Mardi 17 janvier 2017

- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30

Projet de loi relatif à la sécurité publique - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis de M. Philippe Paul sur le projet de loi n° 263 (2016-2017) relatif à la sécurité publique.

M. Philippe Paul, rapporteur. - Notre commission s'est saisie pour avis des articles premier et 10 du projet de loi relatif à la sécurité publique. Nous avons reçu délégation au fond pour l'article 10 car il concerne le Service militaire volontaire, créé par la loi du 28 juillet 2015 d'actualisation de la programmation militaire.

Depuis deux ans, les forces de l'ordre sont confrontées à une menace terroriste d'un niveau inédit tout en étant très mobilisées par leurs missions de maintien de l'ordre. Dans ce contexte, les imperfections du régime juridique de la légitime défense n'étaient plus acceptables.

La loi du 3 juin 2016 relative à la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, dont j'étais déjà rapporteur pour notre commission, a constitué une première étape indispensable en permettant aux forces de l'ordre et aux militaires de Sentinelle d'user de la force contre des terroristes engagés dans un « périple meurtrier ».

Toutefois, cette loi a laissé subsister un régime juridique à deux vitesses. En effet, d'un côté, les policiers et les militaires des armées relèvent de la légitime défense comme tous les citoyens. De l'autre, les gendarmes peuvent s'appuyer sur des règles spéciales d'ouverture du feu pour défendre le terrain qu'ils occupent, empêcher un criminel de s'enfuir ou arrêter un véhicule.

L'article premier du présent projet de loi harmonise enfin les textes. Désormais, il y aura d'un côté les citoyens, soumis à la légitime défense, et de l'autre l'ensemble des forces de l'ordre : policiers, gendarmes, douaniers et militaires des armés, qui pourront user de la force armée dans cinq situations bien définies. Afin d'assurer la conformité de ces règles à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), il est prévu que, dans tous les cas, l'usage des armes est soumis aux principes d'absolue nécessité et de proportionnalité.

Sur le fond, ces cinq cas d'usage des armes reprennent sensiblement le régime applicable actuellement aux gendarmes : le 1°reprend la légitime défense classique, le 2° concerne la défense d'un terrain ou la protection d'une personne, le 3° permet d'arrêter des personnes qui tentent de s'échapper après deux sommations, le 4° de stopper un véhicule également après sommations et le 5° reprend le cas du périple meurtrier.

Ce texte me semble satisfaisant pour au moins deux raisons. En clarifiant les règles d'usage des armes et en les harmonisant, il améliore considérablement la sécurité juridique pour les forces de l'ordre. Celles-ci seront plus confiantes dans leur capacité à répondre aux agressions sans risquer de se trouver mises en cause. Pour autant, ce régime juridique reste tout à fait conforme à ce que l'on peut attendre en démocratie lorsqu'il s'agit de l'usage d'une force potentiellement létale.

Second point, il n'y a pas de décrochage entre les militaires engagés sur notre territoire et les forces de sécurité intérieure. Les soldats de Sentinelle et de Vigipirate pourront répliquer dans les mêmes conditions que les gendarmes et les policiers. En outre, les soldats qui protègent les installations militaires sont également couverts par le nouveau texte.

Je signale par ailleurs que la Commission des lois va assouplir un peu les points 3° et 4° afin de préciser que la force pourra être utilisée s'il y a des raisons réelles et sérieuses de croire que des violences vont être commises, et non seulement si ces violences sont totalement certaines. En effet, tant le directeur de la gendarmerie nationale que le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation ont estimé que la formulation actuelle du texte est un peu trop restrictive pour l'usage de la force.

Compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, je vous propose d'approuver cet article premier.

Deuxième article qui concerne notre commission, l'article 10 instaure une nouvelle étape dans l'expérimentation du Service militaire volontaire (SMV), appelée Volontariat militaire d'insertion (VMI).

Je rappelle que le SMV constitue une transposition expérimentale du Service militaire adapté (SMA) en métropole, mise en place par la loi d'actualisation de la programmation militaire pour une durée de deux ans. Il existe actuellement trois centres du SMV à Montigny-lès-Metz, Brétigny-sur-Orge et la Rochelle, et un nouveau centre va ouvrir à Chalon-sur-Saône.

Selon le rapport transmis par le Gouvernement en décembre dernier, le SMV a démontré son efficacité pour permettre à des jeunes « décrocheurs » d'acquérir des diplômes, des formations et de trouver un emploi : le taux de sortie positive avoisine les 70 %, proche de celui du SMA. La formation militaire dispensée par les centres pendant les quatre premiers mois du service permet une structuration très bénéfique pour les volontaires. Les employeurs et les formateurs qui les accueillent par la suite témoignent de la confiance en soi retrouvée, de l'engagement et du dynamisme de ces jeunes.

En outre, cette expérimentation incarne par excellence le renouveau du lien armée-Nation que nous appelons de nos voeux et montre combien une initiative des armées peut apporter à la communauté nationale et au devenir des jeunes les plus en difficulté.

Le projet de loi Egalite et citoyenneté, adopté définitivement par l'Assemblée nationale le 22 décembre dernier, a déjà prolongé l'expérimentation du SMV jusqu'à la fin de 2018, afin de laisser le temps aux centres déjà créés d'aller jusqu'au bout de l'expérimentation.

Le présent projet de loi vise à instaurer un nouvel étage de l'expérimentation, déjà en cours de mise en place à Chalon-sur-Saône. Cette nouvelle phase aura vocation à exister dans toutes les régions où il existera pour ce faire une volonté convergente des acteurs de la formation professionnelle.

Pourquoi cette nouvelle étape ?

Comme notre commission l'avait relevé lors de la création du SMV en juillet 2015, le système présente un inconvénient : les volontaires sont entièrement soumis à l'état militaire et n'ont pas le statut de stagiaire de la formation professionnelle. Dès lors, ils ne peuvent pas entrer dans les dispositifs de formation de droit commun. Ceci oblige les centres à acheter toutes les formations sur le marché alors qu'elles existent et sont financées. Les centres sont de plus entièrement financés par le ministère de la défense, qui fournit les locaux, paie une solde aux volontaires, assure le fonctionnement courant et achète les formations.

Le présent article propose de changer la logique du système en conférant le statut de stagiaire de la formation professionnelle aux volontaires, qui pourront ainsi bénéficier des formations organisées et financées par l'ensemble des acteurs de la formation professionnelle et recevront la rémunération prévue par le code du travail.

En outre, les nouveaux centres seront désormais créés de manière partenariale sur un territoire avec la participation de Pôle emploi, des régions, des organismes consulaires, etc. Le ministère de la défense continuera à fournir l'encadrement militaire et éventuellement les locaux, mais la plus grande partie des coûts de fonctionnement et la rémunération des volontaires sera désormais répartie entre les autres acteurs.

Ainsi, à Chalon-sur-Saône, la région, le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) et les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) se sont déjà concertés pour financer des formations qualifiantes permettant à des jeunes d'accéder à des emplois dans la métallurgie, le bâtiment ou encore la sécurité.

Cette nouvelle étape de l'expérimentation, appelée volontariat militaire d'insertion (VMI), est instaurée à titre expérimental, jusqu'au 31 décembre 2018. Le SMV ayant été également prolongé jusqu'à cette date, le législateur devra se prononcer à la fin de l'année 2018 sur la pérennisation ou non d'un dispositif unique. À ce propos, il me semble qu'il sera préférable, in fine, de garder la marque « SMV », car elle constitue un label déjà reconnu et traduit mieux le lien armée-nation et la notion d'engagement qui constituent l'essence du dispositif !

De même, il nous faudra rester vigilant pour que le SMV reste un dispositif militaire et ne connaisse pas la même évolution que l'EPIDE, qui s'est très vite éloigné de la défense. À cet égard, le texte prévoit que le commandement du SMV va être érigé en Service à compétence nationale, placé auprès de la direction du service national et de la jeunesse du ministère de la défense. Ceci devrait permettre d'assurer que la gouvernance du dispositif reste militaire.

Je vous propose donc d'approuver ce nouveau dispositif, qui permettra d'intégrer les volontaires dans les dispositifs de droit commun de la formation professionnelle et suscitera une implication accrue des acteurs locaux. Ceux-ci sont en effet le mieux à même d'identifier les filières en tension et les formations adéquates au niveau régional.

En revanche, nous devrons être vigilants compte tenu du coût élevé du dispositif, de l'ordre de 25 000 euros par jeune et par an. Seule la poursuite des analyses en cours nous permettra de déterminer avec précision le ratio coût /avantage, de faire des comparaisons avec d'autres dispositifs d'insertion et de nous prononcer sur la pérennisation du système à la fin 2018. On peut cependant d'ores et déjà pressentir que le SMV comble un besoin spécifique qui n'est pas satisfait par les autres dispositifs de la formation professionnelle.

M. Gilbert Roger. - Ce dispositif me paraît excellent dès lors qu'il reste bien sous le contrôle des militaires et qu'il ne connaît pas l'évolution qui a été celle de l'EPIDE.

Examen des amendements

M. Philippe Paul, rapporteur. - L'amendement n°5 vise à préciser que le SMV et le VMI sont ouverts aux jeunes à partir de 18 ans et non de 17 ans : les règles applicables pour les mineurs sont trop complexes pour un tel dispositif comprenant un hébergement permanent. L'amendement n°3 tend à clarifier le contrat souscrit par les stagiaires : il ne s'agit pas d'un contrat à durée déterminée (CDD) mais d'un contrat spécifique au VMI. L'amendement n°1 est rédactionnel.

Les amendements n°5, 3 et 1 sont adoptés.

M. Philippe Paul, rapporteur. - L'amendement n°6 tend à supprimer la formulation selon laquelle les stagiaires conservent l'état militaire même pendant la durée de leur présence en entreprise. En effet, le Conseil constitutionnel a souligné dans sa décision QPC du 28 novembre 2014 que les sujétions particulières imposées aux militaires résultent de la nécessité de la « libre disposition de la force armée ». Or, si les volontaires reçoivent bien une formation initiale militaire, ils ne sont pas formés à l'usage des armes et le rapport d'évaluation précise bien qu' « il n'est pas du tout question de confier aux volontaires un rôle lié aux activités de défense ». Lorsque les volontaires sont en entreprise, ils deviennent stagiaires de la formation professionnelle et l'autorité qui s'exerce sur eux n'est plus celle de l'armée mais celle du responsable d'entreprise. Dès lors, il semble juridiquement fragile de préciser qu'ils conservent l'état militaire. En outre, il y aurait là une rupture d'égalité avec les autres stagiaires qui ne viennent pas des centres du SMV/VMI.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Quels sont les éléments de l'état militaire qui devaient s'appliquer en entreprise en l'absence de l'amendement ?

M. Philippe Paul, rapporteur. - Sans doute des restrictions en matière de devoir de réserve et de droits sociaux, mais, comme je l'ai expliqué, il me paraît compliqué de garder cette formulation dès lors que l'autorité est transmise au chef d'entreprise. L'amendement n°2 est rédactionnel. L'amendement n°4 précise le contenu du rapport d'évaluation afin que nous puissions prendre une décision éclairée sur la pérennisation ou non du dispositif.

Les amendements n°6, 2 et 4 sont adoptés.

Le rapport pour avis est adopté.

La réunion est close à 9 h 50.

Mercredi 18 janvier 2017

- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 50

Projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession du Monténégro - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. Xavier Pintat et le texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 173 (2016-2017) autorisant la ratification du protocole au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession du Monténégro.

M. Xavier Pintat, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification du Protocole au Traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la République du Monténégro, signé à Bruxelles le 19 mai 2016. Une fois ce Protocole ratifié par l'ensemble des parties, le Monténégro deviendra ainsi le 29e pays de l'Alliance atlantique.

Le Sénat est saisi en deuxième de ce projet de loi de ratification, l'Assemblée nationale l'ayant, pour sa part, adopté le 1er décembre 2016.

