Jeudi 4 février 2021

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président, puis de M. André Reichardt, vice-président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Questions sociales, travail et santé - Allégations nutritionnelles et allégations de santé : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de M. Pierre Médevielle

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, notre réunion de ce matin sera particulièrement en phase avec l'actualité puisque nous allons parler santé, sujet au coeur des préoccupations actuelles de nos concitoyens. D'abord sous l'angle alimentaire, ensuite sous l'angle de la réponse à la pandémie.

Nous allons d'abord nous pencher sur la sécurité alimentaire, et plus spécialement sur les allégations figurant sur les denrées alimentaires, qu'il s'agisse d'allégations de santé ou d'allégations nutritionnelles. Mandaté par notre commission, notre collègue Pierre Médevielle a travaillé depuis plusieurs mois sur ce sujet qui mérite notre attention : en effet, un règlement européen de 2006 a posé les bases d'une réglementation en ce domaine, mais celle-ci reste inachevée. Nous devons donc pousser la Commission à compléter l'édifice pour mieux protéger les consommateurs, tout en tenant compte des attentes des exploitants du secteur agro-alimentaire. Je lui cède la parole pour qu'il nous présente son rapport.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Mes chers collègues, selon le règlement (CE) n° 1924/2006, on entend par allégation nutritionnelle tout message qui affirme, suggère ou implique qu'une denrée alimentaire possède des propriétés nutritionnelles bénéfiques particulières. Celles-ci peuvent être liées à la valeur énergétique ou l'apport calorique de cette denrée, mais aussi aux substances qu'elle contient. On peut citer en exemple : « sans matière grasse », « source de fibres » ou « riche en vitamine C ». Il s'agit d'allégations quantitatives factuelles que l'on peut vérifier assez facilement.

Les allégations de santé sont, quant à elles, définies comme celles qui affirment, suggèrent ou impliquent l'existence d'une relation entre, d'une part, une catégorie de denrées alimentaires, une denrée alimentaire ou l'un de ses composants et, d'autre part, la santé. Par exemple, on peut citer « le calcium est nécessaire pour une structure osseuse normale ».

Le règlement (CE) n° 1924/2006 encadre l'utilisation de ces deux types d'allégations pour, d'une part, assurer la qualité de l'information ainsi fournie au consommateur, et d'autre part, garantir des conditions de concurrence identiques aux exploitants du secteur alimentaire sur le marché intérieur.

Pour atteindre ces objectifs, les allégations font l'objet d'une autorisation pour pouvoir être utilisées. Cette autorisation est conditionnée au respect d'un certain nombre de critères généraux concernant la formulation de l'allégation et l'étiquetage de la denrée alimentaire, mais aussi des critères spécifiques relatifs à la composition de cette denrée. Ainsi, la quantité du nutriment ou de la substance présente dans la denrée alimentaire doit permettre d'atteindre l'effet nutritionnel ou physiologique allégué. De plus, la composition globale du produit doit respecter un profil nutritionnel défini, notamment en ce qui concerne sa composition en matières grasses, sucre ou sel. Il s'agit d'éviter que l'allégation ne masque l'impact nutritionnel global d'un aliment. Enfin, les allégations de santé sont autorisées après avis scientifique de l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA en anglais), rendu à la suite d'une évaluation répondant aux exigences les plus élevées.

La liste des allégations nutritionnelles autorisées a été annexée à ce règlement de 2006. Seule la Commission peut décider de la modifier et toute modification fait l'objet d'un règlement adopté via une procédure de comitologie. Elle n'a été modifiée qu'une seule fois, à la marge, en 2012.

Pour ce qui concerne les allégations de santé, on distingue tout d'abord les allégations fonctionnelles ou génériques : elles décrivent ou mentionnent le rôle d'un nutriment ou d'une substance dans la croissance, le développement et les fonctions de l'organisme. Elles peuvent également faire référence aux fonctions psychologiques ou comportementales d'un nutriment ou d'une substance. Enfin, elles peuvent faire état d'un impact sur le contrôle du poids sans faire référence au rythme ou à l'importance de la perte de poids. Ces allégations génériques, qui étaient déjà utilisées au moment de l'adoption du règlement de 2006, devaient être transmises à la Commission avant le 31 janvier 2008 pour évaluation. La Commission a alors reçu plus de 44 000 allégations. Celles-ci ont pu être regroupées en 4 637 allégations, qui ont été transmises à l'EFSA pour avis. Les allégations autorisées, après avis de l'EFSA, sont recensées dans l'annexe du règlement (UE) n° 432/2012, adopté via une procédure de comitologie.

Cette liste peut être complétée d'allégations fonctionnelles reposant sur des preuves scientifiques nouvellement établies ou contenant éventuellement une demande de protection de données. Il revient à l'exploitant du secteur alimentaire d'en faire la demande. Celle-ci est alors transmise à la Commission par l'intermédiaire de l'autorité compétente de l'État membre (la DGCCRF en France). L'EFSA va ensuite procéder à une évaluation scientifique de cette demande. Si l'EFSA rend un avis favorable, la Commission statue sur la demande, après avoir consulté les États membres, en tenant compte de cet avis et de tout autre élément qu'elle jugerait légitime et pertinent. En cas d'avis défavorable, une décision est prise dans le cadre d'une procédure de comitologie.

Enfin, une dernière catégorie d'allégations de santé est instituée par le règlement de 2006. Il s'agit des allégations « relatives à la réduction d'un risque de maladie » ou « se rapportant au développement et à la santé infantiles ». Elles font l'objet d'une procédure plus encadrée. La demande d'autorisation est transmise par l'exploitant du secteur alimentaire à la Commission par l'intermédiaire de l'autorité compétente de l'État membre (la DGCCRF en France). La demande est ensuite transmise à l'EFSA pour avis. En cas d'avis favorable, celui-ci doit mentionner notamment une proposition de libellé pour l'allégation de santé ainsi que les conditions spécifiques éventuelles d'utilisation. Sur la base de cet avis, la Commission prépare un projet de décision. Lorsque celui-ci n'est pas conforme à l'avis de l'EFSA, la Commission en fournit les raisons. Il est ensuite statué sur le projet de décision dans le cadre d'une procédure de comitologie.

Il est important de souligner que, dans le cadre de cette procédure d'autorisation, l'EFSA n'évalue pas la sûreté de la denrée alimentaire, mais seulement la véracité de l'allégation.

En mai 2020, la Commission a rendu public un résumé de l'évaluation du règlement (CE) n° 1924/2006 fait par ses services. Cette évaluation fait apparaître deux difficultés particulières : l'absence de définition des profils nutritionnels et la nécessité de critères d'évaluation relatifs aux produits à base de plantes. C'est ce qui a conduit notre commission à se saisir du sujet.

Tout d'abord, les États membres n'ont pas réussi à s'accorder sur la définition des profils nutritionnels qui était prévue en 2009, et, pourtant, les allégations restent néanmoins utilisées. Ainsi, une denrée alimentaire contenant une quantité de sucre non négligeable peut continuer à afficher une allégation nutritionnelle. Je rappelle que notre commission avait adopté une proposition de résolution européenne, le 12 mars 2009, à l'initiative de notre ancien collègue Jean Bizet, pour contester la fixation d'un seuil général en acides gras saturés, au motif que tous les acides gras saturés ne sont pas de mauvais acides, et pour rappeler que l'effet sur la santé dépend de la dose totale absorbée par le consommateur et non de la dose unitaire par produit. Notre commission s'inquiétait notamment des conséquences pour les fromages français qui, compte tenu des seuils envisagés, ne pourraient plus prétendre à bénéficier d'une allégation.

