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Table des matières



Génocide arménien

Discussion générale

Exception d'irrecevabilité

Expulsions locatives

Discussion générale

Discussion des articles

Article premier

Article 2

Article 3

Conférence des présidents

Question prioritaire de constitutionnalité

Saisine du conseil constitutionnel

Avis sur des nominations

Habitat indigne outre-mer

Discussion générale

Discussion des articles

Article 6

Article 6 bis

Article 8

Article 9

Article 10

Article 13

Articles additionnels

Vote sur l'ensemble

Génocide arménien

Discussion générale

Exception d'irrecevabilité

Expulsions locatives

Discussion générale

Discussion des articles

Article premier

Article 2

Article 3

Conférence des présidents

Question prioritaire de constitutionnalité

Saisine du conseil constitutionnel

Avis sur des nominations

Habitat indigne outre-mer

Discussion générale




SÉANCE

du mercredi 4 mai 2011

98e séance de la session ordinaire 2010-2011

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

Secrétaires : Mme Christiane Demontès, M. Jean-Paul Virapoullé.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Génocide arménien

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l'existence du génocide arménien.

Discussion générale

M. Serge Lagauche, auteur de la proposition de loi.  - Le 13 mai 1998, le groupe socialiste de l'Assemblée nationale déposait une proposition de loi tendant à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Ainsi commençait le parcours chaotique de la loi de 2001.

La paix ne peut s'établir sur la négation de ce qui eut lieu. Il fallut la pugnacité de MM. Gaudin et Piras pour que le 7 novembre 2000 fut adoptée une proposition de loi, identique à la proposition de loi de l'Assemblée nationale, sur demande de discussion immédiate.

Le 29 janvier 2001, la France reconnaissait donc officiellement le génocide arménien de 1915.

Déjà à l'époque les parlementaires étaient accusés de se substituer aux historiens ; déjà à l'époque la Turquie menaçait la France de rétorsions.

Le 18 juin 1987, le Parlement européen affirmait que les événements subis par les Arméniens entre 1915 et 1917 étaient assimilables à un génocide au sens défini par l'ONU en 1948. Il ajoutait toutefois que la Turquie actuelle ne saurait être tenue pour responsable de ce crime.

La loi française du 29 janvier 2001 n'est pas une anomalie législative : nombre d'États en ont adopté une analogue.

En 1915, près d'1,5 million d'Arméniens furent assassinés par le gouvernement Jeunes-Turcs. Malgré les innombrables preuves, la Turquie refuse d'ouvrir les yeux sur son passé. Elle s'est ainsi enfermée dans un négationnisme d'État et fait pression sur ceux qui voulaient reconnaître ce génocide. Les États-Unis en 2007, pour conserver l'accès à leurs bases militaires, ont accepté cette forme de chantage, qui s'exerce aussi sur la France, si l'on en croit les propos qu'a tenus le ministre d'État de Turquie chargé de la négociation pour l'adhésion à l'Union européenne devant nos commissions, la semaine dernière.

Le peuple turc commence à s'éveiller de cette longue ignorance. Le journaliste Hran Dink, qui voulait faire prendre conscience à ses concitoyens turcs de cette réalité de son passé, a été assassiné par un jeune extrémiste -qui n'a pas été condamné. Mais il faut signaler que 200 000 personnes ont manifesté par solidarité avec le journaliste et les Arméniens.

Les sites promouvant le négationnisme pullulent sur internet, soutenus dans les milieux d'extrême-droite. Récemment encore, était distribué au Salon du livre un ouvrage officiel dont chaque page s'emploie à nier le génocide.

La loi de 2001 reste déclarative. Il faut pouvoir sanctionner la négation du génocide. Notre proposition de loi est identique à celle que l'Assemblée nationale a adoptée il y a cinq ans. Mme Aubry a souhaité que le groupe socialiste au Sénat la reprenne à son compte. Tolérer le négationnisme, c'est assassiner une nouvelle fois les victimes, pour reprendre un mot d'Elie Wiesel.

Alors que la France a reconnu tant le génocide arménien que la Shoah, la loi ne punit que la négation de la Shoah, pas celle du génocide arménien. Cette différenciation est injustifiable ; notre proposition de loi la supprime.

La commission des lois craint que ce texte ne compromette les relations entre la Turquie et l'Arménie. Mais le protocole de Zurich est au point mort et la question du Haut-Karabagh a été instrumentalisée aux dépens du rapprochement arméno-turc.

Mme Nathalie Goulet.  - Allons !

M. Serge Lagauche, auteur de la proposition de loi.  - La loi de 2001 a tranché le débat sur les relations entre la loi et l'Histoire ; cette proposition de loi ne fait qu'en tirer les conséquences.

Inconstitutionnelle, cette proposition de loi ? L'Arménie ne peut soumettre la question au TPI sans l'accord de la Turquie ! En quoi serait-il inconstitutionnel de sanctionner la négation d'un génocide qu'aucun historien ne met en doute ? Les juges sauront appliquer notre texte ! Quant à l'atteinte à la liberté d'expression et d'opinion, le rapport du président Hyest est léger dans son argumentation sur la Déclaration des droits de l'homme. Le négationnisme n'est pas une opinion. Il n'y a pas d'anti-arménisme comparable à l'antisémitisme ? Mais la loi Gayssot a une portée bien plus large que ce qu'il veut laisser entendre.

Le président Sarkozy a garanti qu'il ne s'opposerait pas à une telle proposition de loi et qu'il laisserait le Sénat libre de son vote. Que soit pénalement sanctionnée la négation de la Shoah n'a jamais paralysé le travail des historiens.

Un État aussi grand que la Turquie ne peut s'affaiblir en regardant son histoire en face. Avec l'adoption de cette proposition de loi, serait supprimée la concurrence malsaine entre deux génocides. (Applaudissements sur certains bancs à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Cette discussion n'est pas facile... Il est plus aisé de répondre à la passion qu'à un raisonnement juridique. Ce débat porte tant d'émotions qu'une discussion juridique sereine est difficile. Légère, l'analyse de la commission ? Trop d'échotiers ignorent le droit et l'article 1382 du code civil...

La France a officiellement reconnu le génocide arménien par la loi du 29 janvier 2001. D'autres pays l'ont fait par voie de résolution, ce que la réforme constitutionnelle de 2008 rend désormais possible en France.

La commission des lois estime que cette proposition pose de vraies difficultés constitutionnelles. Elle ne nie certes pas l'existence de ce génocide. Celui-ci est une réalité historique largement reconnue. En 1915, le gouvernement a décidé de déporter les Arméniens vers les déserts de Syrie et d'Iraq. Les deux tiers d'entre eux y auraient laissé la vie. Mais ce n'est qu'en 1946, à Nuremberg, qu'est définie la notion de crime contre l'humanité et en 1948 celle de génocide. Ces crimes prennent la qualification de « génocide » ou de « crimes contre l'humanité » quand est avérée l'existence d'un plan concerté. Rétroactivement, cette qualification peut être appliquée à l'action du gouvernement turc contre les Arméniens, en 1915, qui visait davantage à homogénéiser la population d'Anatolie qu'à combattre, comme allégué, une cinquième colonne.

Suivant l'exemple donné par une quinzaine de parlements étrangers, le Parlement européen, le Conseil de l'Europe, la France, a officiellement reconnu le génocide arménien en 2001. Seule la négation de la Shoah est condamnable pénalement, au titre de la loi Gayssot modifiant la loi de 1881 sur la presse. Ce qui n'entre pas dans le champ de cette loi peut être poursuivi sur la base de l'article L. 1882 du code civil. Des voies de recours existent donc bien contre ceux qui contesteraient le génocide arménien.

M. Bernard Piras.  - Faux !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - L'examen de cette proposition de loi s'inscrit dans le cadre du débat plus large sur les lois « mémorielles » qui soulèvent une question de principe : nous appartient-il de nous prononcer sur le passé ? Je crois comme le président Accoyer que nous devons y renoncer. Un important travail historique reste à accomplir sur le génocide arménien. Ne l'entravons pas.

Depuis la révision de 2008, nous pouvons nous prononcer par la voie de résolution, sans édicter des normes. Faisons-le.

La question du génocide arménien est encore largement taboue en Turquie. N'entravons pas le timide dialogue qu'ont engagé la Turquie et la République d'Arménie. L'adoption de cette proposition de loi pourrait nuire à la position de la France pour soutenir ce processus.

Appartient-il au juge pénal français de s'immiscer dans les relations entre Turquie et Arménie ? Nous ne le pensons pas.

Cette proposition de loi risque de présenter une contrariété à la Constitution au regard du principe de légalité des délits et des peines. Alors que la loi Gayssot sur la négation de la Shoah était fondée sur un ensemble de textes et de jugements internationaux, il n'y a rien de tel pour le génocide arménien. Comment alors les juges se prononceraient-ils ?

Limiter la liberté d'expression n'est admissible qu'en vue de poursuivre un objectif actuel : or, on ne peut dire que nos compatriotes d'origine arménienne se heurtent à quelque chose de comparable à l'antisémitisme des années trente. L'intervention du juge pénal dans le jugement de l'Histoire soulèverait des problèmes de droit qui ne manqueraient pas d'être soulevés par le Conseil constitutionnel. C'est pourquoi la commission des lois a adopté, à l'unanimité, une exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur certains bancs à droite)

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Cette proposition de loi est évidemment compréhensible. Les faits parlent d'eux-mêmes. Le peuple arménien a connu une période tragique qui a mené à la mort des deux tiers de sa population, tandis que les 800 000 survivants se sont dispersés dans le monde, en France en particulier. Nombre de nos compatriotes d'origine arménienne se sont illustrés dans notre vie économique, sociale et culturelle. Je ne mentionnerai que Charles Aznavour, présent dans votre tribune d'honneur, et les héros du groupe Manouchian, morts pour la Résistance que le poème d'Aragon L'Affiche rouge a immortalisés.

Le génocide arménien est dans la mémoire et le coeur du peuple français. L'article 24 bis de la loi de 1881, issu de la loi Gayssot de 1990, qui sanctionne la négation de la Shoah, n'est pas applicable à celle du génocide arménien. Mais d'autres qualifications pénales peuvent s'appliquer, au titre de la discrimination et de la haine raciale.

La question est de savoir si cette proposition de loi améliorera la protection de la communauté arménienne. Elle est loin d'être simple. Ne nous mettons pas en position d'offrir une victoire aux négationnistes qui déposeraient une QPC.

Le principe de légalité des délits et des peines suppose une définition précise de ce que l'on sanctionne. Tel n'est pas le cas à propos du génocide arménien. Le 7 mai 2010, la Cour de cassation a refusé de transmettre une QPC au motif qu'est décrite de façon claire et précise la contestation de crime contre l'humanité. Cette clarté et cette précision ne sont pas suffisantes ici, dès lors qu'elles ne sont établies par aucun jugement international.

La liberté d'expression est reconnue par la Déclaration des droits de l'homme et par la Déclaration européenne. La Cour de Strasbourg vérifie qu'existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les entraves mises à la liberté d'expression et ce qu'il s'agit de protéger. La loi Gayssot peut s'appuyer sur les décisions du tribunal de Nuremberg et sur la Convention de Londres de 1948.

