Crise de l'industrie (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la question orale avec débat de M. Martial Bourquin à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur la crise de l'industrie.

M. Martial Bourquin, auteur de la question.  - L'industrie française, pourtant habituée à des variations d'activité, vit l'un des pires moments de son histoire. La désindustrialisation progressive de notre pays n'est pas un phénomène nouveau. Pour autant, la crise a considérablement accéléré cette tendance. Elle pousse à des adaptations très rapides, parfois violentes, que des petites entreprises, des salariés fragiles, des bassins d'emplois mono-industriels supportent difficilement.

Le paysage industriel français est en train de se modifier considérablement, parfois durablement, avec et sans le concours de la puissance publique. Depuis le début de l'année, l'emploi industriel a sérieusement chuté : tous les types d'emplois, qualifiés ou non, sont affectés. Les chiffres de la production industrielle ont reculé de 16 % en un an, et les perspectives d'avenir sont très sombres. Des centaines de petites entreprises, sous-traitantes ou connexes, n'ont pas passé le cap des premiers mois de carnets de commande raréfiés. Les projets industriels nouveaux trouvent peu d'interlocuteurs et surtout trop peu de financeurs fiables.

Il est vrai que les situations sont très variables : quand les biens d'équipements, l'industrie pharmaceutique semblent résister, l'automobile, dont la production a chuté de 33 % en un an, traverse une crise profonde.

Lors du krach boursier de 2000 lié à l'effondrement de la net-économie, l'industrie et ses champions français et européens faisaient figure de valeurs refuge. L'économie réelle l'emportait sur l'économie virtuelle, imprévisible. La valeur travail prenait le pas sur la seule valorisation du capital.

Le phénomène de désindustrialisation qui frappe la France et l'Europe, n'est pas l'effet de gains de productivité. C'est le déclin d'industries traditionnelles, la perte durable d'attractivité. C'est une mauvaise nouvelle pour l'économie tout entière, car l'industrie, qui peut créer de fortes valeurs ajoutées, est un véritable moteur pour la croissance. Cela fait bien longtemps qu'elle ne se confond plus seulement avec la seule production manufacturière : elle est liée, en amont, comme en aval, à de très nombreuses activités de service.

Les pays qui ont fait le choix de conserver leur industrie aux côtés des services vivent plutôt mieux cette période de grande turbulence économique et sociale. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Japon, le spectre de la récession s'est étendu bien plus vite, du fait de la dépendance de ces pays à l'égard des structures bancaires et boursières.

La question industrielle nous place donc face à un choix économique et de société : cela aura été l'un des enseignements majeurs de la crise.

Les chiffres que j'ai cités sont également inquiétants pour l'avenir de filières industrielles tout entières. La disparition des sous-traitants les sape par le bas et fait le nid de délocalisations de courte vue. Situation désastreuse pour certains de nos bassins d'emplois, où de nombreuses activités économiques sont en interdépendance.

On m'objectera que le mouvement est mondial. Sans doute, mais les spécificités françaises méritent d'être mises en avant. On me fera valoir que des industries sont amenées à disparaître ou s'adapter et que l'on n'y peut rien. Mais je ne puis accepter que la structure de notre industrie et notre ambition industrielle soient dépendantes des seuls aléas du marché et que l'État n'ait plus qu'à constater les dégâts. C'est l'avenir de filières industrielles et de bassins d'emplois entiers qui se joue aujourd'hui.

Vous avez mis en place un certain nombre d'initiatives pour tenter de freiner le décrochage. Je n'entends pas me poser en donneur de leçons, car je sais combien la situation est tendue.

Depuis la mi-mars, le Président de la République a nommé huit commissaires à la réindustrialisation, affectés dans huit régions plus touchées par la crise de l'industrie. Ils viennent de prendre leurs fonctions, sous l'autorité des préfets. Leur mission demande à être précisée, car je crains qu'ils ne se contentent d'agir en grands auditeurs, chargés de faire le tri entre industries et sites selon des critères de rentabilité.

Au titre des interventions économiques, je m'interroge également sur les aides et prêts attribués aux entreprises en difficulté. Je reste circonspect sur la nature des critères industriels retenus. C'est ainsi que le projet de voiture électrique présenté par l'entreprise Heuliez n'a pas été retenu par le Fonds stratégique d'investissement au motif qu'il n'était pas viable. Mais la viabilité à court terme ne saurait être seule prise en compte pour l'attribution de subventions publiques. Entendez-vous donc refonder une politique industrielle avec les seules entreprises qui auront réussi à passer le cap difficile ? Mais des entreprises dotées d'une bonne trésorerie peuvent présenter de mauvais projets industriels !

Autre motif d'inquiétude, la gestion de l'emploi industriel. Le périmètre des contrats de transition professionnelle (CTP) a été élargi et concernera nombre de salariés des bassins d'emplois fragilisés. Il leur sera proposé d'abandonner leur savoir-faire, pour en acquérir un nouveau dans le secteur tertiaire.

Je comprends le souci de sécuriser les personnes, mais il ne saurait valoir seul. Il doit s'accompagner d'une politique de sécurisation des emplois industriels. On ne peut se contenter d'une démarche défensive. On en voit le résultat au Danemark : la flexi-sécurité ne suffit pas à sécuriser les emplois. La sécurisation des parcours professionnels ne fera pas à elle seule une politique industrielle prospective, multi-partenariale, horizontale et sectorielle.

Ce n'est ni aux commissaires à la réindustrialisation, ni aux fonds d'intervention de type Oseo ou FSI, ni aux pôles emploi de décider quels secteurs, projets ou emplois industriels méritent d'être pérennisés. C'est à la puissance publique qu'il revient de fixer des caps et des objectifs. C'est à l'État, en collaboration avec les régions et l'Union européenne, qu'il revient de définir une véritable politique industrielle.

Or, nous ne disposons pas d'éléments clairs sur vos orientations et vos priorités. Je souhaiterais que vous nous éclairiez, monsieur le ministre, sur votre stratégie industrielle. Nous avons jusqu'à présent beaucoup opté pour la production de biens de gamme moyenne qui peinent à s'imposer face à une concurrence redoutable. Comment rivaliser avec des coûts très bas, obtenus grâce à un respect très hasardeux du droit du travail et des normes environnementales ? Est-il raisonnable d'entrer dans la course au « moins-disant social » ? Cette stratégie est éprouvante, dévastatrice, et ne tient pas le coup sur le long terme. La lutte contre les délocalisations est nécessaire mais ne saurait tenir lieu de politique.

Je crois, pour ma part, qu'une industrie durable est une industrie de bonne qualité, d'une haute technicité, requérant des salariés bien formés et bien rémunérés.