Je rappelle que le Monténégro est un petit Etat des Balkans (14 000 kilomètres carrés, 620 000 habitants) qui a recouvré son indépendance seulement en 2006, en se séparant pacifiquement de la Serbie, après avoir été successivement intégré, à l'issue de la première guerre mondiale, dans le royaume serbe et dans l'ensemble yougoslave, puis, après l'éclatement de celui-ci, dans un Etat partagé avec la Serbie. Pays multiethnique et multiconfessionnel où les différentes communautés cohabitent harmonieusement, il est le seul Etat de la région à avoir échappé aux guerres fratricides qui ont déchiré l'ex-Yougoslavie.

Peu après son indépendance, il a fait part de son souhait de rejoindre la communauté euro-atlantique, manifesté également par sa candidature à l'Union européenne. Pour ce pays qui se situe dans une « zone de turbulences », il s'agit avant tout de garantir sa sécurité et sa stabilité. Le Monténégro fait valoir, à cet égard, que la stabilité que lui garantira l'OTAN bénéficiera aussi aux pays voisins.

L'accession du Monténégro à l'Alliance atlantique s'inscrit dans la politique dite « de la porte ouverte » appliquée à l'égard des pays de l'est de l'Europe après la fin de la guerre froide et qui avait, avant le Monténégro, permis l'adhésion :

- de la Pologne, la République tchèque et la Hongrie en 1999 ;

- de la Roumanie, la Bulgarie, la Slovaquie, la Slovénie et les Etats Baltes en 2004 ;

- de la Croatie et l'Albanie en 2009.

Cette politique « de la porte ouverte » poursuivait, avant tout, un but politique : il s'agissait d'oeuvrer à la stabilité de la zone euro-atlantique en promouvant dans ces pays la paix, la liberté et la démocratie. Le Monténégro fait partie de la dernière vague d'élargissement de l'OTAN, lancée à l'occasion du Sommet de Bucarest de 2008, dont la mise en oeuvre n'est pas sans poser de difficultés. Si, comme je l'ai dit, l'Albanie et la Croatie sont assez rapidement parvenues à l'adhésion, le Monténégro est le seul pays parmi les autres candidats (l'Ancienne République de Macédoine, la Bosnie-Herzégovine et la Géorgie), à remplir aujourd'hui les conditions pour devenir membre de l'OTAN.

Il ne s'agit pas d'idéaliser ce pays où le pouvoir est, des années, aux mains de la même formation politique - M. Milo Djukanovic étant à sa tête depuis 25 ans - et où la corruption reste répandue.

Mais il n'en a pas moins franchi avec succès les différentes étapes du processus, depuis le plan d'action pour l'adhésion (MAP) - obtenu en décembre 2009 - jusqu'à l'engagement de négociations d'adhésion, auquel les Alliés donnent leur feu vert en décembre 2015. Il a accompli des progrès dans de nombreux domaines, notamment dans le cadre de sa candidature à l'Union européenne et de la reprise de l'acquis communautaire, même s'il ne faut pas nier l'existence d'une marge de progression, particulièrement en matière d'état de droit et de lutte contre la corruption. Si le Monténégro s'est doté, dans la plupart des domaines, d'un cadre législatif et réglementaire adapté, l'enjeu est désormais de mettre celui-ci en application.

D'un point de vue militaire, il faut l'admettre, la contribution financière du 29membre de l'Alliance à son budget sera modeste puisqu'elle en représentera 0,027 % (environ 1 million d'euros), soit la moitié de la contribution de l'Islande, qui en est jusqu'à présent le plus petit contributeur.

Le budget de la défense du Monténégro s'élève, quant à lui, à 47 millions d'euros en 2016, soit 1,25 % du PIB du pays. Il devrait toutefois être porté à 1,4 % du PIB en 2020. Cet effort permettra d'augmenter un peu les effectifs militaires, qui devraient passer de 1 850 en 2016 à 1 950 en 2020, et de moderniser une partie des équipements hérités de l'armée yougoslave et en partie obsolètes, les priorités de modernisation étant définies en fonction des objectifs d'intégration à l'OTAN.

En outre, le Monténégro prend part activement aux opérations extérieures, dans le cadre tant de l'OTAN avec une contribution d'une vingtaine de soldats à l'opération Resolute Support en Afghanistan, que de l'Union européenne avec une participation aux opérations EUTM Mali et Atalanta de lutte contre la piraterie. Il faut souligner, à cet égard, la « sensibilité maritime » que le Monténégro est susceptible d'apporter à l'Alliance atlantique qui pourrait s'avérer utile pour le traitement des problématiques méditerranéennes (migrants, lutte contre les trafics).

C'est d'ailleurs essentiellement dans ce domaine que se développe la coopération militaire bilatérale de la France avec ce pays, qu'il s'agisse de soutenir son équipe de protection embarquée dans le cadre d'Atalanta ou de proposer des formations, par exemple à l'action de l'Etat en mer.

Enfin, d'un point de vue stratégique, l'entrée du Monténégro dans l'OTAN permet d'établir une continuité de la zone otanienne sur la côte adriatique, en complétant le chaînon manquant entre la Croatie et l'Albanie.

Après avoir étudié le dossier et procédé à des auditions, votre rapporteur considère que le Monténégro remplit les conditions d'adhésion à l'OTAN.

Celle-ci n'en reste pas moins une question discutée, au plan tant interne qu'international.

Pour une partie de l'opinion publique monténégrine, essentiellement la minorité serbe, marquée par les bombardements de l'OTAN contre la Serbie qui ont aussi concerné, de manière limitée, le Monténégro, l'entrée de celui-ci dans l'Alliance atlantique ne va pas de soi. La question, sans doute instrumentalisée par l'opposition proserbe, a même été l'un des mots d'ordre des manifestations organisées contre le pouvoir à l'automne 2015, qui s'étaient accompagnées d'une tentative de déstabilisation du Parlement. Elle a également occupé une large place dans les débats qui ont précédé les élections législatives du 16 octobre 2016, considérées par certains observateurs comme un référendum sur le sujet.

Si ces élections ont été remportées par les formations favorables à l'accession à l'OTAN, elles n'en ont pas moins donné lieu à une nouvelle tentative de déstabilisation du pouvoir, dans laquelle ont été pointés du doigt des ressortissants russes et serbes.

Par ailleurs, on ne saurait occulter, dans le contexte stratégique actuel, les difficultés suscitées par cet élargissement avec la Russie, qui s'est ouvertement opposée à l'accession du Monténégro à l'OTAN à partir du moment où cette éventualité est devenue plus concrète, c'est-à-dire à compter de décembre 2015.

Cette réaction tient sans doute pour partie aux intérêts économiques que la Russie compte traditionnellement dans ce pays, que ce soit dans le parc hôtelier de la côte adriatique ou dans des entreprises comme le fabricant d'aluminium KAP. Il faut également mentionner les liens culturels que la Russie cherche à maintenir avec ce pays à forte composante slave, même si le Monténégro n'a jamais eu pour elle la même importance que la Serbie.

Mais c'est sûrement plus encore la perspective d'un nouvel élargissement de l'OTAN, dans un contexte de tensions exacerbées avec cette organisation militaire, qui explique la réaction russe. S'agissant d'un petit pays de 620 000 habitants qui, de surcroît, ne borde pas les frontières russes, celle-ci relève certes davantage d'une position de principe qu'elle ne traduit un réel enjeu stratégique. Il n'en demeure pas moins que la Russie considère l'expansion de l'OTAN, qu'elle perçoit comme principalement dirigée contre elle, comme une menace directe pour sa sécurité. Selon la dernière version de la Doctrine militaire russe publiée en décembre 2014, il s'agit même du premier danger militaire auquel la Russie est susceptible de faire face.

Ces tensions avec la Russie au sujet de l'élargissement de l'OTAN se sont aggravées depuis la crise ukrainienne, largement imputable à la volonté de la Russie d'empêcher un rapprochement avec l'Occident d'un pays qu'elle considère comme un partenaire stratégique. Il résulte de tout cela une dégradation du contexte sécuritaire en Europe, qui se caractérise par une augmentation de la fréquence et de l'ampleur des démonstrations de force de la part de la Russie (incursions aériennes et maritimes dans les espaces relevant de la souveraineté d'Etats de l'Alliance, exercices militaires impliquant un très grand nombre d'hommes et de moyens à proximité des frontières occidentales, déploiement de missiles de capacité nucléaire à Kaliningrad et en Crimée...) et un investissement massif du champ de la guerre informationnelle dans l'objectif de déstabiliser les pays occidentaux. Cette montée des tensions a engendré corrélativement, une réponse proportionnée de l'Alliance atlantique avec les décisions prises lors des sommets de Newport (septembre 2014) et de Varsovie (juillet 2016), qui prévoient un renforcement des capacités militaires déployées sur le flanc est, afin de rassurer les alliés orientaux.

Dès lors, quelle position préconiser ?

Dans leur rapport de 2015 sur les relations avec la Russie, nos collègues Robert del Picchia, Josette Durrieu et Gaëtan Gorce avaient identifié l'élargissement à l'est de l'OTAN, concomitamment à celui de l'UE, comme l'une des causes de la dégradation des relations entre la Russie et les pays occidentaux ces dernières années, dégradation qui n'a fait que s'aggraver à l'occasion de la crise ukrainienne. Ils en appelaient à une retenue sur cette question, plaidant notamment pour la non-appartenance des pays de l'espace post-soviétique, en particulier l'Ukraine, à des alliances militaires.

S'agissant de l'adhésion à l'OTAN du Monténégro, la position de la France, réservée au départ, a évolué en 2015 au vu des progrès accomplis par ce pays et à la condition d'un compromis d'ensemble sur la question de l'élargissement, consistant à limiter le feu vert au seul cas monténégrin.

Votre rapporteur propose de soutenir cette position. Il s'agit, en effet, à la fois de ne pas décevoir les attentes d'un petit pays qui s'est résolument engagé dans la voie de l'adhésion à l'OTAN et en a franchi avec succès les différentes étapes, de conforter un pôle de stabilité dans les Balkans, au bénéfice des pays voisins, et de compléter l'arc de sécurité otanien sur la côte adriatique.

En revanche, cette adhésion, dont il faut souligner qu'elle n'est en aucune manière dirigée contre la Russie, doit, à notre sens, être la dernière, il faut clairement s'y engager.

Il est, par ailleurs, nécessaire de poursuivre les efforts de dialogue et de coopération avec la Russie dans le cadre du Conseil OTAN-Russie qui, après avoir suspendu ses activités du fait de la crise ukrainienne, a tenu trois réunions durant l'année 2016, ce qui est un signe encourageant.

Enfin, il faut souligner que l'adhésion du Monténégro à l'OTAN ne préjuge en rien de son adhésion à l'Union européenne.

Sous réserve de ces observations, je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi, qui sera discuté en forme normale en séance publique le jeudi 26 janvier matin.

M. Robert del Picchia. - Dans notre rapport d'information sur la Russie, nous soulignions effectivement le problème que posent à la Russie les élargissements successifs de l'OTAN, qu'elle perçoit comme dirigés contre elle. Comment les Russes vont-ils réagir à l'entrée du Monténégro dans l'OTAN ? In fine, ne va-t-elle pas porter tort à ce pays, compte tenu des relations étroites qu'il entretient avec la Russie, notamment au plan économique ? Ce tort ne risque-t-il pas d'être supérieur à l'avantage qu'il retirera de son adhésion à l'OTAN ? En d'autres termes, le jeu en vaut-il la chandelle pour le Monténégro ? En ce qui nous concerne, cela ne va pas améliorer nos relations avec la Russie, même si le Monténégro n'est pas un enjeu stratégique pour celle-ci. Les Russes nous rappelleront sûrement leur position, qui est la même que vis-à-vis de l'Ukraine. Concernant celle-ci, nous n'en serions pas là aujourd'hui si nous avions pris fermement l'engagement de ne pas chercher à l'intégrer dans l'OTAN.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Je ne voterai pas en faveur de ce texte, non pas parce que cette adhésion mécontente les Russes mais par militantisme européen. J'ai regretté à l'époque l'échec de la communauté européenne de la défense (CED), de même que j'ai regretté qu'à la fin de la guerre froide, l'UE se soit précipitée pour conforter l'OTAN au lieu de chercher à bâtir une défense européenne. Or, les déclarations caricaturales et méprisantes de Donald Trump sur l'Europe devraient inciter les Européens, qui achètent massivement des armes aux Américains et qui comptent largement sur eux pour leur sécurité, à se prendre en main et à bâtir enfin une Europe de la défense, l'OTAN devant devenir plus européenne.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Il faut souligner que M. Trump se montre aussi sévère avec l'OTAN qu'avec l'UE.

M. Jacques Legendre. - Ce n'est pas si évident de voter en faveur de l'entrée du Monténégro dans l'OTAN dès lors que ce pays a des liens historiques avec la Russie, notamment sur le plan militaire. Ainsi, les bouches de Kotor, qui abritaient d'ailleurs la base navale de l'ex-Yousgolavie, ont accueilli depuis le XVIIIe siècle des officiers russes en formation, dans le cadre d'échanges avec la marine russe. En outre, je ne suis pas convaincu de l'apport du Monténégro à la sécurité de l'OTAN. Enfin, je pense que cet élargissement ne peut que renforcer la perception qu'a la Russie d'un encerclement par l'OTAN. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer ici en faveur de l'indépendance et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine tout en défendant l'idée que ce pays doit se tenir à l'écart de l'OTAN. Il me semble que dans le contexte actuel, nous devons veiller à ne pas alimenter les tensions avec la Russie. De surcroît, je ne voudrais pas qu'une accession de ce pays à l'OTAN facilite son entrée dans l'UE à laquelle je ne suis pas du tout favorable. En ce qui me concerne, je ne voterai donc pas ce projet de loi.

M. Gilbert Roger. - Il est beaucoup question de ce sujet à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Mon groupe soutient la position du rapporteur, y compris ses réserves sur le fait que cette adhésion ne préjuge en rien de l'entrée du Monténégro dans l'UE. Soulignons, à cet égard, que l'ambiguïté qu'on a laissé planer concernant la possibilité d'un double élargissement -à l'UE et à l'OTAN- de l'Ukraine a été à l'origine de la crise.

M. Jean-Marie Bockel. - J'ai trouvé la présentation du rapporteur convaincante. Si on pouvait revenir en arrière, on s'y prendrait sans doute différemment concernant les élargissements de l'OTAN, compte tenu de la dimension géopolitique de ce sujet. Néanmoins, une démarche au long cours a été engagée par le Monténégro, complémentaire de celle d'autres pays de l'ex Yougoslavie, dont l'adhésion à l'OTAN n'a pas posé problème à la Russie. Certes, l'OTAN se trouve face à des défis et va devoir évoluer, qu'il s'agisse de ses missions ou de la relation transatlantique. Mais il me semble que ce n'est pas le moment de montrer des signes de faiblesse en renonçant à une démarche qui est solide et pertinente ; en outre, pour le Monténégro qui, en soi, n'est pas un enjeu considérable pour l'OTAN, ce serait catastrophique. L'OTAN y perdra beaucoup en crédibilité. Il faut aller mener ce processus jusqu'à son terme.

Mme Nathalie Goulet. - En ce qui me concerne, je voterai ce texte. Ce n'est pas parce que c'est un petit pays qu'il n'a pas d'importance d'un point de vue stratégique. En outre, la demande émane du Monténégro, pas de l'OTAN, c'est donc ce pays que nous soutenons en votant cette ratification. Enfin, ce pays, comme d'autres des Balkans, se tourne vers l'OTAN car il a besoin d'assurer sa sécurité, il ne va pas attendre pour cela qu'émerge une défense européenne.

M. Robert Hue. - Ce rapport est équilibré, mais n'emporte pas mon adhésion. Nous entrons dans une période d'interrogations, voire, avec l'arrivée du nouveau président américain Donald Trump, de turbulences concernant l'Europe et l'OTAN. Dans ce contexte, il me paraît prématuré de donner notre aval à ce texte. Faute de visibilité, il serait préférable de suspendre provisoirement le processus. Je m'abstiendrai donc.

M. Michel Billout. - Le groupe communiste, républicain et citoyen votera contre ce texte pour plusieurs raisons. D'abord, parce que sur le principe, nous portons un regard très critique sur l'OTAN, dont les activités ne contribuent pas à renforcer la paix dans le monde mais plutôt à augmenter les tensions. Ensuite, parce que même si l'apport que représente le Monténégro à l'OTAN n'est pas essentiel, cet élargissement ne va pas dans le sens d'une amélioration de nos relations avec la Russie. Enfin, on peut effectivement s'interroger sur l'opportunité d'intégrer un nouveau pays dans l'OTAN au moment où le président de la puissance dirigeante de cette organisation en souhaite sa refonte totale et notamment de son article 5 relatif à l'assistance mutuelle entre ses membres. Cette adhésion nous paraît donc également prématurée.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Une vingtaine d'Etats membres de l'OTAN ont déjà ratifié ce protocole. Je félicite le rapporteur pour son travail. Cette adhésion répond à une demande forte du Monténégro, où plus de 80 % de la population y est favorable. Ce pays accomplit de gros efforts en matière de gouvernance économique, de lutte contre la corruption. Ce serait un très mauvais signal vis-vis des pays des Balkans, qui ont besoin d'être stabilisés et encouragés, de renoncer à l'engagement qui a été pris en raison des déclarations de Donald Trump. J'appelle donc à voter en faveur de cette ratification.

M. Xavier Pintat, rapporteur. - En réponse à Robert del Picchia et Gilbert Roger, je soulignerai que la Russie a indiqué dans le passé qu'elle ne s'opposerait pas à l'adhésion du Monténégro à l'OTAN ; sa posture est assez récente ; ses lignes rouges sont l'adhésion à l'OTAN de la Géorgie, de l'Ukraine ou encore de la Serbie, cette dernière n'étant d'ailleurs pas candidate.

Le Monténégro entretient à cet égard des relations amicales et apaisées avec la Serbie et s'attache aussi à garder de bonnes relations avec la Russie. Néanmoins, les engagements russes dans le pays ont eu tendance à se réduire ces dernières années, alors que des pays comme l'Autriche ou l'Italie y développent leurs investissements.

En réponse à Yves Pozzo di Borgo, je pense que l'Europe de la défense ne peut être créée ex nihilo, personne ne nous suivrait dans cette voie. En revanche, européaniser davantage l'OTAN à la faveur du retrait américain a du sens, c'est même nécessaire pour assurer la sécurité du territoire européen. L'intégration du Monténégro se justifie d'un point de vue stratégique et géographique, dès lors que la Croatie et l'Albanie sont membres de l'OTAN. J'ajoute que ce pays peut être un point d'appui pour le traitement de problématiques régionales comme la question des réfugiés.

A notre collègue Jacques Legendre, je rappelle, comme notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam, qu'une grande majorité d'Etats alliés ont d'ores et déjà ratifié le protocole. En revanche, il faut dire clairement que l'élargissement de l'OTAN n'ira pas au-delà du Monténégro et que ne sont donc pas concernées la Géorgie, l'Ukraine ou encore la Serbie, afin d'éviter toute provocation à l'égard de la Russie. La France, à l'origine assez prudente au sujet de l'adhésion du Monténégro, a finalement pris en compte ses progrès. Elle a une coopération militaire dynamique avec ce pays et des perspectives commerciales pour le renouvellement d'une partie de ses matériels militaires. Il serait donc paradoxal de renoncer à cette ratification. Mais cela ne vaut pas blanc-seing pour une entrée dans l'UE. Je crois avoir déjà répondu aux autres questions et observations.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Il s'agit d'un sujet important. Il nous faut bien mesurer la situation dans laquelle nous nous trouvons avec un président américain qui joue sur les divisions des Européens et parie sur la dislocation de l'Europe, lance des attaques contre l'OTAN, alors qu'au même moment, nous faisons face, à travers le Brexit, à une crise de l'Europe de la défense. La ratification de ce projet de loi peut être une opportunité à condition de bien énoncer, comme l'indique le rapporteur, les lignes rouges à ne pas franchir. Le débat en séance publique sera l'occasion de les rappeler. L'idée est d'approuver l'accession du Monténégro à l'OTAN et de s'en tenir là, en rappelant que la France n'est pas favorable à un élargissement de l'OTAN ni à l'Ukraine, ni à la Géorgie, ni à la Serbie.

M. Alain Joyandet. - Comment s'est déroulé le vote à l'Assemblée nationale ?

M. Xavier Pintat, rapporteur. - Le texte a été adopté à la majorité, certains de nos collègues votant contre.

M. Robert del Picchia. - J'étais plutôt défavorable à ce projet de loi, mais j'ai été finalement convaincu par le rapporteur et les propos de notre président. Je voterai donc pour son adoption.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi précité, le groupe communiste, républicain et citoyen votant contre et onze sénateurs s'abstenant.

Nomination de rapporteurs

La commission nomme rapporteurs :

. Mme Michelle Demessine sur le projet de loi n° 4263 (AN-XIVe législature) autorisant l'adhésion de la France au deuxième protocole relatif à la convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (sous réserve de sa transmission).

. Mme Joëlle Garriaud-Maylam sur le projet de loi n° 848 (2015-2016) autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme, en remplacement de M. Christian Cambon.

Désignation d'un vice-président

La commission nomme M. Alain Gournac vice-président en remplacement de M. Jacques Gautier.

Désignation d'un membre du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne

La commission désigne M. Pascal Allizard membre du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne, en remplacement de M. Jacques Gautier.

Initiative française pour la paix au Proche-Orient - Audition de M. Ludovic Pouille, directeur-adjoint d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et du développement international

La commission auditionne M. Ludovic Pouille, directeur-adjoint d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et du développement international, sur l'initiative française pour la paix au Proche-Orient.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous sommes heureux d'accueillir M. Ludovic Pouille, directeur-adjoint Afrique du Nord et Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et du développement international. Vous avez participé activement à l'initiative française pour la paix au Proche-Orient, sujet de notre matinée. Nous recevrons ensuite Mme Aliza Bin-Noun, ambassadeur d'Israël en France, M. Salman El-Herfi, ambassadeur, chef de la mission de Palestine en France.

Quel bilan dressez-vous de cette initiative française, marquée par une participation importante et l'absence d'Israël et de la Palestine ? Quelles sont les suites prévues, notamment par la France ? Israël a réagi très négativement à la résolution 2334 des Nations-Unies, pourtant historique, qui établit un texte de droit. De nombreuses difficultés perdurent de chaque côté, avec la colonisation d'un côté et de l'autre une faible légitimité démocratique des institutions et une cohérence difficile à obtenir... Quel serait le rôle de la France ? Que peut-on prévoir de l'attitude du président Trump et de ses futures orientations ?

M. Ludovic Pouille, directeur-adjoint Afrique du Nord et Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et du développement international. - C'est un grand honneur d'être parmi vous après la conférence pour la paix au Proche-Orient, incontestable succès de la diplomatie française dimanche dernier.

Cette conférence marque l'aboutissement d'une séquence d'un an d'efforts diplomatiques avec une mobilisation politique importante. L'ambassadeur Pierre Vimont, envoyé spécial du Ministre pour la préparation de la conférence, vous avait rappelé en mai dernier les raisons de cette initiative. Depuis, la situation sur le terrain s'est aggravée, comme l'a encore illustré le terrible attentat au camion-bélier à Jérusalem le 8 janvier, tandis que la colonisation s'est accélérée durant le deuxième semestre de l'année 2016.

Cette conférence s'inscrit dans un effort en trois temps : une réunion ministérielle préparatoire sans les parties le 3 juin 2016 ; un travail d'approche des parties et de mobilisation des partenaires autour de groupes de travail sur les « incitations » à reprendre les négociations de paix pendant le deuxième semestre 2016 ; enfin, une conférence internationale pour la paix censée initialement présenter aux parties un « paquet d'incitations » et relancer les négociations bilatérales à l'aide d'un cadre multilatéral renouvelé. Les deux parties israélienne et palestinienne étant absentes, aucune négociation n'a pu être enclenchée entre elles lundi matin. Car entre temps, l'élection de Donald Trump aux États-Unis début novembre a changé la donne. Ses propos de campagne, sa vision du dossier israélo-palestinien, l'annonce d'un possible transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem et la nomination de certaines personnalités très proches de la droite israélienne ont suscité une inquiétude dans la communauté internationale, dans le monde arabe, chez les Européens et dans l'administration américaine sortante, au premier rang chez le Secrétaire d'État John Kerry.

Dans ce contexte, fallait-il abandonner notre initiative en attendant des jours meilleurs, ce que nous demandaient certains ? Selon le Président de la République et le Ministre des affaires étrangères, ce changement de contexte et cette incertitude lourde de conséquences imposaient d'autant plus de poursuivre jusqu'au bout nos efforts. L'enjeu n'était plus seulement de sauvegarder la viabilité de la solution de deux États sur le terrain, mais de préserver le concept même de deux États. C'est dans cet esprit qu'a été adoptée la résolution 2334 des Nations-Unies - avec une abstention inédite des États-Unis - et que John Kerry a prononcé son discours de bilan de mandat présentant les paramètres, selon lui, nécessaires à un accord de paix.

C'est dans cet esprit également que s'est tenue la conférence de Paris. Dimanche, la France était entourée de 75 pays et organisations internationales, dont 50 ministres ou vice-ministres, issus de tous les pays arabes, européens, du G20, des membres du Conseil de sécurité de l'ONU, et de quelques grands pays particulièrement concernés. Nous aurions été probablement deux fois plus nombreux si nous avions invité tous les pays membres de l'Assemblée générale de l'ONU, mais ce n'était pas l'objectif de cet exercice, car nous souhaitions nous centrer sur les pays les plus impliqués.

La communauté internationale s'est donc réunie pour adresser trois messages.

D'abord, celui de l'urgence de la préservation de la solution à deux États, menacée sur le terrain et dans son concept même. Certains nous appellent à nous concentrer sur les grandes crises irakienne, syrienne et libyenne. La France s'en occupe naturellement et est aux avant-postes dans la lutte contre Daech et contre les flux migratoires qui menacent la stabilité de l'Europe. Mais ce n'est pas une raison pour négliger le plus ancien conflit du Proche-Orient, comme l'a rappelé le Président de la République dimanche, conflit qui a suscité trois guerres en six ans à Gaza. Aujourd'hui, tous les éléments d'une escalade sont réunis. La tension est très grande, et le conflit n'a rien perdu de sa force symbolique, au-delà des frontières. Tous les pays présents dimanche étaient convaincus que ne rien faire serait faire un cadeau aux extrémistes utilisant ce conflit dans leur rhétorique radicale.

Deuxième message, celui de l'unité internationale. Les approches de chacun varient bien sûr, et il a fallu un travail diplomatique extrêmement poussé, conduit avec brio par Pierre Vimont, pour surmonter les obstacles et parvenir à l'adoption d'une déclaration conjointe. Tous les pays présents voulaient parvenir à un texte commun car l'enjeu politique était trop grand, et l'absence de déclaration aurait envoyé un signal extrêmement négatif pour la solution à deux États. La déclaration a rappelé l'importance de cette solution, les grands principes d'une résolution du conflit et a dénoncé les actes unilatéraux empêchant sa réalisation.

Dernier message, celui de la mobilisation. Personne ne souhaite que la conférence de Paris soit le dernier acte d'un effort diplomatique de plusieurs décennies. Tous les participants se sont accordés pour assurer un suivi des efforts engagés. La conférence n'avait pas pour but de dénoncer, de stigmatiser ou de donner des leçons, mais de tendre la main pour une solution constructive. Selon Israël, seules des négociations bilatérales permettront d'avancer. Certes, elles sont indispensables, et sont rappelées dans la déclaration finale : personne ne doit négocier à la place des parties. Mais comment y parvenir alors qu'il n'y a eu aucune rencontre bilatérale depuis trois ans, et que M. Netanyahou n'a pas donné suite aux propositions de rencontre avec M. Abbas en bilatéral, tant à Moscou qu'à Paris ? Trois pistes opérationnelles sont proposées dans la déclaration conjointe pour aider à la relance des négociations.

D'abord, le cadre des négociations pour aboutir à une solution est solennellement rappelé : les lignes de 1967 et les grandes résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU.

Ensuite, les participants ont incité les parties à reprendre le chemin de la négociation en faisant des propositions dans trois domaines :

- sur le volet économique, la Commission européenne et la Norvège se sont particulièrement impliquées : ce volet comprend un partenariat spécial privilégié avec l'Union européenne, et souligne l'immense potentiel d'un accord de paix pour l'investissement privé et les coopérations internationales, y compris avec les pays de la région;

- sur le renforcement des capacités étatiques palestiniennes, grâce au rôle d'appui très important de l'Allemagne, les participants se sont engagés à consolider les institutions palestiniennes, comme le prévoyait la conférence de Paris en 2007 pour un État palestinien, en appui aux efforts du Premier ministre palestinien d'alors, M. Salam Fayyad ;

- enfin, un travail de fond a été mené par la Suède pour oeuvrer au rapprochement entre les sociétés civiles israélienne et palestinienne et raviver le débat sur la solution des deux Etats, grâce à la consultation de 150 organisations des deux côtés dans les derniers mois.

Troisième piste opérationnelle, le processus de suivi : nous avons prévu une coopération accrue entre le Quartet et les pays concernés, arabes et européens, et une réunion des participants intéressés, avant la fin de l'année, pour assurer le suivi des engagements.

La France a mené l'ensemble de cette initiative en pleine transparence et coopération avec les deux parties. Le Président de la République et le ministre des affaires étrangères se sont entretenus plusieurs fois avec le président palestinien et le premier ministre israélien ; le ministre des affaires étrangères s'est rendu à deux reprises en Israël et dans les Territoires palestiniens ; l'ambassadeur Pierre Vimont s'y est également rendu de nombreuses fois, tout en entretenant un contact étroit avec l'ambassadeur d'Israël et l'ambassadeur, chef de la mission de Palestine à Paris. Nous avons entendu les objections d'Israël, et l'annonce publique de M. Netanyahou de sa disposition à rencontrer M. Abbas à Paris. Nous le souhaitions également, et avions proposé une rencontre dimanche soir entre le Président de la République, MM. Netanyahou et Abbas pour qu'il leur rende compte en bilatéral des conclusions de la conférence. Malheureusement, M. Netanyahou n'a pas donné suite à cette proposition. Mais le ministre l'a rappelé : nous restons prêts à rendre compte de la conférence et à retourner dans la région.

L'objectif de la conférence du 15 janvier était de tendre la main, de rassembler les bonnes volontés et de définir des orientations politiques. Elle a permis de concrétiser des engagements par un discours positif, de réunir tous les pays de la région et d'adresser un message à l'opinion publique internationale. Elle est une base pour avancer avec les parties et la future administration américaine. Nous ne sommes ni naïfs, ni iréniques : cette conférence s'inscrit dans une phase de grande incertitude sur l'avenir du processus de paix. Nous sommes conscients des risques sur le terrain, de la violence et de la poursuite de la colonisation. La France doit garder le cap, et a la responsabilité d'agir. La conférence de janvier a démontré notre capacité et notre volonté de poursuivre les efforts sur ce dossier particulièrement difficile.

M. Gilbert Roger. - Vous ne faites pas référence à la position du Royaume-Uni, qui ne s'est pas associé à notre démarche. Nous avons échangé à ce sujet, mi-décembre, à Londres, avec nos homologues parlementaires britanniques et M. l'ambassadeur Vimont. Comment voyez-vous précisément, après cette conférence, la reprise du dialogue entre les deux parties ?

M. Michel Boutant. - Qu'en est-il des Russes et de leur initiative pour rapprocher Hamas et Fatah ?

M. Christian Cambon. - Je rends hommage au Quai d'Orsay pour son travail sur ce sujet compliqué et à votre implication personnelle. Nous saluons également le travail formidable de M. Vimont, même s'il était assez pessimiste lors de notre réunion à Londres. La France doit toujours travailler, en priorité, pour la paix. La conférence ne pouvait se tenir dans un contexte plus difficile que celui-ci, avec l'adoption de la résolution 2334, la passation de pouvoir aux États-Unis et les déclarations intempestives de M. Trump, ainsi que la situation politique incertaine en Palestine.

Cette initiative n'aurait-elle pas dû être davantage coordonnée avec l'Europe, et menée en son nom, pour ne pas être affaiblie ? L'Europe est un géant financier, qui paie la reconstruction palestinienne, mais un nain politique... Quel est le rôle du Quartet ? À trop multiplier les formats d'intervention, on finit par ne plus savoir qui dirige la négociation ...

Mme Josette Durrieu. - Cette résolution de l'ONU contre la colonisation est très forte, je peux en témoigner après mon déplacement au Moyen-Orient. Je remercie notre diplomatie et M. Delattre, ambassadeur près les Nations-Unies. La mobilisation au sein de la conférence fut incroyable avec la présence de tous les pays arabes, de l'Union européenne du G20, des membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Disons-le plus fort ! Rien qu'à cause de cela, cette conférence est réussie ! Je remercie aussi l'ambassadeur Vimont. À l'ONU, j'ai entendu un expert affirmer que les pays arabes étaient démunis et réticents à la perspective de deux États. Faisons attention ! Cela n'est pas forcément vrai...

M. Netanyahou constate l'impasse, il fait primer le statu quo. Les institutions palestiniennes sont faibles, en l'absence de Conseil législatif depuis 2006, car les élections gagnées par le Hamas n'ont pas été reconnues. Pour M. Abbas, il ne reste de légitimité que l'Organisation de libération de la Palestine (OLP).Travaillerons-nous sur un rapprochement entre le Hamas et le Fatah ?

M. Jacques Legendre. - J'approuve l'action menée par le Quai d'Orsay mais je suis étonné de constater que la déclaration conjointe qui nous est transmise est expressément « traduite de l'anglais ». Pourquoi le texte officiel est-il en anglais pour une conférence en France et d'initiative française ?

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Que vaut-il mieux ? Ne pas faire une initiative ou lancer une initiative stérile ? La France y gagne-t-elle ?

M. Ludovic Pouille. - J'espère vous avoir convaincu que cette initiative n'était pas stérile et qu'il fallait maintenir, en dépit des incertitudes sur l'avenir, l'élan qui a été enclenché lors de cette conférence qui a rappelé l'unité de la communauté internationale sur certains principes. La déclaration conjointe a été négociée en anglais mais trois documents font foi : les versions anglaise, arabe et française. La déclaration a été transmise au Conseil de sécurité de l'ONU et à l'Assemblée générale et sera traduite dans les six langues. Malheureusement, on n'arrive pas à négocier entre 70 pays en français...

M. Jacques Legendre. - Auparavant, nous y arrivions !

M. Ludovic Pouille. - Le Royaume-Uni a été le seul pays à s'être dissocié de la déclaration finale, et cela a été une grande déception. Cela nous interroge aussi lourdement sur la position qui sera la sienne dans les deux prochaines années, et sur la capacité de l'Union européenne, avec un Royaume-Uni à la fois in et out, à décider et à s'exprimer sur le sujet.

La déclaration finale ne met pas en concurrence le Quartet et les autres mais met toutes les bonnes volontés d'équerre pour un objectif de paix. Le Quartet ne peut qu'être renforcé par une meilleure coopération avec les grands pays arabes et européens. L'Arabie saoudite est volontaire pour participer à cet effort, alors qu'elle n'a pas de relations diplomatiques avec Israël. La Russie, qui a signé la déclaration, a aussi organisé dimanche une réunion entre le Fatah et le Hamas - ce que ne peut pas faire l'Union européenne, car le Hamas figure sur sa liste des organisations terroristes. Mais nous encourageons la formation d'un gouvernement d'union nationale : Gaza et la Cisjordanie devront appartenir au futur État palestinien. Les élections palestiniennes devront s'inscrire dans une démarche d'union nationale.

La résolution 2334 est essentielle : le droit international s'applique donc à la colonisation dans un contexte où certaines initiatives nous inquiètent particulièrement. Le Conseil de sécurité et la communauté internationale doivent assurer le suivi de cette résolution.

Quelles sont les perspectives d'une reprise du dialogue ? Nous n'avons aucune garantie, même si la reprise des négociations est l'objectif de tous les pays présents à Paris et ce qu'envisagerait de faire M. Trump. M. Ayrault rencontrera prochainement M. Rex Tillerson, futur secrétaire d'État, afin de clarifier notre position et de coordonner nos actions. Les États-Unis jouent un rôle essentiel mais ne peuvent le jouer seuls. On ne pourra pas vivre encore cinq à dix ans sans résoudre ce conflit : cela nécessite la mobilisation de tous, et notamment celle des parlementaires.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Rassembler 70 pays pour une telle mobilisation est significatif, mais nous faisons pression sur vous : la déception serait terrible si nous en restions à des décisions superficielles. Vous pouvez compter sur notre mobilisation, mais aussi sur notre vigilance.

Audition de S.E Mme Aliza Bin-Noun, ambassadeur d'Israël en France

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Madame l'ambassadeur, nous sommes très heureux de vous recevoir et nous vous remercions d'avoir accepté de venir vous exprimer devant notre commission.

Un haut fonctionnaire du Quai d'Orsay vient de nous rendre compte de la Conférence de Paris de dimanche dernier. Vous nous expliquerez quelle est votre analyse sur cette importante mobilisation internationale même si elle s'est déroulée en l'absence des deux principaux protagonistes. Vous nous direz quelles sont les conclusions que vous en tirez. Nous aimerions également vous entendre sur la nouvelle donne internationale, sur la récente résolution votée par l'ONU et sur la future politique que mènera le président Trump à l'égard d'Israël, pour peu que l'on puisse réellement en avoir une idée claire.

Mme Aliza Bin-Noun, ambassadeur d'Israël en France. - Merci pour votre invitation : c'est la première fois que j'ai l'occasion de m'exprimer devant votre commission. J'apprécie toujours les rencontres avec les élus français car elles permettent de diffuser les positions israéliennes.

Le président du Sénat, Gérard Larcher, est venu en Israël il y a quinze jours alors que se déroulait la conférence annuelle des ambassadeurs : cette visite a été très appréciée. Votre président a notamment déclaré qu'il voulait renforcer les liens entre la Knesset et le Sénat : c'est une très bonne initiative et nous veillerons à la mettre en oeuvre.

Je me félicite des excellentes relations entre la France et Israël : nous sommes des pays amis qui partageons les mêmes valeurs et, hélas, les mêmes menaces. Depuis un peu plus d'un an, la coopération entre les services de sécurité s'est renforcée entre nos deux pays. Notre ambassade travaille aussi beaucoup en matière de coopération économique. Vous avez envoyé en Israël des délégations pour étudier le modèle de start-up nation. Il y a près d'un an, nous avons organisé les journées de l'innovation. De même, nous avons de très bonnes relations en matière culturelle : l'année prochaine, nous aurons une Année croisée entre nos deux pays. Ces manifestations ont été décidées à l'occasion de la visite du président Hollande en Israël il y a quatre ans. N'oublions pas non plus les bonnes relations entre les représentants de la société civile.

En revanche, en ce qui concerne les relations israélo-palestiniennes, nous sommes d'accord que nous ne sommes pas d'accord... J'en viens donc à la Conférence de Paris. La position israélienne était connue de longue date : le Premier ministre Netanyahou a dit, il y a un an lorsque la France a évoqué cette initiative, qu'il rejetait cette Conférence car seul un dialogue direct entre Israël et les Palestiniens pouvait résoudre les difficultés. Cette année, nous fêterons les 40 ans de l'accord de paix entre Israël et l'Égypte. La Nation israélienne souhaite la paix, en témoigne cet accord de paix, mais aussi celui signé avec la Jordanie. Souvenons-nous qu'Israël est le seul pays démocratique au Moyen-Orient : à ce titre, il est attaché aux valeurs de la paix. Mais pour résoudre les problèmes que tout le monde connaît depuis bien longtemps, il faut un dialogue direct. Depuis deux ans, M. Netanyahou a tendu la main à M. Abbas et il a dit à plusieurs reprises qu'il était prêt à le rencontrer, que ce soit à Jérusalem, à Ramallah, à Paris, où ailleurs.

Malheureusement, Israël n'a pas de bons souvenirs lorsque la communauté internationale s'est immiscée dans le processus de paix. En témoignent les deux résolutions négatives de l'Unesco votées il y a quelques mois et la résolution adoptée par l'ONU il y a trois semaines, qui a été rejetée par les Israéliens. Mêmes remarques sur les quelque 70 résolutions votées contre Israël par le Conseil des droits de l'Homme de Genève, comme si Israël était la grande menace pour la sécurité du monde.

Or, notre histoire démontre que l'on peut parvenir à la paix et modifier les relations avec nos voisins, comme en témoignent les excellentes coopérations que nous entretenons avec l'Égypte et la Jordanie, notamment en matière de sécurité.

Lorsque M. Abbas refuse systématiquement de venir s'asseoir à la table des négociations, nous ne pouvons le considérer comme un partenaire fiable.

Certes, on pourrait nous reprocher de ne pas accepter les conditions préalables posées par M. Abbas. Quelles sont-elles ? La première condition est la libération des terroristes emprisonnés en Israël, à la suite d'attentats commis dans notre pays et qui se sont traduits par des morts israéliens. Cette condition est inacceptable. Deuxième condition : l'arrêt des constructions en Cisjordanie. Mais Israël a gelé les constructions pendant neuf mois en 2010 et M. Netanyahou a demandé à M. Abbas d'ouvrir les discussions ; or ce dernier a refusé. Six ans après, la situation reste inchangée et il n'est pas envisageable d'arrêter les constructions si aucune discussion n'a lieu entre les deux parties. Je ne comprends pas pourquoi la communauté internationale ne demande pas à M. Abbas d'accepter des pourparlers de paix. Pourquoi est-ce toujours Israël qui est mise sous pression ? En tant qu'Israélienne, j'ai beaucoup de mal à le comprendre. On a le sentiment que M. Abbas attend de la communauté internationale qu'elle fasse pression sur Israël pour accepter ses conditions. Ce n'est pas acceptable. Nous avons déjà accepté des concessions territoriales très douloureuses : il y a onze ans, Israël s'est retiré de la bande de Gaza, où 10 000 Israéliens vivaient depuis des décennies. Le Gouvernement Sharon a décidé le retrait, en espérant aboutir à un accord de paix. Malheureusement, depuis 2005, nous avons connu trois conflits armés avec la bande de Gaza, qui refuse de reconnaître l'existence d'Israël.

Les implantations - ce que vous appelez les colonies - restent sur la table des négociations. Mais ce qui nous pose problème, c'est que les Palestiniens refusent d'accepter Israël comme l'État du peuple juif. Les négociations qui se sont déroulées durant toutes ces années ont échoué non pas à cause des implantations mais de ce refus de reconnaître la Nation juive. Je vous renvoie aux négociations du Camp David ou d'Annapolis, en 2007 : Israël était prêt à de grandes concessions mais les Palestiniens devaient accepter Israël comme pays juif -l'Etat du peuple juif-, ce qu'ils ont refusé. La population israélienne considère donc qu'il n'y a pas de partenaire pour discuter de la paix, d'autant que l'incitation à la haine contre Israël perdure. Il y avait beaucoup d'attentats terroristes il y a un an et il y a quinze jours, un camion a tué quatre jeunes gens. Or M. Abbas n'a pas condamné cet attentat, pas plus qu'il n'a condamné les précédents. Tout au contraire, il rend visite aux familles des terroristes, les soutient financièrement et donne leur noms à des rues. Comment voulez-vous que les Israéliens réagissent !

Je comprends que la France veuille faire avancer la paix, mais le message a été brouillé avec la Conférence de Paris : la paix s'éloigne lorsqu'on encourage les Palestiniens à ne pas discuter directement avec Israël. On ne peut continuer à inciter les Palestiniens à espérer que la communauté internationale fasse pression sur Israël.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci pour ce message qui ne manque pas de clarté.

M. Jean-Marie Bockel. - J'ai toujours beaucoup de plaisir à vous écouter, madame l'ambassadeur, car notre groupe d'amitié vous a déjà reçue. Je fais partie des amis indéfectible d'Israël et je me rends assez souvent dans votre pays, ce qui me permet de comprendre l'état d'esprit de vos compatriotes. La pression sur votre pays est forte, d'autant que la question sur la légitimité d'Israël n'est jamais loin. Pour ma part, je n'ai jamais été ambigu sur ce point. Enfin, je comprends les enjeux sécuritaires qui se posent à votre pays et j'ai bien conscience de la faiblesse et des contradictions du partenaire palestinien.

Pour autant, une paix durable avec l'émergence de deux États est nécessaire. Bien sûr, les implantations ne datent pas d'aujourd'hui, mais leur renforcement ne constitue pas de bons signaux et il est de nature à nuire aux objectifs de négociations bilatérales. Je n'arrive pas à comprendre cette contradiction.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Comme mon collègue, je vais assez régulièrement en Israël car nous y avons une forte communauté française.

Je comprends votre volonté de dialogue bilatéral mais le symbole que représente ce conflit, notamment dans les pays arabes, explique que cette question intéresse nombre de pays, bien au-delà de vos voisins immédiats.

L'initiative internationale de la Conférence de Paris doit se comprendre comme une volonté de forcer le dialogue entre Palestiniens et Israéliens. En tant que seul pays démocratique de la région, vous avez le devoir de tirer par le haut vos voisins.

Dans votre pays, j'ai constaté une tension croissante entre les laïcs et les religieux, notamment ultrareligieux qui sont, rappelons-le, minoritaires, mais qui influencent la politique israélienne : leur rôle et leur place politique me semble dépasser leur réelle influence dans la société israélienne. De nombreuses associations israéliennes sont engagées en faveur de la paix, mais elles semblent avoir beaucoup de mal à se faire entendre.

M. Christian Cambon. - Vous avez ici de nombreux amis d'Israël qui connaissent bien votre pays et qui souhaitent l'aider.

Je veux vous parler des colonies illégales : M. Sharon s'était engagé à les faire évacuer. Or, depuis 2005, rien ne s'est passé. Pire, un projet de régularisation des 95 colonies illégales va être examiné par la Knesset. L'affaire d'Amona ne peut qu'interpeler : la Cour Suprême d'Israël, instance unanimement respectée en Israël, a ordonné l'évacuation de cette colonie avant le 25 décembre, mais rien ne s'est passé et le Gouvernement semble accepter le maintien des colons en dépit de cette décision de justice. Il semble en aller de même pour la colonie d'Adumim. Les amis d'Israël sont déroutés : l'occupation illégale de terres privées palestiniennes n'est-elle pas encouragée pour entretenir les tensions entre Palestiniens et Israéliens et empêcher tout accord de paix ?

Mme Gisèle Jourda. - Vous avez dit : « nous sommes d'accord que nous ne sommes pas d'accord » quant à la question israélo-palestinienne.

Une délégation d'intellectuels et d'anciens ambassadeurs israéliens a rencontré Hélène Le Gal, ambassadeur de France en Israël, afin de présenter une pétition de soutien à l'initiative française. Quelle est la position de la population israélienne ? Cette délégation symbolise-t-elle la division de l'opinion publique israélienne ?

Pour vous, la solution ne peut venir que d'un dialogue direct entre Palestiniens et Israéliens, sans diktat de la communauté internationale. Le chef de l'Autorité palestinienne souhaite que la Conférence de Paris accouche d'un mécanisme international assorti d'un calendrier pour conduire les négociations avec Israël. Cette position de principe n'est-elle pas un prétexte à maintenir le statu quo, qui permet la poursuite des colonies israéliennes ? En outre, les attaques terroristes se poursuivent et cette colonisation entretient les tensions.

Enfin, vous avez parlé de la reconnaissance de l'État juif. Mais que voulez-vous dire exactement, alors que la terre d'Israël porte les trois grandes religions monothéistes ?

M. Gilbert Roger. - Vendredi, le nouveau président des États-Unis va être intronisé. Que pourra-t-il faire pour régler concrètement le conflit israélo-palestinien ?

Mme Christiane Kammermann. - Je suis ravie de vous retrouver ici après vous avoir connue - et appréciée - en Israël.

Il est essentiel que les deux chefs d'État se rencontrent en tête à tête. Il est terrible que la Palestine refuse de reconnaître l'État juif. Cela bloque toute possibilité de paix.

Que peut faire la France pour aider à la reprise des négociations ?

M. Jeanny Lorgeoux. - Le refus d'Israël de l'aide de la communauté internationale et le refus de M. Abbas du dialogue direct n'induisent-ils pas la poursuite d'un conflit ad vitam aeternam ?

Mme Aliza Bin-Noun. - Les implantations sont une conséquence de la guerre des Six jours de 1967. Nos voisins voulant nous éliminer, nous avons mené une guerre préventive et nous avons occupé des territoires en Cisjordanie. Aujourd'hui, quelque 100 000 Israéliens y habitent et notre Gouvernement ne peut ignorer cette situation. En outre, pour beaucoup d'Israéliens, ces lieux ont une signification historique et renvoient à l'histoire juive depuis les temps bibliques. Les électeurs israéliens ont choisi d'élire un Gouvernement de droite, et M. Netanyahou n'est pas le plus à droite au sein de la coalition. Il doit donc prendre en compte les inclinaisons politiques de ses partenaires, même de ceux qui sont les plus à droite.

Depuis le processus d'Oslo, il y a vingt ans, les Israéliens et les Palestiniens se sont éloignés, ce que je regrette. Mes enfants n'ont pas le même état d'esprit que celui qui était le mien à leur âge.

N'oublions pas non plus qu'outre les Palestiniens, avec qui la paix n'est pas inenvisageable, d'autres veulent notre perte : le Hezbollah au Liban, entité hostile à Israël, dispose de 100 000 missiles dirigés vers notre pays. Il est soutenu par l'Iran, qui reste la menace principale. Ce pays soutient également la Syrie et le Hamas. Nos voisins veulent qu'Israël disparaisse. Une telle situation ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur notre façon de voir les choses.

Certes, un accord international a été signé avec l'Iran il y a un an et la communauté internationale, y compris la France, ont placé de grands espoirs dans ce pays. Mais sa stratégie au Moyen-Orient, notamment au Yémen, devrait vous amener à vous interroger. Je vous renvoie à un article publié aujourd'hui par le ministre des affaires étrangères saoudien dans un de vos grands quotidiens : il évoque la menace iranienne dans la région. Outre Israël, les pays du Golfe se sentent désormais menacés. Nous notons un certain changement dans l'attitude de ces pays à notre égard, même si nous n'avons pas de relations diplomatiques, du fait des craintes que nous avons à l'encontre de l'Iran. Cela explique sans doute pourquoi la population israélienne est de plus en plus à droite. C'est un vrai problème pour l'avenir.

Pourtant, Israël est prêt à évoquer tous les sujets, y compris ceux concernant les implantations. Nous ne pouvons cependant ignorer les 400 000 personnes qui vivent dans ces colonies. L'implantation d'Amona est illégale et la Cour Suprême a ordonné son évacuation. Le Premier ministre et le ministre de la défense ont soutenu la décision de la Cour, mais certaines voix de la coalition se sont élevées contre l'évacuation. Une nouvelle décision de la Cour devrait intervenir prochainement et elle sera appliquée, même si l'opposition y est hostile. Mais il faut bien constater le renforcement de l'opposition, ce qui est un vrai problème.

Nous espérons que la nouvelle administration des États-Unis mettra la pression sur M. Abbas. Certes, il est affaibli, mais des discussions sont toujours possibles. D'ailleurs, nous avons entamé une coopération avec lui, en signant des accords sur l'eau et l'énergie il y a quelques semaines. Chaque jour, 100 000 Palestiniens entrent en Israël pour travailler. Dans les implantations de Cisjordanie, 30 000 Palestiniens travaillent dans des sites industriels. Ce sont des éléments positifs qu'on ne peut passer sous silence.

Un point d'histoire : avant que Jérusalem ne soit réunie en 1967, les juifs n'avaient pas le droit de se rendre au Mur des lamentations pour prier. Depuis, tout le monde peut pratiquer librement son culte. Nous attendons qu'Israël soit reconnu comme État juif. Cette année, nous fêterons le centenaire de la déclaration de Balfour qui avait reconnu au peuple juif le droit de s'établir en Israël. Les Palestiniens ont d'ailleurs engagé une campagne contre cette déclaration. Il ne s'agit donc pas des implantations mais bien de l'existence même d'Israël. Ils refusent de reconnaître Israël comme l'État nation du peuple juif. Être juif, ce n'est pas qu'une religion, c'est aussi une nationalité. Je ne suis pas pratiquante, mais ma nationalité est juive.

Un exemple : sur le marché de Noël, les Palestiniens avaient pour la première fois un stand et ils proposaient un plan d'Israël où les villes israéliennes n'étaient pas mentionnées ; on y trouvait que les noms arabes des villes. Que devons-nous comprendre de ce comportement ? Quel est le symbole caché ? Le problème, ce ne sont pas les implantations, mais bien l'existence même d'Israël.

Hier, Donald Trump a dit que les Palestiniens avaient trop reçu de la communauté internationale et qu'ils devaient montrer qu'ils voulaient conclure la paix avec Israël. Il a également confirmé qu'il allait transférer l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. N'oublions pas non plus que les relations entre Israël et les États-Unis sont des relations stratégiques, quel que soit le président. Ce n'est pas au Conseil de Sécurité ni au Conseil des droits de l'Homme, ni à la Conférence de Paris que les discussions de paix doivent avoir lieu, mais bien directement entre Israéliens et Palestiniens. Le refus des Palestiniens de négocier ne doit pas aboutir à un diktat de la communauté internationale à l'encontre d'Israël. N'oubliez pas non plus que des pays arabes ne sont pas très favorables à Israël et ils font pourtant partie de ce que vous appelez la communauté internationale. Même l'ancien secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon, a souligné la discrimination dont était victime Israël au sein des organisations internationales. Que penser d'une organisation internationale qui nie les relations entre le peuple juif et Jérusalem ?

Nous avons signé un accord avec la Turquie il y a quelques mois, alors que nos relations étaient très tendues depuis l'incident de la flottille. Là où il y a une volonté, il y a un chemin, dit-on. Ayons la volonté !

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci pour vos réponses très franches. Nous comprenons bien la problématique posée au peuple israélien, mais il faut aussi comprendre les questions qui se posent à d'autres pays où ce problème devient un problème intérieur, ce qui est parfois le cas en France. Nous nous sentons forcément concernés.

Beaucoup de pays font de cette crise le centre de gravité de l'équilibre du monde. D'une certaine façon, ce sujet vous dépasse, même si nous comprenons bien votre exigence de piloter vos propres affaires. Cette crise est utilisée pour peser sur d'autres crises, d'où le fait que la communauté internationale se sente concernée par ce sujet.

À la suite de la Conférence de Paris, nous espérons que le dialogue pourra reprendre.

Le Président du Sénat est revenu satisfait de son voyage en Israël. Nous avons eu une réunion de travail avec lui ce matin : il n'est pas particulièrement pessimiste et il nous a rappelé que certaines périodes avaient été beaucoup plus compliquées. Nous pouvons espérer que la situation ne soit pas durablement bloquée.

Nous vous remercions d'avoir parlé avec autant de clarté et de pédagogie. La pédagogie sert toujours le dialogue.

Audition de S.E M. Salman El-Herfi, ambassadeur, chef de la mission de Palestine en France

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Monsieur l'ambassadeur, nous vous souhaitons la bienvenue. Vous êtes le chef de la mission de Palestine en France. Dans le droit fil de la conférence de Paris qui s'est tenue dimanche, la commission des affaires étrangères du Sénat travaille sur la situation au Proche-Orient, sur le conflit israélo-palestinien et sur la mobilisation internationale, à laquelle la France a pris part.

Une mission, conduite par le président du Sénat, s'est récemment rendue en Palestine. Elle en est revenue en ayant constaté que, si la situation est complexe, les perspectives ne sont pas pour autant désespérées. Certes, l'absence des principaux protagonistes a fragilisé la conférence de Paris, mais la mobilisation internationale, on l'a vu, est très forte. Un grand nombre de pays aujourd'hui sentent que le conflit israélo-palestinien est le centre de gravité des équilibres du monde et que ce monde est aujourd'hui très dangereux.

La résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies est un autre événement important, car il marque peut-être une orientation nouvelle. Vous nous direz également ce que vous pensez de la politique qu'entend mener le président Trump, laquelle pourrait marquer une césure dans la politique américaine, même s'il est difficile d'anticiper cette question.

Nous avons adopté ici au Sénat des positions sur plusieurs sujets : sur la reconnaissance de la Palestine, sur l'organisation palestinienne, le besoin d'unité, la nécessité de renforcer les procédures et d'actualiser la démocratie interne, autant de sujets par lesquels nous sommes concernés et qui nous préoccupent. La tenue de discussions bilatérales dépend du poids et de la capacité de leadership du président Abbas.

Nous serions très heureux de vous entendre sur ces sujets, monsieur l'ambassadeur. Nous avons parfois le sentiment en France que nous allons devoir vivre avec ce conflit et le gérer des années durant. Compte tenu de l'énergie qui est déployée en interne et en périphérie, existe-t-il des perspectives ? Le monde entier est très concerné par cet abcès sur la planète, par ce sujet douloureux.

M. Salman El Herfi, ambassadeur, chef de la Mission de Palestine en France. - C'est un honneur pour moi de m'exprimer devant la commission des affaires étrangères du Sénat et de me trouver dans cette maison, symbole de la démocratie française et de ses valeurs universelles. Je vous remercie de votre invitation, et j'en profite pour adresser, au nom de la Palestine et de son peuple, mes meilleurs voeux pour la nouvelle année 2017 à la France, au peuple français ami et à votre honorable assemblée.

Permettez-moi tout d'abord de saluer la tenue à Paris le 15 janvier de la conférence pour la paix au Proche-Orient, à laquelle ont participé soixante-dix États et cinq des plus importantes organisations internationales, dans le cadre de l'initiative française lancée au début de l'année dernière, l'objectif étant de mobiliser le soutien international pour établir la paix et préserver la solution de deux États. Si la France avait ouvert la porte à d'autres pays, tous les membres de l'assemblée générale des Nations unies auraient été présents. La réussite de cette conférence vient après celle de la COP 21, qui a réuni 150 chefs d'États et de gouvernement.

Nous remercions le président François Hollande, le gouvernement et le peuple français ami d'avoir accueilli et organisé cette conférence et d'avoir déployé de grands efforts pour qu'elle soit une réussite et que son issue soit honorable. La paix n'est pas une nécessité pour le seul peuple palestinien, elle l'est aussi pour le peuple israélien, pour toute la région et pour le monde entier.

Cette conférence a marqué l'adhésion de l'ensemble des participants représentant la communauté internationale à la solution des deux États et à la nécessité d'agir ensemble pour parvenir à la paix, à la sécurité et à la stabilité pour tous. La conférence a également appelé « chaque partie à manifester, de manière indépendante, par des politiques et des actions, un engagement sincère en faveur de la solution des deux États et à s'abstenir d'actions unilatérales qui préjugeraient de l'issue des négociations sur les questions liées au statut final, en particulier concernant entre autres Jérusalem, les frontières, la sécurité et les réfugiés, actions unilatérales qu'ils ne reconnaîtront pas ».

Elle a aussi rappelé l'urgence de « prendre les mesures nécessaires pour trouver une solution à la situation humanitaire dramatique dans la bande de Gaza », assiégée depuis plus de dix ans. Enfin, elle a souligné l'importance de l'initiative arabe de paix comme cadre intégral pour la résolution du conflit israélo-arabe.

Je tiens également à remercier chaleureusement la France pour son vote au Conseil de sécurité de l'ONU le 23 décembre dernier en faveur de la résolution 2334. Cette résolution, votée à l'unanimité, a pour but principal de préserver la solution des deux États. Elle « affirme que la construction par Israël de colonies de peuplement dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n'a aucun fondement en droit et doit cesser immédiatement ». Elle réaffirme en outre le principe de la légalité internationale et demande à tous les États, et c'est très important, « de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l'État d'Israël et les territoires occupés depuis 1967, et de condamner toutes les mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut du Territoire palestinien occupé. »

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la résolution du Conseil de sécurité et la déclaration de Paris interviennent à un moment où il est urgent d'agir ensemble contre une colonisation qui anéantit la solution des deux États et contre la radicalisation dans l'ensemble de la région, celle des groupes extrémistes comme celle des colons israéliens.

En réponse à tout cela, le ministre des affaires étrangères de la France, Jean-Marc Ayrault, a rappelé il y a quelques jours que  « le conflit israélo-palestinien ne peut pas être considéré séparément de son environnement régional », que « penser que le Moyen-Orient pourrait rétablir sa stabilité sans régler le plus ancien conflit est irréaliste » et que « si le conflit n'est pas traité, il continuera à alimenter la frustration et le cercle vicieux de la violence et de la radicalisation ».

À cet égard, la volonté de la prochaine administration américaine de transférer l'ambassade américaine est en contradiction avec le statut de Jérusalem-Est, qui est un territoire palestinien occupé. Ce transfert constituerait une violation du droit international. Il attiserait les tensions, anéantirait les efforts de paix, accroîtrait l'extrémisme et heurterait les sensibilités de tous les croyants à travers le monde, notre crainte étant que le conflit politique ne devienne un conflit religieux. Jérusalem est pour nous une ville de paix et de tolérance. Nous voulons qu'elle demeure toujours ouverte à tous les croyants et à toutes les religions monothéistes et qu'elle reste un modèle de coexistence pacifique. Telle est notre position.

En marge de la conférence, le ministre français des affaires étrangères a qualifié de provocation lourde de conséquences ce potentiel transfert. En référence à l'intention américaine, la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a mis en garde ce lundi contre toute « action unilatérale ».

Il est urgent d'envoyer un message fort et clair à l'administration américaine et de la mettre en garde contre un tel acte, qui aurait pour conséquence de réduire à néant la solution des deux États et de mettre la région à feu et à sang.

À cet effet, la direction palestinienne et le leadership palestinien se joignent à ces appels et mettent en garde l'ensemble de la communauté internationale contre une telle action. Le cas échéant, la direction de l'OLP sera obligée de prendre plusieurs mesures, y compris de revoir la reconnaissance de l'État d'Israël, laquelle n'est pas une carte ouverte pour toujours.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'État de Palestine respecte le droit international, les résolutions de légitimité internationale, l'intégralité de la résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations unies et du communiqué final de la conférence de Paris. L'État de Palestine est disposé à reprendre des négociations significatives sur toutes les questions relatives au statut final pour instaurer une paix globale et durable, dans le cadre d'un mécanisme international et d'un calendrier défini selon les références internationales, les principes de Madrid, l'initiative arabe de paix, la résolution du Conseil de sécurité 2334 et la déclaration de Paris.

Après vingt-trois ans de négociations directes, et alors que cela fait plus de quarante ans que nous sommes en négociation, nous assistons à l'échec d'une stratégie de négociation dépourvue de couverture internationale, d'un cadre prédéfini déterminant les résultats escomptés, d'un calendrier suivi et de l'obligation pour toutes les parties de remplir leurs obligations.

La Palestine, déterminée à parvenir à une solution de paix fondée sur deux États, a fait des concessions historiques. Or, depuis la signature des accords d'Oslo, la droite israélienne et les gouvernements qui se sont succédé à la tête d'Israël n'ont pas ménagé leurs efforts pour enterrer les accords de paix et la solution des deux États en poursuivant l'occupation et la colonisation. Tout récemment, le ministre israélien de l'éducation, Naftali Bennett, s'est félicité de l'élection de Donald Trump en déclarant que « l'époque d'un État palestinien était révolue ». Une telle déclaration doit susciter une indignation collective et appelle une action urgente.

En rejetant toute initiative internationale visant à relancer un processus de paix crédible, Israël tente inlassablement de priver les futures négociations d'une garantie internationale et de nous plonger dans un nouveau cycle de négociations sans fin afin de disposer du temps nécessaire pour imposer ses plans de colonisation sur le terrain et de signer l'acte de décès de la solution des deux États fondée sur les frontières de 1967.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de négocier de nouveaux accords, ne serait-il pas plus cohérent d'appliquer ceux qui ont été déjà conclus il y a vingt-trois ans et qui ne sont toujours pas mis en oeuvre ? La conférence de Paris exige le respect par Israël du droit international et de ses propres engagements en vertu des accords d'Oslo, l'arrêt total de la colonisation pour permettre une reprise des négociations crédible. Israël doit choisir entre l'occupation et la paix, entre la colonisation et la paix ! Il est évident, compte tenu des politiques mises en oeuvre par les gouvernements israéliens successifs, qu'un programme de colonisation a malheureusement pris la place du processus de paix.

Il y a deux ans, l'Assemblée nationale et le Sénat français ont adopté une résolution invitant « le Gouvernement français à reconnaître l'État de Palestine, en vue d'obtenir un règlement définitif du conflit ». La reconnaissance de l'État de Palestine est le premier pas vers une relation d'égal à égal entre Israël et la Palestine. Elle est la condition sine qua non de l'ouverture de véritables négociations de paix. En ce sens, j'exhorte la France, qui soutient la solution des deux États, à reconnaître le second État, à écouter la voix de son peuple et de ses représentants, et à rejoindre le Vatican, le cent trente-huitième État à avoir reconnu l'État de Palestine.

En reconnaissant l'État de Palestine, la France préserverait la solution des deux États et ferait entendre la voix de la paix. L'alternative serait un seul État où régnerait l'apartheid. Un tel État serait non seulement incapable de garantir la sécurité de ses habitants, mais il alimenterait également l'instabilité au Proche-Orient, dans une région déjà dévastée par les crises et le terrorisme, fruits de la frustration et de l'humiliation qu'engendre l'occupation par Israël des territoires arabes.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la Palestine veut les mêmes droits et les mêmes responsabilités que les autres États, ni plus ni moins. Elle souhaite que le peuple palestinien puisse disposer du droit fondamental à l'autodétermination.

La reconnaissance par la communauté internationale de ces droits fondamentaux ne nie pas les efforts déployés pour faire avancer la paix sur la base de la solution des deux États. Au contraire, elle fait partie intégrante de cet engagement. Nous espérons que la conférence de paix sera suivie par une large reconnaissance par d'autres États de l'État palestinien aux côtés de l'État d'Israël. La communauté internationale doit clairement montrer son engagement en faveur de la solution des deux États. Nous espérons que la France sera la première à effectuer cette reconnaissance officielle.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci, monsieur l'ambassadeur. Nous avons maintenant de nombreuses questions à vous poser.

M. Gilbert Roger. - Monsieur l'ambassadeur, une rencontre aurait eu lieu hier soir entre les dirigeants du Hamas et ceux du Fatah à Moscou en vue d'établir un fonctionnement normal des institutions et d'organiser des élections.

Le président Abbas aurait indiqué que le Hamas devait reconnaître l'État d'Israël, qui doit vivre en paix et en sécurité, et abandonner toute forme de terrorisme et d'encouragement de celui-ci.

Est-ce vrai ? Est-ce de bon augure ?

Mme Gisèle Jourda. - Vous avez rappelé, monsieur l'ambassadeur, la douleur des Palestiniens. Vous attendez de la France qu'elle reconnaisse l'État de Palestine, ce que nous comprenons très bien, mais comment envisagez-vous les relations avec Israël, alors que Mahmoud Abbas a plusieurs fois refusé d'entamer des négociations avec ce pays en présence de l'Égypte et de la Jordanie ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Monsieur l'ambassadeur, nous avons auditionné avant vous l'ambassadrice d'Israël, qui nous a livré le point de vue de son pays. Elle a notamment parlé de la coopération renforcée en matière de sécurité et du travail effectué en coopération avec vous dans les domaines de l'eau et de l'énergie, sujets très importants pour les populations.

Lorsque je me suis rendue en Israël et dans les territoires palestiniens, j'ai noté une montée du religieux, notamment chez les jeunes, et une certaine tension dans la société israélienne. Constatez-vous la même chose du côté palestinien ?

Quelles initiatives sont prises du côté palestinien pour renforcer le dialogue ? L'ambassadrice d'Israël a beaucoup insisté sur le fait qu'Israël voyait d'un mauvais oeil l'intervention de la communauté internationale, qui ne lui était pas toujours favorable. Israël préférerait un dialogue bilatéral avec les Palestiniens, mais il y aurait, selon elle, une mauvaise volonté du côté palestinien. Partagez-vous son avis ?

Enfin, quel État palestinien souhaitez-vous défendre alors que l'unité du territoire n'est plus du tout évidente ?

M. Michel Boutant. - Monsieur l'ambassadeur, il n'y a pas eu d'élections depuis 2006 dans votre pays. Les Russes ont récemment pris l'initiative de réunir le Hamas et le Fatah pour tenter de les réconcilier. Quel rôle la Russie peut-elle jouer dans votre organisation et de quel poids peut-elle peser sur les négociations entre vous ?

L'Iran peut également avoir des relations plus proches avec vous. Quels sont vos rapports avec le Hezbollah, au Liban et en Syrie ? Quelle sera la situation une fois que la question de l'État islamique sera réglée ?

M. Jeanny Lorgeoux. - Pensez-vous, monsieur l'ambassadeur, que la déclaration du futur président des États-Unis sur le transfert de l'ambassade américaine est le fruit d'une impulsivité personnelle, d'une méconnaissance des problèmes internationaux ou de sa proximité familiale ? Ou pensez-vous que ce transfert est un projet diplomatique savamment mûri, en liaison avec les éléments les plus durs du gouvernement israélien, afin de peser définitivement en faveur d'une solution irrémédiable et contraire à la paix ?

Mme Christiane Kammermann. - Monsieur l'ambassadeur, avouez qu'il est triste que de si beaux et intéressants pays que les deux vôtres n'arrivent pas à trouver une solution. Ce conflit a fait tellement de morts et de destructions, généré tellement d'angoisses, d'attentats... Il faut y mettre fin ! Les deux chefs d'État doivent se réunir et trouver une solution. On ne joue pas ainsi avec des peuples qui souffrent.

Vous avez dit que la reconnaissance de l'État d'Israël par l'OLP n'était pas une carte ouverte pour toujours, mais la carte doit être ouverte pour toujours ! Il faut être positif.

