Prélèvements obligatoires

M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi. - Aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme, une contribution commune est indispensable pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration -j'y ajouterais volontiers la compétitivité.

L'impôt n'est pas seulement l'outil d'un bon fonctionnement de l'État, il est aussi une arme pour mieux lutter dans la concurrence mondiale. Je suis heureuse de défendre cette idée devant vous.

A l'heure où nos amis anglais s'apprêtent à discuter un budget qui taxe plus lourdement certains étrangers résidant sur leur sol, il est important de rendre notre système fiscal plus séduisant pour les investisseurs, plus incitatif pour les entrepreneurs et plus juste pour nos concitoyens. La loi dite Tepa d'août dernier comporte des mesures allant dans ce sens ; le budget 2008 marque une nouvelle étape sur la voie d'une fiscalité plus compétitive.

Je n'hésite pas à le dire, il faut baisser les impôts autant qu'il est possible. Avec un taux de prélèvements obligatoires de 44,2 % du PIB en 2006, la France est parmi les pays dont la pression fiscale est la plus élevée au monde, la moyenne de l'Union européenne s'établissant à moins de 40 % et celle des pays de l'OCDE se rapprochant de 35 %. Pour rivaliser avec l'Angleterre, l'Allemagne ou les États-Unis, nous devons avoir en tête cette barre des 40 %. Après avoir instauré un bouclier fiscal pour les individus, on pourrait imaginer faire de même pour l'État.

Nous sommes sur la bonne voie : après le record historique de 1999, à près de 45 %, le taux de nos prélèvements obligatoires s'est stabilisé ces dernières années entre 43 et 44 %. La tendance est aujourd'hui nettement à la baisse : de 44,2 % en 2006, le taux devrait reculer à 44 % en 2007 sous l'effet des baisses d'impôt, et malgré le dynamisme des recettes. Chaque ménage a vu sa déclaration d'impôts diminuer, à revenu égal et en moyenne, de 275 euros. En 2008, le taux de prélèvements obligatoires s'établira à 43,7 %, principalement sous l'effet des allégements d'impôts et de charges votés cet été.

Même si nous avons encore des efforts à faire pour rejoindre les évolutions spectaculaires de l'Allemagne et des Pays-Bas, où le taux de prélèvements obligatoires a baissé respectivement de 3 % et de 2 % en cinq ans, je suis convaincue que nous sommes engagés dans la bonne direction ; nous diminuerons notre taux de prélèvements obligatoires autant que le permettra l'équilibre de nos finances publiques. Moins d'impôt, c'est plus d'opportunités pour les investisseurs, plus de pouvoir d'achat pour nos concitoyens, plus de liberté pour tous.

Moins d'impôts, donc, mais aussi mieux d'impôts. Nous devons moderniser la structure de notre système fiscal, car un impôt intelligent doit être au service de la croissance. Changer la structure des prélèvements obligatoires suppose de répondre à deux questions : A qui profite l'impôt ? Qui le paie ?

Aujourd'hui, la part de l'État dans les prélèvements obligatoires a tendance à reculer, au profit des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale, qui, en 2007, voient les unes et les autres leur part augmenter de 0,1 point de PIB.

Le projet de loi de finances pour 2008 illustre notre volonté de modifier en profondeur la répartition de l'impôt. Pour promouvoir l'innovation, nous avons triplé le taux du crédit impôt-recherche et assoupli la fiscalité des brevets. Pour encourager l'accès à la propriété, nous avons doublé le crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt la première année. Pour mieux récompenser ceux qui veulent travailler plus, nous avons entièrement défiscalisé les heures supplémentaires pour les salariés, et en grande partie pour les employeurs. Jouer sur les taux et les assiettes des impôts contribue ainsi à l'efficacité de notre politique économique.

Au-delà, nous devons repenser sereinement et sans tarder l'ensemble de notre système fiscal, afin de le rendre plus simple, plus stable, et plus cohérent. J'aborderai sans détour deux questions sensibles.

Faut-il d'abord instaurer un impôt minimum ? Le rapport remis au Parlement le 15 octobre dernier passait en revue plusieurs options. Les mécanismes les plus simples créeraient une imposition nouvelle dépassant largement le simple cas des niches fiscales, et toucheraient injustement trop de contribuables ; tandis que des dispositifs plus sophistiqués, comme l'imposition minimale proportionnelle à une cotisation d'impôt de référence, conduiraient à une complexité excessive, et manqueraient ainsi l'effet symbolique de l'impôt minimal. Dans ces conditions, nous ne proposerons pas d'impôt minimum.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre. - En revanche, nous serons très scrupuleux dans l'examen au cas par cas des différentes niches fiscales.

Faut-il ensuite instaurer une TVA sociale, que j'appellerais TVA anti-délocalisation, puisque tel est son objectif ? Malheureusement, cette mesure pèserait sur le pouvoir d'achat des consommateurs et risquerait de produire de l'inflation, entravant ainsi notre croissance.

La question, complexe, mérite que soient recueillis autant d'avis que nécessaires. Je me réjouis que MM. Marini et Vasselle nous aient apporté leur contribution dans leurs excellents rapports, rédigés selon des points de vue différents, (sourires) mais très complémentaires. M. Besson et moi-même nous sommes livrés au même exercice, en remettant au Premier ministre, le 11 septembre, nos rapports sur le sujet. Ils sont désormais entre les mains du Conseil économique et social, qui doit se prononcer avant la fin de l'année dans le cadre plus général du financement de la protection sociale.

Le temps est donc encore au débat. A mes yeux, la TVA sociale présente deux limites. Elle ne doit pas être un prétexte pour baisser toutes les charges. L'analyse de mes services montre que, pour défendre efficacement l'emploi, l'éventuel supplément de TVA devrait être prioritairement affecté à des allégements de charges employeurs ciblés sur les bas salaires, au voisinage du Smic. Comme le rapport de M. Marini le rappelle, c'est en effet à ce niveau que se trouve le plus grand nombre de créations d'emplois potentielles. Si le taux de TVA était relevé de 1,5 point, les 9 milliards correspondants permettraient un allègement maximal de 28 % sur les salaires compris entre 1 et 1,1 Smic, ce qui pourrait permettre de créer 100 000 emplois.

Deuxième limite, finement remarquée par M. Vasselle : il ne faut pas sous-estimer le risque inflationniste. Ce serait particulièrement maladroit à l'heure où les Français pensent que le coût de la vie a augmenté fortement. J'ai demandé à l'Insee d'élaborer de nouveaux indicateurs, qui ne se substitueraient pas à l'existant mais l'affinerait, pour tenir compte de ce sentiment. La mise en place d'une TVA sociale ne serait envisageable que si elle était accompagnée d'une action vigoureuse et bien comprise sur le niveau des prix.

Ce débat s'inscrira tout naturellement dans le cadre de la revue générale des prélèvements obligatoires que je mènerai avec MM. Besson et Woerth, et qui sera bouclée au printemps 2008. Nous consulterons les élus, les partenaires sociaux, les consommateurs et les experts, y compris étrangers.

Cette revue générale des prélèvements obligatoires se déroulera en trois temps : un diagnostic, qui remettra à plat l'ensemble des prélèvements obligatoires et sera rendu public à la fin de l'année sous forme d'un document d'orientation ; des propositions, qui seront élaborées avec l'aide de groupes de travail chargés d'organiser la concertation sur les modalités concrètes des réformes et leur calendrier ; enfin la mise en oeuvre des propositions retenues. Avant l'été prochain, le Gouvernement disposera d'une véritable stratégie pluriannuelle en matière de prélèvements obligatoires, assortie d'un calendrier pour l'ensemble de la législature.

Naturellement, cet exercice s'articulera avec les mesures déjà prises. Nous prendrons en compte les résultats du Grenelle de l'environnement, ainsi que les orientations retenues en matière de politiques publiques.

Notre action fiscale s'inscrit ainsi dans le long terme, et repose sur des principes clairs. Nous voulons encourager tous ceux qui veulent travailler, embaucher ou investir en France. Moins d'impôts, et mieux d'impôts : ce sera plus d'espace pour l'esprit d'entreprise et la croissance. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique. - Les prélèvements obligatoires mesurent la solidarité qui unit nos concitoyens ; ils renvoient à la cohésion de notre société et à son projet collectif.

Je traiterai principalement des prélèvements sociaux, qui représentent la moitié du total et sont soumis à de fortes contraintes tenant à la situation dégradée de nos comptes sociaux et au vieillissement de la population. Nous voulons des prélèvements efficaces et justes, répartis équitablement, les moins élevés possible mais assurant un haut niveau de protection sociale et nuisant le moins possible à notre compétitivité.

Au cours des vingt dernières années, nous avons réformé le mode de financement de notre protection sociale pour favoriser l'emploi et la compétitivité : les cotisations patronales sur les bas salaires représentent désormais moins de 4 % du coût du travail au niveau du Smic.

Selon les études économiques, les allégements de charges sont le moyen le plus efficace de soutenir l'emploi et de stabiliser l'emploi peu qualifié. Le coût du travail non qualifié n'est plus un obstacle à l'emploi.

La question de l'assiette de nos prélèvements sociaux doit être examinée sans tabou. TVA sociale, fiscalité écologique, niches sociales : tout doit être passé en revue. Il s'agit de questions sensibles, controversées ; je ne vais pas les trancher ici, d'autant que la réflexion continue, au Conseil économique et social notamment.

Une réforme de l'assiette doit être conforme aux qualités attendues du prélèvement social, qui doit être dynamique, compatible avec la compétitivité et l'emploi, et lisible pour l'assuré. Malheureusement, comme le dit M. Vasselle, il n'y a pas d'assiette idéale ; chaque taxe a ses avantages et ses inconvénients. En tant que ministre des comptes, je donne évidemment la priorité à la résorption des déficits sociaux. Pour ce faire, nous devons explorer toutes les pistes, sans exclusive.

Il y a tout d'abord la TVA sociale. L'enjeu principal, évoqué par Mme Lagarde, porte sur l'éventualité et l'ampleur de l'effet inflationniste et, le cas échéant, sur ses répercussions via les mécanismes d'indexation.

Il y a ensuite les taxes dites comportementales. Le lien entre certains comportements et les dépenses d'assurance maladie est clairement établi. (M. le président de la commission des affaires sociales approuve) Le projet de loi de finances pour 2008 affecte en conséquence l'intégralité des droits sur le tabac à la sécurité sociale. S'agissant du niveau de la fiscalité sur les alcools, vos rapports restent très prudents... La taxe nutritionnelle que propose la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) pose des difficultés juridiques et techniques, qu'il s'agisse de l'assiette ou du recouvrement. Le sujet doit encore être approfondi et replacé dans un plan global de santé publique pour la prévention de l'obésité.

