Mardi 26 mars 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Audition de M. Jean-Yves Le Gall, candidat désigné aux fonctions de président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (CNES)

En application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838, du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, la commission auditionne M. Jean-Yves Le Gall, candidat désigné à la présidence du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (CNES).

M. Daniel Raoul, président. - Conformément à l'article 13 de la Constitution, nous auditionnons aujourd'hui M. Jean-Yves Le Gall, candidat désigné à la présidence du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (CNES). Ouverte au public et à la presse, cette audition sera suivie par un vote à bulletin secret. Le dépouillement interviendra demain après-midi, pour attendre l'audition de M Jean-Yves Le Gall devant la commission des Affaires économiques à l'Assemblée Nationale.

Monsieur Le Gall, vous souhaitez succéder à Yannick d'Escatha, dont le mandat court jusqu'en février 2015, mais qui est atteint par la limite d'âge. Vous connaissez très bien ce secteur et les arcanes de la politique spatiale ainsi que ses acteurs : directeur général adjoint du CNES de 1996 à 1998, vous êtes président-directeur général d'Arianespace depuis 2007 - poste que vous quitterez si vous accédez à la présidence du CNES. J'imagine que votre projet stratégique pour le CNES va au-delà de 2015, et qu'à cette date vous serez candidat à votre propre succession : dans l'espace, le temps est nécessairement long. Au-delà de la présentation de votre projet stratégique, j'aimerais avoir votre point de vue sur l'évolution des relations entre le CNES, Arianespace, Astrium et les clients ? Vous évoquerez également les orientations communautaires arrêtées par la conférence ministérielle de novembre dernier qui constituent, je pense, votre cadre de référence.

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a produit, à notre demande, un rapport signé de son président Bruno Sido, également membre de notre commission, et de Mme Catherine Procaccia, dont je salue la présence. Ils souhaiteront certainement vous interroger.

M. Jean-Yves Le Gall, candidat désigné à la présidence du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales. - C'est un grand honneur d'être devant vous pour cette audition. Le Premier ministre envisage en effet de proposer au Président de la République ma nomination comme président du conseil d'administration du CNES. Cette nomination a été formellement proposée hier par le conseil d'administration lui-même.

Je veux d'abord rendre hommage à tous ceux à qui nous devons cinquante ans de succès de notre politique spatiale. Ma première pensée va aux responsables politiques qui ont voté la loi de 1961 : elle a été le point de départ de l'ambition spatiale de la France. Le Sénat, dont j'ai rencontré de nombreux membres dans mes fonctions précédentes, a joué un rôle majeur dans ce processus. J'ai eu de longs échanges avec Mme Procaccia et M. Sido l'année dernière, lorsque, préparant leur rapport pour l'OPECST, ils étaient venus assister à un lancement de Soyouz en Guyane. J'ai trouvé leur rapport remarquable tant dans l'analyse que par ses propositions. J'assisterai à la séance publique de ce soir sur la politique spatiale européenne, car il est important que la représentation nationale prenne part au débat qu'elle suscite.

Je pense aussi aux membres du conseil d'administration du CNES, et aux quelque dix présidents qui se sont succédé à sa tête. Je pense en particulier aux professeurs Curien, Lions, Pellat, Lebeau, ainsi qu'au président Bensoussan, dont j'ai été l'adjoint, et au président d'Escatha, avec lequel j'ai également travaillé. Je pense enfin aux hommes et aux femmes du CNES : une politique spatiale ne se décrète pas, elle se fait, et depuis cinquante ans elle se fait grâce à eux. Je les connais, et je respecte leur engagement et leur professionnalisme.

Je ressens une grande émotion en me portant ainsi candidat après un parcours qui a commencé sous les auspices du CNES : à la sortie de mon école d'ingénieur, en 1981, c'est grâce à une bourse du CNES que j'ai fait ma thèse. Ce système de bourses est remarquable, car il offre de bonnes conditions de travail et d'encadrement à de jeunes chercheurs : j'entends bien le consolider. J'ai travaillé ensuite au CNRS, puis dans les ministères, dans les services comme au cabinet du ministre chargé de l'espace. C'était une période de très grande effervescence, puisque nous mettions en oeuvre, entre autres, le programme Ariane 5. J'ai été ensuite directeur général, responsable des transferts de technologie, chez Novespace, directeur général adjoint du CNES de 1996 à 1998, président de Starsem avant de passer à Arianespace.

Le CNES est le bras séculier de l'État français dans le domaine spatial. Grâce aux décisions politiques qui ont été prises, le budget spatial de la France est le deuxième au monde. Certes, les États-Unis dépensent l'équivalent de 49 euros par an et par habitant pour leur politique spatiale, mais en France, nous en dépensons 31, quand les Allemands en dépensent 17 et les Britanniques, 6. La politique spatiale européenne résulte d'ailleurs largement des initiatives françaises, ce qui est la traduction directe de cet effort budgétaire.

Le rôle du CNES, défini par la loi de 1961 et par la loi sur les opérations spatiales, est de proposer et de mettre en oeuvre notre politique spatiale. Il revient à son président de représenter la France au conseil de l'Agence spatiale européenne (ESA), à laquelle la moitié de son budget est consacré, ainsi que la politique spatiale française à l'étranger, et en particulier sur le plan de la diplomatie économique. Pour vendre depuis douze ans partout dans le monde des lancements par Ariane, je puis vous dire combien l'appui du CNES compte, surtout dans les pays où nous avons une relation de gouvernement à gouvernement. Le CNES est actionnaire de plusieurs sociétés commerciales, dont Arianespace.

Le CNES intervient dans cinq secteurs : l'accès à l'espace, avec les lanceurs Ariane, les applications pour le grand public, avec les télécommunications ou le système Galileo, les études sur la Terre, l'environnement et le climat, avec le programme Pléiade par exemple, les sciences de l'univers, avec le satellite Kourou, qui a initié des avancées spectaculaires dans la connaissance des exoplanètes et, bien sûr, la sécurité et la défense, avec les séries de satellites Syracuse, Hélios, ou Athéna-Fidus. Son champ d'activité couvre toutes les formes d'application du spatial.

Le CNES dispose de quatre centres d'excellence : son siège parisien, la direction des lanceurs, le centre spatial de Toulouse et le centre spatial de Guyane. Son budget dépasse les deux milliards d'euros, dont cinq cents millions d'euros de ressources propres. Il verse environ 800 millions d'euros à l'ESA. La partie nationale a été abondée ces dernières années par les investissements d'avenir, ce qui a en particulier des retombées sur le programme Ariane 6, comme l'a bien souligné le rapport de Mme Procaccia et de M. Sido.

Quel avenir pour le CNES ? Il faut, je crois, continuer à avoir une très grande ambition pour cette structure et pour la France. A cet égard, l'innovation est essentielle : le CNES s'est construit par l'innovation. Il nous faut continuer la course en tête, d'autant plus que cela crée des emplois - seize mille emplois directs en France actuellement. Cela nécessite de comprendre le contexte, c'est-à-dire d'être à l'écoute. A l'écoute du Parlement, d'abord, ce qui est toujours enrichissant et aide à comprendre les attentes de nos concitoyens - si j'accède à la présidence du CNES, vous continuerez à me voir souvent... A l'écoute de nos partenaires européens, aussi : avec l'ESA, Eumetsat, le traité de Lisbonne, les projets emblématiques que sont Galileo, le programme européen de surveillance de la Terre (GMES) et Copernicus, l'Europe joue un rôle très différent de celui qu'elle jouait lors de la création du CNES. A l'écoute des industriels, dont le poids est de plus en plus important, et à l'écoute de l'environnement international, enfin : des approches nouvelles se font jour aux États-Unis ou au Japon, et les pays émergents voient le spatial comme le porte-drapeau d'une politique technologique.

La contrainte budgétaire pèse sur tous, le CNES a su la transformer en opportunité dans la définition du programme Ariane 6 ; il faudra continuer à la prendre en compte. J'ai coutume de dire que, si la genèse d'Ariane 5 avait été « technology-driven » - on parlait d'un « formidable outil de développement technologique » -, Ariane 6 doit être plutôt « cost-driven » : son développement doit être guidé par la maîtrise des coûts, si l'on veut qu'elle domine le marché des lancements commerciaux, comme Ariane 5 aujourd'hui.

Le siège du CNES pilote la politique spatiale, et doit la faire connaître, notamment en formant des milliers de jeunes et des centaines de professeurs, qui deviennent autant de relais dans la société. Je ne suis pas inquiet pour la direction des lanceurs car l'ambition d'Ariane 6 est très grande. Le centre de Toulouse doit continuer à innover - de Egnos à Taranis, en passant par Jason ou Megha-Tropiques, il participe déjà à de nombreux programmes de très haut niveau. Le centre guyanais est probablement l'actif le plus important du programme spatial européen, à la fois par sa situation géographique et par sa localisation, qui le met à l'abri de phénomènes sismiques ou cycloniques : après quarante ans d'investissement de la France et de l'Europe, nous avons le plus beau centre spatial du monde.

Ma méthode ? Dialoguer, pour comprendre : avec les parlementaires, avec le personnel, avec nos partenaires européens et internationaux. Proposer et mettre en oeuvre : le président d'Escatha a mis en oeuvre un contrat entre l'État et le CNES. Des échéances majeures se profilent : une conférence ministérielle fera suite en 2014 à celle de 2012, il convient de la préparer, en étroite coopération avec nos partenaires européens, et en premier lieu avec l'Allemagne. L'horizon structurant me semble être 2020, avec un point d'étape en 2015. J'ai l'intention de mettre en place un chantier « ambition 2020 ». Enfin, communiquer, continuer à parler de l'utilité de l'espace.

L'enjeu est immense : si beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire. Après cinquante années extraordinaires, la période qui s'ouvre ne le sera pas moins : nous sommes dans la phase de maturité. Ce serait un honneur pour moi de conduire le CNES toujours plus haut.

Mme Catherine Procaccia. - Merci pour votre présentation, qui ne me surprend guère. Avez-vous l'intention d'infléchir les relations avec Arianespace ? Vous êtes pour beaucoup dans le succès d'Ariane, et dans celui du CNES. A la tête de ce dernier, modifierez-vous votre approche de la transition entre Ariane 5 ME et Ariane 6 ? Vous avez évoqué la dépense de 31 euros par Français et par an que représente notre politique spatiale. Il faudrait mieux communiquer sur l'utilité de cette politique. Nous le disions déjà dans notre rapport : l'espace est mal connu, il semble ressortir plus de la science-fiction que de notre vie quotidienne. Même le ministère concerné ne comporte pas le terme « espace » dans son appellation ! Pensez-vous pouvoir lancer de nouvelles opérations de communication, notamment autour du nouveau lanceur ?

M. Bruno Sido. - Nous nous sommes vus à Kourou, et cela nous avait beaucoup aidés à rédiger notre rapport. Président-directeur général d'Arianespace, vous êtes bien placé pour savoir ce qu'a été l'histoire d'Ariane 5, initialement prévue pour les satellites Hermes, ce qui explique sa taille et sa capacité. Remarquablement sûre et robuste, cette fusée a effectué plus de cinquante lancements sans échec : ni les Russes, ni les Américains ne peuvent en dire autant. Cela dit, d'un point de vue commercial, nous arrivons au bout d'un cycle. Pouvez-vous nous en dire plus sur Ariane 6 ? C'était le grand sujet de notre rapport. Je comprends qu'elle est conçue non comme un lanceur « low cost », mais comme un lanceur dont les coûts seront maîtrisés.

Je souhaite enfin saluer M. Yannick d'Escatha, qui nous avait aussi grandement aidés lorsque nous rédigions ce rapport. C'est un homme passionnant et passionné.

Deux milliards d'euros, c'est à la fois beaucoup dans le contexte actuel, et peu, par comparaison à ce que font les Américains, les Russes, mais aussi les Chinois, pour autant qu'on puisse en juger. De plus, un de ces deux milliards d'euros va à l'ESA. Nous n'avons pu vraiment éclaircir dans notre rapport si les sommes restantes étaient employées à la conduite d'une politique spatiale autonome française. Pouvez-vous nous en dire plus ? Un milliard d'euros, est-ce suffisant ou sommes-nous entièrement tenus par la politique de l'ESA ?

M. Jean-Yves Le Gall. - Mme Procaccia soulève la question des relations entre le CNES et Arianespace. Celle-ci est une société très particulière : si elle a bien l'objectif commercial de vendre des lancements par Ariane à des clients internationaux, sa mission fondamentale est de garantir notre autonomie dans l'accès à l'espace. En effet, pour qu'un lanceur soit opérationnel il faut l'utiliser régulièrement, et le nombre de satellites gouvernementaux envoyés chaque année par les pays européens n'est pas suffisant pour cela. Grâce à ce succès commercial, l'État français peut à tout moment lancer un satellite de souveraineté. Le CNES est, depuis sa création, le premier actionnaire d'Arianespace, et il doit garder des relations fortes avec elle. Si je deviens président du CNES, je quitterai mes fonctions exécutives à Arianespace tout en siégeant à son conseil d'administration, comme le faisait le président d'Escatha.

Je suis un partisan convaincu de la nécessité de communiquer encore et toujours sur ce que nous faisons, et de le faire mieux connaître. Je l'ai fait pour Arianespace depuis douze ans, multipliant les entretiens dans les medias et sur internet, non par goût personnel, mais pour parler de nos succès. Si la conférence de Naples a été une réussite incontestable, c'est que chaque lancement d'Ariane constitue une sorte de piqûre de rappel pour les décideurs européens du domaine spatial : voilà un investissement qui donne des résultats... Votre rapport indique qu'il est nécessaire de communiquer davantage : je pense aussi que c'est une des missions du CNES, qui a déjà accompli des efforts exemplaires en organisant des manifestations dans les territoires pour le grand public, pour la jeunesse. Mon expérience en ce domaine chez Arianespace pourra peut-être profiter au CNES.

Comme l'a encore prouvé le 7 février dernier le 54e succès d'affilée, Ariane 5 fonctionne parfaitement, et elle est adaptée aux enjeux actuels. Bien qu'elle soit le meilleur lanceur du monde, la concurrence se développe, qu'elle vienne de pays où les coûts salariaux sont bas, comme l'Inde ou la Chine, voire la Russie, ou bien des États-Unis, où des sociétés privées, comme SpaceX entrent en scène.

Nous devons préparer les enjeux de la prochaine décennie. Deux raisons principales me semblent militer en faveur d'un nouveau lanceur. D'abord, Ariane 5 se spécialise de plus en plus dans le lancement de satellites de télécommunication, tout en coûtant fort cher au contribuable ; il y a de plus en plus inadéquation entre sa taille et celle des satellites gouvernementaux, d'où le recours à Soyouz - la coopération avec les Russes est exemplaire. Réconcilier la performance des lanceurs avec la masse des satellites gouvernementaux serait plus conforme à la doctrine européenne d'autonomie dans l'accès à l'espace.

Ariane 5 a été conçue dans les années 1980, Ariane 6 va l'être dans les années qui viennent : elle bénéficiera du progrès technologique intervenu depuis, et des réductions de coûts conséquentes. Nos gigantesques installations de lancement en Guyane font notre fierté, mais elles nous coûtent très cher, et ne pourront pas éternellement soutenir la concurrence de sociétés qui prétendent faire des lancements sur un pas de tir de la taille d'un terrain de football, ou de pays dont les lanceurs à bas coût risquent de nous faire sortir du marché.

Je veux saluer le travail remarquable qu'ont effectué les équipes de la direction des lanceurs du CNES au cours de ces deux ou trois dernières années : alors qu'une bonne centaine de propositions étaient examinées, elles ont conçu une solution très judicieuse pour Ariane 6, avec une partie basse et des propulseurs à poudre identiques. Une production en série nous donnera les moyens de lutter à armes égales avec les concurrents à bas coûts salariaux ou bénéficiant de subventions, comme la NASA. J'ai constaté la semaine dernière à la conférence « Satellite 2013 », aux États-Unis, que nos concurrents étaient loin de garder les deux pieds dans le même soulier. Bien au contraire, ils multiplient les initiatives dans le domaine des satellites comme dans celui des lanceurs. Nous devons réagir.

Le projet Ariane 6 a été porté sur les fonts baptismaux à la conférence de Naples en novembre 2012 : mon projet est qu'il avance suffisamment pour aboutir en 2020. D'ici-là, tant Arianespace que le CNES feront tout ce qu'il faut pour qu'Ariane 5 continue à faire la course en tête. Le cahier des charges d'Ariane 6 comprend trois contraintes principales : le coût et la durée de son développement doivent être minimaux, de même que son coût d'exploitation.

Le CNES verse 799 millions d'euros à l'ESA et consacre à peu près autant à la politique nationale - car nous avons bien une politique spatiale autonome. Le CNES nous donne la capacité de concevoir et de proposer une telle politique, contrairement à nos partenaires européens, qui se bornent à soutenir leur industrie spatiale. Nous avons fait des choix - Spot, Ariane - et développé des programmes scientifiques et technologiques remarquables. C'est ainsi qu'Ariane 6 est née en France, parce que le Premier ministre a demandé un rapport thématique il y a quatre ans. Dans quel autre pays européen le chef du Gouvernement formulerait-il une demande aussi précise ? Nous devons continuer : le centre de Toulouse est l'un des deux centres technologiques très performants en Europe, l'autre étant celui de l'ESA aux Pays-Bas.

