Mercredi 15 mai 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire, et de M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances -

Doctrine d'intervention de la Banque publique d'investissement (BPI) - Audition de M. Nicolas Dufourcq, directeur général de la BPI

La commission procède tout d'abord à l'audition, en commun avec la commission des affaires économiques et la commission du développement durable, de M. Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d'investissement (BPI), sur le projet de doctrine d'intervention de la société anonyme BPI-Groupe.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Mes chers collègues, je vous rappelle qu'aux termes du II de l'article 12 de la loi du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d'investissement (BPI), « un mois avant sa présentation au conseil d'administration, le directeur général présente aux commissions permanentes compétentes du Parlement le projet de doctrine d'intervention de la société anonyme BPI-Groupe ». C'est en vertu de ces dispositions que nos trois commissions entendent aujourd'hui conjointement M. Nicolas Dufourcq.

Monsieur le directeur général, vous avez été nommé par un décret du Président de la République en date du 7 février 2013, mais vous exerciez déjà la mission de préfigurateur de la BPI depuis l'automne 2012.

Dès le premier conseil d'administration de la nouvelle banque, qui s'est tenu le 21 février à Dijon, vous avez présenté la feuille de route que vous entendez suivre afin de structurer la BPI dans les meilleurs délais. A cet égard, vous pourrez nous rappeler les principales étapes déjà franchies et préciser le calendrier des rendez-vous à venir. En effet, si les « éléments de base » de la BPI existaient déjà - je pense à OSEO, au Fonds stratégique d'investissement (FSI) ainsi qu'à CDC Entreprises - le chantier reste malgré tout complexe. Il s'agit, en particulier, de créer les deux filiales d'investissement et de financement de la BPI, et donc de se mettre d'accord sur la valeur des actifs apportés par les deux actionnaires que sont l'État et le Caisse des dépôts et consignations ; il faudra également obtenir le feu vert des autorités de régulation concernées, à savoir l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), l'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'Autorité de la concurrence mais aussi procéder à une notification à la Commission européenne. Vous devrez mettre en place les instances de gouvernance de la BPI, au niveau national comme au niveau régional.

Enfin, il s'agit de définir la doctrine d'intervention de la BPI, à propos de laquelle le conseil d'administration du 22 avril a commencé à débattre - et tel est l'objet de l'audition de ce jour, à savoir nous présenter les grandes lignes du projet de doctrine.

Avant cela, je tiens à souligner que, durant la période de transition en cours, la BPI travaille, tant dans les missions « traditionnelles » qui revenaient à OSEO, au FSI ou à CDC Entreprises que dans de nouvelles actions comme le préfinancement du crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) ou du crédit d'impôt recherche (CIR), à la garantie renforcement de la trésorerie, ou encore au prêt pour l'innovation.

M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances. - Avec Michèle André, il m'a été donné de participer à certaines opérations de lancement de la BPI puisque nous avons été nommés membres du comité national d'orientation du groupe par le Président du Sénat.

S'agissant de l'audition du jour, qui s'annonce très intéressante car elle devrait permettre d'éclairer l'action au quotidien de la banque, je souhaiterais simplement qu'elle nous permette d'entrer dans le vif du sujet, de manière très pratique.

A cet égard, je me limiterai à une question relative à l'avenir d'Euronext, la Bourse de Paris, qui devrait bientôt être cédée à la suite de la fusion entre NYSE et l'entreprise américaine ICE. La doctrine d'intervention de la BPI lui permettrait-elle de devenir actionnaire d'Euronext, au côté, par exemple, des principales banques françaises ? Auquel cas, Monsieur Dufourcq, envisagez-vous une telle prise de participation ?

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. - La commission que je préside aborde le sujet principalement sous deux angles : nous assurer que la BPI sera un instrument majeur du financement de la transition énergétique en France et, au titre de l'aménagement du territoire, faire en sorte que cet établissement soit réellement un acteur de proximité, présent sur le terrain. Par ailleurs, notre collègue Alain Le Vern, président du conseil régional de Haute-Normandie, m'a chargé de vous indiquer qu'il est impatient de voir les conseils régionaux d'orientation (CRO) de la banque être créés.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Monsieur le rapporteur général, vous qui avez été rapporteur au fond du projet de loi, et messieurs les rapporteurs pour avis, souhaitez-vous poser vos questions dès à présent ?

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - Pour ma part, je préfèrerais interroger le directeur général après son exposé liminaire, sur la base de ce qu'il aura dit.

M. Martial Bourquin. - Juste quelques questions rapides. Quel sera précisément le rôle de la BPI, aux côtés d'Ubifrance, de la Coface ou encore des régions, pour accompagner les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) françaises à l'exportation ? C'est là un enjeu essentiel.

Par ailleurs, s'agissant du financement des entreprises, il est important que la BPI puisse être présente dès la création des entreprises mais aussi qu'elle accompagne les entreprises dans la durée, de manière personnalisée. Sur quels outils la banque publique s'appuiera-t-elle afin de relever ce défi d'une importance cruciale ?

M. Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d'investissement. - Je suis très content de vous présenter les principaux éléments de la doctrine d'investissement de BPIfrance. En introduction, je vous donne les chiffres de ce que nous allons pouvoir investir entre 2013 et 2017, à savoir 9,2 milliards d'euros en direct, au capital d'entreprises françaises, soit :

- 1,7 milliard d'euros dans les PME françaises, en direct, hors capital-risque ;

- 500 millions d'euros dans le capital-risque ;

- 7 milliards d'euros dans les ETI, les très grosses PME, et les grandes entreprises françaises - étant entendu que la doctrine nous autorise, si nécessaire, de temps en temps, c'est-à-dire une fois par an ou une fois tous les dix-huit mois, à investir de très gros tickets comme nous l'avons fait par exemple lorsque le FSI a repris Eramet à Areva, ou quand il s'est agi de défendre Valeo contre le fonds d'investissement Pardus.

En ce qui concerne les investissements indirects, en fonds de fonds, ils s'élèvent à 2,7 milliards d'euros sur les quatre prochaines années, au travers de 280 fonds privés, alimentés et cofinancés par nos équipes.

La doctrine d'intervention de bpifrance dont je vous présente le projet aujourd'hui s'appliquera à la fois aux investissements directs et indirects.

S'agissant de la doctrine d'investissement en fonds propres, nous sommes des investisseurs minoritaires, nous investissons dans tous les secteurs sauf l'immobilier, les infrastructures, la banque, la presse, les instituts de sondage et les entreprises qui seraient directement contraires à nos normes de responsabilité sociale et environnementale. Ainsi, nous pourrions être amenés à investir dans une société d'armement, mais seraient alors immédiatement exclues les entreprises qui ne respectent pas nos critères de responsabilité environnementale, sociale et de gouvernance (ESG).

Les cibles vont des très petites jusqu'aux très grandes entreprises. Nous pouvons investir 250 000 euros dans une toute petite entreprise en création, 100 000 euros dans un secteur innovant (Internet, transition écologique, biotechnologies), ou encore un milliard d'euros dans une plus grande structure.

Nous intervenons en direct sur le capital-risque et le capital-développement, et seulement en indirect sur le capital-amorçage. Nous avons ainsi décidé que les 600 millions d'euros du Fonds national d'amorçage du programme d'investissements d'avenir, dont nous sommes les gestionnaires, doivent être gérés au travers de fonds d'investissement privés, de manière à obtenir un effet multiplicateur important. Sur ces 600 millions d'euros, nous avons déjà investi 313 millions dans des fonds qui ont eux-mêmes collecté de l'argent à l'extérieur, de sorte que nous arrivons au total à 550 millions d'euros disponibles pour les entreprises françaises.

Nous intervenons dans le segment du retournement, bien entendu. Nous sommes là pour accompagner les repreneurs : nous ne sommes pas et ne serons pas des repreneurs. Nous pouvons simplement envisager d'intervenir pour accompagner les repreneurs, dont c'est le métier, très spécifique et très risqué. A cet égard, le FCDE (Fonds de consolidation et de développement des entreprises), créé par la médiation du crédit, est le fonds de retournement le plus important que nous finançons.

En matière sectorielle, nous portons une attention particulière à certains secteurs, comme les biotechnologies, Internet ou la transition écologique. Ensuite, nous avons des fonds en direct pour des filières particulières : équipementiers automobiles, nucléaire, ferroviaire, bois, mode, patrimoine, etc. En indirect, nous finançons des fonds eux-mêmes spécialisés dans ces mêmes filières, comme par exemple l'agroalimentaire. Nous avons par conséquent une politique de filière assez soutenue, et qui continuera de l'être.

Nos objectifs de rendement sont pour l'instant, avant un débat plus poussé avec nos actionnaires, ceux qui ont été accomplis par les entreprises dont j'ai la charge, à savoir le FSI et CDC Entreprises. Entre 1995 et 2001, les équipes de CDC Entreprises ont engendré un rendement moyen de 2 %, parce qu'elles ont fait beaucoup de capital-risque et de capital-amorçage, les segments les plus risqués du marché. Le FSI, lui, a un rendement de 6 % en moyenne. Pour cela, il faut viser 15 % sur certains dossiers, afin de financer ceux qui ont pris des risques et font - 10 %. Les rendements cibles par entreprise sont donc et doivent donc être supérieurs, pour financer la sinistralité.

Au total, le retour sur capitaux investis de bpifrance est de 4 % en 2012, soit moins que les grands réseaux bancaires. Ces 4 % donnent accès à une liquidité de l'ordre de 2 % : s'ajoutent en effet le coût de la sinistralité - plus important car nos risques sont significatifs - et les frais de gestion, ainsi qu'une petite marge, qui est honnêtement relativement faible aujourd'hui. Par comparaison, pour un bilan de 30 milliards d'euros, le résultat net d'OSEO est de 80 millions d'euros chaque année, qui remonte d'ailleurs en dividendes vers nos actionnaires. Nous sommes donc, déjà, une banque d'intérêt général. Les principaux indicateurs de profitabilité ne vont pas changer, et ne seront en tout cas pas dégradés par rapport à aujourd'hui : la discipline du résultat reste absolument inaltérable.

Dans la doctrine de nos investissements, en matière de gouvernance, nous avons vocation à être minoritaires, sans pour autant être passifs ou dormants. Nous sommes également patients, pour identifier les chefs d'entreprise qui seront l'élite de l'entreprenariat français de 2020-2030 et les accompagner dans la durée. S'il faut dix ans, nous prendrons dix ans ; s'il faut vingt ans, nous prendrons vingt ans, mais nous les aiderons à engendrer « France 2030 ». Même si nous ne détenons que 20 % de leur capital, nous serons constamment à leurs côtés. Il nous appartient de créer avec eux une relation de proximité, qui est plutôt une relation de type majoritaire. L'accompagnement, fondamental, se traduit par un extrême souci de la gouvernance des entreprises : les administrateurs de bpifrance nommés dans les entreprises ne doivent pas être des policiers, mais ils doivent être influents.

La responsabilité sociale va de soi, l'environnement également. Nous publions déjà chaque année les créations d'emplois engendrées par les entreprises dans lesquelles nous avons une participation, et nous allons continuer à le faire.

En priorité, nous investissons dans les entreprises de l'argent dit « frais », c'est-à-dire de l'argent nouveau sous forme d'augmentation de capital. Cela dit, nous nous autorisons à racheter à des fonds d'investissement leur participation au capital des entreprises dans lesquelles nous sommes, ce qui est une nouveauté. En effet, il est souvent arrivé que de très belles entreprises passent sous contrôle étranger de ce fait parce que le FSI ne pouvait intervenir lors de la sortie d'un fonds. Nous voulons garder ces entreprises en France : il doit donc désormais être possible, dans des cas particuliers, de le faire.

Par ailleurs, il peut y avoir des exceptions à la doctrine d'investissement minoritaire. Ces exceptions seront traitées en conseil d'administration de bpifrance et devront faire l'objet d'une décision à l'unanimité des administrateurs.

Nos décisions d'investissement seront prises à 90 % en région, pour tous les tickets inférieurs à 4 millions d'euros, c'est-à-dire la quasi-totalité des investissements dans les PME françaises.

J'insiste encore sur le point fondamental de l'accompagnement, notamment à l'international. Notre philosophie est d'être une banque de démarchage : nous allons vers les entrepreneurs, et c'est chez eux, en tête à tête, que les décisions se prennent - et non pas dans les bureaux d'OSEO ou à un guichet. Chaque chargé d'affaires d'OSEO aujourd'hui et de bpifrance demain va voir 150 entrepreneurs par an. Désormais, il sera accompagné des chargés d'affaires internationaux que nous avons recrutés chez Ubifrance, et qui sont maintenant implantés dans nos directions régionales. Il sera également accompagné des vingt salariés de la Coface, logés chez nous, pour placer l'assurance-prospection. Nous irons plus loin encore : je considère que l'accompagnement d'un entrepreneur ne peut bien se faire que par un entrepreneur lui-même. Nous créerons à l'intérieur de « bpifrance excellence » un pôle « bpifrance excellence export », réunissant 200 entrepreneurs qui accepteront de donner gratuitement de leur temps pour aller parrainer leurs pairs.

M. François Marc, rapporteur général. - Nous avons été nombreux au moment du débat sur le projet de loi portant création de la BPI à nous intéresser à ce dossier. Nous avions alors demandé que les choses aillent vite. De ce point de vue, je crois qu'on peut se réjouir que vous ayez pris ce dossier à bras le corps et veillé à ce que, très vite, la BPI soit mise en mouvement. Je pense, par exemple, au crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE), pour lequel la BPI a été sollicitée dans le cadre de son pré-financement. A ce titre, je crois que 600 millions d'euros ont déjà été avancés et ce, dans des délais très rapides.

Vous avez également su engager la mise en synergie entre les différentes entités appelées à travailler ensemble. Nous savons que, comme dans toute organisation, ce n'est pas forcément aisé de créer ces synergies. De même, sur le plan territorial, le dispositif que vous avez mis en place est capable de répondre aux attentes dans nos différentes régions. Nous devons vous féliciter de l'engagement qui est le vôtre et de l'efficacité de la gouvernance de la BPI.

S'agissant de la doctrine d'intervention, vous avez exprimé un certain nombre de principes qui figurent dans le document que vous nous avez remis.

Mes premières questions portent sur le statut de cette doctrine. Aura-t-elle un caractère véritablement contraignant pour l'ensemble des décisions d'interventions des différentes entités du groupe ? Cette doctrine aura-t-elle un lien avec celle de l'Agence des participations de l'État (APE) ? Existera-t-il des actions de concert, des liens avérés ou formalisés ? Quels seront les modes de consultation réciproques ? Le projet a-t-il été transmis à la Commission européenne ou bien la doctrine elle-même, une fois adoptée par le conseil d'administration, le sera-t-elle ?

Je voudrais également revenir sur les rendements que vous avez évoqués. La banque aura-t-elle des objectifs chiffrés en termes de rendement pour chacune de ses branches d'activité ? En particulier, le groupe aura-t-il une « norme » en matière de niveau de dividendes versés par les entreprises au capital desquelles bpifrance investissement aura souscrit ?

En ce qui concerne la sortie des investissements, y aura-t-il des objectifs en termes de durée minimale, moyenne et maximale d'investissement au capital des entreprises cibles ? Quels critères guideront sa décision de vendre ses parts ? Le groupe s'autorisera-t-il tout type de cession ?

Enfin, comment le groupe s'organisera-t-il pour participer aux conseils d'administration d'assez nombreuses entreprises de la manière la plus efficace possible ?

M. Nicolas Dufourcq. - Toutes ces questions sont fondamentales. La doctrine, c'est la loi de l'entreprise : elle n'est pas indicative, elle est contraignante. Elle est validée par le Parlement et actée définitivement par un prochain conseil d'administration, ce sera la « loi » de la branche fonds propres de bpifrance. Il est prévu que, pour des cas très exceptionnels, un débat puisse avoir lieu en conseil d'administration qui devrait alors se prononcer à l'unanimité.

Elle est, de plus, très importante dans le dialogue que nous avons engagé avec la Commission européenne. Ce dialogue n'est pas terminé. Je retourne à Bruxelles à la fin du mois de mai afin de présenter la doctrine. Je précise qu'il ne s'agit pas d'une notification, au sens formel mais d'un échange de questions/réponses qui pourra d'ailleurs se poursuivre dans les semaines qui viennent.

Par conséquent, je m'autorise à lancer bpifrance en juin, partout en France, sans trop attendre. A partir du 3 juin, nous commencerons un déplacement dans les vingt-deux régions françaises. Nous n'allons pas seulement inaugurer des locaux, nous allons lancer officiellement l'incarnation de bpifrance en régions.

S'agissant du lien avec la doctrine de l'APE, qui est notre actionnaire, je crois savoir que David Azéma, commissaire aux participations de l'État, présentera bientôt un projet de doctrine. Sans dévoiler les travaux de l'Agence, vous pourrez constater qu'il y a un emboîtement très propre entre les activités de nos institutions.