Vous suggérez l'affectation d'une fraction du produit d'éventuelles taxes environnementales à l'assurance maladie, celle-ci prenant en charge les conséquences de la pollution pour la santé. Mais tout impôt nouveau doit être strictement compensé, comme l'a rappelé le Président de la République lors du Grenelle de l'environnement. Mieux vaut utiliser le produit de nouvelles taxes écologiques pour réduire les charges pesant sur le travail. On fera ainsi d'une pierre deux coups !

Une bonne taxe a l'assiette la plus large et le taux le plus faible. La multiplication des niches sociales nuit au rendement de l'imposition mais aussi à sa légitimité. Le dernier rapport de la Cour des comptes apporte des éléments chiffrés, et nous vous transmettrons prochainement un rapport sur l'état et l'évaluation de ces pertes d'assiette pour la sécurité sociale.

Deux dispositions importantes ont été adoptées par l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale : nous mettons fin progressivement au dispositif dérogatoire pour les organismes d'intérêt général en zone de revitalisation rurale, et nous créons une contribution sur les attributions d'actions gratuites et de stock-options. Cela dit, je comprends M. Marini : certaines niches ou exonérations ont une pertinence économique et sociale, et il ne faut pas mettre en péril des dispositifs qui contribuent à l'attractivité de notre territoire ou favorisent l'emploi.

Enfin, attention à la création de nouveaux dispositifs. Ils sont rarement évalués a priori, et leur efficacité est tout sauf évidente a posteriori.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Très bien !

M. Éric Woerth, ministre. - Or il est ensuite difficile d'y mettre un terme...

M. Vasselle suggère une validation en loi de financement des créations ou modifications d'exonérations ciblées décidées en loi ordinaire. Cette piste permettrait un meilleur contrôle.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Même chose pour la loi de finances.

M. Éric Woerth, ministre. - Nous devons étudier toutes les pistes de réallocation des ressources et des dépenses au sein de la sphère publique, ce que facilite la création d'un ministère des comptes publics. Ainsi, le rythme de croissance des recettes de la branche famille est structurellement supérieur à celui de ses dépenses, mais il faut se garder d'en profiter pour faire de nouvelles dépenses. Étudions plutôt la mise en jeu d'une solidarité au sein du régime général, en concertation avec les partenaires sociaux et les associations familiales. On pourrait par exemple envisager un transfert de cotisations en direction de la branche vieillesse. De même, des marges de manoeuvre pourraient être dégagées du côté de l'assurance chômage. Enfin, une meilleure maîtrise des dépenses de l'État permettra aussi de financer plus de dépenses sociales. Toutes ces pistes de réallocation méritent d'être discutées.

Pour limiter les prélèvements, il faut avant tout maîtriser la dépense, notamment en matière d'assurance maladie. Cet effort est à notre portée. La Suède a obtenu des résultats remarquables en une quinzaine d'années, par une politique active de maîtrise des dépenses de médicaments -en 2004, les dépenses par habitant étaient deux fois plus faibles qu'en France- et par de fortes restructurations hospitalières -45 % des lits d'hôpitaux ont été fermés au cours des années 90, contre 19 % en France. La loi sur l'assurance maladie de 2004 a renforcé nos instruments d'alerte et de pilotage. Le projet de loi de financement pour 2008 renforce encore les mécanismes de régulation et d'organisation de l'offre de soins. Nous n'étions jamais allés aussi loin.

Enfin, la lutte contre la fraude joue un rôle déterminant dans la confiance accordée par les contribuables à notre système de prélèvement. C'est pourquoi je suis en train de mettre en place un plan global de lutte contre la fraude sociale et fiscale, dont je ferai une priorité de la présidence française de l'Union européenne. Un certain nombre de mesures seront d'ores et déjà proposées dans le cadre du projet de loi de financement. J'ai noté avec intérêt les propositions de M. Marini, notamment le renforcement des actions de prévention, dont le rescrit. Vous avez raison de souligner le nécessaire équilibre entre la dissuasion de la fraude et la facilitation des procédures pour le contribuable de bonne foi : il n'est pas question de harceler ceux qui font de simples erreurs.

Les finances publiques sont unes et indivisibles et exigent un pilotage coordonné et cohérent. Cela suppose de la clarté et de la sincérité, tout d'abord dans les comptes. La création d'un ministère en charge de l'ensemble des comptes publics a déjà permis de pacifier les relations entre l'État et la sécurité sociale.

L'État a remboursé, le 5 octobre, sa dette de 5,1 milliards à l'égard du régime général.

M. Jean-Jacques Jégou. - De quelle façon !

M. Éric Woerth, ministre. - De très bonne façon, monsieur le sénateur.

M. Jean-Jacques Jégou. - Ils ont été ajoutés à la dette !

M. Éric Woerth, ministre. - Nous aurions pu en disposer autrement. Ce n'est jamais bien quand on agit, toujours mal quand on n'agit pas...

En loi de finances rectificative, nous reprendrons la dette héritée du BAPSA, pour un montant de 620 millions, et nous remettrons à niveau le panier de recettes fiscales destinées à la compensation des allégements généraux de cotisations patronales.

Les exonérations sur les heures supplémentaires seront intégralement compensées.

Mais nous allons plus loin, puisque nous nous engageons à ne pas laisser la situation se reproduire. C'est pourquoi, dans le projet de loi de finances, nous remettons à niveau les crédits destinés aux dispositifs financés par l'État mais gérés par la sécurité sociale.

La clarté doit aussi prévaloir dans les instruments de pilotage. Je suis convaincu de la cohérence entre lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale, même si elles ont chacune leur environnement propre. Il faut relativiser la complexité qui résulterait de cette dualité. Des mécanismes de coordination existent, notamment en matière de politique familiale. La conférence des finances publiques, dont je souhaite la réunion prochaine, sera l'occasion d'assurer, entre l'État et la sécurité sociale, une coordination sur la mise en oeuvre de la pluriannualité budgétaire, clé d'un suivi efficace, et de réfléchir à une clarification de leurs champs respectifs. Je ne pense pas que la budgétisation de la branche famille soit une option à retenir. Il me semble en revanche que sur la question du logement, des pistes méritent d'être approfondies : faut-il conserver un financement croisé selon la nature des allocations, alors que les prestations peuvent fort bien être gérées par la CAF ? Le débat mérite d'être approfondi avec les partenaires sociaux et la représentation nationale.

Je souhaite que le débat d'aujourd'hui nous permette d'aller plus loin sur cet enjeu essentiel qu'est l'adaptation des prélèvements sociaux. Elle seule nous permettra de faire face aux enjeux de l'avenir tout en tenant compte des exigences de l'emploi et de la compétitivité. C'est par une réforme des structures et une forte maîtrise des dépenses que nous lèguerons aux générations futures une protection sociale performante et une gestion sociale assainie. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Nous avons cette année le plaisir d'aborder cette discussion en présence de deux ministres, dont j'ai envie de dire que l'un est le ministre de la cohérence et l'autre celui de la compétitivité, car ce sont bien les axes que l'un et l'autre vous avez suivis dans vos interventions. C'est bien la première fois que dans le cadre d'un même ministère sont préparés les comptes de l'État et les comptes sociaux. Notre double discussion de l'automne, sur le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, se fera en présence d'un ministre des comptes publics en charge non seulement du budget mais d'une vision d'ensemble cohérente, pour laquelle la commission des finances n'a cessé de plaider depuis de nombreuses années.

Grâce à Alain Lambert, rapporteur sur le projet de loi organique relative aux lois de finances, nous avions obtenu ce rendez-vous, précisément destiné à combler ce besoin de cohérence et de mise en perspective. Nous allons enfin pouvoir, à compter d'aujourd'hui, passer, d'un même mouvement, avec celui que je suis tenté d'appeler le rapporteur général de cet important exercice, la revue générale des politiques publiques, menée sous l'égide du Président de la République, pour aboutir, programme par programme, mission par mission, à de nouveaux arbitrages dont nous poserons les enjeux devant l'opinion publique, tandis que Mme la ministre animera la revue générale des prélèvements obligatoires. Nul doute qu'elle le fera dans le souci non seulement de respecter l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui impose de justifier la nécessité de la contribution publique, mais aussi avec celui de prendre en compte la globalité nouvelle de notre monde, dont compétitivité et attractivité sont les clés de voûte.

C'est dans la même logique que la commission des finances vous invite à réfléchir à quelques thèmes centraux qui touchent à la fois au budget de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales.

Il s'agit, tout d'abord, de trouver des ressources pérennes pour la protection sociale. Pénétrés du sens des responsabilités et soucieux de rechercher des mécanismes vertueux, nous nous sommes, dès longtemps, interrogés sur les moyens de compléter la variété des ressources permettant à la protection sociale de jouer son rôle. Nous nous sommes également livrés à quelques réflexions sur l'écofiscalité, avant d'aborder la question centrale de la dynamique de l'assiette : comment faire en sorte que ressources fiscales et contributions sociales bénéficient d'un rendement croissant sans entrer en conflit avec les impératifs de compétitivité et d'attractivité ? La commission des finances, depuis plusieurs années, notamment sous l'impulsion de M. Jean Arthuis, est animée d'une conviction très forte sur l'impôt de consommation. Seules deux assiette ne sont pas susceptibles de s'évader : la première est celle de l'immobilier, dont il est déjà largement fait usage, la seconde, celle du flux de consommation sur le territoire. Nous avons examiné de très près l'ensemble des contributions sur ce débat de la TVA sociale, ou antidélocalisations, ou de compétitivité, comme on préfèrera la nommer. Nous avons fait le constat, issu des travaux de M. Besson, que l'impact sur l'emploi, vraie justification d'une telle mutation, est plus important au voisinage des bas salaires. Mme Lagarde l'a dit, concentrer les baisses de charges dans ce voisinage est sans doute la formule la plus efficiente, le levier le plus efficace en matière d'emploi, et la manière la plus acceptable de faire comprendre l'utilité d'une telle politique.

La TVA sociale a suscité beaucoup de commentaires sur le niveau des prix, les risques d'inflation, le pouvoir d'achat, la consommation. Mais en ce domaine, les craintes exprimées me semblent dénoter une attitude politiquement ou économiquement correcte relevant d'une pensée unique conçue en d'autres temps...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Eh oui !