On ne peut adopter un texte fragilisé quel que soit le sort de celui qui est en débat aujourd'hui. Le gouvernement de la République ne restera pas inerte. M. Sarkozy a décidé que deux actions seraient lancées. Une circulaire sera adressée aux procureurs généraux susceptibles d'être saisis en faveur de Français d'origine arménienne.

M. Guy Fischer.  - C'est la moindre des choses !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - J'ai proposé une collaboration régulière avec les juristes de la communauté arménienne, comme nous le faisons avec le Crif. Nous sommes disposés à avancer ensemble.

Sur la base de l'article 1382 du code civil, des actions peuvent être menées pour que justice soit rendue. Je veille à ce que cette jurisprudence soit correctement appliquée...

Je n'ignore pas la dimension émotionnelle d'un tel problème. C'est parce que le Gouvernement est conscient de la souffrance de la communauté arménienne qu'il veut prendre des mesures immédiatement efficaces.

Sur cette proposition de loi, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat. (Quelques applaudissements dispersés)

Mme Nathalie Goulet.  - Sujet délicat, à une semaine du 24 avril, date anniversaire du génocide arménien ! Ce texte, comme d'autres sur le retrait de la nationalité, heureusement retiré grâce aux sénateurs centristes, renvoie à notre propre histoire. La quasi-totalité de ma famille a été exterminée dans les camps. Je fais partie d'un peuple qui, lui aussi, dort sans sépulture et qui a choisi de mourir sans abjurer sa foi ; je peux comprendre ce que ressentent les descendants de victimes d'un génocide. Ce débat entre nous, avec un peu de bonne volonté, peut néanmoins être l'occasion de mettre un terme à certaines polémiques.

Je voudrais parler du Caucase. Les Azerbaïdjanais sont totalement étrangers au génocide de 1915. Si un litige territorial existe aujourd'hui, il est spécieux d'utiliser le génocide pour occuper un territoire comme le Haut-Karabagh, de même que la Shoah ne justifie pas les exactions commises à Gaza.

En 1992, des dizaines de milliers d'Azerbaïdjanais sont tombés, sans que nulle voix ne s'élève. À mesure de l'avancée des forces arméniennes, jusqu'au cessez-le-feu de 1994, 20 000 victimes, un million de réfugiés et déplacés. La position de la France est claire : elle soutient l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan et travaille à la paix entre ce pays et l'Arménie. Au nom des victimes, des enfants du Caucase, auxquels les adultes volent leur enfance, nous devons oeuvrer à la poursuite de la paix.

L'ensemble de mon groupe votera l'exception d'irrecevabilité, espérant que le président de la République tiendra sa promesse d'une visite dans le Caucase.

M. Ambroise Dupont.  - Très bien !

M. Jean-Noël Guérini.  - La reconnaissance du génocide arménien et la criminalisation de sa contestation sont notre combat, depuis plus de vingt ans. Du président Mitterrand à Jacques Chirac, des parlementaires de gauche comme de droite, ont voulu que soit reconnue une tragédie que certains voulaient nier. En 2001, Jacques Chirac, président de la République, a promulgué une loi reconnaissant le génocide arménien qui, commencé en 1915, a conduit à l'extermination de plus d'un million de personnes. Elie Wiesel a fait connaître publiquement, avec d'autres historiens, sa position, pour parvenir à la reconnaissance du génocide. En l'admettant, la République française a rendu à ce peuple ce qui lui est dû.

L'Assemblée nationale, le 2 octobre 2006, a voté la pénalisation de la négation du génocide arménien. « La responsabilité confère à l'homme de la grandeur » écrivait Stefan Zweig. Le Sénat ne peut fuir ses responsabilités : notre devoir, aujourd'hui, est de sanctionner les négationnistes. Une telle loi ne limiterait pas la liberté d'expression, n'étant contraire à aucune convention internationale liant la France. En tout état de cause, le peuple français peut voter toute loi qu'il juge juste. L'argument de l'inconstitutionnalité n'est pas à la hauteur des responsabilités qui sont les nôtres ; que n'a-t-on soulevé la question en 2001 ? Le négationnisme n'est pas un mode d'expression comme les autres : son objectif premier est de falsifier l'histoire pour forcer l'oubli.

Ce texte serait un instrument efficace pour combattre le communautarisme. Y compris en Turquie, des hommes et des femmes manifestent, plus courageux que nous, pour obliger le gouvernement turc à prendre ses responsabilités. Soyons à la hauteur de nos responsabilités ! (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche)

M. Guy Fischer.  - Voici dix ans que le génocide arménien était enfin reconnu dans notre assemblée. Instants émouvants, qui, réunissant l'ensemble des familles politiques, mettaient un terme à un pesant déni de 95 ans.

Nous voici réunis à nouveau pour examiner un texte qui doit, je l'ai dit comme signataire de bien d'autres sur le même sujet, nous sortir du milieu du gué où nous sommes restés.

La loi de 2001 a une portée symbolique considérable, mais reste sans incidence juridique : il faut une réponse pénale au négationnisme. Nous l'affirmions déjà en 2005, en déposant une proposition de loi qui visait tous les crimes contre l'humanité du XXe siècle et ceux qui pourraient, hélas, être à venir. Nous avions beaucoup travaillé à Marseille avec les Arméniens, définissant trois écueils : ne pas s'en tenir au seul angle, réducteur car relatif à la seule presse, de la loi Gayssot ; rester dans les clous constitutionnels : ne pas prêter le flanc à la pression de la Turquie.

C'est donc avec plaisir que j'ai vu mes collègues socialistes déposer ce texte -même si nos propositions de 2005 avaient l'avantage d'éviter le qualificatif de « loi mémorielle ». Le négationnisme n'est pas un mode d'expression comme les autres : son objectif est en effet de falsifier l'histoire pour effacer de la mémoire collective toute trace des génocides. Il doit être sanctionné par la même peine que celle qui s'applique à la négation de la Shoah. Ce serait un progrès immense pour la cause arménienne, envoyant un signal clair à tous les communautarismes. Ce serait un progrès pour l'humanité tout entière.

Il ne s'agit ni d'imposer une histoire d'État ni de stigmatiser la Turquie, mais d'oeuvrer à la réconciliation de ces peuples en leur rendant la mémoire.

Sans doute, ce texte est perfectible, mais l'essentiel est qu'il existe et emporte l'assentiment du plus grand nombre, par delà les clivages politiques.

Je voterai, avec mon groupe, en conscience, cette proposition de loi et j'espère avoir convaincu. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur certains bancs socialistes)

M. Josselin de Rohan.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je ne m'embarrasserai pas de précautions oratoires : ce texte est inopportun, inacceptable et irrecevable, car inconstitutionnel. Le président Hyest l'a clairement démontré.

Il ne peut que contribuer à détériorer la relation entre la France et la Turquie sans contribuer à rapprocher ce pays de la République arménienne, qui n'a rien demandé.

Alors que le lâche assassinat d'un journaliste turc d'origine arménienne suscite dans les consciences turques une réflexion salutaire, ce texte est fort malvenu. Il serait un encouragement pour les extrémistes, déterminés à nier la réalité à toute force.

Le devoir de la France n'est pas d'attiser les débats mais de rapprocher les bonnes volontés. Alors que nombreux sont aujourd'hui les citoyens turcs qui ne cachent plus leurs origines arméniennes, adopter ce texte serait terriblement contre-productif. Veut-on voir condamner quiconque mettrait en cause, en sa qualité d'historien, l'étendue ou la portée des massacres sur telle partie du territoire, comme fut poursuivi cet historien irréprochable qui niait que l'esclavage ait été proprement un « génocide » ? Faudra-t-il que les chercheurs s'exilent pour poursuivre leurs travaux ? René Rémond, suivi par Pierre Nora, s'est inquiété de cette façon de mettre en cause la liberté de pensée des historiens. L'entreprise, je le dis, est obscurantiste. Le génocide arménien est reconnu par la loi. Nous ne voulons pas l'effacer de la mémoire, mais on ne saurait pour autant mettre en cause la liberté d'expression qui est la marque de notre pays, liberté pour laquelle sont morts Manouchian et ses compagnons. N'écoutez pas ceux qui veulent dévoyer votre cause en l'entraînant sur la voie du communautarisme et de l'extrémisme ! Elle est trop juste pour que vous la laissiez altérer. (Applaudissements sur la plupart des bancs UMP)

M. Charles Gautier.  - La France, patrie des droits de l'homme ? Nous nous en flattons tous. Mais des positions récentes écornent cette réputation. Qu'adviendrait-il si nous nous érigions, ici et maintenant, en censeurs de l'Histoire ? Qui sommes-nous pour blâmer un peuple pour les agissements de ses arrière-grands-parents ? Foin de cette arrogance.

Les historiens ne veulent pas de lois mémorielles auxquelles se complait le Parlement. Il reste un important travail de recherche à mener sur le génocide arménien : n'interférons pas, pour de vagues raisons électoralistes.

Loin de moi l'idée de minimiser l'atrocité des crimes commis, mais j'appelle à regarder vers l'avenir, en tenant compte des liens diplomatiques de notre pays, au bénéfice de la paix. Des voies de recours existent déjà dans notre droit pour punir les personnes contestant tout génocide : ce texte me paraît donc au minimum inutile.

Pire, il est dangereux, exacerbant le nationalisme et entravant toute tentative de dialogue entre Turcs et Arméniens.

M. Josselin de Rohan.  - Très bien !

M. Charles Gautier.  - Les liens entre la France et la Turquie seront à reconstruire entièrement, à un moment où elles sont déjà très détériorées. Quant aux bribes de dialogues entamés entre Turcs et Arméniens, il n'en restera rien.

Enfin, ne peut-on pas craindre que les relations entre les Français d'origines turque et arménienne se dégradent de la même manière ? Quel est l'intérêt de la France à opposer l'une contre l'autre deux communautés vivant sur son territoire ?

D'autres ressortissants français ont été victimes de crimes contre l'humanité. Mais ne constituant pas une communauté aussi nombreuse, ils ne savent faire entendre leur douleur. Évitons d'instiller l'inégalité dans nos lois : l'universalisme est une valeur trop précieuse pour être bafouée de la sorte.

La France, qui a inventé la laïcité, cette neutralité de l'Etat vis-à-vis des opinions religieuses, doit faire de même pour l'histoire.

C'est pour toutes ces raisons que je m'opposerai à ce texte.

Cette proposition de loi a toutefois un mérite : celui de poser le débat. Espérons que demain il soit définitivement clos. (Applaudissements sur certains bancs socialistes et sur la plupart des bancs UMP)

M. Bruno Gilles.  - J'associe Mme Joissains à mon propos.

Je comprends les arguments juridiques de la commission des lois : les lois mémorielles posent de fait problème. Mais à titre personnel, par mon vote, je veux dénoncer un scandale : l'État turc, candidat à l'Union européenne, continue à pénaliser ses ressortissants qui appellent à la reconnaissance du génocide. Comment, à ce compte, poursuivre les négociations ?

Peut-on brader les principes au nom de sordides calculs économiques, pour le bénéfice de nos entreprises sur le territoire turc ?

J'assume mes positions. Oui, je reconnais le génocide arménien. Je voterai contre la motion d'irrecevabilité, en faveur du texte de M. Lagauche.