Notre industrie doit faire face à un défi historique, celui de l'environnement et du développement durable. Les applications sont vastes, riches en investissements utiles. Je regrette que le plan de relance présenté en janvier n'ait pas été l'occasion de mobiliser des moyens, des infrastructures, des capitaux humains. La croissance verte n'est pas une utopie. Un engagement trop tardif ou trop timide serait une erreur, qui obligerait nos industries à rechercher au loin des partenaires qu'elles auraient dû trouver sur place.

La bataille de l'intelligence et de l'innovation industrielle, indissociable de notre engagement environnemental, est un autre défi de grande ampleur. La recherche, fondamentale et appliquée, est indispensable à l'avenir de notre industrie. La désindustrialisation a frappé la Grande-Bretagne dès les années 1960, dès lors qu'elle n'a pas plus cherché à innover.

Or, nous n'investissons pas assez dans des secteurs d'avenir. Nous sommes à la traîne de l'innovation. La recherche doit redevenir une priorité si nous voulons nous remettre dans la course.

Le Président de la République disait, dans son discours du Bourget, qu'il préférait privilégier des projets plutôt que des structures de recherche. Je crois au contraire qu'il faut débrider les imaginations. L'innovation industrielle a un coût, elle demande du temps et une mutualisation de moyens, y compris humains. Or, le financement de nos laboratoires de recherche et de nos PME est insuffisamment adapté. On a vu des fonds de pension retirer leurs capitaux, obligeant des PME ambitieuses à abandonner leurs programmes de recherche et développement, qui auraient eu besoin de se poursuivre sans rupture pour atteindre un haut niveau. Nos PME devraient aussi pouvoir bénéficier de structures de mutualisation de l'ingénierie, sur le modèle de la politique des districts, en Italie, qui a donné d'excellents résultats -c'est le cas des stylistes dans le textile.

La réindustrialisation doit faire la part belle à l'ancrage régional et européen. L'Allemagne est en train, en ce domaine, de marquer des points. Je m'interroge sur nos pôles de compétitivité : 71 pôles, huit commissaires, la vérité n'est-elle pas entre ces deux chiffres ? La politique industrielle de l'Europe est inexistante : elle reste dans la logique du moins-disant social et de la concurrence. Alors que nous venons d'élire nos députés européens, alors que nous avons signé le paquet énergie-climat et tandis que les primes à la casse restent différentes selon les pays, nous devons travailler à rechercher des réponses concertées.

Mes questions, monsieur le ministre, sont donc multiples. Quelles missions pour les commissaires à la réindustrialisation ? Prévoyez-vous d'augmenter leur nombre ? Quels sont leurs liens avec les pôles de compétitivité ? Qu'allez-vous faire de leurs travaux ? Quelles directives ont été données aux pôles emplois ? Quels critères industriels avez-vous retenu concernant les projets industriels susceptibles d'être aidés par les fonds d'intervention publique ? Quel avenir pour les pôles de compétitivité ? Entendez-vous les regrouper, pour plus d'efficacité ? Entendez-vous faire entrer dès à présent notre industrie dans l'ère du développement durable ? Alors que nous aborderons bientôt le Grenelle II, il serait incompréhensible que nous n'entrions pas dans une phase plus active, plus volontaire, plus concrète.

Comment éviterez-vous le saupoudrage des aides destinées à la recherche et à l'innovation ? Quelle place accordez-vous d'ailleurs à la recherche fondamentale dans l'innovation industrielle ?

Comment comptez-vous développer le capital risque, soutenir le financement pérenne des PME novatrices et aider à la mutualisation de l'ingénierie ?

Nos bassins d'emplois connaissent aujourd'hui de graves difficultés. Dans le territoire dont je suis l'élu, près de 4 000 emplois ont disparu en quelques mois et de nombreuses entreprises sont en péril. Les chefs d'entreprise et les salariés attendent des élus qu'ils mettent en place une politique offensive pour les protéger et leur permettre de sortir au plus vite de la crise. Celle-ci doit être l'occasion pour la France de renouer avec sa tradition industrielle. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE. M. Gérard Longuet applaudit également)

M. Jean-Claude Danglot.  - Ce débat s'inscrit dans le droit fil d'autres discussions que nous avons eues au sujet de la crise de l'industrie automobile. Nous soutenons la proposition de M. Bourquin de créer une commission d'enquête pour évaluer l'efficacité des aides publiques destinées à ce secteur : même si les présidents de région ont approuvé dans un premier temps le « plan pour l'automobile » du Gouvernement, de nombreux élus s'interrogent sur la pertinence de dispositifs qui profitent à un nombre très réduit de sous-traitants et d'équipementiers. On s'interroge aussi lorsque l'on voit le groupe Faurecia, filiale de PSA, émettre 65 millions d'actions nouvelles et cette recapitalisation rencontrer un plus vif succès chez les actionnaires que l'offre initiale de la multinationale...

Plutôt que de multiplier les exemples locaux, je présenterai quelques réflexions générales sur la situation de notre industrie. Une commission d'enquête ne suffit pas : il faut une loi contraignante qui définisse une véritable politique industrielle. C'était le sens de la proposition de loi déposée par M. Hue.

Les problèmes révélés par la crise étaient identifiables depuis plusieurs années. Alors que les vingt plus grands groupes industriels affichaient début 2008 des profits nets de 50 milliards d'euros, toutes les études montraient que l'industrie française était confrontée à la baisse de la production, au creusement du déficit commercial et au recul de l'emploi. Près de 25 000 emplois disparaissent chaque mois dans l'industrie ; on est passé de 5,6 millions d'emplois à la fin des années 1970 à 3,8 millions aujourd'hui.

Les pouvoirs publics sont venus en aide à l'industrie automobile, mais d'autres secteurs mériteraient leur attention : l'aéronautique, l'agroalimentaire, la pharmacie, l'électronique, le textile, le verre, la chimie, etc. Il conviendrait de mener une réflexion globale sur notre politique industrielle plutôt que de multiplier les interventions d'urgence.

Dans une économie mondialisée, le rôle de l'Union européenne est essentiel. Or vous admettez vous-même, monsieur le ministre, qu'il n'existe pas de politique industrielle européenne. Nos partenaires et concurrents ont apporté à la crise des remèdes strictement nationaux : l'Allemagne a cherché à conserver son potentiel industriel en s'appuyant sur un réseau serré de moyennes entreprises et une forte qualification de la main-d'oeuvre ; les pays de l'Europe du nord ont engagé une démarche prospective ; d'autres pays ont pris discrètement des mesures de protection. Il faut tordre le cou à une idée fausse : la concurrence ne vient pas principalement des pays en voie de développement mais des pays développés !