M. Philippe Marini, rapporteur général. - ...où le monde n'était pas globalisé comme aujourd'hui.

M. Jean-Jacques Jégou. - Très bien !

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Quels étaient, il y a trois, cinq ou dix ans les prix des produits d'équipement ménager ou audiovisuel dans les supermarchés ? Quels sont-ils aujourd'hui ?

Mme Nicole Bricq. - On n'achète pas une chaîne hi-fi tous les jours !

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Ce monde global nous permet de produire en masse un grand nombre de biens utiles à nos concitoyens, et de peser efficacement sur le niveau des prix. Un grand nombre d'économistes le reconnaissent.

Est-il aussi judicieux que pendant les années 80 de considérer la lutte contre l'inflation comme le premier objectif d'une banque centrale et de la politique monétaire ? D'excellents auteurs le contestent et le doute est largement répandu sur nos bancs.

Le débat sur la TVA sociale a au moins un mérite : nous libérant de schémas intellectuels datés, il nous laisse rechercher des voies d'avenir. Je le dis à nos excellents collègues de la commission des affaires sociales. Actuellement, il manque l'équivalent d'1,1 point de CSG pour équilibrer nos comptes sociaux. Il suffit donc de voter cette augmentation et le problème est réglé ! Mais la majorité ne serait-elle pas en contradiction flagrante avec elle-même, puisqu'elle s'attache depuis 2002 à réduire l'impôt sur la personne ? Or, qu'est la CSG, sinon la part proportionnelle de cet impôt ?

M. Nicolas About. - La TVA sociale ne responsabilise pas grand monde.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Je vous écouterai avec intérêt tout à l'heure.

Certes, la sécurité sociale à une réalité organique, mais l'impôt sur la personne n'a qu'une seule dimension économique : le même contribuable paye la même somme, prélevée sur le même revenu. (MM. Jégou et Longuet expriment leur plein accord, M. About estime que c'est une lapalissade) Depuis 2002, nous avons allégé cette contribution. Sommes-nous prêts à faire l'inverse, même si cette interrogation semble déplaire au président de la commission des affaires sociales ?

M. Nicolas About. - Non : je me réjouis de votre intérêt pour les finances sociales.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il n'est pas nouveau. Le débat doit réunir, non segmenter. Aucune commission n'est propriétaire de son domaine de compétence.

M. Nicolas About. - Je suis heureux de vous l'entendre dire.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Que ferons-nous demain et après-demain si nous augmentons aujourd'hui la CSG de 1,1 point ? N'oublions pas que les agents économiques comparent la fiscalité des divers territoires.

Sans approfondir l'analyse de la fiscalité écologique autant que je le fais dans mon rapport écrit, je tiens à souligner que la seule véritable éco-fiscalité doit changer les comportements, donc détruire son assiette.

M. Gérard Longuet. - C'est exact !

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Elle ne peut donc servir à satisfaire des besoins croissants. J'espère que M. About approuve.

M. Nicolas About. - C'est pourquoi la sécurité sociale est alimentée par un impôt sur le tabac.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est en effet la limite de l'analyse. Je me réjouis de cette convergence de vues.

M. Alain Lambert. - La démagogie seule offre une assiette incommensurable.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - L'éco-fiscalité ne doit donc pas augmenter le taux des prélèvements obligatoires.

Dans le prochain budget, j'ai dénombré 650 niches fiscales. Certaines ont un caractère horizontal. Tel est le cas, par exemple, du crédit d'impôt recherche. Mais d'autres sont verticales, ou corporatistes. Nous devons les examiner avec un grand esprit critique. Je suggère de distinguer les niches à durée indéterminée (NDI) et les niches à durée déterminée (NDD). La loi de finances pour 2008 pourrait être l'occasion de tout changer pour ne rien changer, comme le dit le prince de Salina dans Le guépard. (Sourires) Les niches sectorielles deviendraient des NDD, ce qui obligerait à les réévaluer périodiquement.

M. le ministre du budget a dit que l'évaluation des dépenses fiscales était un très lourd sujet. Il est vrai que la Représentation Nationale est souvent frustrée par les évaluations fournies, de bonne foi, par l'administration. Pourtant, dépenses tout court et dépenses fiscales ont une incidence identique sur le solde. Il faut donc mieux évaluer le dispositif.

Comme vous le voyez, la commission des finances n'est jamais à court de propositions. Elle s'efforce de travailler dans un climat de liberté dont je remercie son président, M. Arthuis, qui sait en animer les discussions pour tirer de chacun le meilleur de lui-même. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre)

M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux de la loi de financement de la sécurité sociale. - Le débat sur les prélèvements obligatoires ouvre traditionnellement la session financière. Il permet aux commissions compétentes -celle des finances et celle des affaires sociales- d'aborder dans un cadre intellectuel unique la loi de finances et la loi de financement. À cet égard, nous nous félicitons de la création d'un ministère des comptes publics, qui permet d'avoir une vision d'ensemble pour les deux hémisphères des dépenses publiques. Monsieur le ministre, cher Éric, vos premiers pas ont été marqués par le remboursement de dettes de l'État envers la sécurité sociale, par la prise en charge des exonérations sociales inscrites dans le projet de loi sur le travail, l'emploi le pouvoir d'achat. La clarification des périmètres respectifs de la loi de finances et de la loi de financement conforte la commission des affaires sociales, qui avait jugé pertinente la création de votre ministère pour promouvoir l'approche commune que les deux commissions concernées appelaient depuis longtemps de leurs voeux.

En fait, la seule idée qui fasse encore débat porte sur l'éventuelle fusion de la loi de finances et de loi de financement, évoquée dans un rapport cosigné par notre collègue Alain Lambert. Depuis, l'intérêt de distinguer ces deux textes me semble reconnu. Je me réjouis d'avoir entendu M. le rapporteur général confirmer ce point de vue en réponse aux interpellations amicales de M. About.

Au fond, l'analyse des prélèvements obligatoires revêt un double aspect : peut-on éviter de les accroître lorsque la dépense publique est largement soumise au vieillissement démographique, si bien qu'on ne peut faire mieux que la contenir. Quelles sont les ressources les plus dynamiques permettant de satisfaire les besoins dans une économie mondialisée où la matière taxable est susceptible de délocalisation, même si M. le rapporteur général a rappelé que le patrimoine immobilier et la consommation n'étaient guère délocalisables ?

Le rapport Pébereau, puis le rapport Carrez, rédigés pour le comité d'orientation des finances publiques, ont parfaitement résumé les enjeux : à l'horizon 2050, le surcoût induit par les dépenses de santé avoisinera deux points de PIB ; en matière de santé, on approcherait 1,8 %, mais l'OCDE estime que l'on pourrait atteindre 3,6 points ; le surcoût lié à la dépendance avoisinerait 0,2 % du PIB, mais l'OCDE n'exclut pas que la charge monte jusqu'à 1,7 % du PIB. Même si les dépenses d'éducation diminuent, la part des dépenses publiques sera de quatre à six points de PIB supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui.

La quasi-totalité sera imputable aux dépenses sociales.

Pour affronter cette situation, faut-il augmenter l'impôt ou la cotisation ? Cela ne semble pas raisonnable car le poids des prélèvements obligatoires par rapport à la richesse nationale en France est déjà l'un des plus élevés d'Europe.

Notre premier devoir est de réformer la dépense. Cette démarche a porté ses fruits. Sans la réforme des retraites de 2003, la part des pensions dans le PIB en 2050 aurait été de quatre points de PIB, et non de deux comme on le pense aujourd'hui ! (M. Gérard Longuet approuve) Cet été, le Président de la République a pris diverses initiatives pour relancer la réflexion sur la protection sociale, notamment en instituant une commission sur les missions de l'hôpital public, dont M. Larcher est le président, qui rendra ses conclusions début 2008, année du rendez-vous sur les retraites.

Pour autant, la question de la recette reste posée. Notre assiette -encore trop largement une assiette travail- est inadaptée à une économie mondialisée où la matière taxable est volatile. Par ailleurs, nous devrons financer une partie des nouveaux besoins, en France comme ailleurs, par de nouvelles recettes. Cette hausse des prélèvements obligatoires sera acceptée par les Français si nous leur montrons que nous sommes capables de maîtriser la dépense. Enfin, malgré les efforts consentis, si l'on constate un nouvel écart entre recettes et dépenses, nous devrons réfléchir à la création de nouvelles ressources ou au redéploiement de l'impôt vers la protection sociale. Réduire de façon drastique la part de dépense prise en charge par la collectivité n'est pas culturellement envisageable en France. Ce serait vécu comme une remise en cause de notre système de protection sociale.

Mais alors, quelles ressources mobiliser ? Parallèlement aux initiatives prises par Bercy, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS), que j'ai l'honneur de présider, a lancé une réflexion sur les prélèvements obligatoires. Les nombreuses personnes que nous avons auditionnées -représentants des principales institutions de la protection sociale et des corps de contrôle, des hauts fonctionnaires, des universitaires et des praticiens du secteur social- s'inquiètent de l'instauration éventuelle de la TVA sociale. Nous disposons d'une abondante littérature sur le sujet -je pense notamment au rapport Besson et à celui établi par vos soins, madame la ministre- traversée par la même interrogation. Pour faire simple, la TVA sociale repose sur un pari, celui que l'employeur répercutera la baisse des cotisations sur ses prix de vente et que la baisse du coût du travail l'incitera à embaucher.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Eh oui !

M. Alain Vasselle, rapporteur. - Deux phénomènes sont susceptibles de faire dérailler ce scénario. Tout d'abord, les entreprises françaises, qui affichent des marges très faibles, auront tendance à ne pas baisser les prix. L'exemple allemand incite à la plus grande prudence. En début d'année, après que le Gouvernement a instillé un peu de TVA sociale,

M. Jean Arthuis, président de la commission. - Très peu !

M. Alain Vasselle, rapporteur. - ... on a constaté des tensions inflationnistes, bien que leurs entreprises soient en meilleure santé que les nôtres. Ensuite, l'impact de la TVA sociale sur l'emploi pourrait être faible, voire nul. En effet, les entreprises qui emploient des salariés au Smic ou proches du Smic, ne paient presque plus de cotisations patronales grâce aux allégements Fillon. (M. Fischer le souligne) Cet obstacle technique majeur, développé dans le rapport Besson et le rapport de la ministre, est trop rarement évoqué.

