SÉANCE

du jeudi 7 octobre 2010

4e séance de la session ordinaire 2010-2011

présidence de M. Roland du Luart,vice-président

Secrétaires : Mme Christiane Demontès, M. Bernard Saugey.

La séance est ouverte à 9 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Réforme des retraites (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée portant réforme des retraites.

Discussion des articles (Suite)

M. le président.  - Nous reprenons la discussion des amendements.

Article premier A (Suite)

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.  - Depuis que le Gouvernement a commencé à proposer cette réforme, il est resté constamment ouvert au dialogue. Il a déjà accepté divers aménagements du projet de loi après discussions avec les partenaires sociaux. (M. Charles Revet approuve) Le dialogue s'est poursuivi avant et pendant le débat à l'Assemblée nationale ; sur la pénibilité, nous avons triplé le nombre de personnes pouvant prendre leur retraite à 60 ans à taux plein. Au Sénat, le Gouvernement a accepté plusieurs propositions de votre commission. Tous ces changements poursuivent un seul objectif : renforcer encore et toujours l'équité de notre système de retraite.

Mme Christiane Demontès.  - Il en a besoin !

M. Éric Woerth, ministre.  - Je vous propose aujourd'hui deux amendements du Gouvernement pour rendre la réforme encore plus juste. (Mouvements divers à gauche) Ils vous seront remis dans la matinée.

M. Guy Fischer.  - Tout de suite !

M. Éric Woerth, ministre.  - Les inégalités salariales, de carrière et de retraite entre hommes et femmes sont une réalité ; c'est bien pourquoi le texte initial comportait des mesures pour y remédier. De nombreux parlementaires ont estimé qu'il fallait apporter une réponse aux mères de famille nombreuse qui ont interrompu leur vie professionnelle pour élever leurs enfants, de même qu'aux parents d'enfants handicapés.

L'écart de salaires, c'est la cause principale de l'écart des pensions.

M. Guy Fischer.  - 20 % !

M. Éric Woerth, ministre. - Nous avons eu six lois sur le sujet et six échecs. Le Gouvernement a prévu pour la première fois de pénaliser les entreprises qui n'agissent pas pour réduire les écarts de salaires entre sexes.

Les femmes sont souvent obligées d'interrompre leur carrière pour élever leurs enfants. Des mécanismes compensatoires existent, mais les mères de famille de trois enfants nés avant 1955 n'en ont pas bénéficié à plein. Nous voulons répondre à cette iniquité.

Le premier amendement permettra aux mères de trois enfants et plus nées entre 1951 et 1955 de continuer à bénéficier d'une retraite à taux plein à 65 ans. (Applaudissements à droite) Le deuxième maintient à 65 ans la retraite à taux plein pour les parents ayant élevé un enfant lourdement handicapé. (Applaudissements à droite)

Le financement de ces mesures est prévu. Une réforme juste, c'est d'abord une réforme qui garantit son propre financement. (Applaudissements à droite ; exclamations à gauche)

M. Guy Fischer.  - Il manque 4 milliards !

M. Éric Woerth, ministre.  - On ne peut continuer à financer par l'emprunt les retraites à partir du mois de novembre chaque année. (Applaudissements à droite) Nous proposons donc de nouvelles recettes à hauteur de 340 millions pour financer ces mesures d'un coût total de 3,4 milliards d'ici 2022. Les nouveaux prélèvements n'entreront pas dans le bouclier fiscal.

Les prélèvements sociaux sur le capital seront augmentés de 0,2 point, pour un produit de 200 millions ; le taux du prélèvement forfaitaire sur les plus-values immobilières sera aligné sur celui des autres plus-values, soit 19 %, pour 140 millions.

M. Guy Fischer.  - Là, la droite n'applaudit plus !

M. Éric Woerth, ministre.  - Ces deux mesures sont des avancées majeures. (Applaudissements à droite tandis qu'on le conteste vivement à gauche) Elles montrent que le Gouvernement est à l'écoute...

M. Jean-Louis Carrère. - De la droite !

M. Éric Woerth, ministre. - ...des mécontentements et des inquiétudes de la rue, de l'Assemblée nationale et du Sénat. Elles montrent son désir de justice et sa volonté d'un dialogue constructif. (Mêmes mouvements) Il fallait répondre à l'iniquité faite aux mères ayant élevé trois enfants.