L'argent que nous versons à l'ESA ne se perd pas dans une boîte noire : premier contributeur de l'ESA, et forte de sa propre politique spatiale, la France a vocation à guider la politique spatiale de l'ESA.

M. Daniel Raoul, président. - Vous ne pratiquez pas le « I want my money back »...

M. Bruno Sido. - Je voulais savoir si l'impétrant avait le feu sacré, la flamme qui anime la politique spatiale européenne : j'en ai la confirmation.

M. Jean-Jacques Mirassou. - J'apprécie votre clairvoyance et votre volontarisme. Vous avez évoqué les cinq domaines de compétence du CNES : l'espace, les applications grand public, la Terre et la climatologie, les sciences de l'univers, la sécurité et la défense. Mis à part ces dernières, quel serait l'ordre de priorité s'il fallait diminuer la voilure ? Il faudrait alors, j'y insiste, s'appuyer sur l'opinion publique, ce qui nécessite de vulgariser la politique spatiale, encore trop réservée aux initiés, afin que les citoyens s'en approprient les enjeux et les finalités. Ne faut-il pas également attirer les entreprises privées ?

M. Jean-Claude Lenoir. - N'oublions pas l'objet de cette réunion : il s'agit de valider, ou non, le choix de Jean-Yves Le Gall comme président du conseil d'administration du CNES. Est-il, ou non, la personne adéquate pour diriger cet établissement public ? Jean-Yves Le Gall a bien souligné le rôle qu'a joué le CNES depuis longtemps pour réunir l'ensemble des composantes de la vie publique française autour d'une politique spatiale ambitieuse. Je rends hommage aux présidents Bensoussan et d'Escatha, que j'ai connus et appréciés lorsque je présidais le groupe parlementaire de l'espace à l'Assemblée nationale.

Il y a une politique européenne de l'espace, certes. Mais heureusement qu'il y a un moteur français, car certains partenaires traînent parfois des pieds. Une politique aussi ambitieuse ne peut être menée qu'avec le soutien de l'opinion publique. C'est pourquoi vos actions de communication doivent être amplifiées : il ne suffit pas de monter des expositions ou d'organiser des débats. L'espace est un monde qui fait rêver, mais qui est méconnu. Nous-mêmes, responsables politiques, observons avec admiration et respect le travail des ingénieurs, mais ne pouvons guère pénétrer le fond des débats, sauf dans leur composante budgétaire. A cet égard, les chiffres que vous avez donnés sur les efforts consentis par d'autres pays concernent-ils le spatial civil uniquement ? Ils soulignent en tous cas l'importance de l'effort français. Autant le dire tout de suite, je voterai en faveur de votre nomination...

M. Daniel Raoul, président. - C'est un vote à bulletin secret !

M. Jean-Claude Lenoir. - ... car je vous connais, et je sais que vous êtes l'homme de la situation : pour tout dire, avant même de savoir que Yannick d'Escatha devrait partir, j'étais de ceux qui espéraient que vous seriez son successeur. Où en sommes-nous du programme Galileo ? Quelles sont les perspectives ?

M. Gérard César. - Votre présentation claire nous a donné à entendre un homme responsable, qui se penche sur l'avenir. Que représente, à moyen et long termes, le marché des satellites ? Quels sont les problèmes que suscitent nos concurrents ? N'y a-t-il pas à craindre des transferts de technologies, à l'avantage des Russes, du fait de notre partenariat avec eux à Kourou ?

Je me réjouis des propos que vous avez tenus sur les bourses. Je souhaite que ce système se développe. Vous le connaissez bien, puisque vous en avez-vous-même bénéficié. Peut-on connaître le montant de cette bourse ?

M. Jean-Yves Le Gall. - Je me souviens de mon premier salaire : 6 250 francs mensuels, en septembre 1981.

M. Roland Courteau. - Vous avez parlé politique internationale. Pourriez-vous nous donner plus d'éléments sur la Chine, l'Inde, les pays émergents ? Je reste sur ma faim concernant la politique de communication. Quels sont précisément vos projets concrets ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Dans l'économie mondialisée, la compétition se joue sur la recherche et l'innovation, particulièrement actives en matière de défense et dans le domaine spatial. Si les pays occidentaux sont les plus forts, nous sommes financièrement contraints ; que pèserons-nous demain face aux masses financières énormes de la Chine, de l'Inde ou du Brésil ? N'aurions-nous pas intérêt à prendre plus de risques, notamment en faisant plus appel aux fonds privés ? Des partenariats sont-ils possibles ? Il y a un monde entre ce que peut rapporter la recherche spatiale, et les 4,2 milliards qu'y consacre l'Europe...

M. Marc Daunis. - Le satellite présenté dans le hall de l'aéroport de Nice Côte-d'Azur participe à la diffusion de la culture scientifique et technique, dont vous marquiez le souci.

Je ne m'étonne pas que votre candidature ait séduit, en dépit de son caractère atypique : vous ne venez pas d'une grande école de commerce ou d'administration, mais technologique, ce qui est assez réjouissant. Diplômé de l'Ecole supérieure d'optique en 1981, vous aurez certainement une vue acérée sur un certain nombre de problématiques. Vous avez également à votre actif 54 lancements successifs réussis : votre politique est fondée sur la qualité et sur l'exigence.

Les innovations portées par votre secteur sont-elles susceptible de retombées, propices à la réindustrialisation ? Jouerez-vous un rôle d'essaimage, comme cela se pratique facilement aux États-Unis ? En tant qu'élu de la technopole de Sophia-Antipolis, je suis particulièrement sensible à cette question.

M. Jean-Yves Le Gall. - Jean-Jacques Mirassou, avec Ariane 6, nous réduisons le coût d'accès à l'espace, et nous le faisons de façon totalement vertueuse : nous ne diminuons pas les budgets, nous fabriquons des lanceurs moins chers.

Le partenariat avec le secteur privé est possible dans certains secteurs seulement. Peu d'entreprises investiront dans les sciences de l'univers pour savoir s'il existe des exoplanètes ou pour connaître la fréquence de battement d'un pulsar. En revanche, le recours aux fonds privés est fréquent pour les applications grand public et améliore l'utilisation des ressources budgétaires de l'État, ainsi pour l'observation de la terre ou encore dans le domaine des lanceurs. Par conséquent, si je devais faire un tiercé, il faudrait privilégier les sciences de l'univers ; viendraient ensuite  la terre, l'environnement, le climat, les télécommunications appartenant déjà au monde industriel.

La France joue un rôle moteur au sein de l'ESA. Concernant le programme Galileo, nous avions commencé à lancer, en coopération avec la Russie, deux satellites précurseurs, Giove-A et Giove-B, respectivement le 28 décembre 2005 et le 14 avril 2008. Depuis, nous avons lancé deux satellites IOV (in orbite validation) depuis la Guyane, les 16 octobre 2011 et en décembre 2012. Nous avons quatre satellites IOV et nous lancerons cette année les satellites FOC (full operational capability), avec Soyouz, deux satellites par deux, puis nous continuerons avec Ariane. Il nous reste 22 satellites à lancer : nous devrions atteindre 26 satellites en orbite fin 2014-début 2015. Galileo est un projet emblématique de l'Europe : comme souvent, le démarrage a été difficile, mais il ira à son terme.

Il est vrai, Gérard César, que sur le marché des satellites, la concurrence des pays émergents est souvent agressive. Des attaques commerciales d'État à État sont fréquentes. Quand la Chine propose des satellites clés en mains au Nigéria ou au Venezuela en échange de pétrole, ce sont autant de satellites en moins pour notre industrie.

Nous avons à accomplir un effort extrêmement important pour le développement des petits satellites à propulsion électrique, comme l'ont déjà fait les États-Unis. A l'entrée du colloque américain Satellite  2013, une gigantesque bannière publicitaire de Boeing proclamait « America is back ». Il est vrai que l'offre de plateforme à propulsion électrique, lancée par SpaceX fait du mal à nos industriels. Si je ne peux prendre ici d'engagement, il faudrait mettre en place l'Ariane 6 des satellites, c'est-à-dire un projet qui ne soit pas un projet de plus, mais quelque chose de différent. C'est ce que fait Boeing avec les plateformes à propulsion électrique. L'entreprise annonce aujourd'hui être en phase finale de négociation avec douze clients pour autant de plateformes : à l'évidence, elle offre quelque chose de plus, et nous devons faire de même. Nous avons relevé le défi avec Ariane 6 : faisons de même avec les satellites.

Je ne crains pas les transferts de technologie avec la Russie : le système de sécurité mis en place fonctionne. En revanche, la coopération ira-t-elle à son terme ? Quand elle a démarré, la Russie avait besoin de nous ; elle effectue désormais chaque année 22 lancements Soyouz.

Merci pour vos propos sur les bourses. Susciter des vocations est la meilleure façon de préparer l'avenir.

Roland Courteau, nous avons mis en place des coopérations avec la Chine, l'Inde et la Russie. Nous ne devons pas moins nous garder de tout angélisme : restons vigilants. Pour savoir ce que font les autres, rien ne vaut que le dialogue. Nous avons beaucoup appris en Guyane pour Ariane 6. Et à chaque fois que je vais en Inde, je reviens avec des idées nouvelles.

Je regrette que vous soyez resté sur votre faim à propos de communication. C'est un aspect que je veux renforcer, et j'aurai à coeur de vous rencontrer pour que vous nous disiez comment améliorer les choses. Dès ma nomination, je prendrai rendez-vous avec vous car votre expérience du terrain est précieuse.

SpaceX a été largement financée par le gouvernement américain, mais M. Musk a aussi accepté de miser 400 millions de dollars. Il va très probablement faire une culbute très intéressante, car on parle d'une introduction en bourse entre 2 et 4 milliards de dollars... Je doute que cela soit transposable en Europe, notamment du fait d'un fonctionnement différent des marchés boursiers, mais la délégation française a fortement incité l'ESA à développer des partenariats entre le public et le privé. Ce sera notamment le cas du programme Hylas, un satellite lancé en coopération avec l'opérateur britannique Avanti, d'Alphasat, préparé en coopération avec Inmarsat, et d'AG 1, développé avec Hispasat. Tous ces partenariats ont un effet multiplicateur bénéfique.

L'innovation est notre fil conducteur. Dans un contexte financier contraint, pour exister, il faut faire la course en tête. Dans de nombreux secteurs, c'est l'innovation qui fait la différence. Nous devons poursuivre nos efforts, et vous pouvez compter sur moi pour faire du CNES un exemple en matière d'innovation.

M. Ladislas Poniatowski. - Je vous propose un slogan : « CNES is back ».

M. Yves Pozzo di Borgo. - Il y a quelques années, le patron de l'ESA invitait à faire des choses folles, comme aller sur Mars... Faut-il être prudent dans le contexte actuel ?

M. Jean-Yves Le Gall. - Il faut se méfier, car nous sommes dans un secteur où la frontière est ténue entre l'échec et le succès : il n'y a pas de succès à 99,99 %... Avant tout, il faut faire des choses maîtrisées. Lorsque nous avons lancé Mars Express depuis Baïkonour, un groupe d'astronomes britanniques avait décidé de faire une folie. Ces passionnés avaient mis au point sur un coin de table un atterrisseur, Beagle, susceptible de descendre sur Mars. La navigation céleste ne s'improvisant pas, Beagle a été un échec retentissant, et a jeté une ombre passagère sur Mars Express. Même si la sonde européenne a connu un succès considérable en mettant en évidence la présence d'eau aux pôles de cette planète, j'en ai gardé un goût amer, car le grand enthousiasme des médias a fait pschitt quand l'atterrisseur a été perdu. Comptez-sur moi, en revanche, pour réaliser des choses qui sortent de l'ordinaire.

M. Daniel Raoul, président. - Quand Galileo sera opérationnel, vous aurez la meilleure et la plus large opération de communication !

M. Marc Daunis. - Peut-on repérer, dans votre secteur d'activité, des innovations susceptibles d'alimenter la politique industrielle française ? Par exemple, toute avancée dans la filière photovoltaïque améliore la compétitivité pour les entreprises françaises.

M. Jean-Yves Le Gall. - Une filiale du CNES fait des transferts de technologie : je la connais bien pour l'avoir dirigée pendant trois ans. Lorsqu'on parle de Galileo aux chauffeurs de taxi, on leur explique que c'est le GPS européen. Mon ambition est que dans cinq ans, pour désigner leur GPS, les chauffeurs de taxi parlent du Galileo américain...

M. Daniel Raoul, président. - Je vous remercie pour la qualité et l'intérêt de vos propos.

Puis la commission procède au vote à bulletin secret sur la candidature de M. Jean-Yves Le Gall, candidat à la présidence du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (CNES).

Le résultat du vote figure dans le compte-rendu de la réunion de commission du mercredi 27 mars.

Plan d'investissement pour le logement - Audition de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement

La commission procède ensuite à l'audition de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur le plan d'investissement pour le logement.

M. Daniel Raoul, président. - Le Président de la République a prononcé jeudi dernier à Alfortville, en présence de notre collègue Claude Bérit-Débat, un discours important sur le logement. Il a présenté un plan en vingt mesures, qui répond aux inquiétudes exprimées ici le 27 février dernier par les présidents de la Fédération française du bâtiment (FFB) et de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb).

Je me réjouis que Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, nous présente les principales mesures de ce plan ainsi que le calendrier de sa mise en oeuvre. Je la remercie d'avoir choisi d'intervenir en premier lieu au Sénat. Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, concernée par la partie rénovation énergétique des logements était également conviée, mais elle n'a pas pu participer à cette audition, étant retenue par l'installation du Conseil national de la transition écologique.

Le Président de la République a annoncé que certaines des mesures seront mises en oeuvre par voie d'ordonnance. Malgré l'urgence, le Parlement n'est jamais très enthousiaste à ce sujet. Quel champ recouvreront-elles précisément ? Quand le Gouvernement déposera-t-il le projet de loi d'habilitation, et quand le Parlement l'examinera-t-il ?

Vous avez lancé en janvier une concertation en vue d'un vaste projet de loi sur l'urbanisme et le logement. Où en êtes-vous, quand le texte sera-t-il déposé et discuté au Parlement ? Pouvons-nous espérer qu'à l'instar des derniers textes sur le logement, il sera discuté en premier lieu au Sénat ? Ce serait une marque de reconnaissance.

Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. - Je vous remercie de l'attention que vous portez à ces dossiers. Vous évoquez la FFB et la Capeb : ce secteur porteur d'emplois durables et non délocalisables nécessite en effet un intérêt marqué parce qu'il connaît une situation délicate. En outre, il est lié à une question décisive pour nos concitoyens, celle du logement. Nous avons déjà évoqué ses difficultés : il y a ceux qui vivent en zone tendue et ne peuvent prétendre à un logement de qualité, ceux qui sont en situation de mal-logement et ceux qui ont besoin d'un hébergement.

Les chiffres de la construction sont mauvais, comme l'année dernière : dans ce domaine, nul ne peut en faire porter la responsabilité à tel ou tel. Les cycles de la construction sont durables et c'est sur le long terme que se vérifie l'efficacité des mesures que nous prenons. Les effets pervers de certains dispositifs fiscaux n'apparaissent qu'après coup, d'où ces immeubles vides dans certaines communes...

Le Gouvernement entend répondre à l'urgence et travailler aux réformes structurelles : vous avez opportunément rappelé deux dossiers, le plan d'investissement pour le logement présenté par le Président de la République à Alfortville la semaine dernière, et après la loi que vous avez votée à la fin de l'année 2012, le prochain projet de loi.

Ce plan d'urgence vise à déverrouiller simultanément un certain nombre de dispositifs pour donner un coup de fouet nécessaire en matière de normes, de financement et d'équilibre du parc. Le premier volet facilite les projets urbains et l'aménagement, notamment en raccourcissant les délais de procédure, en particulier en luttant contre les recours malveillants de type quasi mafieux. Certains n'hésitent pas à pratiquer une forme de racket : ils subordonnent à l'obtention d'une somme d'argent l'abandon des recours qu'ils déposent contre les permis de construire.

Le plan comporte la mise en place d'un géoportail de l'urbanisme : afin de faciliter le travail des professionnels du secteur, d'éviter par exemple à l'architecte de courir en mairie pour récupérer des plans locaux d'urbanisme (PLU), tous les documents d'urbanisme seront désormais en ligne, accompagnés d'une cartographie. Pour que ce portail fonctionne, il faut un dispositif législatif, d'où l'intérêt de recourir aux ordonnances : nous gagnerons entre six mois et un an.

Autre dispositif, le taux maximal de garantie d'emprunt pour les opérations d'aménagement va être assoupli, pour pallier le renchérissement des critères bancaires d'accès à l'emprunt.