Dans ce cas, que faire ? Il y a un an, la commission des affaires sociales s'est montrée visionnaire en lançant un débat sur les niches sociales. Hélas, notre amendement remettant en cause l'exonération des stocks-options s'est heurté à l'opposition du Gouvernement. Certes, les niches sociales sont moins nombreuses que les niches fiscales que M. Marini a détaillées tout à l'heure, mais elles représentent tout de même, selon la Cour des comptes, 30 à 35 milliards par an, soit presque le montant des besoins de trésorerie de l'Agence centrale des organismes de la sécurité sociale !

Pour utiliser cette manne, nous proposons d'évaluer l'efficacité des niches et de taxer dans des conditions normales celles qui apparaissent injustifiées et, d'autre part, de taxer faiblement le plus grand nombre possible de niches -M. Woerth y a fait allusion tout à l'heure. La commission des affaires sociales a déposé hier un amendement en ce sens.

Cela étant, il faudra mobiliser d'autres ressources. Nous pourrions créer des taxes nutritionnelles ciblées sur les produits alimentaires néfastes tels que les sodas et les sucreries -la commission a également déposé un amendement en ce sens. Certains avaient envisagé que cette ressource pourrait servir à combler le déficit du FFIPSA. Ensuite, la fiscalité écologique. Madame le ministre, vous avez envisagé la taxe de lutte contre le changement climatique comme une alternative sérieuse à la TVA sociale. Cette taxe, par nature, n'est pas pérenne puisqu'elle vise à changer les comportements et détruit ainsi sa propre assiette, comme on le voit avec les droits sur le tabac. Il ne s'agit donc pas d'une ressource dynamique d'avenir pour le financement de la protection sociale. Toutefois, nous attendons avec le plus grand intérêt vos conclusions.

Enfin, la plupart des interlocuteurs de la MECSS ont insisté sur les avantages de la CSG. S'il fallait opter pour un impôt déjà existant - monsieur le rapporteur général, ce n'est qu'une hypothèse au cas où les pistes que nous aurions explorées se seraient révélées des impasses ! (Sourires)-, la CSG devrait être préférée à la TVA sociale. Certes, ce prélèvement pèse sur les ménages, mais il en va de même de la TVA sociale puisqu'il n'est pas certain que les industriels baisseront leurs prix.

Je reviendrai sur les points concernant les comptes sociaux dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les pistes évoquées par M. Woerth sont excellentes, je pense notamment au plan de maîtrise de la dépense mis en place par la Suède. Tous ces éléments doivent nourrir notre réflexion.

Telles sont les options de la commission des affaires sociales, qui veut moins faire preuve d'audace que de bon sens. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Rarement notre débat aura autant mérité son nom. Il se déroule en effet au seuil d'un nouveau quinquennat, à l'heure où des choix cruciaux vont devoir être faits pour affermir dans la durée notre modèle social. Il offre ainsi à notre commission l'occasion de réaffirmer ses priorités qui, si elles sont partagées par beaucoup, ne le sont pas toutes par la commission des affaires sociales. Débattons-en donc !

S'agissant des prélèvements et notamment de la part qui est affectée au financement de la protection sociale, le constat est implacable. C'est celui de la fiscalisation croissante de notre système de prélèvements sociaux : 40 % de ses ressources sont désormais issus de prélèvements fiscaux, alors que cette part était résiduelle il y a vingt ans. Pendant ce temps, les missions de la Sécurité sociale ont perdu en clarté et en légitimité. À la logique d'assurance reposant sur des cotisations versées par les seuls salariés, se mêle de plus en plus une logique de solidarité qui s'appuie sur des prélèvements fiscaux acquittés par tous les contribuables. Ayons donc la lucidité de voir la réalité en face pour refonder sur des bases claires notre pacte social en gardant à l'esprit le fait qu'aucun système de prélèvements ne peut être conçu indépendamment de la mondialisation. Si la globalisation ne s'impose pas à nous comme une évidence, notre système de prélèvement ne sera qu'un objet d'études savantes et désincarnées.

Le débat de cet après-midi doit donc viser à préserver les atouts de notre système de sécurité sociale. Celui-ci ne pourra pas être durablement maintenu en l'état, il doit s'adapter pour prendre en compte la réalité d'une économie désormais globalisée. C'est à une autre opération vérité que la commission des finances vous appelle une fois encore aujourd'hui : repenser les fondements de notre système de prélèvements qui repose sur des concepts d'un autre âge. Le consensus semble désormais établi pour considérer qu'il n'est plus concevable, sauf à délocaliser la plupart des emplois marchands après avoir laissé liquider la plupart des emplois industriels, de financer plus longtemps les branches santé et famille par des cotisations assises sur les salaires et les revenus du travail perçus par les travailleurs indépendants, commerçants, industriels, agriculteurs, professions libérales.

Les gouvernements successifs ont fait du salaire et de l'emploi leurs deux soucis majeurs. Sans réforme de nos prélèvements obligatoires, ces deux objectifs sont incompatibles dans une économie mondialisée. Puis-je considérer que nos commissions des affaires sociales et des finances sont d'accord sur ce diagnostic ? Je m'en réjouis.

Si nous sommes d'accord pour financer autrement la santé et la politique familiale, nous devons convenir qu'il s'agit bien d'aller jusqu'au bout de la fiscalisation en cours. Mais alors quel impôt ?

Imaginons un instant qu'il puisse s'agir d'un impôt mis à la charge des entreprises, un impôt de production, une version relookée de la taxe professionnelle. Notre analyse nous invite à rompre avec l'idée « politiquement correcte » que certains impôts seraient payés par les entreprises. La réalité, c'est que tous les impôts sont, en définitive, à la charge des citoyens, des ménages. Tout impôt payé par les entreprises est, en dernier ressort, répercuté dans le prix payé par les consommateurs. La mondialisation a tout bousculé : pour rester compétitives, les entreprises s'en vont produire hors du territoire national, et le processus ne cesse de s'amplifier.

Renonçons à cette fausse piste. Osons dire aux Français que c'est bien eux qui paient déjà l'impôt. Choisissons donc celui qui répond le mieux à la double exigence de compétitivité du travail et d'équité sociale. Pour financer la branche santé et la branche famille, pour percevoir une ressource de substitution, nous devons évaluer les avantages et les inconvénients des différents impôts supportés par les ménages. Quelles sont les assiettes possibles ? J'en discerne trois : la fortune, le revenu, la consommation.

La fortune, c'est-à-dire l'augmentation du barème de l'ISF est une impasse. Notre dispositif est une singularité qui pousse hors du territoire national une partie du patrimoine délocalisable, au détriment de la croissance et de l'emploi.

Le revenu peut-il faire l'objet d'un supplément de prélèvements par un rehaussement de notre barème, alors même que nous venons tout juste de le ramener au niveau de ceux en vigueur dans les pays comparables ? Rehausser le barème susciterait de nouveaux exils fiscaux, des vocations de « réfugiés fiscaux », comme on dit en Belgique et en Suisse. Seule la remise en cause des niches fiscales nous offre un potentiel de ressources nouvelles. Celles-ci ont été créées parce que le barème était tellement élevé qu'il fallait bien des compensations. On pourrait désormais en supprimer une bonne part mais il ne faut pas se leurrer : on n'y gagnera pas plus d'une dizaine de milliards.

À défaut de réviser à la hausse le barème de l'impôt sur le revenu, pouvons-nous demander plus à la CSG ? J'en doute, pour les mêmes motifs. Au surplus, ce prélèvement porterait directement atteinte au pouvoir d'achat. Ce seul argument suffit à condamner une telle hypothèse.

Que reste-t-il ? L'impôt de consommation, c'est-à-dire la TVA. Sa réputation rend son maniement délicat ? Brisons les tabous et faisons justice du mauvais procès qui inspire la tentation de ne rien faire et de camper dans la pusillanimité. La TVA sociale, c'est augmenter les taux en vigueur pour compenser l'exonération des cotisations d'assurance maladie et d'allocations familiales. Ce n'est donc nullement accroître les prélèvements pesant sur les Français. Je voudrais vous convaincre que les trois critiques faites à la TVA sociale sont infondées.

Première critique : la hausse de la TVA serait un facteur d'inflation. C'est faux car l'exonération des charges sociales fera baisser d'au moins 5 % le prix hors taxes des biens et services issus du travail des Français. Un article vendu 100 € hors TVA, payé 119,6 € par le consommateur, sera vendu 95 € hors TVA. Si le taux est porté à 25 %, la taxe s'élèvera à 23,75 € et le prix TTC sera de 118,75 €, c'est-à-dire moins que le prix payé aujourd'hui. À l'exportation, le prix offert aux clients étrangers sera ramené de 100 euros à 95. Seuls les biens importés subiront une hausse, mais ils offrent déjà des marges des plus consistantes et j'ose espérer que les importateurs n'auraient pas l'audace de répercuter l'intégralité de la TVA dans le prix à la consommation. La vigilance des consommateurs sera grande et, à défaut, celle des 4 000 agents de la DGCCRF. (M. Fischer parle d'utopie)

Deuxième critique infondée : la TVA serait injuste. Or, contrairement à ceux qui achètent des produits ou services français, ceux qui consomment des biens importés ne participent pas au financement de la protection sociale à laquelle tous entendent avoir accès. Voilà la principale injustice !

Troisième critique : la hausse de la TVA briserait la croissance. Le 1er janvier dernier, l'Allemagne a augmenté de trois points son taux de TVA. Un seul de ces trois points correspond à une compensation d'allégement de cotisation sociale.

Je me souviens que votre prédécesseur, M. Breton, particulièrement confiant sur la robustesse de notre croissance pour 2007, n'émettait qu'une crainte, qu'elle soit compromise par la décision allemande. Or, l'Allemagne, qui a augmenté sa TVA, fait mieux cette année que la France !

Mme Nicole Bricq. - Grâce à la demande !

M. Jean Arthuis, président de la commission. - Le Danemark a supprimé il y a longtemps ses cotisations sociales et a porté sa TVA à 25 % : aujourd'hui, il est au plein emploi et au suréquilibre des comptes !

Vous défendez l'efficacité des allègements ciblés sur les bas salaires, mais c'est encourager une sorte de trappe à bas salaires !

M. Gérard Longuet. - C'est vrai !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Il faut avoir le courage d'aller au bout de cette logique d'allègement, en prenant une mesure généralisée, plutôt que ciblée. Les salaires modestes ne sont pas les seuls à être menacés de délocalisation : voyez ce qui se passe en Chine et en Inde, avec la recherche !