L'autre question soulevée par l'évaluation de la Commission européenne est celle des plantes. En effet, les allégations de santé portant sur les plantes devaient être évaluées selon la procédure mise en place par l'EFSA pour répondre aux exigences du règlement (CE) n° 1924/2006. Or la Commission a décidé de mettre en attente d'évaluation les allégations de santé fonctionnelles relatives aux produits à base de plantes, transmises avant 2008. Ces allégations relatives aux plantes continuent pourtant à être utilisées sans avoir été évaluées.

Par ailleurs, la procédure d'évaluation de l'EFSA a été critiquée par les exploitants du secteur alimentaire, notamment ceux commercialisant des compléments alimentaires ou des ingrédients de spécialité, qui estiment que les exigences sont trop élevées. En effet, l'EFSA demande des preuves in vivo sur l'homme car le règlement de 2006 prévoit que les allégations de santé ne devraient être autorisées qu'après une évaluation scientifique répondant aux exigences les plus élevées. Or, il est difficile de montrer un effet bénéfique d'une denrée alimentaire sur des personnes en bonne santé, qui sont la cible des allégations. De ce fait, le nombre d'allégations de santé autorisées a considérablement diminué puisque, sur les allégations génériques transmises avant 2008, seules 229 ont été autorisées. Les exploitants du secteur alimentaire estiment que ce faible nombre d'allégations autorisées nuit à la qualité de l'information délivrée au consommateur puisque les produits restent en vente malgré l'absence d'allégation, et que cela ne favorise pas l'innovation.

Une autre difficulté rapportée par les exploitants du secteur alimentaire concerne la mise à jour de la liste des allégations nutritionnelles autorisées. Ils estiment que cette liste doit faire l'objet d'une mise à jour régulière pour tenir compte des évolutions scientifiques qui influencent les recommandations en matière d'alimentation.

Enfin, selon les exploitants du secteur alimentaire, les autorités compétentes des États membres n'appliquent pas avec la même rigueur les dispositions du règlement de 2006. Ainsi, les autorités italiennes permettent aux fabricants de produits contenant des probiotiques d'utiliser une allégation de santé qu'ils assimilent à un descripteur générique. Rappelons que la Commission européenne n'a pas souhaité inclure les probiotiques dans la liste de substances concernées par les allégations nutritionnelles et que l'EFSA n'a validé scientifiquement aucune allégation de santé relative aux probiotiques.

Sur le fondement de ces analyses, il me paraît nécessaire de revoir les conditions de mise en oeuvre et d'application de ce règlement de 2006, sans pour autant le remettre en cause globalement. Cinq points particuliers doivent selon moi retenir notre attention.

La première difficulté à résoudre concerne les profils nutritionnels. L'idée serait de disposer enfin de profils nutritionnels dont la mission essentielle doit être de conditionner l'emploi des allégations. Une définition transversale pourrait être privilégiée. Des exemptions devront être prévues pour prendre en compte le cas particulier des aliments consommés en faible quantité mais apportant des nutriments indispensables, comme les huiles, ou les produits dont la fabrication répond à un cahier des charges particulier.

Le deuxième sujet concerne les allégations relatives aux produits à base de plantes. Pour éviter que ces produits ne continuent à afficher des allégations qui n'ont pas été évaluées, il est nécessaire de définir une procédure d'évaluation adaptée. Celle-ci permettra de prendre en compte l'usage traditionnel des plantes mais, en contrepartie, devra inclure une évaluation permettant de garantir la sécurité du consommateur.

Troisième point qui mérite notre attention : s'il n'est pas question de remettre en cause le fondement scientifique des allégations, il ne faut pas pour autant décourager l'innovation. Je propose donc que la Commission prévoie de revoir régulièrement la liste des allégations nutritionnelles autorisées pour tenir compte des évolutions scientifiques en ce qui concerne les recommandations alimentaires. De plus, l'EFSA doit pouvoir organiser des consultations préalables à toute demande d'autorisation d'utiliser une allégation. Cela lui permettrait de préciser ses demandes aux exploitants du secteur alimentaire pour éviter que ceux-ci ne dépensent des sommes importantes pour présenter des dossiers qui n'ont aucune chance d'aboutir.

Mon quatrième point concerne la concurrence. Un des objectifs de ce règlement est d'harmoniser les conditions d'utilisation des allégations au sein de l'Union. Or, on s'aperçoit que cet objectif n'est pas atteint. Les autorités compétentes des États membres chargées de contrôler l'application du règlement de 2006 sont plus ou moins souples. Comme je le disais précédemment, en Italie, les allégations sur les probiotiques sont assimilées par l'autorité nationale à des descripteurs génériques, que les exploitants du secteur alimentaire peuvent utiliser tant que la Commission ne s'est pas prononcée sur cette question. Autre exemple : l'allégation « sans sucres » peut être utilisée selon les conditions prévues par le règlement de 2006 ou selon celles prévues par un autre règlement, le règlement (CE) n° 1333/2008, qui est moins restrictive. J'appelle donc la Commission à clarifier ces situations ambiguës.

Enfin, et je crois que c'est là un élément fondamental : il faut développer l'éducation à l'alimentation, tout au long de la scolarité. Pour cela, il sera possible de s'appuyer sur les moyens financiers du programme santé de l'Union européenne pour 2021-2027.

Ce sont tous ces points qui figurent dans les conclusions du rapport que je vous présente et que je propose de mettre en avant dans la proposition de résolution européenne et l'avis politique que je vous soumets. Je vous remercie.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci, Monsieur le rapporteur. Je donne la parole à Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. - Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais j'ai échangé avec mon collègue Joël Labbé au sujet de la problématique des allégations de santé concernant les plantes. On a toute une économie de petits producteurs et opérateurs en vente directe pour lesquels cette question a une incidence importante. Autant pour les médicaments et les nouvelles molécules, il existe des brevets et donc un intérêt à financer des études scientifiques pour prouver les allégations, autant pour les plantes, la situation est différente. En effet, ces plantes sont souvent utilisées dans une logique de prévention et il est donc difficile de prouver leur effet avec des sujets en bonne santé. La mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales du Sénat avait émis la recommandation d'avoir, au niveau européen, un cadre d'évaluation gradué en ce qui concerne les allégations de santé sur les plantes. Il était demandé que ce cadre intègre la reconnaissance de leur usage traditionnel ainsi que les connaissances liées aux avancées scientifiques.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - J'ai beaucoup parlé avec Joël Labbé sur cette question dans le cadre de la mission herboristerie et c'est un sujet délicat. Concernant les allégations, il importe de contrôler et de vérifier ce qui peut être écrit ou dit pour éviter les abus commerciaux, d'autant que la frontière est ténue entre l'information et la publicité. L'évaluation n'est pas facile mais il convient de ne pas laisser les fabricants utiliser des arguments trop commerciaux. Concernant les plantes, on accepte souvent le mot « traditionnellement utilisé » mais le souci de traçabilité existe également, comme dans le cadre des médicaments.

Des listes de plantes autorisées ont été arrêtées. Il est vrai qu'elles ont pu être contestées par la mission d'information sur l'herboristerie. Mais certaines plantes sont dangereuses et nécessitent une connaissance. Dans le cadre de la délivrance des plantes, pour certaines en herboristerie et pour d'autres en pharmacie, on ne peut pas laisser n'importe qui s'installer sans un minimum de connaissances parce qu'il y a eu des accidents. Ayant ce souci de traçabilité et de sécurité alimentaire, il faut encadrer les listes et définir une catégorie de plantes pouvant être utilisées pour leur qualité nutritionnelle.