Comme je l'ai dit à l'occasion de l'abrogation de la loi relative à la majoration des droits à construire, le travail sur la densification se poursuit, non seulement dans le cadre du projet de loi, mais également avec la transformation de bureaux vides en logement. Rien qu'en Île de France, 3 millions de mètres carrés sont concernés. Ces bâtiments sont construits sur des zones d'activité, et leur transformation ne pourra intervenir qu'après modification du PLU, un processus long qu'il convient d'accélérer notamment en zone tendue et à proximité des transports en commun, tout comme il faut revoir les obligations de parking qui créent une contrainte budgétaire insurmontable : pour transformer un immeuble de bureaux, on doit en effet aménager deux niveaux de sous-sol.

Nous voulons sécuriser les opérations en vente en état futur d'achèvement (VEFA) et faciliter la gestion de la trésorerie des entreprises du bâtiment, conformément à la demande répétée des professionnels.

Dans une logique de mixité, développer le statut du logement intermédiaire répondra en partie au débat sur l'augmentation à 25 % du plancher de logements sociaux dans les communes concernées par la « loi SRU ». Dans un premier temps, les communes pourront inclure dans leur programme local de l'habitat (PLH) la nécessité de construire ce type de logement. Ensuite, nous pourrons éventuellement travailler sur l'environnement législatif et fiscal.

Le rôle contracyclique des bailleurs sociaux mérite d'être affirmé. C'est pourquoi nous avons augmenté les aides à la pierre, nous souhaitons que les fonds propres des différents organismes soient mutualisés, et nous avons mobilisé un milliard d'euros supplémentaire d'Action logement, somme qui sera délivrée en même temps que les subventions d'État sur la surcharge foncière, c'est-à-dire de façon automatique et avec une instruction très rapide.

En outre, le Président de la République a annoncé que toutes les opérations de construction et de rénovation de logements sociaux livrables à compter du 1er janvier 2014 seraient soumises à une TVA de 5 %. Du fait du plafonnement des loyers, la capacité de l'Union sociale pour l'habitat (USH) à construire des logements dépend en effet du taux de consommation de fonds propres, opération par opération. La baisse du taux de TVA a un effet mécanique immédiat sur la consommation des fonds propres, et donc, sur la possibilité pour les organismes de construire davantage. La construction atteint aujourd'hui environ 100 000 logements alors que le Gouvernement s'est fixé un objectif de 150 000. Avec tous ces dispositifs, nous aurons les moyens de construire les 50 000 logements supplémentaires, qui représentent 85 000 emplois directs et semi-directs.

Au-delà de l'engagement du Gouvernement en faveur de l'emploi, le plan d'investissement par le logement est une traduction concrète des moyens que nous nous donnons pour atteindre nos objectifs.

Les décrets d'application de la loi relative à la mobilisation du foncier public seront publiés dans les semaines à venir. Nous avons souhaité une gouvernance efficace du plan de mobilisation et je suis personnellement certains dossiers. La fin des abattements pour durée de détention intervenant dans le calcul des plus values des terrains à bâtir, des friches commerciales et des logements inhabitables contribuera à la lutte contre la rétention foncière.

Pour simplifier l'activité des professionnels, il a été décidé un moratoire de dix-huit mois sur les normes nouvelles de construction. Cette pause aidera les professionnels à travailler sans risque en matière de qualité de construction. Nous avons également décidé de mettre en place l'autoliquidation de la TVA.

En ce qui concerne le grand chantier de rénovation énergétique sur lequel nous avons travaillé avec Delphine Batho, le Gouvernement entend tenir les engagements du Président de la République : 500 000 rénovations par an, dont 380 000 dans le parc privé, et 120 000 dans le parc social. A cette fin, nous élargissons les critères d'accès à la subvention pour la réalisation de travaux de rénovation thermique, qui concernera désormais les deux tiers des ménages français. Cette aide directe de 1 350 euros sera cumulable avec le crédit d'impôt développement durable (CIDD), mis en place en 2005 par le précédent Gouvernement et qui a montré son efficacité. Le CIDD sera redimensionné et cumulable avec l'éco-prêt à taux zéro (PTZ), que certifieront les entreprises certifiées Grenelle, ce qui débloquera certains dossiers. Pour simplifier l'accès au dispositif, nous mettons en place un guichet unique et un numéro vert.

J'ai également signé avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah) une convention pour le recrutement de 1 000 ambassadeurs de la rénovation énergétique, au titre des emplois d'avenir et du service civique. Chargés d'aider les ménages victimes de précarité énergétique, en particulier les personnes âgées ou isolées, ils pourront s'appuyer sur un dispositif renforcé pour les personnes les plus modestes, pour lesquels la subvention pour les travaux de rénovation énergétique atteindra 3 000 euros.

La volonté du Gouvernement est de répondre à l'urgence, de façon cohérente avec les réformes de structure, tout en travaillant sur les règles d'urbanisme, l'articulation entre les différents niveaux de schéma, du PLU aux schémas régionaux, ainsi que sur la copropriété...

Les ordonnances s'imposent pour des questions de délais. L'objectif est, en effet, le dépôt du projet de loi sur le logement et l'urbanisme avant la fin du mois de juin. Le dépôt du texte devant l'Assemblée nationale ou le Sénat n'est pas encore arrêté. En revanche, le projet de loi d'habilitation sera examiné le 17 avril en Conseil des ministres. L'emploi des ordonnances est très contrôlé dans la Constitution de la Ve République. Le projet de loi d'habilitation sera détaillé. L'objectif n'est pas de contourner qui que ce soit, mais de répondre à l'urgence de la situation.

M. Daniel Raoul, président. - Pour ce qui couvre le projet de loi sur l'urbanisme et le logement, je rappelle que ce domaine intéresse particulièrement les collectivités territoriales et les territoires, dont le Sénat est le représentant.

Mme Cécile Duflot, ministre. - J'en ferai part au ministre des relations avec le parlement ainsi que dans le dialogue avec le Premier ministre et le Président de la République.

M. Claude Bérit-Débat. - Je tiens à saluer les mesures annoncées jeudi par le Président de la République. Ce véritable plan d'urgence était très attendu par les professionnels du bâtiment. Les présidents de la Capeb et de la FFB avaient insisté devant nous sur l'urgence des mesures à prendre. Je me réjouis de la forte implication du Président de la République, du Gouvernement et de vous-même, madame la Ministre. Après la première loi Duflot, dont j'ai été le rapporteur au Sénat, après la mise à disposition du foncier public, l'encadrement de l'évolution des loyers, des mesures d'incitation à la construction et le relèvement du plafond du livret A, ces mesures sont importantes à deux titres : d'une part, elles vont relancer l'activité du bâtiment, et, d'autre part, elles répondront à la très forte demande de logement social de nos concitoyens.

Le taux de la TVA n'avait jamais été abaissé à 5 %. Le précédent Gouvernement l'avait relevé de 5,5 à 7 %. Comme vous l'avez souligné, la baisse à 5 % correspond mécaniquement à un autofinancement par logement de 6 000 euros et représente 22 500 logements supplémentaires. Cette mesure était attendue par l'ensemble des personnes que nous avons auditionnées  et la commission s'était engagée à plaider en sa faveur. Notre action a-t-elle été déterminante ? En tous les cas, le résultat est là, et je m'en félicite.

Les 1 350 euros de subvention attribués aux ménages moyens dans le cadre du plan de rénovation énergétique constituent également un bon outil pour relancer le secteur du bâtiment.

S'agissant de la mise en oeuvre de la loi sur la mobilisation du foncier, quand les décrets sur la décote  seront-ils publiés? Nous aimerions également connaître la liste des terrains. Enfin, quel est le contour exact du pacte avec l'Union sociale pour l'habitat (USH) dont nous recevons demain le président ?

Mme Élisabeth Lamure. - Parmi les dispositifs d'aide au logement locatif efficaces, le dispositif Scellier a pris fin en décembre 2012. Pour éviter le trou d'air dont se plaignent les professionnels de la construction, n'aurait-il pas pu cohabiter avec le vôtre pendant une période comme l'avaient fait les dispositifs Quilès et Méhaignerie ?

Une décote importante sur la vente de logements HLM aux propriétaires occupants  dégagerait des fonds pour de nouvelles constructions : est-ce envisagé ?

J'ai bien noté la baisse de la TVA à 5 %. Or, les professionnels du bâtiment et plus particulièrement les professions artisanales sont inquiets du passage à 10 % de la TVA sur les travaux de rénovation dans le secteur privé à partir de janvier prochain. Qu'envisagez-vous en ce domaine ?

Mme Mireille Schurch. - Après cet exposé très clair, nous saluons un grand nombre de mesures. Je me demande qui va payer pour la création du géoportail de l'urbanisme, une bonne idée, au demeurant. Où en est la réflexion sur la vacance ? Vous aviez dit que la création d'une taxe sur les bureaux vacants en dépendait. Nous regrettons que la baisse la TVA à 5 % de ne concerne que la rénovation thermique des logements sociaux et leur construction. Il eût été plus efficace d'inclure la réhabilitation dans son champ d'application.

Mme Cécile Duflot, ministre. - Non : la TVA à 5 % concerne l'ensemble du logement social !

Mme Mireille Schurch. - Vous nous le préciserez. Les professionnels attendaient sans doute une TVA à 7 % pour tout le reste.

M. Michel Bécot. - Elle est à 10 % !

Mme Mireille Schurch. - Pourquoi n'avoir pas instauré, comme nous l'avions proposé, un prêt à taux zéro pour les offices HLM ? Ce serait une bonne mesure.

En matière foncière, nous avions notamment pensé à encadrer la valeur du foncier par un mécanisme spécifique et proposé de geler les coûts du foncier lorsqu'un projet d'aménagement est lancé, pour éviter les effets d'aubaine. Qu'en pensez-vous ?

Tout le monde s'accorde sur l'opportunité de créer un guichet unique. Il peut être financier, mais aussi technique, car ceux qui entreprennent des travaux de rénovation thermique ont besoin d'aide pour faire le tri dans les bons diagnostics. Quel statut auront les ambassadeurs de la rénovation énergétique et, dans quel cadre interviendront-ils ?

Vous avez décidé un moratoire sur les expulsions locatives jusqu'au 1er avril. Nous pensons qu'il faut le prolonger, sous réserve d'une indemnisation des propriétaires.

M. Daniel Raoul, président. - La fiscalité sur le foncier taxe moins ceux qui retiennent le plus longtemps leur bien. Il faut faire le contraire ou asseoir la taxe sur la valeur vénale du bien, comme dans les pays nordiques.

M. François Calvet. - Je voudrais d'abord m'associer à vos deux premières questions M. le Président : le Sénat mérite que ce débat vienne d'abord dans notre hémicycle. Ce plan d'urgence est annoncé quelques semaines après la loi sur le logement, censée assurer la construction de 500 000 logements par an dont 150 000 logements sociaux. J'avais prédit que vous n'y parviendriez pas, car les collectivités locales ne peuvent emprunter à des taux acceptables, et parce que les opérateurs privés connaissent aussi des difficultés, malgré des taux très bas. Le plan a néanmoins le mérite d'exister et d'apporter des réponses aux préoccupations que nous avions exprimées : endiguer la multiplication des recours, supprimer les incitations fiscales à la rétention des terrains, appliquer un moratoire normatif. Toutefois, le temps de la construction n'est pas celui de la communication : la machine à construire des logements ne repartira pas de sitôt, sans parler de la crise dans laquelle nous sommes.

D'après Les Echos du 22 mars dernier, l'État britannique a accordé sa garantie à 133 milliards de livres d'emprunts immobiliers pour relancer la machine. Cette mesure, qui devrait fonctionner, est sans impact sur le déficit et l'endettement publics... Par comparaison, votre plan mobilise 400 millions d'euros à destination des seuls organismes HLM. Baisser la TVA, d'accord, mais que fait-on pour résoudre les difficultés de financement ?

J'ai déjà attiré votre attention à deux reprises, lors des débats du 9 novembre et du 17 décembre 2012, sur les garanties d'emprunt nécessaires aux opérateurs HLM pour accéder aux crédits accordés par la Caisse des dépôts et consignations et les autres banques. Elles sont difficiles à obtenir, car les organismes de notation les traitent comme des dettes. Beaucoup de collectivités territoriales ont ainsi réduit leur taux de garantie d'emprunt. Or l'argent vient du livret A, qui est garanti par l'État : pourquoi imposer une double garantie ? Dans la communauté d'agglomération de Perpignan, nous avons dû baisser le taux de garantie, et les autres collectivités ont accru leur participation. Pour atteindre les 20 % de logement sociaux, ma commune, dont l'encours de dette représente 8 millions d'euros, conduit un unique programme de 13 millions d'euros : j'en garantis 60 %, la communauté d'agglomération 40 % - vous mesurez les difficultés posées par les ratios définis par la loi Galland. Cette dernière mériterait d'être revue.

La loi du 18 janvier 2013 impose aux communes un objectif triennal de production de logements locatifs sociaux sur la période 2011-2013. Il semble que les services de l'État y ajoutent un objectif portant sur les trois derniers trimestres de 2013. Ces objectifs sont-ils confondus ou complémentaires ? L'enjeu est de taille puisqu'à défaut de les respecter les communes verraient leur pénalité multipliée par cinq. Est-ce exact ?

Le retour de la TVA à 5 %, enfin !, s'appliquerait à tous les programmes livrables au 1er janvier 2014. Or dans votre conférence de presse, vous aviez laissé entendre que la mesure ne s'appliquerait qu'à compter de cette date. Dans ce dernier cas, les organismes HLM ne seraient pas pressés de construire... Qu'en est-il réellement ?

Mme Cécile Duflot, ministre. - Le premier décret relatif à la mobilisation du foncier public de l'État sera publié avant la fin du mois de mars. Deux autres seront publiés avant la fin mai sur les établissements publics, puis sur les établissements publics de santé. Les premières cessions seront possibles dans les tous prochains jours. La circulaire a déjà été envoyée aux préfets qui gèreront la liste au niveau départemental, la centralisation qui avait prévalu auparavant ayant montré ses imperfections... Le cas échéant, nous examinerons au niveau central le souhait d'une collectivité d'ajouter un terrain à la liste pour mener à bien un projet.

Le pacte avec l'USH sera finalisé avant la mi-mai. Le dialogue progresse. Il comprendra un premier volet patrimonial, précisant les engagements de l'État et des organismes HLM destinés à produire des logements neufs conformes aux engagements du Président de la République et répondant aux défis du développement durable notamment en matière de rénovation thermique - la TVA à 5 % concerne l'ensemble des travaux dans le logement social, madame Schurch.

Le volet social favorisera l'accueil des plus démunis, ainsi que des personnes prioritaires au titre du droit au logement opposable (Dalo), pour lesquelles une meilleure implication des bailleurs sociaux sera requise territoire par territoire. Nous travaillons en outre avec Najat Vallaud-Belkacem à une offre spécifique de logement à l'attention des femmes victimes de violences. Nous veillerons enfin à adapter les loyers aux services rendus, aux besoins des plus défavorisés ainsi qu'à améliorer le service rendu aux locataires.

Le troisième et dernier volet du pacte concerne le pilotage : la coopération entre les organismes sera améliorée, certains objectifs des conventions d'utilité sociale renégociés, et le suivi de la mise en oeuvre des engagements du pacte formalisé. La mutualisation des fonds propres a déjà fait l'objet d'un engagement du comité exécutif de l'USH.

Le dispositif Scellier a démontré ses lacunes, ses insuffisances et son coût. Nous avons assuré trois mois de tuilage avec le nouveau dispositif, dont les professionnels commencent à voir l'intérêt. Il a été ouvert au patrimoine ancien afin que celui-ci puisse être remis sur le marché en centre-ville.

La question de la vente du parc HLM ne se pose pas qu'en termes de rentrées financières. Dans certaines zones comme le sud de la France, des copropriétés datant des années 1980 se dégradent rapidement, faute de rénovation. Ne fabriquons pas des futures copropriétés dégradées. Quand les locataires qui achètent n'ont pas les moyens de rénover des passoires thermiques, la tentation est grande de se tourner vers le bailleur, qui reste propriétaire d'une partie des logements.

Un groupe de travail dédié réfléchit aux nouveaux taux de TVA. En matière de rénovation thermique, nous avons fait le choix de nous tourner vers les ménages. Grâce à la TVA à 5 %, 10 000 logements sociaux supplémentaires seront rénovés. La prime de rénovation, elle, déclenchera la rénovation de plus de 100 000 logements du parc privé dès 2014. Mise en oeuvre dans les semaines à venir, elle contribue au caractère très incitatif du plan.

Le géoportail sera mis en oeuvre sous l'égide de l'État. Les documents sont déjà numérisés, il n'y a donc pas de coût supplémentaire à anticiper. Ne manquent à ce stade que l'interface avec le dispositif national, et le choix du référentiel : le cadastre ou celui de l'Institut géographique national ? C'est affaire de volonté, non d'argent.

Nous ne sommes pas au bout de nos réflexions sur la transformation des bureaux en logements et l'identification des vacances. Nous avons choisi d'inciter les bailleurs sociaux à acquérir ces immeubles. Les bureaux des années 1970 et 1980, plus faciles à transformer en logements, n'ont pas de parkings en sous-sol et leur mise aux normes est onéreuse. Simultanément, dans le cadre de la future loi, nous réfléchissons à une taxation des bureaux. Les propositions en ce sens sont les bienvenues.