La réforme que nous appelons de nos voeux devrait se faire à prélèvement constant : l'augmentation de TVA ne saurait avoir d'autre motif, à l'euro près, que les exonérations de cotisations. La globalisation économique périme des pans entiers de nos prélèvement obligatoires. Ne nous résignons pas aux délocalisations ! La TVA sociale est un outil, que nous devrons compléter par plus de flexibilité, de la simplification des normes, un encouragement de l'esprit d'entreprise. Nous devrons faire oeuvre de pédagogie, mais ne sous-estimons pas l'énergie qu'il nous faudra contre les tabous et les idées convenues : nous devons être opiniâtres et courageux !

Madame le ministre, vous vous préoccupez des surliquidités et des fonds dits souverains, c'est-à-dire des 4 000 à 5 000 milliards de dollars qui se placent hors de leur territoire d'origine. Ces investissements viennent des pays mêmes auxquels nous achetons du pétrole, du gaz, des biens de consommations. A cet égard, il faut faire pièce à cette idée anesthésiante : la France se porterait bien, puisque les investissements étrangers y sont nombreux. Mais ces fonds sont placés dans l'immobilier et dans les bons du Trésor : ceux qui nous vendent du gaz, du pétrole ou des biens de consommation, financent également l'endettement que nous créons pour ces achats !

M. Gérard Longuet. - Exactement !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Ces fonds détiennent la moitié peut-être des entreprises du CAC 40 et quand ils rachètent une PME, ils commencent par la réorganiser, en délocalisant : ces investissements, alors, n'augmentent pas notre production ni notre emploi !

Voilà pourquoi nous devons réformer en profondeur nos prélèvements obligatoires, pour un sursaut de notre compétitivité, pour le travail, nos territoires et nos entreprises ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. - L'an passé, le rapport annexé distinguait une analyse de la politique fiscale de l'Etat, et des éléments de réflexion sur le financement de la sécurité sociale, sans présentation synthétique ni consolidée de l'ensemble. Cette distinction artificielle a disparu cette année, les chiffres concernant l'Etat et la sécurité sociale sont présentés ensemble, c'est une bonne chose car les financements publics forment un tout : il n'y a pas de fonds publics sans poches privées ! (Sourires) La création d'un ministère des comptes publics en est un signe, sinon la conséquence, elle a été suivie d'effet rapidement, par exemple le remboursement par l'Etat de 5,1 milliards de dette à la sécurité sociale.

Les lois de finances et de financement doivent être mieux articulées, mais on perdrait beaucoup à les fusionner. Nous avons besoin d'informer au mieux le pilote, je salue à cet égard l'assemblage d'un nouveau « bleu » récapitulant l'ensemble de la dépense publique et son évolution. Si, en juin prochain, les finances sociales occupent la place qu'elles méritent dans la discussion d'orientation budgétaire, nous aurons fait un grand pas pour une vision consolidée et équilibrée des financements publics.

La budgétisation des dépenses sociales, de même que toute fusion des lois de finances et de financement, ferait perdre de la précision au pilotage des dépenses sociales, empêchant de les connaître par branche. Voyez la branche famille, qu'on cite généralement comme la plus propice à une budgétisation. Après l'épisode de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), qui a lourdement pesé sur les comptes, on hésitera désormais à créer de nouvelles prestations, bien plus que si les dépenses étaient noyées dans le déficit général des comptes publics. La gestion par solde rend plus facile d'identifier les sources de déficit et elle a une fonction pédagogique certaine. Les dépenses sont directement rapportées aux recettes, c'est utile pour calibrer l'effort demandé aux assurés sociaux, mais aussi dans la gestion même des relations sociales.

Je plaide donc pour une plus grande autonomie des lois de financement en matière de recettes. Notre mission d'évaluation et de contrôle se prononce pour qu'elles aient le monopole des nouvelles exonérations de cotisations et contributions sociales, qu'à tout le moins les lois de financement en soient un passage obligé. Trop d'exonérations sont encore décidées sans que nos commissions soient saisies ou même informées. Notre mission souhaite également que soit mis fin à cette asymétrie, par laquelle la loi de finances est compétente pour toute dépense impliquant l'Etat, et la loi de financement seulement pour les dépenses qui relèvent intégralement de la sécurité sociale. La loi de finances règle ainsi les taxes sur les salaires, qui concernent les dépenses sociales à 95 % : il serait plus juste d'instaurer une répartition de compétence à partir d'un seuil de 50 %. Qu'en pensez-vous, madame le ministre ?

Un mot, à mon tour, de la TVA sociale. La commission des affaires sociales n'en fait pas une affaire idéologique, ni de principe : nous abordons ce dossier avec pragmatisme. Ce qui nous frappe d'emblée, c'est la difficulté technique d'une telle taxe. Les cotisations sociales patronales représentent en moyenne 28,1 % des salaires, mais 2,1 % du Smic, et rien, depuis juillet, pour les salaires au SMIC dans les entreprises de moins de vingt salariés.

Comment baisser des cotisations patronales qui n'existent pas ? Cet obstacle technique n'est pas mineur mais il est rarement abordé. Comment faire concrètement ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - C'est très simple.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. - Il faudra nous l'expliquer.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - J'ai essayé de le faire.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. - Il nous faut du temps, aux affaires sociales.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - C'est l'État qui finance la sécurité sociale...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. - Il s'agit donc d'une mécanique politique de transfert des cotisations sur la fiscalité.

Le nombre d'emplois en découlant serait de 20 000 à 30 000 à court terme mais l'effet à long terme serait neutre. On peut espérer plus de créations si les baisses de cotisations sont plus fortes mais on se heurte à la question technique des bas salaires, qu'il ne faudrait d'ailleurs pas multiplier au détriment des autres. Peut-on se satisfaire de ce résultat ? Dieu merci ! l'économie française crée spontanément plus d'emplois que cela et les fluctuations de la croissance ont plus d'impact. Il convient donc de bien mesurer les enjeux avant de s'engager dans une réforme à laquelle nous ne sommes pas opposés par principe.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Très bien !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. - Je suis heureux de constater que le rapporteur général a consacré l'essentiel de son rapport aux finances sociales. Président de la commission des affaires sociales, je ne peux que me réjouir que l'essentiel des enjeux financiers se situent peu ou prou dans notre champ de compétence. (Sourires. Applaudissements sur les bancs au centre et à droite)

M. Marc Massion. - Ce débat intéressant confirme que nous avons des divergences fortes. Devons-nous prôner la baisse de la fiscalité comme un but ultime ? Le Président de la République a fixé un objectif chiffré : il affiche un volontarisme électoraliste. Je plaide pour ma part pour une désacralisation car leur niveau compte moins que l'efficacité et la justice des prélèvements. Le candidat Sarkozy en avait fait un des ses thèmes privilégiés de campagne. Il annonçait le 23 janvier « une véritable évolution économique destinée à réduire de 4 % le taux des prélèvements obligatoires ». Réalisant le caractère peu crédible de cette promesse, il devait bientôt préciser qu'il s'agissait d'un objectif à dix ans.

La réalité est toute autre, ainsi que l'indique le rapport de M. Marini en s'appuyant sur des documents fournis par le Gouvernement. Le Gouvernement dessine deux scénarios. Le premier est celui d'une croissance du PIB de 2,5 % , à compter de 2009 et d'un taux de prélèvements obligatoires de 43,4 %,en 2012 soit une baisse de 0,8 % en cinq ans. Puisque la ministre a cité le taux de 1999, je rappelle qu'en 2002, ce taux était de 43,1 % et qu'il n'a cessé d'augmenter depuis. Le second scénario est celui d'une croissance annuelle de 3 % et d'un retour à l'équilibre dès 2010 mais le Gouvernement y croit si peu qu'il ne s'est pas donné la peine de fournir des évaluations chiffrées.

Dans l'hypothèse la plus favorable, la baisse des prélèvements serait de 0,8 % sur cinq ans, soit bien loin des 4 % du candidat Sarkozy. Pourtant, page 25 du rapport de M. Marini, on constate un véritable miracle, le taux tombant à 40 % dès 2012. Mais ce prodige n'a pas d'explication. Le rapporteur général y croit-il et le Gouvernement peut-il nous expliquer cette évolution spectaculaire ? Il est vrai que le Président de la République croit qu'il peut d'un claquement de doigts ramener le point de croissance qui nous fait défaut.

Il fallait démythifier les promesses aventureuses et les mensonges. Les Français doivent savoir que la tromperie avançait masquée...

M. Guy Fischer. - Voilà la vérité !

M. Marc Massion. - N'en déplaise à M. Sarkozy, il n'y a pas rupture mais continuité dans la hausse des prélèvements obligatoires. Il y a un an votre prédécesseur, madame, nous annonçait une stabilisation et, en le désavouant vous ne faites que confirmer une hausse continue depuis 2003.

Au-delà de l'effet-taux, la facture des prélèvements obligatoires s'est alourdie de 116 milliards. Les mesures nouvelles devaient réduire les prélèvements de l'État de 0,2 %, mais elles n'ont dégagé que 3,6 milliards sur les 5 milliards annoncés. Ce simple constat suffirait, si besoin était, à démontrer l'inefficacité de votre injuste politique. Le Gouvernement a modifié à son gré l'assiette des prélèvements obligatoires au bénéfice des plus aisés tout en se défaussant sur la sécurité sociale et sur les collectivités locales : celles-ci, auxquelles il a omis de compenser intégralement les compétences transférées par l'acte II de la décentralisation, ont dû relever la fiscalité locale.

Pour 2007, le taux serait ramené à 44 %, comme cela avait été promis pour 2006, et nous n'atteindrions les 43,7 % prévus par votre prédécesseur pour 2007 qu'en 2008. Les prélèvements obligatoires se monteront à 819 milliards, dont 14,9 % pour l'État. La faible croissance joue contre leur diminution et votre politique n'arrange rien. Avec la loi TEPA, vous avez continué la politique du Gouvernement précédent dont on sait les résultats malheureux. La progressivité de l'impôt sur le revenu a été mise à mal et l'exonération des heures supplémentaires n'aura pas d'effet en 2007.

En 2008, l'effet sera au mieux de 400 millions -alors que le bouclier fiscal coûtera plus d'un milliard, au profit des plus favorisés.

Pour les collectivités locales, l'histoire se répète. En 2007, la hausse de 0,1 point de leurs prélèvements est uniquement due au changement de périmètre opéré par l'État ; plus de deux milliards de fiscalité leur ont été attribués en compensation des transferts de compétences. Cette situation leur fait honneur. Et elles poursuivront leurs efforts en 2008 : leur taux de prélèvement restera stable à 5,8 %. Quant à la sécurité sociale, elle pâtira des exonérations prévues par la loi TEPA.

