Débat d'orientation sur la dépendance

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat d'orientation sur les conclusions de la mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création d'un cinquième risque.

Mission commune d'information

M. Philippe Marini, président de la mission commune d'information.  - Au nom des membres de la mission, je remercie le président du Sénat qui a proposé ce débat. Notre assemblée a fait preuve sur ce sujet de sa réelle capacité d'anticipation, décidant en 2007 de la création de cette mission qui réunit la commission des finances et celle des affaires sociales. Ici même, le président de la République a souhaité un projet de loi sur la dépendance.

Notre mission a mené des travaux pluralistes, s'est déplacée pour constater le fonctionnement des différents systèmes de prise en charge de la dépendance. Un rapport d'étape fut publié en juillet 2008, comprenant un état des lieux. Comment prendre en compte la dépendance ? Quels financements mobiliser, quel partage entre solidarité nationale et prévoyance individuelle ? Quelle gouvernance imaginer ? Le rapport que M. Vasselle et moi-même avons présenté en 2008 a alimenté le débat depuis lors et nos conclusions ont été au coeur des solutions proposées.

Notre mission s'est achevée le 31 janvier dernier. Notre approche de 2008 est validée. Mais la situation des finances publiques est encore plus dégradée aujourd'hui. Nous préconisions d'utiliser les excédents de la branche famille, à présent en déficit...

Mme la ministre nous avait communiqué ses réflexions lors de la dernière séance de la mission. Elle se gardera d'exprimer ses préférences pour laisser la discussion nationale prospérer mais nous souhaitons approfondir la réflexion, préconisant une prise en charge de qualité, équitable, financièrement soutenable. Nous nous devons d'articuler solidarité nationale et prévoyance individuelle dans un partenariat public-privé. La prise en charge de la dépendance doit reposer sur un socle solidaire large et non sur une privatisation progressive.

M. Guy Fischer.  - C'est pourtant ce que l'on dit.

M. Philippe Marini, président.  - Mais ce n'est pas fidèle aux préconisations de la mission. Cependant l'état des finances publiques n'autorisera pas à augmenter considérablement les fonds consacrés à la dépendance.

Le nombre de personnes concernées n'augmentera pas beaucoup dans les prochaines années, remarquent certains. Mais l'objectif n'est pas de replâtrer pour quelques années, il est de définir des financements pérennes pour les décennies suivantes, celles du papy boom. Trouvons des règles durables.

La prise en charge de la perte d'autonomie n'est pas le seul poste à prévoir : le déficit de la branche maladie s'accroîtra encore en 2011.

L'une de nos propositions les plus commentées dans les médias consiste à conditionner le versement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) à une prise de gage sur le patrimoine. On entend dire que le gage inciterait certains à renoncer à l'APA pour préserver l'héritage de leurs enfants ; qu'il y aurait rupture d'égalité entre ceux qui souffrent d'Alzheimer et ceux qui meurent brusquement. Cependant, nous avons proposé un seuil de 150 000 à 200 000 euros -le patrimoine médian était en 2008 de 150 000 euros. Nous ne portons nullement atteinte aux plus modestes. Le gage n'est pas un recours sur succession, mais un choix initial ; il est plafonné, ne concerne pas les dépenses de soins mais celles couvertes par l'allocation, ce qui exclut toute rupture d'égalité entre catégories de malades. L'APA versée aux personnes en Ephad est aujourd'hui soumise au recours sur succession...

Nous voulons préserver les finances publiques et mettre en oeuvre une solidarité intergénérationnelle : est-il anormal de mobiliser ainsi une petite fraction des richesses familiales ? Il y a là une certaine vision des rapports familiaux et sociaux.

D'autres financements doivent être mobilisés. Souhaitant alléger le reste à charge des familles, nous proposions des transferts de tarifs d'une branche à l'autre. Depuis, nombre de propositions ont été formulées : élargissement de l'assiette de la contribution personnalisée d'autonomie, créer une nouvelle journée de solidarité, aligner la CSG des retraités sur celle des actifs...

À nos yeux, le plus réaliste serait de créer une seconde journée de solidarité, qui rapporterait 2,3 milliards d'euros, augmenterait le nombre d'heures travaillées et favoriserait la compétitivité et la croissance (M. Bruno Sido approuve ; on ironise à gauche). La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie contribuerait ainsi aux dépenses des départements, avec un objectif de 50 %.

J'en viens à l'assurance. La mission de l'Assemblée nationale préconise une assurance obligatoire à partir de 50 ans, mais les difficultés sont excessives. Les assurances obligatoires en France ont toujours été réservées aux risques concernant les tiers. Comment, surtout, assurer le respect de l'obligation et contrôler les tarifs ? La solution serait hypocrite, car elle revient à une hausse des prélèvements obligatoires. Nous préférons une généralisation de la base assurantielle par incitations fiscales -prolonger l'assurance-vie, greffer la couverture contre le risque dépendance sur des produits d'entreprises- le Perco aujourd'hui est très développé. Les contrats complémentaires santé pourraient aussi être sollicités -aujourd'hui 93 % des Français sont couverts par de tels contrats.