Le Président de la République l'a annoncé, l'éco-prêt logement social aura un taux de 1 % : on peut difficilement faire mieux. Les travaux de rénovation auront un impact significatif sur l'activité et pour les locataires.

Je signerai prochainement la lettre de mission du Conseil général de l'environnement et du développement durable, qui me semble l'instance la plus à même de réfléchir sur l'encadrement du coût du foncier.

L'instauration du guichet unique est décisive. En la matière, la mobilisation de tous est indispensable. Deux maisons identiques construites dans les années 1960 peuvent coûter l'une 4 500 euros de chauffage au fioul par mois, l'autre 2 000 euros, car mieux isolée et dotée d'une pompe à chaleur et d'un chauffe-eau thermodynamique, soit 200 euros d'économie par mois. Autre exemple : dans une maison de 100 mètres carrés avec une extension de 50 mètres carrés, un changement de chaudière peut faire baisser le coût de chauffage de 30 %. L'efficacité se traduit en espèces sonnantes et trébuchantes.

Mme Mireille Schurch. - Avec quel investissement ?

Mme Cécile Duflot, ministre. - Entre 15 000 et 17 000 euros dans le premier cas, ou 1 200 euros au mètre carré pour l'extension.

Nous avons prolongé de quinze jours la trêve hivernale des expulsions locatives. Le 26 octobre, j'ai signé avec Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, la circulaire rendant le recours de la force publique impossible pour les expulsions des personnes reconnues prioritaires au titre du Dalo. Nous travaillons simultanément sur la garantie universelle des loyers, qui facilitera l'accès au logement, sécurisera les propriétaires en leur versant le montant du loyer dès le premier mois d'impayé, et identifiera précocement les difficultés sociales. Les mécanismes existants ne sont pas utilisés faute d'une bonne connaissance des situations.

François Calvet, je ne crois pas avoir dit que la loi que vous avez votée remplirait immédiatement l'objectif de 500 000 logements par an... Je crois néanmoins que notre action y contribue.

Je suis sensible à la situation britannique. Toutefois, notre problème réside moins dans la difficulté de garantir les emprunts que dans le niveau des prix immobiliers nourri par les crédits d'impôt, ou l'accès au logement des populations en difficulté, femmes seules ou familles monoparentales. Votre question sur les garanties d'emprunt me surprend, car la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) ...

M. François Calvet. - 2 % !

Mme Cécile Duflot, ministre. -  ... n'est pas difficile à mobiliser.

Le mécanisme de sanction voté pour 2013 ne prendra pas en compte les objectifs triennaux 2011-2013. Les deux précédentes années seront évaluées au titre de la loi précédente.

M. Daniel Raoul, président. - Les chiffres que vous donnez sur la performance énergétique invitent à faire un rapide calcul. Prenons un investissement de 17 000 euros sur 15 ans, emprunté en totalité. A un taux de 1 %, le remboursement s'élève à 20 000 euros. Vous parlez d'une économie mensuelle de 200 euros sur la facture énergétique, quand le remboursement mensuel n'est que de 133 euros : le différentiel est positif.

Mme Cécile Duflot, ministre. - Le scenario sur lequel nous travaillons implique l'intervention d'un tiers financeur, qui se rembourserait sur les économies d'énergie réalisées.

M. Yannick Vaugrenard. - Toutes ces dispositions témoignent d'un indéniable souci d'efficacité, surtout en direction des publics les plus fragiles et des ménages. Il faudra toutefois étudier leurs conditions d'emprunt auprès du secteur bancaire. L'industrie du bâtiment n'est pas oubliée : la pause normative était attendue, et la TVA à 5 % est bienvenue. Si la chambre haute avait été écoutée, nous aurions gagné trois mois. Mieux vaut tard que jamais.

En matière de zonage du dispositif Duflot, les préfets devraient pouvoir tenir compte des spécificités locales : 26 % du parc locatif de Saint-Nazaire est social ; la ville se dirige vers les 30 % dans les différents programmes, qui tous comprennent du locatif social et de l'accession à la propriété. Il était souhaitable que le dispositif Duflot soit applicable. Curieusement, Saint Nazaire est passé en zone B2, alors que les industries navales et aéronautiques ainsi que l'attraction du littoral vont augmenter la demande de logements. Peut-on donner plus de souplesse au dispositif, et proroger le mécanisme jusqu'en juin 2016 ?

M. Daniel Raoul, président. - Les dérogations sont du ressort des préfets.

M. Roland Courteau. - Les économies d'énergie constituent le principal gisement d'énergie et d'emploi en France, je le confirme en ajoutant que leur donner la priorité est une excellente initiative.

Quelles précisions pouvez-vous nous donner sur le redimensionnement du CIDD ? On avait trop réduit le champ d'application de cet instrument intelligent. Qu'il soit cumulable avec l'éco-prêt à taux zéro est une très bonne chose.

La précarité énergétique est un vrai problème. L'extension des tarifs sociaux et de la période de trêve hivernale sont prévues par la loi de transition énergétique, examinée en ce moment par le Conseil constitutionnel. L'accompagnement des ménages est indispensable. Vous avez annoncé 1 000 ambassadeurs de la rénovation énergétique pour faciliter la rénovation énergétique des logements passoires : rapporté au nombre de départements, cela vous paraît-il suffisant ?

M. Marc Daunis. - Dans mon département, le marché n'est pas tendu, il est hyper tendu. Voilà un frein économique et une source de drames humains. Merci et bravo pour les mesures que vous nous annoncez.

Que peut-on imaginer pour simplifier les procédures administratives ? Dans mon département, l'application simultanée des lois « Montagne » et « Littoral » aboutit à des situations intenables. Dans certains secteurs, la révision des plans de prévention des risques d'incendie de forêt est bloquée, révision générale des politiques publiques (RGPP) oblige. Donnez des consignes au préfet pour qu'on puisse très rapidement libérer des terrains par des procédures administratives. Aujourd'hui, l'avis de l'architecte des bâtiments de France est réputé favorable au bout de deux mois ; comme il est débordé, nous attendons... et nous perdons un mois de plus que par le passé. Autre exemple : celui d'une zone d'aménagement concertée de 100 000 mètres carrés de surface hors oeuvre nette (SHON) finalisée au bout de quatre ans de bagarre, et dotée de toutes les études environnementales et d'impact nécessaires ; le jour du dépôt du permis de construire, le changement du régime des zones commerciales supérieures à 40 000 mètres carrés SHON oblige le pétitionnaire à refaire l'étude environnementale... Si nous pouvions éliminer de telles absurdités du droit positif par ordonnances, nous gagnerions du temps.

La vente du parc HLM est un bon outil de promotion de la mixité. En effet, le parc des années 1970 vieillit et se paupérise à mesure que les habitants les plus aisés s'en vont. La seule réponse que nous avons pu apporter à ce jour est la vente du patrimoine. En contrepartie, il serait bon d'effectuer des travaux et une rénovation énergétique de ces bâtiments, faute de quoi les copropriétés se dégraderont. Autre point que je souhaite voir figurer dans les procédures sur lesquelles vous travaillez : une charte fixant les montants de la décote en contrepartie des rénovations réalisées et instaurant des clauses anti-spéculatives avec un droit de préemption pour le bailleur ou la collectivité. Je tiens une note plus détaillée à votre disposition.

M. Jean-Claude Lenoir. - Votre programme de rénovation énergétique des bâtiments suppose que les entreprises soient au rendez-vous, dans le BTP comme dans les industries d'appareillage (pompes à chaleur, hélices, etc.). Un travail de fond doit être mené avec le ministère de l'éducation nationale et celui de la formation professionnelle pour que les entreprises forment des gens à ces nouveaux métiers. Il serait opportun de créer un label spécifique pour éclairer les consommateurs, car les personnes âgées ou modestes sont trop souvent victimes d'arnaques.

J'ai participé à l'inauguration d'un lotissement mis à disposition par un organisme HLM, bien conçu et bien réalisé. Celui-ci s'est vu refuser le label « bâtiment basse consommation » parce que le chauffage n'était pas au gaz mais électrique. En milieu rural, le raccordement au gaz n'est pas toujours aisé. Quant j'ai interrogé le président d'Habiter mieux, il avait convenu que le balancier était allé trop loin.

M. Claude Dilain. - Ces mesures sont toutes importantes et efficaces, notamment l'abaissement de la TVA à 5 % pour le logement social. Nous étions nombreux à plaider pour - cela nous avait été reproché. Ces mesures auront une double efficacité : sur la construction de logements et sur la relance d'une activité non délocalisable. Elles pourraient s'accompagner d'incitations pour que les maîtres d'ouvrage fassent bénéficier la population locale et les petites entreprises, par exemple en y insérant des clauses sociales dans les appels d'offres, et en invitant à allotir les marchés.

M. Daniel Raoul, président. - L'allotissement devrait être une règle générale.

M. Joël Labbé. - Votre détermination devant l'urgence est une excellente chose. D'habitude, face aux promesses, on attend de voir. J'ai souvenir d'une soirée difficile en séance l'année dernière, lors du débat relatif à la TVA sur le logement social : vous aviez alors promis que les choses seraient rétablies dès 2013 : c'est le cas, et j'en suis satisfait.

En zone B2, il y a des territoires dotés d'un PLH dans lesquels l'application stricte des dispositions du dispositif Duflot sur les secteurs les plus tendus aura des effets injustes, notamment dans les communes de première couronne où le marché est moins tendu. Cap Lorient demande que l'ensemble du territoire couvert par le PLH soit pris en compte et propose que 50 % des logements, et non pas 80 %, profitent du dispositif. Est-ce possible ?

Enfin, un maire élu en 2008 doit gérer un grand retard en matière de logement social. En 2013, en dépit de tous les efforts réalisés, les pénalités infligées à la ville s'élèvent à 50 000 euros. Y a-t-il une possibilité de s'y soustraire ?

M. Claude Dilain. - Voyez le préfet.

Mme Cécile Duflot, ministre. - Ce n'est pas possible. Pour autant, les subventions apportées sont déductibles des pénalités.

Mme Renée Nicoux. - Le secteur du bâtiment connaît d'importantes difficultés, alors même que nous avons un grand besoin de logement social. Il est difficile d'accéder à des logements de qualité dans les zones tendues, mais également dans les zones moins tendues, notamment les zones rurales. La TVA à 5 % s'appliquera-t-elle à la rénovation de l'habitat dans les zones peu denses ? Le logement social, c'est aussi celui de petits propriétaires qui n'ont pas les moyens de faire des travaux. Il serait bon de prendre en compte le niveau de revenu des propriétaires dans la définition du logement social.

Dans quelles structures les ambassadeurs de la rénovation énergétique exerceront-ils ? Je rejoins enfin Jean-Claude Lenoir sur la nécessité de former des personnes à ces nouveaux métiers.

M. Daniel Raoul, président. - Nous poserons demain la question de l'hébergement des ambassadeurs à Dominique Braye. L'Anah me semble la structure la plus indiquée.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Le logement d'urgence est une préoccupation forte pour tous les élus. En la matière, tous les acteurs se renvoient les responsabilités, et cela se termine souvent par une occupation illicite de locaux qui gêne tout le monde. Où en est la réflexion sur ce point ?

M. Alain Bertrand. - Tout ce que fait la ministre est excellent. Les entreprises du BTP dépendent de la commande publique, qui elle-même dépend des collectivités territoriales. Elles sont donc désemparées. Or dans certaines zones rurales où l'économie est peu différenciée, elles composent l'essentiel du tissu industriel, car il n'y a pas d'entreprises de services. Que pouvez-vous imaginer pour les aider ?

Mme Cécile Duflot, ministre. - Je vais d'abord répondre à Yannick Vaugrenard et Joël Labbé pour ce qui concerne Saint-Nazaire, Vannes, Lorient et le club des B2. Des élus nous disent que des opérations Scellier font concurrence aux logements sociaux : certains propriétaires n'arrivant pas à trouver des locataires et craignant de perdre leurs avantages fiscaux louent à n'importe quel prix. Pour l'avenir, nous allons veiller à construire des logements plutôt que de réaliser des opérations de défiscalisation. Toutes les communes B2 sont éligibles au dispositif jusqu'au 30 juin. D'ici là, les préfets pourront, pour qu'il n'y ait pas d'effet couperet, accorder des dérogations jusqu'au 31 décembre. Pour Lorient, Joël Labbé, vos propositions sont fort intéressantes mais difficiles à mettre en oeuvre. Nous préférons nous reposer sur l'observatoire des loyers qui proposera des critères précis pour mener à partir du 1er janvier 2014 une politique du logement fine et réactive, sans référence à des zonages.

Nous réfléchissons à la possibilité d'agréer chaque opération : parfois sur certains territoires, une ou deux opérations sont nécessaires, pas davantage. Une telle politique est cependant délicate à réaliser, car il ne s'agit pas de conventionner des logements sociaux, mais de réguler les choix d'opérateurs privés. Le zonage a montré ses limites et il a un indéniable effet de frontière. C'est pourquoi nous travaillerons sur la territorialisation de la politique du logement.

Roland Courteau m'a interrogé sur le redimensionnement du CIDD : les bouquets de travaux seront privilégiés, pour une plus grande efficacité. Deux tiers des Français peuvent cumuler Eco-PTZ, prime et CIDD : les classes moyennes en bénéficieront.

Le Gouvernement est déterminé à lutter contre la précarité énergétique grâce à l'augmentation de la prime et à la création d'ambassadeurs de la rénovation énergétique. L'Anah financera la formation des mille ambassadeurs, qu'ils soient rattachés aux collectivités ou à ses propres opérateurs, pour travailler avec les communes et les centres communaux d'action sociale qui sont les plus à même d'identifier les ménages en difficulté. Embauchés au titre des emplois d'avenir ou du service civique, ces ambassadeurs acquerront une véritable formation professionnalisante.

Marc Daunis s'est étonné des multiples études d'impact demandées pour les zones d'aménagement concerté (ZAC), qui sans rien apporter, sauf à certains bureaux d'études, ralentissent le traitement des dossiers. Comme rien ne sert d'empiler les dispositifs, les ordonnances proposeront des déclarations de projets, pour mettre en ligne un certain nombre de règles et éviter la révision des PLU. Certaines collectivités ont en effet tendance à rendre urbanisable une grande partie de leur territoire, y compris agricole, pour éviter de réviser leur PLU au cas où certains projets verraient le jour. Je préfère que l'on protège les zones agricoles mais que les PLU soient plus facilement révisables pour des constructions de logements.

Il est extrêmement difficile pour un ministre d'aller à rebours des dispositions en vigueur pour les risques sismiques, d'incendie, d'inondation ou de submersion marine. Que se passerait-il si un incendie survenait dans une commune dont le plan de prévention des risques naturels prévisibles d'incendies de forêts (PPRIF) aurait été revu à la baisse ? Je suis prête à étudier des situations particulières, mais je n'écrirai pas aux préfets d'alléger les plans de prévention.

M. Marc Daunis. - Je ne demande pas la révision des plans, mais un peu de bon sens : les investissements pour qu'une zone en B0 devienne constructible, et qu'on crée une piste périmétrale au préalable interdisent de fait tout projet de logements sociaux. Dans les Alpes-Maritimes, des dossiers sont en souffrance et on trouve des zones classées en PPRIF qui ne sont même pas boisées.

Mme Cécile Duflot, ministre. - Le concept de forêt non boisée est original. N'hésitez pas à me solliciter sur les forêts virtuelles : je regarderai le dossier avec beaucoup d'intérêt... Vous avez dit des choses très justes sur les ventes d'HLM qui devaient, selon mon prédécesseur, accroître la trésorerie des organismes HLM. Pour moi, la vente des logements HLM ne répond pas à la problématique. Inutile de multiplier les copropriétés en difficulté.

Comme l'a dit Jean-Claude Lenoir, la formation est importante, aussi y travaillons-nous dans le cadre du Feebat. Je souhaite que les entreprises labellisées Grenelle ou ECO Artisan, bénéficient d'un statut différent. La certification Eco-PTZ implique une responsabilité professionnelle, car ces entreprises deviennent garantes de la qualité et de l'efficacité énergétiques des travaux qu'elles réalisent.

Le label BBC (bâtiment basse consommation) implique une consommation d'énergie primaire de 50 kw/h par mètre carré et par an. Quoique plus sévère pour l'énergie électrique qui a un moins bon bilan thermique, ce label ne favorise aucune énergie. Une révolution copernicienne de la construction est nécessaire, tant pour les matériaux que pour la pose qui doit être irréprochable afin de réduire la perméabilité à l'air, même si les ventilations mécaniques contrôlées (VMC) double flux sont indispensables. Il faut bien poser les fenêtres, les portes et supprimer les ruptures de pont thermique.

Comme l'a dit Alain Bertrand, une prime à l'expérience serait bienvenue. Elle favoriserait les PME plutôt que les entreprises à taille variable qui recrutent des personnels non formés. La certification doit-elle être attribuée aux entreprises ou aux salariés ? Nous allons poursuivre la réflexion avec les professionnels sur cette délicate question, mais nous voulons favoriser les entreprises qui forment et qui gardent leurs salariés. Vous avez eu raison de m'alerter sur les démarchages pour de nouvelles fenêtres qui n'ont pour seul résultat que d'endetter des familles. Je suis également sensible, Claude Dilain, à la question de l'allotissement des marchés et de la clause sociale. Nous allons l'intégrer, même s'il faut tenir compte du code des marchés publics.