Il faut également renforcer au niveau local le pouvoir des salariés, et prévoir par une loi-cadre qu'ils seront informés des choix de gestion de l'entreprise et pourront les contester. Souvenons-nous qu'un quart des richesses produites par les travailleurs sont accaparées par les actionnaires ! (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Longuet.  - Je remercie M. Bourquin d'avoir eu l'initiative de ce débat. Je partage l'essentiel de ses analyses et de ses interrogations. Élu d'un grand département industriel et originaire du Pays-Haut en Lorraine, il connaît bien ces questions.

La place de l'industrie dans l'économie française ne se réduit pas aux 20 % du PIB que lui octroie la comptabilité nationale : en amont et en aval de l'industrie, de nombreuses activités en dépendent, comme la recherche et développement. La France ne doit pas devenir un pays d'importation, de logistique et de distribution !

Je me réjouis qu'un secrétaire d'État à l'industrie ait été nommé, et que celui-ci ait l'expérience du secteur privé. Mais la politique industrielle doit nécessairement être définie au niveau interministériel. Comment le Gouvernement s'organise-t-il pour régir à l'actualité -c'est ce qu'il fait le mieux- mais aussi pour gérer les actifs dont il a la charge ?

Le Gouvernement a mené une politique très active en faveur de l'industrie automobile, dispensant judicieusement les deniers publics pour venir au secours d'un secteur d'activité privé. Grâce à cela, la France a connu un premier trimestre moins difficile que ses voisins européens. Mais il faudra un jour mettre un terme à ces mesures. Quand le Gouvernement entend-il supprimer la prime à la casse ? Compte-t-il faire évoluer la fiscalité sur le diesel ? Je rappelle que la plus grande usine de fabrication de moteurs fonctionnant au diesel se trouve en Lorraine. S'agissant des véhicules électriques, toutes les voies ont-elles été explorées ? Les batteries au lithium ion sont surtout produites aux États-Unis et au Japon, mais je crois plus au lithium polymère. Quant aux interventions d'Oséo en faveur des PME, elles leur ont permis de renflouer leur trésorerie mais elles s'avèrent très coûteuses pour la collectivité.

Venons-en à l'industrie électronucléaire. On compte plus de 450 réacteurs dans le monde, et ce nombre devrait doubler avant dix ou vingt ans. L'Allemagne et la France ont conçu pour le marché européen l'EPR, équipement très sophistiqué et coûteux. Celui-ci épuise-t-il toutes nos chances pour répondre à la demande mondiale ?

On discute actuellement de la réforme de la taxe professionnelle. La part de l'industrie manufacturière dans le produit de cette taxe est deux fois supérieure à sa part dans la valeur ajoutée nationale. Je souhaite que cette réforme, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2010, permette de retrouver un juste équilibre.

Il faudrait enfin lancer une réflexion de long terme sur le sujet sensible des charges sociales et des allègements de charges. Les Français sont très attachés à la protection sociale. Étant donné le haut niveau de charges, l'emploi industriel ne pourra se maintenir en France que si les entreprises apportent à leurs produits une très forte valeur ajoutée, ce qui suppose un haut niveau de formation des travailleurs, et si elles continuent à consentir un investissement important pour chaque emploi créé. Le coût de l'emploi d'un ouvrier titulaire d'un BTS a presque décuplé depuis les années 1980 !

Compte tenu que l'industrie est de plus en plus capitalistique il convient de redéfinir notre politique d'allègement de charges, qui aujourd'hui profite surtout au secteur des services.

Alors, certes nous avons enrichi la croissance en emplois, mais nous l'avons fait par un déplacement d'activités à forte valeur ajoutée vers d'autres activités à plus faible valeur ajoutée mais bénéficiant, elles, d'allègements de charges. C'est la compétitivité du site France qui risque d'en pâtir.

Je souhaite donc que le projet industriel de notre pays soit porté par une action interministérielle forte, durable, globale -et pas seulement sectorielle comme l'est le soutien au secteur automobile... (Applaudissements à droite et au centre)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Auguste Detoeuf...

M. Gérard Longuet.  - Remarquable !

M. Aymeri de Montesquiou.  - ...l'enfant terrible du patronat français du début du XXe siècle, disait « il n'est d'industrie durable que celle qui vend de la bonne qualité ». C'est la définition que l'on pourrait donner de notre industrie, aujourd'hui dans la tourmente. Ses fers de lance, l'automobile, l'aéronautique ou la métallurgie, souffrent durement. Fortement touchée, la France n'est pas le plus sinistré des pays industrialisés, le socle des entreprises du CAC 40 est resté solide. Dans les 500 plus importants groupes mondiaux, la France se classe au troisième rang mondial et au premier rang européen avec 39 groupes, devant l'Allemagne (37) et la Grande-Bretagne (35) et après les États-Unis qui comptent dans ce tableau 176 sociétés et le Japon 81. Nos grandes entreprises sont particulièrement performantes dans le premier domaine d'avenir, celui de l'énergie et de l'environnement, et notamment dans l'efficacité énergétique. Nous devons favoriser ce secteur pour en faire un vecteur d'exportation pour d'autres activités. Nos grandes entreprises font face à la crise, elles ont des ressources. En revanche, les PME, plus fragiles, doivent monopoliser notre appui afin de soutenir leur développement international.

Au-delà de cette crise mondiale, la crise de l'industrie française est aussi celle de la recherche et de l'innovation. On ne peut mettre en cause l'État, qui y consacre un budget en hausse de 3,2 % et qui finançait en 2005 les dépenses intérieures brutes de R&D à hauteur de 38 %, contre 30,5 % en Allemagne et 33 % au Royaume-Uni. Nos mesures fiscales doivent être plus incitatives car la recherche dans les PME est quasi inexistante et elles n'ont que peu de produits innovants à exporter : seules 3 à 4 % d'entre elles exportent. La culture de l'innovation n'est pas suffisamment encouragée ; il faut susciter des vocations scientifiques en orientant notre enseignement vers la découverte et l'expérimentation. Les indispensables pôles de compétitivité sont encore insuffisants pour aiguiser la créativité et les découvertes, souvent exploitées à l'extérieur, doivent être canalisées vers une traduction technologique ou industrielle nationale. Pour cela, la recherche privée qui a une plus forte propension à breveter que la recherche publique, doit absolument se développer.

Mais dans la très dure compétition mondiale, on ne peut se cantonner à une recherche nationale, il est vital de la développer au niveau européen. Cette coopération a fait la preuve de son efficacité avec Ariane et Airbus. On peut imaginer d'autres grands projets tout aussi prometteurs. Depuis 2005, la politique industrielle européenne fait de l'innovation un facteur essentiel de la croissance, une de ses priorités stratégiques et une politique intégrée devrait être opérationnelle fin 2009.L'industrie manufacturière, fondement de l'économie européenne, emploie plus de 34 millions de personnes, représente les trois quarts des exportations de l'Union, totalise plus de 80 % des dépenses de R&D du secteur privé et fournit environ un cinquième de la production totale.