Toutefois, je voudrais dire que l'hypocrisie de certains me laisse un goût amer. Que nos compatriotes d'origine arménienne ne s'y trompent pas ! Certes, la manoeuvre était bien montée : présenter dans la niche parlementaire socialiste un texte satisfaisant la diaspora arménienne de France et ne déployer aucun effort en faveur de son adoption, afin de faire endosser à la majorité et au Gouvernement la responsabilité de l'échec. La ficelle est un peu grosse !

Vous savez bien, pourtant, qu'il fallait le faire signer par ceux qui, sur les bancs qui vous font face, étaient prêts à le soutenir, comme l'avait fait M. Gaudin.

M. Bernard Piras.  - C'est moi qui l'avais fait.

M. Bruno Gilles.  - Je vous en félicite !

Ami de longue date des Français arméniens de souche, je voterai en faveur du texte de Serge Lagauche et contre l'exception d'irrecevabilité, mais je proteste devant vous, solennellement, car ce sujet grave et douloureux méritait mieux qu'une petite combine partisane. (Applaudissements sur certains bancs à droite, protestations sur plusieurs bancs socialistes)

M. Bernard Piras.  - Vous n'aviez qu'à en prendre l'initiative !

M. Gérard Collomb.  - Summum jus, summa injuria : maxime qu'il est bon d'avoir aujourd'hui à l'esprit.

J'entends bien les arguments que nous opposent le droit, la diplomatie ; j'entends M. Hyest lorsqu'il explique que l'on ne peut s'appuyer sur aucune convention internationale ni aucune décision de justice ; j'entends M. de Rohan qui s'inquiète d'un texte susceptible de perturber nos relations diplomatiques.

Mais c'est ce type de raisonnement qui a conduit, dans le silence assourdissant des nations, au génocide arménien. À l'époque, déjà, on évoquait le droit ou les relations diplomatiques pour ne pas agir... Une seule voix, celle de Jean Jaurès, dénonçait dès 1896 ce drame abominable : « Il faut sauver les Arméniens l Ce qui importe, ce qui est grave, ce n'est pas que la brute humaine se soit déchaînée là-bas, ce n'est pas qu'elle se soit éveillée. Ce qui est grave, c'est qu'elle ne s'est pas éveillée spontanément ; c'est qu'elle a été excitée, encouragée, nourrie des appétits les plus féroces par un gouvernement régulier avec lequel l'Europe a échangé plus d'une fois, gravement, sa signature. »

Rien n'y fit, et du massacre on en vint au génocide. On en connut tôt le caractère : les observateurs, tel le consul américain Jesse B. Jackson, dénonçaient alors le caractère systématique du massacre. Pourtant, ces voix éparses ne surent se faire entendre. Un immense silence avait tout recouvert. Silence des survivants, silence d'une douleur cachée, d'une plaie que l'on tait, comme dans la culpabilité.

Plaider le droit, donc ? Plaider la Constitution ? Nous, nous plaidons tout simplement pour l'humanité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur les bancs CRC)

M. Dominique Braye.  - Cela vous va bien !

M. Ambroise Dupont.  - J'entends bien les attentes de nos compatriotes arméniens. S'il ne me paraît pas opportun d'adopter ce texte, il est l'occasion de débattre de la place des lois mémorielles dans notre droit.

Ce texte, le président Hyest l'a dit, pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Au plan politique, quelques remarques. L'inflation des lois mémorielles conduit à se saisir de questions qui ne relèvent pas du Parlement, au risque d'ouvrir à chacun la tentation de faire valoir ses revendications.

Et que dire de l'effet sur nos relations diplomatiques ? La France copréside le groupe de Minsk chargé de trouver une solution au conflit du Haut-Karabagh.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Ambroise Dupont.  - Cette médiation contraint notre pays à une totale neutralité. Adopter ce texte attiserait les tensions et desservirait la paix. Plus profitable est d'encourager le rapprochement entre les États turc et arménien, par la diplomatie. Je soutiendrai donc la motion d'irrecevabilité. (Applaudissements sur la plupart des bancs UMP)

M. Robert Badinter.  - J'aurais toutes les raisons, intellectuelles, humaines, personnelles, de soutenir ce texte. Les génocides me font horreur, les crimes contre l'humanité flétrissent celle-ci. Cette flétrissure, hélas, ne s'est pas, depuis un siècle, refermée.

Pourquoi, alors, suivrais-je la motion d'irrecevabilité ? C'est que l'on ne peut pas étendre les pouvoirs du Parlement au-delà de ce que la Constitution lui assigne. Nous sommes des législateurs et la loi n'existe que dans le respect de la Constitution. Or, ici, le législateur, emporté par l'émotion, s'est laissé entraîner sur les terres de l'historien dont, dans une démocratie, la liberté doit être absolument respectée. Édicter des lois qui disent l'histoire irait contre notre idiosyncrasie nationale.

Le dernier article du doyen Vedel, paru dans les Mélanges Luchaire, est consacré à la loi du 29 janvier 2001. Pour lui, la question de sa constitutionnalité appelait une réponse simple et facile : le principe de séparation du législatif et du judiciaire interdit au législateur de qualifier les faits historiques, non seulement au regard de l'article 34, mais parce que ce serait usurper la compétence en matière internationale et la diplomatie. « Il n'est pas sérieux de proclamer que le législateur est souverain, que le Parlement détient ou peut confisquer toutes les compétences qui peuvent être exercées au nom de l'État. Une telle hérésie serait aux antipodes de la démocratie constitutionnelle qui n'admet pas d'avantage le règne du législateur que celui du gouvernement ou celui des juges ». Pour toutes ces raisons, il regardait la loi de 2001 comme contraire à la Constitution.

Si je le rappelle, c'est que les auteurs de cette proposition de loi, emportés par la compassion, sont tombés dans un piège, qu'ils tendaient du même fait à la communauté arménienne elle-même. Car, depuis la révision de 2008, un texte qui s'enracine dans un autre autorise le Conseil constitutionnel à se saisir de la constitutionnalité du premier, (mouvements divers) dès lors que lui serait posée une question prioritaire de constitutionnalité. J'en appelle à tous les hommes de coeur : cette initiative conduirait au contraire du but poursuivi.

La dernière affaire que j'ai plaidée le fut contre des révisionnistes, condamnés pour avoir manqué au devoir de l'historien. Contre quiconque, dans l'Hexagone, se livrerait à une contestation du génocide, il est donc des moyens d'agir.

Cette loi, qui blesse la Constitution et fait de nous le juge de l'Histoire, va à l'encontre d'intérêts que je considère comme sacrés. Puissent enfin nos amis turcs mesurer le fait que depuis les atroces génocides de la seconde guerre mondiale, les dirigeants de toutes les nations démocratiques s'honorent en reconnaissant les crimes commis sur tous les continents : là est l'honneur des grandes démocraties, là est l'honneur des grands dirigeants. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Hyest, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l'existence du génocide arménien (n° 607, 2009-2010).

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Certains préfèrent la simplicité de la passion à la complexité du raisonnement. Les progrès de l'État de droit sont aussi ceux de l'humanité. La commission des lois unanime a décidé d'opposer l'irrecevabilité à un texte qui est contraire à deux principes constitutionnels, celui de la légalité des délits et des peines et celui du droit à la liberté d'opinion et d'expression.

La proposition de loi diffère de la loi Gayssot en ce que celle-ci au contraire de celle-là est adossée à des faits précis, reconnus par des conventions internationales ou des juridictions nationales. Dans un arrêt du 7 mai 2010 sur la loi de 2001, la Cour de cassation a estimé que « l'incrimination critiquée se réfère à des textes régulièrement introduits en droit interne, définissant de façon claire et précise l'infraction [...] dont la répression, dès lors, ne porte pas atteinte aux principes constitutionnels de liberté d'expression et d'opinion ». La situation est ici très différente, le génocide arménien ayant été perpétré antérieurement à l'adoption de la convention du 9 décembre 1948 et dont les auteurs n'ont jamais été jugés -même si le génocide a été reconnu par la France dès le traité de Sèvres, jamais ratifié. Sur un plan strictement juridique, il n'existe pas de définition précise attestée par le droit des actes constituant ce génocide et des personnes responsables de son déclenchement.

Quel est le périmètre exact de la notion de « contestation de l'existence du génocide arménien de 1915 » ? La « contestation », d'acception plus large que « négation », fait problème : elle peut porter sur l'ampleur, les méthodes, les lieux des événements sans nécessairement nier leur existence. Le Conseil constitutionnel exige que l'infraction soit définie de façon précise, de sorte que l'appréciation du juge n'encoure pas la critique de l'arbitraire.

La proposition de loi est d'autre part contraire au principe de la liberté d'expression, qui ne peut être restreinte que pour protéger d'autres droits et libertés également reconnus par la loi. Encore faut-il que les restrictions soient proportionnées.

Si la loi Gayssot n'est pas contraire à ce principe, c'est qu'elle tend à prévenir aujourd'hui la résurgence du discours antisémite. C'est ce qu'a reconnu la CEDH dans la décision Garaudy du 24 juin 2003. Tel a été également l'objectif du législateur communautaire lors de l'élaboration de la décision-cadre du 28 novembre 2008, dont la finalité n'est pas de protéger la mémoire mais de lutter contre la discrimination -le Parlement en sera saisi prochainement.

Aucun discours de nature comparable à l'antisémitisme ne paraît viser aujourd'hui en France nos compatriotes d'origine arménienne ; la création d'une incrimination spécifique telle que prévue par la proposition de loi paraît excéder les restrictions communément admises pour justifier une atteinte à la liberté d'expression.

Au vu de ces éléments et du risque de censure qu'encourt la proposition de loi -je remercie le président Badinter d'avoir cité le doyen Vedel- la commission des lois oppose au texte l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur de nombreux bancs à droite)

M. Bernard Piras.  - Vous voulez donc que les sénateurs ne soient pas en mesure de se prononcer sur la proposition de loi. L'exception d'irrecevabilité est une atteinte à la liberté d'expression des représentants du peuple ; elle nous est opposée ici pour des motifs de pure opportunité.

M. Dominique Braye.  - Les vôtres sont d'électoralisme !

M. Bernard Piras.  - La France préfère la protection de ses intérêts économiques à la défense des valeurs fondamentales. Je suis au moins satisfait que nul ici n'ait refusé de reconnaître pour tel le génocide arménien.

La loi du 29 janvier 2001 est purement déclarative ; il faut l'accompagner de sanctions, sans lesquelles le juge ne peut la faire respecter. Non, notre arsenal juridique ne permet pas de sanctionner le négationnisme du génocide arménien. Affirmer que la responsabilité des négationnistes peut être engagée sur la base de l'article 1382 du code civil est une contrevérité (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, s'exclame) : cet article ne peut fonder de sanction pénale. Le TGI de Paris a affirmé en 1995 que si le législateur avait la possibilité de définir le négationnisme du génocide arménien comme une infraction pénale, la juridiction judiciaire n'était pas en l'état en mesure de condamner ces actes négationnistes.

Loi mémorielle ? Pas celle-ci ! Il ne s'agit pas de qualifier des faits historiques. Elle vise seulement le négationnisme, qui participe consubstantiellement de l'état d'esprit génocidaire. Absence de faits ? Avez-vous oublié les dramatiques événements lyonnais de mars 2006 ?

