Mercredi 15 avril 2015

- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 33

Approbation de l'arrangement concernant les services postaux de paiement et approbation de la Convention postale universelle - Examen du rapport et des textes de la commission

La commission examine le rapport de M. Robert del Picchia et les textes proposés par la commission pour les projets de loi n° 327 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'arrangement concernant les services postaux de paiement et n° 328 (2014-2015) autorisant l'approbation de la Convention postale universelle.

M. Robert del Picchia, rapporteur. - Monsieur le Président, Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi n° 328 (2014-2015) autorisant la ratification de la Convention postale universelle et le projet de loi n° 327 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'arrangement concernant les services postaux de paiement.

La Convention postale universelle tout comme l'arrangement concernant les services postaux de paiement comptent parmi les actes qui régissent les obligations découlant de l'Union postale universelle (UPU). Ceux-ci font l'objet d'une révision, tous les quatre ans, par les plénipotentiaires de tous les pays membres de l'UPU réunis en Congrès, en vue de garantir le bon fonctionnement du service postal international et de prendre en compte les évolutions du secteur. Le Congrès postal représente en effet l'autorité suprême de l'Union postale universelle. Le dernier Congrès réuni à Doha en 2012 a donc procédé à cette révision et a fixé la date d'entrée en vigueur de ces actes au 1er janvier 2014. Ils ont un caractère essentiellement technique.

A titre liminaire, je vous rappelle que l'Union postale universelle est une organisation intergouvernementale créée sous le nom d'« Union générale des Postes » par le traité de Berne en 1874. Composée à l'origine de 22 membres, elle en compte 192 aujourd'hui. Depuis 1948, l'UPU est une institution spécialisée des Nations unies, dont la langue officielle est le français et qui a pour objectif de « stimuler le développement durable de services postaux universels de qualité, efficaces et accessibles, pour faciliter la communication entre les habitants de la planète en garantissant la libre circulation des envois postaux sur un territoire postal unique composé de réseaux interconnectés ; en encourageant l'adoption de normes communes équitables et l'utilisation de la technologie ; en assurant la coopération et l'interaction entre les parties intéressées ; en favorisant une coopération technique efficace et en veillant à la satisfaction des besoins évolutifs de la clientèle. »

Son financement est toutefois indépendant de l'Organisation des Nations unies. Les dépenses budgétaires sont financées par les Etats membres selon un système de classe de contribution. Depuis 1992, l'UPU a adopté une politique de croissance zéro. Son budget annuel est d'environ 37 millions de francs suisses, soit environ 37 millions d'euros. La France fait partie des quatre plus gros contributeurs et a versé, au titre de 2014, 1,9 million d'euros, pour la dotation de fonctionnement et les frais de traduction.

Depuis le Congrès de Vienne de 1964, les modalités d'acheminement et de distribution des envois postaux internationaux ainsi que les rapports entre les Etats et entre les opérateurs désignés pour assurer les obligations découlant du traité de Berne sont régis par les actes de l'Union Postale Universelle que sont la Constitution, le Règlement général et, ce qui nous occupe aujourd'hui, la Convention postale universelle et l'Arrangement.

La Constitution de l'Union postale universelle avec ses protocoles additionnels est l'Acte fondamental de l'Union qui contient les règles organiques de l'Union et ne peut être modifiée que lors d'un Congrès, par l'adoption d'un protocole additionnel soumis à ratification.

Le Règlement général précise l'application de la Constitution et le fonctionnement de l'Union. Il est modifié dans les mêmes conditions que la Constitution.

La Convention postale universelle comprend les règles communes applicables au service postal international, les dispositions concernant les services de la poste aux lettres et des colis postaux, ainsi que celles relatives aux rémunérations que les opérateurs postaux se versent pour compenser les coûts de traitement et de distribution des envois internationaux. Elle est complétée, depuis 1999, par deux règlements d'exécution, l'un relatif à la poste aux lettres et l'autre aux colis postaux.

L'Arrangement concernant les services postaux de paiement régit, depuis 1999, l'ensemble des prestations postales visant à transférer des fonds. Il n'est obligatoire que pour les pays membres, parties à l'arrangement.

La pratique veut qu'après chaque Congrès postal, l'ensemble des textes soit renouvelé.

Comme les précédentes, la Convention postale universelle issue du Congrès de Doha de 2012, et qui fait l'objet du premier projet de loi que la commission examine aujourd'hui, est composée de quatre parties. La première fixe les règles communes applicables au service postal international (articles 1er à 12) ; la deuxième précise les règles applicables à la poste aux lettres et aux colis postaux (articles 13 à 28) ; la troisième traite des modalités relatives à la rémunération que les opérateurs désignés se versent entre eux pour compenser les coûts de traitement et de distribution des envois internationaux (articles 29 à 37) et la quatrième et dernière partie contient classiquement les dispositions finales (articles 38 à 40).

La Poste est l'opérateur désigné pour appliquer les règles relatives au service postal international, fixées par la Convention postale universelle.

Les modifications apportées par ce Congrès sont de nature technique et n'appellent pas de commentaires particuliers. Je vais donc vous faire part des plus importantes.

Des règles relatives aux données personnelles des usagers postaux ont été ajoutées en vue d'assurer leur confidentialité et leur sécurité selon la législation du pays membre. Une définition des données personnelles présentées comme « des informations nécessaires pour identifier un usager du service postal » figure désormais à l'article 1er. Selon les principes posés à l'article 12, ces données ne peuvent être utilisées qu'aux fins pour lesquelles elles ont été recueillies conformément à la législation nationale applicable et ne sont divulguées qu'aux tiers autorisés par cette même législation. Les usagers doivent être informés de la finalité de la collecte de leurs données personnelles et de l'utilisation qui est faite de celles-ci.

En France, ces dispositions seront appliquées à la lumière de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et de la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public.

Le champ d'exonération des taxes postales a été étendu en faveur des prisonniers de guerre et internés civils ainsi que des envois pour les aveugles.

La France a émis une réserve sur ces dispositions prévues à l'article 7 afin d'appliquer une réglementation plus favorable qu'elle avait élaborée en concertation avec les associations représentant les personnes malvoyantes en 2009.

Tous les timbres-poste, notamment ceux utilisant de nouvelles technologies, devront être compatibles avec les machines destinées au traitement du courrier (article 8). Ce point ne soulève pas de difficulté en France puisque la Poste a le monopole d'émission des timbres-poste portant la mention France.

Suivant une proposition de 20 Etats membres dont la France, les pays membres et les opérateurs de l'UPU devront se conformer aux normes de sûreté de l'Union postale, en particulier aux exigences relatives à la fourniture de données électroniques préalables pour les envois postaux internationaux identifiés pour des raisons à la fois douanières et de sûreté et de sécurité de l'aviation. La sûreté aérienne est un secteur très sensible actuellement dont la règlementation est en plein essor (article 9).

Les envois postaux (lettres, cartes postales, imprimés, journaux) seront classés selon trois formats, petit, moyen et grand (article 14).