Mme Catherine Fournier. - Merci au rapporteur pour cette présentation. Chers collègues, je voulais revenir sur les propos introductifs. Vous savez que le nord de la France est producteur de pommes de terre, et que, contrairement aux médicaments, la production reste nationale. Au-delà des difficultés relevées dans votre rapport, relatives au profilage nutritionnel et aux plantes, quels ont été, jusqu'à maintenant, les blocages institutionnels et économiques dans la mise en oeuvre du règlement européen n° 1924-2006 ? Au vu du succès du marketing nutritionnel et d'un certain hygiénisme, pensez-vous que nous puissions mettre en place un profilage nutritionnel européen et une politique éducative ? Car finalement, nombre de nos produits français artisanaux sont souvent très riches en termes nutritionnels. L'essentiel est de les manger avec modération et de mettre en oeuvre une politique éducative en termes de nutrition. Il ne suffit pas de dire quel produit est bon ou lequel contient trop de matières grasses. Le tout est de savoir si on en mange de manière raisonnée et au bénéfice de notre santé. Je vous remercie.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Concernant le blocage économique tout d'abord, les fabricants contestent que, pour les allégations de santé, des preuves in vivo sur l'homme soient demandées. Ces procédures sont différentes des autorisations de mise sur le marché de médicaments qui coûtent très cher mais ce sont tout de même des dossiers extrêmement onéreux pour un très faible pourcentage de réussite. Il est toujours difficile de prouver l'efficacité d'un produit sur l'homme sain. Des expériences sont parfois faites : je pense à la canneberge qui était censée empêcher les bactéries de s'accrocher aux voies urinaires, mais elles n'ont pas résisté à tous les tests qui ont été faits. Si on écoutait les fabricants, il n'y aurait que des produits miracles en vente.

Là où je vous rejoins tout à fait, c'est sur la politique d'éducation alimentaire. Nous avons beau avoir des outils tels que le Nutri-Score, la définition d'un profil nutritionnel est très difficile. J'ai discuté avec le ministre de la santé de Tahiti dont 67 % des habitants présentent une obésité morbide alors que les produits y sont étiquetés comme chez nous. Nous devons donc absolument, au niveau des écoles primaires, des collèges et des lycées, introduire une éducation diététique et alimentaire. La méconnaissance est trop grande et s'accompagne, dans certains milieux sociaux, d'une excessive consommation de féculents. Nous devons absolument développer cette éducation dans les écoles, ainsi que dans les familles, ce qui implique des programmes de communication du ministère de la santé. Tous les pays occidentaux sont concernés par ces problèmes sévères puisque la tendance à la mauvaise nutrition est à la hausse.

M. Pierre Laurent. - Merci pour ce rapport. Est-ce que les règlements européens, qui s'imposent sur l'étiquetage, s'imposent aussi en matière de publicité commerciale ?

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Le point le plus sensible est que nous ne sommes pas parvenus à harmoniser les conditions de concurrence et à effectivement appliquer ce règlement dans l'Union européenne. Nous n'avons pas pu établir de profils nutritionnels, concept nouveau visant à classer les aliments selon certains critères et notamment selon leur contribution nutritionnelle. Si ces profils nutritionnels ne sont pas établis par la Commission, ils ne peuvent conditionner l'emploi des allégations.

Mme Marta de Cidrac. - Je vous remercie pour ce rapport, qui me permet de découvrir un certain nombre d'éléments intéressants. J'avais une question sur l'alinéa 31 de l'avis politique portant sur les allégations sur les plantes, qui précise que les produits à base de plantes peuvent avoir des conséquences sur la santé. Dans l'alinéa 32, est indiqué qu'« aucune allégation portant sur les plantes ne peut être autorisée, faute de preuves cliniques suffisantes ».

Je me demande ainsi - étant donné qu'il existe des interactions entre ces différentes substances et les médicaments -, si cela obligerait le médecin à interroger ses patients sur leur prise de compléments alimentaires. Cela n'ouvre-t-il pas le champ à une opposition entre médecine traditionnelle et phytothérapie ?

Comme ces plantes peuvent avoir des incidences sur la santé, le médecin n'est-il pas responsable des conséquences de la prise de ces produits à base de plantes chez ses patients ?

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Le médecin connaît généralement les habitudes alimentaires de son patient, mais je doute qu'il sache le contenu de son panier de courses. C'est pour cette raison qu'il importe de réserver les allégations à un usage de santé, encadré par le médecin.

Mme Marta de Cidrac. - Ma question portait plus particulièrement sur les plantes que l'on peut acheter dans des rayons de supermarchés et sur l'éventuelle responsabilité des professionnels de santé.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Effectivement, il y a des « procès » permanents sur l'usage illégal de la pharmacie dans les supermarchés, qui souhaitent, comme cela peut être fait à l'étranger, vendre des médicaments. On est dans le cadre de l'automédication, dont le médecin et le pharmacien ne sont pas forcément au courant. En principe, ces médicaments vendus, en automédication, ne sont pas des médicaments dangereux. Ainsi la valériane, l'aubépine, la passiflore sont des sédatifs, consommés sans problèmes, sans incident.

M. Jean-François, Rapin, président. - Il y a des médicaments en allopathie plus dangereux que des plantes et l'herboristerie.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Il faudrait une liste de plantes autorisées harmonisée au niveau européen, d'autant que la vente sur internet complique la traçabilité et le contrôle des produits.

Mme Marta de Cidrac. - J'avais une autre question précise, concernant le cannabis. Il y a aujourd'hui des médicaments à base de cannabis qui sont autorisés. Abordez-vous cette question dans l'avis politique ?

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Non, il s'agit d'un médicament avec autorisation de mise sur le marché.

M. Pierre Louault. - Je pense qu'il faut être prudent dans ces réglementations européennes. Chaque pays a des traditions alimentaires, avec des habitudes. Attention à ne pas dire que le fromage ou le vin sont toxiques. L'obésité vient de mauvaises habitudes alimentaires. Il faut que l'Europe soit vigilante, notamment sur les compléments alimentaires mais préserve nos traditions alimentaires. Il faut travailler sur l'éducation alimentaire, mettre en garde sur les excès. Mais je crains que les technocrates dictent ce qu'il est bon de manger et qu'on s'oriente vers une nourriture « parfaite » pour les Européens.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Tout à fait. Je suis le gardien des traditions alimentaires. La FNSEA s'inquiète d'une dévalorisation des produits bruts : fromages, fruits... Il n'y a pas de produit idéal. Tout est question de quantité, de qualité et de variété. Je pense qu'il faut conserver des tables bien garnies, avec des bons produits.

M. Daniel Gremillet. - Merci au rapporteur. Il s'agit d'un sujet très important. Et je pense effectivement qu'il faut faire attention à ne pas tomber dans la standardisation alimentaire. De nombreuses études sur les matières grasses végétales ou animales, par exemple, montrent qu'on peut être dans une situation de fragilité en faisant disparaitre la variété alimentaire existant dans l'Union européenne qui nous vaut une longue espérance de vie. Je voulais pointer la frontière fragile entre la question des allégations de santé et celle de la publicité. L'enjeu de la publicité l'a emporté sur celui de la santé.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Effectivement, il y a un enjeu sur la frontière entre publicité et communication sur ces allégations. Il faut encadrer les fabricants dans leurs actions de communication et de publicité sur leurs produits.

M. Ludovic Haye. - Merci, Monsieur le rapporteur pour la qualité de votre travail. Je souhaiterais parler de deux sujets : l'éducation alimentaire et l'économie. S'agissant de l'éducation alimentaire, il faut d'abord l'introduire dans les familles pauvres, avant l'école. Les goûters dans les écoles ont été supprimés, mais les parents qui donnaient des chips et du soda continuent de le faire, de même que ceux qui donnaient des fruits. C'est presque plus l'éducation des parents qui est à faire. Il faut, je pense, en rester à l'information, et conserver une « liberté gastronomique ». On sous-titre tout par « ne pas manger trop gras, trop salé, trop sucré » mais on ne peut pas enlever le gras du foie gras ! L'obésité est un vrai sujet de santé publique. De nombreuses maladies découlent d'une mauvaise alimentation.