La légalité des peines ? Depuis quand le législateur devrait-il se référer à des conventions internationales ou à des jugements revêtus de la force de la chose jugée ? S'agissant de la loi Gayssot, les jugements de Nuremberg n'ont pas été intégrés, que je sache, dans notre bloc de constitutionnalité ! Il existe d'ailleurs des décisions de justice revêtues de l'autorité de la chose jugée : en 1919, des cours martiales ont siégé ; la déclaration du 24 mai 1915, le traité de Sèvres, la résolution du Parlement européen de 1987 et celle de l'Assemblée du Conseil de l'Europe de 1998 ; ou encore la décision du juge fédéral argentin qui affirme que le gouvernement turc a commis un crime de génocide envers le peuple arménien.

La liberté d'expression ? La question a été réglée par la loi Gayssot. C'est la situation actuelle qui crée une rupture d'égalité, entre la négation du génocide juif et celle du génocide arménien. Y aurait-il une hiérarchie entre les génocides ? Et l'existence de sanction n'a nullement empêché les historiens de continuer leurs travaux sur le génocide juif.

Le Conseil de l'Union européenne a adopté en novembre 2008 une décision-cadre disposant que chaque État membre de l'Union devait prendre « les mesures nécessaires pour faire en sorte que (...) soient punissables l'apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre ». Cette décision-cadre nécessite un acte de transposition -encore à venir. En tout cas, il est clair qu'aux yeux du législateur européen, la pénalisation du négationnisme n'est pas une atteinte à la liberté d'expression. Les Suisses, de leur côté, se sont dotés d'une législation antinégationniste ; ils ont condamné un négationniste. Que dira la Cour de Strasbourg ? Je prie le président Badinter d'y être attentif !

Comment le juge constitutionnel français pourra-t-il concilier le principe de la dignité de la personne -considéré depuis le célèbre arrêt « Morsang-sur-Orge » comme d'ordre public- avec une éventuelle condamnation de ce texte ?

Ayez un peu de courage, mes chers collègues ! Ne passez pas à côté de l'Histoire ! Rejetez cette motion ! (Applaudissements au centre et sur certains bancs socialistes)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Aucun pays ne pénalise la négation ni la contestation du génocide arménien. Vous citez la décision d'une juge argentin ? Il est vrai que l'Argentine a toujours été un modèle... La loi Gayssot est liée, comme l'exige la décision-cadre, avec un phénomène actuel, ce qui était le cas de la recrudescence de l'antisémitisme.

La commission des lois, pour toutes ces raisons et celles qu'a énoncées le président Badinter, reste convaincue que l'exception d'irrecevabilité est justifiée. (Applaudissements sur de nombreux bancs à droite)

M. François Zocchetto.  - La position de la République est claire : la loi de 2001 reconnaît l'existence du génocide arménien. La question est de savoir comment s'opposer à ceux qui la nient.

Le droit n'est pas tout, il ne peut pas tout. Il faut d'abord et surtout expliquer et réexpliquer ce que fut l'Histoire. Il faut ensuite fermement poursuivre, sur le fondement des dispositions pénales existantes, tout acte ou affirmation niant le génocide arménien. Ce texte n'est pas le bon véhicule. Son inconstitutionnalité est certaine et le risque de retour en arrière n'est pas mince.

La quasi-totalité des membres du groupe de l'Union centriste voteront l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs de l'Union centriste)

M. Jacques Blanc.  - Je tiens d'abord à exprimer notre sympathie au président Hyest, dans les circonstances difficiles qu'il traverse.

La majorité de l'UMP votera l'exception d'irrecevabilité. La France a accueilli un grand nombre d'Arméniens qui nous font honneur et contribuent à notre enrichissement mutuel. Faut-il pour autant adopter cette proposition de loi ? Nous ne le pensons pas. Comme le président Accoyer, nous ne souhaitons pas de nouvelles lois mémorielles, sinon pour défendre des principes posés par l'article premier de la Constitution.

Pour qualifier des faits, nous ne pouvons nous en remettre qu'à la recherche historique. Elle seule peut nous approcher de la vérité. Sceller la vérité dans le marbre de la loi reviendrait à emmurer la recherche historique. Ce n'est pas à une majorité politique de fixer et d'imposer des vérités historiques non plus que scientifiques. Ceux qui l'ont fait ne respectaient guère les droits de l'Homme...

Seul le dialogue peut faire avancer. Notre débat, enrichi par les travaux de la commission des lois, nous conduit à voter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur la plupart des bancs UMP)

M. Guy Fischer.  - Je regrette la frilosité de certains de nos collègues. Nous sommes tous d'accord, cependant, pour rendre justice au peuple arménien.

En quoi condamner un génocide que tous reconnaissent serait entraver le travail des historiens ? Dès 1915, une déclaration commune franco-anglo-russe condamnait le génocide arménien et appelait à juger ses auteurs.

Notre débat transcende nos oppositions politiques. Sans doute faudrait-il nous montrer plus froids mais nous sommes nombreux à nous émouvoir de ce qu'ont vécu les aïeux de nos compatriotes. L'Histoire ne peut jamais s'abstraire de ce riche substrat que constitue la mémoire des groupes humains.

La loi Gayssot n'a pas empêché les historiens de poursuivre leur travail sur la Shoah.

Le peuple arménien de France s'est souvenu du génocide subi à la génération précédente, quand il s'est élevé contre le fascisme.

La plupart d'entre nous nous opposerons à cette motion d'irrecevabilité, que Robert Hue votera. (Applaudissements sur certains bancs du groupe CRC)

M. Gérard Collomb.  - Le groupe socialiste, vous l'avez vu, n'est pas unanime sur cette proposition de loi. Il y a dix ans, les sénateurs n'étaient pas aussi unanimes qu'aujourd'hui à reconnaître le génocide arménien...

Le négationnisme n'est pas une opinion, je le sais pour l'avoir vu et vécu ; dans ma ville, dans notre université, on a proféré les pires thèses, on a contesté l'existence des chambres à gaz au nom de la liberté de l'historien.

Les choses évoluent, ici et en Turquie. Je suis un ami du peuple turc, dont je souhaite l'entrée dans l'Union européenne. Mais je ne pense pas que l'amitié puisse se sceller en ignorant l'Histoire. Ceux qui mènent là-bas un combat pour la reconnaissance d'un triste passé mènent aussi un combat pour l'avenir. C'est lorsque le peuple allemand a reconnu les horreurs du nazisme que la réconciliation avec la France fut possible.

J'espère bien que, demain, plus personne, nulle part, ne niera le génocide arménien.

À la demande de la commission des lois, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 290
Nombre de suffrages exprimés 270
Majorité absolue des suffrages exprimés 136
Pour l'adoption 196
Contre 74

Le Sénat a adopté.

La séance est suspendue à 17 h 15.

*

* *

La séance reprend à 17 h 35.

Expulsions locatives

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux expulsions locatives et à la garantie d'un droit au logement effectif.

Discussion générale

Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi.  - Le comité de suivi du Dalo intimait, il y a quelques mois, l'ordre à l'État de ne pas rester hors-la-loi. De fait, le Conseil d'État qualifie le droit au logement opposable de droit fictif. La Fondation Abbé Pierre, suivie par l'Insee, estime à 3 millions le nombre de mal logés.

Car c'est bien plutôt la marchandisation du logement que ce Gouvernement met en place. Le nombre de logements sociaux se réduit comme peau de chagrin, tandis que la taxe sur les offices HLM va amputer leur capacité d'investissement. Comment respecter le Dalo si le nombre de logements construits reste insuffisant, en même temps que baisse le pouvoir d'achat ! Condamner les ménages à consacrer une parte croissante de leurs revenus à leur logement ? L'État, dans le même temps, se désengage de l'APL, dont la rétroactivité a été supprimée.

La pratique barbare des expulsions locatives, conséquence de cette situation difficile, a repris de plus belle. Des familles sans défense sont jetées à la rue. Il est urgent que cessent ces pratiques d'un autre âge, absurdité économique de surcroît puisque l'hébergement temporaire est souvent plus coûteux : 100 millions d'euros sont ainsi dépensés en nuitées d'hôtel en Île-de-France.

La Déclaration des droits de l'homme de 1946 reconnaît à toute personne le droit de disposer d'un logement décent. La convention de New York reconnaît ce même droit au logement.

Cette reconnaissance engage les États. La Cour de cassation, le 16 décembre 2008, a consacré l'effectivité directe de cet instrument dans notre droit. Depuis un arrêt de 1995 du Conseil constitutionnel, le droit au logement est reconnu comme un objectif à valeur constitutionnelle. Notre législation a consacré un droit au logement opposable. Pourtant, les expulsions sans relogement perdurent, voire progressent : de 48 % depuis 2008 ! La Défenseure des enfants n'a cessé de dénoncer le caractère traumatisant pour les enfants des expulsions effectuées avec le concours de la force publique. Il est temps de lever la contradiction entre droit au logement et expulsions sans relogement.

Les expulsions de locataires, y compris prioritaires, demeurent la règle, contrairement aux prescriptions internationales. Le comité de suivi du Dalo a adopté une motion pour l'interdiction de telles expulsions, ayant constaté que des personnes prioritaires ont été expulsées avec l'aide de la force publique, sans offre de relogement. C'est un déni de la loi.

Ce droit opposable, c'est le Conseil d'État qui le dit, risque d'apparaître fictif. Le comité de suivi demande que tout expulsable soit informé de ses droits, que l'usage de la force publique soit suspendu avant toute décision de la commission de médiation ; que l'indemnisation du propriétaire soit prévue en cas de non-usage de la force publique, comme cela est naturel.

Pour l'heure, l'État reste hors-la-loi. Les recours n'ont donné lieu qu'à un nombre très limité de relogements. 14 000 ménages sont prioritaires, alors que l'on sait qu'il reste très difficile de se faire reconnaître comme tel : si bien que l'écart entre demandeurs et relogés est plus important encore.

Le comité de suivi dénonce la confusion des critères dans la désignation des ménages prioritaires. Il faut, par exemple, ne pas s'en tenir à ceux qui font l'objet d'une demande de recours à la force publique !

À ces décisions, nous entendons opposer un véritable droit au logement, hors toute discrimination, en particulier à l'égard des étrangers réguliers. Et même si les sans-papiers ne sont pas concernés, ceux qui sont en difficulté n'en disposent pas moins d'un droit à l'hébergement -sauf à faire prospérer les marchands de sommeil.

Le non-respect par l'État de ses engagements constitue un trouble à l'ordre public, justifiant l'intervention de l'autorité municipale, qui doit pouvoir prendre des arrêtés anti-expulsion. Il est du devoir de toute personne investie d'une mission publique de veiller à la stricte application du principe du droit au logement.

Notre proposition de loi reprend les préconisations du comité de suivi. Il ne s'agit pas cependant de spolier les propriétaires...

M. Alain Gournac.  - Ah ! (Sourires)

Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi.  - ...puisqu'un droit à réparation est prévu au bénéfice des propriétaires. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Isabelle Pasquet, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - Objectif de valeur constitutionnelle, le droit au logement est loin d'être effectif. La crise économique, coupable idéal, n'est pourtant pas seule responsable de la détérioration de la situation, qui voit un nombre croissant de ménages menacés d'expulsion, tandis que le mal-logement ou le non-logement est en passe de devenir un fléau. J'espère que le débat riche et ouvert que nous avons eu en commission débouchera en séance sur des mesures concrètes.

Plus de 130 000 personnes restent sans domicile, autant résident à l'hôtel ou sont hébergées chez des particuliers. De nombreux enfants sont concernés. À cet hébergement contraint, chez des tiers, ont recours 43 % de personnes qui travaillent.