La convention prévoit un service supplémentaire très attendu par les acteurs du « e-commerce », celui du retour de marchandises par le destinataire à l'expéditeur d'origine sur autorisation de ce dernier (article 15).

Elle donne aussi la possibilité aux pays membres ou aux opérateurs désignés de convenir entre eux de participer à des services électroniques postaux limitativement énumérés et définis : le courrier électronique postal recommandé ou non, le cachet postal de certification électronique ainsi que la boîte aux lettres électronique postale (article 17).

La Convention détaille les envois non admis et les interdictions, dont on retiendra notamment celle relative aux objets de contrefaçon. Elle prend également en compte les dispositions du code des douanes communautaires concernant le droit de représentation lors du traitement avec les autorités douanières. (articles 16, 18 et 20)

Le régime de responsabilité des opérateurs et de l'indemnisation est modifié. Il est ainsi précisé que les dommages indirects ou les préjudices moraux ne sont pas pris en compte dans le montant de l'indemnité à verser et que le destinataire a droit à une indemnité pour un envoi spolié, avarié ou perdu si l'expéditeur se désiste de ses droits par écrit en sa faveur (articles 23, 24 et 26).

Venons-en maintenant à l'arrangement concernant les services postaux de paiement qui fait l'objet du second projet de loi examiné aujourd'hui. L'arrangement adopté à Doha en 2012 se substitue à celui de 2008, mais n'est pas très différent sur le fond. Comme le précédent, il se divise en trois parties. La première porte sur les principes communs applicables aux services postaux de paiement, la deuxième aux règles applicables aux services postaux de paiement, la troisième aux dispositions transitoires et finales, notamment aux réserves.

Le nouvel arrangement apporte les quelques modifications suivantes.

L'article 1 élargit le nombre de produits concernés aux mandats contre remboursement qui visent le paiement effectué par le destinataire de l'envoi et aux mandats urgents qui visent la transmission d'un ordre postal de paiement dans un délai ne dépassant pas trente minutes.

La Poste est l'opérateur désigné pour offrir les trois services postaux de paiement que sont le mandat en espèces, le mandat de paiement et le mandat de versement, à l'exclusion donc des virements postaux, des mandats contre remboursement et des mandats urgents. L'article 1er, je vous le rappelle, exige seulement la mise en oeuvre d'au moins un des services postaux de paiement qu'il prévoit. L'offre de mandats internationaux s'effectuera par l'intermédiaire de La Banque postale, filiale de La Poste, qui fixera librement les tarifs en fonction des montants transférés et selon le mode de transfert utilisé, papier ou électronique. Les modalités électroniques seront favorisées pour des raisons de coût.

L'arrangement renforce aussi la confidentialité et la sécurité des données personnelles et prévoit l'obligation pour les opérateurs désignés d'appliquer un nombre minimal d'éléments et de normes de qualité de service pour les ordres de paiement postaux transmis par voie électronique.

Il comporte en outre des obligations relatives à la mise en oeuvre des moyens nécessaires pour lutter contre le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme, la criminalité financière et le signalement des transactions suspectes. Enfin, il précise que la responsabilité des opérateurs cesse dès que les sommes ont été payées, créditées ou remboursées.

Sous le bénéfice de ces observations, je recommande l'adoption de ces deux projets de loi qui sont à la fois conformes à notre droit interne et à celui de l'Union européenne et qui faciliteront l'adaptation des services postaux internationaux aux développements technologiques, à la demande des clients et à la concurrence s'agissant des services financiers transfrontaliers. Le service postal international en sera sans conteste amélioré.

L'examen en séance publique est fixé au jeudi 7 mai 2015 à 9h30. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée.

M. André Trillard. - Je me réjouis de cette évolution qui devrait être favorable à nos concitoyens dans le domaine des services de paiement internationaux. Je me demande toutefois si les bureaux de poste amélioreront leurs performances qui n'ont pas toujours été au rendez-vous jusqu'ici. En effet, je n'ai jamais oublié une campagne électorale sénatoriale où j'ai dû attendre sept jours pour obtenir que deux mille timbres soient acheminés d'un bureau voisin, situé à 10 km jusqu'au bureau de poste de ma commune (3 700 habitants). J'aime beaucoup les textes mais je préfère encore leur application.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Ma question ne concerne pas directement ces conventions, mais connaissez-vous le nombre de bureaux de poste susceptibles d'être fermés ?

M. Robert del Picchia, rapporteur. - Je peux vous dire que La Poste a récemment annoncé l'ouverture de points de contacts en milieu urbain qui permettront de confier les services de courrier et de colis à des supermarchés ou des bureaux de tabac. Elle a indiqué, à cette occasion, qu'il n'y avait pas de suppression de bureaux de poste à l'ordre du jour.

M. Jean-Paul Emorine. - Il y a eu une réforme postale que j'ai bien suivie en qualité de Président de la commission de l'économie : La Poste a notamment été transformée par la loi en société à capitaux publics. La loi de 2010 garantit 17 000 points de contact postaux, sous différentes formes : bureaux de poste, agences postales communales, points de contact chez les commerçants. La convention entre La Poste et l'Association des maires de France prévoit le versement d'une compensation financière ; par ailleurs, le contrat d'entreprise entre l'Etat et la Poste prévoit une couverture des coûts du service universel postal. Que nos collègues soient rassurés, La Poste est bien présente sur l'ensemble du territoire.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je vois que nous sommes tous passionnés par ces questions que nous avons eu à affronter à un moment ou un autre. Il me semble néanmoins que nous sommes loin des conventions examinées par notre rapporteur...

M. Hubert Falco. - C'est une question essentielle pour l'aménagement du territoire.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Je suis ravie de la diversité des sujets étudiés dans cette commission. Je tiens à souligner que le développement de La Banque postale est une bonne décision qui permet d'apporter des services aux collectivités territoriales et notamment aux petites communes comme les avances de trésorerie, les prêts à court et à moyen terme. Je tiens à saluer le défi relevé par La Banque postale après les épisodes bancaires que notre pays a connus.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je partage naturellement ce point de vue.

M. Jacques Legendre. - Je lis dans la Convention postale universelle que le timbre-poste comprend le nom du Pays membre ou du territoire émetteur en caractères latins et que la Grande-Bretagne bénéficie d'une dérogation, en tant que pays inventeur du timbre-poste. Je trouve cela curieux. Avez-vous une explication ?

M. Robert del Picchia, rapporteur. - Non, il arrive que des exceptions soient aménagées, en particulier pour nos amis britanniques.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport ainsi que les projets de lois précités.

Prévention des conflits dans le Golfe de Guinée - Examen du rapport d'information

La commission examine le rapport d'information de MM. Jeanny Lorgeoux, André Trillard et Jean-Marie Bockel, co-présidents du groupe de travail sur la prévention des conflits dans le Golfe de Guinée.