Le second point que je souhaitais aborder concerne le budget alimentaire. Aujourd'hui on nous dit de manger bien et bio, mais il faut le pouvoir. On mange en fonction de ses moyens. On connaît les bons produits qui sont, d'ailleurs, dans nos supermarchés à hauteur d'homme, contrairement aux produits transformés de moins bonne qualité qui se trouvent en bas des rayons. On mange ce qu'on peut et non ce qu'on veut. Il y a une vraie injustice dans le choix de l'alimentation.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Sur le premier point, je vous répondrai de façon humoristique : « le confit n'est pas gras », comme le dit un célèbre film ! Plus sérieusement, l'éducation est importante dans les familles, mais indispensable à l'école également. Il faut agir aux deux niveaux, en communiquant sur des règles simples, telles que ne pas associer les sucres avec les graisses. Il suffit parfois de peu puisque l'on peut continuer à très bien manger tout en ayant un repas diététique avec notamment des protéines.

Concernant le budget, dans le cadre de la loi Egalim, nous avions travaillé avec la direction générale de l'alimentation sur l'article 2 qui prévoit 50 % de produits de qualité à partir de 2022 dans la restauration collective. Nous avions réalisé des évaluations qui nous avaient permis de constater que les produits bios représentaient 20 % de coûts supplémentaires et les produits carnés 15 % de coûts supplémentaires. Ces dépenses supplémentaires sont prises en charge par les mairies pour les écoles, par les départements pour les collèges, et par les régions pour les lycées. Nous nous sommes rendu compte que dans certaines cantines de restauration collective, les employés faisaient le choix de conserver un repas au même prix, quitte à avoir une moindre qualité. De tels choix personnels, qui peuvent certes être influencés par des contraintes budgétaires ne sont pas du ressort de l'Union européenne.

Mme Véronique Guillotin. - Merci, Monsieur le rapporteur, pour la qualité et l'intérêt de ce rapport. Ce sujet est essentiel pour plusieurs raisons, d'abord sur le plan culturel. On ne mange pas la même chose dans chaque pays. Il n'est pas souhaitable qu'on arrive à une alimentation policée. L'aliment fait appel à notre histoire, à notre mode de vie et à notre milieu social. C'est un objet de convivialité et un besoin vital qui peut être comblé assez facilement. Mais c'est également un médicament puisque l'on sait que « bien manger » constitue le premier médicament.

Il faut toutefois être vigilant sur les allégations. Elles sont probablement nécessaires, mais il faut faire attention à ce que des messages simples ne deviennent pas simplistes, ce qui pourrait être contreproductif. Nous avons de plus en plus de messages d'information dans nos boîtes mais pour autant, les gens mangent-ils mieux ? Je n'en suis pas sûre. Avons-nous moins de malbouffe, moins de diabète, moins d'obésité ? Absolument pas, car l'afflux d'informations nécessite de l'éducation. Il faut une éducation à la maison oui, mais surtout une éducation dès le plus jeune âge et dans le milieu scolaire afin d'apprendre à décrypter ce qui est écrit. Les messages sont aujourd'hui plus des messages à visée commerciale que nutritionnelle.

Il faut pouvoir comprendre ces allégations afin de les intégrer dans sa vie quotidienne, dans ses habitudes et dans sa culture. Plus la communication est abondante, moins il est facile pour certains de comprendre, ce qui peut conduire à une certaine fracture sociale. En effet, l'obésité est plus importante chez les personnes qui sont en plus grande difficulté sociale. Ce n'est pas toujours lié à un manque de moyens financiers. Ainsi, au petit-déjeuner, le repas le moins cher, avec du pain et un bol de lait, est le repas le plus nutritionnel. Ce type de petit-déjeuner garantit un meilleur équilibre que des corn-flakes qui coûtent probablement dix fois plus cher. La question de l'éducation est essentielle.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Effectivement, la déclaration nutritionnelle sur les produits permet de mieux informer de la qualité d'un produit. Je pense à l'exemple du miel, dont certains pots venaient d'Europe centrale et ne comportaient pas d'indications alors qu'il s'agissait de mélanges de miel, retravaillés dans de l'eau chaude sucrée avec un produit souvent de qualité douteuse. Désormais, la provenance du miel est indiquée, comme la provenance des viandes. S'agissant de la distinction entre un « mauvais aliment » ou un « bon aliment », on touche les limites d'un système comme l'application Yuka. Ainsi, une confiture avec 46 % de sucres sera déclarée de bonne qualité tandis qu'à 50 %, elle sera déclarée de qualité médiocre. J'ai des doutes quant à la pertinence de la distinction pour 4 points de pourcentage de différence. Il faut toujours être très prudent face aux allégations et face aux étiquetages.

M. Didier Marie. - Je vous remercie, Monsieur Médevielle, pour votre rapport. À partir d'un texte technique difficile d'appréhension, on touche en fait à un sujet de société et de santé publique. C'est également une question économique et culturelle liée à nos modes de vie. Beaucoup de familles achètent des produits transformés en supermarché. Cela nécessite, comme indiqué par nos collègues, une éducation à l'alimentation, qui passe par les familles et l'école et exige une communication mise en oeuvre par l'État. Cela interroge également les liens entre l'industrie agroalimentaire et les producteurs, et la concurrence au sein de l'industrie agroalimentaire guidée par une maximisation des profits.

Selon moi, la réponse doit être globale sur le plan de l'éducation et de la réglementation. L'harmonisation des données est très importante. La réglementation est importante pour contraindre l'industrie agroalimentaire, sinon la loi du plus fort continuera à s'appliquer et les consommateurs continueront de mal manger. Il s'agit d'un vrai problème de société au sein de l'Union européenne.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Il s'agit bien de l'objet de ce rapport d'aboutir à une harmonisation et d'éviter une concurrence préjudiciable aux consommateurs. Il faut continuer à travailler, mais des progrès ont été réalisés, sur le plan de qualité et de la diversité des aliments consommés.

M. André Reichardt. - Je voulais remercier Pierre Médevielle pour la qualité de ses travaux, qui m'a permis de découvrir l'ampleur du sujet. Je suis préoccupé par l'aspect financier de ce dossier, et la volonté de profits qui peut égarer certains acteurs. Par ailleurs, je voulais vous faire part d'une nouvelle étude, publiée sur les réseaux sociaux, qui semble conclure que le vin protège de la covid-19. Le président de l'Université de médecine de Taiwan confirmerait des travaux de chercheurs américains affirmant que les polyphénols perturbent la manière dont le virus se propage. Les tanins du vin inhiberaient deux enzymes clés du virus.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - S'agissant des polyphénols, je recommande d'attendre les résultats d'autres études.

M. Patrice Joly. - Je remercie également le rapporteur d'avoir travaillé sur ce sujet important à titre individuel et collectif. On essaye de toucher la raison, mais c'est une erreur. Je suis ce que je mange, disent le philosophe et l'anthropologue. Ce sujet nous renvoie à un style de vie, un mode de vie. Il faut s'appuyer sur la santé et les représentations, qu'il convient de déconstruire. Pensons par exemple à Mc Donalds, et à ce que cela symbolise dans l'imaginaire des enfants.

Par ailleurs, je pense qu'il faut accompagner certains produits par des financements adéquats, dans la mesure où ils permettent d'éviter des dépenses de santé.

M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Le repas est effectivement considéré différemment selon les pays. En Scandinavie, il s'agit de s'alimenter, dans d'autres pays comme le nôtre, c'est un moment d'échange.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci. Ce sujet était essentiel et son importance est reflétée par vos nombreuses prises de parole. Je propose que les documents que la Commission adoptera soient transmis au groupe d'études « alimentation » de la commission des affaires économiques qui les lira avec intérêt.