M. Jean-Louis Carrère.  - Et aux autres ?

M. Éric Woerth, ministre.  - Voilà les propositions du Gouvernement, faites en concertation avec la majorité sénatoriale. (Applaudissements à droite)

M. Guy Fischer.  - M. le ministre vient de faire la démonstration des conditions scandaleuses dans lesquelles les parlementaires sont traités. (Applaudissements à gauche) Ce débat va être très long Si nous devons attendre le début de chaque séance pour découvrir les amendements du Gouvernement...

M. Adrien Gouteyron.  - Vous voudriez qu'il n'y en eût pas ?

M. Guy Fischer.  - Le Gouvernement essaye de contrer le mouvement de fond qui se dessine pour le 12 octobre. Ce n'est pas avec ces mesurettes (protestations à droite) qu'il y parviendra.

M. Charles Revet.  - Vous le direz aux mères de familles : elles apprécieront !

M. Guy Fischer.  - C'est aux parlementaires de trancher ; le dialogue n'a pas à se faire avec la droite seule. (Exclamations à droite)

La majorité voudrait désamorcer le mouvement de fond qui est en train de monter du pays. Mais vous n'avez pas parlé du recul de l'âge de départ à la retraite. (Applaudissements à gauche ; exclamations à droite) Là est le problème. Il faut la retraite pour tous à 60 ans. (Nouvelles exclamations à droite)

M. Alain Gournac.  - Irresponsable !

M. Guy Fischer.  - Ne sous-estimez pas les appels à des grèves reconductibles. Vous verrez la France se lever ! La France va résister ! (Applaudissements à gauche)

Mme Christiane Demontès.  - J'avais demandé la parole pour faire un rappel au Règlement ; je le ferai tout à l'heure. Dans l'immédiat, je veux réagir aux annonces de M. le ministre, avec un « a » minuscule.

M. Woerth dit que les mères, que les parents d'enfant handicapé qui se sont arrêtés pour élever leurs enfants sont traités de façon injuste. Pourquoi avoir attendu ce matin pour s'en apercevoir ? Fallait-il attendre le petit-déjeuner de l'Élysée ? Fallait-il attendre la mobilisation des salariés ? Ces annonces ne sont pas des avancées, mais le maintien de dispositions qui existent aujourd'hui, la renonciation à un recul social.

Les femmes ne seront pas dupes. La mesure est réservée aux femmes nées entre 1951 et 1955 ! Comme si tous les problèmes étaient réglés pour celles qui sont nées ensuite ! Peut-être que, demain ou après-demain, cette mesure sera étendue aux femmes nées en 1960 ! Cette façon de travailler n'est pas sérieuse. On prend les parlementaires pour moins que rien ! Ce mépris du Parlement et des Français est inacceptable ! (Applaudissements à gauche)

M. Claude Domeizel.  - Le Sénat est déconsidéré par de telles annonces de dernier moment. Et quelles annonces ! Alors que nous demandons, que la rue demande de maintenir les 60 et 65 ans, vous nous annoncez que les 67 ans seront ramenés à 65 ans pour les mères de famille ayant élevé trois enfants, et seulement pour celles nées entre 1951 et 1955. C'est un leurre ! Un jour peut-être cette disposition sera censurée par le Conseil constitutionnel -et vous nous direz que vous n'y êtes pour rien. On se moque de nous ! Nous nous battrons pour revenir à la retraite à 60 ans. (Applaudissements à gauche)

Mme Annie David.  - Cette mesurette touche 130 000 mères, avez-vous dit. Et toutes les autres, toutes celles qui sont pénalisées, qui subissent des discriminations, qu'en faites-vous ? Ne croyez pas qu'avec ces amendements vous allez nous amadouer ! Vous présentez en outre le financement de cette mesure de façon truquée. (Applaudissements à gauche)

Je demande une suspension de séance pour que nous puissions examiner ces amendements dont nous ne savons encore rien. Combien de parents d'enfant handicapé seront concernés ? Que veut dire « lourdement handicapé » ? Encore une fois, il s'agit de mesures injustes. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Hier soir, nous avons constaté la volonté du Gouvernement d'entraver le débat parlementaire. (On le conteste à droite) Ce matin, il nous demande de nous prononcer sur des amendements dont nous ne savons rien et qui passent totalement à côté de ce que dit la rue. Il y a une volonté délibérée de dénaturer le fonctionnement du Parlement. Vous suivez la feuille de route de l'Élysée et vous allez continuer à distiller des mesures pour désamorcer les conflits. Mais le démineur que vous êtes sur ordre est démuni de ses outils ; tout va vous exploser à la figure ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Louis Carrère.  - On est à front renversé. Je me souviens comment la majorité sénatoriale s'était mobilisée à l'époque de la décentralisation proposée par M. Defferre. Aujourd'hui, elle nous accuse d'user d'artifices qu'elle-même met en oeuvre pour nous contraindre.

Sur le fond, on joue là un jeu scélérat. Depuis le début, vous ne pensez que communication et nous, qu'à la réforme. (On se gausse à droite) Mais les mesurettes que l'on vous a soufflées à l'Élysée ne répondent pas aux problèmes.

M. Xavier Bertrand hier soir nous a expliqué une nouvelle fois qu'il n'y avait qu'un seul projet dans ce pays pour réformer les retraites. Mais il y en a un autre ! (On en doute à droite) Sur les dates, c'est 60 et 65 ans. (Exclamations à droite) Le financement du système est possible. Quand on entend que nos mesures sur les stock-options ne sont pas sérieuses, je m'étonne ! Au regard des efforts demandés à la Nation, il ne serait pas anormal de les taxer à 50 % ! Et le bouclier fiscal ? Si vous voulez qu'on débatte des modalités de financement, nous y sommes prêts. Vous verrez qu'il y a bien deux projets et que le nôtre est le meilleur. (Applaudissements à gauche)

M. André Lardeux.  - Ce débat est surréaliste. Je veux remercier le ministre pour ses annonces, qui n'ont rien de mesurettes. Hier, l'opposition les estimait essentielles ; ce matin, elle les critique. Qu'elle ait le courage de voter contre et les Français jugeront ! Vos déclarations montrent que vous êtes embarrassés. Le spectacle donné au pays ce matin est pitoyable et dévalorise le Parlement.

Un dernier mot : c'est un grand avantage de n'avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser... (Applaudissements à droite)

Mme Samia Ghali.  - Monsieur le ministre, vous ne comprenez pas les femmes ni ne savez leur parler. Les mères de famille sont souvent obligées de rester à la maison pour garder leurs enfants, parce qu'elles ne trouvent pas de place en crèche. On ne parle pas non plus des personnes âgées dont elles s'occupent. Et qu'est-ce qu'un enfant « lourdement » handicapé ?

Certes, certaines femmes choisissent de rester à la maison, ont du temps pour faire du sport ou d'aller chez la manucure parce que leur mari gagne bien sa vie, mais pas toutes, loin de là ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean Desessard.  - M. le ministre fait ce matin de la réclame : il nous a proposé un spot publicitaire en direction des ménagères de 55 ans ! (Rires à gauche)

M. Jean-Pierre Bel.  - Depuis hier, vous dressez un décor, une mise en scène. Nous voulons un débat sur le fond...

M. Alain Gournac.  - Avec les banderoles !

M. Jean-Pierre Bel.  - ...tandis que vous voulez passer en force, au galop. Ce texte mérite qu'on y passe le temps qu'il faut. Un collègue de la majorité a parlé de débat surréaliste : est-ce parce que nous nous exprimons comme nous l'entendons ? Les Français ne sont pas dupes. Vous essayez de faire croire que le Gouvernement avance, quand il se contente de reculer un peu moins.

Cette théâtralisation des débats, cette volonté de priver l'opposition d'apprécier les propositions du Gouvernement, m'appellent à demander une suspension de séance.

M. Alain Gournac.  - Obstruction !

Mme Isabelle Pasquet.  - Il ya quelques jours, en commission, vous avez dit, monsieur le ministre, qu'il n'était pas possible de prendre des mesures en faveur des femmes car la Cour de justice des communautés européennes nous sanctionnerait, et que le risque existait de voir remises en cause toutes les majorations tendant à réduire les inégalités. Avec vos amendements, voulez-vous les remettre en cause ? (Applaudissements à gauche)

Y a-t-il un lien de cause à effet entre vos annonces et les grèves reconductibles qui se préparent ?

Pourquoi jeter de l'huile sur le feu, monsieur le ministre ? Les propositions du Gouvernement méritent d'être examinées, mais elles ne régleront rien des inégalités salariales.

Mme Isabelle Debré.  - Je suis effarée par ce que j'entends. (Exclamations à gauche) Nous travaillons pour sauvegarder le système par répartition. (On le conteste sur les mêmes bancs) Nous travaillons pour nos enfants, nos petits-enfants. Hier, j'ai entendu M. Peyrelevade, qui n'est pas de notre parti ; lui qui a fait passer la retraite à 60 ans trouve normal qu'on recule aujourd'hui les âges de départ et de taux plein à 62 et 65 ans. (Applaudissements à droite)

M. René-Pierre Signé.  - Qu'est ce que ça prouve ?

Mme Isabelle Debré.  - Les interventions de l'opposition sont irresponsables. (Le brouhaha couvre la voix de l'oratrice) Je remercie le ministre de ses propositions ; la commission va en débattre. A titre personnel, je les voterai. Il est à l'honneur du Sénat d'avoir su convaincre le Gouvernement que ces mesures étaient nécessaires. (Applaudissements à droite)

M. Nicolas About.  - Je suis très heureux que le Gouvernement retienne les propositions de l'Union centriste pour les parents d'enfant handicapé...

M. René-Pierre Signé.  - C'est le début du ralliement !

M. Nicolas About.  - Je suis heureux si le Gouvernement se rallie au groupe centriste... Merci au Gouvernement de nous avoir entendus. Les parents qui s'arrêtent pour s'occuper d'un enfant lourdement handicapé ne doivent pas être pénalisés. (Applaudissements à droite)

M. René-Pierre Signé.  - C'est la moindre des choses !

M. Nicolas About.  - Le Gouvernement a repris notre amendement.

Mme Annie David.  - Ou est-il ?

M. Nicolas About.  - Relisez-le : il a été déposé il y a une semaine ! C'est presque toujours la mère qui interrompt son activité pour s'occuper de ses enfants, mais la législation européenne nous oblige à faire référence au « parent ». (Applaudissements à droite)

M. Martial Bourquin.  - On nous parle du mauvais spectacle que donnerait le Sénat. Sommes-nous coupables de défendre pied à pied des acquis sociaux, ce que des millions d'hommes et de femmes ont gagné au fil de l'histoire ? Nous n'avons pas la même conception du débat démocratique. Je vois des lois passer à toute vitesse, on est à flux tendu en permanence. C'est le Gouvernement qui donne du Parlement une image catastrophique.

M. Nicolas About.  - Vous vouliez un référendum hier !

M. Martial Bourquin.  - J'ai entendu M. About, je vois la stratégie qui se met en place : au Sénat, il y aurait une ouverture pour les femmes. Se moque-t-on du monde ? La majorité des Français veulent que l'on débatte de la réforme des retraites en partant d'un principe simple : la justice.

Comment d'un côté accepter le bouclier fiscal, les stock-options et de l'autre les métiers difficiles, les 3 x 8 ? Et on pousse le cynisme jusqu'à demander une carte d'invalidité, alors qu'on sait très bien qu'il existe des métiers pénibles...

Il est encore temps de rediscuter de fond en comble cette réforme et d'aborder la question du financement sans allonger la durée de cotisations. Je suis élu d'un grand bassin industriel ; quand on parle de deux ans de plus, c'est un drame pour beaucoup. Nous voulons une autre réforme des retraites, juste, solidaire, qui ne soit pas à 85 % par les salariés. Il y a dix-huit mois, tout le monde voulait taxer les banques, les retraites chapeau, les bonus ; on ne les taxe toujours pas. Ce Gouvernement est celui des possédants et pas celui du peuple. (M. Dominique Leclerc, rapporteur, rit tandis qu'on applaudit à gauche)

M. Ronan Kerdraon.  - Avant d'entrer au Sénat, je me faisais une certaine idée du Parlement. En enseignant l'éducation civique, j'apprenais à mes élèves le rôle du pouvoir législatif... (On ironise à droite) Mais il y a loin des principes à la réalité ! Je vois aujourd'hui le mépris dans lequel on tient le Parlement. (Exclamations à droite)

Réformer les retraites imposait un consensus national, des compromis collectifs : négocier, ce n'est pas consulter ou informer, monsieur le ministre. Le débat a été escamoté à l'Assemblée nationale et il en va de même ici.

De l'échec ou de la réussite de cette réforme dépend la fin du quinquennat et sans doute les élections de 2012 ! Le matraquage médiatique est sans fin et sans relâche pour nous convaincre qu'il n'y a pas d'autre solution. (M. Alain Gournac s'exclame) Gouvernement et Medef s'entendent comme larrons en foire pour favoriser la mise en place d'un régime par capitalisation.

Mme Demontès et M. Bel vous ont dit qu'un autre projet est possible. Si vous nous en laissez le temps, nous vous dirons comment préserver le système par répartition et comment le financer ! (Applaudissements à gauche)

Mme Claire-Lise Campion.  - Les femmes de France qui ont interrompu leur carrière professionnelle pour élever leurs enfants ne sont pas que 130 000, elles ne sont pas toutes nées entre 1951 et 1955. Nombre de femmes recherchent en vain une place en crèche pour leur enfant et doivent se résoudre à rester à la maison.

Il faut chercher des solutions pour concilier vies familiale et professionnelle, pas s'en tenir à de telles annonces-réclames !

M. Jean-Pierre Caffet.  - Ce débat est très mal engagé. Je ne reviens pas sur la provocation d'hier soir : vous n'avez pas daigné répondre à nos prises de parole sur l'article premier A ni à nos amendements.

Vous avez peur du mouvement social, de son ampleur, de sa durée, de sa radicalisation.

Votre méthode est purement comptable et financière : comment combler un déficit sans toucher au capital ? Pour trouver les sommes qui vous manquent, vous bricolez des mesurettes qui ne règlent rien au fond.

Ce n'est pas comme cela que vous vous en sortirez ; nous serons présents jusqu'à la fin des débats, qui s'annoncent longs ! (Applaudissements à gauche)

Mme Bariza Khiari.  - Vous ne comprenez que le rapport de forces : comme vous craignez un blocage du pays, vous annoncez des mesurettes destinées à une partie des femmes. Comme vous êtes les théologiens du marché et les mandants de vos amis du Fouquet's (protestations à droite, approbations à gauche) vous ne pouvez même pas imaginer que l'on puisse faire une autre réforme que la vôtre, brutale et injuste ! (Applaudissements à gauche)

M. Yves Daudigny.  - La démocratie ne peut fonctionner si la majorité ne respecte pas l'opposition. Le mépris est insupportable, celui de M. Lardeux tout à l'heure, celui de la droite pour nos propositions, celui du Gouvernement pour le Parlement. Les limites de l'exécutif, du législatif et même du judiciaire deviennent floues. Nous ne nous laisserons pas faire ! (Applaudissements à gauche)

M. Jacky Le Menn.  - J'ai l'impression d'être dans un magasin de farces et attrapes.

La farce, c'est le ministre qui prend la parole pour annoncer des mesures...alors que la presse répétait depuis quelques jours que le Gouvernement allait annoncer quelque chose !

L'attrape -en fait, l'attrape nigaud-, c'est de faire apparaître comme une grande avancée ce qui relève du jeu de go et des principes de Sun Tse : effectuer de petits reculs pour réaliser l'essentiel de ses objectifs ! Et bien sûr, nos collègues centristes applaudissent des deux mains ! Reste que le Gouvernement a trouvé ce matin des ressources supplémentaires... là où nous répétons qu'elles existent. Nous avons des solutions, vous refusez de les regarder en face.

Ce que vous donnez est donc à prendre. Mais reculer n'est pas avancer : des millions de femmes resteront pénalisées.

Quand nous avons eu un débat sur le handicap, dans la petite salle cachée, au sous-sol du Sénat, il était clair que les associations de handicapés refusaient votre projet.

Deux points sont essentiels pour nous : la retraite à 60 ans sans décote pour les travailleurs...

M. Christian Cambon.  - Ce n'est pas ce que dit Strauss-Kahn !

M. Jacky Le Menn.  - Lui, c'est lui ; moi, c'est moi ! (Applaudissements à gauche)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - A mon tour, je demande une suspension de séance.

La notion de « lourdement » handicapé est excessivement floue, ce qui est inadmissible pour un sujet pareil qui ne devrait pas faire l'objet de gesticulations médiatiques.

Pourquoi n'avoir pas proposé ces mesurettes dès le passage à l'Assemblée nationale ?

M. le président.  - Comme vous êtes nombreux à vouloir parler, j'attends pour suspendre.

M. Philippe Dallier.  - Puissent nos collègues de l'opposition y rester longtemps pour continuer à nous faire la leçon ! (Exclamations à gauche) Jamais, jamais, jamais vous n'avez eu le courage de traiter le dossier des retraites. Hier, M. Rocard n'a rien fait. (Vives protestations à gauche) Aujourd'hui, vous dites aux Français qu'il n'est pas nécessaire de faire quoi que ce soit. (Nouvelles protestations à gauche ; applaudissements à droite) Vous voulez faire croire, messieurs les donneurs de leçon, qu'il suffirait d'accroître toujours les prélèvements. Cela suffit ! (Applaudissements à droite)

M. le président.  - En tant que sénateur qui a trente trois ans de mandat, j'insiste pour que nous nous comportions de façon digne. La France nous regarde ; nous sommes le Sénat, pas l'Assemblée nationale ! Respectons-nous les uns les autres et sachons raison garder.

M. René-Pierre Signé.  - M. Dallier devrait savoir que ce n'est pas en haussant le ton qu'on donne force à ses arguments. Votre réforme est inacceptable et inacceptée par les Français, mais le ministre ne nous écoute ni ne nous répond. Nous avons demandé hier un référendum ? Parce que vous ne voulez pas écouter le Parlement.

M. Nicolas About.  - Vous voulez demander aux Français s'ils veulent la retraite à 55 ans ?

M. René-Pierre Signé.  - Point de caricature, je vous prie !

Avec le report de la retraite au-delà de 60 ans, ce sont les femmes surtout qui seront pénalisées. Nous savons tous que c'est l'augmentation du taux d'emploi des plus de 50 ans qui conditionne la viabilité de la retraite.

Vous préparez une redistribution à l'envers : les ouvriers, les femmes, les petits salaires devront travailler plus tard pour que les cadres puissent partir en retraite au même âge qu'auparavant.

Nombre de ceux qui auront eu une carrière difficile préféreront partir avec une décote.

Le Président de la République avait promis de ne pas toucher à la retraite à 60 ans : votre politique est celle du mépris et de l'hypocrisie ! (Applaudissements à gauche)

Mme Raymonde Le Texier.  - Au cas où certains parlementaires croient que c'est encore eux qui font la loi, je leur apprends que selon le site Nouvelobs.com, « Nicolas Sarkozy a demandé au Gouvernement de déposer des amendements en faveur de certains parents ». CQFD !

M. Charles Revet. -  C'est quand même nous qui décidons !

Mme Raymonde Le Texier.  - Annoncer comme une avancée des amendements qui sont sous le coude depuis des semaines est un peu humiliant pour nous et pour les Français. Nos concitoyens ne demandent pas des placebos, ils veulent que ce ne soit pas toujours les mêmes qui paient, avec leurs deniers, avec leur travail, avec leur santé. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Bérit-Débat.  - M. Dallier nous fait la leçon.

M. Gérard Longuet.  - Il a raison !

M. Claude Bérit-Débat.  - Il nous demande ce que nous proposons : pour l'instant, nous ne vous entendons pas beaucoup !

En fait, vous êtes dans le registre de la comédie. Le ministre s'aperçoit ce matin que son projet de loi est injuste. Il dépose donc deux amendements sur les mères de famille nombreuse, si elles sont nées entre 1951 et 1955, et sur les handicapés, si leur handicap est « lourd », ce qui manque pour le moins de précision ; mais il y avait longtemps que les associations avaient attiré votre attention sur ces problèmes !

Vous restez aveugles et sourds à la protestation qui s'élève du pays.

La retraite à 60 ans, nous sommes fiers de l'avoir soutenue. Cela ne nous empêche pas de vouloir réformer les retraites -mais de manière juste, pas en faisant payer 85 % du total aux salariés. Le financement que nous proposons est équilibré et pérenne.

La réforme que vous proposez n'est pas pérenne : elle n'est censée valoir que jusqu'en 2018. Vous feriez mieux de nous écouter ! (Applaudissements à gauche)

M. David Assouline.  - Il y a le fond, dont nous allons encore discuter. Il y a la forme, qui nous touche tous ici, de droite comme de gauche. Il n'est pas normal qu'arrive en plein débat, après un travail approfondi en commission, une dépêche de l'AFP en provenance de l'Élysée annonçant que Nicolas Sarkozy a décidé le dépôt de deux amendements... C'est du jamais vu !

Et l'article 40 sera-t-il opposé à ces amendements comme il l'est aux nôtres ? (Exclamations à droite)

Une autre dépêche, également en provenance de l'Élysée, annonce un financement par un prélèvement sur le capital ; en une nuit, 3,4 milliards ont été trouvés ! C'est encourageant ; quand les Français manifestent, on trouve 3,4 milliards : d'autres milliards pourront être trouvés !

La violence de M. Dallier est inadmissible... (Exclamations à droite)

M. le président.  - Je vous en supplie, pas d'interpellation entre collègues ! Veuillez conclure.

M. David Assouline.  - ...alors qu'il a su se révolter quand l'Élysée est intervenu de façon inadmissible dans le débat sur le grand Paris.

M. le président.  - Concluez.

M. David Assouline.  - Nous appelons l'ensemble des sénateurs à se révolter. (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Longuet.  - C'est une vieille méthode de l'art oratoire des préaux : plus le message est creux, plus la voix est forte ! (Rires à droite)

L'annonce de ce matin prouve que le message du Sénat a été entendu. L'exécutif travaille avec sa majorité, quoi d'étonnant à cela ? Cela choque une gauche qui a utilisé les ordonnances en décembre 1981 pour faire passer la retraite à 60 ans sans débat parlementaire.

Profitez de la suspension de séance pour retrouver la sérénité sans laquelle aucun travail parlementaire n'est possible. (Applaudissements à droite)

M. Roland Courteau.  - Plus le message est creux, plus la parole est forte ? Je vous renvoie le compliment !

Nous ne proposons rien, Monsieur Dallier ? Hier, nous n'avons cessé de proposer...

M. Christian Cambon.  - Plus d'impôts !

M. Roland Courteau.  - ...nos solutions pour un projet alternatif juste, efficace et durable !

Après l'essorage de 2003, c'est aujourd'hui le matraquage !

Vous ne tenez aucun compte des différences entre les espérances de vie des catégories socioprofessionnelles ; vous allez demander 500 euros par an aux bénéficiaires du bouclier fiscal. C'est la solidarité à l'envers !

Je veux enfin tordre le cou à quelques canards.

La retraite à 60 ans n'existe qu'en France ? Non, c'est le cas en Belgique, au Canada, au Japon !

L'âge de pension complète est le plus bas au monde en France ? Non : il est aussi de 65 ans au Canada, au Japon, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne...

Enfin, l'alternative n'est pas entre votre réforme et le chaos mais entre une réforme injuste, inéquitable et inefficace, la vôtre, et une réforme juste, équilibrée et durable, la nôtre. (Applaudissements à gauche)

M. Éric Woerth, ministre.  - Vous vouliez hier déposséder le Sénat en demandant un référendum. (Exclamations à gauche) Attendons demain pour savoir où vous en serez. Hier soir, vous avez fait de l'obstruction en demandant le quorum ; ce matin, vous voulez que le débat avance et vous reprochez à la majorité de l'entraver. C'est curieux.

Vous passez votre temps à donner des leçons, alors que vous n'avez jamais rien fait pour réformer les retraites. (Protestations à gauche) Il y a beaucoup de paradoxes dans votre attitude.

En présentant, ce matin, nos amendements, j'ai prouvé mon respect du Sénat. Respectez aussi le Gouvernement qui a également le droit de déposer des amendements. Le Gouvernement prend en compte la discussion générale et propose d'avancer. Nous sommes respectueux du rôle des uns et des autres.

Le Président de la République, le plus démocratiquement élu du pays, peut aussi s'exprimer et répondre aux questions que vous posez.

Quand vous avez abaissé l'âge de la retraite, vous l'avez fait par ordonnance. (Les protestations de la gauche couvrent la voix du ministre, applaudi à droite)

Cela ne vous a pas gêné de considérer que des gens qui avaient commencé à travailler à 14 ans devaient cotiser quarante six ans. C'était alors beaucoup plus lourd que ce que nous proposons aujourd'hui. (Vives protestations à gauche)

Il y a eu hier un rapport très intéressant du Fonds monétaire international (exclamations à gauche) -vous voyez où je veux en venir- qui juge ce que nous proposons à la fois suffisant pour assurer les retraites et préférable à la baisse des pensions voulue par Mme Aubry. Le FMI salue nos efforts.

M. Alain Gournac.  - Qui dirige le FMI ?

M. Éric Woerth, ministre.  - Un membre éminent du PS. (Applaudissements à droite)

Pour négocier, il faut qu'il n'y ait pas de tabous.

J'ai reçu Mme Aubry dès avril ; je lui ai proposé d'avancer ensemble. Elle a refusé de parler de l'âge. Mais comment parler des retraites sans parler de l'âge ? !

Mme Bariza Khiari.  - L'âge légal !

M. Éric Woerth, ministre.  - Nous proposons de faire avancer ce texte vers toujours plus d'efficacité et de justice. Vous ne devriez pas faire d'obstruction systématique sur un tel sujet.

Il y a une injustice entre hommes et femmes ; nous la prenons en compte comme nous prenons en compte la situation des parents de handicapés. C'est le sens de nos amendements. (Applaudissements à droite)

M. le président.  - J'informe le Sénat que le groupe CRC-SPG a déposé ce jour, à 9 h 25, cinq sous-amendements à l'amendement n°598 du président Nicolas About et de l'Union centriste.

Ces sous-amendements reprennent le contenu de certains des amendements du groupe CRC-SPG dont l'examen a été réservé après l'article 33 à la suite de la demande de la commission des affaires sociales, acceptée par le Gouvernement.

En ce sens, ces sous-amendements viennent en contradiction avec la décision de la Conférence des Présidents qui, lors de sa réunion d'hier soir, a pris acte de cette décision de réserve en refusant la rectification de certains des amendements du groupe CRC-SPG pour les transformer en paragraphes additionnels à l'article premier A. De plus, elle avait considéré qu'ils ne s'appliquaient pas à l'article en discussion.

Pour cette raison, ces cinq sous-amendements ne peuvent être reçus.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Provocation !

M. le président.  - Non : j'applique les décisions de la Conférence des Présidents.

M. Guy Fischer.  - Après la Conférence des Présidents, nous avons réfléchi et transformé nos amendements en sous-amendements. Il est inadmissible qu'on nous empêche d'amender le texte. A l'évidence, on veut nous bâillonner !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Le Parlement ne prend pas ses ordres au FMI. (Applaudissements à gauche)

Depuis trois jours, nous demandons un débat de fond car manifestement, votre réforme est jugée injuste et inefficace par nos concitoyens.

Nous demandons un débat sur le financement, la Conférence des Présidents l'a refusé : ce n'est pas surprenant, la majorité y est surreprésentée ! Nous avons donc déposé des sous-amendements à l'amendement centriste sur les financements ; les refuser est un abus de pouvoir. (Applaudissements à gauche)

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.  - Après la suspension de séance pour les réunions de groupe, je demanderai une suspension de séance pour que la commission puisse examiner les deux amendements du Gouvernement.

Sur le fond, toutes les propositions du groupe CRC seront étudiées. Sur la forme, vos sous-amendements sont irrecevables. Puisque, de toute façon, vos propositions seront étudiées, il est choquant de vouloir les faire passer au moment qui vous convient, en les faisant rentrer par la fenêtre. (Exclamations sur les bancs CRC, applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ce sont des sous-amendements !

M. le président.  - Je suspends la séance jusqu'à 15 heures.

La séance est suspendue à 11 h 30.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.