Notre point faible : la taille de nos PME et leur faible implication vers l'international, tandis que nos voisins allemands et italiens font de leurs PME industrielles un moteur de leur économie. L'Italie, puissance économique moyenne, compte plus de 500 000 PME -contre 250 000 en France- qui emploient 78 % des salariés de l'industrie et représentent 62 % de son chiffre d'affaires, davantage même qu'en Allemagne qui compte plus de structures moyennes, surtout familiales, refusant l'introduction en bourse. La France et l'Italie ont privilégié les très petites structures, de un à neuf salariés mais, chez notre voisin transalpin, elles ont su développer une spécialisation haut de gamme et sont particulièrement dynamiques à l'exportation. La faiblesse de nos PME est manifeste quel que soit le domaine : manque de fonds propres pour se consacrer à une coûteuse prospection, accès difficile aux marchés publics que nous laissons monopoliser par les grandes entreprises, manque de confiance pour la prise de risque de la part des banquiers et investisseurs, lacune de formation internationale des cadres... Elles sont donc peu armées face à la concurrence mondiale, alors que cinq millions d'emplois sont liés à l'exportation. C'est pourquoi nous devrions financer les investissements de prospection, alléger les contraintes administratives telles que les autorisations ou la fiscalité à l'exportation, favoriser la formation multinationale des cadres et la coopération entre entreprises... Le renforcement de la place de nos PME dans le monde pourrait aussi s'inspirer du modèle danois, en créant un tissu interactif sur internet, plate-forme mettant en relation les institutions internationales et nos PME afin de diffuser au mieux notre savoir-faire. Plus que d'une diplomatie de la tasse de thé, nous avons besoin d'une diplomatie qui soutienne nos PME. Focalisons tous nos efforts en leur faveur et donnons raison à notre collègue Pierre Mauroy qui déclarait : « la crise n'est pas comme une maladie dont on ne peut pas sortir, elle est comme une nouvelle naissance. ». (Applaudissements sur les bancs du RDSE ; M. Christian Gaudin applaudit aussi)

M. Daniel Raoul.  - Je profite de la question de Martial Bourquin et de l'actualité récente -la présidence française et les élections de dimanche- pour traiter de ce que serait une véritable politique industrielle européenne.

Depuis plusieurs années notre perte de compétitivité s'est traduite par des délocalisations et des fermetures d'entreprises parce que la stratégie de Lisbonne n'a pu décoller, faute de coordination et de pilotage au niveau européen. Une nouvelle politique industrielle est nécessaire dans tous les pays de l'Union. Un plan de relance commun aurait pu coordonner les plans nationaux, en intégrant les potentiels de chaque pays. Nous devons dépasser le stade des plans nationaux, verticaux et sectoriels pour adopter une vision horizontale de la relance. Il faut aussi abandonner la stratégie de la concurrence dont on mesure les effets pervers, dans le domaine de l'énergie par exemple. Face au déclin industriel, tous ont pris conscience du déficit européen en matière de recherche et d'innovation. Il faut accélérer la mise en place des plate-formes technologiques autour d'un programme commun de recherche. Les domaines éligibles à ces actions sont nombreux, comme le montrent les pôles de compétitivité qui mériteraient d'être coordonnés au niveau européen. Certains enjeux industriels sont stratégiques : l'énergie, l'aérospatiale, les voitures électriques ou hybrides, les piles à combustibles. N'oublions pas non plus les nouvelles technologies : nanotechnologies, biotechnologies, TIC et, surtout, les convergences entre ces différents domaines. Nous avons en France des potentiels -Minatec, par exemple, à Grenoble- mais nous ne pourrons lutter à armes égales au niveau mondial si nous ne rassemblons pas nos moyens au niveau européen. Les États-Unis et le Japon ne s'y trompent pas : comparons les 450 millions de dollars américains accordés aux nanotechnologies avec les crédits nationaux que nous leur accordons de façon séparée... Seuls 15 % des crédits de recherche publique sont coordonnés au niveau européen. La stratégie de Lisbonne a échoué du fait d'une coordination trop souple et de l'absence de priorités stratégiques clairement définies. La survie de nos meilleures entreprises passera par l'échelle européenne, face à leur concurrentes américaines, japonaises, indiennes ou chinoises.

Encore faut-il favoriser leur développement par un environnement législatif et règlementaire favorable. Au--delà des brevets, il est nécessaire que l'Union européenne assure une sécurité juridique. Élaborer une stratégie industrielle dans les secteurs prioritaires ne peut être déconnecté de l'harmonisation fiscale. Si une politique coordonnée est indispensable, comment la France va-t-elle s'impliquer pour cet objectif pendant la nouvelle mandature ? (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)

M. Christian Gaudin.  - La crise qui touche notre industrie est grave. Selon l'Insee, la production industrielle a reculé de 13,8 % -16,5 % pour la production manufacturière et celle-ci a de nouveau reculé en avril. Les carnets de commande se vident, l'assurance-crédit se désengage, les défaillances d'entreprise détruisent des emplois. Certains secteurs sont plus touchés mais la crise les frappe tous. Or les industries manufacturières représentent 15 % de la population active, et 40 % avec l'intérim et l'externalisation. L'industrie française se caractérise par le poids des PME : 90 % des entreprises du secteur, 39 % de l'emploi et 30 % de la valeur ajoutée. Aider les PME, c'est doper notre économie.

Nous avons voté hier la proposition de loi sur l'accès au crédit ; la proposition de loi de M. Arthuis renforçant l'efficacité de la réduction d'ISF pour souscription au capital de PME me paraît tout à fait opportune. Elle participe en effet à un objectif stratégique de première importance car les PME sont au coeur de la croissance et de l'emploi. Contribuons à l'émergence d'entreprises de plus grande taille en finançant les projets les plus innovants. Trop peu d'entreprises atteignent le seuil critique : on compte 170 salariés en Allemagne dans les entreprises de plus de 20 salariés, mais 120 en France -M. de Montesquiou a déjà pris cette comparaison. Quant au commerce extérieur, l'Allemagne exporte deux fois plus que nous.