La commission des affaires européennes autorise la publication du rapport d'information et adopte à l'unanimité la proposition de résolution européenne disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

Questions sociales, travail et santé - Lutte contre les menaces transfrontières graves pour la santé : communication et propositions de résolution européenne portant avis motivé de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey

M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons maintenant aborder le second point de notre ordre du jour : la réponse européenne aux menaces transfrontières graves pour la santé. Ce n'est pas un sujet sur lequel l'Union européenne était très avancée. C'est pourquoi elle envisage de nouvelles règles pour mieux lutter contre les pandémies du type de celle que nous traversons.

Le 14 janvier, notre commission avait décidé de confier à nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey, rapporteures sur la santé pour notre commission, le soin d'examiner de plus près trois propositions de règlement européen destinées à renforcer la coordination européenne, notamment en cas de crise sanitaire, car leur conformité au principe de subsidiarité semblait discutable. Nous sommes tous convaincus qu'il faut construire l'Europe de la santé mais cela n'interdit pas de réfléchir à la répartition des tâches entre l'Union et les États membres à ce sujet.

Au terme de leur travail, Pascale Gruny et Laurence Harribey nous soumettent aujourd'hui plusieurs avis motivés pour dénoncer la violation du principe de subsidiarité.

Mme Pascale Gruny, rapporteure. - À la suite de la pandémie de covid-19, la Commission européenne a souhaité renforcer l'action de l'Union dans le domaine de la santé, pour répondre à une crise sanitaire future.

Le rapport que Laurence Harribey et moi vous avions présenté en juillet dernier et dont vous aviez autorisé la publication contenait un certain nombre de propositions en ce domaine. Ce rapport avait été transmis à la Commission européenne, et nous pouvons constater aujourd'hui une convergence de vue sur de nombreux sujets.

Premier point, le programme « santé » de l'Union européenne, inclus dans le cadre financier pluriannuel pour 2021-2027, a été doté d'un budget de 5,1 milliards d'euros. Si la Commission prévoyait initialement un financement à hauteur de 10,397 milliards d'euros, les chefs d'États ou de gouvernement l'avaient réduit à seulement 1,7 milliard d'euros lors du Conseil européen extraordinaire du 21 juillet dernier. Ce n'est qu'à la suite des discussions avec le Parlement européen que ce montant a finalement été porté à 5,1 milliards d'euros, soit dix fois le montant alloué au programme « santé » dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Il s'agit donc là d'un vrai progrès !

Ce programme permettra de renforcer les capacités de l'Union en matière de prévention, de préparation et de réaction face aux menaces transfrontières graves pour la santé. Les financements serviront au déploiement de moyens sanitaires d'urgence, à la collecte de données et à la surveillance dans un cadre davantage coordonné et intégré. Il s'agira également de garantir la disponibilité, dans l'Union, de personnel médical, ainsi que de réserves ou de stocks de produits pertinents.

Le programme prévoit également de développer la coopération entre États membres, particulièrement dans les régions frontalières.

Enfin, il financera des mesures structurelles permettant de surmonter les difficultés pointées dans le cadre du semestre européen. Ces fonds pourront ainsi permettre d'améliorer les capacités de réorganisation des établissements de soin en cas d'urgence sanitaire, ainsi que la résilience, l'accessibilité et l'efficacité des systèmes de santé des États membres.

Deuxième point, la Commission a fait des propositions pour sécuriser l'approvisionnement de l'Union en médicaments et dispositifs médicaux, tant en période d'urgence que pour répondre aux difficultés structurelles que connaît l'Union. La proposition de règlement COM(2020) 725 final vise à étendre les compétences de l'Agence européenne des médicaments pour répondre à une urgence de santé publique, de sorte que cette Agence puisse surveiller et atténuer les effets des pénuries de médicaments et de dispositifs médicaux, d'une part, et assurer le développement en temps utile de médicaments sûrs et efficaces, d'autre part. Cette proposition de règlement reprend certaines de nos recommandations notamment :

- pérenniser et renforcer les moyens de l'Agence européenne des médicaments ;

- établir une liste de médicaments critiques ;

- et développer l'implication des fabricants de dispositifs médicaux.

En revanche, la stratégie pharmaceutique pour l'Union, présentée par la Commission le 25 novembre dernier, nous apparaît peu ambitieuse au regard de nos propositions, de celles du Gouvernement français ou du Parlement européen. En effet, l'un des objectifs de cette stratégie est d'assurer la souveraineté sanitaire de l'Union de manière pérenne et de répondre ainsi aux déséquilibres structurels que présente le marché du médicament. Pour cela, la Commission propose de lancer une étude en vue de recenser les causes des pénuries. Cette étude pourrait déboucher sur un renforcement des obligations d'approvisionnement continu de l'industrie. La Commission préconise aussi de diversifier les chaînes de production et d'approvisionnement et de constituer des stocks stratégiques. Elle encourage les États membres à coordonner leurs politiques nationales de prix et de remboursement pour permettre des procédures de passation de marché conjointes.

Pour notre part, nous avons proposé des actions plus interventionnistes pour favoriser la croissance des entreprises du médicament et des dispositifs médicaux, en développant l'investissement et la soutenabilité des filières. Nous recommandons également, tout comme le Parlement européen, de prévoir que la capacité à garantir les approvisionnements soit un critère d'évaluation des soumissionnaires aux marchés publics.

De son côté, le Gouvernement français a approuvé la proposition du Parlement européen qui préconise de créer un ou plusieurs établissements pharmaceutiques européens à but non lucratif, notamment pour la production de médicaments matures et jugés indispensables. En outre, dans sa résolution du 25 novembre 2020 sur la stratégie industrielle de l'Union européenne, le Parlement européen a demandé à la Commission de favoriser la relocalisation de la production de produits de santé.

Le débat reste donc ouvert entre les tenants d'un interventionnisme plus poussé afin d'assurer l'autonomie stratégique de l'Union en matière sanitaire, comme le Parlement européen ou le Gouvernement français, et ceux qui souhaitent simplement une meilleure régulation d'un marché fondamentalement concurrentiel, comme la Commission qui ne semble pas prête à aller dans notre sens pour le moment.

Enfin, troisième point, les dispositions encadrant la réaction de l'Union face aux menaces transfrontières graves pour la santé ont montré leurs limites. Consciente de cette situation, la Commission a présenté deux propositions de règlement pour permettre à l'Union de se préparer à une crise sanitaire et se donner les moyens d'y répondre. Il s'agit de la proposition de règlement COM(2020) 727 du Parlement européen et du Conseil concernant les menaces transfrontières graves pour la santé et de la proposition de règlement COM(2020) 726 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement instituant le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Dans notre rapport, nous recommandions de renforcer le rôle de ce Centre, notamment ses capacités de surveillance et de traitement des données. Nous recommandions également de favoriser la coordination et la coopération entre États membres, mais dans le respect des compétences des États membres. Or, cette dernière recommandation ne semble pas avoir été complètement entendue, ce qui explique que nous vous présentions aujourd'hui trois propositions de résolutions portant avis motivé. Laurence Harribey va vous les détailler.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Merci. Pascale Gruny vous a présenté le cadre général dans lequel s'insèrent trois propositions de règlement. En effet, la Commission européenne a présenté, le 11 novembre 2020, une communication intitulée « Construire une Union européenne de la santé : renforcer la résilience de l'Union européenne face aux menaces transfrontières graves », COM(2020) 724. L'intitulé est plutôt encourageant.

Cette communication s'accompagne de trois propositions de règlement, COM(2020) 727, COM(2020) 726 et COM(2020) 725 visant respectivement une mise à niveau de la décision n° 1082/2013/UE relative aux menaces transfrontières graves sur la santé, un renforcement du mandat du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et une extension du mandat de l'Agence européenne des médicaments (EMA).