Ce sujet est nouveau. L'État et les départements partagent une responsabilité. Les difficultés des conseils généraux sont largement dues au versement de l'APA, même si elles varient d'un département à l'autre.

Notre collègue de la Dordogne soulignait que dans les zones vieillissantes et rurales il y a là un vrai secteur d'activité et un gisement d'emplois. La politique des assemblées locales étant un élément crucial, une gouvernance partagée s'impose, comme le respect d'un cofinancement à 50-50. (Applaudissements à droite)

M. Alain Vasselle, rapporteur de la mission commune d'information.  - Ce débat confirme le rôle de vigie du Sénat, qui a créé une mission dès 2007. En publiant notre rapport d'étape en 2008, nous imaginions qu'un débat et un projet de loi interviendraient mais c'est maintenant que le débat national s'engage. La réflexion va ainsi s'enrichir et le retard pris est peut-être un mal pour un bien. En particulier, nous prendrons en compte les effets de la crise économique. On ne peut dire que rien n'a été fait : réforme de la tarification des Ephad, efforts de gouvernance inscrits dans la loi HPST. Les ARS ont pris place dans le paysage institutionnel : les retombées positives apparaîtront.

Nous avons présenté des conclusions complémentaires, actualisant nos travaux, à la suite du rapport de l'Assemblée nationale. Nous n'avions pas la prétention de présenter une réforme clé en mains mais d'écarter des solutions impossibles, comme l'assurance obligatoire, de tracer des pistes. L'idée d'une cinquième branche de la sécurité sociale n'a jamais été retenue par aucun gouvernement. La création d'un cinquième risque est préférable.

Beaucoup de progrès restent à faire, notamment dans le traitement du reste à charge, entre 1 400 euros et 5 500 euros selon la région et les établissements, publics ou privés. Le contexte budgétaire contraint écarte certaines idées, comme celle d'un prélèvement sur la branche famille ou sur le fonds de réserve des retraites, utilisé par ailleurs.

M. Guy Fischer.  - Vous l'avez siphonné !

M. Philippe Marini, président.  - Pour la réforme des retraites.

M. Alain Vasselle, rapporteur.  - La part des départements atteint 60 %, celle de la solidarité nationale 30 % au mieux aujourd'hui. Nous gagnerions à étudier globalement les questions relatives au vieillissement : retraite, dépendance, déficits de l'assurance-maladie. Gardons-nous du catastrophisme, le taux de natalité est élevé, l'allongement de la durée de la vie est une bonne chose, les personnes âgées aidant les jeunes et soutenant la consommation.

Des besoins nouveaux apparaissent : étudions sereinement comment les financer, par la solidarité nationale et la prévoyance individuelle. La crise économique confirme la nécessité de ce partenariat public-privé.

Compensation du handicap et prise en charge de la dépendance sont bien distincts. Le handicap est un accident aléatoire. Les personnes handicapées, au-delà de 60 ans, sont doublement touchées : comment répondre à cette situation particulière ? Les intéressés peuvent opter pour le maintien de leurs prestations ou choisir l'APA. Une équipe médico-sociale revoit le plan d'aide de chacun. Nous refusons la disparition du GIR-IV, qui correspond à un niveau de dépendance léger. Il faut prendre en compte les maladies de type Alzheimer beaucoup plus précisément.

Nous prévoyons de relever les plafonds d'aide pour ceux qui sont atteints de maladies neuro-dégénératives. Simplifions aussi les procédures : faut-il cumuler autorisation et agrément-qualité ?

Les dépenses d'aides-soignants, à la charge des départements, doivent être transférées à l'assurance-maladie. L'APA dégressive pour les personnes ayant des ressources élevées et peu de reste à charge est souhaitable.

Quant à la tarification des Ephad, on attend toujours le décret afin que la réforme de 2009 entre en vigueur !

Les reconversions de lits doivent être favorisées. Et les forfaits d'hébergement encadrés !

La question de la gouvernance a été largement réglée par la loi HPST mais le Parlement devrait se prononcer sur l'ensemble des dépenses médico-sociales, y compris les ressources propres de la CNSA, ce qui suppose de modifier la loi organique et peut-être la Constitution : tirons parti du projet de loi constitutionnelle visant à inscrire dans le texte fondamental la trajectoire de réduction des déficits publics.

Enfin, M. Marini a évoqué la seconde journée de solidarité.

La péréquation de l'APA entre départements suppose de remplacer la référence au nombre de bénéficiaires du RMI par un critère de revenu par habitant : le potentiel financier se substituerait au potentiel fiscal.

La CNSA doit être confortée comme agence large, aux compétences étendues et regroupant dans son collège les représentants de tous les secteurs concernés.

Je ne doute pas que chacun saura tirer les fruits du travail accompli par le Sénat et que le Gouvernement saura répondre à l'attente de nos concitoyens. (Applaudissements à droite)

Orateurs inscrits

M. Bernard Cazeau.  - Le rapport de la mission retranscrit l'atmosphère sereine et constructive qui a présidé à nos travaux, notre indépendance d'esprit par rapport aux groupes politiques, au Gouvernement, à l'Assemblée nationale. L'enjeu est considérable, à la fois humain, psychologique, sociétal, familial. Le débat n'est pas purement technique !