M. Jeanny Lorgeoux. - Notre commission a décidé, fin 2013, de créer un groupe de travail sur la prévention des conflits dans le Golfe de Guinée. Peut-être était-il incongru, au regard des crises en Libye, Syrie, Irak ou maintenant en Ukraine, de tenter de donner une nouvelle actualité à la thématique ancienne qu'est la prévention des conflits. Mais elle a retrouvé une grande actualité dans les débats à l'ONU ces dernières années et l'émergence de ces crises met justement en avant toute l'acuité de la prévention. Une action préventive précoce, menée en pleine concertation avec l'ensemble des acteurs internationaux, régionaux et nationaux, est bien plus efficace, y compris en termes de coûts, que des mesures prises en urgence et a posteriori.

À l'origine du choix de la commission se trouvait plus particulièrement la question de la piraterie dans la région du Golfe de Guinée, qui prenait des proportions inquiétantes. Mais l'intensification des actions de Boko Haram, y compris sur un plan géographique, et l'instabilité qu'elles entraînent dans toute la région du Lac Tchad nous a amené à élargir le champ de notre étude.

M. Jean-Marie Bockel. -Nous avons choisi de nous limiter à une approche géographiquement limitée du Golfe de Guinée, c'est-à-dire aux pays voisins ou proches du Nigeria.

Cette région dispose de ressources naturelles très importantes. Elle offre de grandes superficies en terres arables, d'abondantes ressources en eau et des conditions climatiques favorables à l'agriculture. Ce potentiel agricole, aujourd'hui sous-exploité, est convoité comme le révèlent certains investissements en provenance d'Asie ou du Moyen-Orient. Les ressources halieutiques pourraient également être importantes mais la production de pétrole, sur la côte et off-shore, entraîne une pollution qui en limite fortement le développement.

Les ressources minières sont diversifiées et stratégiques, en particulier si l'on inclut les pays « de l'intérieur » qui ont besoin d'un accès à la mer pour exporter : on trouve par exemple du cuivre ou du cobalt mais quatre minerais sont susceptibles d'avoir un effet sur les marchés mondiaux, le fer, la bauxite, le manganèse et l'uranium.

Ce tableau ne serait pas complet sans les ressources en hydrocarbures, qui présentent un caractère éminemment stratégique pour les pays de la zone et pour le reste du monde. Environ 10 % du pétrole importé en Europe provient de cette région. Premier producteur d'Afrique, le Nigeria assure, à lui seul, 2,6 % de la production pétrolière mondiale et possède environ le même pourcentage des réserves prouvées.

Au total, il est donc essentiel, pour ces pays, mais aussi pour la France, l'Europe et le reste du monde, de sécuriser les voies de communications, notamment maritimes. Elles permettent à ces pays d'exporter leurs ressources et aux autres pays d'importer des ressources naturelles importantes.

La situation est, de ce point de vue, différente de celle que nous avons connue - et connaissons encore - au large de la Somalie, dans le Golfe d'Aden, où il est principalement question de sécuriser le transit international. Dans le Golfe de Guinée, il y a peu de transit de ce type, les navires passant nettement au large du Golfe.

Or dans cette région, les menaces sont multiples et pèsent déjà fortement sur le développement. Le Golfe de Guinée connait une criminalité maritime endémique, qui a longtemps plus relevé d'un phénomène de subsistance des populations locales que d'un trafic organisé de portée plus large. Cette zone représente l'une des trois zones de piraterie dans le monde, avec le Golfe d'Aden et le Sud-Est asiatique.

Toutes les attaques ne sont pas répertoriées et il n'existe donc pas de consensus sur les chiffres. Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, indiquait, début 2014, que 154 attaques de navires avaient été officiellement déclarées par les armateurs en 2013 mais que ses services estimaient leur nombre réel à trois fois plus. Selon le Bureau maritime international, la piraterie en Afrique de l'Ouest représentait 19 % des attaques dans le monde en 2013, les pirates nigérians étant responsables des deux tiers des attaques répertoriées dans la région. Les autorités nigérianes ont reconnu en décembre dernier que la recrudescence de la piraterie avait atteint « une dimension inquiétante ».

Alors que ces attaques s'apparentaient pendant longtemps à du simple vol auquel s'était en fait habituées les compagnies internationales, elles sont depuis quelques années nettement plus sérieuses et violentes et sont susceptibles de toucher l'ensemble du trafic maritime. Au-delà des vols de toute nature, il faut mentionner deux manifestations particulières de la piraterie :

- le « siphonnage » (ou « bunkering ») qui consiste à arraisonner des pétroliers par la force dans le but de dérober leur cargaison. Elle nécessite d'importants moyens et servent souvent à alimenter le marché noir au Nigeria lui-même ;

- les prises d'otages, qui peuvent être préméditées ou d'opportunité à l'occasion d'un vol ou de l'arraisonnement d'un navire. Trente prises d'otages ont été recensées en 2013. Lors de l'attaque en juin 2013 du pétrolier L'Adour, deux Français ont été pris en otage, puis relâchés six jours plus tard.

Dans la région du Golfe de Guinée, notamment au Nigeria, ces différentes attaques se caractérisent par un niveau de violence particulièrement élevé. Elles ont longtemps été cantonnées aux côtes du Nigeria mais elles se sont étendues aux pays voisins, le Nigeria en restant l'épicentre. En outre, il arrive fréquemment que les navires capturés soient « relâchés » assez loin du lieu de l'attaque initiale. Par exemple, en janvier 2014, un pétrolier a été détourné aux abords de Luanda en Angola et « relâché » au large du Nigeria neuf jours plus tard, délesté de 13 000 tonnes de gazole et de diverses marchandises qui étaient à son bord.

Cette piraterie fait peser une pression sécuritaire et économique sur les Etats de la région. On estime qu'au Nigeria, 5 % de la production officielle de pétrole est ainsi « perdue »... Ces activités privent les Gouvernements de recettes ; elles augmentent les coûts commerciaux en raison des besoins accrus de sécurité, du paiement des rançons et de la hausse des assurances ; elles découragent de nouveaux investissements et tendent à dégrader l'environnement du fait de déversements accidentels d'hydrocarbures.

Qui plus est, cette piraterie « primaire » peut aussi constituer le ferment de trafics beaucoup plus importants et beaucoup plus déstabilisants : il peut s'agir de trafic d'armes par exemple, assez peu présent pour le moment, mais aussi d'êtres humains, de migrants, de déchets, de diamants ou encore de stupéfiants. L'une des grandes voies d'accès de la drogue en Europe passe par l'Afrique, principalement via des pays plus à l'Ouest que le coeur du Golfe de Guinée. L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime estime que 20 à 40 tonnes de cocaïne, pour un coût de 600 millions de dollars, transitent chaque année par le Golfe de Guinée à destination de l'Europe. Ce type de trafic charrie de telles sommes d'argent que le risque de déstabilisation (on le voit en Guinée Bissau) est particulièrement élevé.

Au final, les menaces sont diverses, transnationales et peuvent constituer le terreau d'activités criminelles et terroristes susceptibles de compromettre la stabilité, le développement et le commerce.