L'Insee évalue à 3,2 millions le nombre de personnes qui ne peuvent accéder à un logement satisfaisant. S'y ajoutent les gens du voyage, les squatteurs, ceux qui dorment dans leur véhicule, bien difficiles à recenser.

La Fondation Abbé Pierre confirme ce constat et relève que le nombre de demandes de logements HLM non satisfaites ne fait que croître.

Le rapport public du Conseil d'État propose des pistes de réflexion, estimant nécessaire que l'État dispose de statistiques de qualité et d'une expertise précise en matière de construction. Le rapport du Cese sur l'évaluation de la loi Dalo recommande de réorienter la politique du logement vers une offre accessible.

L'effort budgétaire est insuffisant, les choix financiers contestables. En loi de finances, le rapporteur pour avis a relevé l'érosion des moyens et l'insuffisante participation des employeurs. Malgré le rabotage des niches fiscales, les dispositifs de défiscalisation ont conduit à lancer des programmes sans utilité.

M. Guy Fischer.  - Voilà !

Mme Isabelle Pasquet, rapporteur.  - Il reste beaucoup à faire pour donner son effectivité au droit au logement. Ce texte, au dispositif resserré, entend donner une portée plus générale au Dalo et lutter contre la précarisation du logement.

Instituer un droit au logement opposable ne suffit pas à tout résoudre. Il y faut une volonté. Le législateur ne peut se satisfaire du bilan de la loi qu'il a votée. L'actuelle distinction entre nationaux et étrangers contredit au reste les engagements internationaux de la France. Quid des candidats au regroupement familial ? Le texte de 2009 ne règle rien.

Pour rendre le droit au logement plus effectif, il faut inciter à la collaboration de toutes les autorités concernées, lutter contre l'augmentation des loyers en un temps où les ménages à revenu modeste voient leur pouvoir d'achat toujours plus entamé. Quand un ménage ne peut plus faire face, il doit se voir proposer une solution adaptée.

Il doit être sursis aux expulsions de ces ménages avec le concours de la force publique tant qu'une solution ne leur a pas été proposée, sans léser cependant les propriétaires.

Tels sont les objectifs de cette proposition de loi, que je vous invite à adopter.

La commission des affaires sociales a décidé de ne pas proposer de texte, afin de laisser la discussion se dérouler sur le texte même de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement.  - La question des expulsions locatives est délicate : elle touche à des situations humaines qui ne manquent pas d'émouvoir. Face à cela, on peut être dans l'incantation, ou dans l'action. (Exclamations sur les bancs CRC) À votre proposition, axée sur le refus d'emploi de la force publique, le Gouvernement préfère la prévention.

M. Guy Fischer.  - On a vu ce que cela donne...

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - Si le locataire dispose des ressources pour payer, il n'est pas légitime de suspendre le recours à la force publique. Sur 100 000 jugements d'expulsion, 10 000 ont lieu avec le concours de la force publique. Il est difficile de disposer, sur cette base, de statistiques fiables quant à la bonne foi des locataires. Les préfets indiquent que le recours à la force publique est lié au trouble à l'ordre public ou à la mauvaise foi : j'ai demandé une enquête statistique pour le confirmer.

Et que deviennent les 90 000 familles expulsées sans le concours de la force publique ? J'ai demandé une étude de cohorte sur cette situation, aussi importante que la première.

Si la situation du locataire est temporaire, il existe des aides. Si elle est durable, le maintien dans les lieux n'est pas souhaitable. Mieux vaut chercher un relogement dans le parc social.

Privilégier ainsi le relogement, c'est privilégier la prévention. En demandant notamment au préfet d'accélérer le relogement des ménages prioritaires en danger. Je rappelle que dans 88 départements sur 100, le relogement est à quasi 100 %. Le problème concerne pour l'essentiel l'Île-de-France et la région Paca. Le droit au logement n'est pas fictif. Certes, il faut accentuer l'effort où le bât blesse, mais ne travestissez pas la réalité.

L'enjeu est aussi dans la reconquête du contingent préfectoral. Je l'ai engagé, en Île-de-France. De 80 relogements par mois en 2008, nous sommes passés à 500 en 2010. Les choses progressent.

Le vrai levier, ce n'est donc pas la suspension de l'usage de la force publique, mais la prévention. D'où les conventions Capex, dont je regrette que certains conseils généraux refusent de s'y engager. (Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi, proteste) Il faut agir en amont, dès le troisième mois d'impayé, pour prévenir les situations difficiles.

Je refuse d'opposer droit au logement, de valeur constitutionnelle, et droit de propriété, constitutionnel. Il faut trouver un équilibre entre les deux. Agir au détriment des propriétaires, ce serait susciter leur retrait, au détriment du droit au logement.

Interdire l'expulsion des locataires ayant déposé un recours Dalo ? Imaginez l'effet d'aubaine ! Il suffirait de déposer un recours juste avant la trêve hivernale pour être tranquille pour dix-huit mois. (Exclamations sur les bancs CRC)

Beaucoup nous ont reproché le PTZ+. Mais les tranches 9 et 10 que vous voulez supprimer ne sont pas des déciles de population. Vous les confondez avec les tranches de revenus que nous avons créées pour la prime : la tranche 9 commence à un niveau de ressources inférieur au plafond de revenus du logement social !

Ce Gouvernement est celui qui a battu tous les records de production de logements sociaux : après 120 000 en 2009, 131 000 en 2010 -c'est le record absolu depuis trente ans. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Alain Gournac.  - C'est la vérité !

M. Thierry Repentin.  - Avoir un toit est la première sécurité de la personne, celle qui subsiste quand tout le reste fait défaut. En 2009, la justice a prononcé 106 000 expulsions. Autant d'échecs ; expulser n'est pourtant pas une fatalité. Tout impayé ne se termine pas en expulsion. Sur les 4,3 millions de ménages en logement social, 250 000 ont des difficultés de paiement, et 3 500 seulement sont expulsés, avec le concours de la force publique.

La solution ? Prévention et accompagnement. Dès trois mois d'impayés, un travail de prévention est entamé. Les trois quarts des situations d'impayés sont ainsi résolues. Les propriétaires privés ont rarement les moyens humains de faire ce travail de prévention. Ils ne sont que 200 000 à faire appel à la GRC... Les assurances incitent les propriétaires à s'engager au plus tôt dans des procédures, on va vers des expulsions, tandis que la dette s'accumule. On voit ce qu'a de pervers le système assurantiel...

Le protocole d'accompagnement permet une suspension du bail, qui est ensuite rétabli dans les trois quarts des cas. J'appelle de mes voeux l'extension de telles procédures au parc privé.

Pourquoi autant d'expulsions dans les années 2000 ? Plus de 40 % sur la décennie, c'est considérable ! La corrélation est évidente avec l'inflation des prix immobiliers ; les loyers ont augmenté de 90 % de 2000 à 2009 ! Comment s'étonner que les impayés s'accroissent ainsi et touchent une part croissante de la population ?

S'il est de la responsabilité individuelle de payer son loyer, il est de celle de la nation d'assurer l'accès au logement.

Il faut pour cela agir sur les prix et accroître l'offre abordable. L'aide à la pierre ne sera bientôt plus suffisante que pour les Lilliputiens ! Enfin, il faudrait relever significativement les plafonds de l'aide au logement.

Le législateur aussi doit prendre ses responsabilités. On ne peut agir sur les expulsions sans agir concomitamment sur le niveau de vie de nos concitoyens et la part qu'ils peuvent consacrer à leur loyer. C'est peut-être le débat de 2012... (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Michel Baylet.  - Au législateur de rendre les utopies réalisables ! La Fondation Abbé Pierre estime que 3,6 millions de français n'ont pas de logement satisfaisant. Elle évalue à 600 000 le nombre de logements indignes et à 1 000 000 les victimes des marchands de sommeil.

Proclamé en 1982, consacré par la loi Besson de 1990 puis par la loi Dalo de 2007, le droit au logement n'est toujours pas vraiment appliqué, malgré l'espoir considérable alors soulevé. La mise en oeuvre de ce droit opposable est laborieuse ; trop peu de ménages concernés y font appel. Seulement 19 000 personnes ont pu être relogées dans ces conditions. L'État se met ainsi hors-la-loi.

Certes, la crise du logement s'est amplifiée. Les loyers n'ont cessé de grimper alors que les ressources diminuaient, même pour les classes moyennes.

Et l'accession à la propriété n'est plus imaginable. Que fera une femme seule avec enfant, employée en temps partiel subi ?

Il faut attendre les 500 000 logements nouveaux par an, alors qu'on n'en est qu'à 300 000. Et il y a plus de deux millions de logements vacants. (M. Benoist Apparu, secrétaire d'état, s'afflige)

Alors, quelle politique, avec quels moyens ? Nous soutenons l'initiative du groupe CRC-SPG. Ce sont 107 000 ménages qui sont menacés de se retrouver à la rue. La logique actuelle est trop largement répressive. Le ministre nous parle de prévention, en particulier en taxant les propriétaires qui louent de petites surfaces à un prix abusif.

Les radicaux de gauche ont à coeur une véritable politique du logement, à dimension humaine. Ils voteront cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Gournac.  - Le droit au logement est un des plus importants qui soit. Il conditionne l'accès à d'autres droits fondamentaux : droit à la vie familiale, à la santé, à l'éducation, au travail... Le logement est même une condition de la citoyenneté. Notre majorité a effectué une considérable avancée avec le Dalo. Cette proposition de loi traite de l'effectivité de celui-ci.

L'action du Gouvernement en la matière est remarquable tant pour le financement du logement social que pour la prévention des expulsions. Les chiffres parlent d'eux-mêmes ; on est passé de 40 000 logements sociaux par an, sous M. Jospin, à 110 000.

Notre ministre, dont je salue la détermination, s'est engagé à renforcer la prévention des expulsions. L'action doit être précoce. Désormais, les commissions de prévention doivent pouvoir être saisies dans chaque département.

Le développement de l'intermédiation locative permet le maintien dans les lieux. Cela a concerné 2 364 logements en 2010 ; le Gouvernement espère atteindre les 5 000 fin 2011. Un traitement social des locataires de bonne foi doit limiter les conséquences des impayés. En 2010, 50 000 ménages ont reçu un avis favorable d'une commission Dalo. En Île-de-France, 500 ménages Dalo sont relogés chaque mois, contre 278 en 2009 et 81 en 2008.

Quand tous les mécanismes de prévention ont été exécutés, on ne doit pas renoncer à recourir à la force publique qui n'a concerné que 11 % des ménages considérés.

Je salue le travail de notre rapporteur mais je pense que cette proposition de loi est une fausse bonne idée. Si le propriétaire ne peut récupérer son bien en cas d'impayé, il ne louera plus, ou exigera davantage de garanties. 

La proposition de loi ne ferait qu'aggraver les difficultés du secteur. C'est la raison pour laquelle notre groupe ne la votera pas. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Droit au logement et droit de propriété sont tous deux constitutionnels, mais vous faites bien plus pour les propriétaires que pour les mal logés. Et l'on est loin du mythe élyséen d'une France de propriétaires : notre pays compte 8 millions de pauvres, vivant avec moins de 849 euros pour une personne seule.