Le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans à l'horizon 2025 augmentera de 25 % : ce n'est pas un bouleversement. Mais entre 2025 et 2055, la situation sera plus préoccupante : les plus de 75 ans seront 15 % en 2055 contre 8 % aujourd'hui.

L'obstacle n'est pas infranchissable, c'est le même rythme que depuis 30 ans ; nul tsunami ne se présente à l'horizon. La dépense, à niveau de prestation égal, représentera 1,55 % du PIB dans quinze ans contre 1,17 % aujourd'hui. Quel sera d'ailleurs l'âge moyen de survenue de la dépendance dans 15, 20 ou 30 ans ? Nous nous refusons à tomber dans le catastrophisme.

Autre point d'accord, la gouvernance du système doit être améliorée, le rôle de la CNSA conforté ; de l'ordre, de la stabilité sont nécessaires dans les sources de financement et les responsabilités des décideurs. Une répartition paritaire État et conseils généraux est souhaitable.

Les instruments de mesure actuels de la dépendance ne sont pas homogènes. Il faut les préciser. Diminuons le reste à charge des personnes hébergées en Ephad, trop élevé. Les revenus des familles n'y suffisent pas. Une réforme de la tarification s'impose.

Nos désaccords concernent essentiellement les modes de financement. La première journée de solidarité fut un fiasco, faut-il en redemander ? Les transferts entre branches ? Ils n'ont plus lieu d'être, en raison des déficits.

La réponse de la majorité, le financement individuel de la couverture dépendance, mène à une impasse. L'assurance privée conduira à une inégalité à l'américaine.

D'ailleurs, l'assurance privée ne marche pas aux États-Unis.

M. Philippe Marini, président.  - Nous pouvons faire mieux !

M. Bernard Cazeau.  - Pour nous, les compagnies d'assurance n'ont rien à faire dans la dépendance.

S'agissant du rétablissement d'une forme, certes optionnelle, de recours sur succession, nous considérons que le caractère volontaire du gage n'enlève rien à la rupture d'universalité qu'il constitue. Quelle égalité y aura-t-il entre ceux qui, avec 20 000 euros de gage, perdront 15 % de leur patrimoine et ceux -les plus riches- qui n'en perdront qu'une infime fraction ? De surcroît, cette mesure ne règlerait rien à court terme puisque les gains espérés n'interviendront qu'avec un long décalage : dans mon département, nous en sommes encore à récupérer des successions datant de la prestation spécifique de dépendance ! C'est bien sur le financement que nous sommes en désaccord.

M. Philippe Marini, président.  - Vous êtes d'accord sur les dépenses, mais par sur les recettes !

M. Bernard Cazeau.  - Des pistes existent : le paquet fiscal, dont le seul volet successions prive chaque année l'Etat de 2 milliards d'euros de recettes, le cadeau fait aux grosses entreprises dans le cadre de la suppression de la taxe professionnelle...

M. Philippe Marini, président.  - C'est vrai que cette réforme est chère.

M. Bernard Cazeau.  - Les Français sont prêts à cette solidarité nouvelle. Une réforme solidaire et juste est possible, à condition d'avoir la volonté politique nécessaire. C'est à cet élan nouveau et à la mise en pratique de la justice sociale que je vous invite ! (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Adnot.  - N'ayant que trois minutes, je serai lapidaire. Un débat sur la dépendance : comme si nous n'en avions jamais parlé ! L'heure n'est pas aux palabres mais à l'action. Il faut poser un premier principe : la solidarité nationale doit financer le handicap, la dépendance et le RSA. (Applaudissements à gauche)

M. Guy Fischer.  - C'est le bon sens.

M. Philippe Adnot.  - Cette question ne relève pas des compétences locales. Respectons le principe républicain de solidarité ! Mais préservons celui de responsabilité des familles. Notre société ne doit pas oublier que la famille est la première responsable de ses aïeux, d'où une nécessaire participation financière. Et pourquoi ne pas accorder une prime aux départements qui mènent un contrôle rigoureux ? Dans certains départements plus laxistes que les autres, une personne sur deux de plus de 75 ans est dépendante, soit trois fois plus que la norme, et les plans d'aide sont deux fois supérieurs à la norme.

Parler d'un cinquième risque sans s'être mis d'accord sur les cotisations correspondantes est un non-sens. M. Guéné dit que l'État, endetté, ne peut rien faire, mais les départements ne peuvent plus lever l'impôt ! Une deuxième journée de solidarité ne coûterait rien à l'État et marquerait la solidarité de tous.

M. Guy Fischer.  - Encore les salariés !

M. Philippe Adnot.  - Nous n'avons pas le temps d'attendre : il faut agir. (Applaudissements sur certains bancs)

M. Jean-Michel Baylet.  - Nous vivons de plus en plus longtemps ; il faut s'en réjouir, mais il faut aussi accompagner nos aînés et leur permettre de vivre dans la dignité.