En l'occurrence, nous sommes là pour nous occuper des PME et des ETI. C'est notre rôle fondamental. Actuellement, à l'intérieur du FSI - dont la marque disparaît dans quinze jours pour devenir France investissement - vous avez des investissements dans des petites entreprises (Viadeo, Dailymotion, etc.) jusqu'à Eramet. Et vous avez beau publier doctrine sur doctrine, on peut facilement penser que le FSI n'en a pas puisqu'il investit dans tout type d'entreprise.

Par conséquent, à l'intérieur de ce qui s'appelait le FSI, nous allons créer un fonds commun de placement à risques (FCPR), sur 99 ans, 100 % fonds propres BPI, consacré exclusivement aux ETI françaises et qui sera doté de 3 à 4 milliards d'euros. Non seulement nous avons une doctrine, mais nous l'incarnons en sanctuarisant le fléchage des fonds vers les différentes lignes de la doctrine. Le fonds « ETI 2030 » aura sa propre équipe de gestion.

De même, à l'intérieur de l'actuel FSI, il y a une petite équipe qui fait du capital-risque très risqué. Ce sont des tickets de 10 à 30 millions d'euros dans des toutes petites sociétés. Nous allons également l'isoler dans un FCPR de 500 millions d'euros, avec une équipe exclusivement consacrée à sa gestion. Ce fonds s'appellera « large venture » - capital-risque profond. Là encore, ce n'est pas le domaine d'intervention de l'APE, avec laquelle nous travaillons sur une base quotidienne.

Sur la question des rendements, la politique de dividende de BPI sera décidée en septembre 2014. J'ai convaincu nos deux actionnaires qu'il fallait attendre d'avoir terminé un exercice entier de bpifrance avant d'arrêter une politique de dividende. D'ailleurs, ce sujet dépend pour partie des assurances que nous obtenons de notre actionnaire État sur les dotations budgétaires dans les années qui viennent pour financer l'innovation et la garantie. Nous avons reçu, à ce titre, pour 2013 environ 350 millions d'euros de dotations budgétaires. S'agissant de la garantie, il n'y avait rien dans le budget, il a fallu que j'aille convaincre le Président de la République de nous octroyer, sur fonds du Programme d'investissement d'avenir (PIA), 150 millions d'euros pour alimenter le fonds de garantie. Si nous avons la certitude, à moyen terme, d'obtenir ces dotations, nous pourrons alors remonter d'importants dividendes. Dans le cas contraire, nous devrons conserver une partie de nos bénéfices pour financer notre mission d'intérêt général.

En ce qui concerne les ambitions affichées sur les rendements et le retour sur capitaux propres, aujourd'hui, nous atteignons 4 %, avant dépréciation de notre participation dans France Telecom, soit 2,8 milliards d'euros, ce qui détruit bien évidemment le ROE de l'année 2012, qui sera négatif.

Est-ce que 4 % est le bon chiffre ou non ? Nos actionnaires, État et Caisse des dépôts, sont en train d'en discuter. Nous aurons probablement des objectifs spécifiques par métier. Pour la garantie et l'innovation, cette question n'a pas de sens puisqu'il s'agit d'activités subventionnées. Pour le crédit, en revanche, on peut se poser la question de savoir s'il faut s'aligner sur les niveaux proches de ceux de BPCE (5,5 %). Dans le domaine de l'investissement, j'ai donné les chiffres et, pour l'instant, on en reste là. Mais il est possible que nos actionnaires nous demandent de faire plus.

Pour ce qui concerne la durée de nos investissements, nous ne nous fixons pas de minimum ; dans certains cas précis, il pourrait être opportun d'aller vite. En tout cas, ce n'est pas uniquement le critère financier qui guidera notre décision de sortir. Pour prendre l'exemple récent de la cotation en bourse de la société Constellium, nous aurions pu réaliser une plus-value très substantielle. Mais nous avons préféré rester au capital de cette entreprise prometteuse, et même accroître notre part, afin de protéger les sites français et le centre de recherche et développement, qu'une prise de contrôle par un groupe étranger aurait pu menacer. Pour autant, nous sortirons un jour car notre portefeuille, qui n'est pas indéfiniment extensible, doit « tourner » sur une base de temporalité moyenne de sept ans.

M. François Marc, rapporteur général. - Je déduis de vos propos que c'est la logique industrielle qui primera dans vos décisions de sortir du capital d'une entreprise.

M. Nicolas Dufourcq. - Absolument, il n'y a pas d'ambiguïté.

Je conclurai sur la question importante de nos administrateurs au sein des sociétés que nous détenons. Nous avons une communauté vivante d'une centaine d'administrateurs indépendants, qui constituent une richesse. Nous les sélectionnons, avec l'aide de « chasseurs de têtes », nous les formons, nous les réunissons... Cette communauté doit incarner l'attitude et le comportement de notre établissement. J'ai ainsi souligné devant eux la nécessité qu'ils soient au côté des chefs d'entreprises, leur « devoir de proximité » dans chacun des conseils d'administration où nous sommes représentés, c'est-à-dire les 77 participations du FSI ainsi que dans les PME dans lesquelles notre « ticket » est très significatif, au-delà de 4 millions d'euros.

M. Hervé Maurey. - Je vous remercie pour les précisions apportées concernant la doctrine de la BPI. Après les déclarations parfois divergentes de ses principaux responsables, au cours des derniers jours, vos propos sont de nature à rassurer. Néanmoins, je tiens à dire que la réalité que j'observe sur le terrain n'est pas tout à fait en phase avec vos déclarations. Les interlocuteurs au sein de la BPI font preuve de frilosité. Les procédures d'instruction des dossiers sont très lentes. Je prendrai l'exemple d'une société de mon département. Elle a besoin de reprendre un site nécessaire pour son développement. Pour le territoire également, cette reprise constitue un enjeu important car ce site est inoccupé depuis dix-huit mois. Or, les choses n'avancent pas. Les chefs d'entreprises ont le sentiment que les conseillers de la BPI sont moins impliqués et moins réactifs que ceux d'une banque commerciale. Quelle est la valeur ajoutée réelle de la BPI sur le terrain pour les entreprises et les territoires ?

Je voudrais savoir aussi ce qui garantit que l'intérêt général sera effectivement pris en compte, sachant que les actionnaires de la BPI attendent sans doute un retour sur investissement.

M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances. - Je voudrais savoir si la doctrine de la BPI permet d'intervenir dans Euronext.

M. Marc Daunis. - Jusqu'à présent, les outils d'appui au financement de l'innovation n'ont pas été capables de prendre en compte l'innovation sociale, qui c'est vrai est une notion encore floue. Le futur projet de loi sur l'économie sociale et solidaire prévoit cependant de donner un contour précis à ce concept. La BPI interviendra-t-elle pour soutenir ce type d'innovation ? Comment ? Avec quels outils ? Quels moyens ?

Plus généralement, les structures de l'économie sociale et solidaire, en raison de leurs principes fondateurs, notamment en ce qui concerne la gouvernance démocratique et la non-lucrativité, ont beaucoup de mal à trouver des financements, même lorsqu'elles interviennent dans le champ concurrentiel et sont capables de créer des richesses marchandes. La BPI pourra-t-elle intervenir pour soutenir la création et le développement de ces entreprises, notamment celles qui ont un statut associatif ?

M. Michel Teston. - La doctrine d'intervention de la BPI prévoit des interventions exceptionnelles dans des entreprises en difficulté. Permet-elle aussi des investissements à caractère défensif en cas d'OPA hostile sur des entreprises françaises, notamment pour éviter que des concurrents étrangers prennent possession de savoir-faire stratégiques ?

M. Edmond Hervé. - Je voudrais revenir sur deux principes que vous avez cités.

D'abord la proximité. Le pays souffre d'un double décalage. Celui entre le pessimisme excessif de certains acteurs et la réalité économique, qui est difficile mais comporte aussi des motifs d'espoir et des points positifs. Il existe en France une culture de la négativité qu'on rencontre parfois même au sommet des entreprises du CAC 40. Vous devez donc prendre le temps, lors de vos déplacements, d'expliquer, d'impulser, de recréer de la confiance. Le décalage existe aussi entre les élites économiques et politiques et le reste de la société française. La BPI peut contribuer à le combler en s'appuyant sur les collectivités. Vous avez évoqué le rôle des régions, mais vous ne devez pas oublier non plus le rôle des métropoles, qui disposent d'une grande capacité d'impulsion en matière universitaire, économique, technologique. L'avenir de la France dépendra de la capacité de ses collectivités à coopérer et la BPI doit être capable d'avoir un dialogue et une coopération avec l'ensemble d'entre elles.

Le second principe que vous avez évoqué est la transparence. La mission de la BPI au service du financement des entreprises fait d'elle un observateur remarquable des comportements bancaires et financiers. Il ne faut pas que, d'un côté, la BPI ait un comportement exemplaire et que, de l'autre, les institutions financières s'exonèrent de tout effort.

M. Vincent Delahaye. - Quel est le montant du capital de la BPI ? Comment est-il composé ? Quel est le montant des fonds propres ? Quelle est la politique d'endettement ?

Je relaie aussi une question de Valérie Létard. Les conditions pour réaliser un travail effectif en région sont-elles déjà réunies ?

Enfin, où en est la mise en place du Fonds de modernisation des équipements ferroviaires ? Quels seront ses moyens ?

M. Éric Doligé. - Vous indiquez, parmi les éléments de la doctrine d'intervention, la volonté de déconcentrer au niveau des régions toutes les décisions d'intervention d'un montant inférieur à 4 millions d'euros, de façon à ce que 90 % des décisions soient prises au plus près du terrain. Cependant, outre-mer, les entreprises s'inquiètent de l'absence totale de la BPI, alors même que les difficultés économiques de ces territoires sont considérables. Quand la BPI y sera-t-elle effectivement présente ?

Par ailleurs, je tiens à souligner que les régions, au sens des collectivités territoriales régionales, ne sont pas la seule réalité institutionnelle sur nos territoires. Il y a des départements, des métropoles, etc. La BPI doit dialoguer avec tous les échelons.

M. Georges Patient. - Vous avez mentionné les vingt-deux régions hexagonales mais pas les régions d'outre-mer. Or, la loi donne à la BPI la mission d'intervenir également dans les outre-mer. Il semblerait qu'on s'oriente en réalité vers la simple reconduction de la convention qui existait entre l'AFD et OSEO, convention qui était mal appliquée puisque de nombreux produits financiers d'OSEO n'étaient pas distribués outre-mer.

M. Francis Delattre. - Assiste-t-on à la naissance d'un fonds souverain à la française ? Pourquoi pas si la doctrine que vous avez exposée est bien appliquée. Cependant il faut relativiser : la BPI n'apporte qu'une toute petite partie des financements nécessaires à notre économie, l'essentiel provenant du système bancaire privé.

Ma première question porte sur le CICE. La BPI a préfinancé le CICE à hauteur de 600 millions d'euros depuis le début de l'année. Or, le montant total annuel du CICE est censé être de 20 milliards d'euros. Le préfinancement est donc bien modeste ! A quoi tient cet écart ? Comment la BPI finance ce préfinancement ? Avec quelles ressources ?

Ma deuxième question concerne la non déductibilité fiscale des emprunts réalisés par les entreprises pour financer leurs investissements. Ne faudrait-il pas revenir sur cette mesure ?

M. Yannick Vaugrenard. - L'intérêt économique général est bien au coeur de la doctrine de la BPI et je m'en félicite.

Vous avez pour mission de préparer l'avenir en soutenant l'innovation, l'export, la croissance des PME et des ETI. N'est-il pas aussi nécessaire cependant, dans la conjoncture actuelle - je rappelle que la croissance au premier trimestre est négative : - 0,2 % - d'agir aussi de façon défensive en aidant des entreprises structurellement saines à passer un cap difficile ?

Les dispositifs de soutien aux entreprises sont trop nombreux et trop complexes. Il faut simplifier !

Mon dernier point porte sur la gouvernance. Les régions sont très impliquées dans le soutien aux petites et moyennes entreprises. Elles doivent se coordonner avec les départements et les métropoles, mais elles ont une compétence économique forte, qui sera d'ailleurs encore plus forte demain. Ne faudrait-il pas organiser une sorte de co-gouvernance formalisée entre la BPI et chaque région, de manière à avoir une logique de co-décision et de co-investissement ?

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Parmi les interrogations concernant la reprise des activités d'OSEO par bpifrance, j'ai une question concernant le devenir du mécanisme de soutien aux sociétés de recherche sous contrat - les SRC - géré par OSEO-Innovation avec une enveloppe de 10 millions d'euros de subventions. L'effet de levier de ce mécanisme est indéniable : sera-t-il pérennisé ?

M. Nicolas Dufourcq. - Le dossier évoqué par le sénateur Maurey est caractéristique des cas que nous traitons au quotidien. C'est une entreprise qui ne se porte pas très bien, dont le projet doit être cofinancé avec une banque et cette dernière hésite, car les perspectives de l'entreprise la situent dans la zone grise.

Euronext fait partie du périmètre d'action de la BPI et vous avez raison de dire qu'il y a potentiellement là un sujet intéressant et stratégique.

Concernant l'économie sociale et solidaire (ESS), nous avons décidé avec la Caisse des dépôts que cette dernière, au travers de ses directions régionales, garderait le réseau des contacts avec les acteurs de ce secteur : Initiative France, France active, l'Institut de développement de l'économie sociale (Ides)... Nous n'avons pas au sein de la BPI, dans le réseau d'OSEO, l'équipement et le personnel nécessaire pour prendre ce relais. D'ailleurs la Caisse fait très bien ce travail. Après, est-ce que la BPI pourra apporter une couche de financement supplémentaire pour renforcer l'action de la Caisse ? Pourquoi pas... C'est à discuter entre nous et notre actionnaire.

La Caisse nous transfère dans ses apports l'argent qu'elle a injecté dans des fonds privés orientés vers l'ESS, gérés par Amundi, Société générale, etc. Nous avons donc une activité à ce titre et nous allons la renforcer.

De façon générale, injecter de l'argent dans les entreprises de l'ESS n'est pas facile, car il faut toujours penser à la sortie du capital. Pour sortir du capital d'une coopérative, il faut soit vendre aux salariés, soit à la coopérative elle-même, il y a donc de grosses difficultés liées à la liquidité. Cela ne veut pas dire que la BPI ne fera pas du capital investissement dans ce secteur, mais ce sera forcément dans des proportions plus faibles que le capital développement normal.

L'investissement dans des entreprises stratégiques pour la France, ce n'est pas nouveau. Nous l'avons fait avec Danone, Valéo et, très récemment, avec Technicolor. On le refera si nécessaire.

Proximité, transparence : oui, ce sont des valeurs que nous défendons. Il y a quatre principes que nous avons décidé de mettre en avant : proximité, simplicité, optimisme et volonté. Je reviens en particulier sur l'optimisme. Il y a des opportunités d'investir partout en France ; il y a des idées partout ; nous avons le crédit aux entreprises le moins cher d'Europe, moins cher qu'en Allemagne même. Le crédit trésorerie manque, mais le capital et le crédit nécessaire au développement est abondant. Ce qui manque : c'est le moral ! Les agents de la BPI feront ce travail : expliquer que c'est le moment d'investir.

La BPI travaillera avec les métropoles bien sûr. Il se trouve que nos fonds communs de garantie, d'innovation et de financement sont bâtis avec les conseils régionaux. Mais cela ne signifie pas qu'à l'avenir nous ne travaillerons pas avec elles aussi.

Concernant la transparence, je signale que la BPI lancera en novembre le « think tank » bpifrance. Il sera le lieu où l'on pourra tout savoir du monde de la PME française. Au travers d'OSEO et des filiales de la CDC, nous avons accès à des données d'une profondeur incroyable. Ces données vont être rassemblées dans une grande direction des études et nous allons mettre en place un centre de ressources ouvert.

Pour ce qui est du capital de la BPI, il comprend les fonds propres d'OSEO pour 2,5 milliards d'euros et ceux de bpifrance investissement, pour 18 milliards d'euros. Les 12 milliards d'euros qui seront investis dans les années qui viennent sont les 18 milliards d'euros de bpifrance investissement, qui vont « tourner » par l'effet de monétisation décrit précédemment.

Le fonds ferroviaire sera lancé en juin et doté de 40 millions d'euros.

Est-ce que la BPI s'endettera pour faire plus d'investissement en fonds propres ? Non. En revanche, elle s'endette pour financer son activité de crédit. Nous levons chaque année pour 4 à 5 milliards d'euros de liquidités sur les marchés mondiaux. Nous le faisons actuellement à des taux incroyablement bas grâce à la garantie implicite de l'État (OAT plus 18 points de base).

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - Pouvez-vous revenir sur la dotation du fonds ferroviaire ? Que fait-on avec 40 millions d'euros ?

M. Nicolas Dufourcq. - On fait cinq tickets de cinq millions d'euros, sachant qu'on se garde toujours une marge de manoeuvre pour pouvoir réinvestir par la suite. Mais attention : ce sont des fonds destinés à des entreprises qui fabriquent du matériel, pas pour financer les infrastructures. La BPI ne finance pas d'infrastructures. Ce n'est pas sa mission. Les 40 millions d'euros du fonds ferroviaire suffisent à répondre à son objet.

Concernant la présence dans les régions d'outre-mer, cela relève d'un choix de notre tutelle. À titre personnel, je suis favorable à une présence directe de la BPI. Il y a cependant toute une palette de choix alternatifs, qu'il s'agisse du maintien de l'intermédiation de l'AFD ou de l'intermédiation via les directions régionales de la Caisse des dépôts. La direction du Trésor travaille sur cette question.

Sur le CICE, il faut se garder des confusions. Le préfinancement ne concerne qu'une fraction des 20 milliards d'euros de crédit d'impôt. Les grandes entreprises vont percevoir 10 milliards d'euros au titre du CICE : elles n'ont pas besoin du préfinancement de la BPI ! Sur les 10 milliards d'euros destinés aux PME, nous estimons qu'un préfinancement ne se justifie que pour une enveloppe de 2 milliards d'euros. Donc les 600 millions d'euros que nous avons engagés depuis le début de l'année correspondent bien à l'ambition affichée.

Concernant la déductibilité fiscale des intérêts d'emprunt, cela ne relève pas de mes compétences et il ne m'appartient pas de faire des commentaires.

Le soutien transitoire aux entreprises saines, c'est notre quotidien. La culture d'entreprise d'OSEO est d'aller toujours au bout de ce qui est possible quand il s'agit d'apporter un soutien. Nous le faisons parce que nous avons une culture de la PME, qui existe beaucoup moins dans le réseau bancaire traditionnel. Mais quand on ne peut pas sauver l'entreprise, nous n'injectons pas de fonds.

Concernant la gouvernance avec les régions, les choses sont simples : quand on co-finance, on co-décide. Ceci étant, la co-décision n'implique pas de formaliser et d'alourdir les procédures. Toutes les co-décisions se font par échange de courriels, dans la journée, avec fluidité. C'est l'intelligence collective moderne.

Enfin s'agissant du devenir du mécanisme de soutien aux sociétés de recherche sous contrat, rien ne change : OSEO continue de gérer ce fonds-là, comme il gère le programme ISI (innovation stratégique industrielle) ou le Fonds unique interministériel (FUI) pour les pôles de compétitivité.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Nous vous remercions pour vos réponses précises et pour votre disponibilité. Je suis persuadé que nous aurons l'occasion de vous auditionner à nouveau, avec la commission des finances et la commission du développement durable, après une année de fonctionnement de la BPI.

Renouvellement du régime fiscal applicable au rhum traditionnel des départements d'outre-mer - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission procède ensuite à l'examen, en application de l'article 73 quinquies, alinéa 3, du Règlement du Sénat, du rapport de MM. Georges Patient et Éric Doligé, rapporteurs, et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne contenue dans le rapport n° 525 (2012-2013) de MM. Gérard César, Jacques Gillot et Serge Larcher, adoptée par la commission des affaires européennes, sur le renouvellement du régime fiscal applicable au rhum traditionnel des départements d'outre-mer.

M. Éric Doligé, rapporteur. - Les rhums traditionnels des départements d'outre-mer, commercialisés en métropole, bénéficient d'un droit d'accise sur les alcools minoré. Ce régime fiscal est autorisé par le droit communautaire et fait l'objet de plusieurs dispositions nationales.

Cette aide fiscale est destinée à compenser les surcoûts liés à la production de rhum dans les départements d'outre-mer (DOM), de façon à permettre à cette production d'accéder au marché national et à garantir ainsi la pérennité de la filière canne sucre rhum dans ces territoires.

La survie de cette filière est fondamentale pour les départements d'outre-mer, confrontés à un niveau de chômage élevé, qui peut atteindre 30 % à La Réunion.

Or ce dispositif a été autorisé par les autorités européennes jusqu'au 31 décembre 2013 et arrive donc à expiration dans quelques mois. Les négociations pour son renouvellement sont entravées par une différence d'appréciation entre les autorités françaises et communautaires sur le fonctionnement du régime pour les années 2012 et 2013.

La proposition de résolution qui nous est soumise a été déposée par nos collègues Gérard César, Jacques Gillot et Serge Larcher. Elle vise à faire valoir auprès des autorités européennes la nécessité de renouveler ce régime fiscal pour la période 2014-2020 et à en souligner l'urgence. Elle appelle en particulier à ce que le régime soit renouvelé sur la base de la proposition présentée par le Gouvernement en février dernier.

Cette proposition de résolution a été transmise à la commission des affaires européennes, qui l'a adoptée sans modification le 17 avril. Il appartient aujourd'hui à la commission des finances de l'examiner, étant entendu qu'en cas d'adoption, cette proposition deviendrait résolution du Sénat au terme d'un délai de trois jours francs suivant la publication du présent rapport, sauf s'il était demandé dans ce délai qu'elle soit examinée en séance par le Sénat.

M. Georges Patient, rapporteur. - La production de rhum est le dernier étage d'une filière canne sucre rhum qui comprend la production de canne à sucre, utilisée aussi bien pour produire du rhum que du sucre, la production de sucre, dont une partie des sous-produits est utilisée pour produire du « rhum de sucrerie », et enfin la production de rhum.

La production de canne à sucre occupe une place fondamentale dans les DOM.

En 2010, on comptait dans ces territoires près de 8 000 exploitations cannières et la culture de la canne occupait plus de 43 000 hectares, soit près de 35 % de la surface agricole utile des DOM. On observe d'ailleurs que la canne résiste bien à la pression foncière, particulièrement forte dans ces territoires.

La production annuelle de canne s'est élevée en 2011 à 2,8 millions de tonnes. Son niveau est relativement stable ces dernières années, avec une progression d'à peine 1,5 % en cinq ans.

La production de rhum quant à elle se partage entre deux types de produits : d'une part le « rhum agricole », obtenu par fermentation alcoolique et distillation du jus de canne à sucre, et d'autre part le « rhum de sucrerie », produit à partir de la mélasse, résidu du raffinage du sucre. 40 % environ du rhum produit dans les DOM est du rhum agricole, mais la part relative de chaque type de production varie fortement selon le département considéré.

La production de rhum est dynamique et a crû de près de 18 % ces cinq dernières années.

Cette production est inséparable de la production de canne et, dans les territoires qui produisent du rhum de sucrerie, de la production de sucre.

Cette intégration de la filière découle de la définition communautaire du rhum traditionnel, que nous allons aborder plus loin. Cette définition exige que le rhum soit produit exclusivement à partir de matières premières locales. Le dynamisme de la production de rhum est donc un moteur pour l'ensemble de la filière et tout soutien spécifique à ce produit se répercute également sur les autres productions.

L'importance de la filière canne-sucre-rhum pour les départements d'outre-mer est illustrée par la place qu'elle occupe dans leurs échanges.

Il faut rappeler que la balance commerciale de ces territoires est largement déséquilibrée, du fait notamment de l'éloignement et de l'insularité. Ainsi, le total des soldes de la balance commerciale de chaque DOM représente un déficit de plus de 10 milliards d'euros en 2011. Les taux de couverture des échanges varient d'un territoire à l'autre, mais sont globalement très bas : de 6 % à La Réunion à 11,4 % à la Martinique.

Les exportations des trois départements d'outre-mer où la production de rhum est significative, c'est-à-dire la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, s'élevaient en 2011 à 830 millions d'euros. Dès lors, la filière canne-sucre-rhum, avec un chiffre d'affaires de 250 millions d'euros pour les quatre départements, contribue de façon importante à limiter le déséquilibre de la balance commerciale de ces territoires.

Avec la banane aux Antilles ou la pêche à La Réunion, le rhum et le sucre constituent la principale culture agricole d'exportation. Pour le seul département de La Réunion, les exportations de sucre de canne ont représenté, en 2011, 70 millions d'euros, soit 24 % du total des exportations.

En termes d'emplois, on peut estimer que cette filière représente environ 40 000 emplois, dont 22 000 emplois directs, parmi lesquels 15 000 emplois pour la seule filière rhum. Ces chiffres sont repris par la Commission européenne.

Au-delà de son importance économique, la canne participe à la préservation de l'environnement.

Ainsi, elle protège de l'érosion des sols et elle résiste relativement bien à la sécheresse : elle ne nécessite donc pas une irrigation systématique. Enfin ses sous-produits peuvent être utilisés comme fertilisants ou pour l'alimentation du bétail, ce qui réduit la nécessité d'importer des aliments, importantes sources d'émissions de gaz à effet de serre.

La filière canne contribue également à l'indépendance énergétique de ces territoires, à travers la bagasse. Ce résidu fibreux de la canne est utilisé comme source d'énergie dans la production d'électricité. On estime qu'elle permet de couvrir entre 30 % et 50 % des besoins en électricité des îles des DOM.

Enfin, on peut également ajouter que la production de rhum est un produit « phare » des DOM en termes d'image et de tourisme.

La plus grande partie du rhum des DOM est consommée localement, mais environ 25 % est expédié sur le marché européen, dont 70 % vers la métropole.

Le marché communautaire est dominé par deux groupes, produisant tous deux un rhum à 37,5°, vendu majoritairement par bouteilles de 70 cl : d'une part le groupe Bacardi, qui occupe le troisième rang mondial dans le secteur des spiritueux et commercialise notamment la marque de rhum éponyme, et d'autre part le groupe français Pernod-Ricard, deuxième producteur mondial de spiritueux derrière le groupe britannique Diageo, qui commercialise notamment la marque Havana Club.

Ces dernières années, le marché du rhum a également vu l'essor des rhums des pays tiers (Cuba, Venezuela, Brésil, États-Unis, Mexique) et des pays ACP (Barbade, Guyana, Trinité et Tobago, Jamaïque, République dominicaine).

La protection tarifaire à l'entrée sur le marché européen est un élément important pour les rhums des DOM, dans la mesure où le prix de revient du rhum de sucrerie des DOM est environ trois fois supérieur à celui d'un rhum d'un pays environnant.

Or les accords commerciaux conclus par l'Union européenne (UE) avec les pays d'Amérique centrale ou d'Amérique latine viennent renforcer la concurrence que doivent affronter les producteurs domiens.

Les producteurs de rhum des DOM sont confrontés à des contraintes particulières.

Celles-ci sont tout d'abord liées à la définition communautaire du rhum traditionnel des DOM, qui exige qu'il soit produit à partir de « produits alcooligènes exclusivement originaires du lieu de production considéré ».

Ainsi, les producteurs de rhum des DOM ne peuvent importer de la canne ou de la mélasse d'autres territoires, afin de profiter des évolutions à la baisse sur le marché mondial. À l'inverse, toute baisse du coût de ces produits entraine, relativement, un renchérissement du rhum des DOM.

Cette contrainte assure l'intégration de la filière, sécurise les emplois dans le secteur de la production de canne et participe à la qualité du produit. Elle aggrave néanmoins le différentiel de coûts de production avec les autres pays. Ainsi, on estime que le prix de la canne livré à une distillerie dans les DOM est de l'ordre de 60 à 85 euros la tonne, contre 14 euros au Brésil par exemple.

Par ailleurs, les producteurs de rhum des DOM doivent également appliquer une réglementation plus stricte en ce qui concerne la question du vieillissement.

À ces surcoûts s'ajoutent ceux liés aux intrants, c'est-à-dire les achats hors matières premières, comme le verre ou les cartons, qui doivent venir de la métropole.

Enfin, la nécessite de respecter les règles environnementales et sociales communautaires et françaises, plus exigeantes que celles des pays tiers, est une autre source de surcoûts. Le Smic réunionnais est de 1 400 euros, contre 200 euros à l'île Maurice et 50 euros à Madagascar.

Au final, il ressort des auditions menées par la délégation à l'outre mer que les coûts de production du rhum des DOM sont environ quatre fois supérieur à ceux des pays tiers.

Au-delà des coûts de production, les rhums des DOM sont commercialisés sous une forme qui entraine également des surcoûts.

Pour des raisons culturelles et historiques, ils sont vendus à un degré d'alcool plus élevé que les rhums des pays tiers, majoritairement commercialisés à 37,5°. 60 % de la production est à 40°, un quart est à 50° et même plus de 10 % à 55°.

De même, les rhums des DOM se caractérisent par un conditionnement différent : plus de la moitié de la production est vendue par bouteilles d'un litre. Le reste est commercialisé par bouteilles de 0,70 litre, comme c'est le cas pour la quasi-totalité des rhums des pays tiers.

Or ces différences, qui peuvent sembler anodines, ont un impact sur le prix de la bouteille, dans la mesure où la fiscalité sur les alcools - droit d'accise et vignette de sécurité sociale - porte sur le volume d'alcool pur contenu dans chaque bouteille. Ainsi, une bouteille de rhum d'un litre à 50° comportera environ deux fois plus d'alcool pur qu'une bouteille de rhum de 0,70 litre à 37,5°.

Le marché du rhum est en croissance, que ce soit au niveau communautaire ou au niveau métropolitain.

Entre 1996 et 2006, le volume du marché communautaire a été multiplié par 2,6.

Cependant, du fait des surcoûts mentionnés précédemment, on observe que la part du rhum des DOM a sensiblement diminué sur la même période. De plus de la moitié en 1986 elle passe à moins du tiers en 1996 et à peine un quart aujourd'hui.

Le marché français du rhum connait également un fort dynamisme, avec une croissance en moyenne de près de 10 % par an sur dix ans

Les chiffres de la grande distribution permettent une analyse plus fine : sur les sept dernières années, les rhums des DOM progressent de 28 % quand ceux des pays tiers ou des pays ACP connaissent une augmentation de 55 %. Si l'on considère les deux marques Bacardi et Havana Club, leur progression atteint même 238 %.

Cette divergence des croissances s'accélère encore sur la période 2008-2011 : les rhums des DOM progressent de 9 % contre 38,7 % pour les pays tiers et ACP.

De plus, ces chiffres sont probablement inférieurs à la réalité du marché du rhum dans son ensemble. En effet, les ventes en cafés, hôtels et restaurants ne sont pas comptabilisées dans les statistiques de la grande distribution. Or les ventes sur ce segment qui représente 5 millions de litres par an sont principalement réalisées par les marques précitées, grâce à leur puissance marketing.

M. Éric Doligé, rapporteur. - C'est pour compenser les surcoûts évoqués ci-dessus, et maintenir l'accès du rhum des DOM au marché national, qu'a été mis en place le régime fiscal dérogatoire pour cette production.

L'aide fiscale accordée aux rhums des DOM repose en premier lieu sur l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui prévoit la possibilité d'arrêter des mesures spécifiques aux régions ultrapériphériques portant, en particulier, sur la politique fiscale et les aides d'État, « en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières de ces territoires ».

Le régime dérogatoire est encadré par une décision du Conseil du 9 octobre 2007, complétée par une nouvelle décision du Conseil du 19 décembre 2011, et par une décision de la Commission européenne du 27 juin 2007, au titre des aides d'État.

Ces décisions prévoient, en particulier, que le différentiel maximum de droits d'accise entre le dispositif dérogatoire pour le rhum des DOM et celui applicable aux autres alcools ne peut être supérieur à 50 %.

Ce dispositif ne s'applique que dans la limite d'un certain contingent, fixé initialement à 90 000 hectolitres d'alcool pur (HAP), puis à 108 000 HAP en 2007 et à 120 000 HAP depuis 2011. Ce contingent est réparti entre les territoires puis entre les distilleries.

Le dispositif mis en place au niveau national porte sur les deux éléments de la fiscalité applicable aux alcools : d'une part le droit d'accise, prévu par l'article 403 du code général des impôts, et d'autre part la vignette de sécurité sociale (VSS), prévue aux articles L. 245-7 et suivants du code de la sécurité sociale.

Avant 2012, le droit d'accise était assis sur le volume d'alcool pur : il était inférieur de 655 euros par HAP pour les rhums des DOM. La vignette de sécurité sociale était pour sa part assise sur le volume de boisson et n'était pas différenciée selon le type d'alcool.

Le montant de l'aide s'élevait à 70,8 millions d'euros pour un volume de 108 000 HAP et à 78,6 millions en prenant en compte l'augmentation du contingent à 120 000 HAP.

La fiscalité applicable aux alcools a été modifiée de façon significative à la fin de l'année 2011 et au début de l'année 2012.

Tout d'abord, le fonctionnement de la vignette de sécurité sociale a été revu. Son assiette a été modifiée et porte désormais sur la quantité d'alcool pur, comme le droit d'accise, et non plus sur le litre volume.

Mais un mécanisme de plafonnement a été mis en place, à 40 % du droit d'accise applicable à la boisson concernée, ce qui bénéficie au rhum des DOM.

D'autre part, les droits d'accise sur les alcools et celui spécifique au rhum des DOM ont été augmentés.

Au final, depuis 2012, le différentiel de fiscalité porte donc à la fois sur le droit d'accise et sur la vignette de sécurité sociale et s'élève donc à 929 euros par HAP.

Pour un contingent de 120 000 HAP par an, le montant de l'aide fiscale totale s'élève donc à 111,5 millions d'euros.

Or ce changement a des conséquences vis-à-vis des autorités communautaires.

Le montant de l'aide initialement notifié à la commission européenne s'élevait à 66,4 millions d'euros. La modification de la législation a donc conduit l'aide au-delà de la limite de 20 % fixée par la réglementation européenne. Une nouvelle notification était donc nécessaire, mais n'a pas eu lieu.

D'autre part, le plafonnement de la VSS à 40 % du taux d'accise pourrait être considéré comme une nouvelle aide d'État. Sans notification préalable, cette mesure pourrait donc être vue comme « illégale » depuis le 1er janvier 2012, au regard des règles européennes de la concurrence.

La notification a finalement été envoyée le 7 août 2012 à la Commission. Cependant, s'il s'avérait que l'aide était illégale, la Commission européenne pourrait demander à ce que les sommes accordées soient récupérées.

Enfin, la Commission remet en cause l'augmentation du montant de l'aide ainsi que les éléments avancés pour justifier cette augmentation.

Le 18 février dernier, le Gouvernement a transmis à la Commission européenne une proposition alternative.

Cette proposition prévoit tout d'abord le déplafonnement de la vignette de sécurité sociale, qui redeviendrait dès lors identique pour tous les alcools. D'autre part, elle propose la modification du taux d'accise de façon à ce que le différentiel soit porté au maximum autorisé par la décision du Conseil, c'est-à-dire 50 %. Enfin, serait mis en place un mécanisme spécifique pour les petites distilleries, qui seraient les plus touchées par la nouvelle vignette. Pour leur production, la vignette de sécurité sociale serait assise sur le litre volume, et non plus le litre d'alcool pur.

Ce dispositif aboutirait à un montant d'aide de 103 millions d'euros.

Cette proposition vise à résoudre la situation courant depuis le 1er janvier 2012. Une fois cette question résolue, les discussions pourront commencer pour le renouvellement du régime sur la période 2014-2020, étant entendu que « les autorités françaises présenteront la même mesure », comme l'a précisé la délégation générale à l'outre-mer.

La proposition du Gouvernement conduirait à une diminution du coût de ce dispositif, ramené de 111,5 millions d'euros à 103 millions.

De plus, il s'agit d'une dépense fiscale maîtrisée, puisqu'elle s'applique dans la limite d'un contingent, qui n'est d'ailleurs actuellement pas atteint.

D'autre part, il apparaît que ce dispositif est essentiel au maintien de la filière. Sur une bouteille de rhum d'un litre à 50°, l'aide représente 4,50 euros environ, sachant que les bouteilles sont commercialisées entre 15 et 17 euros environ.

Or, au-delà de 17 euros le litre, il n'y a plus d'acheteurs. La suppression de l'aide ferait donc en quelque sorte sortir du marché les rhums des DOM, comme l'ont précisé plusieurs interlocuteurs de la délégation sénatoriale à l'outre-mer.

Enfin, les auditions menées par la délégation ont également montré que la voix du Sénat pouvait s'avérer utile et était attendue.

Dès lors, au vu de la place fondamentale qu'occupe la filière canne sucre rhum dans l'économie de ces territoires et face à la concurrence à laquelle sont confrontés les rhums des DOM, nous vous proposons de soutenir la solution avancée par le Gouvernement et d'adopter sans modification la présente proposition de résolution européenne.

M. François Trucy. - Je partage la position des rapporteurs : cette production est essentielle pour l'économie locale et il ne faut pas oublier que cette spécialisation dans la culture de la canne est une conséquence lointaine de la colonisation. Il serait paradoxal aujourd'hui de revenir sur ce soutien.

M. Yvon Collin. - Ce débat me rappelle la question des bouilleurs de cru. Sur le fond, nous sommes nous aussi favorable à cette proposition de résolution.

M. François Marc, rapporteur général. - Nos deux rapporteurs ont travaillé utilement et efficacement et nous pouvons suivre leur recommandation.

La proposition de résolution européenne est adoptée sans modification.

Recensement et comptabilisation des engagements financiers hors bilan de l'Etat - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

La commission procède enfin à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), sur le recensement et la comptabilisation des engagements hors bilan de l'Etat.

M. Philippe Marini, président. - Monsieur le Président de chambre, Messieurs les magistrats de la Cour des comptes, Messieurs les directeurs, Mesdames et Messieurs, mes chers collègues, nous voici réunis pour une nouvelle « audition pour suite à donner » à une enquête réalisée par la Cour des comptes, à la demande de notre commission des finances, en application de l'article 58-2° de la LOLF.

Le thème traité est d'une apparence technique, mais d'une importance économique majeure, puisqu'il s'agit des conditions d'évaluation et de comptabilisation des engagements hors bilan de l'Etat. Depuis l'entrée en vigueur de la LOLF, les documents budgétaires présentent non seulement les engagements inscrits au bilan de l'Etat, tant en actif qu'au passif, mais aussi les engagements hors bilan, c'est-à-dire les obligations qui, sans réunir les critères d'inscription au bilan de l'Etat, sont susceptibles d'avoir un impact significatif sur la situation financière future de l'Etat. Ainsi les engagements hors bilan doivent-ils être pris en compte pour apprécier la soutenabilité à long terme des finances publiques et mieux connaître les aléas financiers auxquels est exposé l'Etat du fait de ses obligations à l'égard de tiers qui ne sont pas sous son contrôle direct.

L'exemple le plus souvent cité est celui des engagements de retraite de l'Etat au titre des droits à pensions futures, mais il s'agit également des garanties de dette ou de passifs par l'Etat, et de ses engagements au titre de sa mission de régulateur économique et social, comme les aides au logement ou le financement de l'audiovisuel public.

Notre commission des finances s'est spécialisée sur ces questions : je me souviens notamment d'initiatives de Jean Arthuis lors de l'examen du projet de loi de règlement des comptes de 2010 ou encore lors du débat sur la loi organique de décembre 2012. J'ai également en mémoire l'amendement de François Marc lors de la discussion du projet de loi de règlement des comptes de 2011. Il y a donc une continuité dans les travaux de la commission des finances.

Notre rapporteur spécial Jean-Claude Frécon s'est lui aussi pleinement investi dès sa désignation comme rapporteur spécial à l'automne 2011, et en accord avec lui que j'ai formulé une demande d'enquête au Premier président de la Cour des comptes Didier Migaud, par courrier en date du 21 novembre 2011.

Pour cette audition très attendue, nous accueillons :

- pour la Cour des comptes : Raoul Briet, président de la première chambre, ainsi que Dominique Pannier, conseiller maître, Gabriel Ferriol, auditeur et Laurent Zerah, expert ;

- pour la direction du budget, son directeur, Julien Dubertret ; 

- pour la direction générale des finances publiques, David Litvan, chef du service comptable de l'Etat ;

- pour la direction générale du Trésor, Thomas Courbe, secrétaire général.

Je donnerai tout d'abord la parole à Raoul Briet, président de la première chambre, pour une brève synthèse des travaux de la Cour. Il évoquera notamment les questions méthodologiques et les comparaisons au sein de la zone euro. Comme vous le savez, avec le président Jean Arthuis, nous avons été sensibilisés aux méthodes de travail, mais aussi parfois aux insuffisances de moyens d'Eurostat. Les progrès enregistrés par la France en matière d'engagements hors bilan sont-ils partagés par les autres pays européens ?

Nous pouvons saluer la qualité du travail accompli, d'autant plus que le contre-rapporteur du dossier au titre des procédures de la Cour des comptes était notre ancien collègue Alain Lambert, qui a été l'un des pères fondateurs de la LOLF.

A l'issue de cet exposé, notre collègue Jean Claude Frécon, rapporteur spécial, nous apportera son éclairage. Puis les différentes administrations du ministère de l'économie et des finances, parties prenantes au processus de recensement et de comptabilisation des engagements hors bilan, pourront alors faire part de leurs premières observations. Enfin, le rapporteur général et chaque commissaire qui le souhaitera pourront ensuite poser leurs questions.

M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. - Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur général, Mesdames et messieurs les sénateurs, Messieurs les directeurs, je vous remercie tout d'abord vivement de cette invitation à présenter et à commenter les travaux que la Cour a menés à la demande de la commission des finances. Je ne suis pas accompagné aujourd'hui par Alain Lambert qui n'était pas disponible, mais il a été un contre-rapporteur extrêmement attentif et très vigilant tout au long de nos travaux.

Je suis accompagné de M. Dominique Pannier, rapporteur général auprès de la formation interchambres « Exécution du budget et comptes de l'Etat » ainsi que de M. Gabriel Ferriol, auditeur, et de M. Laurent Zérah, expert, qui ont participé à la réalisation de l'enquête.

Comme vous le savez, celle-ci porte sur le recensement et la comptabilisation des engagements hors bilan de l'Etat. Il s'agit là d'un thème aride, au sein d'une matière qui ne l'est pas moins, je veux parler de la comptabilité publique.

Pour aride qu'elle soit, la question du recensement et de la comptabilisation des engagements hors bilan n'en recouvre pas moins des enjeux essentiels pour l'Etat.

Les engagements hors bilan mesurent en effet l'incidence financière éventuelle d'obligations potentielles s'imposant à l'Etat. Ils représentent donc l'ampleur des aléas financiers auxquels ce dernier est exposé et, corrélativement, les risques potentiels pesant sur sa trajectoire budgétaire.

A l'heure actuelle, leur suivi étroit est d'autant plus une exigence que les marges de manoeuvre dont dispose l'Etat au plan budgétaire se sont considérablement réduites.

En ce sens, la demande adressée à la Cour par votre commission des finances arrive à point nommé pour permettre au Sénat d'être informé sur l'efficacité des procédures en place ainsi que sur la qualité de l'information mise à sa disposition.

Vous avez rappelé, Monsieur le Président, qu'il s'agit d'une préoccupation ancienne de votre commission, comme en témoignent les amendements qu'elle avait introduits lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2003. A l'époque déjà, elle s'efforçait de renforcer l'information du Parlement sur les engagements hors bilan.

Pour sa part, la Cour porte également de longue date une attention particulière aux passifs éventuels, qu'elle a examinés non seulement dans le cadre d'enquêtes particulières, par exemple son récent rapport sur les coûts de la filière électronucléaire, mais aussi dans le cadre plus général de ses travaux portant sur les finances publiques, notamment l'acte de certification des comptes de l'Etat, le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire et le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Je profite de cette occasion pour vous confirmer que les éditions 2012 de ces trois rapports vous seront présentées par le Premier président de la Cour, le 29 mai prochain. Les données présentées dans l'enquête sont donc les dernières disponibles.

Si elle s'inscrit dans le prolongement de travaux antérieurs de la Cour, cette étude n'en présente pas moins des apports novateurs :

- pour la première fois, elle porte un regard rétrospectif sur les données de comptabilité générale que les services comptables de l'Etat établissent depuis 2006. Elle met ainsi en perspective la situation actuelle avec celle prévalant avant la crise financière ;

- nous essayons de confronter les données de la comptabilité générale et celles issues de la comptabilité budgétaire, en mettant en évidence leurs différences d'approche, tout en illustrant les bénéfices à tirer de leur comparaison ;

- enfin, l'enquête met en lumière d'autres engagements que les engagements de retraite, qui, même s'ils représentent en masse la majeure partie des engagements hors bilan de l'Etat, font l'objet d'un suivi spécifique dans le cadre des différentes réformes intervenues en matière de pensions.

L'enquête de la Cour examine notamment les engagements pris dans le cadre d'accords bien définis, par exemple la dette garantie, la garantie de protection des épargnants ou le soutien au commerce extérieur. Ces dernières années, ces engagements ont connu une croissance considérable de leurs encours puisque de 400 milliards d'euros à fin 2006, ils sont passés à près de 1 000 milliards d'euros fin 2012.

Dans le même temps, les travaux de la Cour ont rencontré certaines limites que je crois utile de rappeler à ce stade.

En premier lieu, si elles peuvent éclairer l'évolution de la situation française en comparaison de celles connues par d'autres Etats, les comparaisons internationales ne permettent pas, à ce jour, de comparer les niveaux des engagements hors bilan dans différents Etats.

En effet, la grande majorité des Etats n'établit tout simplement pas de comptes en droits constatés certifiés. Dans la zone euro, la France est le seul pays à s'être doté d'une comptabilité générale certifiée par un auditeur externe, en l'occurrence la Cour des comptes. Ni l'Italie, ni l'Allemagne ne publient de données comparables.

Du reste, les Etats qui produisent des comptes en droits constatés le font, à l'heure actuelle, sur la base de normes de comptabilisation locales qui, même si elles sont généralement dérivées des normes International Public Sector Accounting Standards (IPSAS), sont trop hétérogènes pour que des comparaisons puissent être facilement établies entre leurs situations. Les référentiels comptables ne permettent donc pas d'établir des comparaisons, même quand les données en droits constatés sont disponibles.

Face à ces limites, Eurostat et les autres services de la Commission européenne ont initié des réflexions afin harmoniser le suivi des passifs éventuels des administrations publiques au niveau européen. Cette démarche s'inscrit dans un cadre plus large visant à inciter les Etats membres à produire chaque année des comptes en droits constatés, comprenant un bilan, un compte de résultat et une annexe aux comptes. La France y prend actuellement une part importante, et j'y reviendrai en conclusion.

En second lieu, la Cour a rencontré des difficultés à recueillir et à exploiter certaines données à l'échelle nationale. Ainsi, elle n'a ainsi pas pu comparer les engagements hors bilan de l'Etat avec ceux des autres administrations publiques, faute de données fiables sur ces secteurs.

Les engagements hors bilan des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale ne sont pas disponibles sous une forme agrégée, même si certains progrès sont à relever en ce qui concerne leur suivi.

Permettez-moi tout d'abord de rappeler les trois principaux constats opérés par la Cour, avant de présenter ses recommandations.

Le premier constat de la Cour porte sur la qualité du recensement et de la comptabilisation en eux-mêmes.

Notre jugement est sur ce point plutôt positif. Sous les réserves que la Cour fera apparaître dans le prochain acte de certification des comptes de l'Etat, la France dispose d'une information riche et fiable sur le niveau et l'évolution pluriannuelle des engagements hors bilan de l'Etat.

Dans ce domaine, la qualité de l'information disponible en France est comparable à celle publiée par les Etats du monde les plus en pointe en matière de transparence comptable et financière. Elle est même supérieure à celle que l'on observe dans la plupart des Etats européens.

Ce constat est principalement imputable aux efforts accomplis, chacune pour ce qui la concerne, par les administrations impliquées dans le recensement et la comptabilisation des engagements hors bilan.

Il doit également beaucoup à la mise en place de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et à la démarche de certification des comptes de l'Etat qu'elle a organisée.

Pour autant, tout n'est pas parfait et la Cour, dans son rôle de certificateur des comptes de l'Etat, a été régulièrement amenée à constater que des progrès restent à accomplir en matière de suivi des engagements hors bilan.

Les travaux menés dans le cadre de la présente enquête ont confirmé la persistance de certaines imperfections : le suivi des engagements en comptabilité générale et son pendant en comptabilité budgétaire ne sont pas suffisamment articulés ; les comptables ne disposent pas toujours des informations nécessaires à la comptabilisation en droits constatés ; les procédures d'inventaire, de confirmation des encours ou de comptabilisation des intérêts de la dette garantie présentent, elles aussi, des insuffisances.

De façon générale, si les administrations concernées ont, prises individuellement, accompli des progrès dans leur champ de responsabilité, elles doivent désormais davantage travailler ensemble pour renforcer la qualité du suivi des engagements, tout au long de la chaîne de la dépense. La rédaction d'un guide de procédures régissant leurs rôles respectifs pourrait y contribuer.

Le deuxième constat de la Cour porte sur les encours des engagements hors bilan qui, comme vous le savez, augmentent.

Le premier compte général de l'Etat au format « LOLF » portait sur l'exercice 2006, le recul est donc réduit pour apprécier l'évolution pluriannuelle des encours des engagements hors bilan.

L'analyse des données disponibles depuis 2006 montre toutefois que les encours des engagements hors bilan ont connu, dans la période récente, une croissance extrêmement soutenue.

Ainsi, entre 2007 et 2012, les encours d'engagements de retraite sont passés de 1 091 milliards d'euros à 1 679 milliards d'euros soit une hausse de près de 54 %. Cette hausse est toutefois peu significative sur le fond, car essentiellement liée à des variations du taux d'actualisation utilisé pour calculer cet engagement.

Pour dire les choses simplement, plus les taux d'intérêt auxquels l'Etat emprunte diminuent, plus le montant des engagements de retraite et des engagements viagers sur longue période augmente. Ce paradoxe est dû au fait que le taux d'actualisation utilisé dans ces calculs dépend du taux d'emprunt de l'Etat, et qu'en mathématiques financières, plus le taux d'actualisation est réduit, plus la valeur actualisée augmente, surtout sur des durées d'actualisation aussi longues (plus de 100 ans). Le montant des engagements de retraite doit donc être interprété avec prudence.

Sur la même période, les encours des engagements pris dans le cadre d'accords bien définis faisaient plus que doubler, croissant de 458 milliards d'euros à 978 milliards d'euros.

A elle seule, la garantie de protection des épargnants, c'est-à-dire la garantie en liquidité et solvabilité accordée au Fonds d'épargne, a vu son encours plus que doubler, passant de 165 milliards d'euros à fin 2006 à 394 milliards d'euros à fin 2012. Sur la même période, la dette garantie a triplé, passant de 56 milliards d'euros à 163 milliards d'euros.

Récemment, la participation de la France aux différents plans de stabilisation financière en zone euro s'est traduite entre fin 2011 et fin 2012 par une hausse de 187 milliards d'euros des engagements hors bilan portés par l'Etat dont une hausse de 50,8 milliards d'euros au titre de la dette garantie du Fonds européen de stabilité financière (FESF), une augmentation de 9,8 milliards d'euros au titre du capital appelé du Mécanisme européen de stabilité (MES) et une progression de 126,4 milliards d'euros au titre de son capital appelable.

Intégrés au champ des engagements hors bilan pour la première fois fin 2011, les engagements découlant de la mission de régulateur économique et social de l'Etat représentaient, fin 2012, 434 milliards d'euros, en hausse de 110,6 milliards d'euros sur un an.

Cette hausse s'explique pour l'essentiel par un changement de norme comptable. Certains passifs d'intervention, tels que l'allocation aux adultes handicapés ou les aides au logement, qui étaient jusqu'alors comptabilisés au passif sont désormais intégrés au hors bilan de l'Etat. Ce mouvement illustre les liens qu'entretiennent bilan et hors-bilan, et la porosité qui existe entre ces deux notions.

En définitive, fin 2012, l'agrégat total des engagements hors bilan excédait 3 090 milliards d'euros soit 152 points de PIB. Il dépasse largement le passif total de l'Etat (1 859 milliards d'euros) et encore plus le montant de sa dette financière (1 412 milliards d'euros).

Même si ce montant recouvre des obligations éventuelles dont les horizons temporels et les risques potentiels sont très variables, il n'en reste pas moins que l'effet de levier de l'Etat est plus élevé qu'autrefois.

Cette situation justifie que les procédures de suivi des engagements hors bilan évoluent vers une plus grande exigence. Notre avons essayé de faire ressortir comme fil d'Ariane que, après avoir longtemps constaté le niveau des engagements hors bilan, les pouvoirs publics doivent désormais davantage le surveiller, afin que son évolution n'ait pas d'impact systémique.

En dernière analyse en effet, et c'est là le troisième constat de la Cour, les risques que font peser les engagements portent en premier lieu sur le budget de l'Etat, tant en dépenses qu'en recettes.

Si leur exécution varie considérablement d'un exercice à l'autre, les crédits du programme 114 - Appels en garantie de l'Etat n'ont pas connu une hausse comparable à celle enregistrée par les encours des garanties dont ils financent les appels éventuels. Sur la période 2006-2008, leur moyenne annuelle s'est établie à 265 millions d'euros. Entre 2009 et 2011, elle a légèrement augmenté, passant à 303 millions d'euros.

Certes, toutes les dépenses budgétaires liées à des engagements hors bilan ne transitent pas par le programme 114. Je pense notamment aux apports en capital financés par le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat » à des entités bénéficiant, par ailleurs, de la garantie de l'Etat. Tel était par exemple le cas dans la récente opération de recapitalisation du groupe franco-belge Dexia. La garantie de l'Etat lui apporte des recettes et a peu de chances d'être appelée, mais la recapitalisation de la fin de l'année 2012 retrace l'impact budgétaire de cette garantie.

Dans l'ensemble, toutefois, l'analyse de la Cour la conduit à estimer que la hausse des encours des engagements hors bilan ne s'est pas accompagnée d'une augmentation concomitante du niveau des dépenses de l'Etat.

En revanche, sur le volet recettes, la Cour a constaté que la hausse des encours a coïncidé avec un repli des recettes tirées des engagements.

Alors que leur montant annuel avoisinait 4 milliards d'euros en 2006, il n'était plus que de 2 milliards d'euros en 2009 et 2011 puis 1 milliard d'euros en 2012. Cette évolution s'explique par l'effet combiné :

- de l'impossibilité pour l'Etat de prélever sur le résultat net du Fonds d'épargne un montant supérieur au besoin de ce dernier de renforcer ses fonds propres, compte tenu des règles prudentielles actuellement applicables ;

- du repli du résultat du compte des procédures publiques gérées par la Coface, du fait du tarissement des recettes exceptionnelles tirées de consolidation de dette en Club de Paris mais aussi de la hausse de la sinistralité de certaines procédures ;

- de la baisse de la part des dettes garanties rémunérées dans l'ensemble de la dette garantie, du fait notamment du caractère massif des émissions du Fonds européen de stabilité financière.

La période récente s'est ainsi caractérisée par un « effet de ciseau » : alors que les encours des engagements hors bilan de l'Etat ont progressé, la rémunération perçue par ce dernier à leur titre s'est repliée. Autrement dit, plus la protection de l'Etat a été recherchée et moins elle a été, en réalité, rétribuée par les entités qui en bénéficiaient.

La Cour note ainsi que certaines entités n'offrent aucune contrepartie à l'Etat en échange de sa protection. Tel est par exemple le cas de la société de gestion du Fonds de garantie à l'accession sociale à la propriété (40,8 milliards d'euros de dette garantie) ou du Fonds européen de stabilité financière (58,1 milliards d'euros).

J'en viens maintenant à la dernière partie de mon exposé, qui est consacrée aux recommandations formulées par la Cour. Avant de vous en présenter en détail le contenu, permettez-moi de revenir sur les risques qui s'attachent à l'heure actuelle aux engagements hors bilan et sur l'esprit dans lequel la Cour a formulé ses recommandations.

Les risques associés aux engagements hors bilan de l'Etat ne se limitent pas à une hausse des dépenses ou à un repli des recettes non fiscales.

Le niveau et la dynamique des engagements hors bilan sont en effet de plus en plus perçus comme des indicateurs de la capacité de l'Etat à rembourser ses dettes. Compte tenu du niveau atteint par ces dernières, la maîtrise des engagements hors bilan recouvre désormais une dimension systémique.

S'il n'existe pas de limite en théorie à leur enveloppe globale, il appartient aux pouvoirs publics de s'assurer en pratique qu'ils n'entament pas la crédibilité de la signature de l'Etat.

Pour cela, et c'est là une conviction forte de la Cour, il importe, non pas de maintenir l'opacité ou la discrétion sur la nature et le niveau des engagements hors bilan, mais, bien au contraire, de fournir à leur sujet une information approfondie et transparente, conformément à l'esprit de la Constitution et de la LOLF.

Cette exigence de transparence doit toutefois être adaptée aux contraintes de l'action publique, à la nature diverse - pour ne pas dire disparate - des engagements portés par l'Etat et aux différents niveaux de risques qui s'y attachent.

La Cour a estimé qu'il ne serait pas opératoire de recommander un plafonnement de l'enveloppe globale des engagements hors bilan. Toute séduisante qu'elle soit sur le plan conceptuel, l'analogie entre dettes financières et passifs éventuels présente des limites.

En effet, comme on l'a vu, la hausse des encours ne signifie pas nécessairement une progression des risques et, encore moins, un surcroît de dépenses budgétaires. Les engagements hors bilan de l'Etat présentent, par nature, un caractère aléatoire qui les distingue de ses dettes financières.

De même, la Cour a choisi de ne pas recommander la création d'un compte d'affectation spéciale dédié aux opérations de l'Etat garant, sur le modèle du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat ».

Malgré ses avantages en termes de lisibilité et de gestion prudentielle, cette solution conduirait à stériliser mécaniquement des recettes non fiscales venant abonder le budget de l'Etat, ce qui, dans la situation actuelle des finances publiques, paraît exclu.

Enfin, la Cour n'a pas jugé utile de recommander de modifier d'évolutions des normes comptables.

Inspirées de la comptabilité d'entreprise et adaptées aux spécificités de l'Etat, les normes actuelles constituent, en effet, un point d'appui solide pour le producteur des comptes comme pour le certificateur. En la matière, la France n'a rien à envier à d'autres pays puisqu'elle est l'un des Etats les plus en pointe dans la zone euro.

Il convient de convaincre nos partenaires européens d'adopter à leur tour des normes adaptées permettant de comparer les Etats membres et de mieux gouverner les finances publiques. La Commission européenne a publié un rapport sur ce thème en mars 2013, pour mettre en perspective l'édiction de normes européennes applicables aux comptes publics. Les magistrats de la Cour des comptes, et tout particulièrement son Premier président, sont extrêmement attentifs à ces enjeux, qui ne sont pas immédiats mais peuvent revêtir à terme une grande importance pour le pilotage des finances publiques de la zone euro.

Les recommandations formulées par la Cour à l'occasion de la préparation de ce rapport s'établissent sur trois plans distincts.

Tout d'abord, au plan administratif, la Cour préconise d'harmoniser le suivi budgétaire et comptable applicable aux engagements hors bilan et de renforcer les échanges entre les diverses administrations chargées de leur recensement et de leur comptabilisation.

Elle appelle également à ce que l'information détenue par les ordonnateurs circule de façon plus fluide le long de la chaîne de la dépense afin que le comptable puisse tenir sa comptabilité en droits constatés dans les meilleures conditions.

Çà et là, certaines « limites organisationnelles » que la Cour a pu identifier devront être dépassées afin que les administrations concernées travaillent mieux ensemble. Les responsables des administrations concernées voudront sans doute en dire un mot.

La Cour propose également de faire évoluer le plan comptable de l'Etat pour que les recettes et les dépenses liées aux engagements hors bilan puissent être davantage placées en regard.

Compte tenu des risques budgétaires qu'elle emporte, la dette garantie doit faire l'objet d'une attention particulière.

Ensuite, au plan budgétaire, la Cour propose de renforcer les procédures d'information du Parlement. Elle suggère la mise en place d'un double dispositif, comprenant, d'une part, une revue annuelle du stock des encours et, d'autre part, une alerte en temps réel sur leur éventuelle évolution :

- une fois par an, lors du vote de la loi de finances initiale, le Parlement serait informé de l'état du stock des engagements, par exemple sur la base des dispositions introduites par le Sénat lors de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2003, mais censurées par le juge constitutionnel ;

- dès lors que la situation le justifierait, un mécanisme d'alerte en cours d'exercice viendrait informer le Parlement de la hausse rapide de l'encours d'un engagement hors bilan ou d'une hausse de sa probabilité de réalisation. Ce mécanisme d'alerte pourrait, par exemple, être matérialisé par une communication adressée aux commissions des finances des assemblées ;

- plus généralement, la Cour recommande de mobiliser davantage la comptabilité générale dans la procédure de vote du budget, notamment en s'appuyant sur les données qu'elle propose pour arbitrer, en toute connaissance de cause, entre le flux et le stock des engagements hors bilan.

Enfin, il conviendrait d'affecter ou de cantonner des actifs réalisables, c'est-à-dire des richesses immédiatement monnayables, pour faire face aux risques budgétaires liés aux engagements. Ce point suppose par exemple de fixer à un niveau adapté le montant des prélèvements opérés par l'Etat sur les réserves de trésorerie des bénéficiaires de sa garantie. Je pense ici notamment à la Coface.

Voilà qui conclut cette intervention. Je vous remercie de votre attention et suis à votre disposition, avec les rapporteurs qui m'entourent, pour répondre à vos questions.

M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial. - Monsieur le Président, vous avez rappelé que la question des engagements hors bilan a été posée pour la première fois par la commission des finances sous la présidence de M. Jean Arthuis, et alors que vous étiez rapporteur général. En novembre 2011, moins d'un mois après le renouvellement du Sénat, Philippe Marini, devenu président de la commission des finances, avait demandé la présente enquête à la Cour des comptes, avec mon total accord. Je tiens à féliciter une nouvelle fois les magistrats de la Cour, pour ce rapport qui nous apporte de nombreuses informations nouvelles.

Pour la première fois, l'enquête de la Cour des comptes donne une présentation consolidée des engagements hors bilan de l'Etat, qui s'élèvent à 3 091 milliards d'euros, soit davantage que le passif de l'Etat, dont le montant atteint 1 859 milliards d'euros.

Les enjeux budgétaires sont réels : les prélèvements sur les trésoreries des personnes tierces auxquelles l'Etat apporte sa garantie représentent, suivant les années, des enjeux budgétaires compris entre 1 et 4 milliards d'euros.

Notre pays, il faut le souligner encore une fois, est précurseur au sein de la zone euro puisqu'il est le seul à disposer d'une comptabilité des engagements hors bilan, à l'instar des pays anglo-saxons, pionniers en la matière. Eurostat doit permettre d'établir des éléments de comparaison, comme le rappelait Jean Arthuis. Nous souhaitons disposer de données comparables pour l'Allemagne et l'Italie qui, avec la France, sont les trois grands pays fondateurs de l'Union européenne. L'Allemagne est réputée être en bonne santé budgétaire, mais qu'en est-il de ses engagements hors bilan ?

L'enquête de la Cour des comptes évoque les engagements de retraite, mais ceux-ci relèvent du champ de compétence de notre collègue Francis Delattre, rapporteur spécial de la mission « Régimes sociaux et de retraite ».

Par ailleurs, il est regrettable que nous ne disposions pas de données sur les engagements hors bilan des organismes de sécurité sociale et des collectivités locales et il faudra sans doute également réaliser des progrès en ce domaine.

A ce stade, je n'aurai qu'une seule question : quelles ont été les difficultés rencontrées par la Cour des comptes dans le recensement et la comptabilisation des engagements hors bilan ? Quels progrès ont pu être accomplis par l'Etat entre la préparation du compte général de l'Etat (CGE) annexé au projet de loi de règlement pour 2011 et le CGE annexé au projet de loi de règlement pour 2012, dont notre commission des finances commencera l'examen dans quinze jours.

M. Philippe Marini, président. - Merci pour ces explications. A présent, nous allons entendre très brièvement les représentants des administrations de l'Etat, successivement Julien Dubertret, David Litvan et Thomas Courbe. Quels sont selon eux les apports essentiels de la Cour des comptes, et les points sur lesquels ils ont des divergences ?

M. Julien Dubertret, directeur du budget. - Je serai le plus bref possible. Je veux saluer la grande qualité de l'étude. Elle a donné lieu à de nombreux échanges avec l'administration et notamment la direction du budget. Je voudrais remercier la commission des finances pour avoir organisé cette audition, sur des questions complexes, arides, mais qui en valent la peine. Les chiffres qui ont été mentionnés le soulignent. J'aurai plusieurs remarques.

Tout d'abord, il est clair que la demande d'intervention de l'Etat se traduisant par des engagements hors bilan est aujourd'hui très importante, voire croissante. Par-delà la crise qui a touché un certain nombre de pays et notamment le nôtre, il y a des raisons à cela : les garanties accordées par l'Etat peuvent être une alternative aux crédits budgétaires.

M. Philippe Marini, président. - C'est très inquiétant !

M. Julien Dubertret. - Ce n'est pas nouveau, Monsieur le Président.

M. Philippe Marini, président. - Non, ce n'est pas nouveau, mais c'est un risque qu'il convient de souligner. A défaut de pouvoir satisfaire une demande par des crédits, une garantie est accordée. Avez-vous des exemples ?

M. Julien Dubertret. -Je ne dis pas que c'est ce que l'on fait.

M. Philippe Marini, président. - Cela se fait-il ou non ?

M. Julien Dubertret. - Il faudrait que j'illustre mon propos par quelques cas où cela a pu avoir lieu. Je veux dire qu'il existe une tentation permanente d'utiliser la garantie comme une alternative à l'ouverture de crédits.

M. Philippe Marini, président. - Cède-t-on ou non à cette tentation ? Est-ce théorique ou le directeur du budget a-t-il des exemples à citer ?

M. Julien Dubertret. - Cela ne demeure pas théorique. Lorsqu'on regarde certains projets de partenariats publics privés (PPP), on peut se demander si la garantie accordée ne vient pas en substitution d'une subvention ou d'une intervention budgétaire directe. Cela ne délégitime pas forcément le fait d'apporter des garanties, mais force est de constater que le recours quasi systématique à la garantie de l'Etat sur certains PPP majeurs récents donne une illustration du risque. Il est tentant de céder à la facilité du recours à cet outil.

M. Philippe Marini, président. - Est-ce une question que vous vous posez ou en avez-vous la conviction ? Si vous avez un jugement à formuler, dites-le nous. Que le directeur du budget soit un peu raide, ce n'est pas anormal dans la République.

M. Julien Dubertret. - Le jugement que l'on peut porter sur un tel sujet est forcément nuancé. Je ne suis pas en train de vous dire qu'on a le choix entre deux outils, les crédits budgétaires et les garanties, et qu'on choisit l'un plutôt que l'autre. En revanche, il est clair que dans un contexte où la montée des PPP se heurte à la difficulté de trouver sur les marchés des financements de très long terme, le recours à la garantie de l'Etat est quasi systématique. On pourrait imaginer un montage différent reposant sur la maîtrise d'ouvrage. Voilà un exemple qui montrera que, sans que l'on soit dans la binarité absolue, on a bien dans certains projets une logique de substitution. Pour conclure sur ce premier point, je partage tout à fait la préoccupation exprimée par la Cour quant au transfert des risques vers la puissance publique. Toutefois, l'Etat a légitimement un rôle d'assureur en dernier ressort de l'économie. Encore faut-il parvenir à user de ce pouvoir avec discernement. Il faut cependant reconnaître que, dans des circonstances exceptionnelles, le hors bilan de l'Etat peut être sollicité si l'état de l'économie le nécessite.

J'en viens à ma deuxième remarque. Il me semble que la vigilance commune du Parlement et de la Cour des comptes aboutit à un dispositif très complet de surveillance. Il repose aujourd'hui sur le tableau annexé au compte général de l'Etat, constitué à partir de différentes enquêtes dont celle effectuées à partir de l'été 2003 pour permettre le recensement des différentes garanties en vue de la mise en oeuvre de la LOLF et de l'approbation en deux vagues de tous les dispositifs de garantie qui existaient et qui n'avaient pas fait l'objet de cette approbation formelle. Depuis cette date, chaque nouveau régime de garantie, dès lors qu'il a été voté par le Parlement, donne lieu à une inscription par le ministre des finances, si bien que, comme l'écrit la Cour, on peut disposer d'une assurance raisonnable sur l'évaluation et l'exhaustivité des engagements hors bilan de l'Etat. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas quelques progrès à réaliser, mais globalement cela participe de la qualité générale, qui a été mentionnée, des comptes de l'Etat en France comparé à d'autres pays. Les comparaisons internationales montrent que nous sommes sans doute le seul pays à disposer d'une telle liste et avec autant de fiabilité. Dans les circonstances économiques qui prévalent actuellement en Europe, il s'agit d'un vrai avantage.

Ma troisième remarque est qu'il me semble important de souligner que, du point de vue de la direction du budget, il existe un suivi exigeant et assez exhaustif des risques qui est effectué chaque année dans le cadre de la procédure budgétaire. Toutes les garanties existantes sont examinées au moins deux fois par an. Une première fois au moment de la préparation de la loi de finances, une seconde fois au moment de l'examen de la loi de finances rectificative de fin d'année. Une fois encore, je ne veux pas donner à croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais je peux affirmer qu'un examen très professionnel est réalisé par la direction du budget et les autres directions concernées, à deux reprises et en vue de la discussion au Parlement. Ces informations sont bien sûr retranscrites dans les documents annexés aux lois de finances qui vous sont soumises. S'y ajoutent des rapports thématiques qui ne sont pas toujours publics mais qui sont communiqués aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que diverses informations écrites ou orales concernant tel ou tel sujet particulier. C'est notamment le cas du plan d'aide aux banques, du rapport annuel de la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (COFACE), ou encore du rapport spécifique à Dexia.

M. Philippe Marini, président. - Que pensez-vous de la proposition d'informer le Parlement en cours d'année dans l'hypothèse d'une variation significative des engagements hors bilan ?

M. Julien Dubertret. - Il me semble que cela se fait déjà. Lorsque l'exécutif estime qu'un risque est en train de croître de façon très importante ou que le champ de garantie évolue, les commissions des finances sont averties. La Cour suggère sans doute de formaliser la procédure. J'émets toutefois une mise en garde. Non pas qu'il y ait une réticence de fond : c'est plutôt une question de forme. Il s'agit très généralement de questions d'une très grande sensibilité, d'une très grande actualité.

M. Philippe Marini, président. - Voulez-vous dire que les commissions des finances ne sont pas aptes à s'occuper de sujets aussi sensibles ?

M. Julien Dubertret. - Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Quelle que soit la forme, la transmission de ces informations aux commissions des finances s'est toujours faite au bon moment. Le Parlement peut avoir une vision différente, mais je ne crois pas que l'on puisse dire que l'exécutif tient le Parlement à l'écart d'informations pertinentes concernant les engagements de l'Etat. Je pense en particulier aux évolutions récentes concernant des dossiers extrêmement sensibles, s'agissant d'établissements bancaires par exemple. Autant je ne vois que des avantages à avertir les commissions des finances de ces évolutions, autant l'existence d'une procédure formalisée, suivie par des observateurs extérieurs, peut être en elle-même problématique. On peut imaginer des procédures formalisées, mais il faut que les intérêts de l'Etat et du contribuable, comme le secret des affaires qui peut légitimement entourer ces questions, soient strictement préservés. C'est là, Monsieur le Président, uniquement le sens de ma remarque. Je ne voudrais pas qu'un feu rouge s'allume sur le toit de Bercy ou du Sénat le jour où la procédure est actionnée. Ce qui est important est que vous soyez pleinement informés et que nous le fassions à temps.

Au final, il me semble que les recommandations n°s 1, 3 et 4 de la Cour des comptes sont largement satisfaites. En revanche, je souhaiterais appeler votre attention sur le caractère sensible de certaines de ces informations et surtout sur leur coût de constitution. La Cour des comptes suggère un recensement plus fiable et plus exhaustif d'une série de dispositifs ou encours garantis de faible ampleur. Je m'interroge sur la pertinence du suivi statistique d'encours de quelques millions d'euros, alors que parallèlement il peut être extrêmement difficile d'avoir une idée précise des risques associés à des garanties portant sur des montants considérables. Ceci s'explique par la nature même de l'activité de garant de l'Etat, qui est de garantir ce qui n'est pas assurable. Il convient de veiller à ne pas mettre en place un process administratif excessivement lourd.

M. Philippe Marini, président. - Il ne faut pas de marteau-pilon pour écraser une mouche.

M. Julien Dubertret. - C'est exactement cela, Monsieur le Président.

Dans le même ordre d'idées, la Cour des comptes évoque dans son rapport la question de la fiabilisation des encours d'intérêts à échoir. La question est un peu technique. Un certain nombre d'encours garantis font en effet l'objet de garanties sur les intérêts eux-mêmes. Faut-il s'épuiser à les évaluer, alors même que les mécanismes de taux d'intérêt peuvent être variables et que, en tout état de cause, c'est une échéance - généralement comprise entre un et trois mois - qui est en jeu ? Là encore, je suis un peu réticent à renforcer ce suivi dans un souci de proportionnalité entre les moyens et l'objectif poursuivi.

En revanche, il est d'une importance primordiale de suivre les montants des intérêts pour les prêts remboursables par anticipation avec pénalités. Dans ce cas - et exclusivement dans ce cas - la proposition de la Cour me paraît légitime car il ne s'agit pas d'une seule échéance d'intérêts mais d'un principe général.

Il faut également faire attention aux duplications d'information. La Cour des comptes formule plusieurs propositions d'enrichissement du projet annuel de performances (PAP) du programme 114 « Appels en garantie de l'Etat ». Très souvent, ce sont des informations que l'on retrouve déjà dans le compte général de l'Etat, conformément à l'idée de « chaînage vertueux » de la LOLF selon lequel l'examen de la loi de règlement précède l'examen du projet de loi de finances. Je vous invite à ne pas alourdir des documents budgétaires dont le nombre de pages ne cesse d'augmenter chaque année. Il ne s'agit pas d'une réticence, de la part de la direction du budget, à transmettre des informations, mais d'une question d'économie de moyens.

En outre, je vous invite à être vigilants quant aux exigences en matière de transparence. Il est proposé d'améliorer la transparence du tableau annexé au compte général de l'Etat qui recense les différents éléments du hors bilan. Or des intérêts économiques peuvent être associés à ces informations et intéresser nos concurrents ; il faut veiller à respecter le secret des affaires.

M. Philippe Marini, président. - Ne nous parlez pas de secret des affaires lorsqu'il s'agit d'informations globales qui ont vocation à nous permettre de nous faire une opinion sur la soutenabilité de nos finances publiques. Il ne s'agit pas de remettre en cause le secret des affaires.

M. Julien Dubertret. - S'il s'agit d'informations globales, cela ne me pose pas de problème, Monsieur le Président. Nous pouvons avoir une divergence sur le degré de détail attendu, mais je crois que nous sommes d'accord sur le fond.

Enfin, la Cour des comptes souhaiterait voir adopté un principe général de plafonnement des prélèvements sur certaines trésoreries, concernant notamment la COFACE. Pour ma part, je n'y suis pas favorable. Il ne s'agit pas d'une position nouvelle s'agissant de la direction du budget. Pour la plupart des dispositifs, notre obligation est de maintenir une trésorerie permettant de garantir le caractère liquide des appels en garantie. Il me semble - sous votre contrôle - que nos prélèvements sont raisonnables et prévisibles. Sur la base de mon expérience budgétaire, je sais qu'une trésorerie dormante le reste rarement très longtemps. Les trésoreries de précaution sont en général des butins qui sont convoités pour être dépensés à d'autres fins. J'ai donc une grande méfiance à l'égard des trésoreries trop importantes, constituées sur la base de calculs de risque très théoriques, et probablement faux compte tenu de la nature de l'activité de garantie de l'Etat.

M. Philippe Marini, président. - Concernant la COFACE, on comprend la logique budgétaire visant à préserver une marge de manoeuvre, sachant que l'élaboration de la loi de finances est chaque année un exercice difficile et que l'Etat a des devoirs vis-à-vis de la COFACE. On peut ici comprendre à la fois la logique de la Cour des comptes et la logique de la direction du budget. J'invite maintenant la direction générale des finances publiques à réagir.

M. David Litvan, chef du service comptable de l'Etat. - Je souhaite également remercier la Cour de comptes pour la qualité de son rapport. On y trouve des constats et des mises en perspective sur les engagements hors bilan de l'Etat, ainsi que des recommandations qui méritent de retenir toute l'attention nécessaire.

J'interviens pour ma part en qualité de chef du service comptable de l'Etat, à la direction générale des finances publiques. Celle-ci tient les comptes de l'Etat et veille en particulier à la comptabilisation des engagements hors bilan. Dans la situation financière actuelle, la transparence de l'information financière et comptable est essentielle. Depuis 2006, la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a permis une transparence accrue et une réforme comptable de grande ampleur.

Nous avons désormais des comptes qui, conformément aux bonnes pratiques, disposent d'une annexe riche, d'un dispositif de maîtrise des risques et d'une certification, ce qui constitue un levier pour la qualité des comptes. Un point important doit être souligné : l'annexe fait entièrement partie des états financiers et un quart de cette annexe traite des engagements hors bilan.

Je souhaiterais pour ma part apporter un éclairage sur trois aspects : premièrement le périmètre des normes, dont découle le périmètre des engagements, deuxièmement la production des informations, troisièmement l'information disponible et les progrès accomplis en 2012.

S'agissant de la notion de l'engagement hors bilan et de sa présentation pour la bonne information de la représentation nationale, venons-en, tout d'abord, au premier point : la notion d'engagement hors bilan dans les comptes et son rôle pour la bonne information sur la situation financière de l'État.

Dans le contexte de la crise, le besoin de transparence sur la situation financière de l'Etat s'est accru. Les engagements doivent être appréhendés dans leur globalité : pour cela, les passifs - dettes ou provisions - sont présentés dans le bilan si l'obligation envers le tiers est certaine ou probable, et si l'obligation peut être évaluée de façon fiable.

Les engagements hors bilan correspondent, quant à eux, aux passifs éventuels, résultant d'une obligation potentielle de l'Etat, ou aux obligations qui ne peuvent être évaluées de façon fiable. C'est ce degré d'incertitude qui les distingue des passifs. Il faut donc bien insister sur le caractère potentiel des engagements hors bilan. Ils sont d'une nature différente des passifs. On ne peut pas faire de simples additions.

Le périmètre des engagements hors bilan de l'Etat est fixé par une norme comptable dédiée.

Pour une entité comme l'Etat, le périmètre des engagements hors bilan est, en réalité, varié et étendu.

Au regard des règles comptables applicables à l'Etat, les engagements hors bilan sont ventilés en quatre grandes catégories principales.

La première catégorie au plan comptable porte sur les engagements de retraite des fonctionnaires ; ces engagements représentent, en montant, la masse prépondérante des engagements hors bilan.

La seconde catégorie au plan comptable concerne les engagements pris dans le cadre d'accords bien définis.

La troisième catégorie au plan comptable concerne les engagements liés à la mission de régulateur économique et social de l'Etat : il s'agit des transferts.

La quatrième catégorie au plan comptable est relative aux engagements découlant de la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat.

Au total, l'Etat dispose d'un corpus désormais complet de règles comptables, ce qui distingue la France d'autres pays.

M. Philippe Marini, président. - Je voudrais savoir si la France peut se prévaloir de cette situation au sein de l'Union européenne. Certains de nos partenaires sont loin d'être aussi transparents que nous. Engage-t-on des négociations sur ce point avec nos interlocuteurs de la Commission européenne ou d'autres Etats ? En particulier, quel est notre dialogue avec l'Allemagne où les engagements hors bilan peuvent relever soit de l'Etat fédéré, soit des Lander ?

Tout effort mérite rétribution. Dans le cas de la France, il s'agit de pouvoir capitaliser sur l'acquis que constitue la connaissance des engagements hors bilan, et d'obtenir que les autres pays européens avancent dans la même direction.

M. David Litvan. - Votre question est tout à fait légitime. Comme l'a indiqué tout à l'heure le président de la première chambre, une directive de 2011 a posé les bases d'un rapprochement potentiel des normes comptables au plan européen. Un rapport de la Commission européenne de mars 2013 vise à l'harmonisation des normes à l'échelle communautaire, pour laquelle la France peut faire prévaloir son modèle de références comptables. Alors que notre pays fait aujourd'hui figure d'exception au sein de la zone euro, des débats importants s'engageront en ce domaine. En ce qui concerne les autres Etats membres de l'Union européenne, les Néerlandais sont plutôt en retrait. Nous avons des échanges avec les Britanniques, avancés en la matière. Un colloque se tiendra fin mai à Bruxelles, où nous défendrons la force de notre réforme comptable. Dans les discussions au plan européen, il faudra convaincre nos voisins d'aller vers une comptabilité en droits constatés. Nous sommes très regardés par les autres pays, y compris anglo-saxons, qui étaient les plus en pointe, mais que nous avons rattrapés.

Je tiens à signaler une avancée forte en 2012, marquée par le basculement de la comptabilité de l'Etat dans le logiciel de gestion intégrée Chorus.

J'en reviens à la suite de mon exposé liminaire.

Dans le cadre des orientations en matière de contrôle interne comptable, la direction générale des finances publiques demande aux gestionnaires ministériels de structurer la documentation des différents dispositifs de recensement des engagements ; une « charte d'alimentation » de l'annexe des comptes a été diffusée et signée avec les principaux fournisseurs amont de l'information.

Sur cette base, c'est la direction générale des finances publiques qui établit le compte général de l'Etat et son annexe, au vu des contributions et des informations détenues par les différentes administrations.

La Cour des comptes souligne d'ailleurs cette amélioration notable dans son relevé d'observations relatif aux engagements. Même si elle reste bien entendu perfectible, l'information est jugée, par la Cour, « riche et fiable ».

Pour les comptes antérieurs, publiés au printemps 2012, un tableau de synthèse a été intégré en annexe, en accord avec la Cour des comptes. Ce tableau de l'annexe récapitule et chiffre les principaux engagements hors-bilan pour en donner une vision globale.

J'en terminerai enfin avec le troisième et dernier point : de nouvelles évolutions sont intervenues en 2012 pour consolider l'information dans les comptes sur les engagements hors bilan. Pour m'en tenir à l'essentiel, je citerai deux évolutions notables de 2012.

La première évolution notable concerne tout d'abord une évolution normative. Elle a été appliquée, pour la première fois, sur l'exercice comptable de 2012.

Le recueil des normes comptables de l'Etat intègre désormais, depuis 2012, des dispositions nouvelles sur la présentation dans les comptes des engagements relatifs à l'intervention économique et sociale. Nous pouvons prendre l'exemple des aides au logement. Les versements sur les exercices futurs, qui sont conditionnés aux ressources, sont intégrés en engagements hors bilan. La nouvelle norme permet une clarification de ce qui relève du passif et des engagements hors bilan.

Cette clarification normative a permis d'enrichir l'annexe, ce qui explique la forte hausse des engagements hors bilan en 2012 au titre de l'évolution économique et sociale. Elle conduit à retracer pour 2012 des montants complémentaires d'engagements hors bilan.

La seconde évolution notable de l'exercice comptable 2012  porte sur l'élargissement du périmètre des engagements hors bilan et de l'information qui s'y rattache. De nouveaux développements sont prévus dans le compte général de l'Etat ; présentés en annexe au projet de loi de règlement, ils feront état des « faits marquants » au titre des garanties accordées sur des dettes émises par des tiers.

Les évolutions marquantes portent, d'une part, sur les garanties accordées pour le soutien des pays de la zone euro et, d'autre part, sur l'intégration des nouvelles garanties accordées en lois de finances dans le cadre de la procédure en vigueur de la loi organique.

Enfin, un dernier point à souligner est que, sur la demande du Sénat et suite aux recommandations de la Cour des comptes, des informations complémentaires seront apportées sur les plafonds de dette garantie, ainsi que sur les encours pour les garanties à enjeux.

Ces différentes informations figureront dans l'annexe des comptes 2012 au prochain projet de loi de règlement.

A ce titre, la direction générale des finances publiques poursuivra un objectif d'amélioration continue et d'enrichissement des bonnes pratiques. Les recommandations de la Cour des comptes seront dans ce cadre tout à fait utiles et précieuses.

Monsieur le Président de la commission, Monsieur le rapporteur spécial, Monsieur le rapporteur général, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Monsieur le Président de la première chambre, je vous remercie pour votre attention.

M. Philippe Marini, président. - Merci pour cette contribution utile et complète. Le représentant de la direction générale du Trésor a-t-il des observations à formuler ?

M. Thomas Courbe, secrétaire général de la direction générale du Trésor. - Je ne formulerai qu'un seul commentaire. Une des recommandations de la Cour des comptes porte sur l'élaboration d'un nouvel outil de recensement de l'ensemble des garanties et d'un guide de procédures spécialisé. Je tiens à souligner la mobilisation très forte, depuis un an, de l'ensemble des administrations concernées, pour respecter la demande de la Cour des comptes. Des progrès dans les procédures de contrôle interne ont pu être constatés par la Cour. Même si des améliorations restent à accomplir, celles accomplies en l'espace d'un an sont notables.

M. Philippe Marini, président. - Merci pour ces éclairages. Je donne la parole au rapporteur spécial.

M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial. - Je n'aurai qu'une question pour laisser à mes collègues le temps de poser les leurs. L'encours total des engagements hors bilan n'inclut pas, faute de pouvoir les évaluer et les comptabiliser de manière fiable, les engagements découlant de la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat, au titre notamment de litiges fiscaux, de destructions d'armement ou de retraits de sites militaires. Car naturellement ces retraits ne sont pas gratuits, il faut remettre les terrains en état.

A-t-on un ordre de grandeur de ces engagements ? Quand pourra-t-on les retracer de manière fiable dans le compte général de l'Etat ?

M. François Marc, rapporteur général. - Beaucoup d'informations nous ont été communiquées. On peut remercier la Cour des comptes pour sa contribution active et les responsables de l'administration pour les précisions additionnelles qu'ils nous ont apportées.

Pour la première fois, nous disposons d'une présentation consolidée des engagements hors bilan de l'Etat, avec 3 091 milliards d'euros, ce qui est sensiblement plus élevé que le chiffre que nous avions en temps jusqu'à maintenant, soit 2 300 milliards d'euros selon le compte général de l'Etat 2011. Je note aussi qu'il serait utile de disposer de la même information pour les collectivités locales et les comptes sociaux.

Quelle est la plus-value de cette information ? Chacun connaît l'adage « Pour vivre heureux, vivons cachés ». Est-ce que le fait de vivre moins cachés nous apporte un bonus à quelque niveau que ce soit ? Ces informations constituent-elles un critère d'appréciation des agences de notation ?

J'ai une question sur le fond concernant le couple risque-rendement. Les manuels de management financier nous disent que le rendement a vocation à compenser la prise de risque. Dès lors, plus le risque est élevé plus un rendement élevé est exigé. Or on nous dit ici que le rendement est en baisse puisque l'on avait 4 milliards d'euros de recettes en 2006, 2 milliards d'euros entre 2009 et 2011, moins de 1 milliard d'euros en 2012. Incontestablement, nos engagements hors bilan rapportent beaucoup moins. Cela voudrait logiquement dire que ces engagements comportent moins de risques. Faut-il considérer que nous nous trouvons aujourd'hui dans des situations de prises de risque relativement modestes ?

M. Jean Arthuis. - Je voudrais saluer le travail accompli par la Cour des comptes, remercier le président, le rapporteur spécial et le rapporteur général d'avoir inscrit au programme de l'année cette enquête sur les engagements hors bilan de l'Etat et esquisser une réponse à la question que pose le rapporteur général : à quoi cela sert-il ? Je crois que cela peut servir à nos concitoyens pour comprendre l'urgence et la nécessité de certaines réformes, et à ne pas se faire d'illusion sur la réalité patrimoniale de l'Etat. Cette enquête doit servir d'instrument pédagogique. Nous devons donc veiller à ce que ces informations soient aussi lisibles et compréhensibles que possible.

Il y a évidement aujourd'hui une dimension européenne. Il y a quelques heures, j'étais à Luxembourg avec notre collègue Marc Massion. Nous étions hier matin au siège d'Eurostat et ce matin au siège du Mécanisme européen de stabilité (MES) et du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Chez Eurostat nous avons été reçus par le directeur général, M. Walter Radermacher, et nous avons rencontré M. Gallo Gueye, que nous connaissions déjà puisqu'il était venu s'exprimer devant la commission des finances à la fin du mois de mars 2010 pour nous expliquer qu'il ne disposait que de quinze collaborateurs pour prendre en charge le suivi des comptes des Etats membres de la zone euro. Bonne nouvelle : ils sont maintenant cinquante-cinq ! Ce qui est frappant est que, au fond, Eurostat, dans notre esprit, rassemblait d'abord des experts en macroéconomie, c'est-à-dire des experts en mesure des risques par rapport au dénominateur que constitue le produit intérieur brut (PIB). Mais ils deviennent en quelque sorte la direction générale de la comptabilité publique de l'Union européenne ou, en tout cas, de l'Eurozone. La question que nous nous posons est de savoir s'il ne manque pas, dans la gouvernance européenne, une direction générale du Trésor, dont le pendant serait une direction de la comptabilité publique à trouver du côté d'Eurostat.

Eurostat organise un colloque pour savoir si les engagements hors bilan le sont réellement ou bien s'il faut les considérer comme des éléments du passif. Nous allons avoir un vrai débat au niveau européen pour savoir si les engagements de retraite doivent rester hors bilan ou figurer au passif. Sur le plan européen, si nous voulons parfaire le modus vivendi et améliorer la gouvernance, il faut qu'il y ait une normalisation de la présentation des comptes publics, des méthodes d'évaluation et des diligences de certification qui garantissent la sincérité des comptes. C'est là, je crois, un point sur lequel la France peut probablement avancer. Nous avons comme référence la loi organique relative aux lois de finances, qui nous a été présentée comme un instrument de maîtrise de la dépense publique. La démonstration reste incontestablement à faire. Disons que si la LOLF nous a rendus lucides, elle ne nous a pas pour autant donné le courage suffisant pour mettre en oeuvre les réformes structurelles nécessaires.

Nous avons compris que, du côté du Mécanisme européen de stabilité et du Fonds européen de stabilité financière, que dirige Klaus Regling, se mettait en place un travail un peu analogue à celui du Trésor, consistant à veiller à la coordination des émissions avec l'ensemble des Etats membres. Tout cela nous est apparu particulièrement intéressant.

Pour revenir aux engagements hors bilan, j'ai bien noté que, concernant le FESF, vous avez pris en compte les engagements de la France du fait de ses déboursements, et que pour le MES, on s'en tiendra uniquement aux obligations en capital appelable.

Si l'on souhaite faire preuve de pédagogie jusqu'au bout, il conviendrait d'étendre le recensement des engagements hors bilan à la sécurité sociale. Il y a urgence à ce que les mêmes principes trouvent à s'appliquer aux organismes de sécurité sociale, et sans doute aussi aux collectivités territoriales. Dans ce cas, nous observerons probablement des engagements hors bilan « en double ». En tant que président d'un conseil général, je peux citer l'exemple de mon assemblée départementale qui apporte sa garantie aux emprunts de l'office d'habitation à loyer modéré (HLM) du département : cette opération apparaît en engagement hors bilan, sans être retracée dans les comptes consolidés de l'office HLM et du conseil général. Il faudra donc encore progresser, dans la perspective d'une agrégation de l'ensemble des comptes des institutions publiques.

Par ailleurs, j'avais écrit au Premier président de la Cour des comptes lorsque le Gouvernement et Electricité de France (EDF) étaient convenus qu'EDF pourrait constater une créance de 4,9 milliards d'euros sur l'Etat, au titre de la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Le Premier président m'a répondu qu'aucune dette n'était constatée au 31 décembre 2012, conformément aux normes comptables applicables à l'Etat. Est-ce dans ce cas un engagement hors bilan ?

La même remarque peut être formulée pour le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE). Les entreprises qui vont arrêter leurs comptes dans les mois qui viennent et jusqu'au 31 décembre 2013 pourront constater une créance sur l'Etat. Mais l'Etat ne constatera pas de dette au 31 décembre 2013. N'est-ce pas aussi un engagement hors bilan ? Peut-être faudrait-t-il alors considérer que d'autres dispositifs fiscaux, tel que le crédit d'impôt-recherche (CIR), relèvent de la même famille d'engagement.

Outre les partenariats public-privé (PPP), évoqués par le directeur du budget, on pourrait ajouter les baux emphytéotiques administratifs. C'est un vrai sujet car l'Etat évite momentanément des dépenses en ayant recours à des loyers alors que, s'il était maître d'ouvrage et aménageur, l'impact budgétaire serait tout à fait différent. Nous n'avons pas encore trouvé la bonne approche en termes de principes comptables, pas plus que dans l'autorisation délivrée par le Parlement, pour traduire cette réalité.

Je salue le travail accompli, qui constitue un progrès considérable. Je vous remercie, Monsieur le Président, de m'avoir laissé m'exprimer sur cette question importante.

M. Francis Delattre. - Mon collègue a déjà exprimé certaines de mes préoccupations, notamment en qui concerne le FESF. En complément des remarques précédentes, je souhaiterais savoir si le montant annoncé traduit vraiment les engagements pris par la France.

Concernant le CICE, j'ajouterais, par rapport à mon collègue, que nous savons aujourd'hui que la BPI va préfinancer le dispositif à hauteur de plusieurs milliards d'euros. En réalité, la BPI récupèrera des créances. Or ce mécanisme ne donne lieu à aucune inscription budgétaire.

Le rapport mentionne également le fonds de garantie des dépôts bancaires. En réalité, conformément au projet de loi bancaire récemment adopté par le Sénat, le conseil de résolution pourra intervenir avant même l'intervention normale d'un fonds de garantie. Le fonds de garantie consiste à dédommager les déposants, à hauteur d'un montant fixé par voie réglementaire, ce qui peut se traduire par des engagements hors bilan. J'ai également du mal à saisir votre démonstration concernant l'encours des dépôts du livret A. Comme le plafond de dépôt a pratiquement doublé, les engagements de garantie augmentent naturellement.

Enfin, vous indiquez qu'au titre des refinancements accordés à la banque Dexia, l'exposition de la France est d'environ 26 milliards d'euros. Pensez-vous que nous serons appelés à apporter un soutien financier complémentaire ou considérez-vous que cette question est réglée ? Et pouvez-vous nous confirmer que lorsqu'une collectivité accède directement au marché obligataire, il n'y a pas de risque sous-jacent pour l'Etat ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je tiens à mon tour à féliciter la Cour des comptes pour cette enquête technique mais intéressante, qui constitue un motif supplémentaire d'alerte. L'expression de « risque systémique » a été employée. Reconnaissons-le : dans la situation actuelle, ce n'est pas un facteur d'optimisme.

J'aurai plusieurs questions. Tout d'abord, les agences de notation s'intéressent-elles déjà aux engagements hors bilan ? Ensuite, pouvez-vous me confirmer que les partenariats public-privé sont bien inclus dans les engagements hors bilan, et sous quelle forme ? Enfin, ne devrait-on pas opérer davantage de distinctions entre les différentes opérations inscrites au hors bilan ? Cet ensemble ne devrait-il pas être éclaté ? Les garanties données par l'Etat n'ont pas de rendement a priori, et agréger un ensemble très divers n'a guère de sens.

M. Yvon Collin. - A mon tour, je remercie la Cour des comptes pour son excellent rapport sur les engagements hors bilan de l'Etat. Mais où en est-on de la comptabilisation de ces engagements pour les collectivités territoriales ? Un tel suivi est-il possible et souhaitable, et, dans ce cas, à quelle échéance ?

La Cour des comptes recommande l'information du Parlement en cas d'accroissement d'un risque lié à un engagement hors bilan. Doit-on comprendre qu'il sera procédé à une notation ou à une cotation des risques, de manière publique, notamment lors de la publication du projet de loi de finances initiale et de ses annexes ?

M. Jean Arthuis. - Notre préoccupation depuis plusieurs années en ce qui concerne les engagements hors bilan est renforcée par des constats sur certaines pratiques du monde de l'entreprise. L'ingénierie financière de certaines entreprises avait comme objectif de dissimuler leur endettement.

M. Philippe Marini, président. - Cachez cette dette que je ne saurais voir !

M. Jean Arthuis. - C'est ce qu'on appelle des financements innovants, auxquels il a été fait recours pour sauver les apparences que la France tenait ses engagements au niveau européen. On observe une tendance des Etats à dissimuler leur situation réelle, le cas extrême étant bien sûr celui de la Grèce.

M. Philippe Marini, président. - Le premier gouvernement Berlusconi avait aussi été très fort !

M. Jean Arthuis. - Un gouvernement peut avoir tendance, plutôt que d'investir dans la réalisation d'un commissariat de police, à souscrire un bail emphytéotique, alors qu'une telle opération plombe les budgets de l'Etat pour quinze ans.

M. Philippe Marini, président. - J'invite Raoul Briet, président de la première chambre, à répondre globalement aux questions de nos collègues.

M. Raoul Briet. - En réponse à Jean-Claude Frécon, la question de la responsabilité de l'Etat sur les litiges fiscaux éventuels, ainsi que la destruction de munitions et le changement de destination de sites militaires, correspondent à des travaux en cours dans le cadre de la certification des comptes. S'agissant des litiges fiscaux, nos progrès nous conduisent à espérer déboucher assez rapidement.

Sur la question du rapport rendement-risque évoqué par François Marc, il s'agit d'un sujet difficile qui renvoie à l'extrême hétérogénéité des engagements hors bilan, dont l'augmentation de l'encours ne se traduit pas nécessairement par un risque accru. Pour répondre également à Marie-Hélène Des Esgaulx, il ne faut pas seulement regarder l'ensemble de la commode, mais tirer chacun de ses tiroirs particuliers.

Ainsi, l'augmentation des engagements de retraite ne se traduit pas corrélativement par une hausse des risques qui s'y attachent. De même, certaines garanties présentent un caractère assurantiel. Je pense notamment au dispositif de la COFACE, qui apporte une garantie quasi systémique. La garantie de protection des épargnants a aussi pour vocation à ne pas être mise en oeuvre. Nous constatons donc une hétérogénéité des fonctions économiques qui s'attachent aux mécanismes de garantie, ce qui ne permet pas un traitement homogène.

M. Jean Arthuis. - A la Caisse des dépôts et consignations (CDC), la question s'est posée de faire apparaître ou non dans le bilan ces fonds détenus pour le compte de l'Etat, et pour lesquels la Caisse détient un mandat public pour en assurer la gestion. Ils relèvent plus du patrimoine de l'Etat que de celui de la Caisse des dépôts et consignations.

M. Philippe Marini, président. - Ces éléments sont donc bien traités en engagements hors bilan de l'Etat.

M. Raoul Briet. - Ils figurent bien dans le compte général de l'Etat. Au demeurant, pendant plusieurs années et jusqu'en 2016, la capacité de l'Etat à prélever sur la trésorerie sera considérablement affectée par la nécessité de satisfaire les exigences de fonds propres, conformément aux règles prudentielles des fonds d'épargne. Cette source de recettes va donc mécaniquement se tarir, afin de renforcer la sécurité à proprement parler des fonds d'épargne et d'éviter la mise en jeu du mécanisme de garantie.

En réponse à Jean Arthuis, s'agissant d'Eurostat, l'un des enjeux est de pouvoir faire prendre en compte la nécessité de l'harmonisation des données comptables par le conseil Ecofin, où sont traitées les politiques budgétaires. Il faut susciter l'intérêt stratégique des décideurs en charge de la surveillance macroéconomique et budgétaire à se servir de données homogènes entre tous les Etats.

En ce qui concerne les engagements hors bilan des organismes de la sécurité sociale, un débat est en cours au sein du Conseil de normalisation des comptes publics présidé par Michel Prada, qui a bon espoir de le voir aboutir, alors que les positions sur cette question sont particulièrement tranchées. Pour les collectivités territoriales, la difficulté porte sur l'agrégation de leur hors bilan.

Une annexe au compte général de l'Etat de 2012 détaillera la contribution au hors bilan du service public de l'électricité, ce qui renvoie à un engagement pris par l'Etat vis-à-vis d'EDF. L'objectif doit être que, le moment venu, EDF reçoive le surcroît de recettes publiques issu du service public de l'électricité.

M. Jean Arthuis. - Cette opération aurait pu être constatée autrement.

M. Raoul Briet. - Elle a été constatée en hors bilan.

En réponse à Francis Delattre, il faut comprendre que le Mécanisme européen de stabilité a vocation à se substituer au FESF.

S'agissant de Dexia, un rapport de la Cour des comptes doit être rendu public d'ici la mi-juillet. Ce sujet restera d'actualité pendant de nombreuses années, et nous aurons l'occasion d'en reparler.

A Marie-Hélène Des Esgaulx, j'indique qu'une mention sur les PPP figure dans le compte général de l'Etat. Par ailleurs, nous sommes en contact régulier avec la Commission européenne, le Fonds monétaire international et les agences de notation à propos de la comptabilisation et du recensement des engagements hors bilan. Le fait que la France dispose de comptes solides, certifiés par une autorité externe, participe de la crédibilité de nos finances publiques. Dans nos échanges réguliers avec les institutions communautaires, le processus de certification et la qualité du système comptable apportent des garanties de sérieux et de crédibilité. L'investissement consacré à la construction de ces outils commence à être payé de retour.

Je reviens enfin sur les aspects européens qui ont été en filigrane de plusieurs interventions. Depuis peu, il y a eu une prise de conscience au niveau européen quant à la nécessité de progresser vers une comptabilisation harmonisée. Le Commission européenne a fait part de ses premières réflexions sur ce sujet, avant un débat prévu en mai. Un tel sujet, sous ses aspects techniques et son opacité apparente, représente des enjeux de fond qui seront durables.

Le débat qui commence à se faire jour est de savoir si les normes internationales IPSAS du secteur public seront l'alpha et l'oméga des normes publiques européennes. En effet, les normes IPSAS ont un caractère instable et sont édictées par des entités n'incluant pratiquement aucun représentant des personnes publiques. A la Cour des comptes, avec l'appui du ministère de l'économie et des finances et le concours de Michel Prada, nous nous attachons à mettre en garde contre la tentation de facilité que serait une reprise pure et simple des normes IPSAS, avec leurs défauts techniques et de légitimité.

La Commission européenne a entendu ce discours, puisqu'elle parle désormais de normes European Public Sector Accounting Standards (EPSAS) : nous sommes donc passés des normes internationales IPSAS aux normes européennes EPSAS. Sur le fond, il s'agit d'obtenir des modifications substantielles, afin que ces normes publiques européennes permettent une surveillance harmonisée des comptes publics européens avec une légitimité qui soit basée sur les justiciables, c'est-à-dire les Etats, et non sur une légitimité importée de telle ou telle entité privée.

Monsieur le Président de la commission des finances, j'ai fait part de votre intérêt pour ces questions au Premier président Didier Migaud.

M. Julien Dubertret. - Sur les litiges fiscaux, un provisionnement est opéré, même si la procédure est sans doute perfectible ainsi que le remarque la Cour des comptes.

Sur les retraits de sites militaires, la réalité est celle d'une évaluation des coûts extraordinairement difficile. J'ai en tête l'exemple d'un site pollué par une entreprise qui fabriquait des explosifs : entre l'évaluation et le coût final de la dépollution, le rapport a été multiplié par cinq ou six. Pour pouvoir provisionner, il faut une capacité d'évaluation robuste.

Sur la question des finalités de tenir une comptabilité des engagements hors bilan, Jean Arthuis nous a donné sa vision des choses. J'adhère totalement à ce qu'a dit Raoul Briet sur le fait que cela présente une vraie valeur pour les observateurs extérieurs. En ce qui concerne les agences de notation, et pour les exercices auxquels j'ai pu participer, c'est un sujet important, et notre expertise étonne positivement les intervenants venant du monde anglo-saxon. En effet, la France dispose d'une comptabilité avec un vrai bilan et un vrai hors bilan est un enjeu considérablement s'agissant de l'élaboration des normes. Le fait pour nous d'avoir pris une longueur d'avance, ressentie comme telle par les autres intervenants en Europe, nous donne une capacité à éviter de tomber dans le piège des IPSAS, qui sont élaborées par des personnes qui ne sont pas spécialistes de l'Etat et des finances publiques et qui s'efforcent de transposer de manière un peu simpliste des normes strictement privées au monde public. Cela nous permet de développer des normes sur lesquelles nous pouvons peser pour faire en sorte qu'elles soient plus conformes à la manière dont nous devons retracer les opérations de l'Etat. La France est un pays où l'on réfléchit fortement à l'action publique. Nous avons dans le domaine de la comptabilité générale publique une longueur d'avance et je crois qu'il faut la valoriser.

S'agissant de la CSPE, la question était de savoir s'il s'agissait d'éléments de passif ou de hors bilan. Dans la mesure où il existe un mécanisme qui permet de revenir à l'équilibre sur cette ligne de dépense sans faire appel à l'Etat, l'inscription en hors bilan me paraît raisonnable.

Sur le CICE, il faut faire attention : le CICE correspond à une créance qui se constitue au cours de l'année 2013 et il n'y a donc pas lieu de retracer une quelconque créance à la fin de l'année 2012. Quant à la question posée par Francis Delattre sur le mécanisme d'avance de trésorerie réalisée pour les petites entreprises par la Banque publique d'investissement (BPI), cette opération est neutre en termes de constitution de créance sur l'Etat, dans la mesure où les créances de certaines entreprises sont portées par la BPI qui se trouve ainsi subrogée. Ceci est neutre pour l'Etat sur le plan comptable.

M. Francis Delattre. - La BPI opère aujourd'hui des paiements, vous allez devoir la rembourser à un moment où à un autre.

M. Julien Dubertret. - Absolument, mais ne mélangeons pas droits constatés et trésorerie.

M. Philippe Marini, président. - Ce qui compte est l'inscription à la fin de l'exercice au bilan de l'Etat.

M. Julien Dubertret. - Tout à fait. Cette opération d'avance de trésorerie est neutre sur l'inscription fin 2013. En revanche, elle n'est pas neutre en ce qui concerne le créancier. Elle sera due à la BPI dès lors que la BPI aura effectué une avance.

M. Francis Delattre. - Donc la BPI fait bien l'avance à la place de l'Etat !

M. Philippe Marini, président. - Oui, pour le compte de l'Etat.

M. Julien Dubertret. - Absolument : pour le compte de l'Etat.

M. Francis Delattre. - Mais ce n'est pas un engagement hors bilan ?

M. Philippe Marini, président. - Non, ce n'est pas un engagement hors bilan, mais une avance de trésorerie.

M. Julien Dubertret. - Qui constitue un passif de l'Etat au profit de la BPI en substitution de l'entreprise bénéficiaire.

M. Francis Delattre. - On parle tout de même là de vingt milliards d'euros pour 2013 d'après la loi. Ce n'est pas rien !

M. Philippe Marini, président. - Pour en revenir à la comptabilité, seront inscrites au passif de l'Etat à la fois la créance que se constitue la BPI sur l'Etat à travers ces avances, qui donneront d'ailleurs sans doute lieu à la facturation d'un coût d'intervention, et les créances des entreprises qui n'ont pas eu recours à ce mécanisme. Il s'agit bien d'inscriptions au bilan de l'Etat.

M. Julien Dubertret. - Tout à fait. L'activité de la BPI, souhaitée par le Gouvernement, est sans effet sur le montant total de la créance qui sera constatée.

M. Philippe Marini, président. - Cela ne constitue en rien un engagement hors bilan.

M. Julien Dubertret. - Absolument. S'agissant de la remarque de Marie-Hélène Des Esgaulx, je crois qu'il faut voir tout ceci de manière positive : plutôt que de lancer une alerte, il s'agit d'éclairer les décideurs. Je crois que vous avez raison de souligner qu'il y a différents types d'opérations hors bilan et qu'une sommation sèche est quelque peu réductrice. Il est sans doute un peu trompeur d'additionner les engagements de retraites et ceux relevant des dettes garanties. Ces opérations n'ont pas tout à fait la même signification. Cela invite, vous avez raison, à porter un regard un peu plus aiguisé.

S'agissant des PPP, le cas le plus fréquent est que la garantie soit inscrite en hors bilan jusqu'au moment de la livraison, date à partir de laquelle le paiement des loyers du PPP se déclenche en crédits de paiement. On passe alors du hors bilan au budgétaire et au compte de résultat de l'Etat.

S'agissant du recensement des engagements hors bilan des collectivités territoriales, on ne peut y voir que des avantages, mais il s'agit d'un chantier considérable. Il faudrait pour cela que des dispositions légales ou organiques soient adoptées tendant à l'obligation d'une comptabilité dans des conditions qui permettent une certification de l'ensemble des comptes des collectivités territoriales.

M. Philippe Marini, président. - Lorsque certaines collectivités de taille importante ont recours aux marchés financiers pour leur financer, je suppose que leurs comptes et leur budget sont audités et qu'il y a un rating. Il leur alors appliquer ce type de méthodologie pour apprécier les risques qu'elles portent.

M. Julien Dubertret. - On peut en effet imaginer qu'une grosse collectivité soit astreinte par certaines structures de marché à se livrer à une telle discipline. C'est une hypothèse raisonnable. Il demeure cependant de nombreuses lacunes pour beaucoup de collectivités. Je ne crois pas que chaque collectivité de France ait un état exhaustif de ses engagements hors bilan, surtout lorsque nous constatons que certaines collectivités recourrent de manière importante aux baux emphytéotiques, plus que l'Etat d'ailleurs. Je ne suis pas certain que ces baux soient systématiquement retracés dans leurs comptes. Un tel chantier correspondrait à une oeuvre de longue haleine.

M. Philippe Marini, président. - Permettez-moi d'évoquer un exemple. L'Etat décide de la réforme des rythmes scolaires qui induit un coût. Certaines communes la mettent en oeuvre la première année, d'autres, et il s'agit de la majorité des communes l'année suivante. Est-ce que ces communes qui décalent la mise en oeuvre de la réforme n'ont pas déjà pris un engagement qui devrait être comptabilisé ?

M. Julien Dubertret. - Je serais curieux de savoir comment les communes ont comptabilisé le passage à la semaine de quatre jours, sachant qu'aucune dotation ne leur a été retirée à ce titre.

M. Philippe Marini, président. - Ce n'est pas un gain puisqu'il s'agit du maintien d'une dotation existante. En tout état de cause, on aurait du mal à faire du purisme comptable s'agissant des finances locales, car ce serait vraiment un marteau-pilon pour écraser une mouche.

M. Julien Dubertret. - Vous pointez là une vraie question : la comptabilité générale n'est pas un outil adapté pour retracer les engagements. Nous savons comment fiabiliser des engagements hors bilan mais la comptabilité générale ne permet pas de retracer les engagements qui ont vocation à se traduire, de façon certaine, par des décaissements dans les années à venir. Il existe pour cela un outil complémentaire qui est la budgétisation en autorisations d'engagements et en crédits de paiements. Le décret sur la gestion budgétaire et comptable publique, publié en novembre dernier, tient compte de cette question. Il invite certaines entités, telles que les opérateurs de l'Etat, à tenir à la fois une comptabilité en droits constatés - ce qu'elles ne font pas entièrement aujourd'hui - et un budget en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, afin d'avoir un suivi de trésorerie et d'engagement fiable.

M. David Litvan. - Je souhaiterais souligner deux points. Premièrement, les débats illustrent le caractère relativement complet de l'annexe et des comptes. Par vos questions, nous avons vu que les principales préoccupations sont traitées ou sont en voie d'être traitées dans les comptes : la CSPE figure en annexe, les PPP non livrés relèvent des engagements hors bilan et ceux qui sont livrés figurent en actif avec une partie en dette. C'est vrai également pour les engagements au titre de litiges fiscaux, qui donnent lieu à une inscription au passif.

Deuxièmement, nous observons le caractère très structurant des normes comptables pour les administrations publiques. Le conseil de normalisation des comptes publics préconise, de ce point de vue, une harmonisation des règles comptables, à la fois pour l'Etat, les opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités locales. Bien sûr, il existe des spécificités dont il faut tenir compte mais la tendance est bien une harmonisation croissante. Ceci se vérifie également entre les Etats. Si nous souhaitons, comme le président Jean Arthuis l'a souligné, aller vers une comparaison accrue entre les Etats membres, les débats communautaires seront essentiels. Derrière la question des normes internationales (IPSAS) ou européennes (EPSAS), le point essentiel est la capacité de l'Union européenne à se doter d'une véritable instance de normalisation des comptes, comme l'Etat a pu le faire avec le conseil de normalisation des comptes publics. C'est dans ce cadre communautaire qu'il nous appartiendra de mettre en avant la réforme comptable française. En très peu d'années, des progrès considérables ont été accomplis, grâce à une très forte mobilisation de l'administration.

M. Thomas Courbe. - Je souhaite apporter des éléments de réponse complémentaires au sénateur Francis Delattre. Au titre du FESF, il y a bien 53,2 milliards d'euros de garantie de l'Etat au principal, qu'il convient de comparer au plafond autorisé de 159 milliards d'euros dans la loi de finances rectificative pour 2011. Le FESF était conçu comme une institution temporaire, qui ne pourra agir au-delà du 1er juin 2013. Pour répondre à la question de l'impact, je précise que nous avons bien pour le FESF une comptabilisation en dette garantie, et pour le MES une participation financière pour le capital libéré et un engagement hors bilan pour le capital restant.

S'agissant de Dexia, le président de la première chambre de la Cour des comptes a indiqué qu'un rapport serait publié prochainement. Il est possible de confirmer le montant de la garantie à 26,889 milliards d'euros au 31 décembre 2012.

Comme l'a indiqué Julien Dubertret, les agences de notation ont une appréciation très positive des informations concernant les engagements hors bilan. Ce sujet fait l'objet de discussions avec les agences lors des différentes rencontres. Il convient de préciser que les agences de notation ne disposent pas d'une méthodologie fixant des montants d'engagements hors bilan à ne pas dépasser. Elles ont une analyse au cas par cas des différents engagements hors bilan et des risques qui y sont attachés.

M. Jean-Claude Frécon. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, mes chers collègues, en conclusion je souhaiterais faire trois observations. Cette enquête de la Cour des comptes est-elle une alerte ? Je la considère pour ma part comme quelque chose de positif car il vaut mieux, que nous ayons une bonne connaissance des engagements hors bilan. Je fais le pari que si ces informations n'étaient pas connues par les agences de notation, cela pourrait se traduire par une dégradation supplémentaire dans l'appréciation de notre risque souverain.

Deuxièmement, le besoin d'harmonisation, au moins au niveau de la zone euro, est souvent évoqué. Il est certes nécessaire de développer des procédures comptables normalisées afin de réaliser des comparaisons européennes. Mais n'oublions pas de balayer devant notre porte sur le territoire national ! Comme la Cour des comptes l'a souligné, certains opérateurs, pour lesquels l'Etat apporte sa garantie, n'ont pas les mêmes procédures comptables que l'Etat. Pour reprendre une formule de l'instituteur que j'étais il y a une trentaine d'années, il n'est pas possible d'additionner des carottes, des salades et des navets, sauf à considérer que ce sont tous des légumes. Nous avons donc encore du travail pour préciser ces informations.

Troisièmement, je partage pleinement l'esprit et l'objectif de la recommandation n° 4 de la Cour des comptes, qui propose d'« alerter le Parlement dès lors qu'en cours d'exercice, un engagement hors bilan significatif connaît une croissance rapide de son encours ou une hausse de sa probabilité de réalisation ».

M. Yvon Collin. - Très bien !

M. Jean-Claude Frécon. - Il faut que nous soyons avertis le plus vite possible, sans attendre la loi de règlement ni même le projet de loi de finances rectificative, afin que nous puissions prendre des mesures appropriées. C'est là le rôle d'une assemblée telle que la nôtre. A la commission des finances, nous soutenons cette recommandation n° 4. Ce principe est essentiel pour avancer.

M. Philippe Marini, président. - Je confirme que Jean-Claude Frécon a bien explicité la position de la commission des finances. S'agissant de cette recommandation de la Cour des comptes, soit elle est respectée dans la pratique, soit il faudra amender la loi organique. Mais cette recommandation peut, peut-être, être satisfaite spontanément par la direction du budget dont elle traduit une préoccupation naturelle.

M. Julien Dubertret. - Je ne suis pas du tout réticent à l'idée d'une meilleure information du Parlement. Il était pour moi une évidence que le Parlement devait être informé sans délais, en cours d'année, dans les cas de figure visés par la recommandation n° 4.

Nous agissons d'ores et déjà en ce sens lors de la discussion des projets de loi de finances initiale et rectificative, qui donnent lieu à un passage en revue de l'ensemble des engagements hors bilan de l'Etat, y compris des garanties qu'il apporte.

Mais j'appelle votre attention sur un point. Si nous n'avons pas de désaccord, il ne faudrait pas tomber dans des annonces autoréalisatrices lors de la communication aux commissions des finances. Si le Gouvernement commettait alors une indiscrétion, ou se livrait à une publicité qui ne serait pas de mise, le risque pourrait être accru et engager pleinement l'Etat.

M. Philippe Marini, président. - L'expérience montre que la vérité est, en toutes circonstances, la moins coûteuse des solutions.

Sans que le sujet des engagements hors bilan n'ait été épuisé, je vous propose, mes chers collègues, d'autoriser la publication de l'enquête de la Cour des comptes qui sera jointe en annexe à un rapport d'information de notre collègue Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial.

La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte-rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.

Refondation de l'école de la République - Communication

M. Philippe Marini, président. - J'informe la commission des finances que la commission de la culture siégeant hier n'a pas intégré l'ensemble des amendements adoptés par notre commission des finances au texte qu'elle a établi sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République. Notre collègue Claude Haut, rapporteur pour avis, sera donc conduit à présenter, au nom de la commission des finances, lesdits amendements lors de la séance publique.