Ces trois propositions de règlement présentent un intérêt certain dans le contexte actuel qui appelle à renforcer l'Europe de la santé. Je crois que, sur ce point, tout le monde est d'accord. Cela ne doit toutefois pas nous empêcher de réfléchir à la meilleure ligne de partage des compétences entre l'Union européenne et les États membres en ce domaine d'intérêt vital, et ce d'autant plus que l'Union ne dispose que d'une compétence d'appui dans ce domaine. Or, après analyse, il nous apparaît que ces trois propositions de règlement contiennent des dispositions qui ne sont pas conformes au principe de subsidiarité. Pour les textes relatifs au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et à l'Agence européenne des médicaments, une seule disposition au sein de chaque texte est en cause. Pour le texte COM(2020) 727 concernant les menaces transfrontières graves pour la santé, les griefs sont plus nombreux.

Commençons donc par ce texte. Pour faire face à de futures épidémies, la Commission européenne estime nécessaire, d'une part, d'améliorer la coordination et la coopération entre États membres, et d'autre part, de développer les capacités de préparation et de réaction de l'Union. Certes, chacun s'accorde sur le fait qu'une plus grande coordination entre les États membres est nécessaire face à une crise qui touche l'ensemble des États membres et justifie donc une action de l'Union. Nous avons tous été témoins des difficultés de cette coordination. Toutefois, cela doit se faire dans le respect des compétences des États membres, comme prévu par les Traités. Je rappelle que l'article 168, paragraphe 7, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne donne le cadre juridique de la politique de santé en prévoyant que « l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres, en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées ». Il s'agit donc de déterminer une limite acceptable pour l'action de l'Union qui présente une valeur ajoutée certaine pour encourager et organiser la coopération entre États membres et limiter le risque d'ingérence dans les politiques nationales. Dès lors, on peut regretter que, dans ses propositions, la Commission ne soit pas plus précise quant à cette limite.

Pour améliorer la coordination entre États membres, la Commission prévoit notamment de renforcer les prérogatives du Comité de sécurité sanitaire. Institué par la décision n° 1082/2013/UE, il est composé de représentants des États membres. La proposition de la Commission prévoit que ce Comité pourra adopter, à la majorité simple, des orientations et des avis sur les mesures prises par les États membres face à une menace transfrontière grave pour la santé. La Commission définira dans un acte délégué les modalités selon lesquelles ces avis seront adoptés. La question est alors de savoir si ces avis lieront les États membres ou pas. Pour nous, il convient donc que la Commission clarifie ce point dans la proposition de règlement et pas dans un acte délégué, pour éviter toute remise en cause des compétences des États membres en matière de santé. Si on fait un parallèle, c'est comme si on autorisait la Commission à légiférer par ordonnance.

De plus, la Commission propose que l'Union établisse un plan de réaction et de préparation contre les crises sanitaires et les pandémies. Les États membres devront faire de même. Le contenu de ces plans sera défini par la Commission via un acte d'exécution. Les plans nationaux devront être cohérents avec celui de l'Union, qui devient donc, de fait, « contraignant » comme la Commission l'indique dans sa communication COM(2020) 724. La Commission organisera des évaluations et des audits réguliers de ces plans, avec le soutien du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, pour garantir l'interopérabilité des plans nationaux avec celui de l'Union. Ces évaluations devraient même conditionner le soutien financier de l'Union aux plans nationaux.

L'objectif poursuivi est d'harmoniser les plans de préparation et de réaction des États membres. Cela ne peut se faire sans harmonisation de dispositions législatives et réglementaires au sein des États membres. Or, c'est contraire à l'article 168, paragraphe 5, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sur lequel la Commission fonde pourtant sa proposition.

La participation du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies aux audits des plans nationaux est une disposition reprise dans le texte COM(2020) 726 qui renforce les compétences de ce Centre. Or, le règlement créant ce Centre a été pris sur la base de l'article 152 du Traité instituant les Communautés européennes qui excluait également toute harmonisation de dispositions législatives et réglementaires des États membres. On va donner une compétence au centre qui n'est pas fondée au regard du cadre juridique qui l'a créé. À nos yeux, le Centre n'a pas vocation à participer à des audits visant à rendre conformes les plans nationaux au plan de l'Union. Si cette disposition mérite d'être dénoncée, le texte COM(2020) 726 est globalement conforme à nos recommandations. Le développement et l'interopérabilité des plateformes numériques permettant la surveillance épidémiologique, la possibilité pour le Centre de formuler des avis plus opérationnels et l'institution d'une task force sous la responsabilité du Centre pour soutenir sur le terrain la réaction des États membres nous semblent des mesures intéressantes.

Enfin, le texte COM(2020) 725 qui renforce le rôle de l'Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux contient également des dispositions qui vont dans le bon sens. Le soutien de l'Agence aux promoteurs d'essais cliniques se déroulant dans différents États membres ou l'institution d'une task force visant à fournir gratuitement des avis sur les questions scientifiques ayant trait au développement des traitements et vaccins pour la maladie à l'origine de l'urgence de santé publique sont des mesures essentielles pour accélérer le développement de traitements ou de vaccins.

Toutefois, une disposition a retenu notre attention au regard du principe de subsidiarité. La Commission prévoit qu'elle pourra prendre les mesures nécessaires, dans la limite de ses compétences, pour atténuer les effets des pénuries réelles ou potentielles. Les États membres devront respecter ces mesures. Pour nous, la nature de ces mesures doit être précisée. Si celles qui pourraient concerner les restrictions à l'exportation concernent bien le fonctionnement du marché unique et ressortent donc de l'Union européenne, celles qui concerneraient la gestion des stocks au niveau national relèvent de la compétence des États membres.

Nous vous présentons donc trois propositions de résolution portant avis motivé que nous vous proposons d'adopter. L'enjeu est de préciser un certain nombre de choses pour éviter que le vide juridique de ces règlements provoque un grignotage de la compétence communautaire sur celle des États membres et un conflit entre compétence communautaire et compétence des États membres.

M. Jean-François Rapin, président. - Avant de passer la parole à mes collègues, je souhaitais souligner que notre groupe subsidiarité a bien fonctionné puisqu'il avait pointé ce sujet de partage de compétences entre l'Union et les États membres. Vous l'avez d'ailleurs bien mis en exergue dans les propositions de résolution.

Je pense que votre travail va s'accentuer dans les semaines et les mois à venir sur les sujets sanitaires que l'on n'a pas encore assez appréhendés au sein de cette assemblée. La recherche médicale va être un vrai sujet à défendre, certes par les États membres, mais aussi au niveau européen. On le voit dans la dimension budgétaire nouvellement accordée à ces sujets. Lundi, mes homologues des autres États membres et moi-même échangerons dans le cadre de la COSAC avec Mme Stella Kyriakides, la Commissaire européenne à la santé, d'ailleurs difficile à rencontrer. J'avais notamment demandé, en vain, dans le cadre de la « commission d'enquête Covid », qu'on puisse l'auditionner. Je vais toutefois suggérer qu'elle vienne devant le Sénat français, devant la commission des affaires sociales en même temps que devant notre commission.

La recherche médicale évolue rapidement, avec le risque de se faire dépasser par des grands groupes mondiaux, notamment chinois ou russes. Il ne faut pas négliger la recherche russe qui a toujours été à très haut niveau mais qui a aujourd'hui la capacité de rendre l'Union européenne dépendante de ses produits. Il s'agit d'une question d'avenir, mais finalement d'avenir très proche. Je suis donc convaincu que vos rapports vont se multiplier sur ce sujet, sur lequel, en tant que Président, je vous solliciterai.

Comme le montrent vos résolutions, nos institutions seront également peut-être amenées à évoluer. Ces trois propositions de résolution indiquent une violation du principe de subsidiarité. Cependant, on peut se poser la question de savoir si, à terme, on a raison de dire que la compétence des États membres n'est pas respectée. Ne devrions-nous pas avoir une vision beaucoup plus élargie de ce que va être la santé demain pour ne pas être dépendant des autres ? Ces questions méritent toute notre attention.

Nous avons reçu Michel Barnier il y a quelques jours, devant le groupe politique des Républicains. Nous avons discuté des perspectives vaccinales européennes. L'Europe est décriée pour ne pas avoir rempli sa mission, mais j'estime qu'elle a assumé son rôle en ne laissant pas des États membres de côté et en réalisant des commandes groupées au nom de l'Union. Toutefois, une fois les commandes faites, l'Union européenne n'a pas été dans la capacité d'assumer une logistique à l'échelle des États membres. Il y a ainsi une réflexion à mener sur la capacité de l'Europe à organiser et mettre en place cette politique vaccinale jusqu'au sein des États membres.

Je reviens également sur le volet nutritionnel de ces questions de santé, qui a été abordé par notre collègue Pierre Médevielle. La question de l'harmonisation est essentielle. Vous l'aurez compris, c'est un sujet qui ne me laisse pas indifférent au vu de ma profession mais surtout en raison des enjeux d'avenir proche qu'il va susciter.

M. André Reichardt. - Je voudrais d'emblée féliciter les deux rapporteures pour la qualité de ce travail. Je rejoins naturellement les propositions de résolution qui ont été présentées. Je suis sénateur d'une région transfrontalière, l'Alsace, et j'ai encore le souvenir cuisant des dysfonctionnements de la première partie de la crise sanitaire que nous vivons. En mars dernier, la propagation du virus a commencé à Mulhouse avec ce rassemblement évangéliste, puis elle s'est déplacée vers le Bas-Rhin et en Moselle.

À ce moment-là, nous avons eu le sentiment que l'Europe était complètement absente. Les hôpitaux croulaient sous les malades. Des lits étaient disponibles à 5-10 km, dans le Bade-Wurtenberg, mais les malades n'y étaient pas transportés et étaient conduits dans d'autres régions françaises. Il a fallu que les conseils départementaux s'en préoccupent. L'Agence régionale de santé (ARS) était totalement dépassée. Je souhaite ainsi plus d'Europe dans ce domaine, à tout le moins dans les conditions évoquées par les rapporteures.

Je veux également mettre l'accent sur un élément qui me paraît également fondamental dès lors que l'on parle de souveraineté nationale : l'implication des collectivités territoriales, d'une part, et, d'autre part, la nécessité d'une plus grande déconcentration. L'ARS n'a pas été à la hauteur dans une grande région comme la nôtre, le Grand Est, dans laquelle la situation est très disparate selon les territoires. Il est donc indispensable qu'une approche plus territorialisée se mette en place, avec un travail à conduire entre les collectivités territoriales européennes. Dans la pratique, durant la crise, ces liens entre collectivités territoriales ont permis de transférer des malades au-delà des frontières.

L'Europe doit donc pouvoir faire mieux, en respectant toutefois le droit et le principe de subsidiarité. Je vous remercie.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je souhaite, tout d'abord, féliciter les rapporteures et je veux évoquer un sujet peut-être annexe mais qui me parait fondamental. J'ai, en effet, été stupéfaite par l'absence de l'Union européenne dans cette crise sanitaire sans précédent et je veux alerter sur les conséquences de la crise sur les libertés de nos citoyens transnationaux. J'ai été la première à demander des tests sur des personnes en provenance de Wuhan et j'ai déploré le manque de masques. On est aujourd'hui dans la même situation avec les vaccins. Mais la crise a également des conséquences très graves pour des centaines de milliers d'Européens qui ne peuvent pas avoir accès à leur territoire national.

L'Europe a favorisé les échanges, et je m'en félicite. Mais aujourd'hui des milliers de citoyens habitent hors de leur pays et les Français ne peuvent revenir en France. Beaucoup d'étudiants paniqués m'appellent. Des familles ne savent pas comment faire pour organiser le retour de leurs enfants, et ne disposent d'aucune information valable. Des couples attentent depuis des mois pour se marier. On constate des situations de détresse extrême. Je souhaite qu'on demande à l'Union européenne d'avoir une position proactive sur ce sujet.

M. Jean-François Rapin, président. - Je me permets de signaler qu'hier a été publiée une excellente tribune sur Figaro vox concernant la situation des Français de l'étranger.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je n'étais pas au courant, merci Monsieur le Président.

M. Didier Marie. - Je remercie nos rapporteurs pour ce travail. En présentant ces propositions de résolution portant avis motivé, la commission est dans son rôle pour obtenir des éléments nécessaires de la part de la Commission européenne.

Ces résolutions conduisent à s'interroger sur la répartition des compétences entre Union européenne et États membres sur les politiques sanitaires. L'Union européenne, absente durant la crise, a révélé les failles du système européen. Si la Commission européenne a semblé absente sur ces sujets, c'est car elle n'en a pas les compétences. La santé représente en effet une compétence d'appui et non partagée. L'Union européenne a fait le maximum de ce qu'elle pouvait faire, en mutualisant les commandes de vaccins et en organisant un minimum de coopération entre les États membres.

S'agissant des propositions de résolution portant avis motivé, la question est de savoir si nous souhaitons que l'Union européenne se dote d'une compétence en matière sanitaire, propre ou partagée avec les États membres.

La situation sanitaire a montré les carences de l'Union européenne, et notre dépendance à l'égard de l'Asie et notamment de la Chine, s'agissant par exemple des produits actifs.

La crise a également révélé une insuffisance des stocks de médicaments, de matériel comme les blouses ou les gants, fabriqués en Indonésie. Les États membres ont pris conscience de ces difficultés, à l'aune de la crise alors qu'elles existaient pourtant depuis longtemps.

Il faut interroger aujourd'hui l'Union européenne et les États membres sur la politique de santé. Je suis partisan d'aller plus loin. La difficulté est que les traités ne le permettent pas, il faudra trouver une solution, « un trou de souris », pour améliorer la situation sans modifier les Traités.

Je suis ainsi tout à fait favorable pour soutenir ces propositions de résolution portant avis motivé, mais également pour continuer à s'interroger sur l'Europe de la santé.

M. Pierre Laurent. - Tout d'abord je vous remercie pour ce rapport qui clarifie les choses. Les recommandations proposées, dans les propositions de résolution portant avis motivé, sont parfaitement justifiées et utiles à ce stade. Je veux ajouter qu'on a tous conscience qu'on vient d'entrer dans un champ totalement nouveau qui pose beaucoup de questions. Il va falloir progresser et avoir une toute autre ambition. La question s'adresse à l'Union européenne comme aux États membres, à commencer par le nôtre. En effet, il y avait des failles dans la mobilisation européenne mais il y en a eu aussi dans notre capacité nationale à faire face à la pandémie. C'est également vrai pour d'autres pays européens. L'ambition nouvelle qu'il va falloir afficher, il faudra la démontrer au plan national, européen et probablement également au plan mondial.

Le fait que l'Union européenne engage maintenant un programme ambitieux d'Europe de la santé, même si on peut juger qu'il est encore trop modeste, est effectivement une bonne nouvelle et un véritable progrès. Mais je pense qu'on sera confronté à une autre question : est-ce que les règles actuelles, les fondements actuels de l'Union européenne vont nous permettre de répondre aux enjeux sanitaires ? Ces enjeux sanitaires ne vont pas seulement nous mettre devant un niveau d'ambition sanitaire nouveau mais ils vont bousculer les objectifs et les règles actuelles de l'Union européenne. Par exemple, sur les vaccins, nous sommes confrontés aux questions de mise en commun d'accès aux brevets, de liberté de production, qui sont des questions que les règles de concurrence actuelles de l'Union européenne ne résolvent pas. Nous sommes face à des enjeux qui sont d'une autre nature et qui réinterrogent beaucoup de fondamentaux.

Le débat qui s'est déroulé hier dans l'hémicycle sur la manière dont a été gérée l'entreprise qui va finalement produire ses vaccins dans une ville écossaise nous conduit à nous interroger sur les raisons de notre échec. Cette entreprise respecte toutes les règles, en les contournant. Le sujet de l'Europe de la santé est fondamental évidemment pour la sécurité humaine, mais il va également conduire à répondre à des questions nouvelles. J'espère que nous serons capables d'aborder les choses avec cette ambition tout en ayant conscience que certes, l'Europe est interrogée, mais que nos politiques nationales le sont aussi.

Agnès Pannier-Runacher a indiqué à deux reprises en répondant à nos questions, que la France a diminué de moitié la production de médicaments sur son territoire entre 2005 et 2015. Ainsi, si l'on veut parler haut à la table européenne, il va falloir aussi qu'on hausse le niveau d'ambition sanitaire de notre propre pays, en matière de recherche et en matière industrielle. Il faudra le faire en étant vigilant sur la manière dont se construit cette Europe de la santé, selon un mode de coopération efficace. Les questionnements pointés par les propositions de résolution me paraissent donc justifiés puisqu'il s'agit de garder cette vigilance tout en avançant vers une toute autre ambition en la matière.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous prie de m'excuser, mais je dois rejoindre l'hémicycle pour participer à la discussion générale sur le projet de loi « ressources propres », qui débute actuellement en séance. Je veux dire à Pierre Laurent, avant de laisser parler les rapporteures et de m'éclipser, qu'il s'agit d'une histoire de modèle. On peut critiquer notre modèle sanitaire et notre modèle social, mais en matière sanitaire on a quand même gardé une forme de leadership pendant de nombreuses années. Cependant, je ne sais pas si nos homologues européens sont prêts à adopter ce genre de modèle. Il y a une diversité de modèles sanitaires à l'échelle des vingt-sept et cela nécessitera une certaine harmonisation avant d'arriver à des schémas plus élargis.

Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Je pense que nous sommes d'accord pour un équilibre entre, d'une part, le respect du principe de subsidiarité et, d'autre part, la nécessité de travailler davantage avec les autres États membres. C'est dans cet équilibre que réside toute la complexité. Les Français qui sont parfois considérés comme anti-européens, déplorent aujourd'hui qu'il n'y ait pas assez d'Europe. On se compare toujours aux pays voisins, où l'herbe paraît plus verte.

André Reichardt a parlé d'une approche territoriale. Le rôle des collectivités a été mis en avant dans notre rapport et le programme de santé de l'Union prévoit le développement des coopérations frontalières. Didier Marie a souligné qu'il fallait agir à l'échelon européen. Or, la proximité est aussi très importante. Il faut jongler comme cela tout le temps, entre la déconcentration et les difficultés des ARS, et la compétence donnée à l'Union selon un schéma commun aux autres États membres.

S'agissant de la question de la fermeture des frontières, les étudiants, heureux d'être partis à l'étranger, se sentent en effet un peu emprisonnés du fait que les frontières sont fermées.

Sur les vaccins, plutôt que de souveraineté nationale, l'on devrait parler de souveraineté européenne : il faut développer les partenariats, sur le modèle d'Airbus dans un tout autre domaine. Cela fait des années que j'appelle à développer la recherche au niveau européen, au lieu de dépenser des sommes à cet effet un peu partout, assorties d'un peu de partenariat. Toutefois, il faut faire très attention parce que ce sont des sujets géopolitiques, sources de conflit.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Je suis d'accord avec ces propos. Quand on dit qu'il faut plus d'Europe, c'est souvent dans les cas où l'Europe n'a pas compétence. J'ai fait un parallèle, qui vaut ce qu'il vaut, avec ce qui s'était passé au début des années 1990 sur la question de l'Europe de la défense. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce débat entre François Mitterrand et le Chancelier, le premier appelant à plus d'Europe de la défense. Et son homologue lui répondait avec un petit sourire narquois que s'il n'y avait pas eu l'échec de l'Europe de la défense en 1954, on n'en serait sans doute pas là. En réalité, les compétences européennes arrivent avec la nécessité de faire. Didier Marie l'a bien expliqué, et Jean-François Rapin aussi : c'est évident aujourd'hui que l'Europe de la santé devient un enjeu stratégique et qu'il faut bouger les lignes. Si on trouve un « trou de souris » pour essayer d'augmenter la valeur ajoutée de l'Europe en matière de santé, on sera amené à développer des compétences en matière de recherche, marché unique et coopération transfrontière. Mais cela n'épuise pas la question d'une politique européenne de la santé.

Il faut donc, à mon avis, aller vers une compétence partagée en matière de santé, d'autant que c'est le moyen de faire intervenir le politique, le Parlement européen et les parlements nationaux, ce que ne permet pas automatiquement une politique de coopération renforcée. Il me semble en effet qu'on est à la croisée des chemins. J'aimerais revenir sur ce que disait le président Rapin : la question est de savoir si les États sont prêts à cette Europe de la santé. En effet, on ne peut pas dire, en même temps, qu'il faut plus d'Europe et qu'il faut une stratégie européenne en matière de santé et affirmer qu'il y a quelque chose d'anormal à voir une entreprise française pharmaceutique s'implanter en Écosse. Si on joue la carte européenne, il faut la jouer jusqu'au bout, tout en ayant une véritable maîtrise de la politique au niveau européen.

J'aimerais également revenir sur ce que disait André Reichardt parce que cela me semble fondamental, sur la coopération transfrontière et territoriale. En effet, il faut articuler la dimension locale avec la dimension européenne : plus les collectivités coopèreront entre elles, plus la question de l'articulation entre souveraineté nationale et souveraineté européenne se posera dans une perspective positive. Du travail s'annonce sur ces sujets, au-delà de nos propositions de résolution présentement débattues : il faudra bien trancher la question de la compétence de l'Europe en matière de santé. Je vous remercie.

Mme Catherine Fournier. - Je souhaitais revenir sur la politique de la santé européenne et sur les propositions de résolution que vous avez proposées relatives à la gestion de la pénurie de médicaments. Je crois que seule l'Europe est en capacité de travailler sur ce sujet. La souveraineté, c'est la fabrication intramuros de médicaments. Seule l'Europe est en capacité de faire face à la puissance des sociétés pharmaceutiques d'envergure mondiale. Chaque pays pris unitairement ne le pourra pas. Quelles sont nos capacités de négociation ? Qu'a-t-on à mettre dans la balance ? Plus nous perdons nos capacités de production, moins nous avons à mettre dans la balance pour des négociations.

L'Europe s'atteler à réintroduire la fabrication de certains médicaments pour qu'elle puisse peser dans des négociations éventuelles. On l'a vu dans le cadre de la Covid, ce sont les produits de bases - les princeps - qui ont manqué. Ils sont produits par la Chine, l'Inde et les États-Unis. L'Europe doit produire elle aussi les princeps, quitte à s'attaquer aux lobbys de l'industrie pharmaceutique. Ces derniers tomberont bien un jour, comme ceux des tabacs, car les produits de santé ne sont pas un produit commercial comme les autres.

Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Je suis tout à fait d'accord avec ces propos. Le risque est d'arriver à une crise beaucoup plus grave où nous ne pourrions plus soigner les Européens et, par conséquent les Français. Il s'agit d'un travail très important à faire sur un sujet où l'humain est au centre des préoccupations. La réponse à apporter doit être rapide, mais en respectant le principe de subsidiarité.

M. André Reichardt, président. - Le président m'a confié le soin de clore nos débats et de soumettre au vote ces propositions de résolutions européennes portant avis motivé.

La commission des affaires européennes adopte à l'unanimité les trois propositions de résolutions européennes portant avis motivé, n° 343, n° 344 et n° 345, disponibles en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 30.