Autant dire que la situation ne va pas s'améliorer. Non, la baisse des prélèvements obligatoires ne peut être l'alpha et l'oméga des politiques publiques. Les prélèvements obligatoires traduisent des choix politiques. Il n'est pas honteux, il est normal de payer des impôts et des cotisations sociales. Sur qui prélève-t-on ? Et sur quelle assiette ? Voilà des questions essentielles, qui sont affaire de solidarité. Mais la réponse du Gouvernement est claire : il privilégie les plus favorisés au détriment des plus modestes, en réduisant la part de l'impôt progressif. Quelle est la finalité des prélèvements obligatoires ? La justice. C'est pourquoi il faut désacraliser le taux de prélèvements obligatoires, qui reflète avant une politique fiscale. Des prélèvements obligatoires équilibrés, en permettant d'offrir un niveau élevé de services publics et de biens collectifs, participent à une meilleure redistribution et à une plus grande solidarité. La politique du Gouvernement va à l'encontre de ces deux objectifs.

Les prélèvements obligatoires doivent être affectés à deux priorités, et d'abord aux dépenses d'investissement ; faut-il rappeler ici que les collectivités territoriales, avec un taux de prélèvements obligatoires bien inférieur à celui de l'État, participent pour plus de 72 % à l'investissement public ? Ils doivent aller ensuite aux questions structurelles que sont l'emploi, la santé et les retraites.

Je vous demanderai enfin un peu de sincérité. A quelles surprises fiscales devons-nous nous attendre au printemps prochain ? Après les cadeaux fiscaux de la loi TEPA, on peut se demander comment le Gouvernement pourra financer les politiques ambitieuses nécessaires, tant au niveau social qu'écologique à la suite du Grenelle de l'environnement. Une politique de rigueur, bien que formellement rejetée, sera menée l'année prochaine, probablement, ce n'est pas un hasard, à la suite des élections municipales.

La TVA sociale est loin d'être enterrée. Prévoyez-vous déjà une augmentation de la TVA de 1,5 point, comme le préconisent le rapport Besson et l'Inspection générale des finances ? Ferez-vous plutôt le choix d'une TVA « pouvoir d'achat », intitulé pour le moins critiquable quand on sait qu'une augmentation du taux de TVA entraînera une hausse des prix ? Comment M. Sarkozy arrivera-t-il à concilier son souhait de doubler la fiscalité écologique tout en stabilisant le niveau des prélèvements obligatoires ? Il pourrait alors accorder de nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises, en instaurant, comme le demande le Medef, un bouclier fiscal à leur profit.

Et bien d'autres hypothèses sont envisageables. Il est temps, dès lors, de tomber le masque et de dévoiler enfin la réalité de vos projets aux Français. (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Longuet. - Lourde responsabilité que celle de représenter l'UMP dans un débat riche, passionnant et qui se déroule aussi au sein de la majorité. Je parle notamment de la TVA sociale, en demandant, n'étant pas expert en ces questions, l'indulgence de mes collègues membres de la commission des affaires sociales.

Nous avons sur le sujet trois points d'accord. En premier lieu, notre taux de prélèvements obligatoires, élevé, ne saurait être dépassé à l'avenir. C'est une loi d'airain. En second lieu, les raisons d'être optimiste sont peu nombreuses ; le retour à l'équilibre budgétaire en 2012, qui est l'objectif du Président de la République, passe par le maintien de la pression fiscale, même s'il est possible de la rendre plus intelligente. Et du côté de la protection sociale, nous devrons faire face, à cause de l'allongement de la durée de la vie -qui est bien sûr une grande satisfaction- à des dépenses de santé et de retraite croissantes. La protection sociale, c'est la prise en compte d'un risque, mais c'est aussi l'espérance de conditions de vie meilleures. Enfin, troisième point du diagnostic partagé, notre réflexion ne peut faire abstraction de la mondialisation et de l'exigence de compétitivité.

Nous avons aussi dans notre groupe des différences, plus que des divergences, sur la TVA sociale, c'est-à-dire la fiscalisation des dépenses sociales, et sur les niches fiscales. Quant aux dépenses sociales, il faudra bien déterminer, en toute responsabilité, ce qui doit relever de la solidarité et ce qui est dépense naturelle.

J'en viens à la TVA sociale, proposition défendue avec courage et constance par le président Arthuis, et sur laquelle le groupe UMP se répartit entre « contre », « modérément pour » et « résolument pour ». Je suis prêt à accepter l'idée de cette manière de fiscalisation de la protection sociale, à deux réserves près. On me dit que si on frappe les entreprises, elles répercuteront le coût supplémentaire à un moment ou à un autre sur le consommateur ; il est dès lors plus loyal, peut-être plus cynique, de demander l'effort directement au consommateur. Mais tous les consommateurs ne sont pas français. Demander aux entreprises de participer au financement des dépenses sociales a le mérite de faire contribuer les consommateurs étrangers, acheteurs d'Airbus ou de moteurs Snecma par exemple, à ces mêmes dépenses.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Je vous entends ; mais voyez nos échanges avec la Chine : du 1er janvier au 31 juillet, nos exportations ont atteint cinq milliards d'euros, et nos importations, quinze.

Ce déséquilibre ne cesse de se creuser. Lors d'une mission dans le Golfe, j'ai constaté, avec les membres de la commission des finances, que les pays asiatiques prenaient des parts de marché croissantes.

Le précédent Président de la République a inauguré en Chine une usine d'assemblage de l'Airbus A380, ces appareils étant destinés au marché local. On nous refait le coup de la Logan : il sera bientôt moins cher de voyager dans des Airbus fabriqués en Chine... Nos positions commerciales vacillent. C'est prendre un risque que de compter sur elles pour financer notre protection sociale.

M. Gérard Longuet. - Cet aspect fait partie du débat que nous devons conduire. Mais les consommateurs étrangers qui font confiance à la France contribuent à notre protection sociale.

M. Marini défend la position modérée d'une TVA sociale réduite, ciblée sur les salaires inférieurs à 1,10 Smic. Quel modèle social voulons-nous ? Si nous voulons enrichir la croissance en emplois modestes, peu qualifiés, c'est une piste à suivre. Mais si nous avons une ambition à long terme de valeur ajoutée, ne risquons-nous pas, en privilégiant les bas salaires, de pénaliser les plus qualifiés ? La moitié d'une promotion de jeunes diplômés d'une école de commerce part chercher un emploi aux États-Unis ! On va frapper les informaticiens, les commerciaux, ceux qui, heureusement, gagnent plus de 1,10 Smic.

Il est vrai qu'il y a la Chine, son réservoir de main d'oeuvre apparemment inépuisable, ses 2 000 milliards de stock de devises...

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Merci de me permettre de vous interrompre. Il est très difficile de bien déterminer les objectifs, car la réalité est contradictoire. La note de l'Inspection générale des finances préconise de se concentrer sur les bas salaires pour de pures raisons d'opportunité, liées à l'impact sur le taux de chômage. En effet, des personnes très diplômées quittent le territoire, mais ce n'est pas ce qui pèse sur la composition des demandeurs d'emploi. C'est en vertu de l'impératif politique de réduction du taux de chômage à court terme que j'ai rejoint momentanément la proposition des services de Mme Lagarde. Fondamentalement, je suis en accord avec la doctrine du président Arthuis !

M. Gérard Longuet. - Cela prouve, madame la ministre, que nous n'épuiserons pas ce débat aujourd'hui ! (Sourires)

Deuxième sujet, les niches sociales représentent 30 milliards d'euros ; les niches budgétaires, 40 milliards, selon M. Marini, et jusqu'à 70 milliards selon d'autres estimations. Les fameuses « niches à durée indéterminée », les « NDI », représentent des sommes importantes : 5 milliards pour la seule TVA à 5,5 % dans le bâtiment. Il s'agit pourtant d'activités qui ne sont pas délocalisables, tout comme les emplois d'aide à la personne, où l'on trouve le plus souvent des petits salaires. Mais bonjour les dégâts si l'on s'avise de revenir sur ces exonérations !

La Cour des Comptes a envisagé l'assujettissement des stock-options aux charges sociales. Celles-ci sont déjà assujetties à la CSG, à hauteur de 10 %, et à l'impôt sur les plus-values à hauteur de 16 %. On envisage aujourd'hui de les imposer comme des revenus salariaux. Les stocks-options restent pourtant un moyen formidable pour retenir des cadres jeunes et dynamiques dans notre pays, d'autant que c'est l'actionnaire qui paie, pas le contribuable ! Il sera nécessaire de revenir sur ce sujet, sachant que les niches transversales relèvent de l'architecture naturelle de l'imposition du revenu et de son équilibre.

Nous avons un seul ministre des comptes, mais deux budgets. Je partage la démarche de la commission des affaires sociales. Certaines politiques, comme la politique familiale, sont profondément nationales. En revanche la santé ne relève pas de l'entreprise. Il faut mettre chacun en face des ses responsabilités. La retraite est une affaire individuelle ! Que la solidarité nationale joue pour que l'imprévoyant ne se trouve pas fort dépourvu quand la bise sera venue, soit. La dépendance est une affaire d'épargne ! La fortune risque de quitter le territoire si on la taxe trop, c'est vrai, mais il faut prendre l'habitude d'épargner pour ses vieux jours. Je suis gêné qu'on présente la dépendance comme le cinquième risque : c'est une consommation pour un risque individuel. Que la solidarité joue pour ceux qui ne peuvent cotiser, soit, mais il faut dire à chacun qu'il devra épargner. On va me taxer de conservatisme, mais la responsabilité intergénérationnelle s'organise aussi dans le cadre de la famille.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Comme l'aide sociale.

M. Gérard Longuet. - Il n'est pas choquant d'en tirer les conséquences.

L'article 52 de la loi d'orientation sur la législation financière a ouvert un débat qui n'est pas épuisé, y compris au sein de la famille UMP. (Applaudissements à droite)

M. Guy Fischer. - Ce débat rituel prend un relief tout particulier aujourd'hui, alors que débute une nouvelle législature que d'aucuns voudraient porteuse de réformes essentielles pour notre pays. En réalité, il s'agit surtout de démonter ce qui constituait, depuis la Libération, le socle de la société française...