Le logement d'urgence est une compétence d'État, Jean-Jacques Mirassou, qui doit être partagée par les collectivités locales et par les bailleurs. Il est urgent de décloisonner les mondes de l'hébergement d'urgence, du logement social, voire du logement classique. Il y a des partenariats entre des agences immobilières privées et des lieux d'hébergement. Certaines personnes, comme des réfugiés, restent en logement d'urgence alors qu'elles pourraient être logées dans de meilleures conditions si la transition était bien gérée par les professionnels qui ont tendance à ne bien faire leur travail que dans leur lieu d'accueil.

La politique du logement impose à la fois modestie et pragmatisme : il n'y a pas de solution magique. Pour certains, une augmentation de la marge des promoteurs serait une bonne nouvelle ; telle n'est pas ma conviction. Je crois en revanche qu'il faut de la mixité, du logement intermédiaire, mais aussi de l'investissement privé pour sortir de cette crise difficile. Je continuerai à travailler d'arrache-pied sur ces dossiers, et il est extrêmement réconfortant de pouvoir compter sur votre mobilisation.

M. Daniel Raoul, président. - Merci de ce langage direct. Notre commission est à votre disposition et nous espérons que vous nous réserverez la primeur de votre projet de loi.

Mercredi 27 mars 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Audition de M. Jean-Louis Dumont, président de l'Union sociale pour l'habitat

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à l'audition de M. Jean-Louis Dumont, président de l'Union sociale pour l'habitat.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques - Le programme de travail est cette semaine presque exclusivement consacré à la question du logement. Après la ministre de l'égalité des territoires et du logement hier et avant notre ancien collègue M. Dominique Braye, président de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), je suis heureux d'accueillir ce matin M. Jean-Louis Dumont, président de l'Union sociale pour l'habitat (USH).

La commission des affaires économiques n'a cessé de démontrer au cours des dernières années son intérêt pour les questions de logement. Compétente sur ces questions, elle a étudié à la fin de l'année 2012, sous la houlette de notre collègue Claude Bérit-Débat, qui en était rapporteur, la loi de mobilisation du foncier public en faveur du logement. Elle étudiera au cours des prochains mois le vaste projet de loi relatif à l'urbanisme et au logement qui est en préparation. J'ai d'ailleurs indiqué à la ministre Cécile Duflot, que nous serions heureux que ce texte soit examiné en priorité au Sénat.

Nous connaissons donc bien l'USH, que Jean-Louis Dumont préside depuis novembre dernier. Vous avez succédé à deux sénateurs membres de la commission des Affaires économiques du Sénat : Thierry Repentin, qui a présidé l'USH entre 2008 et 2012 et Marie-Noëlle Lienemann, qui en a assuré la présidence par intérim jusqu'à votre élection.

Nous sommes d'autant plus heureux de vous entendre aujourd'hui que cette audition intervient moins d'une semaine après l'annonce par le Président de la République d'un plan d'investissement pour le logement. J'espère donc que vous pourrez nous faire part de votre jugement sur ce plan et notamment sur le pacte que le Président de la République souhaite voir conclu d'ici la fin du premier semestre entre l'État et l'USH afin d'atteindre l'objectif de construction de 150 000 logements sociaux par an.

M. Jean-Louis Dumont, président de l'Union sociale pour l'habitat. - Je vous remercie de me faire l'honneur de me recevoir au Sénat en ce moment particulier. En effet, le Président de la République a rendu le 21 mars ses arbitrages en matière de politique du logement. Nous le réclamions depuis plusieurs mois. Ma venue au Sénat me permet de saluer le travail de mes prédécesseurs à la tête de l'USH : Marie-Noëlle Lienemann, qui fut aussi ministre du logement, Thierry Repentin, ancien sénateur et désormais ministre, mais aussi Dominique Braye ou encore Michel Delebarre. Enfin, je pense en venant au Sénat à Roger Quilliot, qui a imprimé sa marque sur la politique du logement en France. J'ajoute que c'est par l'accession sociale à la propriété que je suis venu au mouvement HLM.

Si les temps changent et si les hommes et les femmes sont remplacés, dans le mouvement HLM, demeure une valeur essentielle : le droit au logement. Pour la présidence de l'USH, nous étions plusieurs candidats qui partagions un objectif commun : améliorer l'accès au logement. C'est en ce sens que je travaille sur le Pacte que nous devons signer avec l'État pour relancer le logement en France et que nous recherchons une mutualisation des actions des différents organismes.

Le paysage institutionnel du mouvement des HLM est marqué par une grande diversité et une multitude d'acteurs : les coopératives d'HLM, les Offices publics de l'habitat adossés à des collectivités publiques, les sociétés à capitaux privés, adossées à Action Logement, les organismes de crédit immobilier. Tous sont utiles.

A l'Assemblée nationale, j'ai été entre 1997 et 2002 rapporteur budgétaire du logement. Je mesure aujourd'hui les difficultés économiques et financières de notre pays. Mais il faut construire. C'est l'objectif du Président de la République et une nécessité pour répondre aux besoins en logements du pays. Le besoin est d'abord de construire des logements supplémentaires en Île-de-France, en Provence-Alpes-Côte-D'azur, en Aquitaine, ou encore dans certains territoires de l'Ouest de la France. Le besoin est aussi de construire partout en France pour remplacer des bâtiments obsolètes. Comme maire de Verdun, j'ai procédé à la destruction de logements populaires familiaux (LOPOFA) pour les remplacer par des maisons individuelles, dans le cadre de la politique de développement social des quartiers (DSQ). Il me semblait d'ailleurs pertinent de construire d'abord et détruire ensuite les bâtiments obsolètes. Le besoin, enfin, est aujourd'hui de procéder à la rénovation thermique des logements. Cela permet au locataire de disposer de plus de confort en payant moins cher en charges. La rénovation technique peut se faire par phases : nous pouvons, moyennant quelques travaux, améliorer l'efficacité énergétique de bâtiments anciens, sans toutefois atteindre les plus hauts standards. Ce choix évite celui de détruire les bâtiments anciens, ce qui est plus coûteux. La démolition ne répond d'ailleurs pas seulement à une logique économique, mais à une logique urbaine de rénovation des quartiers.

Je considère que le Président de la République a répondu avec ses annonces du 21 mars aux attentes du mouvement HLM, conjointes à celles du secteur du bâtiment. L'objectif de production de logements neufs est ambitieux. Il fallait pour l'atteindre abaisser le taux de TVA. Au demeurant, la création du taux réduit de TVA dans la construction fut une réussite économique et sociale. Au Congrès de l'USH qui s'est tenue en septembre 2012 à Rennes, le mouvement s'était exprimé pour le maintien de cet instrument. La venue du Premier ministre constituait le signe d'un soutien au mouvement. La ministre Cécile Duflot a joué un rôle essentiel pour le maintien du taux réduit de TVA.

M. Daniel Raoul, président. - Les sénateurs l'ont bien accompagnée en ce sens.

M. Jean-Louis DumontTout à fait. L'objectif étant de construire beaucoup, le mouvement HLM est prêt à relever le défi. Mais il faut que l'État l'y aide. Or l'État n'a plus d'argent. Une piste pour le mouvement HLM consiste donc à mutualiser ses ressources. Ainsi pourrons-nous atteindre l'objectif de production de 120 000 logements par an, 150 000 en comptant les sociétés d'économies mixtes.

Mais le succès de l'effort de construction repose aussi sur d'autres acteurs comme les collectivités territoriales. En effet, ce sont les maires qui signent les permis de construire. Ce sont aussi les collectivités qui libèrent des terrains constructibles. Il est par ailleurs nécessaire de mutualiser les ressources humaines pour la maitrise d'ouvrage des opérations de logement. Certains opérateurs disposent de compétences et peuvent les mettre à disposition d'autres, dans un esprit de solidarité. J'évoque un point particulier : il existe encore des offices HLM municipaux. La prochaine loi de décentralisation pourrait utilement proposer de les adosser aux intercommunalités.

Si le discours du Président de la République sur le logement m'a rassuré, il faudra vaincre les résistances administratives qui existent encore, en particulier du côté du ministère des finances.

Sur le foncier, je précise que je préside le Conseil de l'immobilier de l'État. Il me semble indispensable que l'immobilier de l'État soit mis à contribution pour la construction de nouveaux logements. Dans une optique de long terme, il nous faudra professionnaliser la gestion du patrimoine foncier de l'État.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je partage les analyses qui viennent d'être développées et je tiens à souligner que l'essentiel va maintenant se jouer, d'une part, dans la définition des modalités de mise en oeuvre par le ministère de l'économie des mesures annoncées et, d'autre part, dans la mobilisation sur le terrain de l'ensemble des acteurs concernés.

La première bataille consistera à s'assurer que le taux de TVA à 5 % s'applique bien à l'ensemble du champ des activités des organismes d'HLM. Toutes les activités qui étaient auparavant taxées à 5,5 % devront l'être désormais à 5 %. J'insiste particulièrement sur la question du prêt social locatif accession (PSLA), car l'accession à la propriété est un des piliers des politiques de mixité sociale de l'habitat et elle doit être préservée.

Le second combat sera de bien définir ce qu'on entend précisément par mutualisation des fonds propres des organismes du mouvement HLM. Quelles en seront les modalités pratiques ? La mutualisation ne doit pas être un système de transferts financiers organisés par l'État. C'est le mouvement HLM lui-même qui doit organiser la mutualisation. L'État devra bien sûr avoir pour mission de contrôler que la répartition opérée correspond bien aux objectifs d'intérêt public qu'il a définis, mais son rôle n'est pas de piloter directement les opérations. Je fais référence ici au débat sur le rôle que doit jouer la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLSS). Cette caisse est abondée par les organismes HLM mais elle est de facto dirigée par l'État. Théoriquement certes, il y a codécision, mais la codécision avec les services de Bercy atteint assez vite ses limites. Mon avis est que la mutualisation doit rester entre les mains du mouvement HLM. C'est impératif pour conserver de la souplesse dans la gestion. Si elle est mise en oeuvre par l'administration, nous perdrons en réactivité et nous ferons face à des effets pervers terribles, comme l'illustre la taxe instaurée sur les fonds propres des organismes HLM. Le mécanisme mis en place n'a pas incité ceux qui avaient des ressources à construire davantage, car les sociétés qui avaient des fonds propres ont préféré se désendetter plutôt que de payer la taxe. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles la quotité de prêts de la Caisse des dépôts baisse. Un pilotage en interne de la mutualisation permettra de prévenir ce type d'effets pervers et de déplacer les curseurs rapidement sans avoir à attendre une évolution des textes normatifs.

Je souhaite également attirer l'attention sur la nécessité de faire preuve de vigilance concernant le doublement des aides à la pierre au cours du quinquennat. C'est l'une des promesses du Président de la République. Or, j'entends déjà les arguments des services de Bercy : puisqu'on a décidé la baisse de la TVA, on va pouvoir réduire à due concurrence les aides à la pierre. Si on le fait, les objectifs ne seront pas atteints. Un milliard d'euros sont en effet nécessaires pour avoir des chances d'atteindre l'objectif des 150 000 logements sociaux annuels. On se situe actuellement à 400 millions d'euros. Si l'on réduit les aides à la pierre, le compte n'y sera pas.

Enfin, sur la question du coût du foncier, au-delà du nécessaire suivi au niveau régional et national par l'USH et l'État, le Sénat doit avoir un rôle d'impulsion et de pression pour lutter contre l'inertie des administrations. Nous avons vu, lors des débats sur la question de la baisse du taux de TVA, que la mobilisation du Sénat avait joué un grand rôle dans cette avancée. Il faut maintenir notre mobilisation.

M. Claude Bérit-Débat. - La baisse du taux de TVA est une mesure majeure qui est le fruit d'une mobilisation forte des sénateurs, toutes étiquettes confondues : il faut effectivement le souligner. Cette baisse devrait permettre de dégager en moyenne 6 000 euros de fonds propres supplémentaires par logement et de financer au total la construction de 22 500 logements supplémentaires par an. Ce sont les chiffres que l'on nous donne. Cette évaluation est-elle correcte selon vous ? Il serait intéressant pour pouvoir se faire une idée de disposer du bilan du passage de la TVA de 5,5 à 7 %.

Vous avez rappelé que le Président de la République avait fixé un objectif ambitieux de 150 000 logements sociaux supplémentaires. Il sera atteint grâce à la coopération entre le mouvement HLM et les SEM. Je ne doute pas que ces dernières prendront toute leur part à l'effort collectif.

Concernant le prélèvement sur le potentiel financier des organismes de logement social, je rappelle que sa suppression procède, à l'origine, d'un amendement d'initiative sénatoriale qui a été intégré au texte du projet de loi de mobilisation du foncier. Or, j'entends qu'il existe toujours un prélèvement sur les organismes HLM. Je voudrais donc avoir un éclairage sur ce point.

Je rappelle aussi qu'il y a une mobilisation financière de 1,5 milliard d'euros d'Action logement. C'est une mesure forte qui s'ajoute à celles qui ont été précédemment évoquées.

Ma dernière remarque concerne le foncier. La mise à disposition du foncier de l'État va intervenir bientôt, quoiqu'un peu tardivement à mon goût, puisque les décrets devraient être publiés dans les prochaines semaines. Il y a sans doute là l'effet d'une certaine inertie administrative -on sait à cet égard la position de France domaine concernant la mise à disposition gratuite. Je souhaite qu'on aille encore plus loin dans la libération du foncier privé en modifiant les règles de taxation qui, aujourd'hui, incitent à conserver le foncier. C'est une demande unanime des acteurs du logement.

M. Daniel Raoul, président. - L'inversion de la fiscalité sur les plus-values immobilières constitue une bonne méthode pour libérer le foncier, mais je crois qu'on devrait étudier aussi celle utilisée par les pays nordiques basée sur une taxation de la valeur vénale.

M. François Calvet. - S'il faut mobiliser le foncier de l'État, il serait sans doute aussi opportun de mobiliser le foncier détenu par les établissements publics fonciers de l'État. Ils disposent de stocks importants. Peut-être faudrait-il donner au préfet de région un rôle pour activer l'utilisation de cette ressource.

Concernant l'adossement des organismes HLM sur les établissements publics de coopération intercommunale, c'est une pratique qui se répand. Nous l'avons fait à Perpignan avec l'OPAC et la communauté d'agglomération. Mais il faut avoir une certaine cohérence : il y a une chaîne des opérations en matière de logement et, lorsqu'on prend la compétence en matière de délégation de l'aide à la pierre, il faut aussi prendre la compétence aux autres niveaux de la chaîne.

Un autre point me semble important : c'est celui des garanties d'emprunt des collectivités. J'ai abordé hier cette question lors de l'audition de madame la ministre. Les collectivités, qui font l'objet d'une notation financière, hésitent également à accorder des garanties qui risqueraient de dégrader leur note. Or, cette garantie me paraît également inutile car l'État garantit déjà les fonds du livret A : à quoi bon garantir une deuxième fois ces sommes ?

Enfin, je me réjouis de l'annonce d'un moratoire de deux ans sur la création de normes. D'ailleurs, je serais intéressé que vous nous précisiez quelles sont, de votre point de vue, les normes les plus coûteuses.

Mme Mireille Schurch. - Pouvez-vous nous donner des précisions sur la manière d'atteindre l'objectif des 120 000 logements sociaux annuels ? Quelles sont les opérations financières envisagées ? Que pensez-vous de la possibilité pour les offices HLM d'emprunter à taux zéro ?

Adosser les offices HLM aux EPCI, pourquoi pas. Mais l'objectif de 30 % de logements sociaux est un objectif communal.

Je serais favorable à l'obligation de mettre en place des établissements publics fonciers régionaux. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Dans les zones denses où le foncier disponible est rare, il faut réhabiliter les logements existants ou trouver des locaux vacants. Je pense notamment à la transformation de bureaux en logements : comment doit-on s'y prendre de votre point de vue ?

Pouvez-vous confirmer que la TVA à 5 % ne concerne pas seulement la construction et la réhabilitation mais tous les travaux sur logements sociaux ? Il y a eu des déclarations contradictoires à ce sujet et je souhaiterais être rassurée sur ce point.

Enfin, quand on évalue le nombre de constructions supplémentaires généré par la baisse de la TVA, quelle base de calcul prend-on ? Se réfère-t-on à une situation où la TVA est à 5,5, à 7 ou à 10 % ?

M. Pierre Hérisson. - La crainte d'une réduction en parallèle du taux de TVA et des aides à la pierre aux organismes de logement social s'appuie sur des précédents. Le phénomène avait déjà eu lieu lors du passage de la TVA de 19,6 à 5,5 %.

Sur la disponibilité du foncier, je voudrais faire une observation : la Haute-Savoie a investi depuis quinze ans dans les espaces naturels sensibles. On y rencontre aussi des terres agricoles en quelque sorte enclavées dans les espaces urbanisés. Or, dans les zones tendues, l'utilisation de 1 % de ces espaces préservés suffirait à disposer gratuitement du foncier nécessaire à toutes les opérations de construction de logements. Je crois qu'il faut s'interroger sur l'utilisation de ces réserves.