Le président de la République annonçait en 2007 la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale. Quelle politique mettre en place et avec quels moyens ? Les radicaux attendent un texte ambitieux et humaniste. Les dernières déclarations du Président de la République remettent en cause ses promesses. Le Gouvernement envisage d'associer aux mutuelles les assurances et organismes de prévoyance ; le rapport de l'Assemblée nationale prévoit même une assurance privée obligatoire à partir de 50 ans. Je déplore ces orientations : la prise en charge de l'autonomie ne doit pas s'inscrire dans une logique assurantielle, qui aggraverait les inégalités entre les plus aisés et les plus modestes.

En revanche, je suis favorable au gage patrimonial optionnel préconisé par le rapporteur, limité à 20 000 euros et aux personnes dont le patrimoine est supérieur à 150 ou 200 000 euros.

L'enjeu financier est considérable. Les départements sont asphyxiés par les 5 milliards de l'APA. Ils sont les plus aptes à coordonner les actions, mais leurs ressources sont nulles. Le désengagement de l'État est insupportable, contraire aux engagements pris lors de la création de la CNSA.

En décembre, trois propositions de loi identiques de l'opposition demandaient la compensation intégrale aux départements des prestations versées. La mission sénatoriale souhaite la répartition égale des dépenses entre l'État et les départements, je m'en félicite.

Ne nous limitons pas à l'aspect financier, et n'oublions pas l'humain : 3,5 millions d'aidants non-professionnels ont besoin d'être reconnus et soutenus.

Nous souhaitons une réforme de grande ampleur, certainement pas en sollicitant encore une fois les départements et les citoyens ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Guy Fischer.  - Depuis 2008, notre conviction reste inchangée : nous restons attachés à une réponse solidaire et juste aux besoins de nos concitoyens, alors que le président de la République et le Gouvernement s'emploient à mettre à bas les fondements sociaux de notre République.

Le modèle d'une société assurantielle est contraire au pacte social de 1946.

Au terme de dépendance, nous préférons l'expression « perte d'autonomie », qui peut résulter de situations variées et qui débouche sur la dépendance. Une politique publique et solidaire de prévention s'impose.

Nous souhaitons une prise en charge universelle de la perte d'autonomie, qui n'écarte pas le handicap : dans un cas comme dans l'autre, il faut éviter la perte du lien social.

Mais le Gouvernement veut faire des économies en limitant la réforme aux personnes âgées dépendantes. Dès 2008, nous avons refusé les termes de « cinquième risque », issus du monde assurantiel. La référence au risque n'est pas neutre : elle implique la substitution de l'assurance à la solidarité. La dépendance n'est pas un risque en soi, ni pour la société. Développons le design universel et l'architecture pour tous, afin que chacun puisse se réapproprier l'espace public.

Les assurances sont intéressées par le pactole que représente notre conception de la dépendance, mais ne veulent pas entendre parler du handicap où elles n'auraient rien à gagner !

En 2009, les sociétés d'assurance recevaient 403 millions d'euros de cotisations payés par 2 millions d'assurés pour le risque dépendance et versaient 127 millions d'euros de rentes... Le 8 février, le président de la République demandait de n'écarter aucune solution pour des « raisons idéologiques », mais c'est bien par idéologie qu'il transfère la prise en charge au domaine marchand.

Seule la solidarité nationale peut assurer l'équité. La sécurité sociale doit prendre en charge la perte d'autonomie. Plutôt qu'une deuxième journée de solidarité, nous voulons créer une taxe sur les banques et assurances, étendre l'assiette de la CSG et relever le barème de l'impôt sur le revenu. Il faut créer des structures d'accueil, former et professionnaliser les acteurs. Les départements doivent demeurer l'échelon opérationnel. Nous voulons assurer une compensation à l'euro près de leurs dépenses. Vos propositions sont injustes et nous les combattrons. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Jégou.  - Les nombreux textes relatifs au domaine social examinés cet automne ont souligné les difficultés du financement. Le vieillissement est un nouveau défi. L'effort public lié à la prise en charge de l'autonomie représente déjà 20 milliards d'euros par an, mais beaucoup reste à faire. C'est la quadrature du cercle, car le contexte budgétaire est contraint et les charges sociales pèsent déjà sur le travail. Un partenariat public-privé est la solution la plus raisonnable, mais il faudra soutenir les plus modestes.

Une assurance n'aura d'effets qu'à moyen terme. Cet effort ne peut seulement peser sur les actifs, comme cela a été le cas pour les retraites.

Le niveau de vie moyen des retraité a considérablement augmenté depuis les années 70 et dépasse aujourd'hui légèrement celui d'actifs, ce qui pourrait justifier la suppression du taux réduit de CGS qui leur est appliqué -sauf sur les petites pensions, comme je l'avais proposé. On a déjà sollicité le FRR et prolongé la durée de vie de la Cades...

Il faut concilier solidarité, efficacité économique et équité intergénérationnelle. Le débat reste ouvert. Compte tenu de la proximité d'une élection majeure, je crains que l'on ne puisse beaucoup avancer avant 2012... (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)

M. Bruno Sido.  - La France vieillit, et le nombre de personnes dépendantes devrait augmenter de 1 % par an d'ici 2040. C'est une immense chance que de vivre plus longtemps chez soi : l'APA est une belle avancée sociétale. Il faut parvenir à un consensus, afin de refonder le pacte républicain et la solidarité entre les générations. Le statu quo est intenable. Jusqu'ici, nous avons rempli l'obligation morale de soutenir nos aînés, malgré les difficultés. L'objectif est d'abord sociétal ; trouvons ensuite, et ensuite seulement, les moyens matériels d'empêcher la perte de ces acquis. L'APA coûte 22 milliards d'euros par an dont 17 supportés par l'assurance maladie et l'Etat et 5 à la charge des conseils généraux.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale.  - Non !

M. Bruno Sido.  - Les départements ont vocation à participer au débat.

La Cour des comptes rappelait en 2009 que les départements les plus pauvres subissaient souvent les charges les plus importantes.

Le Premier ministre a commandé à Pierre Jamet un rapport incontournable. Le nombre de bénéficiaires de la PCH s'envole ; or dépendance et handicap sont imbriqués.

Je suis favorable à une deuxième journée de solidarité, qui rapporterait plus de 2 milliards par an. L'effort sera accepté s'il est équitablement réparti. Les familles aujourd'hui étant éclatées, et d'abord géographiquement, les enfants ne peuvent s'occuper eux-mêmes de leurs parents ; confier le soin à d'autres coûte de l'argent. La deuxième journée de solidarité est un moyen d'aider nos parents à demeurer autonomes plus longtemps. Encore faut-il que les sommes aillent intégralement aux personnes âgées : la gouvernance de la CNSA doit être revue.

J'approuve l'homogénéisation des taux de CSG.

Quid du recours sur succession ? Cette option se heurte à de nombreux obstacles : ainsi, les personnes âgées disposant d'un petit patrimoine renonceront à toute allocation pour ne pas priver leurs enfants de tout héritage...

Mais examinons les propositions sans tabou. Il faudra une solution globale, un effort partagé : occasion de renforcer notre solidarité nationale et de garantir à nos enfants un avenir plus serein. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Yves Daudigny.  - Pourquoi le débat intervient-il maintenant ? Le président de la République annonçait une réforme dès 2007 ; l'ancien ministre du travail promettait un projet de loi. Ensuite... rien. Et puis, dès après la conférence de presse du 16 novembre dernier, nous avons assisté au brusque déploiement d'une véritable machine de guerre.

M. Philippe Marini, président.  - Très pacifique !

M. Yves Daudigny.  - De plus, le calendrier de la réforme est fixé avant ses objectifs. ; l'essentiel est renvoyé au PLFSS : signe que le Gouvernement ne recherche que des ajustements financiers.

Depuis 2007, le président de la République manie l'ambiguïté : cinquième branche, cinquième risque... Son vocabulaire est dramatique : « besoins colossaux », « problème essentiel de demain », etc. Pourquoi ce ton et ce vocabulaire de dramaturge ? S'agit-il de laisser sur le bord de la route les handicapés ?

Mme Bernadette Dupont et M. Paul Blanc.  - Ce n'est pas vrai !

M. Guy Fischer.  - Bien sûr que si !

M. Yves Daudigny.  - S'agit-il, avec cette communication anxiogène, de déstabiliser ce qu'il reste de financement solidaire de notre système de protection sociale ?

L'incapacité survient de plus en plus tard, après 85 ans, et dure de moins en moins longtemps. Y consacrer 1,5 % du PIB est parfaitement supportable.

Mais le financement de la sécurité sociale est tellement fragilisé qu'on entrevoit sa privatisation. Je ne crois pas au flou entretenu sur la réforme : je crois au contraire qu'elle est écrite d'avance, comme c'était le cas pour la réforme des retraites !

M. Guy Fischer.  - Et l'on cherche à nous enfumer !

M. Yves Daudigny.  - Le président de la République se félicite ouvertement que notre sécurité sociale ait joué un rôle d'amortisseur dans la crise, mais il la met à mal en privilégiant une approche assurantielle.

La majorité sénatoriale a rejeté notre proposition de loi relative à la compensation des trois allocations de solidarité que j'ai défendue à cette même tribune le 9 décembre dernier. Elle y vient aujourd'hui : tant mieux.

Nous serons également très attentifs à la décision que rendra le Conseil constitutionnel sur la question préalable qui lui a été récemment transmise par le tribunal de Montreuil.

Le monde du handicap vit mal sa mise à l'écart. La barrière d'âge constitue une discrimination indéfendable humainement et juridiquement discutable. Certains problèmes sont communs aux deux publics. Les règles d'accessibilité en matière d'urbanisme ou d'habitat bénéficient aux deux. Personne n'imagine une allocation unique, mais une convergence sans confusion est techniquement possible et financièrement supportable.

Les prestations forfaitaires ne sont pas à promouvoir ; les fonds perdus sur les marchés financiers prouvent que la prévoyance individuelle n'est pas envisageable. C'est une supercherie de faire croire que le meilleur agent de protection de l'individu est l'individu lui-même. L'enjeu est bien celui du contrat social issu du programme du CNR. C'est au sort qu'elle réserve à ses aînés qu'on mesure les valeurs d'une société. Seule une solution solidaire est imaginable. (Applaudissements à gauche)

présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président

M. Bernard Fournier.  - Cette question nous concernera tous un jour : évitons donc les clivages politiques ou générationnels. Ce qui devrait être une belle étape de transmission peut devenir une période douloureuse. L'allongement de la durée de la vie est une bonne nouvelle ; mais il exige, pour les personnes en perte d'autonomie qui ne peuvent pas compter sur leur famille, que nous trouvions des solutions adaptées. Seule une personne âgée sur cinq est en mesure de financer son hébergement en maison de retraite.

La grande consultation nationale annoncée par le Président de la République est bienvenue. Nous avons pour impératif de ne pas aggraver les déficits publics, de ne pas taxer davantage le travail, de ne pas laisser aux familles toute la charge financière. La prévoyance individuelle viendra en complément de la solidarité nationale et familiale.

Nous devrons être attentifs à la place des conseils généraux. Le département est devenu le chef de file des dépenses en faveur des personnes âgées et handicapées : 30 % du budget de mon conseil général ! La loi de finances rectificative de 2010 a mis en place un fonds exceptionnel de soutien aux départements les plus en difficulté doté de 150 millions d'euros.

Nous ne partons pas de rien. L'excellent rapport de la mission sénatoriale observe l'accroissement nécessaire de l'effort public et les efforts accomplis ces dernières années, du plan Alzheimer à la création des ARS. Les propositions les plus pertinentes concernent la prévention et la solvabilisation des personnes en voie de dépendance, les mesures d'aide au maintien à domicile -attention au décrochage entre le nombre de personnes qui demeurent chez elles et le nombre d'aidants-, les nécessaires partenariats public-privé.

Je suis contre une assurance privée obligatoire et pour un juste équilibre entre solidarité nationale, prévoyance, solidarité familiale et responsabilité individuelle. L'idée d'une deuxième journée de solidarité a beaucoup de sens. Il faut aussi affirmer le principe de parité de financement de l'APA entre État et département.

Le président de la République, comme la mission d'information, a raison de ne pas vouloir diluer le handicap dans la dépendance. Le débat se poursuit ! (Applaudissements à droite)

Mme Valérie Létard.  - La mission a dressé un constat juste et équilibré. Comment respecter le libre choix des personnes âgées ? C'est un engagement pris par le président de la République dès 2007. C'est une question de dignité, elle exige de développer l'offre à domicile plutôt que d'augmenter le nombre de lits, de renforcer la prévention, de maintenir le Gir-IV dans le dispositif de l'APA, de former davantage de personnels pour la prise en charge à domicile, de repenser l'articulation domicile-établissement. Des plates-formes de service, à mi-chemin entre le maintien à domicile et l'hébergement en établissement, éviteraient les ruptures.

Comment concilier équité et proximité ? Le CNSA a préconisé la création d'un droit universel à une compensation personnalisée de la perte d'autonomie. La péréquation financière et la révision de la clé de répartition du financement de l'APA s'imposent ; le recours au système assurantiel pour les personnes disposant de ressources suffisantes doit être envisagé. L'objectif doit rester la diminution du reste à charge pour les personnes résidant en établissement.

Quels choix financiers pour la prise en charge ? M. Vasselle parle d'un milliard d'euros par an. Mais nous partons au moins d'une situation saine. Le recours sur succession est une fausse bonne idée. Parmi les recettes possibles, la hausse de la CSG est envisageable, mais le contexte est contraint.

Quant à la journée de solidarité, le groupe centriste propose de l'élargir aux non-salariés, pour une recette attendue de 750 millions. Pourquoi ne pas flécher une fraction de la fiscalité du patrimoine ? Pourquoi ne pas concentrer l'aide en Gir-I sur les personnes qui en ont le plus besoin ? Les pistes sont nombreuses, nous pouvons déboucher sur un consensus. (Applaudissements au centre)

M. Jean Desessard.  - La mission nous a éclairés sur les chiffres et nous sommes tous d'accord sur le constat. Mais nous n'avons pas la même lecture des conséquences.

Finissons-en avec le catastrophisme ! La compensation de la perte d'autonomie n'est pas un problème insurmontable à l'échelle de la planète, ne crée de tensions ni sur l'environnement, ni sur les ressources naturelles, ni sur l'approvisionnement en denrées alimentaires, ni pour les générations futures. C'est seulement un problème de financement, donc de solidarité et de redistribution des richesses. (Marques d'approbation à gauche)

Quel est le problème ? La société est de plus en plus inégalitaire, notamment quant à l'espérance de vie en bonne santé et à la possession des richesses.

M. Guy Fischer.  - Voilà la vérité !

M. Jean Desessard.  - Vous avez de fait diminué les revenus des retraités. (M. Alain Vasselle, rapporteur, le conteste)

Il faut un service public de la compensation de la perte d'autonomie. Avec tambours et trompettes... ou tromperies, le président de la République a ouvert le débat en annonçant déjà la donne : un marché juteux se profile pour les assurances !

M. Guy Fischer.  - C'est vrai !

M. Jean Desessard.  - Aujourd'hui, les familles n'ont pas les moyens d'assurer l'hébergement de leurs proches. Il faut y remédier et renforcer la formation, donc la qualité des services rendus.