Beaucoup estiment que le niveau des prélèvements obligatoires est aujourd'hui intolérable, à plus de 44 % du produit intérieur brut marchand. Pourtant, leur progression a été relativement faible, puisqu'ils représentaient déjà 41 % du PIB en 1982. Cette hausse, somme toute mesurée, n'est imputable qu'à la progression des prélèvements sociaux, passés dans la même période de 44 à 50 % du total. Ce dynamisme doit beaucoup à l'émergence d'une fiscalité dédiée, dans le droit fil de la contribution sociale généralisée, aujourd'hui principal impôt sur le revenu.

La part des prélèvements perçus au profit des collectivités locales, qui représente 13 % du total, est également relativement dynamique. La décentralisation a constitué un puissant accélérateur de la pression fiscale locale.

Avec la fiscalisation de la protection sociale, MM. Marini et Arthuis nous incitant à franchir le dernier pas, la participation de l'État se réduit à mesure qu'il abandonne ses compétences.

Reste que les besoins de financement de l'État sont aujourd'hui plus importants qu'ils ne l'étaient en 1982, époque qui en comparaison pourrait presque nous faire regretter les délices de l'inflation, qui allaient de pair avec un taux de chômage et de précarité plus faible qu'aujourd'hui.

Le niveau de l'investissement public porté par l'État n'a jamais été aussi bas, ce que ne saurait masquer la réduction relative des déficits budgétaires d'aujourd'hui. Vous n'avez, lors de la précédente législature, voté aucune loi de finances initiale, aucun collectif budgétaire, aucune loi de règlement enregistrant un déficit budgétaire inférieur à l'effort d'investissement de l'État. L'investissement public est même passé, en 2006, sous la barre des 4 % de dépenses du budget général !

La question de l'efficacité de notre système de prélèvements est consubstantielle à celle de sa lisibilité, donc de sa transparence. Ces vingt-cinq dernières années ont vu la baisse régulière de la contribution des entreprises, sous toutes ses formes, au financement de l'action publique. Qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés, de la sécurité sociale, de la taxe professionnelle, elles ont été, au nom de l'encouragement fiscal à la compétitivité, très largement dédouanées de toute obligation. Pour complaire aux attentes du Medef, bien des mesures ont été prises, depuis 1982, qui ont modifié durablement les équilibres d'alors. Le taux d'une bonne part des prélèvements que nous connaissons encore aujourd'hui, comme celui de la TVA majorée ou de maintes taxes sur la consommation, reste élevé au seul motif qu'il faut compenser les moins values dues aux allégements fiscaux et sociaux ! Combien de nos collègues prompts à s'insurger contre une taxation prétendument élevée du capital n'ont jamais dénoncé notre taux normal de TVA, l'un des plus élevés d'Europe !

M. Jean Arthuis, président de la commission. - Il est de 25 % au Danemark, sous un gouvernement social démocrate !

M. Guy Fischer. - Depuis un an.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Non, depuis 1987 !

M. Guy Fischer. - Cette évolution fondamentale de l'équilibre de nos prélèvements obligatoires va de pair avec la multiplication foisonnante des niches fiscales et sociales, toujours plus nombreuses chaque année.

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Absolument ! C'est la mauvaise herbe fiscale !

M. Guy Fischer. - Vous en êtes le jardinier !

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Il y en aurait plus encore si l'on vous laissait faire !

M. Guy Fischer. - Je sais gré à M. Vasselle d'avoir souligné, dans son rapport d'information, que nombre de revenus ne sont aucunement concernés par les prélèvements sociaux. Le pactole des stock-options et autres parachutes dorés dont bénéficie une infime minorité de hauts cadres de l'industrie et des affaires est d'autant plus généreux qu'il déroge au droit commun de la contribution au financement de la sécurité sociale. Même remarque pour l'impôt sur le revenu : la multiplication des prélèvements libératoires et autres traitements de faveur accordés aux revenus du capital et du patrimoine fait supporter l'essentiel de l'effort aux salariés modestes, déjà largement mis à contribution en matière de prélèvements sociaux !

Avant que de réfléchir au devenir de nos prélèvements obligatoires, ne conviendrait-il pas de s'interroger sur la pertinence de l'existant, luxuriante végétation d'exceptions au droit commun faite pour abriter les privilèges de la fortune ! La fiscalité incitative, monsieur le rapporteur général ? Elle existe bel et bien, quand les placements en assurance-vie sont exonérés de droits de succession et que leurs plus values sont destinées à être, à l'échéance de 2014, totalement exonérées ! Mais ces cadeaux faits à quelques ménages fortunés et à quelques grands groupes, sont facturés en retour à la grande majorité des retraités, des salariés, des commerçants et artisans ou des PME.

On nous annonce une révision générale des prélèvements obligatoires, qui va de pair avec une révision des politiques publiques. En juin dernier, au détour d'une soirée électorale, un ministre des finances s'était laissé allé à parler de la TVA dite sociale comme d'un horizon désirable. Le même ministre, investi de nouvelles fonctions, semble avoir gardé le même cap : les conclusions du récent Grenelle de l'environnement en font foi. Suffira-t-il de teindre en vert les habits passablement défraîchis de la TVA sociale ? Une querelle continue pourtant d'opposer, sur cette question, les élus de la majorité. On parle de taxe carbone, de taxe sur les voitures polluantes, feignant ainsi d'oublier que la fiscalité sur les produits pétroliers pourrait contribuer à un développement économique plus respectueux de l'environnement. Les prélèvements obligatoires n'auraient donc de vertu que lorsqu'ils frappent les salaires et la consommation ?

C'est d'un système de prélèvements obligatoires cohérent, juste et efficace et pérenne dont nous avons besoin. Et nous sommes très loin du compte ! Tous les revenus, quelle que soit leur nature, doivent contribuer au financement de la protection sociale comme de l'action de l'État ! Nous devons nous poser la question de la pertinence des compétences respectives de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales dans la dépense publique ! La solidarité nationale, l'aide aux plus démunis, la couverture du risque dépendance doivent être pleinement du ressort de la sécurité sociale. Il faut revoir l'assiette des prélèvements fiscaux locaux, et notamment de la taxe professionnelle -mais ne vais-je pas là à contrecourant, quand on en prône la suppression-, pour les rendre plus opératoires et socialement efficaces. (Applaudissements à gauche)

M. Georges Othily. - L'ouverture de la XIIIe législature, marquée par la volonté du Président de la République de rompre avec des méthodes anciennes de pilotage de l'action publique, trop souvent empreintes du sceau de l'insouciance budgétaire, en un temps où l'on ne jugeait de la qualité d'un ministre qu'à sa capacité à obtenir un accroissement de budget, confère à ce débat une solennité particulière : cette époque de gabegie est révolue. La création, en mai dernier, d'un ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique a donné au Parlement un interlocuteur unique et rassemblé sous une même autorité la gestion de l'ensemble des comptes publics, comptes sociaux compris.

Si le taux de prélèvements obligatoires reste un indicateur imparfait des ressources de l'État, il n'en apporte pas moins un éclairage intéressant quant à l'intervention publique dans l'économie.

Selon le rapport économique, social et financier pour 2008 du Gouvernement, le taux de prélèvements obligatoires s'établira à 43,7 %, soit une baisse annoncée de 0,3 point en un an. Sur le long terme, ce taux s'inscrit dans la stabilité après l'augmentation sensible de la fin des années 90. La France se place ainsi au 4ème rang des pays de l'OCDE, 3 points et demi au-dessus de la moyenne européenne. Mais quand le poids des prélèvements obligatoires dans notre PIB passait, entre 1990 et 2000, de 42,8 % à 43,7 %, il reculait, aux États-Unis, de 26,7 % à 26,4 %, avec une croissance moyenne sur quinze ans supérieure de 1,2 point environ. Nos seuls prélèvements directs sur les entreprises approchent 17 %, contre moins de 10 % pour les autres grands pays européens.

Ces chiffres ne seraient pas inquiétants si notre système fiscal contribuait à produire de la richesse. Or l'OCDE souligne qu'avec une ponction de 15,8 % du PIB en 2006, notre système de charges sociales engendre la précarité. Car nos salariés peu ou pas qualifiés coûtent plus cher que dans tout autre pays de l'OCDE : un Smic français coûte 54 % de plus qu'un salaire médian, contre 33 % aux États-Unis, 40 % en Belgique, 36 % en Espagne.

Débattre du poids de la fiscalité réveille les passions.

Cependant, il faut considérer la fiscalité comme un outil pour développer l'économie nationale. Il faut concilier l'intérêt général et l'intérêt des citoyens, c'est-à-dire l'épanouissement individuel contribuant à l'intérêt général. Dans un système mondial où la volatilité des capitaux s'accélère, l'attractivité du territoire est un impératif. Avec ses infrastructures, la qualification de sa main-d'oeuvre et sa qualité de vie, notre pays dispose de nombreux atouts, mais la logique franco-française de son système fiscal est un handicap.

Des pays comme la Suède, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l'Allemagne ont mis leur fiscalité au service de leur compétitivité. Alors que la situation du Canada était en 1993 comparable à celle que nous connaissons aujourd'hui, ce pays a enregistré en 2006-2007 un excédant budgétaire atteignant 16 milliards d'euros, si bien qu'il réduit sa fiscalité tout en se désendettant, alors que le chômage reste limité à 5,8 %, que la consommation reste soutenue et l'investissement des entreprises, vigoureux. Preuve que l'optimisation fiscale peut mettre les prélèvements au service du progrès économique et social. L'enchevêtrement de normes complexes compromet la réalisation de cet objectif. Une bonne politique fiscale n'est-elle pas fondée sur des impôts simples, à l'assiette large et avec des taux réduits ?

Comme l'écrit M. Marini dans son rapport, « une révision des niches fiscales paraît indispensable, tant l'efficacité de certaines d'entre elles est contestable, et leur développement incontrôlé ». Alors que dans son rapport sur la fiscalité dérogatoire publié en 2003, le Conseil des prélèvements obligatoires recensait 418 niches fiscales dont le coût avoisinait les 60 % des impôts sur le revenu, notre rapporteur général a relevé près de 650 niches fiscales dans le projet budgétaire pour 2008, dont 202 concernent le seul impôt sur le revenu. Les dépenses fiscales atteindraient ainsi 72,3 milliards d'euros alors que les niches sociales privent le régime général de 35,5 milliards d'euros, équivalents à 12 % de ses recettes de 2007.