Je voudrais aussi dénoncer ce qui me paraît être une injustice. On voit aujourd'hui dans des zones tendues que certaines collectivités, pour rattraper leur retard par rapport aux obligations de taux minimal de logement sociaux, lancent des opérations dans lesquelles la part de logements sociaux atteint 30 ou 35 % du nombre total de logements construits. Or, l'équilibrage financier de ces opérations se fait en transférant une partie du coût des logements sociaux sur les logements du parc privé, au détriment en particulier des primo accédants. Ces derniers se retrouvent ainsi à payer 20 % du prix du logement de leurs voisins bénéficiaires de logements sociaux.

Enfin, je reviens sur le rapport de Jean-Claude Boulard et Alain Lambert relatif à la lutte contre l'inflation normative. Y avez-vous contribué par vos propositions ? Car c'est un fait que le secteur du logement et des équipements publics souffre d'un excès de normes.

M. Claude Dilain. - Quelle est la position de l'USH sur la question de la vente du patrimoine aux locataires ? Je comprends l'intérêt que cela peut représenter pour le bailleur, mais il y a aussi un risque réel de voir se développer des copropriétés dégradées en grande difficulté.

Dans le cadre de la rénovation urbaine était prévue une zone de 500 mètres bénéficiant d'une dérogation de TVA. Je souhaite que le taux réduit de TVA s'applique encore à l'avenir dans ces zones.

M. Marc Daunis. - La vente de logement HLM correspond à une aspiration forte d'une partie des locataires. Cela peut d'ailleurs être un facteur de mixité sociale de l'habitat. Pour autant, je poserai trois questions :

- que penser des organismes HLM qui vendent une partie de leur patrimoine dans des villes qui ne satisfont pas à la loi SRU ? Cela me choque ;

- que penser des organismes HLM qui, parce que leurs locataires n'ont pas pu devenir propriétaires de leur logement, les vendent au prix du marché, y compris pour en faire des résidences secondaires ? Cela peut s'observer sur la Côte d'azur, mais aussi en Île-de-France ;

- de telles ventes ne devraient-elles pas systématiquement se faire dans le cadre d'une charte comportant une obligation de réhabilitation préalable avant la cession, le maintien de l'organisme bailleur auprès du syndic pour réaliser l'accompagnement et l'inclusion de clauses anti-spéculatives ?

M. Ladislas Poniatowski. - Je souhaite vous poser une seule question sur la question de la vente de patrimoine. Les priorités pour le logement social sont la construction et la rénovation de l'ancien. Cela a un coût et une des manières pour trouver de l'argent est de vendre du patrimoine HLM. Je pense qu'en la matière, il faut aller plus vite et agir. Vendre ce patrimoine est une priorité. J'ai présidé pendant six ans l'office de mon département. On a lancé le processus qui n'était pas alors dans les mentalités. Mais de plus en plus de locataires entrent aujourd'hui dans le processus de l'accession à la propriété. Il faut à mes yeux fixer des objectifs quasi-obligatoires - tout en tenant compte, bien entendu, de l'état du patrimoine de chacun - avec des pourcentages de logements à vendre. C'est un des moyens d'atteindre vos objectifs.

M. Daniel Raoul, président. - Je suis persuadé que nous aurons un vrai débat entre nous sur ce sujet.

M. Jean-Louis Dumont. - Étant entré dans le mouvement HLM par le biais de l'accession sociale à la propriété, je suis un militant de la vente de logements HLM.

Venant du milieu rural et fils de paysan, je connais les sentiments qui s'attachent aux terrains que l'on possède. Comme membre du Conseil économique et social, j'ai commis un rapport sur le foncier urbain à construire, rapport qui reste d'actualité. Avec le sénateur Pierre Hérisson, nous avions échangé quand il était en charge d'un rapport sur les grands rassemblements évangéliques et moi d'un rapport sur les grands rassemblements festifs liés à la musique techno. Nous avions fait les mêmes observations sur le foncier à laisser disponible pour des faits de société. Quand le terrain devient rare, qu'il soit urbain, agricole ou dédié à des missions environnementales ou sociétales, il faut y prêter attention. Député de l'opposition, j'ai voté pour l'inscription du principe de précaution dans la Constitution, je suis cependant conscient que son application pose de réels problèmes.

En matière de vente HLM, quand Gilles de Robien était ministre du logement, je lui ai indiqué que j'étais d'accord avec ses propositions, mais opposé à une norme en la matière. Pour moi, le patrimoine de l'organisme qui vend doit augmenter année après année. Quand un organisme HLM souhaite vendre, il faut un plan stratégique de patrimoine établi sur plusieurs années. Il indique quels logements seront vendus et où ils seront vendus. Le préfet donne son avis, le maire est informé et a les moyens de s'opposer. La vente HLM est donc encadrée. Elle est souvent utilisée par les organismes les plus dynamiques sur la production et sur la rénovation. Si la gestion de la vente est bien faite, elle peut dégager des fonds propres qui peuvent être réutilisés.

Certains organismes sont riches d'une ressource humaine dédiée à l'ingénierie financière qui n'existe pas dans les très petits organismes. C'est pour cela que je parle de la mutualisation, non pas en commençant par l'argent mais par les ressources humaines et l'ingénierie. J'ai vu, dans une région, trois offices départementaux créer une filiale commune et travailler en commun. J'ai vu par ailleurs, sur une communauté urbaine, l'ensemble des organismes, dans leur diversité, se réunir pour répondre ensemble aux besoins exprimés par le président de l'intercommunalité. Cela peut donc très bien fonctionner.

La norme des 20 voire 25 % de logements sociaux doit être appliquée sur un territoire, l'intercommunalité.

Il faut faire des logements sociaux, y compris en vente en état futur d'achèvement (VEFA). Dans certaines communes, notamment en Île-de-France, près de 50 % de la production HLM sont réalisés en VEFA. Nous estimons que les organismes HLM peuvent monter des opérations, reprendre de la promotion privée, mener l'opération et vendre en état futur d'achèvement au privé. A chacun son métier, ses difficultés et son expertise : un organisme HLM sait aller discuter avec un maire, sait reprendre un terrain pour mener une opération d'aménagement avec un établissement public foncier (EPF).

Je suis donc favorable à la vente HLM. C'est un nouveau métier que de jouer le rôle de syndic, mais la vente HLM donne plus de sens et plus de responsabilité. Il faut le faire sans contrainte et sans tabous. Des divergences existent entre les organismes HLM sur cette question.

S'agissant des normes, un des premiers courriers que j'ai envoyés à Cécile Duflot portait sur les ascenseurs. Leur mise aux normes est évidemment nécessaire mais encore faut-il qu'il y ait suffisamment d'ascensoristes pour satisfaire leurs besoins ! Il faut au moins six mois ou un an de délai supplémentaire. Il faut par ailleurs, bien entendu, régler des situations d'incivilité voire reconquérir des espaces urbains abandonnés à des petites mafias. C'est un travail de fond avec les associations, l'école, les services municipaux... On essaie d'y répondre, mais la fonction première des organismes HLM est de construire du logement, d'entretenir et de rénover.

Il est évident que le PSLA bénéficiera du taux de TVA à 5 %, tout comme l'ensemble de la rénovation des logements sociaux. Dans les zones urbaines sensibles (ZUS), les organismes bénéficient de l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), ce qui représente environ 150 millions d'euros. Cette mesure pourrait être remise en cause car elle peut produire certains effets d'aubaine.

S'agissant de la mutualisation, l'argent des organismes HLM doit servir à d'autres organismes et il est hors de question que cet argent soit géré par quelqu'un d'autre que les organismes. Mon taux d'adrénaline monte quand on parle de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) : les fonds détenus proviennent exclusivement des organismes HLM donc des locataires. Nous vous proposerons donc, en accord avec les ministres concernés, des amendements pour revisiter la gouvernance de la CGLLS. Il pourrait peut-être être utile d'en faire une caisse de garantie car nous constatons en effet que de plus en plus de collectivités locales hésitent à donner la garantie. Ma conviction, c'est que nous devons construire plus, rénover et réhabiliter sur le plan thermique notre patrimoine. Nous devons répondre à des besoins à travers un spectre de plus en plus large, du terrain familial au logement intermédiaire. Pourquoi interdire aux organismes HLM de mener des opérations de construction de logements intermédiaires là où il n'y a pas d'autres opérateurs ? Je demande un élargissement du spectre d'action pour les organismes HLM. Nous devons travailler sans tabou sans a priori.

Sur les charges, nous devons faire des investissements pour qu'elles diminuent. Ces investissements peuvent être rentables.

S'agissant du foncier, j'ai rédigé des rapports sur cette question. Le Conseil immobilier de l'État a été consulté sur le projet de décret sur la décote. On sent bien qu'il y a des pressions mais, par ailleurs, le foncier a une valeur qu'on ne peut pas minorer. C'est pour ça que je suis favorable à l'emphytéose. On ne doit pas donner l'impression qu'on brade le patrimoine, même pour une cause essentielle. Le Conseil immobilier de l'État présentera 50 propositions au nouveau ministre des domaines. Nous avons l'obligation d'être très attentif à une gestion professionnelle de l'immobilier de l'État par France Domaine. Les organismes HLM souhaitent que la valorisation du foncier s'opère au bénéfice des HLM, pour des opérations mixtes.

M. Jean-Jacques Lasserre. - Cette réunion est passionnante. J'habite à proximité de la Côte basque, où beaucoup d'opérations n'aboutissent pas à cause de la charge foncière. Ne devrait-on pas mener une réflexion en matière de foncier et être un peu innovant en matière de fiscalité ? Faut-il instaurer une fiscalité permanente sur le foncier destiné à la construction ?

M. Daniel Raoul, président. - C'est un sujet que nous avons souvent évoqué. S'agissant de la fiscalité des plus values immobilières, l'inversion de la logique de la taxation est une solution. La solution des pays nordique me paraît plus simple : rendre constructible un terrain y est considéré comme un enrichissement sans cause pour les propriétaires concernés

M. Jean-Louis Dumont. - Nous vous enverrons des propositions écrites de l'Union, dont beaucoup concernent la détention du foncier et la mobilisation du foncier au bénéfice des opérations urbaines.

M. Daniel Raoul, président. - Merci beaucoup, Monsieur le Président, de vous être exprimé devant nous avec tant de conviction.

Audition de M. Dominique Braye, président de l'agence nationale de l'habitat

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission auditionne M. Dominique Braye, président de l'Agence nationale de l'habitat.

M. Daniel Raoul, président. - C'est avec un plaisir non feint que j'accueille Dominique Braye, président de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), au cours d'une semaine d'auditions consacrées aux problématiques du logement. M. Dominique Braye a été sénateur de 1989 à 2011 et a été l'un des membres les plus actifs de notre commission, où il fut rapporteur des grands textes sur le logement, tels que la loi portant engagement national pour le logement (ENL), ou la loi relative à la mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (Molle). Je me rappelle également le duo qu'il a constitué pendant de longues années avec notre ancien collègue Thierry Repentin : tous deux ont signé en 2005 un rapport remarqué sur les questions de foncier et d'immobilier. Dominique Braye était la référence de l'ancienne majorité sénatoriale sur les questions de logement ; il l'est resté pour la nouvelle majorité ! Ainsi, lors des débats sur la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, à la fin de l'année 2012, Claude Bérit-Débat, rapporteur du texte, et moi-même n'avons pas manqué de nous appuyer à plusieurs reprises sur les propos qu'il avait tenus lors de l'examen de la loi Molle quant à l'application de l'article 55 de la loi SRU.

Nous sommes donc très heureux de vous recevoir cet après-midi, Monsieur le Président, afin que vous puissiez nous présenter le rapport que vous avez remis au Gouvernement en janvier 2012 sur la question très sensible des copropriétés. L'organisation de cette audition est d'autant plus opportune que le vaste projet de loi relatif à l'urbanisme et au logement que le Gouvernement déposera, semble-t-il, avant l'été devrait comprendre un volet consacré à la réforme de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. C'est d'ailleurs dans cette perspective que notre collègue Claude Dilain s'est vu confier par la ministre de l'égalité des territoires et du logement une mission sur la question des copropriétés dégradées. Au-delà de ce rapport, je ne doute pas que les membres de la commission souhaiteront également vous interroger sur l'action de l'Anah et connaître votre opinion sur le plan d'investissement pour le logement présenté la semaine dernière par le Président de la République.

M. Dominique Braye, président de l'Agence nationale de l'habitat. - Je suis très heureux de me retrouver parmi vous. Je suis accompagné de Mme Isabelle Rougier, qui est la directrice générale de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) - dont je ne fais que présider le conseil d'administration ! Notre collaboration est excellente.

Je vous remercie de votre accueil et de vos propos chaleureux. Je regrette seulement que vous ayez rejeté mes analyses à l'époque, pour aujourd'hui les trouver à votre goût. Cela me cause une pointe de désarroi.

M. Daniel Raoul, président. - Vous ne changez pas !

M. Dominique Braye. - J'ai toujours pensé qu'une bonne idée doit s'imposer, d'où qu'elle vienne. J'étais le Beppe Grillo de l'époque !

Le rapport sur la copropriété que je viens vous présenter aujourd'hui m'a été commandé en juin 2011 par le ministre d'alors, Benoist Apparu. Je m'étais vite aperçu, lorsque j'ai pris fonctions à l'Anah, que c'était là un problème majeur dans le pays, qui risquait d'avoir des conséquences explosives si nous ne le traitions pas. En vérité j'ai été surtout l'animateur de ce rapport, dont la cheville ouvrière fut, entre autres, un brillant polytechnicien, Laurent Girometti, ainsi que Soraya Daou, de l'Anah, ici présente également. Ils m'ont en particulier aidé, pour aboutir à des solutions concrètes, à constituer un groupe de travail réunissant tous les acteurs : Caisse des dépôts et consignations, Union sociale pour l'habitat (USH), Fédération des entreprises publiques locales, etc. J'ai aussi rencontré ceux qu'on m'avait dissuadé de rencontrer : M. Bruno Dhont, directeur de l'Association des responsables de copropriété (ARC), les professionnels, les élus, etc...

Notre pays compte 560 000 copropriétés, ce qui représente environ 6,2 millions de logements ; 85 % d'entre elles se portent bien, mais 15 % d'entre elles, soit environ 800.000 à un million de logements, connaissent des difficultés qui peuvent aller jusqu'à la fragilité, une vingtaine étant dans de très graves difficultés. La copropriété est un système complexe et fragile. Son équilibre repose sur cinq piliers, dont chacun peut être fragilisé : l'état du bâti, le fonctionnement des instances décisionnelles, la gestion financière, la solvabilité des copropriétaires et les modes d'occupation - les intérêts peuvent être incompatibles, surtout lorsque les propriétaires-bailleurs sont nombreux.

La question des copropriétés fragiles a émergé dans les années quatre-vingt, dans des grands ensembles ou des immeubles de la reconstruction commençant à vieillir. L'Anah, qui s'occupe de l'habitat indigne ou dégradé, fut saisie. Elle ne reste pas inactive : en 2011 elle a dépensé 91 millions d'euros, et elle agit souvent en synergie avec l'Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru) dans le cadre de projets de renouvellement urbain. Malheureusement, l'intervention publique est toujours trop tardive. Elle arrive au moment où elle coûte le plus cher, et a le moins de chance de succès. Le but est donc d'intervenir plus tôt. Mieux vaut prévenir que guérir, le rapport le dit bien.

Ancien vétérinaire, j'ai conscience qu'il faut bien connaître son malade pour porter le bon diagnostic et prescrire le bon traitement. La connaissance des copropriétés était inexistante lorsque j'ai commencé le rapport : dix-huit observatoires produisaient des éléments d'information trop divers pour être comparables, chaque élu mettant en avant certains critères plutôt que d'autres. Le terme même de copropriété n'était pas défini, encore moins la copropriété dégradée. Première mesure, donc : développer des outils d'observation pour connaître la réalité. Nous avons mis en place, avec la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature, (DGALN), un système de pré-repérage. Nous avons créé un pôle national d'appui et de connaissance à l'Anah. Il convient d'immatriculer les copropriétés. 

Le régime juridique de la copropriété est inutilement compliqué. Les parlementaires doivent le simplifier. Conçu lorsque les copropriétés furent créées, il n'est plus adapté aux graves problèmes que certaines rencontrent aujourd'hui.

La première chose est de créer des copropriétés viables. Les promoteurs doivent prendre en compte cette exigence. Au-delà d'un certain nombre de logements, une copropriété devient impossible à gérer. Les équipements communs doivent être adaptés, et ne pas entraîner de charges futures excessives pour les copropriétaires. La pratique de la division en volumes, à laquelle ont recours de plus en plus d'architectes sur des ensembles immobiliers non complexes, aboutit parfois à faire payer une partie des charges par certains copropriétaires et non par tous : un encadrement législatif s'impose. La copropriété n'est certes pas adaptée à certains types de logements spécifiques : parfois, il vaut mieux créer des sociétés civiles immobilières (SCI), je songe aux résidences étudiantes, aux résidences pour personnes âgées. Enfin, les mises en copropriété d'immeubles existants doivent être mieux encadrées et accompagnées.

Il faut ensuite apprendre à gérer un patrimoine en commun : j'ai pu constater, en me rendant à un colloque sur la copropriété au Canada et au Québec, combien cela semblait plus simple dans les pays nordiques que chez nous : à l'évidence, les Français sont moins à l'aise avec le préfixe « co- » qu'avec le mot « propriété » ! L'intérêt individuel prime sur l'intérêt collectif. Les parties communes sont perçues comme n'appartenant à personne alors qu'elles appartiennent à tout le monde, et que leur bonne gestion nécessite de raisonner sur le moyen ou long terme.

Un immeuble n'est pas éternel : il vieillit, il faut l'entretenir. La principale mesure préconisée par le rapport est de généraliser le triptyque : diagnostic de l'état de la copropriété, plan pluriannuel de travaux, et mise en place d'un fonds de travaux obligatoire, instituant une forme de financement de l'« usure » des parties communes et en lissant l'effort financier des copropriétaires pour y faire face. Mme Duflot, je m'en réjouis, nous a entendus. Le plan pluriannuel répondrait au diagnostic, qui lui-même remplacerait les diagnostics multiples et thématiques, mais en s'adaptant aux capacités financières des copropriétaires. Le ministère de la Justice estime que le fonds de travaux obligatoire est assimilable à de l'épargne forcée ; il n'en est rien, c'est tout simplement de l'amortissement. N'est-il pas anormal qu'un copropriétaire resté dix-neuf ans ne paie rien pour la réfection périodique d'une toiture qui intervient la vingtième année, et que celui qui lui succède paie la totalité ? Ce fonds sera attaché non pas au copropriétaire mais au lot : lors de la vente, le vendeur ne le récupère pas, il compense l'usure intervenue pendant son occupation. Les syndics, comme le gouvernement, résistent à l'idée de compte séparé : les dépôts financiers des copropriétaires produisent des intérêts perçus par les syndics et taxés par l'État, tout cela au détriment des copropriétés. Soyez fermes ! Des comptes séparés permettraient de détecter beaucoup plus vite les impayés, et donc d'accroître les chances de les récupérer. Il faut rétablir une vraie confiance entre syndics et copropriétaires.

Un bilan de l'arrêté dit Novelli, qui détermine la répartition entre charges particulières et charges générales, ne serait pas inutile. Tout ce qui n'est pas dans les charges générales est dans les charges particulières : il faut inverser cette logique. Les syndics multiplient les lettres en cas d'impayés, au lieu de procéder rapidement à une mise en demeure, point de départ d'une procédure... Les charges particulières doivent être précisément définies.

Il conviendrait également de favoriser l'information des futurs acquéreurs. Il est frappant de voir combien ceux-ci font souvent preuve de légèreté : ils examinent chaque centimètre carré de la voiture qu'ils veulent acheter mais achètent sur un coup de coeur un bien immobilier, sans rien étudier ! Un moyen simple de les informer serait de leur remettre une fiche synthétique sur l'état de la copropriété, très sommaire : nous savons bien que donner des centaines de pages, comme le font les notaires et les professionnels, sert à noyer les personnes sous l'excès d'information. Il faudrait aussi que les charges courantes prévisionnelles figurent dans les annonces. L'acheteur doit disposer de toutes les informations dès la signature du compromis, afin que son rêve ne devienne pas un cauchemar. Il suffit de faire courir le délai de rétractation à la date de communication de l'ensemble des documents requis, et ceux-ci seront, en totalité, transmis avec la plus grande diligence !

Pour les copropriétés dont les difficultés sont les plus grandes, il faut renforcer l'action publique. Nous en distinguons trois catégories : les copropriétés fragiles, les copropriétés en difficulté mais qu'on peut redresser, et les copropriétés considérées en « coma dépassé », pour lesquelles le redressement n'est plus possible à structure constante, ce qui appelle des mesures extraordinaires. L'action publique doit être orientée vers la prévention. Il faut mettre en place un dispositif de veille et d'observation locale des copropriétés : l'Anah peut aider les collectivités à le faire, dans un premier temps à titre expérimental grâce au dispositif de soutien des collectivités, dans le cadre des politiques locales de l'habitat. Il convient également d'informer et de sensibiliser les copropriétaires de copropriétés fragiles.

Comment, s'agissant des copropriétés que l'on peut encore redresser, améliorer le traitement ? En intervenant simultanément sur tous les piliers qui sont fragilisés. Chaque copropriété doit faire l'objet d'un diagnostic précis. Il faut ensuite choisir soigneusement la stratégie à suivre. Un exemple impressionnant m'en a été donné récemment dans le Maine-et-Loire, où une action judicieuse et concertée a donné des résultats spectaculaires ; à l'inverse, comme dans telle grande ville du Poitou-Charentes, les résultats peuvent être très mauvais si l'on n'utilise pas les bons outils. L'ingénierie opérationnelle doit être bien pensée : une convention avec le procureur de la République peut être nécessaire. Le cadre contractuel est privilégié dans les partenariats. Les moyens doivent être mobilisés et un appui national est indispensable.

Pour les copropriétés les plus en difficulté, un traitement sur mesure est nécessaire. L'administration provisoire doit être améliorée : il faut parfois pouvoir se passer des assemblées générales, trop lourdes à convoquer. Je propose un traitement des dettes des charges qui puisse aller jusqu'à l'effacement, comme on fait pour une entreprise en faillite. La scission juridique de la copropriété doit être facilitée, notamment dans les très grands ensembles immobiliers. Des mécanismes doivent permettre d'effectuer des travaux, dont le financement doit être sécurisé. Un recours accru au portage fait l'objet de nombreuses réflexions. Ma première expérience à ce sujet à Mantes-la-Jolie n'a pas été un succès ! Nous avions entrepris un portage massif, coûteux, que nous avons heureusement pu dénouer parce que le quartier s'est transformé rapidement. Par la suite, nous avons modifié notre façon de faire, avec des opérations de portage plus ciblées...

Le régime de sortie de copropriété peut être simplifié : des expériences intéressantes ont vu le jour, avec des bailleurs sociaux qui rachètent l'ensemble et laissent pendant douze ans la possibilité aux copropriétaires devenus locataires de racheter leur lot.

M. Claude Dilain. - Je tiens à souligner la qualité exceptionnelle de votre rapport, qui fera date dans l'histoire de la politique du logement. Il était attendu ; et il a beaucoup influencé la partie portant sur la copropriété du projet de loi qui nous sera présenté. Les mesures qu'il préconise n'étaient pas dans la loi de 1965, dont le péché originel fut qu'elle émanait de la Chancellerie et qu'elle était le fruit d'un travail de juristes. Cette fois, c'est le ministère du logement qui sera aux manettes. Vous avez parlé d'une vingtaine de copropriétés en difficulté ; il n'y a pas longtemps, ce chiffre était quatre fois moindre. Je vois de plus en plus de maires me rapporter de graves problèmes. Il y a urgence à prendre les mesures préventives, fort judicieuses, que vous préconisez. La mission que je conduis porte sur cet état intermédiaire entre le moment où une copropriété a de graves difficultés et celui où l'on ne peut plus la redresser : c'est là que beaucoup se joue. Les articles 29-1 et suivants de la loi de 1965 témoignent de la confiance placée en l'administrateur provisoire. Mais celui-ci n'a souvent ni moyens ni compétence, d'autant que les administrateurs civils et commerciaux sont désormais confondus : j'ai accompagné la ministre dans une copropriété à Bondy qui est sous administration depuis douze ans, et où les trois chaudières sont tombées en panne l'une après l'autre sans que l'administrateur puisse rien y faire. Mieux vaudrait nommer un expert, susceptible de poser un vrai diagnostic.

Il est clair que la loi doit créer un établissement public foncier dédié aux copropriétés, sinon les expropriations pour non-paiement des charges aboutissent à des rachats par des marchands de sommeil, ce qui n'est pas mieux pour la copropriété !

M. Pierre Hérisson. - Quel est l'impact de la disparition du taux réduit de TVA sur les travaux de rénovation dans le parc privé ? Ce matin, notre ancien collègue Alain Lambert a déposé son rapport sur l'assouplissement des normes inefficaces mais coûteuses. Qu'en pensez-vous ? Ne faut-il pas en outre assouplir le principe de précaution, qui a lui aussi un coût élevé ? Le passage de 20 à 25 % de logements sociaux dans les programmes neufs a un effet mécanique injuste : les plafonds applicables renchérissent le coût pour les accédants des logements privés, surtout là où le foncier et les travaux sont onéreux.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Que faire lorsque, dans une petite copropriété, une famille en difficulté ne paye plus ses charges et que les dettes gonflent au point de mettre en toute la copropriété danger ?

M. Joël Labbé. - N'étant pas un élu urbain, j'ai apprécié la pédagogie dont vous avez fait preuve. Je note en outre que vous être en phase avec Claude Dilain qui, pour moi, fait référence sur les questions de logement. Quelles réponses apporter à la financiarisation qui se généralise, au détriment des valeurs et de l'humain, et qui touche le métier de syndic comme tous les autres?

Mme Valérie Létard. - Je salue l'importance de votre travail. Certains bailleurs vendent des parties de leur patrimoine pour alimenter leur trésorerie : cela ne risque-t-il pas d'aboutir à de nouvelles dégradations des copropriétés ? Comment prévenir ces risques ?

M. Dominique Braye. - Les administrateurs provisoires ne sont pas là pour être compétents mais pour s'entourer des compétences nécessaires. J'en ai connu de très volontaires mais lorsque la copropriété n'a pas un sou, ils ne peuvent rien faire.

Mme Isabelle Rougier, directrice générale de l'Anah. - Trois pistes sont envisagées par le groupe de travail interministériel. La première consisterait à préciser les compétences des administrateurs provisoires en y faisant figurer celles ayant trait au social. Cela permettrait notamment de choisir des syndics sociaux. La seconde porte sur la coordination entre l'administrateur responsable du rétablissement juridique et de la gestion, et l'opérateur en charge de l'opération programmée et du plan de sauvegarde. Enfin, nous réfléchissons au renforcement des pouvoirs de l'administrateur pour lui permettre de faciliter le redressement de la copropriété, en apurant ses dettes - si besoin jusqu'à la liquidation ou à l'abandon de créances -, en modifiant la structure juridique ou technique de la copropriété et en procédant à des cessions de lots ou de terrains.

M. Dominique Braye. - Claude Dilain le sait, l'Anah a déjà énormément travaillé sur les copropriétés en « coma dépassé ». Nos services sont bien sûr à votre disposition.

Il est vrai que l'on parle d'une augmentation de la TVA pour la rénovation, alors que dans la lutte contre l'habitat insalubre, dégradé ou très dégradé, contre la précarité énergétique ou l'adaptation au vieillissement, l'on s'adresse à des gens qui ont très peu de moyens et reculent devant un investissement qui leur coûterait 20 euros par mois. D'autres raisonnent en termes de retour sur investissement. Allez inciter une personne de 75 ans à faire des travaux d'économie d'énergie rentables au bout de 20 ans !

Nous nous plaignons de normes que nous avons-nous-mêmes adoptées, bien que je me sois toujours battu contre. Le pire pour moi a été la loi de 2005 sur le handicap. Nous sommes le seul pays d'Europe à avoir imposé une accessibilité de 100 % des logements, alors que les personnes handicapés représentent 6 % de la population. Les jeunes couples avec enfants n'ont que faire d'une grande salle de bain ou d'un grand couloir quand cela a pour conséquence une réduction de la surface du séjour ! La seule application de cette norme représente 3 à 5 mètres carrés de plus par logement !

M. Daniel Raoul, président. - Cela me gène toujours d'être en phase avec vous sur certains sujets.

M. Dominique Braye. - Lorsque j'étais sénateur, j'ai constaté que, dans ce domaine, nous agissions parfois dans un sens contraire à nos discours. C'est l'une des blessures les plus profondes que je garde de ces années.

Quant au financement du logement social par les accédants à la propriété, c'est illégal même si cela se fait partout. Que voulez-vous ? Il faut bien équilibrer les opérations et, malgré tous nos beaux discours, prendre en charge ce que les bailleurs sociaux refusent de payer. Je m'étais insurgé contre un projet à Marseille qui me semblait trop déséquilibré, mais cela n'a pas empêché l'opération de se monter.

Jean-Jacques Mirassou, pour éviter que les choses ne se dégradent, il faut disposer d'un compte séparé et revenir sur l'arrêté Novelli, afin que les syndics réagissent le plus vite possible, au lieu d'attendre, ce qui fait augmenter les frais.

En outre, lorsque des marchands de sommeil ne payent pas leurs charges à dessein, pour laisser la copropriété se détériorer et pouvoir acheter les lots mis en vente, on marche sur la tête ! Prenez au moins des dispositions pour les empêcher d'acheter là où ils ne payent pas leurs charges !

M. Claude Dilain. - Certains juristes nous disent que c'est inconstitutionnel.

M. Dominique Braye. - Combien de fois n'ai-je pas entendu l'argument ? Sur l'urbanisme commercial, tout le monde nous opposait ce genre de réponses, brandissait le respect du droit communautaire. Avec les administrateurs du Sénat, nous sommes allés à Bruxelles et le Commissaire nous a dit que, si tous les pays adoptaient le système que nous envisagions, ce serait merveilleux !

Beaucoup de choses peuvent être faites. Lorsque l'un des copropriétaires commence à ne pas payer et que cela incite les autres à faire de même, utilisez l'arme de l'expropriation et vous verrez ! Je l'ai fait à deux ou trois reprises à Mantes-la-Jolie : les problèmes ont disparu très vite.

La financiarisation est effectivement un problème. A Mantes-la-Jolie, j'avais aussi encouragé deux jeunes à se lancer dans le métier pour changer les pratiques. Il faut que la profession élabore une charte de déontologie et sanctionne ceux qui s'en écartent. Mais, c'est sûr, si les gouvernements, de droite comme de gauche, défendent les syndics pour toucher leurs taxes...

Valérie Létard, faire venir des bailleurs dans une copropriété stabilise cette dernière. La gestion en est améliorée, car le bailleur devient souvent syndic de cette copropriété. Mais ils ne sont hélas pas toujours preneurs.

Mme Valérie Létard. - J'évoquais la situation inverse, un HLM dans lequel, pour alimenter sa trésorerie, le bailleur vend une partie des lots aux ménages occupants, dont les ressources sont un peu justes pour assumer la charge. Il suffit alors d'un accident, comme une perte d'emploi, pour que les nouveaux propriétaires ne puissent plus payer et la situation se dégrade encore davantage. Comment remédier à ces situations ?

Mme Isabelle Rougier. - Cette question a été évoquée par le groupe de travail. L'Anah a mis en place une aide aux observatoires des copropriétés qui, par exemple à Nancy, suivent aussi la situation des logements dans le parc HLM vendus. En outre, le rapport propose des mesures générales pour l'ensemble des acquéreurs, dont ceux de logements sociaux. Enfin, si les logements vendus ne doivent en principe pas nécessiter de gros travaux, il est vrai que les situations sont très disparates.

M. Dominique Braye. - Précisons qu'à moins de vendre la totalité, les bailleurs HLM restent gestionnaires de l'immeuble.

M. Daniel Raoul, président. - Les mille ambassadeurs chargés de la rénovation énergétique seront-ils hébergés par l'Anah ?

Mme Isabelle Rougier. - Les ambassadeurs de la rénovation énergétique, recrutés par les collectivités territoriales, les opérateurs d'ingénierie ou les centres communaux d'action sociale (CCAS) vont procéder au repérage des ménages en situation de précarité énergétique. Pour ce faire, ils recevront une formation, financée par une subvention de 5 000 euros. Nous procédons actuellement au référencement de ces formations.

M. Dominique Braye. - Dans la mesure où ces personnes seront appelées à rencontrer des ménages en situation souvent fragile, veillez à recruter des gens solides.

M. Daniel Raoul, président. - Je ne suis pas sûr que ce soit exactement le profil des emplois d'avenir. En tout cas, je vous remercie pour la qualité de cette audition.

Audition de Mme Hélène Gassin et de M. Jean-Pierre Sotura, candidats désignés au collège de la Commission de régulation de l'énergie (CRE)

Puis la commission auditionne Mme Hélène Gassin et M. Jean-Pierre Sotura, candidats désignés au collège de la Commission de régulation de l'énergie, en application de l'article L. 132-2 du code de l'énergie.

M. Daniel Raoul, président. - Nous allons auditionner successivement Mme Hélène Gassin et M. Jean-Pierre Sotura, candidats au collège de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). La procédure prévue par l'article 13 de la Constitution s'applique pour le poste de président de cette autorité, mais ici, il s'agit d'un avis simple, prévu par l'article L. 132-2 du code de l'énergie. Lequel sera du reste supprimé si l'article 5 de la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre, qui modifie substantiellement la composition du collège de la CRE, est promulgué. En nouvelle lecture, le Sénat a en effet, sur notre proposition, supprimé cette disposition en s'appuyant sur une décision toute récente du Conseil constitutionnel du 13 décembre 2012 relative aux membres du Haut conseil des finances publiques. En application du principe de séparation des pouvoirs, le Conseil constitutionnel considère que le pouvoir de nomination d'une autorité administrative ne peut être subordonné à l'audition préalable des candidats par une commission parlementaire, sauf disposition constitutionnelle contraire telle que l'article 13 de la Constitution.