L'innovation est la seule solution durable pour sauvegarder l'industrie et améliorer sa compétitivité. Il est donc nécessaire d'encourager les transferts de la recherche vers l'innovation industrielle, les croisements entre recherche publique et privée et d'encourager la recherche au sein des entreprises. Certains dispositifs y contribuent déjà. Le programme d'innovation stratégique industrielle mis en place par Oseo accompagne l'innovation jusqu'à son industrialisation. De même, le crédit impôt-recherche, dont les dotations ont été considérablement renforcées, et qui couvre jusqu'à 30 % du coût de la recherche-développement, est favorable aux PME : elles bénéficient de 25 % des aides alors qu'elles n'assurent que 13,5 % de la recherche-développement. Rapporteur spécial du budget de la recherche, je conduis un rapport d'évaluation du crédit impôt-recherche afin de mesurer son efficacité. Ce dispositif est en pleine cohérence avec la politique des pôles de compétitivité.

L'Union européenne, l'État, les collectivités doivent aider les PME. Il y a urgence à soutenir les industries à forte valeur ajoutée et l'innovation. L'industrie ne peut plus aujourd'hui se construire contre l'environnement. L'engagement national pour l'environnement en prend acte. Il convient désormais d'intégrer cette préoccupation et de s'ouvrir aux nouveaux marchés. Quand la latitude d'action diminue, les choix doivent être pertinents. Raison de plus pour privilégier l'innovation afin de mieux préparer la croissance de demain. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-François Mayet.  - Je remercie mes collèges de l'honneur qu'ils me font en me permettant de m'exprimer aujourd'hui pour la première fois à cette tribune. Le sujet n'est pas drôle : la crise. J'ai rédigé cette intervention avant le voyage en Chine que j'ai entrepris la semaine dernière mais les entretiens que j'y ai eus avec des cadres et des chefs d'entreprise ont confirmé ce que j'avais écrit.

Si le monde entier est confronté à la crise, la France doit en plus réaliser des réformes que notre refus historique de faire bouger les choses transforme en une crise dans la crise. Malgré les difficultés, j'ai la conviction qu'un libéralisme raisonnable et contrôlé produit de meilleurs résultats économiques et sociaux. Les hommes politiques de droite et de gauche portent la lourde responsabilité d'avoir laissé prospérer une bulle financière, inutile et malhonnête. Sa crevaison s'est transformée en quelques semaines en une crise économique quand l'angoisse a fracassé la consommation. Cet enchaînement tragique était prévisible et nul ne conteste le constat, qui doit guider dans le choix de la solution.

Les partisans de la relance par la consommation combattent la relance par l'investissement prônée par le Président de la République. Il suffit pourtant de regarder ce qui se passe. La croissance ne se décrète pas, elle se mérite et quand le chômage augmente, l'argent distribué se retrouve sur les comptes d'épargne. Seul l'investissement permet de sortir de ce cercle vicieux. Et le Gouvernement a eu également raison de soutenir les banques.

Notre rôle sera déterminant pour la sortie de crise. Nos concitoyens, qui nous regardent et nous jugent, attendent de nous une attitude efficace et des repères. Je regrette que nous n'ayons pas eu le réflexe de faire l'union sacrée, comme cela s'est passé ailleurs. Ne nous appartient-il pas de nous saisir des grands problèmes, de servir l'intérêt national et de combattre cette tendance au renoncement dont la France n'a que trop souffert depuis 70 ans ? Face à la mondialisation, des réformes indispensables ont été combattues devant les électeurs, qui viennent de le sanctionner. Il est malhonnête de feindre d'ignorer que la mondialisation est inéluctable. Faut-il le cacher aux électeurs au risque de décourager une population fragilisée par la crise ? Est-il si difficile de dire que les pays qui nous prennent nos usines sont les clients de demain de nos innovations ? Arrêtons l'hypocrisie sur l'éducation et promouvons les changements. Il est inconséquent de faire semblant de ne pas voir que cette force de la République est aujourd'hui à terre et qu'elle ne se redressera pas toute seule. C'est aux élus de dire que 75 % des enseignants chercheurs n'ont rien publié depuis cinq ans...

M. Daniel Raoul.  - Qu'est-ce que c'est que ça ?

M. Jean-François Mayet.  - C'est aux élus de dire que l'enseignement primaire produit 25 % d'illettrés et que le secondaire se conclut par des bacs dénaturés pour que 80 % d'une classe d'âge y ait accès. C'est aux élus de dénoncer le fait que 30 % des étudiants n'ont rien à faire dans les universités, qui fabriquent donc automatiquement autant de chômeurs.

M. Jean-Michel Baylet.  - Quel sens de la nuance...

M. Jean-François Mayet.  - Je m'exprime ici moins comme un sénateur qu'en citoyen fort de son expérience.

Je savais lire, écrire et compter à la fin du CE2. Mes deux instituteurs, qui étaient mari et femme, fiers d'être de gauche et vrais humanistes, avaient un sens aigu de leurs responsabilités envers les enfants. Je les ai aimés jusqu'à vouloir leur ressembler ; ils m'ont fourni un repère que je souhaite à tous les jeunes de rencontrer. Donnons-leur une chance de le faire !

La crise s'impose à nous. Pour la surmonter, nous devons accélérer les réformes !

M. François Patriat.  - La question posée par Martial Bourquin a le triple mérite de rappeler le destin industriel de la France, de replacer la réflexion dans le contexte actuel et de dépasser les clivages partisans.

Je fais miennes les questions de Gérard Longuet et de Martial Bourquin. Aujourd'hui, des exportations pour un milliard d'euros correspondent à 15 000 postes de travail. Si nous perdons des emplois industriels, nous ne les retrouverons jamais !

L'esprit de nos concitoyens est frappé par les fermetures de grands sites industriels, mais le taux de chômage augmente en raison des pertes d'emplois dans l'intérim et la sous-traitance. Je le dis bien que la Bourgogne, où je suis élu, ait subi les fermetures des usines Dim, Kodak, Hoover ou Thomson, sans parler d'un grand groupe agroalimentaire néerlandais.

Nous pouvons créer des emplois industriels, mais à condition de nous donner les moyens nationaux et surtout européens d'une réforme de la recherche et de l'innovation. Un grand groupe réalise actuellement cette performance. La condition de ce succès ? Un effort de recherche et développement. Ainsi, les États-Unis ont laissé partir en Asie tout l'électroménager blanc, alors que nous avons conservé une entreprise comme Seb, qui grâce à l'innovation a mis au point la friteuse Actifry, vendue à plus d'un million d'exemplaires dans le monde entier pour plus de 100 euros.

Je ne partage pas l'avis de l'orateur précédent, car l'innovation -qui associe recherche académique et privée- débouche sur des brevets industriels.

Les collectivités territoriales peuvent accompagner ce processus. Sans disposer de ressources correspondant aux besoins des grands groupes, elles peuvent accompagner technopoles et pôles de compétitivité. Une commission du Sénat réfléchit actuellement aux moyens de rendre ces pôles plus évolutifs et réactifs, car ces structures sont trop figées. Je souhaite qu'une réforme des collectivités territoriales leur permette d'accompagner mieux la recherche des groupes, notamment pour développer les exportations.

J'en viens à l'énergie, un secteur qui porte haut les couleurs de notre industrie. Areva, ses filiales et ses fournisseurs créent de l'emploi sur notre territoire, mais le groupe est confronté à un fort endettement et vient de perdre un partenaire majeur, Siemens. J'ai interrogé Mme Lagarde sur sa vision de l'avenir. Hier, j'ai entendu le Président de la République dire qu'il dépenserait un euro dans le développement durable pour chaque euro dépensé dans le nucléaire. Fort bien, mais qu'entend faire le Gouvernement pour ce pôle, qui sera créateur d'emplois au moins jusqu'en 2020 ? (Applaudissements à gauche, au centre et sur plusieurs bancs à droite)

M. Jean-Claude Etienne.  - L'industrie obéit à un principe existentiel au sein des collectivités humaines : certaines sociétés ont une industrie, d'autres en sont privées. Il faut faire partie de la première catégorie.

L'enchaînement infernal a déjà été décrit, qui part d'une baisse de production au centre industriel principal pour frapper en définitive la sous-traitance, parfois géographiquement fort éloignée. Tel est, par exemple, le cas des équipementiers automobiles implantés dans la Marne.

Gérard Longuet a fort justement dit que l'industrie représentait bien plus que 20 % du PIB. J'espère que Martial Bourquin rappellera à ses amis présidents de conseil régional ses paroles sur la part belle qu'il fallait laisser aux régions pour la réindustrialisation. Peut-être qu'ils participeront plus volontiers au plan de relance, ce dont je le remercie d'avance.

Le véritable enjeu concerne la localisation des sites d'activité. Au-delà des slogans politiques, nous devons répondre en profondeur à l'interpellation sociale, qui est légitime. La compétitivité industrielle est largement déterminée par l'innovation. Or, si nos grands groupes s'y attachent, tel n'est pas le cas de nos PME ni de nos PMI, contrairement à leurs homologues allemandes, dont Christian Gaudin a rappelé la culture entrepreneuriale. L'innovation est indispensable au développement des entreprises de toute taille, car elle augmente la valeur intrinsèque des produits, ce qui permet de les vendre plus cher, donc de mieux payer ses salariés.

La crise de l'automobile offre un bon exemple des difficultés rencontrées par la recherche et développement, puisque nos constructeurs n'ont pas suffisamment pris en compte l'impératif de produire des voitures économiques en énergie et propres. Gérard Longuet vous a interrogé sur la voiture électrique. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a souligné dans un rapport publié il y a cinq ans la nécessité de développer des voitures hybrides rechargeables, mais nos constructeurs nationaux n'ont pas perçu alors ce qui s'impose aujourd'hui comme une évidence.

De grandes entreprises peuvent avoir du mal à surmonter une erreur stratégique ; les PME et PMI ne s'en remettent pas. Monsieur le ministre, vous vous rappelez ce qui s'est passé dans le bassin du nogentais, où la tradition de la coutellerie -allant jusqu'au bistouri- avait été mise en échec dans la compétition internationale. La relève est venue grâce à une innovation dans les traitements de surface permettant de produire de nouvelles prothèses osthéo-articulaires caractérisées par une meilleure compatibilité entre le matériel minéral et la matière biologique.

Dans le domaine de l'innovation, les outils d'intervention ne manquent pas. J'en citerai quelques-uns, comme l'Agence pour l'innovation industrielle, le statut des jeunes entreprises innovantes, le crédit d'impôt-recherche, l'Agence nationale de la recherche, le rapprochement opéré entre l'Anvar et la Banque pour le développement des PME pour former Oseo, et vos dix commissaires à la réindustrialisation. J'ajoute les contrats de transition professionnelle dont M. Bourquin a souligné l'intérêt.

Il faut que, dans chacune de ces structures, un démarchage se fasse vers les PME-PMI. La recherche et développement est consubstantielle aux grands groupes et à leurs succès, mais la cible doit être les PME, dont il faut susciter l'enthousiasme pour l'innovation. Il convient par conséquent que ces organismes aient une stratégie d'approche de la PME et n'attendent pas d'être sollicités : ces entreprises petites et moyennes sont prises dans leur quotidien et méritent un accompagnement spécifique pour une démarche qui n'est pas inscrite dans les pratiques de production qui ont marqué leur origine. Comme on l'a fait en Champagne-Ardenne dans le secteur du nogentais, il faut saisir l'occasion de leurs interrogations sur leur avenir en période de crise, pour leur tendre la main avant qu'elles n'appellent au secours.

C'est avant l'appel de détresse qu'il faut intervenir. C'est quand tout va bien que l'entreprise de petite taille doit pouvoir acquérir une culture d'innovation. Pour cela, il y faut une volonté. Il faut susciter l'enthousiasme des responsables pour la démarche innovante. Henry Ford disait que c'est l'enthousiasme qui est la base du développement. La Grande-Bretagne n'a plus cet enthousiasme et l'on voit ce qu'il en est de son industrie. Il vous revient de faire souffler partout sur le territoire le vent de la recherche et développement, pierre angulaire de l'innovation, donc de la compétitivité, donc de l'emploi sauvegardé ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Vous me permettrez de faire irruption dans ce débat en apportant un éclairage local sur la situation de l'entreprise Molex à Villemur-sur-Tarn. C'est un dossier que vous connaissez bien mais je crois utile d'y revenir car il illustre les réalités actuelles de la filière des équipementiers et des sous-traitants automobiles.

Cette entreprise, spécialisée dans la connectique automobile, a dégagé en 2008 un bénéfice de 1,2 million, ce qui est loin d'être négligeable. Et pourtant la direction maintient sa décision de fermer le site en octobre, malgré un sursis de quatre mois gagné de haute lutte. L'installation d'une chaîne de production alternative aux États-Unis prouve que la suppression du site de Villemur était programmée de longue date.

Cette fermeture, c'est 300 salariés licenciés, dotés de savoir-faire très spécialisés, et d'une moyenne d'âge de 46 ans. C'est 300 familles qui voient leur destin basculer au son de ces seuls mots de la direction : « nous anticipons des pertes éventuelles ». Peut-on tolérer que le destin d'une population soit gouverné par ces éventualités ? Il aura fallu beaucoup de détermination et de courage aux salariés pour obtenir gain de cause, grâce à une décision du tribunal de grande instance, permettant au comité d'entreprise d'exposer son point de vue sur la viabilité du site.

L'entreprise PSA se fournissait principalement chez Molex pour la connectique et ses commandes représentaient 80 % des recettes du site de Villemur. Ce qui veut dire que le maintien de celui-ci dépend étroitement du groupe PSA. On évoque maintenant l'hypothèse d'une reprise. Le « pacte automobile » devrait également s'intéresser au sort des fournisseurs ou sous-traitants. Cet engagement de l'État est indispensable et répond à une double exigence, économique et sociale, ressentie comme telle par toute la population de Villemur qui, aux côtés des salariés de Molex, se livre à une course contre la montre dans laquelle votre rôle, monsieur le ministre, est primordial. Nul ne saurait se substituer à l'État pour cette tâche.

D'ailleurs, la perspective de trouver un repreneur est maintenant beaucoup plus favorable que cet hiver car vous disposez d'éléments beaucoup plus positifs, tels qu'ils figurent dans l'analyse du cabinet Syndex. Diligenté par le comité d'entreprise, cet audit conclut à la viabilité du site, contrairement à ce que dit la direction de Molex. La crédibilité de cette direction est fortement altérée depuis qu'elle a pris la décision de sacrifier ce site ; de malmener le droit français du travail ; d'installer dans la plus grande opacité aux États-Unis une chaîne de production alternative.

J'ajoute que l'on demande aux travailleurs de Molex une productivité bien supérieure à ce qu'elle était il y a un an, justifiant le recours à du personnel intérimaire, tout en expliquant que la fermeture du site est inévitable.

Telle est la situation actuelle de cette entreprise dont auraient bien voulu vous entretenir personnellement les 110 salariés de Molex qui sont venus hier à Paris et ont été reçus par un membre de votre cabinet. Sans mettre en cause la qualité de l'accueil qui leur a été réservé, il y a eu de votre part un acte manqué qui n'est pas de nature à les rassurer. Cependant, le Gouvernement a encore le temps de répondre à l'urgence en s'engageant résolument dans la recherche concertée d'un repreneur, qui doit pouvoir compter sur un débouché commercial avec PSA. Je rappelle que, dans le cadre du pacte automobile, PSA a bénéficié d'un prêt de l'État de 3 milliards, ce qui vous donne les moyens d'obtenir que cette entreprise concrétise ses intentions. C'est à ce prix que le Gouvernement pourra crédibiliser son pacte automobile. Nous ne pouvons accepter que la structure de notre industrie soit uniquement dépendante des caprices du marché et de décideurs peu scrupuleux ! (Applaudissements à gauche)

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation.  - Je remercie M. Bourquin d'avoir posé cette question qui préoccupe l'ensemble des Français. Comme le dit souvent le Président de la République, « un pays sans industrie est un pays qui ne croit pas en l'avenir de son économie ». L'industrie représente aujourd'hui 16 % de notre PIB mais 80 % de nos exportations et 85 % de la recherche et développement privée. C'est d'elle qu'on peut attendre une solution à tous les grands problèmes du monde d'aujourd'hui : alimentation, sécurité, environnement. Là où l'industrie est aujourd'hui un problème, elle sera demain une solution.

Le Gouvernement n'a pas attendu la crise pour prendre des mesures fortes. Dès 2007, nous avons fait en sorte d'en renforcer la compétitivité. C'était la raison d'être des dispositions contestées sur les heures supplémentaires : alléger le coût du travail. C'est aussi pourquoi nous avons cherché une troisième voie entre démission et licenciement : pour fluidifier le marché du travail. C'est aussi le sens du triplement du crédit impôt-recherche : rendre l'offre française plus attractive -nous sommes désormais le pays le plus attractif de l'OCDE. L'innovation d'aujourd'hui, ce sont les investissements industriels de demain. Le crédit impôt-recherche coûte cette année 3 milliards au budget de l'État ; c'est beaucoup mais on peut en attendre un effet en retour important. C'est grâce à lui que Thalès maintient en France la production des cockpits de l'A 350 ou que Google investit en France.

Ce sont aussi les pôles de compétitivité, que j'ai créés en 2005 et évalués en 2008. Ils sont pérennisés avec 1,5 milliard sur trois ans.

Ils doivent cependant encore se moderniser. Nous prendrons des décisions cet été, qui pourront être douloureuses pour certains, mais nous devons concentrer nos moyens. Nous investirons davantage dans les pôles à vocation internationale ; il nous faudra sans doute aller vers de véritables technopoles comme ceux qui se dessinent sur cinq ou six sites.

Il est clair que la crise a modifié les relations entre l'État et l'industrie. Il fallait pour celle-ci, qui en a été la première victime, des mesures fortes, volontaristes, ciblées et réactives. La réponse du Gouvernement s'est articulée en trois temps.

Il fallait d'abord répondre à l'urgence et à l'assèchement du crédit. La source du mal, c'est la crise financière ; le système bancaire était bloqué. Nous avons pris des dispositions qui ont eu un réel impact : remboursement anticipé de la TVA ; réduction des délais de paiement ; installation de la médiation du crédit, qui a permis de débloquer plus de 7 000 dossiers et de maintenir 90 000 emplois ; actions d'Oséo en garantie et en faveur de l'innovation ; création d'un Fonds stratégique d'investissement, fonds souverain qui a vocation à prendre des participations dans des entreprises stratégiques en revenant à des objectifs de rentabilité plus industriels que financiers -on ne peut exiger, comme l'ont fait certains fonds anonymes et lointains, des retours sur investissement à deux chiffres dans des filières dont le modèle économique ne permet de dégager que quelques points de marge. Je pense aussi au dispositif de réassurance.

Le Gouvernement a ensuite fait le choix stratégique de relancer par l'investissement plutôt que par un soutien diffus à la consommation, comme le demandait l'opposition. Il semble que ce choix a été le bon. La plan de relance va permettre de remplir les carnets de commande, de soutenir l'emploi, tandis que la consommation reste le dernier moteur qui tourne encore -la France étant en ce dernier domaine une exception par rapport à ses voisins. Le Gouvernement a choisi d'apporter une réponse aux ménages les plus fragiles, avec l'exonération des deuxième et troisième tiers pour 2,5 millions de foyers...

M. Jean-Louis Carrère.  - Et le bouclier fiscal ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - ...ou encore avec la mise en place du RSA et son anticipation par une prime versée le 15 avril à plus de quatre millions de salariés modestes.

Troisième niveau de réponse, l'accompagnement social des restructurations industrielles. Nous avons d'abord pris des mesures pour amortir les chocs et faire en sorte que fermetures de sites et licenciements soient l'ultime recours. Il nous faut préserver et notre capital industriel et notre capital humain pour le moment où la croissance repartira. C'est cette idée qui nous guide lorsque nous augmentons les quotas d'heures de chômage partiel dans les secteurs les plus fragiles ; lorsque nous améliorons la rémunération des salariés en chômage partiel et augmentons la part qu'y prend l'État ; lorsque nous nous apprêtons à encourager le prêt de main-d'oeuvre ; ou lorsque nous utilisons la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, comme nous l'avons fait avec les partenaires sociaux dans l'automobile en mettant sur la table 150 millions d'euros pour financer les reconversions et anticiper les mutations.