M. Alain Vasselle, rapporteur.  - Là-dessus, nous sommes d'accord.

M. Jean Desessard.  - Il faut soutenir le maintien à domicile, développer des solutions intermédiaires en s'appuyant sur l'économie solidaire et le tiers secteur, encourager l'ouverture de structures à taille humaine avec des tarifs abordables, aider davantage les aidants familiaux.

Mais l'essentiel réside dans la prévention ; rendons la vie plus douce et plus lente, la ville plus accessible aux personnes âgées. Il est possible de limiter les accidents -84 % des accidents des plus de 65 ans sont des chutes...

Tout cela coûte de l'argent... Vous invoquez l'état des finances publiques mais le papy boom n'aura d'effets que jusqu'en 2040 ! Et les emplois à créer sont socialement utiles, non délocalisables et non polluants : le must ! La compensation est un problème de redistribution des richesses, une question de solidarité nationale. Ce qui passe par une refonte de la fiscalité et non par le recours au système assurantiel.

Les écologistes sont pour une écologie des seniors insérant ceux-ci dans la vie sociale et citoyenne. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Paul Fournier.  - Notre débat traduit un état de la société. La France est en tête des pays européens pour la prise en charge des personnes âgées dépendantes mais il faut anticiper et organiser le système pour l'avenir.

La situation est actuellement tellement complexe ! La clarté est nécessaire dans la gouvernance et l'administration, comme une meilleure coordination. Lorsqu'un séjour à l'hôpital se prolonge, un retour à domicile n'est plus possible, il faut placer la personne âgée en établissement. Créons un guichet unique pour les dépenses de soins, l'hébergement, etc. Heureusement nous ne partons pas de rien, les outils sont nombreux et de qualité. L'expertise des départements est avérée.

Les conclusions de la mission, sur les aspects financiers, ont suscité des réactions nombreuses. Il est pourtant impossible de créer une cinquième branche, autant que de laisser sans contrôle le financement à l'assurance privée. Mais le secteur mutualiste peut être mobilisé -voyez ce qui se fait en Languedoc-Roussillon.

Le recours à l'assurance privée ? Qu'il soit obligatoire et nous créons bien une cinquième branche exclusivement financée par les particuliers ; qu'il soit volontaire et nous réduisons l'assiette et augmentons cotisations et primes. Et quid de ceux qui ne feront pas cet effort par manque de moyens ou négligence ? In fine, c'est la collectivité qui les prendra en charge... La prise de gage ? Avec un rendement de l'ordre du milliard, l'idée est séduisante et équitable ; mais elle a des effets pervers.

Il est souhaitable en tout cas de réserver une place prépondérante à la solidarité nationale, en la complétant par une fiscalité bien ciblée intégrée à la refonte de celle du patrimoine. Nos concitoyens tiennent à cette solidarité, sachons les entendre. (Applaudissements à droite)

M. Alain Houpert.  - Courageux, le président de la République a annoncé l'ouverture d'un grand débat sur la dépendance. Le Sénat s'est penché depuis longtemps sur la question. Je salue le travail remarquable de la mission commune.

Il y a dans la prise en charge de la dépendance une opportunité pour notre société comme pour l'aménagement du territoire. L'installation d'Ephad dans les territoires ruraux à faible pression foncière permettra de réduire le coût de la prise en charge. Nous aurons là un meilleur rapport qualité-prix. Sortons des schémas traditionnels, des Sros, des ARS, qui concentrent les Ephad en zone urbaine au nom de la proximité familiale. Ces structures ne trouvent pas leur place dans cet environnement ; et les familles ne rendent pas davantage visite aux patients, plongés dans un monde anonyme. Le cadre rural est mieux adapté, chacun y respire mieux, y dort mieux, y connaît ses voisins. Lorsque l'un d'eux n'ouvre pas ses volets un matin, les autres n'attendent pas quinze jours pour s'inquiéter. Redonner vie à nos aînés en redonnant vie à nos territoires est possible. Et les familles se sentiront moins coupables. Mais ne laissons pas le financement à la charge des seuls départements vieillissants.

Il faut en outre faire preuve de prudence en matière de recours sur succession. Sa généralisation tirera le marché immobilier à la baisse, et donc les recettes des départements.

Les progrès de la médecine ont prolongé la vie de nos aînés : rendons-leur aussi leur dignité. (Applaudissements à droite)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale.  - Quel beau débat ! Je vous ai tous écoutés avec attention et plaisir. La question nous concerne tous. La diversité des points de vue nous montre combien les enjeux sont nombreux et les pistes de solutions variées.

Non, monsieur Adnot, le débat n'est pas inutile, il faut au contraire l'extraire du seul cercle des experts. Le président de la République l'a dit, la réflexion comme la solution doit être collective.

Je salue l'excellentissime rapport de la mission. Le Sénat a pris depuis longtemps la mesure de l'enjeu ! Votre rapport dresse un panorama complet de ce qui existe et pourrait être réalisé en matière de « cinquième protection ».