Pour ma part je suis depuis longtemps hostile à la création d'autorités administratives indépendantes, elles dessaisissent le gouvernement de son pouvoir de régulation. De même, j'estime que le fait pour des parlementaires de siéger dans de nombreux organismes extraparlementaires pose des problèmes de déontologie. On est juge et partie.

M. Joël Labbé. - Il me semble gênant d'auditionner un candidat en présence de l'autre.

M. Pierre Hérisson. - Le groupe UMP trouverait plus logique que les deux candidats soient auditionnés de façon indépendante.

M. Daniel Raoul, président. - L'audition est ouverte au public et à la presse. Les candidats ne sont pas en concurrence puisque deux postes sont à pourvoir.

M. Ladislas Poniatowski. - Sans qu'il soit possible de les contraindre, nous serions plus à l'aise si nous pouvions interroger un candidat hors la présence de l'autre. N'y voyez nulle hostilité à leur encontre, c'est une question de liberté d'expression. Nous réclamons cette correction à notre égard. Nous en tiendrons compte dans notre appréciation.

M. Jean-Pierre Sotura, candidat au collège de la CRE, quitte la salle de commission.

M. Claude Bérit-Débat. - Tout ceci est un peu ridicule. Vous avez contraint l'un des candidats à sortir, alors qu'ils ne sont pas en concurrence.

M. Daniel Raoul, président. - Écoutons Mme Hélène Gassin.

Mme Hélène Gassin, candidate désignée au collège de la CRE. - J'ai débuté ma carrière professionnelle comme chargée de mission dans une ONG internationale de protection de l'environnement ; chargée des dossiers énergie et climat, j'ai participé à des négociations internationales et suivi la préparation de plusieurs directives européennes ainsi que, au plan national, le vote de plusieurs lois. J'ai ensuite été consultante indépendante auprès de fondations internationales, ainsi que pour le Parlement européen et pour beaucoup d'autres clients. En 2008, après avoir passé une dizaine d'années à conseiller, à proposer ou à faire des plaidoyers pour autrui, je me suis engagée à mon tour en politique lors de la campagne des européennes. J'ai ensuite été en charge des concessions de distribution à la Ville de Paris, ce qui m'a donné l'occasion de participer à la négociation du contrat de concession électrique. Depuis les dernières élections régionales, je suis élue régionale, vice-présidente de la région Île-de-France en charge de l'environnement, de l'agriculture et de l'énergie et notamment chargée à ce titre du schéma régional climat air énergie. J'ai assuré la représentation de l'Association des régions de France (ARF) au conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), à la Conférence environnementale et dans le débat national sur la transition énergétique, fonctions que j'ai récemment abandonnées car elles sont incompatibles avec celles qui me sont proposées à la CRE.

L'énergie est donc le fil rouge de ma carrière. Aujourd'hui, les enjeux commerciaux sont cruciaux - ils ne relèvent pas directement du rôle de la CRE, mais ils sont indissociables des questions de régulation, de tarifs, de conditions d'accès au réseau, de financement des interconnexions européennes. C'est pour continuer de travailler sur ces questions, mais à une place différente, que je suis candidate aujourd'hui au collège de la CRE.

M. Jean-Claude Lenoir. - Vous avez travaillé pour une ONG ; peut-on savoir laquelle ? De quel parti avez-vous été l'élue ? A l'élaboration de quelles lois avez-vous participé et quelles positions avez-vous alors soutenues ? Pour quels types de clients interveniez-vous avant 2008 en tant que consultante ?

Que retenez-vous de la négociation de la concession de distribution d'électricité de la Ville de Paris ? Avez-vous un avis sur ce qu'il conviendrait de faire, plus généralement, en la matière ?

Avez-vous un point de vue sur l'avenir du prix de l'électricité, alors que la CRE a récemment indiqué dans un rapport qu'il devrait augmenter de façon importante ? Enfin, hier, lors d'une réunion d'un organisme présidé par notre collègue Roland Courteau, nous avons entendu les propositions du gouvernement sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE) qui laissent présager une augmentation du prix beaucoup plus forte que celle imaginée par la CRE. En avez-vous eu connaissance ?

M. Roland Courteau. - La CSPE est à la charge des seuls consommateurs d'électricité et pour cette raison elle est mal comprise alors qu'elle sert à préparer l'avenir. Certains proposent que la contribution repose sur l'ensemble de la consommation d'énergie et notamment sur celles qui produisent le plus de CO2 - c'est aujourd'hui le contraire. Ne pensez-vous pas qu'il serait temps de réfléchir à une refonte du financement des énergies renouvelables ?

M. Ladislas Poniatowski. - Pourquoi ne pas dire que vous avez travaillé pour Greenpeace ? Que le collège de la CRE comprenne demain une personne ayant ce profil ne me gêne pas ; c'est peut-être même une bonne chose.

Vous ne l'avez pas dit non plus, mais vous avez travaillé très étroitement avec Mme Eva Joly qui a pris des positions très précises sur le nucléaire et qui vient de confirmer son avis sur la centrale de Fessenheim. Un membre du collège de la CRE se doit d'avoir une certaine indépendance, aussi aimerais-je connaitre votre position sur ces sujets.

Le système de calcul du prix du gaz entraîne un insupportable yoyo des prix. Que pourriez-vous apporter à la réflexion sur le sujet ? Même chose pour la CSPE, ce baudet que l'on charge de tout - le consommateur, finalement, payant l'addition. Trouvez-vous cela normal ? N'y aurait-il pas une autre formule possible ?

M. Daniel Raoul, président. - Quelle valeur ajoutée pensez-vous apporter au collège actuel de la CRE ?

Mme Hélène Gassin. - Mon intention n'était certainement pas de gommer mon CV, qui du reste vous a sans doute été transmis ! L'ONG pour laquelle j'ai travaillé est bien Greenpeace et je me suis présentée aux élections régionales sur la liste d'Europe Écologie Les Verts. J'ai travaillé auprès de Mme Eva Joly pendant la campagne présidentielle ; et auprès d'elle et de Daniel Conh-Bendit pour les élections européennes. J'assume parfaitement mon parcours et mes opinions, sans toutefois les confondre avec mes fonctions. A l'ARF, je ne représentais pas Europe Ecologie-les Verts mais l'ensemble des régions françaises.

En tant que membre d'une ONG, j'ai notamment suivi la loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique de la France (Pope) puis la loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire (TSN) et plusieurs directives sur les énergies renouvelables négociées à la fin des années 1990 et au début des années 2000.

Lorsque j'étais consultante, mes clients étaient essentiellement des fondations philanthropiques comme la fondation Goldsmith et d'autres, qui s'adressaient à moi pour ma connaissance du monde associatif et non pour mon expérience du secteur de l'énergie. Mon seul client ayant un lien avec le marché de l'électricité français fut la Compagnie du Vent.

Je ne suis pas certaine d'avoir une opinion sur le système des concessions. Toutefois, pour répondre à votre question, j'ai noté une asymétrie de moyens, dans les négociations, entre les autorités concédantes et le concessionnaire en pratique obligatoire, Électricité Réseau Distribution France (ERDF).

Sur le prix de l'électricité, mon avis personnel importe peu. Le collège de la CRE délibérera ; je n'aurai pas à m'exprimer, comme membre, vis-à-vis de l'extérieur. Il me semble néanmoins qu'il faudra concilier des impératifs apparemment contradictoires : la lutte contre la précarité énergétique, la transition énergétique, le développement de nouveaux moyens de production et la maîtrise de la demande d'énergie. La facture est composée d'un tarif et d'une quantité. Maîtriser les factures des consommateurs français exige d'agir sur les deux éléments.

La CSPE a fait couler beaucoup d'encre, du fait notamment de l'accroissement de la part dévolue aux énergies renouvelables. Avant d'en débattre, il faut étudier l'ensemble de ses composantes, pour maîtriser son évolution. Que doit financer la CSPE ? C'est au gouvernement et au parlement d'en décider.

Je n'ai aucune information sur les intentions du gouvernement. Je ne siège même pas encore à la CRE. Il est clair que le prix croissant de l'énergie est un sujet d'inquiétude, d'autant que progresse le nombre de ménages en situation de précarité énergétique.

J'assume mes convictions et mes engagements passés. J'ai toujours fait le départ entre celles-ci et les fonctions que j'ai occupées. Mme Eva Joly et l'ensemble du mouvement écologiste ont fait des propositions pour une sortie du nucléaire. Mais la question ne se pose pas à la CRE... Elle se pose beaucoup plus au parlement ! Je me retire bien sûr de ce débat et je ne siège d'ailleurs plus au Conseil national de la transition énergétique. J'ajoute que c'est au président de la CRE qu'il revient de s'exprimer, non aux membres de son collège.

Le prix du gaz soulève la perplexité générale. Je ne dispose pas encore des éléments d'analyse nécessaires ; en outre, comme membre de la CRE, je ne m'exprimerai pas en mon nom. De toute évidence, la facture des usagers est un enjeu.

Quelle valeur ajoutée suis-je susceptible d'apporter ? J'ai occupé des fonctions variées. Cette diversité d'horizons me paraît utile. Ancienne élue régionale, je connais aussi les attentes de la société civile.

M. Daniel Raoul, président. - Nous vous remercions.

M. Jean-Pierre Sotura, candidat au collège de la CRE, prend la place de Mme Hélène Gassin.

M. Jean-Pierre Sotura, candidat désigné au collège de la commission de régulation de l'énergie. - Ma carrière s'est déroulée en trois étapes. J'ai commencé par travailler à la direction de l'équipement à EDF, en tant qu'ingénieur pour la construction des centrales nucléaires à eau pressurisée de 1 300 mégawatts en bord de mer, au sein d'un service d'études. J'y ai mesuré la complexité des systèmes de production d'électricité.

En 1993, mon engagement syndical m'a conduit à devenir secrétaire général de la CGT pour les personnels de la direction de l'équipement d'EDF. En 1996, j'ai intégré la direction de la fédération de l'énergie, par la suite fusionnée avec la fédération des mines de la CGT pour former la fédération mines-énergie. En 2001, j'ai été nommé secrétaire général de l'Union fédérale des ingénieurs cadres et techniciens. J'ai également été responsable des questions économiques et industrielles au sein de la fédération. A ce titre, j'ai suivi les évolutions législatives du secteur de l'énergie : changement de statut d'EDF, fusion de GDF avec Suez...

En 2007, je suis devenu responsable du collectif développement durable dans la confédération CGT. J'ai participé à ce titre au Grenelle de l'environnement, membre du groupe Energie-transport. J'ai participé à la Conférence environnementale. Je fais partie du Conseil national de la transition énergétique où j'ai pris part au groupe de travail sur la gouvernance. J'ai également participé aux travaux de la Confédération européenne des syndicats et de la Confédération syndicale internationale sur le développement durable. Enfin, de 2008 à 2013, j'ai été le directeur de cabinet du secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault. Cette expérience a élargi mon horizon, au-delà des questions énergétiques et de développement durable.

M. Daniel Raoul, président. - Quelle valeur ajoutée êtes-vous susceptible d'apporter à la CRE ?

M. Jean-Pierre Sotura. - J'estime que le principal défi de la CRE consiste à trouver un équilibre entre l'intérêt du consommateur final, le bon fonctionnement de la filière énergétique, le renouvellement des investissements et l'intégration des projets écologiques et organisationnels. La concurrence est un moyen, pas une fin en soi. La CRE a été chargée par la loi de 2006 de surveiller les marchés de gros de l'électricité et du gaz. Je partage totalement cette préoccupation de gestion dans les meilleures conditions de coût et d'efficacité, qui implique la modernisation et le développement du parc de production, y compris nucléaire. La loi NOME, qui a chargé la CRE de proposer un prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), est une initiative importante.

La formule d'indexation des tarifs réglementés du gaz doit refléter les coûts d'approvisionnement de GDF-Suez, en tenant compte des contrats de long terme mais également des conditions du marché. Le prix du gaz est une question sensible.

Un mot de mon état d'esprit concernant la CRE. Nos positions doivent être guidées par plusieurs objectifs : contribuer à la sûreté et la sécurité des systèmes d'approvisionnement, car l'énergie est un bien stratégique ; améliorer la qualité et l'efficacité des réseaux et des équipements pour garantir un service public de qualité pour tous et contribuer à la transition énergétique ; enfin, fournir un gaz et une électricité au meilleur prix.

M. Ladislas Poniatowski. - Même s'il est syndicalement orienté, votre parcours me semble très intéressant et vous qualifie pour siéger à la CRE. J'y suis favorable. Mais vous nous décrivez cette instance : nous la connaissons ! Je souhaiterais plutôt connaître votre opinion personnelle sur un certain nombre de sujets, par exemple sur la centrale de Fessenheim. Et je serais ravi d'entendre des propos moins évasifs que ceux que vous avez tenus à l'Assemblée nationale ! Peut-on partager les coûts du gaz avec d'autres énergies que l'électricité ? Je partage votre analyse sur les réseaux. Enfin, considérez-vous normal de surcharger la CSPE ? Le poids des énergies renouvelables s'établit à 60 % aujourd'hui, il sera sans doute de 90 % demain. Peut-on continuer à faire financer ces charges par le seul consommateur d'électricité ?

M. Roland Courteau. - La CRE a accompagné la libéralisation de l'énergie, c'était sa mission. Le marché de l'électricité demeure cependant très peu ouvert. La concurrence constitue-t-elle une fin en soi, dans un contexte de transition énergétique et de précarité énergétique croissante ? La loi préparant la transition vers un système énergétique sobre met l'accent sur ces questions, et elle modifie sensiblement la composition du collège de la CRE. Comment cette dernière doit-elle prendre en compte ces questions ?

En 2012, la CSPE se répartissait comme suit : 55 % pour les énergies renouvelables, 27 % pour la péréquation dans les zones non interconnectées, 15,5 % pour la cogénération gaz, et 2,1 % seulement pour les tarifs sociaux. Or aujourd'hui, les charges liées aux énergies renouvelables seraient de l'ordre de 59 %, montant appelé à croître. N'est-il pas temps de réfléchir à une refonte du système ? Certains proposent d'asseoir la CSPE sur l'ensemble de la consommation d'énergie et notamment sur celles qui produisent le plus de CO2 : carburants, gaz...

M. Jean-Claude Lenoir. - La CRE a récemment prédit une augmentation de 30 % du tarif de l'électricité. Quelles sont vos convictions sur le montant de l'ARENH et sur l'évolution du prix de l'électricité vendue aux consommateurs, particuliers comme industriels ? Il se trouve que j'assistais hier à une réunion du Conseil supérieur de l'énergie sur la CSPE, présidée par Roland Courteau. L'administration nous a présenté des propositions gouvernementales. D'ici à 2020, le coût augmenterait de 60 % à 80 %. Vous êtes un spécialiste incontesté, un homme d'entreprise, et vous avez occupé des fonctions syndicales. Quelle est votre opinion ?

M. Jean-Pierre Sotura. - Les facteurs poussant à la hausse les prix de l'énergie sont manifestes. De gros investissements sont à réaliser notamment en matière d'énergies renouvelables. Nous devons résoudre l'équation ! Il y a les besoins d'investissement, il y a aussi le prix acceptable pour le consommateur. C'est une décision politique, qui doit traduire les engagements pris par la France en matière d'énergies renouvelables.

Concernant le nucléaire, je ne crois pas nécessaire d'exposer mon point de vue. Nous sommes tenus par les choix et les engagements du président de la République. Quant à la polémique de Fessenheim, je ne crois pas utile d'y participer.

J'ai déjà évoqué la CSPE. Les investissements en matière d'énergies renouvelables sont lourds. Peut-être existe-t-il d'autres pistes que la CSPE... C'est un débat qui n'est pas de la compétence de la CRE. Je suis convaincu pour ma part que ce coût pourrait être mieux maîtrisé si l'on mettait l'accent très nettement sur la recherche-développement.

M. Daniel Raoul, président. - Je vous remercie.

Puis la commission des affaires économiques procède au vote à bulletin secret sur les candidatures de Mme Hélène Gassin et M. Jean-Pierre Sotura pour siéger au collège de la Commission de régulation de l'énergie.

Le dépouillement donne le résultat suivant :

- la commission des Affaires économiques émet un avis défavorable à la candidature de Mme Hélène Gassin (10 voix contre, 8 voix pour et un bulletin blanc) ;

- elle émet un avis favorable à la candidature de M. Jean-Pierre Sotura (17 voix pour, 1 voix contre).

Avis sur une candidature aux fonctions de président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (CNES) - Résultats du scrutin

Puis la commission procède au dépouillement du vote sur la candidature de M. Jean-Yves Le Gall, candidat à la présidence du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales (CNES), qui recueille un avis favorable (16 voix pour, aucune voix contre ni bulletin blanc).

Dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable - Demande de saisine pour avis et nomination d'un rapporteur pour avis

Enfin, la commission demande à se saisir pour avis sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission) et désigne M. Roland Courteau comme rapporteur.