L'arrêt de la colonisation est important, bien sûr, car elle est source de souffrances. Tout le monde dit être prêt à faire la paix. Montrez-le nous !

Tous mes voeux vous accompagnent, monsieur l'ambassadeur.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Voilà un message qui vient du coeur, monsieur l'ambassadeur !

Pour prolonger le propos de notre collègue, il est vrai que l'on a parfois l'impression que les discours des uns et des autres sont voisins. La question de l'Iran peut apparaître pour un certain nombre d'Israéliens comme le sujet numéro un, reléguant la question palestinienne au second plan.

Ce qui est assez terrible, c'est que cette situation, que l'on conteste en apparence, finit en réalité par être acceptable pour certains pays, car pendant qu'il y a ce problème-là, il n'y en a pas d'autres. Cela révolte naturellement tous ceux qui sont attachés à ces peuples et au respect de la non-violence, au droit à vivre en paix, à tout ce à quoi tous les peuples ont droit.

M. Salman El Herfi. - Je suis très heureux d'être parmi vous et de répondre à vos questions, lesquelles traduisent un désir sincère de trouver une solution. Je partage sincèrement vos préoccupations.

J'ai 72 ans et, croyez-moi, je n'ai pas eu d'enfance, car j'ai l'âge de la Nakba. Notre peuple a été déraciné voilà soixante-dix ans. La Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est sont occupés depuis 50 ans ! Depuis lors, nous cherchons à faire la paix avec celui qui occupe nos territoires. Nous avons fait d'importantes concessions pour cela. Aucun pays au monde n'a renoncé à 78 % de son territoire pour vivre en paix, sauf le peuple palestinien. Vous, les Français, sous l'occupation allemande, vous n'avez cédé aucun pouce de votre territoire. Nous, parce que nous vivons en terre sainte, parce que nous voulons vivre en paix, parce que nous comprenons la souffrance des autres, en premier lieu celle des Juifs en Europe, nous faisons des efforts pour la paix. Or, si les Juifs ont été persécutés, c'est non pas par les Palestiniens, mais par les Européens, et c'est nous qui en avons payé le prix.

La conférence à Paris constitue un effort considérable pour rétablir la paix. Ce n'est pas Mahmoud Abbas qui a refusé de rencontrer M. Netanyahou et de venir à Paris, c'est M. Netanyahou. La société israélienne est aujourd'hui kidnappée par une poignée de colons et d'extrémistes. C'est non pas un Palestinien qui a assassiné l'homme courageux, l'homme de paix qu'était M. Rabin, mais un extrémiste israélien comme ceux qui sont au gouvernement en Israël.

Le processus de paix s'est arrêté le jour de l'assassinat de Rabin. Pour notre part, nous nous sommes efforcés ensuite de continuer de travailler avec tous les États et toutes les parties dans les instances internationales afin de reprendre les négociations de paix. Israël n'a malheureusement jamais accepté d'appliquer les accords qu'il a signés. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a signé les accords de Wye River et a pris des engagements vis-à-vis de ses alliés, les États-Unis, mais il ne les a jamais honorés. Ce n'est pas nous qui le disons. Demandez au secrétaire d'État américain, à l'Union européenne, au Quartet, au sénateur Mitchell, à tous les responsables des négociations ce qu'ils en pensent !

On demande toujours aux Palestiniens de patienter, d'attendre. Nous aurions dû, madame la sénatrice, célébrer l'indépendance de la Palestine en 1999. En 1979, on nous a dit qu'il ne fallait pas réclamer l'indépendance, qu'il fallait attendre. Nous sommes allés à Camp David, à Wye River. Rien n'a jamais avancé. La colonisation a complètement détruit la solution des deux États.

J'ai vécu en Afrique du Sud, où j'ai suivi les négociations entre le Congrès national africain et le parti de la minorité blanche, chacun cherchant à aider l'autre à avancer vers une solution. Ce pays comptait alors des chefs d'État, des personnalités politiques du calibre de M. Rabin. Malheureusement, pour notre part, nous sommes toujours à la recherche d'un Frederik De Klerk au sein de l'actuelle direction israélienne.

J'ai travaillé avec le président Arafat pendant quarante ans en tant que conseiller. Chaque fois que nous arrivions à une solution, après avoir discuté de tous les sujets
- Jérusalem, les frontières, les réfugiés, la sécurité -, les dirigeants israéliens trouvaient un prétexte pour la rejeter.

Excusez-moi de le dire, mais, par moments, les Israéliens sont des manipulateurs et des menteurs. Ils ont ainsi dit qu'ils avaient offert 98 % de la Cisjordanie aux Palestiniens, mais qu'Arafat avait refusé. Deux ans plus tard, les Américains ont avoué que les Israéliens n'avaient jamais fait une telle proposition. Les dirigeants israéliens eux-mêmes l'ont avoué. Lorsque j'étais ambassadeur en Afrique du Sud, on a demandé au président Mandela d'appeler les délégations palestinienne et israélienne, avec l'assistance des Américains : les Israéliens ont avoué qu'ils n'avaient rien proposé. C'était du bluff ! C'est non pas la volonté des Palestiniens qui manque, mais celle des Israéliens. Il manque un De Klerk en Israël, des dirigeants ayant le courage de prendre des décisions.

Le drame des Israéliens est peut-être que les Palestiniens ont, eux, un dirigeant qui travaille pour la paix. C'est Mahmoud Abbas qui a signé les accords d'Oslo. Nous avons beaucoup travaillé pour convaincre notre peuple que cette concession historique était nécessaire et qu'il fallait accepter des conditions pourtant difficilement acceptables.

Lors de la réunion entre le Hamas et toutes les organisations palestiniennes qui s'est tenue à Moscou, nous avons adopté un accord prévoyant la formation d'un gouvernement national sur la base du programme politique de l'OLP. Cela signifie le respect par tous, y compris par le Hamas et le Jihad islamique, des engagements internationaux de l'OLP. Nous remercions le dirigeant russe de son initiative, laquelle nous a permis de parvenir à un accord. Nous profitons des bonnes relations entre la Russie, l'Iran et la Turquie, qui ont la mainmise sur le Hamas et sur d'autres organisations en dehors de l'OLP. Le gouvernement national sera chargé au cours des trois prochains mois d'organiser des élections.

S'il n'y a pas eu d'élections depuis 2006, c'est non pas parce que nous ne voulons pas en organiser, mais parce que Gaza est assiégé depuis dix ans. À cela s'ajoute la division entre les Palestiniens de Gaza et ceux de Cisjordanie. N'oublions pas que les Palestiniens sont tous sous occupation, à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est. La Palestine devrait-elle être le seul pays au monde à devoir organiser des élections sous occupation ? Non !

Nous voulons des élections, et nous travaillons pour une société démocratique. Nous organisons ainsi des élections dans nos universités. Il arrive même que le Hamas les gagne en Cisjordanie et le Fatah à Gaza. Nous sommes fiers de notre expérience démocratique au sein de l'OLP. Malgré les situations volcaniques au Moyen-Orient, nous avons su préserver le dynamisme démocratique au sein de la société palestinienne.

Cela étant dit, malgré tous les courants politiques religieux qui secouent la région, la société palestinienne ne veut pas de Daech.

En réponse à ce que vous a dit ma collègue, l'ambassadrice d'Israël, je rappelle que nous avons toujours respecté nos engagements et pris nos responsabilités. Nous avons ainsi appliqué tous les accords que nous avons signés, y compris ceux qui concernent la coopération en matière de sécurité. Sans la coopération de l'Autorité palestinienne en matière de sécurité, la situation sera très mauvaise.

Nous alertons les Israéliens : notre patience a des limites. Quarante ans de négociations, c'est suffisant. Il faut trouver une solution. Notre peuple n'est pas prêt à engager cinquante ans de nouvelles négociations, comme l'espérait Yitzhak Shamir lorsque le président Bush l'a obligé à se rendre à Madrid, et à être des esclaves de sa terre.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que nous offre Israël, c'est un apartheid et quelques bantoustans. Les Israéliens veulent en effet annexer 60 % de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et faire de Hébron, de Bethléem, de Ramallah des petits Bantoustan pour les Palestiniens. Israël se développe dans un système d'apartheid : il y a des routes pour les Palestiniens, d'autres pour les Israéliens, exactement comme en Afrique du Sud !

Sans pression sur Israël, le gouvernement israélien ne reculera pas. Malheureusement, la société israélienne, je le répète, est kidnappée par une poignée de colons. C'est pour cela que nous effectuons un travail considérable au sein de la société israélienne. Si 1 200 signataires israéliens, issus des forces démocratiques, amis de la paix, ont adressé une pétition à la conférence de Paris, c'est pour tenter de sauver la solution des deux États. Ils voulaient que la France et la conférence de Paris envoient un message à la société israélienne. C'est la raison pour laquelle nous avons soutenu cette conférence : nous nous félicitons que l'un de ses objectifs soit de faire travailler les deux sociétés civiles afin de parvenir à un changement. Les forces de paix en Israël se réduisent de plus en plus en raison de la mainmise de l'extrême droite. Il n'y a pas de différence entre les colons et Daech. Ils se livrent aux mêmes pratiques, chacun à leur façon.

Le transfert de l'ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem-Est mettrait fin à la solution des deux États. Ce serait reconnaître l'annexion de la Cisjordanie par Israël. Or notre accord de 1988 avec les États-Unis repose sur la résolution 242 des Nations unies, qui prévoit que les terres ne peuvent pas être prises de force. Les territoires palestiniens sont des terres occupées depuis 1967. Toutes les résolutions des Nations unies le disent.

Modifier cette équation, c'est tout changer. Nous sommes prêts non seulement à revenir sur la reconnaissance de l'État d'Israël, mais également à réviser tous les accords. Si la communauté internationale demande aux Palestiniens de respecter les accords qu'elle a signés, elle doit le demander également aux États-Unis. En transférant l'ambassade, M. Trump ne prendrait pas simplement une mesure à titre individuel pour faire plaisir à tel ou tel, il remettrait en cause tout un processus de paix, auquel le monde entier a travaillé. N'oublions pas que le général de Gaulle, le président Mitterrand, le président Chirac, tous les dirigeants français, allemands, suédois, ainsi que la communauté juive aux États-Unis ont tous oeuvré pour faire accepter la solution des deux États. Cette solution n'est pas un cadeau, elle est le fruit d'un travail considérable de la communauté internationale. Un amateur qui se pique d'être président ne peut pas ainsi balayer l'histoire d'un peuple. Cela fait cinquante ans que nous luttons pour recouvrir notre indépendance.

Je sais bien que les extrémistes en Israël et l'extrême droite aux États-Unis poussent à la violence. Pour notre part, nous n'allons pas vers la violence, nous allons vers le droit. Notre combat est un combat du droit contre la force. Nous avons la force du droit.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci, monsieur l'ambassadeur.

On sent bien que vos convictions sont profondes et qu'elles sont le fruit de l'histoire à laquelle vous avez participé. On voit bien aussi qu'il y a des volontés de paix de part et d'autre. Cela étant dit, les tensions rendent le dialogue nécessaire.

On peut comprendre et respecter les positions des uns et des autres, mais certains propos nous paraissent difficilement explicables. Vous dites ainsi que Daech et les colons, c'est la même chose. Or, selon nous, ce ne l'est pas.

Il est évidemment essentiel d'analyser l'attitude de l'adversaire. Nous qui sommes engagés dans un processus de paix, nous partageons vos inquiétudes sur l'attitude du président Trump, car beaucoup de choses pourraient être remises en cause.

Selon un proverbe chinois, celui qui est imprévisible peut être un ennemi. Nous avons donc besoin de prévisibilité. Il est important que les positions des uns et des autres soient claires. À cet égard, nous vous remercions d'avoir contribué à éclairer notre commission sur le message palestinien. Nous poursuivrons ce dialogue.

La réunion est close à 13h10.