À Paris, le prix du logement ne cesse de monter : une augmentation largement supérieure à celle du pouvoir d'achat et à l'inflation ; c'est ce que l'Insee appelle un accroissement des inégalités par le haut, accroissement des inégalités renforcé bientôt par la suppression du l'ISF. Présidence du pouvoir d'achat ? Il n'en est rien, même si vous avez reconnu le droit au logement, avec la loi Dalo... que vous n'appliquez toujours pas ! Les dépenses liées au logement diminuent et sont débudgétisées. L'État va même jusqu'à puiser dans les ressources du 1 % logement. À Paris, l'État est passé de 650 millions depuis 2005 à 500 millions pour les années à venir. Cela s'appelle une baisse.

Vous avez parlé d'encadrer les loyers pour les petites surfaces mais n'avez rien fait. Vous poussez à la spéculation avec les dispositifs Robien, Scellier, Périssol. À Paris, les maires des 7e et 16e arrondissements usent de moyens scandaleux pour s'opposer à toute construction de logements sociaux !

Même si le ministre se gargarise de chiffres mirobolants, la crise du logement atteint son paroxysme. Votre gouvernement se refuse à la réquisition de logements vides, à laquelle 74 % des Français se déclarent favorables. À Paris, sur 119 000 personnes ayant fait une demande de logement social, 12 500 ménages « prioritaires » en attendent toujours l'attribution. Il faut donc une application immédiate de l'ordonnance de 1945. Il y a 130 000 logements vacants à Paris ! Les réquisitions devraient aussi toucher nos 4,5 millions de mètres carrés de bureaux qui sont vacants -en vertu des exigences des agences de notation pour le AAA.

Nos propositions ne s'arrêtent pas à cette proposition de loi, qui donne quand même un signe : on ne peut vivre sans un toit ! (Applaudissements sur les bancs CRC et certains bancs socialistes)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

Mme Mireille Schurch.  - Nos concitoyens font du logement, avec les retraites et l'éducation, un problème encore plus important que la sécurité. La peur de se retrouver SDF tenaille nombre de personnes, alors que jamais le coût du logement n'a été aussi élevé, au détriment non seulement des familles pauvres et modestes, mais même de familles moyennes. L'État oriente 70 % de ses investissements vers le secteur privé. Les APL ont diminué de 84 millions et ne sont plus rétroactives. Les expulsions locales continuent massivement.

En juin 2008, la France a été condamnée par le Conseil de l'Europe pour le manque de logements abordables et pour discrimination au détriment des immigrés et des gens du voyage.

Le Conseil d'État s'interroge en 2009 sur la manière de loger tous les habitants et d'honorer le Dalo. C'est dans cette perspective que nous avons rédigé cet article premier. Le Dalo est universel ; il transcende le statut des individus. C'est pourquoi le clivage en fonction de la nationalité ou de l'origine est inacceptable. Il ne peut y avoir de catégories orphelines de la protection accordée par les textes !

Nous souhaitons ainsi assurer la légalité des arrêtés anti-expulsions pris par certains maires, pour rechercher des solutions pérennes de relogement dans des conditions décentes.

L'article premier n'est pas adopté.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Demontès et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Rédiger ainsi cet article :

Nonobstant toute décision d'expulsion passée en force de chose jugée et malgré l'expiration des délais accordés en vertu des articles L. 613-1 et L. 613-2 du code de la construction et de l'habitation, à titre transitoire jusqu'au 16 mars 2012, aucune expulsion ne pourra être exécutée à l'encontre des personnes reconnues prioritaires par la commission de médiation conformément à l'article L. 441-2-3 du même code, et tant qu'aucune offre de logement ou d'hébergement respectant l'unité et les besoins de la famille ne leur aura été proposée par ladite commission.

M. Thierry Repentin.  - Nous proposons à nos collègues communistes un dispositif plus souple et aussi plus solide juridiquement. En octobre 2009, le rapporteur Braye s'était dit « sensible » au problème et chacun connaît la « sensibilité » de M. Braye. (Sourires)

Comment généraliser l'intermédiation locative si le Gouvernement n'agit pas en ce sens et si les propriétaires privés sont réticents ?

Mme Isabelle Pasquet, rapporteur.  - Cet amendement ne produirait ses effets que jusque fin octobre 2011, puisqu'il ne peut y avoir d'expulsions pendant la trêve hivernale. La commission a donné un avis défavorable ; à titre personnel, je ne voterai pas cet amendement qui reste très en deçà de la proposition de loi.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - Avis défavorable, mais pour d'autres raisons... (Sourires)

À mon sens, cet amendement va trop loin : il enverrait un signal très négatif.

Faut-il souligner que vous proposez, en somme, de suspendre les expulsions pour ne les reprendre qu'à la veille des présidentielles ? Ce doit être un hasard : je n'y vois aucune malice. (Nouveaux sourires)

Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi.  - L'État a obligation de faire en sorte que personne ne soit privé de son droit au logement. Notre article 2 va dans ce sens.

Est-ce inconstitutionnel ? Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur le principe de séparation des pouvoirs, qui veut que l'on ne puisse suspendre une décision judiciaire à une action administrative.

J'ajoute que le moratoire que vous proposez, programmé jusqu'en 2012, aurait peu d'effet, d'autant que le temps de la navette retarderait la date de sa mise en oeuvre.

La solution reste la construction de nombreux logements sociaux. Faut-il rappeler que le taux de surendettement a progressé de 17 % en deux mois cet hiver ? Enfin, cet amendement ne concernerait qu'une trop faible partie des personnes concernées par des expulsions. Malgré les bonnes intentions de nos collègues socialistes, nous nous abstiendrons.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

Mme Évelyne Didier.  - La question des expulsions locatives pose un sérieux problème dès lors qu'a été adoptée la loi Dalo. Ce droit au logement opposable n'est qu'un moyen de lutte contre l'exclusion sociale ; il ne peut tout résoudre.

Certaines régions de notre pays connaissent depuis longtemps de fortes tensions sur le logement, aggravées par la hausse considérable des prix immobiliers. Des choix locaux, à Marseille par exemple, ont pu concourir à cette tension, traditionnelle en Île-de-France et sur la côte méditerranéenne.

L'inscription au fichier Dalo devrait suffire pour justifier un non-recours à des décisions de justice.

À la demande du groupe CRC-SPG, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 316
Majorité absolue des suffrages exprimés 159
Pour l'adoption 131
Contre 185

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 4 n'est pas adopté.En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue à 19 h 30.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 h 35.

Conférence des présidents

M. le président donne lecture des conclusions de la Conférence des présidents.

L'ordre du jour est ainsi réglé.

Question prioritaire de constitutionnalité

M. le président.  - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 4 mai 2011, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité, dont le texte est disponible au bureau de la distribution.

Saisine du conseil constitutionnel

M. le président.  - Le président du Conseil Constitutionnel a été saisi d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution par plus de 60 députés de la loi relative à l'organisation du championnat d'Europe de football de l'UEFA en 2016.

Avis sur des nominations

M. le président.  - En application de la loi organique du 23 juillet 2010 et de la loi du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, la commission de l'économie a émis un vote favorable, par 23 voix pour et aucune contre, à la nomination de M. Jean-François Dhainaut à la présidence du Haut conseil des biotechnologies ; et celle de la culture, par 9 voix pour et 3 votes blancs, à la nomination de M. Didier Houssin à la présidence du Conseil de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Habitat indigne outre-mer

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer.

Discussion générale

Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer.  - Je suis heureuse de représenter le Gouvernement pour la discussion de ce texte, adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 26 janvier dernier et inspiré par les travaux du député Serge Letchimy. L'objectif de la proposition de loi est de relancer le logement social outre-mer et de reconstituer un tissu urbain dégradé.

Outre-mer, la politique du logement repose sur l'accroissement de l'offre de logements sociaux et une intervention forte sur l'habitat privé informel ou dégradé. Cette proposition de loi complète la Lodeom, votée il y a deux ans. Pour développer l'offre nouvelle de logements, le Gouvernement dispose de deux leviers : la défiscalisation et la LBU. Ainsi, plus de 7 000 logements ont été réalisés en 2010 grâce à la défiscalisation, les crédits de la LBU ayant été préservés en 2011 à hauteur de 275 millions d'euros.

M. Daniel Raoul.  - Mais non consommés !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - L'article 169 de la loi de finances pour 2011 permet en outre à l'État de céder gratuitement des terrains destinés à accueillir des programmes de logements sociaux ou des équipements publics.

M. Thierry Repentin.  - Combien d'opérations ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - L'État pourra intervenir seul en cas de surcharge foncière.

Pour améliorer l'habitat existant, le Gouvernement soutient les actions de renouvellement urbain ; treize conventions ont été signées à ce titre dans les cinq départements d'outre-mer. Au total, ce sont 1,8 milliard d'euros de travaux qui bénéficieront à l'économie ultramarine ; 5 000 logements sociaux seront réalisés. Pour le logement privé, j'ai signé en 2009 et 2010 deux conventions d'appui, l'une avec le réseau Habitat et Développement, l'autre avec le club des Pact Dom.

Le Gouvernement souhaite donner un nouveau souffle à la lutte contre l'habitat informel. C'est pourquoi les champs d'investigation n'ont pas été limités aux aspects techniques. Je souligne la qualité du rapport remis par M. Serge Letchimy.

Des mesures d'application immédiate ont été prises : pôles départementaux de lutte contre l'habitat insalubre, soutien aux plans communaux de lutte contre l'habitat indigne, formation des agents de l'État. Aujourd'hui, nous engageons une nouvelle étape avec cette proposition de loi. L'habitat informel est dans les départements d'outre-mer et à Saint-Martin une réalité visible, qui concerne une construction sur deux ; des dizaines de constructions informelles sont érigées quotidiennement, avec des risques pour la santé et la sécurité publiques. L'ampleur du phénomène et sa forte croissance exigent des dispositions spécifiques. La situation est particulièrement inquiétante à Mayotte, où l'on voit se multiplier les bidonvilles. Autour de ces constructions, qui sont souvent le seul patrimoine de leurs occupants, des activités commerciales ou artisanales se sont développées.

Je salue les avancées inscrites dans le texte voté par l'Assemblée nationale, notamment l'attribution d'une aide financière aux occupants de constructions informelles devant être expropriés dans le cadre d'opérations d'aménagement. Il y a là une incitation à la transition vers une situation normalisée. Le versement de l'aide est soumis à des conditions strictes -notamment l'occupation paisible et de bonne foi pendant dix ans. Votre commission a limité la portée de la disposition à l'outre-mer, exclu explicitement les marchands de sommeil et pris en considération le cas de bailleurs de bonne foi.

La deuxième avancée du texte tient à la flexibilité des conditions d'intervention du préfet ou du maire. La définition du périmètre d'insalubrité a été adaptée, afin de tenir compte de la possible hétérogénéité des quartiers -ce qui suppose un travail préalable de repérage.

De même, l'article 16 facilite l'action des maires en cas d'abandon manifeste de parcelles ou d'immeubles ; c'est important au regard de la rareté du foncier disponible.

Je resterai attentive au recours au Fonds de prévention des risques naturels majeurs pour financer l'aide financière.

Merci encore à la commission de l'économie et à son rapporteur. Le Gouvernement soutient ce texte très attendu. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Georges Patient, rapporteur de la commission de l'économie.  - Ce texte, le premier consacré aux DOM depuis la Lodeom, est très important pour l'outre-mer.

Le diagnostic sur la grave crise du logement outre-mer est largement partagé : tout comme l'Île-de-France, les DOM méritent une attention particulière vu l'ampleur des besoins non satisfaits. Notre ancien collègue M. Torre avait jugé que les conditions de logement dans certaines zones étaient indignes de la République.

Près de 10 % de la population des DOM attend l'attribution d'un logement social ; on a construit 6 000 logements locatifs sociaux en 2009, alors qu'il en faudrait 45 000 par an... La situation est particulièrement alarmante en Guyane, où 13 000 demandes sont en attente -le parc social n'y est que de 13 000. Qui plus est, le logement insalubre représente plus du quart du parc immobilier ultramarin. En Guyane, 20 % des logements n'ont pas l'eau potable et 63 % ne sont pas raccordés à l'égout...

Troisième constat : le logement informel est un phénomène massif, qui concerne par exemple la moitié des constructions nouvelles en Guyane.

M. Letchimy, député chargé d'une mission par le Gouvernement, a estimé que plus de 150 000 habitants des DOM vivaient dans des logements insalubres, généralement informels. Son rapport, remis en septembre 2009, a largement inspiré cette proposition de loi, car il était indispensable de prendre en compte les spécificités des DOM -occupation ancienne, bonne foi des « propriétaires » qui souvent paient leurs impôts locaux. Ainsi, les outils de police administrative en matière d'insalubrité sont inadaptés au cas de logements illégaux.

J'en viens à la proposition de loi.

Initialement, la section 1, articles premier à 6 bis, étaient applicables à la métropole comme à l'outre-mer. Ces dispositions permettent le versement d'une aide aux occupants sans droit ni titre de logements détruits dans le cadre d'une opération d'aménagement ; ce versement est très encadré ; les marchands de sommeil sont exclus de son bénéfice. Le relogement des occupants doit être assuré par la puissance publique.

La section 2, soit les articles 7 à 15, n'est applicable que dans les DOM et à Saint-Martin. Il s'agit notamment d'introduire la notion d'habitat informel dans la définition de l'habitat indigne donnée par la loi Besson de 1990, d'adapter à l'habitat informel les dispositifs existant en matière de police de l'insalubrité ou encore de permettre la création de GIP outre-mer pour conduire les actions nécessaires au traitement des quartiers d'habitat dégradé.

L'article unique de la section 3, applicable dans les DOM et en métropole, vise à simplifier et accélérer les procédures en cas d'abandon manifeste de parcelles ou d'immeubles.

Ce texte constitue une avancée importante pour l'outre-mer. Mais ses dispositions dérogatoires peuvent surprendre ou choquer. Pourquoi indemniser les occupants sans droit ni titre ? Pour adapter le droit à une situation de fait qui perdure parfois depuis plusieurs décennies. Indemniser les bailleurs sans titre peut gêner, mais dans certains quartiers informels la moitié des habitants sont locataires -mais les marchands de sommeil sont exclus de cette aide.

Pour être pleinement efficace, la proposition de loi aura besoin de finances locales assainies outre-mer. En effet, les opérations de résorption de l'habitat insalubre (RHI) sont quasiment bloquées malgré la subvention de 80 % versée par l'État, les communes ne pouvant apporter leur contribution. Je note que le texte est davantage formaté pour les Antilles que pour mon département, qui connaît d'importants flux migratoires illégaux. J'ajoute que la pénurie foncière rendra difficile le relogement des occupants dont les logements auront été détruits. Ce texte est une des pièces d'un puzzle : il en manque encore d'autres.

La commission a adopté une quarantaine d'amendements ; les modifications principales concernent la limitation du champ d'application de la section 1, la clarification et l'encadrement des conditions de versement de l'aide financière et le renforcement de l'obligation de relogement.

J'espère que nos débats permettront l'adoption unanime d'un texte important pour tout le pays. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Serge Larcher, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.  - La crise du logement est particulièrement aiguë outre-mer. À quoi s'ajoutent l'état des finances locales et les risques naturels qui renchérissent le coût de la construction, alors même que le foncier disponible est rare et cher. L'indivision est en outre chez nous un mal endémique. Pour des raisons historiques, la zone des 50 pas géométriques est mitée de façon diffuse... et illégale.

Où en est la création du GIP chargé de travailler sur l'indivision, qui avait été décidée il y a deux ans ? Quelle est la position de l'État sur les établissements publics fonciers outre-mer ? La loi de finances pour 2011 autorise l'État à céder gratuitement des terrains destinés à la construction de logements sociaux ; où en est-on ?

Cette proposition de loi apporte des solutions pragmatiques à la réalité de nos territoires. Progressivement, les zones spécialisées dans la production de sucre ont cessé leur activité ; leur population a massivement rejoint les villes. Des terrains périphériques ont alors été occupés, où se sont construites des habitations précaires progressivement « durcifiées », comme le dit Serge Letchimy. Hier bidonvilles, ces quartiers sont aujourd'hui partie intégrante de la ville -Texaco ou Trénelle-Citron à Fort-de-France, Carénage à Pointe-à-Pitre. Les communes de petite taille sont aussi concernées. Les populations y ont souvent loué de bonne foi des logements dont le propriétaire ne possédait pas le foncier...

Le logement insalubre représente 8 % du parc en métropole, plus du quart outre-mer. C'est pourquoi la proposition de loi met au premier plan la lutte contre le phénomène.

L'article 73 de la Constitution permet d'adapter la législation à la situation spécifique de l'outre-mer. On n'en utilise pas toutes les potentialités. En l'occurrence, le droit commun ne parvient pas à s'appliquer dans les DOM et n'est pas adapté aux situations locales ; les bidonvilles n'ont pas disparu, ils se développent même en Guyane et à Mayotte.

La commission des affaires sociales est à l'unanimité favorable à l'adoption du texte. J'espère qu'il en ira de même pour le Sénat. (Applaudissements)

M. Pierre Jarlier.  - Dans son rapport Carton rouge au logement, la Fondation Abbé Pierre a souligné la gravité de la situation du mal-logement, surtout en Île-de-France et outre-mer. Huit millions de personnes seraient en France en situation de mal-logement.

Ce constat est à lui seul intolérable. En Île-de-France aussi -et je regrette que le champ d'application de la section 1 du texte ait été réduit.

Avant même d'en combattre les causes, il faut se donner les moyens d'en supprimer les effets. Près de 10 % de la population ultramarine est en attente d'un logement social et le tiers ne dispose que d'un logement précaire. Cette proposition de loi donnera aux collectivités une base juridique solide pour mener leurs opérations d'aménagement là où existe un habitat informel. La propriété du sol ne se confond pas toujours outre-mer avec celle de l'habitat ; cette spécificité doit être reconnue. Les dispositifs nationaux n'y sont pas adaptés. Le texte permet d'adapter la législation aux réalités locales.

Nous sous réjouissons de ce texte clair, dont sont exclus les marchands de sommeil. Ce sont les valeurs de notre démocratie, la dignité de la personne qui sont en jeu ici. L'Union centriste votera cette avancée sociale significative, tout en relevant qu'il faudra aussi s'attaquer aux causes du phénomène, immigration, précarité, mauvaise situation financière des collectivités territoriales. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Gélita Hoarau.  - (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC-SPG) Malgré les opérations de RHI menées depuis les années 80, il reste 16 000 logements insalubres à la Réunion, soit 6 % du parc.

Cette proposition de loi, qui vise à faire sortir l'habitat insalubre du non-droit, dote les opérations RHI d'un cadre réglementaire qui répond à la réalité d'outre-mer. Grâce à elle, des milliers de familles pourront bénéficier des plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées. C'est un pas vers l'égalité métropole-outre-mer.

L'habitat indigne n'est pas sans danger, en particulier pour les enfants. Nous sommes donc impatients de voir paraître les décrets d'application. Mais le problème perdurera aussi longtemps qu'on ne se sera pas attaqué aux caractéristiques propres au foncier et à la question de l'absence de titres de propriété. À la Réunion, plus de 80 % de logements indignes concernent les terrains privés. Il importe aussi de construire des logements sociaux en nombre suffisant. À la Réunion, 70 % des nouveaux ménages en relèvent chaque année. La demande ne devrait pas infléchir en raison de la paupérisation de la société réunionnaise.

Certaines collectivités locales agissent. Le conseil général a fait du logement des personnes en difficulté une de ses priorités et apporte sa garantie, à hauteur de plus de 4 millions d'euros, aux emprunts contractés par les bailleurs sociaux auprès de la CDC pour financer des logements sociaux. La commune de Saint-Paul a décidé de mieux prendre en compte les critères de la loi SRU dans son programme de construction de logements sociaux. Tous les acteurs du secteur attendent des moyens à la hauteur de la pénurie constatée.

Nous approuvons les attendus de ce texte. Nous espérons qu'il inaugure une nouvelle politique du logement et d'urbanisation outre-mer. (Applaudissements)

M. Soibahadine Ibrahim Ramadani.  - Cette proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en janvier dernier, traite de trois questions : le droit au logement, l'habitat indigne et l'équité. En 2008, 166 000 personnes étaient en attente de logement social dans les quatre DOM. Les 16 000 logements neufs construits en 2009 ne représentaient pas le tiers du nécessaire. Et plus de 50 000 logements sont considérés comme insalubres ou indignes.

La proposition de loi rend possible une aide financière aux occupants sans titre dans le cadre d'opérations d'aménagement nécessitant la destruction des habitations. Elle donne pouvoir au préfet en matière de police de l'insalubrité. Elle crée un GIP pour la conduite d'opérations dans les quartiers d'habitat dégradé. Elle prévoit des dispositions qui visent à simplifier et accélérer les procédures en cas d'abandon manifeste de parcelles ou d'immeubles.

À Mayotte, le parc de logements a progressé de 20 % de 2002 à 2007, sans couvrir les besoins, du fait de l'augmentation rapide de la population, avec l'immigration clandestine. D'ici 2017, il faudrait construire 33 000 logements dont 500 nouveaux logements sociaux par an. On en est loin. Un des facteurs bloquants tient à la problématique du foncier, rare, cher et insuffisamment sécurisé. L'habitat précaire se développe dans des périphéries, loin de tout équipement. Plus de 42 % des résidences principales sont des logements précaires, contre 10 % en Martinique et 30 % en Guadeloupe.

Le rapport Letchimy souligne que les politiques de RHI sont peu adaptées aux conditions ultramarines. Des quartiers plus nombreux devraient être classés en ZUS. L'habitat informel concerne surtout la Guyane et Mayotte, du fait de l'ampleur de l'immigration clandestine. Or, cette proposition de loi n'exclut pas les étrangers irréguliers de son aide, ce qui peut constituer un puissant appel d'air, alors que l'État prétend lutter contre l'immigration clandestine.

Je souligne le bon travail de diagnostic fait par le rapport Letchimy et par celui du sénateur Patient. J'avais déposé un amendement rendant applicable à Mayotte la loi de 1996 sur les 50 pas géométriques. On m'a opposé l'article 40, mais le problème demeure. Les habitants de ces villages sont des personnes modestes, au chômage souvent. Mon amendement laissait un temps raisonnable pour une mission d'évaluation. (Applaudissements)

M. Yvon Collin.  - Depuis plusieurs années, l'accès au logement est devenu la principale préoccupation de nos concitoyens. Les conséquences de la pression sont considérables : effets inflationnistes sur le foncier, marchands de sommeil. Au total, 200 000 familles vivent dans des conditions d'insalubrité, dans des bâtiments construits sans droit ni titre -mais tolérés depuis longtemps par l'administration, sans doute parce que des impôts sont payés dessus...