Élu d'outre-mer, je ne prétendrai pas que toutes ces niches soient à proscrire. À côté des dispositifs qui enrichissent les conseillers fiscaux, d'autres atteignent leur objectif : orienter l'épargne là où elle est nécessaire, stimuler certaines activités ou encourager un type de comportement. Ainsi, la commission d'évaluation de la loi de programme a constaté en 2006 que les allégements sociaux et fiscaux avaient développé l'emploi et l'investissement outre-mer. Mais il ne faut pas encourager l'optimisation fiscale individuelle au détriment de l'orientation des flux d'argent. En effet, la multiplication des dispositifs nuit à l'équité fiscale et à l'efficacité, la substitution jouant à plein dès qu'un gouvernement introduit des plafonnements. D'ailleurs, le Conseil constitutionnel a censuré en 2005 pour défaut d'intelligibilité l'incroyable complexité du dispositif mis en place par le gouvernement Villepin pour limiter les avantages des zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager. Il est temps, comme l'a demandé l'an dernier M. de Montesquiou, d'inclure les niches dans la norme de progression des dépenses de l'État et d'effectuer un tri parmi ces exceptions devenues la règle, ne serait-ce que pour éviter les chevauchements de dispositifs.

Taxer toujours plus les plus riches provoquerait la fuite des capitaux et l'exode des cadres de haut niveau. Ce qui importe, c'est la santé de notre économie. Les classes moyennes, dont la contribution à la croissance est déterminante, sont mécontentes, comme le note l'Observatoire des inégalités. En effet, alors que la taxation de son revenu et de son éventuel patrimoine s'alourdit, ce groupe social perçoit moins de prestations, alors qu'il les finance majoritairement. Gravir les échelons grâce à son travail n'a jamais été aussi difficile, alors que la menace de perdre son emploi s'accentue.

À l'aube de cette législature, la tâche ingrate qui vous incombe, madame le Ministre, est complexe et titanesque, mais indispensable. Dans votre action, vous pourrez compter sur le groupe du RDSE. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Christian Gaudin. - Le débat sur les prélèvements obligatoires nous donne l'occasion d'aborder un sujet éminemment politique peu avant d'examiner la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances. Le taux de prélèvements obligatoires aide à mesurer l'attractivité de notre pays, bien que cette notion puisse favoriser des comparaisons simplistes, puisque les prélèvements obligatoires ne couvrent pas l'ensemble des recettes des administrations publiques. Ainsi, les versements réputés « volontaires », comme la redevance audiovisuelle ou les amendes, n'en font pas partie. La structure des recettes publiques induit donc une importante disparité entre les pays.

Cependant cela ne peut justifier le niveau actuel en France, d'autant que la situation alarmante de nos finances publiques nous impose de travailler au redressement du pays.

En 2006, la dette cumulée des administrations publiques atteint 64,2 % du PIB. Pour 2008, le Gouvernement prévoit un déficit supérieur à 41,7 milliards. C'est dire à quel point les marges de manoeuvre économiques sont réduites. En 2006 le taux des prélèvements obligatoires atteignait 44,2 % du PIB. Ce taux est élevé, historiquement -puisqu'il avoisine son sommet atteint en 1999- et géographiquement, puisque la France se situe à la quatrième place au sein de l'OCDE. Le basculement des prélèvements fiscaux vers les prélèvements sociaux explique la relative stagnation du total. Les prélèvements sociaux augmentent pour des raisons simples : le vieillissement de la population accroît inexorablement les dépenses de santé et de retraite ; la situation de l'emploi reste dégradée malgré certains progrès.

Il faut donc réformer nos prélèvements sociaux pour pérenniser notre protection sociale, financée exclusivement par la taxation du travail. Le poids fiscalo-social pesant sur le travail handicape l'emploi et pénalise la France. Le travail n'a pas à financer la politique familiale et le système de santé. La CSG touche tous les types de revenus et son assiette très large est globalement acceptée par les Français, mais une autre solution consisterait à instaurer la TVA sociale, conformément à une idée chère à ma famille politique. Ce n'est pas le président de la commission des finances qui me contredira !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Non !

M. Christian Gaudin. - Ce sujet a fait couler beaucoup d'encre, à commencer par celle des experts. J'ai présidé, il y a un peu plus de trois ans, un groupe de travail constitué par la commission des affaires économiques sur les activités de main-d'oeuvre délocalisée. Avec le rapporteur, M. Francis Grignon, nous avons alors proposé une « TVA de compétitivité », en tout point similaire à la TVA sociale, visant à reporter sur la consommation une part de la fiscalité pesant sur l'emploi. Ainsi à la diminution directe du coût du travail s'ajoute un impôt accru sur les importations et une détaxation partielle des exportations, à l'heure où notre balance commerciale est défavorable. La TVA de compétitivité aurait un effet immédiat sur l'emploi, puisque, selon le rapporteur général, augmenter la TVA de 1,5 point créerait 20 000 à 35 000 emplois à moyen terme.

Selon ses adversaires cette mesure sera difficile à mettre en oeuvre et aura un effet inflationniste.

Sa mise en oeuvre doit en effet être très encadrée : après les expérimentations, il faudra surveiller de près l'évolution des prix et des salaires. En effet, les simples règles du marché ne suffisent pas réguler les prix et le risque inflationniste existe.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Mais non !

M. Christian Gaudin. - Je partage les analyses du rapporteur général sur la fiscalité écologique et la nécessaire réduction des niches fiscales.

Enfin, parce que la répétition est le b.a.-ba de la pédagogie en finances publiques plus encore qu'en toute autre matière, j'aimerais rappeler les principales mesures fiscales que M. Marini et moi-même avions préconisées dans notre rapport, intitulé « la bataille des centres de décisions économiques », remis en juin dernier. Pour renforcer l'attractivité de la fiscalité française, nous proposions tout d'abord de réformer l'impôt sur la société en ramenant son taux à 30 % et en accélérant l'harmonisation de son assiette au niveau européen -cela serait un premier pas vers une fiscalité européenne des entreprises. Ensuite, il faudrait créer un régime de résident fiscal temporaire pour déplafonner l'option d'exonération prévue par le régime fiscal des impatriés et simplifier le régime du bénéfice mondial consolidé.

Pour conclure, n'oublions pas que nos règles fiscales doivent être stables et lisibles pour nos voisins étrangers ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Philippe Marini, rapporteur général. - Excellent rappel !

Mme Christine Lagarde, ministre. - Je remercie tous les orateurs de leur excellente intervention. Notre réflexion doit effectivement s'inscrire dans une perspective internationale. D'une part, parce qu'en matière d'attractivité, de compétitivité et de concurrence, l'outil fiscal est déterminant. D'autre part, parce que nous devons envisager ces questions dans un cadre ouvert : le débat sur l'assiette de biens de plus en plus incorporels et sa localisation serait ainsi utilement nourri par les travaux de l'OCDE.

Les interventions des uns et des autres montrent que cette question pourtant aride de l'impôt et des prélèvements obligatoire suscite toujours les passions. Je salue la qualité de ce débat, brillamment lancé par MM. Marini, Vasselle, Arthuis et About.

Avec la TVA sociale, nous avons un exemple du climat de liberté et de créativité que M. Marini louait en discussion générale : les opinions les plus diverses ont été exprimées ici, ou ailleurs. A la question « faut-il instaurer une TVA sociale ? », M. Arthuis répond  « clairement oui », M. Marini « plutôt oui », M. Vasselle « non », M. Besson « sans doute pas », l «'IGF « plutôt non ». Le débat n'est pas tranché et sera encore alimenté par les travaux du Conseil économique et social.

Pour moi, cette TVA sociale est potentiellement inflationniste. Certains prix baisseront, mais pas tous. A l'heure où les Français ont le sentiment que le coût de la vie est de plus en plus élevé, nous ne pouvons pas prendre le risque de fragiliser leur consommation.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - C'est une opinion politiquement correcte, mais sujette à débat ! La consommation crée des emplois en Asie !

Mme Christine Lagarde, ministre. - La baisse des charges ne se répercutera pas immédiatement sur les prix. Or, en matière de pouvoir d'achat, les Français ne peuvent pas attendre. Les quatre mille agents de la DGCCRF ne suffiront pas à effectuer les vérifications nécessaires. Pour reprendre les termes de M. Besson, le problème est « mal posé ». Avec la TVA sociale, voulons-nous agir sur la productivité ou sur l'emploi ? Nous devons faire un choix qui déterminera notre position.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Vous oubliez le pouvoir d'achat ! Le vrai, et non celui qui est financé à crédit !

Mme Christine Lagarde, ministre. - Au reste, la question de la TVA sociale doit être pensée dans le cadre plus large des prélèvements obligatoires. C'est l'enjeu de la politique de revue générale de ces prélèvements. Une écotaxe serait peut-être plus efficace que la TVA sociale. Mais elle ne serait pas une recette pérenne puisque, comme M. Marini l'a rappelé, elle est destinée à changer les comportements et donc à disparaître...

M. Philippe Marini, rapporteur général. - C'est l'impôt vertueux par excellence !

Mme Christine Lagarde, ministre. - Nous y réfléchirons ces prochains mois, notamment en nous appuyant sur les travaux de la MECCS. Enfin, je veux préciser à M. Gaudin qu'une expérimentation ou une mise en oeuvre sélective de la TVA sociale n'est malheureusement pas compatible avec les règles communautaires.

J'en viens aux autres sujets abordés cet après-midi.

Monsieur About, le Gouvernement est favorable à ce que les exonérations sociales soient obligatoirement ratifiées lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale. Les recettes doivent être effectivement mieux partagées entre loi de finances et loi de financement...

M. Alain Vasselle, rapporteur. - Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre. - Et le Gouvernement s'y attache en affectant tous les droits sur le tabac à la loi de financement. S'agissant des niches sociales, nous devons procéder au cas par cas en examinant l'intérêt de chaque niche. La proposition de M. Marini de limiter l'existence des niches dans la durée est intéressante.

Monsieur Massion, baisser, diminuer ou stabiliser les prélèvements obligatoires, aucune solution ne vous semble satisfaisante. Pour renforcer notre attractivité, nous devons diminuer notre taux de prélèvements obligatoires qui est l'un des plus forts d'Europe, 43,7 %, afin de réduire nos dépenses, trop élevées au goût de la BCE. Le Gouvernement a choisi une voie progressive, à la différence d'autres pays comme le Canada, l'Allemagne et les Pays-Bas.

Augmenter la CSG, comme le propose M. Vasselle, ne serait pas une bonne solution, mieux vaut continuer à agir sur la dépense. Nous voulons diminuer les prélèvements obligatoires, autant que nous le permet le rétablissement des finances publiques dans le cadre de la diminution générale des dépenses. (Applaudissements à droite et au centre)

Le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée.