Sécurité intérieure (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

La discussion générale a été close.

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°416, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe CRC-SPG.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (n° 518, 2009-2010).

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Il est anormal que le Règlement du Sénat n'organise la discussion des motions qu'après la discussion générale.

Ce texte est irrecevable d'abord pour des raisons politiques, à commencer par votre discours qui oppose les partisans de la fermeté, vous, à tous les autres, laxistes par nature. En évoquant une prétendue « gauche milliardaire », vous vous présentez implicitement comme les représentants de la droite smicarde !

Il faut naturellement que les délinquants soient punis, de façon juste et proportionnée. Depuis une décennie que vous êtes au pouvoir, vous avez multiplié les lois sécuritaires et vous assurez que le taux d'élucidation des crimes et délits se serait sensiblement amélioré, tout en affirmant que l'accroissement de la violence aux personnes justifie une nouvelle loi sécuritaire. Allez-vous imiter ce pays du sud qui avait instauré la peine de mort pour les voleurs de bicyclettes parce que sa police ne parvenait pas à les arrêter !

Vous vous contentez de réponses simplistes à la situation que vous ne vous donnez pas la peine d'évaluer sérieusement. Vous amalgamez délinquance et immigration, vous opposez Français « de souche » et Français récents, vous assénez un discours de haine. Dans le contexte de la RGPP, l'incertitude sur les moyens de tenir votre programmation pose un problème de fond que le Conseil constitutionnel serait avisé d'examiner.

Chacun a droit au respect de sa vie privée. Il y a trois ans, le ministre de l'industrie avait soulevé l'indignation en préconisant de prélever l'ADN des nouveau-nés.

Aujourd'hui, vous multipliez les fichages alors même que la Cnil avait constaté que 83 % des fiches du Stic comportaient des erreurs. Nous risquons d'être condamnés par la Cour de Strasbourg comme la Grande-Bretagne le fut il y a quelques années.

De vidéosurveillance en mouchards informatiques, vous attentez aux libertés individuelles.

Vous remettez en cause la proportionnalité des peines et, en faisant d'un simple binôme une « bande organisée », vous vous donnez les moyens de sanctionner qui vous voulez. Vous faites mine de tenir compte des exigences du Conseil constitutionnel mais vous introduisez bien des peines quasi automatiques.

Comment la visioconférence permettra-t-elle à l'avocat de défendre effectivement son client ? Enfin le principe de proportionnalité est violé par l'aggravation systématique des sanctions.

A cause du désengagement de l'État, les collectivités devront supporter le coût de polices municipales ou supplétives. Au-delà du transfert de charges, c'est un abandon par l'État de ses prérogatives régaliennes. On ne peut autoriser le port d'armes de quatrième catégorie à des personnes qui n'ont pas été formées pour cela.

Le marché de la vidéosurveillance est juteux mais qui se préoccupe de la défense des libertés ?

Tout au long de l'été, le discours guerrier du Gouvernement...

M. Guy Fischer.  - ...nous a scandalisés !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons de voter cette exception. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois.  - La commission a vérifié le juste équilibre entre défense de la sécurité et exercice des libertés publiques. Il est légitime de limiter ce dernier principe constitutionnel pour poursuivre les auteurs d'infractions. Les restrictions aux libertés publiques sont légitimes si elles sont convenablement encadrées. C'est le cas, par exemple, pour la vidéosurveillance.

Considérant que le projet de loi tel qu'elle l'a amendé ne contrevient pas aux principes constitutionnels, la commission repousse l'exception d'irrecevabilité.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.  - Vous êtes dans votre rôle d'opposants, madame Borvo. Est-il liberticide de vouloir assurer la sécurité des Français et de poursuivre les auteurs d'infractions ? Le Conseil d'État ne l'a pas pensé. Le Gouvernement rejoint donc la commission dans son refus.

A la demande du groupe UMP, la motion n°416 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 338
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 153
Contre 185

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°77, présentée par M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (n° 518, 2009-2010).

M. Jean-Claude Peyronnet.  - Nous souhaitions une loi de programmation ; ce 17ème texte sécuritaire -sans compter les dispositions sécuritaires introduites dans des lois ayant un autre objet- ne satisfait pas notre attente.

Tout votre discours est fondé sur l'idée que votre politique depuis 2002 a été efficace, alors que c'est faux. Mais vous jouez les Gribouille. (M. le ministre s'émeut) Les opérations spectaculaires ne peuvent mener qu'à l'échec. On les présente à la télévision, ainsi celle des Tarterêts, et cela ressemble aux scènes de guérilla urbaine d'Irak et d'Afghanistan. Qu'espérez-vous ainsi ? A Grenoble, vous arrêtez une dizaine de personnes, toutes relâchées sauf une qui n'a pu être sérieusement mise en cause. Vous gesticulez pour un résultat nul.

La loi Pasqua de 1995 avait fixé des objectifs clairs, et vous-même en 2002. Eliminer les zones de non-droit, éradiquer les violences faites aux personnes, combattre la délinquance des mineurs : ces objectifs sont excellents, mais n'ont pas été atteints par tous vos coups d'épée dans l'eau.

Vous ne vous basez que sur les statistiques. Quand elles ne se prêtent pas assez bien à vos intentions, vous les manipulez. Je vous remercie et vous félicite, monsieur le ministre, de la courtoisie et de la précision avec lesquelles vous avez répondu en discussion générale. Sur l'usage des statistiques, en revanche, je ne puis vous suivre. Il n'y a aucun sens à mêler homicides et vols à l'étalage. Même les statistiques d'élucidation n'ont qu'un sens relatif. Le fumeur de joints qui avoue avoir fumé trois fois représente trois élucidations !

Pouvez-vous nous assurer que ce n'est pas sur instruction de la hiérarchie que les services orientent les plaignants vers la main courante plutôt que vers le dépôt de plainte ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Poser la question c'est obtenir la réponse !

M. Jean-Claude Peyronnet.  - Les infractions qui touchent et inquiètent le plus la population sont en augmentation forte. Un pic a été atteint en 2009 avec 453 000 atteintes aux personnes, chiffre le plus élevé depuis 1996.

En visite au commissariat de Toulouse, le ministre Sarkozy appelait ouvertement à une politique du chiffre, sans en donner les moyens. Tous les fonctionnaires sont fatigués par ces rafales d'exigences. Au point qu'à Melun, lors des obsèques d'un des leurs, les policiers de la BAC ont tourné le dos au Président de la République.

Fallait-il vraiment supprimer 9 000 postes de policiers et gendarmes ? Dans une ville de banlieue de 50 000 habitants, une seule voiture de police est en mesure de circuler la nuit, une voiture de la BAC dans les villes de 150 000 habitants. Vous suivez la logique du coup par coup et de l'affichage.

Augmenter les peines ne sert à rien pour améliorer la prévention. Les quartiers où les forces de l'ordre sont accueillies par des jets de pierres devront être reconquis ; ce sera long et coûteux.

Interrogez les gardiens d'immeubles : sont-ils bien outillés désormais pour lutter contre ceux qui occupent les cages d'escaliers ? Interrogez les vétérinaires sur le respect des textes sur les chiens dangereux. Aucun de vos textes sécuritaires n'a été efficace.

Pain bénit, un homicide est commis cet été et vous mélangez délinquants et migrants, gens du voyage, Français, et Roms, étrangers : vous avez trouvé votre bouc émissaire. Vous expulsez ainsi quantité de Roms... qui vont s'empresser de revenir. Grâce à votre discours, vous avez réussi à vous mettre au ban de l'opinion et de l'Europe. Trois anciens Premiers ministres issus de vos rangs ont protesté. Vous crédibilisez le discours raciste du Front national ; cela a marché en 2007 ; il n'est pas sûr que cela vous réussisse encore une fois.

Bref, il n'y a pas lieu de poursuivre l'examen de ce projet de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur.  - Ce projet de loi inscrit dans la durée la lutte contre la délinquance et prolonge les bons résultats observés. Les nouvelles formes de délinquance appellent des dispositions nouvelles introduites par ce texte, qui agit sur tous les leviers disponibles pour assurer la sécurité des Français. La commission s'oppose à la question préalable.

M. Brice Hortefeux, ministre.  - Le propos de M. Peyronnet démontre que le parti socialiste ne répond pas encore aux défis modernes de l'insécurité. (Exclamations à gauche) C'est M. Dray qui le dit ! Un sénateur-maire socialiste d'une grande ville a parlé d'or lui aussi, et a refusé de s'associer à une manifestation où vous étiez en compagnie de l'extrême gauche.

Vos arguments sur le bilan sont à se tordre de rire. Sous la gauche, la délinquance a explosé : en 2001 les violences aux personnes avaient augmenté de 15 % ! La police de proximité, vous y aviez renoncé vous-mêmes, tant elle était inefficace et budgétivore. Le message que vous adressez est que vous n'avez rien retenu, rien compris, rien appris sur la sécurité ! (Vifs applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur.  - M. Peyronnet a parlé avec sérénité, calme et sérieux. M. le ministre répond que nous ne comprenons rien à rien, alors que la majorité a tout compris. Vous adoptez cette posture mais vous n'y croyez pas vous-mêmes. De notre côté, ce ne serait que contradiction ; du votre, un bloc soudé ?

Quand je lis ce qu'écrivent M. de Villepin, M. Raffarin, M. Juppé, Mme Boutin, nombre de parlementaires de la majorité, et tout particulièrement M. Larcher, président du Sénat .... Je crois que ces questions de sécurité sont difficiles. Si une solution miracle avait été trouvée, cela se saurait. Vous peinerez à faire entendre qu'avec 9 000 gendarmes et policiers en moins, il y aura plus de sécurité.

Nous sommes prêts à un débat réaliste, qui appelle un peu de modestie. Pourquoi vous sentez-vous obligés de pratiquer cette rhétorique, de cogner fort et encore plus fort ? Cet usage de mots qui frappent est révélateur d'une conception de l'action publique. (Applaudissements à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Il est ennuyeux de constater que, devant une question aussi complexe, on nous tient un langage de division, comme dans tous les domaines. Cela a des limites : nos concitoyens commencent à condamner la logique du bouc émissaire récemment appliquée aux Roms.

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Nous discutons une loi d'orientation et de programmation. La commission des lois a fait un excellent travail. L'UMP juge important d'avoir un débat de fond sur ces sujets. Nous avons tous ici une expérience concrète de la lutte contre la délinquance ; nous savons donc qu'il ne faut pas esquiver le débat.

A la demande du groupe UMP, la motion n°77 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 338
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 153
Contre 185

Le Sénat n'a pas adopté.

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°365, présentée par MM. Collin et Alfonsi, Mme Escoffier, MM. Mézard, Baylet, Chevènement et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (n° 518, 2009-2010).

M. Yvon Collin.  - Nous examinons le 17ème texte portant sur la délinquance depuis 2002, avec le résultat que l'on sait. C'est un aveu d'échec.

On nous promettait le succès d'une politique volontariste et efficace. Disposant de tous les leviers d'action, le Gouvernement n'a pas atteint ses objectifs. Les chiffres sont éloquents : on a recensé 350 000 actes de violence contre les personnes en juillet 2003, plus de 450 000 six ans plus tard.

L'inflation législative devient difficilement acceptable. N'était l'enjeu de la sécurité publique, on évoquerait une simple obsession. En juillet 2002, le ministre de l'intérieur présentait l'éradication des zones de non-droit comme une priorité ; la situation ne s'est pas beaucoup améliorée depuis. Dans le même temps, les effectifs de la gendarmerie ont baissé et après la deuxième vague de RGPP, ceux de la police auront régressé en 2014 de près de 8 000 unités ! Quel décalage avec le discours !

Ce texte est un bon exemple de ce que Pierre Mazeau, alors président du Conseil constitutionnel, appelait la dégénérescence de la loi. La fonction législative est dénaturée au profit d'une politique de l'émotion. L'encre d'un texte est encore humide qu'un nouveau texte est présenté. Ce n'est pas du bon travail législatif.

La grande majorité de mon groupe craint pour les libertés publiques ; ses orateurs ont dit les raisons pertinentes de réexaminer le texte, où l'emprise sécuritaire domine sans justification. Au minimum, ce texte devrait être encore examiné en commission, d'abord pour y introduire de la cohérence. Vous modifiez dix-huit codes, repoussant les limites de la vie privée.

L'article premier me laisse perplexe, car il mélange satisfecit au Gouvernement et déclarations qui ne l'engagent pas. En plus de 40 pages, pas une seule fois n'apparaissent les mots « droits fondamentaux » ou « dignité de la personne ». Vous ignorez aussi le mal-être des policiers et gendarmes, leur inquiétude face à la politique du chiffre, la dégradation des rapports entre les forces de l'ordre et les citoyens. Les engagements pris en 2002 dans la première Lopsi se sont évanouis.

Le recours aux nouvelles technologies peut améliorer l'efficacité des enquêteurs, mais pas au détriment de l'équilibre des procédures. Vous généralisez ainsi les scanners corporels -qui sont encore en expérimentation à Roissy- sans évaluation préalable. Le texte ne dit rien des garanties devant encadrer l'usage de ces technologies, ni de la déontologie. La proposition de loi sur le respect de la vie privée à l'ère d'internet a pourtant mis l'accent sur le sujet ; et la Commission nationale consultative des droits de l'homme a estimé nécessaire de renforcer les contrôles.

Le recours systématique à la vidéoconférence en matière pénale a fort heureusement été aménagé par la commission. La Cour européenne des droits de l'homme a exigé en 2006 que le recours aux nouvelles technologies soit apprécié au cas par cas, sous peine de porter atteinte au caractère équitable de la procédure.

D'autre part, les croisements de fichiers sont excessifs, surtout lorsque les données collectées ne sont d'aucune utilité en matière pénale. Je pense à l'activité syndicale ou à l'orientation sexuelle.

Notre rapporteur a tenté de voler au secours de l'article 24 bis du texte sur le couvre-feu des mineurs, disposition inutile et dangereuse. Individuel ou collectif, le couvre-feu contrevient aux principes qui fondent notre droit pénal des mineurs.

En cette période de chômage, les agents de Pôle emploi doivent accompagner les chômeurs ; ils ne sauraient être transformés en supplétifs de la lutte contre la fraude !

Je pourrai évoquer aussi la généralisation insuffisamment encadrée des confiscations de véhicules.

Nous repoussons tout angélisme à propos des délinquants ; nous soutenons la police de proximité terrain instituée par notre excellent collègue Chevènement. Sa suppression a creusé les inégalités face à l'insécurité, au détriment des plus défavorisés. La création des UTQ est d'ailleurs l'aveu d'échec de la politique menée depuis 2002.

La lutte contre la délinquance commence par l'éducation et l'accompagnement social ; les tensions dans certains quartiers attestent leur misère sociale. Où est passé le plan Marshall pour les banlieues promis en 2007 ? Quand l'éducation, l'aide sociale, les services publics régressent, c'est toute la République qui régresse.

Au nom des valeurs humanistes qui fondent notre groupe, dans l'intérêt de la République et de ses citoyens les plus fragiles, je vous exhorte à renvoyer le texte en commission. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur.  - Rien ne justifie cette motion car la commission a veillé à assurer l'équilibre entre sécurité et respect des libertés publiques. D'autre part, les chiffres de la délinquance sont fiables. Ce sont ceux de l'Observatoire national. Enfin, le texte est cohérent avec la programmation budgétaire 2009-2012.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.  - Pourquoi renvoyer en commission le texte qu'elle a élaboré ? (Marques d'approbation sur les bancs UMP)

Les chiffres cités par le ministre de l'intérieur sont en effet ceux de l'Observatoire national de la délinquance ; et non ceux de ses services. Ils sont fiables.

A la demande du groupe UMP, la motion n°365 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 338
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 153
Contre 185

Le Sénat n'a pas adopté.