A ce stade de notre présentation, il nous semble important de réaliser un focus particulier sur le Nigeria. On l'a vu, l'épicentre de la piraterie reste au Nigeria, mais au-delà de ce seul phénomène, l'évolution globale de ce pays est primordiale pour la stabilité, la sécurité régionale et la prévention des conflits. Sa place est parfois sous-estimée en France où ce pays, ancienne colonie britannique, est plutôt mal connu. Il constitue pourtant un véritable « poids lourd » de la région et de l'Afrique toute entière.

Avec plus de 170 millions d'habitants, il s'agit du pays le plus peuplé d'Afrique et le 7ème au monde. Sa population est jeune et croît encore de manière importante (2,8 % de croissance démographique en 2012). Avec une croissance économique moyenne d'environ 7-8 % par an ces dix dernières années, le Nigeria est devenu la première puissance économique du continent, devant l'Afrique de Sud. Les investissements directs étrangers, très élevés (autour de 6 milliards de dollars par an en 2012 et 2013), sont la marque de la confiance dans cette économie et la bourse de Lagos est d'ailleurs devenue la deuxième du continent.

Le pays est doté d'un potentiel économique et humain exceptionnel. Il est le premier producteur africain de pétrole, talonné - parfois devancé selon les années - par l'Angola. Il dispose des deuxièmes réserves prouvées d'Afrique pour le pétrole (derrière la Libye) et des premières réserves pour le gaz (devant l'Algérie). Le secteur des hydrocarbures est historiquement important dans l'économie mais son poids a beaucoup baissé : il ne représente plus que 14,4 % du PIB, soit 20 points de moins qu'en 2003. Le secteur des services représente aujourd'hui un peu plus de la moitié du PIB. L'économie nigériane s'est donc profondément diversifiée et il existe un véritable marché intérieur.

On estime ainsi que la classe moyenne représente environ 20 millions de personnes. Simple illustration, 47 millions de personnes utilisaient régulièrement internet en 2011, ce chiffre ayant dû progresser sensiblement depuis lors. Les télécommunications représentent 8,7 % du PIB et l'industrie cinématographique et musicale 1,4 %. Cette importance du cinéma peut paraître anecdotique mais elle révèle un dynamisme réel du pays et un certain rayonnement en Afrique ; on parle même aujourd'hui d'un cinéma « Nollywood » à côté de ceux d'Hollywood et de Bollywood...

Ces chiffres économiques globaux ne doivent cependant pas masquer les profonds déséquilibres que connaît le pays. Si les hydrocarbures ne représentent plus qu'une part relativement faible du PIB, ils alimentent encore le budget de l'Etat à hauteur de 80 %. L'Etat reste donc de son côté extrêmement dépendant de la rente pétrolière.

En outre, si une certaine classe moyenne est apparue, notamment à Lagos, mégalopole incroyablement dynamique dont la population est estimée entre 12 et 18 millions d'habitants, la pauvreté reste massive et les inégalités dans la répartition des richesses abyssales. Parmi les cinquante premiers milliardaires africains en dollars, presque la moitié sont nigérians dont la première fortune du continent. Mais dans le même temps, 61 % de la population vivait avec moins d'un dollar par jour en 2012 ; ce chiffre, qui est en augmentation malgré le taux de croissance global, est révélateur des profondes inégalités que les autorités ne parviennent pas à corriger.

Ces inégalités sont sociales ; elles sont aussi territoriales. Si le Sud connait une croissance économique presque explosive, principalement au Sud-Ouest autour de Lagos, moins au Sud-Est (région de Port-Harcourt), le Nord stagne. Le taux d'alphabétisation et le niveau de pauvreté connaissent des disparités gigantesques entre les trente-six Etats de ce pays fédéral. Dans le Borno par exemple, Etat dont nous reparlerons en évoquant Boko Haram, le taux de scolarisation primaire ne s'élevait qu'à 21 % en 2010, alors qu'il est supérieur à 90 % à Lagos.

M. Jeanny Lorgeoux. - Le Nigeria est caractérisé par une très grande diversité ethnique, religieuse, culturelle ou linguistique (plus de 500 langues sont ainsi utilisées dans le pays). Il est parcouru, depuis l'indépendance en 1960, par des forces centrifuges puissantes qui vont bien au-delà des clivages frustes entre Chrétiens et Musulmans, entre Sud et Nord ou encore entre Haoussas, Yorubas et Ibos, les trois principaux groupes ethniques.

Dans la région du delta du Niger, les autorités ont longtemps été confrontées à l'insécurité maritime, à des prises d'otages, à des actes de sabotage contre les installations pétrolières, à la montée en puissance de groupes criminels et aux revendications des communautés locales pour une meilleure redistribution des richesses issues de leur sous-sol. Les revenus de l'extraction pétrolière sont mal redistribués, alors qu'elle entraîne une dégradation de l'environnement qui diminue les rendements agricoles et de la pêche. Un processus d'amnistie a été décidé en 2009 mais n'a pas entièrement rétabli le calme et il doit se clore cette année.

L'ancien Président Goodluck Jonathan est originaire de cette région. Alors que la situation s'était relativement stabilisée depuis plusieurs années, sa défaite le 28 mars dernier pourrait faire resurgir certaines tensions. En effet, les différents partis qui l'ont emporté sont plutôt implantés dans le Nord du pays, d'où est originaire le nouveau Président Muhammadu Buhari, et dans la région de Lagos.

Autre zone qui reflète la disparité du pays, le Nord-Est éprouvé par un très haut niveau de violence, notamment en raison des agissements de Boko Haram. Créée à la fin des années 1990 par un leader charismatique, Mohammed Yusuf, cette secte qui revendique une application plus stricte de la Charia déjà en vigueur dans les Etats du Nord du Nigeria, s'inscrit d'abord dans une certaine continuité « philosophique », puisque cette région a déjà connu divers mouvements de protestation islamique.

Au début des années 2000, Mohammed Yusuf, qui ne rejetait pas complètement la modernité, a d'ailleurs participé au système politique en nouant une alliance avec le Gouverneur du Borno, l'Etat le plus au Nord-Est et qui borde le lac Tchad. Son discours se basait sur une logique de désobéissance et de confrontation avec les représentants d'un Etat considéré comme laïc. Il considérait surtout que l'école occidentale détruisait la culture islamique et conquérait plus sûrement la communauté musulmane que les croisades.

La secte se caractérise dès le début par son intransigeance religieuse, son culte du chef, ses techniques d'endoctrinement, son intolérance à l'égard des autres musulmans et son fonctionnement en vase clos qui incite les fidèles à se marier exclusivement entre eux, notamment avec les veuves des «martyrs ». Boko Haram relève plus d'une révolte religieuse que politique mais le mouvement recrute beaucoup parmi les exclus de la croissance, ce qui évoque aussi une révolte sociale basée sur une sorte de théologie de la libération.

