénéficiaires d'une pension d'invalidité ou d'un avantage vieillesse jusqu'à l'âge légal de départ à la retraite. Sur la base d'une poursuite de la baisse du nombre de bénéficiaires (-1,5 % entre 2014 et 2015), mais également d'une revalorisation annuelle du montant de la prestation, le projet de loi de finances pour 2015 prévoit une dépense de 249,6 millions d'euros à ce titre, contre 251 millions d'euros en 2014.

D. LE GEL CONTINU DU FINANCEMENT DES ETABLISSEMENTS ET SERVICES D'AIDE PAR LE TRAVAIL (ESAT)

L'action n° 2 « Incitation à l'activité professionnelle » porte les crédits liés aux établissements et services d'aide par le travail (ESAT), à travers deux lignes :

- la dotation globale de fonctionnement aux ESAT, pour un montant de 1 468,7 millions d'euros en 2015 , en augmentation par rapport à 2014 (+ 20 millions d'euros) ;

- la garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH), pour un montant de 1 277,3 millions d'euros en 2015 , également en hausse par rapport à l'année précédente (+ 23 millions d'euros).

L'augmentation de la dotation de fonctionnement aux ESAT, plus importante que celle constatée en 2014, vise notamment à tirer les conséquences d'un arrêt du Conseil d'Etat ayant censuré le gel des tarifs plafonds des prestations fournies en ESAT dans le cadre de la convergence tarifaire . En conséquence, certains tarifs plafonds devront être revalorisés en 2015.

En revanche, comme les années précédentes, le plan de création de places continue d'être suspendu . Ainsi, la prévision de dotation aux ESAT est établie sur la base d'un nombre inchangé de 119 211 places. Au total, le plan de création de 10 000 places, lancé en 2008, n'a été réalisé qu'à hauteur de 6 400 places.

Enfin, l'action n° 2 prévoit une dotation de 2 millions d'euros dans le cadre du plan d'aide à l'investissement des ESAT . À cet égard, votre rapporteur spécial constate que cette dotation se caractérise à la fois par sa baisse sensible par rapport à l'an passé (-43 %) et, surtout, par sa faiblesse en valeur absolue . Compte tenu du nombre d'ESAT (1 349 établissements), cela revient à une dotation moyenne de 1 400 euros par établissement . Dès lors, l'objectif poursuivi d'« aide à l'acquisition de l'équipement matériel et mobilier accompagnant une opération de modernisation » et d'« amélioration de l'outil productif » ne peut être que très partiellement atteint.

Dans ce contexte, le contrôle budgétaire auquel votre rapporteur spécial procède actuellement sur la situation des ESAT, et dont les conclusions devraient être publiées au premier semestre 2015, devrait permettre à la fois de dresser le bilan des créations de places depuis 2011 et de leur suspension, ainsi que de présenter les pistes pour en permettre la modernisation et la meilleure adaptation aux besoins des personnes handicapées.