Nous avons également dopé les dispositifs d'accompagnement social dans les cas où la catastrophe n'a pu être évitée. Une cellule dédiée aux restructurations a été créée. Des commissaires à la réindustrialisation ont été installés, dix à ce jour, qui ont une feuille de route précise et adaptée aux problématiques de chaque région ; je les ai reçus ce matin encore, ils devront anticiper les situations difficiles, accompagner les restructurations, chercher des solutions alternatives aux licenciements secs, enfin revitaliser les territoires affectés par des fermetures de sites ou des licenciements.

Nous avons ainsi pu traiter au cas par cas des dossiers difficiles. A Continental, alors que la direction n'avait pas anticipé et que les représentants des salariés n'avaient guère agi pour apaiser les choses, la médiation des pouvoirs publics a permis d'arriver à un accord. M. Bourquin a évoqué Heuliez : aujourd'hui est la date limite de dépôt des dossiers de reprise. Nous en aurons au moins un qui sera global et concernera les 1 000 salariés et pas seulement les 45 de la branche « véhicules électriques ». C'est une bonne nouvelle. Comme je l'ai dit à plusieurs reprises, le Fonds stratégique participera au futur tour de table à hauteur de 10 millions d'euros. Quant à Molex, les salariés et la direction ont été reçus au ministère, de même que les élus. Nous n'avons aujourd'hui ni cédant ni repreneur. Il est un peu délicat dans ces conditions de monter un projet. L'entreprise est désormais plus ouverte à la discussion, le commissaire à la réindustrialisation est mobilisé.

Le pacte automobile est une bonne illustration de la façon dont le Gouvernement a géré la crise dans ce secteur. Il est clair que la prime à la casse a eu un impact important...

M. Jean-Louis Carrère.  - Là, il ne s'agit pas d'investissement !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Cinq mois après le début de la crise, notre marché est en meilleur état que celui de nos voisins -il a baissé de moins de 2 % contre 40 % en Espagne par exemple. Nos usines automobiles retrouveront en juillet prochain leurs cadences de juillet 2008 et de la moyenne des cinq années précédentes. Le dispositif arrive à échéance au 31 décembre. Nous allons réfléchir avec la filière comment éviter le trou d'air que nous avons connu à deux reprises dans les années 1990 lorsque des dispositifs similaires ont été arrêtés.

La crise nous amène enfin à redéfinir le rôle de l'État.

Il doit jouer un triple rôle : d'abord, celui de fédérateur, en rassemblant sur une thématique donnée l'ensemble des acteurs d'une filière. Lorsque j'ai réuni le comité stratégique pour l'avenir de l'automobile, c'était la première fois que tous les acteurs de la filière se retrouvaient pour échanger sur l'avenir de ce secteur. Ils n'avaient l'habitude de se voir que pour parler produits, prix et pour négocier. Dans le même ordre d'esprit, nous réunissons une fois par mois depuis un an les éco-industries et nous avons créé le forum des services mobiles sans contact pour définir les solutions technologiques du futur.

Le deuxième rôle de l'État face à la crise, c'est celui d'investisseur. En prenant des participations minoritaires, il donne ainsi plus de lisibilité à certaines entreprises. Il peut également investir dans des secteurs à fort potentiel pour fixer les caps, comme il l'a fait à Crolles en investissant 450 millions pour les micro et les nanotechnologies, ou en créant un fonds démonstrateur doté de 400 millions pour capter le CO2 et développer l'énergie solaire. En outre, il a orienté certaines recherches du CEA vers les biocarburants. L'État a également créé l'Agence France nucléaire international pour développer les exportations de cette filière qui est si importante pour les grands groupes comme Areva et EDF mais aussi pour les sous-traitants de première et de deuxième rangs qui sont particulièrement présents dans votre région, monsieur Patriat, ou dans la mienne, réunis autour du pôle technologique que le président Emorine connaît bien.

Enfin, l'État doit avoir un rôle de détonateur : il doit pouvoir créer les conditions d'existence économique et juridique d'un marché grâce à des commandes publiques, comme il l'a fait avec le véhicule électrique en demandant à La Poste de fédérer toutes les grandes entreprises qui pourraient faire appel à une commande groupée. La fiscalité a aussi son rôle à jouer : nous évoquerons tout à l'heure la taxe professionnelle. Enfin, la réglementation doit être harmonisée : ainsi, nous avons installé un groupe de travail avec les Allemands sur la normalisation européenne du futur véhicule électrique.

Le Gouvernement croit en l'avenir de l'industrie française parce qu'elle est un réservoir d'activité et d'emplois important. C'est pourquoi j'ai créé il y a quelques jours un comité stratégique pour les marchés porteurs, car la sortie de crise passera aussi par notre capacité à investir dans les marchés sur lesquels nous avons de fortes perspectives de croissance économique, sur lesquels nous disposons d'avantages compétitifs importants et sur lesquels l'action de l'État peut s'avérer décisive. J'espère vous avoir convaincu que le Gouvernement est déterminé à soutenir notre industrie. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Martial Bourquin.  - Je voudrais faire remarquer à M. le ministre que les interventions des orateurs étaient positives : nous avons tous le souci d'une politique industrielle adaptée pour sortir de la crise. Le capital humain est fondamental : une politique industrielle doit impérativement tenir compte de la formation initiale et continue.

Ne faudrait-il pas faire en sorte que lorsque les entreprises perdent des marchés, certains de leurs salariés suivent des formations en gardant leur salaire et leur statut ? Une fois la situation économique rétablie, ils pourraient revenir dans l'entreprise plutôt que d'avoir grossi le rang des chômeurs. On parle beaucoup de la flexi-sécurité à la danoise : voilà une piste qu'il conviendrait d'explorer.

J'en viens à la mutation écologique : combien d'écrans plats sont-ils fabriqués en France ? Si nous ne favorisons pas l'émergence d'industries pour répondre à la révolution verte qui s'annonce, nous allons devoir importer ! Cela s'appelle tout simplement de la prospective.

Enfin, les 600 000 emplois que nous venons de perdre sont une véritable tragédie. Notre pays doit encourager l'investissement, mais aussi la consommation et les salaires. C'est pourquoi je déplore que vous ne prévoyiez pas d'augmentation du Smic. (M. Paul Blanc s'exclame) La relance par la consommation est indispensable. (Applaudissements à gauche)

Le débat est clos.

La séance, suspendue à 18 h 10, reprend à 18 h 15.