Au milieu des années 2000, la secte mène des attaques, principalement contre des représentants des forces de l'ordre, et dérive peu à peu vers le terrorisme, en recourant par exemple à des attentats suicides. Dans ce contexte quasi-insurrectionnel, Mohammed Yusuf est arrêté et tué en juillet 2009. Les circonstances de son décès sont mal connues mais, selon Marc-Antoine Pérouse de Montclos, l'élimination du leader de la secte est probablement due à un coup de sang des unités anti-émeutes de la police qui ont voulu venger leur chef qui avait été égorgé peu auparavant par des militants de Boko Haram.

Involontaire ou non, cette exécution constitue un tournant ; elle a entraîné l'entrée en clandestinité de la secte, sa radicalisation et un puissant ressentiment contre les autorités et leurs symboles. Elle révèle aussi la brutalité de la répression contre la secte et la férocité des forces de l'ordre du pays, souvent désemparées, mal payées, mal équipées et mal entraînées.

La situation actuelle provient donc d'une multitude de facteurs, dont la religion est peut-être la cristallisation, mais le résultat est effrayant : entre 1998 et mi-2014, au moins 29 600 Nigerians ont été tués à l'occasion de plus de 2 300 incidents. Et le conflit s'intensifie puisque 7 000 personnes sont mortes entre juillet 2013 et juin 2014. Il y aurait entre 1 et 1,5 million de déplacés. La secte a commencé à enlever massivement des habitants et à massacrer des villages entiers pour dissuader les habitants de rejoindre les rangs des milices que le Gouvernement a créées et armées pour pallier les déficiences des forces de l'ordre officielles.

La communauté internationale s'est tardivement mobilisée, en fait à partir du moment où l'enlèvement de presque 300 lycéennes à Chibok a eu un retentissement médiatique mondial avec le mouvement « Bring back our girls » sur les réseaux sociaux. L'activisme de la secte n'a fait qu'augmenter durant l'année 2014 et a touché les pays voisins. Au début du mois de janvier 2015, Boko Haram a notamment pris la ville nigeriane de Baga sur les bords du lac Tchad, là où devait justement s'installer une force commune entre le Nigeria, le Tchad et le Niger destinée à lutter contre Boko Haram...

Le Tchad est menacé d'un point de vue militaire par les actions de la secte mais aussi d'un point de vue économique : le Nord du Nigeria constitue un débouché commercial traditionnel ; en outre, la route qui relie N'Djamena au port camerounais de Douala, qui est essentielle pour l'économie tchadienne, est devenue peu sûre et fragile.

La région de Diffa, au Sud-Est du Niger, est directement concernée par cette crise du fait d'une proximité culturelle, religieuse et géographique avec les Etats du Nord-Est du Nigeria, dont le Borno. Les pouvoirs publics nigériens y sont particulièrement absents et les divers courants qui traversent l'Islam au Nigeria y sont présents. Les très graves manifestations qui ont eu lieu à Zinder et à Niamey à la suite de la participation - courageuse - du Président du Niger à la manifestation du 11 janvier à Paris doivent nous alerter et nous mobiliser sur un contexte où la crise peut aisément se propager du Nigeria au Niger. Dans ces circonstances, nous devons être particulièrement attentifs à la situation très fragile du Niger, enchâssé entre la Lybie, le Mali et le Nigeria, trois zones où les groupes terroristes sont très actifs.

Le Nord du Cameroun est confronté depuis de nombreuses années au grand banditisme transfrontalier, à de nombreux trafics et au braconnage. Comme au Niger, les frontières sont poreuses et les proximités culturelles et ethniques sont anciennes. D'ailleurs, on sait aujourd'hui que des villages côté camerounais ont servi de bases arrière aux fidèles de Boko Haram, en particulier pour se ravitailler. Mais l'intensification des actions de la secte et le développement des prises d'otages ont contraint l'Etat central à réagir.

Piraterie dans les eaux du Golfe de Guinée, forces centrifuges dans l'ensemble du Nigeria, violences de Boko Haram dans le Nord qui déstabilisent les pays de la région, déjà fragiles. A partir de ce tableau rapide des menaces, quelles leçons pouvons-nous tirer de ces crises et comment la communauté internationale peut s'organiser pour prévenir la dégénérescence d'une crise en conflit ?

Tout d'abord, nous sommes tous bien conscients que, comme le rappelle la résolution adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 21 août 2014, la prévention des conflits demeure une responsabilité première des Etats.

Or contrairement au Golfe d'Aden, nous ne sommes pas, dans le Golfe de Guinée, devant des Etats réellement « faillis ». Il n'est donc pas envisageable de « monter » de toute pièce une opération militaire du type Atalante. La coopération avec les autorités nationales est primordiale pour trouver des solutions ; celles-ci ne pourront pas être imposées par la communauté internationale. Il s'agit bien évidemment du problème le plus aigu ayant toujours entravé les différents efforts de prévention des conflits, partout dans le monde.

C'est en particulier le cas avec le Nigeria, pays très sourcilleux sur les questions de souveraineté et sur ses propres prérogatives. Le pays a été profondément marqué par la guerre du Biafra, entre 1967 et 1970, pendant laquelle le pont aérien mis en place pour secourir les populations locales a pu apparaître, aux yeux des responsables nigérians, comme une ingérence internationale.

Dans le même temps, les structures administratives y sont gangrenées par la corruption - les analystes appellent cela pudiquement un « déficit de gouvernance »... -, ce qui limite en pratique les capacités de coopération. On nous a par exemple rapporté que, dans certaines opérations de sauvetage de navires piratés, les pays occidentaux préféraient ne pas interagir avec les garde-côtes de peur qu'ils ne préviennent les preneurs d'otages... Une bonne part du budget du ministère de la défense « s'évapore » et n'arrive jamais jusqu'aux soldats.

Il est clair que Boko Haram n'a pu atteindre un tel point de menace que par la faiblesse de l'Etat nigerian et son incapacité à construire un gouvernement pleinement légitime aux yeux de tous. Pour autant, on a bien vu en ce début d'année, que le Nigeria évolue puisqu'il a accepté l'intervention sur son sol de troupes étrangères, en particulier tchadiennes, ce qui est loin d'être anodin pour l'avenir. Rappelons-nous que les tensions frontalières ont été importantes entre le Nigeria et ses voisins et qu'elles ont parfois donné lieu à des affrontements armés, comme avec le Cameroun au sujet de la péninsule de Bakassi.

En outre, le processus de transition en cours à la suite des élections du 28 mars est, à ce jour, encourageant. Nul ne peut dire si le nouveau Président sera plus efficace que son prédécesseur mais le processus en lui-même montre une société plus moderne et moins divisée que l'on ne pouvait le craindre. Il est cependant encore beaucoup trop tôt pour se réjouir pleinement.

Il est en effet incroyablement difficile de « défaire » un système gangrené par la corruption, d'autant que le niveau actuel du prix du pétrole ne laisse aucune marge de manoeuvre budgétaire.

M. André Trillard. - La communauté internationale peut contribuer à lutter contre les fragilités des pays de la région, en s'attaquant aux causes profondes de la piraterie et des menaces qui pèsent sur la région. Lutter contre la piraterie ou contre Boko Haram passe d'abord par une lutte contre la pauvreté et pour le développement qui sont là aussi de la responsabilité première des Etats concernés. L'extrémisme ou la terreur ne peuvent s'enraciner que sur des terreaux de grande pauvreté et de désespérance, même si les causes de tels phénomènes ne sont jamais univoques.

Les richesses sont trop inégalement réparties avec une grande part de la population laissée à l'écart, c'est flagrant au Nigeria. L'aide au développement joue un rôle important pour lutter contre la pauvreté mais elle doit aussi être repensée dans des grands pays émergents pour se concentrer sur les infrastructures, l'éducation ou l'exercice de ses missions régaliennes par l'Etat. Les projets de coopération sont inutiles en l'absence de stabilité et d'Etat de droit. Nous avons bien vu les exemples du Mali ou de la Centrafrique...

La communauté internationale a également une responsabilité pour ne pas laisser dériver les situations de crise. Elle doit aider les pays par des moyens concrets de coopération, pas seulement financière. Par exemple, la gouvernance de l'espace maritime est traditionnellement faible dans cette région. L'Etat de droit, notamment en mer, est peu élaboré et les capacités sont faibles voire inexistantes.

Dans ce secteur, la France mène une action exemplaire. En 1990, elle a en effet mis en place dans la région l'opération Corymbe, qui consiste en un déploiement naval quasi-permanent. Le dispositif est armé par un bâtiment de la Marine nationale, ponctuellement renforcé par des moyens terrestres et aéromobiles embarqués, et peut soutenir à tout moment tout type d'opérations dans la région. De plus, et c'est un aspect particulièrement intéressant de cette opération, elle a aussi pour objectif de développer la coopération avec les marines des Etats riverains et leur formation, et ainsi de participer à leur montée en puissance et au développement de capacités africaines autonomes.

Quelques exemples récents montrent l'intérêt et la diversité des actions ainsi menées. En mars dernier, 71 élèves de l'école nationale à vocation régionale de Guinée équatoriale, représentant quatorze nationalités africaines différentes, ont embarqué sur le Siroco pour une période de formation à la mer. En février, des exercices ont été menés avec la marine togolaise en vue de l'apprentissage des procédures de visites et de fouilles de navires et avec la marine sénégalaise en matière de recherche et de sauvetage en mer. Les bâtiments déployés réalisent également des exercices avec des marines de pays non africains, comme ce fut le cas avec le Portugal en mars dernier.

Si cette opération n'est pas en elle-même « spectaculaire » ou aussi médiatique que le fut Atalante à une époque, elle remplit de nombreux objectifs tout à fait complémentaires : lutter efficacement contre la piraterie par le renseignement et l'action ; coopérer avec les Etats amis et former leurs marines, ce qui présente un double avantage (influence pour la France et efficacité dans le renforcement des capacités) ; soutenir les troupes pré-positionnées et les Opex susceptibles d'avoir lieu dans la région ; participer à l'évacuation de nos ressortissants en cas de crises ; etc...

Corymbe nous apparait donc être une opération essentielle pour la France et nous devrons être attentifs à ce que la marine nationale conserve les moyens, notamment budgétaires, de déployer des bâtiments de manière à peu près permanente pour faire vivre pleinement l'ensemble des missions de l'opération.

La France n'est d'ailleurs pas la seule à mener des actions en mer dans la région. D'autres unités étrangères sont positionnées, de manière permanente ou ponctuelle, elles sont principalement espagnoles au titre de Frontex (pour le contrôle des frontières européennes), et américaines mais aussi, dorénavant, chinoises ou brésiliennes. L'Union européenne a également mis en oeuvre diverses mesures, qui s'inscrivent dans le cadre des conclusions que le Conseil a adoptées en mars 2014 sur le Golfe de Guinée.

Au Nord de la zone, il est clair que l'opération Barkhane peut apporter un soutien décisif aux pays de la région, par exemple en matière de renseignement mais aussi de formation ou de logistique. La France soutient par exemple une « cellule de coordination et de liaison », située à N'Djamena, pour améliorer l'échange d'informations entre les pays concernés. Cette posture d'action « subsidiaire » de la France, avec un soutien aux actions menées directement par les pays concernés, nous semble devoir être privilégiée dans des crises comme celle du Golfe de Guinée.

Dans le cadre des actions menées par la communauté internationale, on ne peut éluder le retrait relatif de deux acteurs qui pourraient pourtant avoir un poids décisif dans la région, en particulier au Nigeria : le Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale, qui reste hésitante et sur la défensive, et les Etats-Unis, dont les relations avec le Nigeria sont sensiblement tendues depuis un ou deux ans.

Si les Etats jouent le premier rôle dans la prévention des conflits, le terrorisme et la criminalité, notamment maritime, se jouent des frontières nationales et les organisations régionales deviennent de plus en plus centrales, dans la prévention et dans l'action.

Dans le Golfe de Guinée, la situation n'est guère « optimale » de ce point de vue mais elle s'améliore lentement. On assiste en effet à un éclatement des organisations régionales, cette zone étant une « ligne de partage » entre la CEDEAO d'un côté, dont le siège est au Nigeria, et la CEEAC, basée au Gabon. Il existe aussi la commission du bassin du lac Tchad, regroupant les quatre pays riverains, principalement pour gérer les ressources en eau, et la commission du Golfe de Guinée, censée créer un espace de dialogue entre les Etats maritimes de la CEEAC et le Nigeria.

Dans le cadre de la mise en oeuvre de deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, un Sommet s'est tenu à Yaoundé en juin 2013 sur la sureté et la sécurité maritimes. Il a rassemblé l'ensemble des Chefs d'Etat de la région et une certaine stratégie commune commence à se mettre en place sur ces questions, notamment par la création d'un centre interrégional de coordination, basé à Douala au Cameroun, et de centres régionaux de sécurité maritime. Il est nécessaire de concrétiser ces annonces, en mettant effectivement en place ces structures, en les faisant vivre et en soutenant aussi la mise en place d'un espace judiciaire et pénal harmonisé, indispensable pour que les actes illicites commis en mer puissent faire l'objet des poursuites et des sanctions appropriées.

D'autres initiatives ont eu lieu sur la sécurité autour du bassin du lac Tchad pour apporter des réponses aux agissements de Boko Haram. Un Sommet a eu lieu à l'Elysée en mai 2014 ; un Sommet extraordinaire de la commission du bassin du lac Tchad a eu lieu en octobre et a avancé des propositions quant à la mise en place d'une « Force mixte multinationale de sécurité » à laquelle doivent participer le Tchad, le Niger, le Cameroun, le Bénin mais aussi le Nigeria. L'Union africaine a soutenu ce projet lors de la réunion de son Conseil sur la paix et la sécurité qui s'est tenu à Addis-Abeba en janvier dernier et a fixé à 10 000 hommes son volume global lors d'une réunion en mars. Un Sommet extraordinaire de la CEEAC a eu lieu en février. Une résolution est encore en débat au Conseil de sécurité des Nations unies pour définir le cadre international de cette intervention ; son adoption prend un certain retard et des difficultés resteront à régler, notamment en termes de financement. Mais un exemple va vous montrer que les progrès sont encore très fragiles : aucun des communiqués officiels de ces différents sommets ne permet de dire si cette force multinationale aura la capacité d'intervenir sur le territoire nigerian, comme le font aujourd'hui certaines troupes tchadiennes.