L'allongement de la durée de vie est un acquis extraordinaire : nous gagnons trois mois par an, quatre l'an dernier ! Et nous vivons de plus en plus longtemps en bonne santé, ce qui nous permet de réaliser plus longtemps nos désirs et nos projets. Il y a là une chance pour la société, par l'engagement associatif ou l'aide apportée aux enfants et petits-enfants.

Sur le champ de la réforme, il serait dommageable de confondre autonomie des personnes âgées et autonomie des personnes en situation de handicap. Toutes les grandes institutions représentatives de ces dernières le refusent et souhaitent défendre leurs droits spécifiques. La problématique des personnes handicapées vieillissantes fait cependant partie de notre problématique ; les progrès en matière d'accessibilité profiteront aux handicapés comme aux personnes âgées dépendantes.

La dépendance n'est pas une fatalité, une politique active de prévention peut la faire reculer. Vous faites des propositions à ce sujet. Dans les plans de santé publique, j'ai toujours veillé à développer les mesures de prévention, essentielles ! Essayons de ne pas « fabriquer » des personnes âgées dépendantes, par exemple par des séjours trop longs à l'hôpital. Il y a des moments cruciaux dans la perte d'autonomie, l'entrée à l'hôpital ou le retour à la maison après un long séjour : dans ces périodes cruciales, l'accompagnement et le soutien ponctuel sont décisifs.

Mais la prévention, c'est également l'information sur la nutrition, la mobilité, les contacts sociaux, etc. On peut agir sur le cadre de vie, le logement, premier lieu de risques. Les chutes provoquent chaque année 10 000 décès et des traumatismes aux conséquences graves -plus que les accidents de la route ! Que le débat national aborde aussi ces questions.

Le vieillissement et les maladies associées nous posent un défi. Je ne suis pas d'accord avec l'idée que le problème est exclusivement financier, monsieur Desessard. La destruction du lien familial, la souffrance lorsqu'un père ou une mère ne vous reconnaît plus, vous ne pouvez la laisser de côté. Les Français sont plus préoccupés par la charge quotidienne, psychologique et émotionnelle, que par le reste à charge. Combien de femmes, après avoir mis leur carrière entre parenthèses pour élever leurs enfants, doivent prendre en charge leurs parents ou beaux-parents ? Je parle bien des femmes : il faudra aborder la question du genre dans ce grand débat.

Les plus de 75 ans représenteront plus de 15 % de la population en 2050 contre 8 % aujourd'hui. Le président de la République l'a dit, plus nous attendons, plus les problèmes seront difficiles à résoudre. Il y a urgence. Certes, nous ne partons pas de rien. L'engagement de l'État comme des départements finance déjà la prise en charge de la dépendance, à hauteur de 25 milliards. L'un des enjeux de la réforme se situe dans la répartition de la charge entre l'État et les départements : je n'aurais pas la cruauté de rappeler que le gouvernement Jospin avait refusé un amendement Mercier tendant à la parité de financement... Les communes aussi sont partie prenante.

Les services d'hébergement, de maintien à domicile, les associations, forment déjà un ensemble d'outils non négligeable. Il faudra trouver des solutions innovantes. Le rapport en contient beaucoup. L'efficience de la dépense de soins peut être améliorée par des mesures de décloisonnement et de reconversion -ce que proposait la loi HPST.

Faut-il faire prévaloir la solidarité nationale ou familiale ? La prévoyance collective ou individuelle ? Hausse de la CSG sur les pensions, deuxième journée de solidarité, éventuellement élargie aux non-salariés, recours sur succession, réforme de la fiscalité des successions ?

On a évoqué un gage limité pour les soins à domicile, avec le risque d'inciter à choisir le maintien en établissement ; on peut aussi envisager un système de prévoyance individuelle sur le modèle des mutuelles qui existent pour la santé ou les retraites complémentaires, modèle retenu par nos voisins. La solidarité nationale ne doit pas servir à échapper aux solidarités familiales et à conforter les égoïsmes.

Plusieurs pistes s'offrent à nous. Votre mission a proposé une solution mixte, un partenariat public-privé. Pour l'instant, le Gouvernement n'en privilégie aucune : ce n'est pas un débat en trompe-l'oeil !

Le premier principe est celui du libre choix entre le placement en établissement et le maintien à domicile. Comment faire pour que ce ne soit pas un choix contraint ? M. Houpert suggère l'implantation d'établissements dans la campagne, où l'immobilier est moins cher. L'aménagement du territoire s'invite en effet dans nos réflexions ! L'offre est déjà diversifiée, mais il faut encore améliorer la prise en charge des personnes les plus dépendantes. Il faut garantir l'équité territoriale sans contrôle bureaucratique.

Il est hors de question d'alourdir la dette publique, ou de taxer davantage le travail. Pourquoi écarter le principe de l'assurance individuelle déjà souscrite par 5 millions de Français ? Nous devons construire un modèle pour les 30 prochaines années, et la question n'est pas seulement financière. Le président de la République a parlé de cinquième protection, ce qui n'implique pas une cinquième branche de la sécurité sociale -qui pourrait d'ailleurs être créée sans loi organique.

Ce débat doit être aussi ouvert que possible. Dépassons les clivages politiques, socioprofessionnels ou générationnels ! (Applaudissements à droite et au centre)