On le voit, le processus souffre de lenteurs et d'inerties. En outre, combattre Boko Haram ne ressemble pas à une guerre conventionnelle ; il faut saluer les premiers succès des troupes engagées sur le terrain, mais ils apportent une réponse de court terme à la violence grandissante de Boko Haram. Le travail de fond pour endiguer ce type de groupes reste à faire et dépend principalement des Etats eux-mêmes.

Pour obtenir ces résultats de fond, les Etats doivent pouvoir s'appuyer sur des organisations régionales et une communauté internationale efficaces. La communauté internationale doit elle-même apporter de la cohérence et de la concertation, sachant que les intérêts et les acteurs sont multiples. Or trop souvent, les plans d'action et déclarations se suivent sans coordination ni articulation effective.

Or une action internationale forte est décisive si nous voulons éviter la coalition de groupes éparpillés mais qui peuvent trouver un intérêt à se fédérer, ne serait-ce qu'en termes de propagande. Boko Haram a par exemple annoncé la création d'un califat et son ralliement à Daech. Comme l'expliquait devant nous le Général Castres en décembre dernier, nous devons regarder le monde avec une focale plus grande. La Libye, le Levant et Boko Haram sont trois foyers de déstabilisation, trois zones rouges dans lesquelles se structurent des califats. Prévenir la dégénérescence de ces situations en conflits plus graves demande de cloisonner les différents foyers d'incendie et de soutenir les pays concernés.

Au-delà des acteurs internationaux, régionaux ou étatiques, la prévention des conflits passe également par la coopération et la mobilisation des acteurs économiques ou sociaux. Nous pensons en particulier aux entreprises françaises et internationales installées dans la région ; elles sont déjà engagées dans la lutte contre la piraterie dans le Golfe et elles doivent être intégrées à tout effort fourni pour diminuer cette menace.

En conclusion, nous sommes convaincus que le Golfe de Guinée présente un intérêt stratégique pour la France et l'Europe. Or il souffre d'une nette augmentation des activités criminelles et terroristes.

Pour prévenir une dégradation encore plus sensible de la situation, l'ensemble de la communauté internationale doit mettre en oeuvre une approche globale intégrant tous les moyens et instruments dont nous disposons. Elle doit mettre en cohérence de multiples actions qui peuvent paraître de taille limitée mais qui sont essentielles car concrètement destinées à renforcer les capacités des Etats concernés, en particulier maritimes ou militaires, améliorer le recueil et l'échange d'informations, accroitre la coopération, le dialogue et la confiance entre ces Etats et mettre en place une gouvernance interne à même d'assurer le développement.

Alors que l'extension de la piraterie aux pays voisins du Nigeria menaçait le développement et la stabilité, l'ensemble des pays ont réussi à se mobiliser, à augmenter leurs capacités respectives et à mettre en place des outils communs. Il faut à cet égard saluer l'implication de la France, en particulier via l'opération Corymbe et son action diplomatique. Les premiers résultats de 2014 permettent d'espérer que la situation qui reste fragile s'est stabilisée grâce à cette prise de conscience.

Tel n'a malheureusement pas été le cas dans le Nord où Boko Haram a pu étendre ses actions de manière disproportionnée par rapport à ses capacités intrinsèques. Si chacun aurait naturellement préféré que ce problème soit réglé par le Nigeria lui-même, sans régionalisation du conflit, il faut saluer la mobilisation des pays riverains soutenus par l'Union africaine et la communauté internationale. Il reste beaucoup de chemin à parcourir après les premiers succès militaires des troupes, notamment tchadiennes : le conseil de sécurité des Nations unies n'a toujours pas adopté de résolution pour mettre en place un processus global de résolution de la crise ; les causes profondes restent à l'identique : pauvreté, inégalités, corruption, sentiment d'abandon, etc...

Ne pas laisser dériver une situation et ne pas relâcher ses efforts, telles sont peut-être deux des leçons de la situation dans le Golfe de Guinée en matière de prévention des conflits.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je vous remercie pour ce rapport très intéressant. Je suis persuadé que la diplomatie parlementaire doit justement se mettre en action lorsque le contexte est difficile. Elle peut véritablement exister à ce moment-là.

Nous sommes exactement un an après l'enlèvement des lycéennes de Chibok et il est clair que le terrorisme trouve naissance dans deux sources : la pauvreté et le manque d'Etat. Nous avons bien vu ces dernières années qu'il existe une corrélation entre le terrorisme et le « non-Etat », ce qui pose directement la question délicate de savoir qui la communauté internationale doit soutenir dans des situations difficiles.

M. Jacques Legendre. - La région est confrontée à deux problèmes bien distincts : la piraterie et Boko Haram.

Sur le premier sujet, nous devons d'abord identifier d'où viennent les pirates. On sait bien que les communautés du delta du Niger estiment que la part des recettes pétrolières qui leur revient est insuffisante. J'ai d'ailleurs constaté le développement du phénomène de la piraterie lorsque je me suis rendu avec le groupe d'amitié à Port-Harcourt au Nigeria. D'un côté, la marine nigeriane, corrompue, est peu efficace. De l'autre, les pays voisins ont des capacités réduites. On peut toutefois citer les efforts fournis par le Togo en la matière et ces efforts ont produit leurs effets puisqu'on assiste à une accumulation de navires qui stationnent au large de Lome avant d'aller au Nigeria pour y rester le moins longtemps possible... On peut également citer la Guinée équatoriale qui a mis en place un centre de coordination à Malabo. Nous devons donc, c'est essentiel, encourager les Etats à se doter des capacités nécessaires.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier le trafic de drogue en provenance d'Amérique du Sud qui déstabilise les pays touchés. Le Cap-Vert est de ce point de vue demandeur d'un renforcement de la présence française et il faut souligner le rôle grandissant du Brésil.

En ce qui concerne Boko Haram, souvenons-nous que le Borno était, jusqu'au début du XXe siècle, un Etat musulman agressif et esclavagiste que les colonisateurs - les Anglais - ont eu le plus grand mal à contrôler. On dit aussi que les anciens hommes de main d'un ex-Gouverneur de l'Etat qui a noué, à un moment, une alliance avec Yusuf constituent des recrues importantes pour Boko Haram. Cela déstabilise au final toute la région. Les pays concernés souhaitent que la France en fasse toujours plus, mais nous faisons déjà beaucoup, par exemple en matière de renseignement, surtout si on regarde le Royaume-Uni particulièrement absent dans cette crise. Enfin, on peut aussi penser que des jeux politiques internes au Nigeria ne sont pas pour rien dans l'amplification des actions de Boko Haram. Or si le Nigeria veut vraiment agir, il en a les moyens.

M. André Trillard. - Les pirates viennent très largement du Nigeria, qui constitue l'épicentre du problème. Les moyens qu'ils déploient sont parfois considérables puisque certains détiennent ou contrôlent des pétroliers dans lesquels ils transbordent le pétrole qu'ils volent.

Pour autant, les progrès sont réels. J'ai par exemple participé, à l'invitation du chef d'état-major de la marine, l'Amiral Rogel, à une réunion de plusieurs Chefs d'Etat-major de la marine de pays de la région et les discussions étaient très encourageantes. Ces contacts doivent être maintenus et développés.

M. Jeanny Lorgeoux. - L'inefficacité dans le fonctionnement de l'Etat constitue, comme le disait le président de la commission, un problème fondamental. La structure fédérale du Nigeria aurait pu apporter des réponses mais il existe peu de lien réel entre le niveau central et les Etats fédérés et la population est finalement livrée à elle-même sur une grande partie du territoire.

M. Jean-Marie Bockel. - La déliquescence actuelle de l'Etat nigerian n'est pas une fatalité et le pays n'a d'ailleurs pas toujours connu cette situation. Si les autorités nigerianes veulent faire quelque chose, elles peuvent reprendre la main. Les dernières élections sont une lueur d'espoir de ce point de vue, parce que la population a participé et que le résultat est clair tout en n'étant pas écrasant pour un camp ou pour un autre. Elles révèlent bien les aspirations profondes de la population. Ceux qui ont joué la politique du pire n'ont pas réussi !

M. Aymeri de Montesquiou. - Les Etats-Unis considèrent que le pays est stratégique. Les Anglais, ancienne puissance coloniale, partagent la langue et une certaine culture administrative. La Chine investit massivement, y compris avec des prêts à des taux très bas. Dans ce paysage global, quelle est la place du Nigeria dans la politique africaine de la France ?

M. Jeanny Lorgeoux. - Le Président de la République y a effectué une visite remarquée en février 2014 qui a clairement montré l'intensification des relations économiques avec le Nigeria. Nos deux pays ont d'ailleurs signé en 2008 un partenariat stratégique. Notre ambassade sur place est très active et ce pays présente de grandes opportunités pour nos entreprises.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - L'ancien Président Goodluck Jonathan a fait beaucoup d'efforts pour resserrer les liens.

M. Jean-Marie Bockel. - Ces liens s'inscrivent dans la durée, j'ai par exemple accompagné François Fillon, alors Premier ministre, lors d'un déplacement officiel en 2009 et les thématiques économiques étaient déjà très présentes. Il est en tout cas nécessaire de déployer une approche régionale à un niveau stratégique.

M. Alain Néri. - Il paraitrait que le nombre d'attaques dans le Golfe de Guinée soit nettement sous-évalué car les pirates utilisent des systèmes informatiques et de communications qui leur permettent de racketter les navires et de demander des « contributions » permettant au capitaine d'éviter l'abordage et le vol de la cargaison...

M. Jeanny Lorgeoux. - Le ministère de la défense estime en effet que le chiffre des attaques pourrait être le triple des déclarations.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - L'enlèvement des lycéennes de Chibok, il y a tout juste un an, ne constitue que l'une des attaques de ce type commises par Boko Haram. Amnesty international estime le nombre d'enlèvements à 2 000 en un an !

Je souhaite que nous n'oubliions pas le Cap-Vert qui est un acteur important dans la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogues. Avec ce pays, on touche d'ailleurs du doigt une limite de la politique de développement : le Cap-Vert a fourni des efforts tangibles qui lui ont permis de passer de la catégorie « pays les moins avancés » à celle des « pays à revenus intermédiaires ». De ce fait, il n'est plus éligible à un certain nombre d'aides ! On encourage mal les Etats qui font pourtant des efforts.

M. Jeanny Lorgeoux. - On doit aussi penser à la Guinée Bissau qui est devenue un véritable nid à frelons et un narco-Etat. Renverser la situation dans ces circonstances est particulièrement difficile. D'où l'importance de prévenir le plus tôt possible les crises.

À l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication du rapport d'information.

Questions diverses

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, nous allons avoir fin juin en séance publique au Sénat l'actualisation de la loi de programmation militaire, que nous avons commencé à préparer par notre débat du 2 avril dernier. Le conseil de défense devrait décider dans quelques jours de son contenu (et de son financement). C'est une échéance importante pour notre commission, et un exercice assez inédit puisqu'il n'y aura pas de commission du Livre blanc pour préparer cette actualisation.

Je vous propose de travailler en amont de cette échéance, en constituant autour de nos rapporteurs « défense » des petits « commandos » pour bien préparer les sujets :

- nos rapporteurs du programme 146, MM. Gautier, Reiner et Pintat, pourraient se charger de la trajectoire financière globale et de faire le point sur les équipements,

- nos rapporteurs du programme 212, MM. del Picchia et Roger, pourraient prendre en charge l'aspect « effectifs » (la  « déflation ») voire, si c'est inscrit dans le texte -ce n'est pas certain à ce stade- les associations professionnelles de militaires.

D'après mes informations, les autres programmes seraient sans doute moins concernés, mais nos rapporteurs du programme 178, Mme Demessine et M Pozzo di Borgo, et du programme 144, MM. Trillard et Lorgeoux, prendront s'ils le souhaitent leur part de participation pour ce travail. Nous pourrions faire des auditions ouvertes à tous les sénateurs de la commission, afin que chacun puisse se préparer au mieux à cette discussion. Nous pourrions commencer dès que le texte du projet de loi sera stabilisé, c'est-à-dire sans doute à partir de la mi-mai.

De la sorte, nous serons prêts pour cette discussion, sans doute fin juin, malgré le calendrier dense qui sera le nôtre. Sachez d'ores et déjà que les auditions du ministre de la défense et du chef d'état-major des armées sont prévues devant la commission le 10 juin (les autres auditions auront lieu en format "rapporteurs").

Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.

Par ailleurs je vous signale que le chef d'état-major de l'armée de l'air, le général Mercier, emmène la commission en A 400M sur la base de Lyon Mont de Verdun le 5 mai prochain pour visiter le centre de commandement de l'armée de l'air et rencontrer les personnels qui conduisent notamment l'opération Chammal en Irak.

Compte tenu de l'investissement de notre commission sur ces sujets et du travail fait sur l'A 400 M, je compte sur vous pour venir en nombre et nous accompagner pour cette journée.

Enfin, je vous rappelle, comme je l'ai déjà indiqué lors de notre réunion du 11 février, que vous pouvez, si vous le souhaitez, demander à participer aux auditions menées par les différents groupes de travail de la commission sur l'Iran, la Russie, l'Arctique, la Chine.  Pour plus de facilité, un planning récapitulatif des auditions sera envoyé par le secrétariat.

La réunion est levée à 11 h 07