Le Dalo n'est qu'un droit virtuel, outre-mer. Nous nous réjouissons donc de cette proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par notre collègue Letchimy, grâce à laquelle on va peut-être enfin combattre ce mauvais logement. En excluant la métropole, ne va-t-on pas faire tomber sous l'inconstitutionnalité ce beau texte consensuel ?

Le Gouvernement a certes pris des initiatives pour aider les communes en difficulté. Cela suffira-t-il ? Le logement social et l'habitat informel sont difficilement dissociables : ils fonctionnent en vases communicants. Il faudra répondre aux besoins spécifiques de chaque occupant sans droit ni titre.

La Lodeom a modifié la défiscalisation pour l'outre-mer au détriment de la dynamique du secteur du bâtiment. Il semble y avoir ambiguïté sur la question du cumul entre défiscalisation et LBU, laquelle doit rester le socle du financement. Enfin les procédures devraient être fluidifiées.

L'outre-mer mérite une politique ambitieuse, qui réponde aux besoins découlant de l'habitat indigne. Je ne doute pas que la commission d'évaluation de l'action de l'État outre-mer examinera de près la situation.

Cette proposition de loi est un bon texte, concret, que tout le RDSE votera, en appelant le Gouvernement à poursuivre une ambitieuse politique du logement. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Thierry Repentin.  - Cette proposition de loi tend à favoriser le relogement des occupants sans droit ni titre. Elle va légaliser ainsi des pratiques existant déjà dans certaines collectivités territoriales ultramarines. Les élus pourront recourir ou non aux outils proposés. L'action publique est, partout, d'autant plus pertinente qu'elle est adaptée aux situations locales.

L'outre-mer a des spécificités, dont le législateur peut tenir compte, comme il a su le faire pour la montagne ou les zones rurales en revitalisation. Les amendements adoptés par la commission sont satisfaisants ; ceux de M. Collin nous paraissent aussi fort intéressants : si bien conçues soient-elles, certaines lois sont inappliquées faute de moyens adaptés.

Quid toutefois de l'impact de ce texte sur les finances locales ? Les communes ont déjà beaucoup de mal à financer la rénovation urbaine. La chambre régionale des comptes s'inquiète d'un possible sinistre budgétaire. Et la LBU est déjà très amputée. En Martinique, il manque 8 000 logements sociaux, alors que la capacité de construction n'est que de 400.

Le groupe socialiste ne peut accepter un amendement travestissant l'esprit de l'article 55 de la loi SRU. Les logements sociaux dans les DOM sont déjà plus chers qu'en métropole. Réduire la construction de tels logements serait obérer encore plus le pouvoir d'achat des ménages. Très peu de communes ne respectent pas l'article 55 ; le plus simple serait qu'elles s'y conforment.

Gare aux spéculations immobilières ! Les organismes de logements sociaux sont prêts à construire plus.

Si nous nous en tenons aux seuls amendements adoptés par la commission, le groupe socialiste votera ce texte, sur lequel je souhaite l'unanimité. (Applaudissements)

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Il y a très peu de points communs entre la politique du logement social en métropole et outre-mer. C'est un contresens politique que de comparer ce qui n'est pas comparable.

L'APL existe en métropole, pas outre-mer. Ici, c'est l'aide à la personne qui est principale ; en outre-mer, c'est l'aide à la pierre. Vouloir faire un parallèle entre la construction de logements sociaux outre-mer et en métropole n'a aucun sens. Depuis 1976, tous les gouvernements ont programmé le financement du logement social avec l'aide à la pierre de la LBU.

Pendant de nombreuses années, parce que nous avions un foncier disponible et que toute la population rêvait d'une petite maison en accession à la propriété, la loi a créé le logement évolutif social. Lorsque vous nous avez refusé l'APL, qui aurait représenté plusieurs centaines de millions de plus, cela arrangeait bien le Gouvernement ! Enlevez vos oeillères ! Regardez la réalité que nous avons créée ensemble : est un logement social outre-mer essentiellement un logement en accession à la propriété.

Ensuite il a fallu passer au bâti vertical, en raison de la raréfaction du foncier.

À l'époque de la loi SRU, on a parlé des locatifs sociaux comme si ceux qui étaient en accession à la propriété étaient des privilégiés. C'était les plus pauvres ! Et dans ces quartiers défavorisés, la délinquance n'existe pas. C'est la plus belle réussite sociale outre-mer. Si l'on avait eu du terrain, on n'aurait fait que du logement évolutif social.

Que les communes qui mettent la main à la poche, avec des budgets serrés, ne soient pas sanctionnées parce que le législateur n'a pas regardé la réalité. Regarder de la même manière des situations différentes : voilà la pire injustice ! C'est pourquoi je propose à nouveau cet amendement sur l'article 55. Je suis d'accord pour monter de 20 à 25 %. Comme la première secrétaire du PS de la Réunion ! On ne peut pas regarder l'avenir en sanctionnant les communes. Une injustice serait intolérable. Pour certaines communes, comme Tampon, l'amende peut atteindre 400 000 euros !

Je vais voter cette proposition de loi, sans me faire beaucoup d'illusions. Les terrains qu'on veut libérer ainsi sont occupés de façon séculaire par ce type d'habitat. Il est faux qu'on ait réduit la loi Girardin en l'intégrant dans la Lodeom : on a réorienté les flux vers les logements sociaux. Le levier fonctionne très bien : on atteindra 5 000 logements sociaux par an à la Réunion. Cela fonctionne si bien que le Gouvernement a eu le courage de sanctuariser cette défiscalisation.

Cette loi n'est pas l'alpha et l'oméga du logement social, qui a besoin de beaucoup de leviers ; mon amendement en est un.

M. Jacques Gillot.  - Cette proposition de loi traite une problématique particulièrement forte sur nos territoires. À la Guadeloupe, le logement insalubre concerne 16 000 logements, sachant que 80 % de la population relève du logement social. L'insalubrité porte atteinte à la dignité humaine. Le conseil général de la Guadeloupe a fait preuve d'un volontarisme solidaire Cette proposition de loi permet de définir des priorités à l'intérieur des périmètres de RHI. Elle apporte une aide juridique pour résoudre le problème posé par l'expropriation d'occupants sans titre. Il faudra donc que les décrets d'application prennent en compte toutes les caractéristiques concrètes des situations à traiter. Ce bon texte nous convainc. (Applaudissements)

M. Jean-Étienne Antoinette.  - Il est rare que des mesures potentiellement de portée nationale soient prises sur la base de situations propres à l'outre-mer. Indemniser des occupants sans titre est en soi une petite révolution, une revanche sur l'histoire ! Elle paraîtra bien tardive aux expropriés de Kourou ou aux villages d'Amérindiens. Ce texte ouvre peut-être une voie pour la reconnaissance d'un lien entre l'habitat et les formes de société d'outre-mer.

J'aurais aimé poser la question des Français sans papiers sur les rives du Maroni et de l'Oyapock, des familles ancestrales historiquement inexpulsables et administrativement irrégularisables... Maire de Kourou, j'ai dû financer des relogements en urgence.

Oui, ce texte a une portée nationale. Il a aussi de nombreuses limites : son applicabilité en Guyane est douteuse, avec 10 000 logements insalubres ou illicites, en progression de 10 % par an dont la prolifération est alimentée par l'immigration clandestine, mais pas seulement. À chaque expulsion, les familles non relogées vont reconstruire autre chose ailleurs.

Sans une politique déterminée, l'habitat insalubre a encore de beaux jours devant lui !

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Bravo !

M. Jean-Étienne Antoinette.  - Mais ne boudons pas notre plaisir, face à un texte qui apporte de nouvelles solutions utiles pour tout le territoire. Le fait est suffisamment rare pour être salué. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté, de même que l'article 2 et l'article 3.

L'article 3 bis demeure supprimé.

L'article 4 est adopté, de même que l'article 5.

Article 6

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par M. Patient, au nom de la commission.

Alinéa 1

Remplacer les mots :

d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé délimitée en application des 1° ou 2° du II de l'article L. 562-1 du code de l'environnement

par les mots :

exposée à un risque naturel prévisible menaçant gravement des vies humaines

M. Georges Patient, rapporteur.  - Il s'agit d'encadrer davantage les zones potentiellement concernées par ce dispositif.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - Je comprends la limitation de cette section à l'outre-mer. Sagesse.

L'amendement n°9 est adopté, de même que l'article 6, modifié.

Article 6 bis

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Antoinette.

I. - Supprimer cet article.

II. - En conséquence, intitulé de la section 1

Supprimer les mots :

situés dans les départements et les régions d'outre-mer et à Saint-Martin

M. Jean-Étienne Antoinette.  - Les mesures de la section 1, prévoyant sous certaines conditions l'indemnisation et le relogement des occupants sans titre de locaux ou de terrain dans le cadre d'une opération d'aménagement ou d'une RHI révèlent un intérêt national. Le principe d'identité législative exige que ces mesures d'aide sociale soient appliquées à l'ensemble du territoire national.

La différence entre la situation outre-mer et en métropole n'est pas de nature ; elle n'est que de degré. Que les personnes dans des situations comparables aient droit aux mêmes aides ! C'est un principe d'égalité des citoyens.

J'ajoute qu'en introduisant une faculté, le législateur ne prendrait guère de risques, tout en combattant les situations indignes, où qu'elles existent.

M. Georges Patient, rapporteur.  - À mon invitation, la commission, unanime, a restreint ce texte aux collectivités relevant de l'article 73. Défavorable donc à l'amendement.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - Sagesse.

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

L'article 6 bis est adopté.

L'article 7 est adopté.

Article 8

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Braye.

Alinéa 12

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Elle n'est pas, non plus, requise lorsque le propriétaire du terrain a donné son accord à la démolition des locaux en cause.

M. Dominique Braye.  - La saisine du juge des référés par le préfet pour être autorisé à démolir des locaux insalubres dont il a prescrit la démolition à la personne qui les a édifiés sans droit ni titre sur le terrain d'autrui est justifiée par le respect du droit de propriété du propriétaire du terrain, que celui-ci soit public ou privé.

Elle est inutile lorsque le propriétaire est inconnu, ou si le propriétaire, identifié, a donné son accord.

L'amendement n°4, accepté par la commission et le Gouvernement est adopté, de même que l'article 8 modifié.

Article 9

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par M. Patient, au nom de la commission.

Alinéa 4, deuxième phrase

Remplacer le mot :

affiche

par le mot :

affichage

L'amendement rédactionnel n°8, accepté par le Gouvernement, est adopté, de même que l'article 9 modifié.

Article 10

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Braye.

Alinéa 14

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Elle n'est pas, non plus, requise lorsque le propriétaire du terrain a donné son accord à la démolition des locaux en cause.

L'amendement de coordination n°5, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté, de même que l'article 10 modifié, ainsi que les articles 11 et 12.

Article 13

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par M. Patient, au nom de la commission.

Supprimer cet article.

L'amendement n°7, accepté par le Gouvernement, est adopté, de même que l'article 13 modifié, ainsi que les articles 14, 15 et 16.

Articles additionnels

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Virapoullé.

I. - Après l'article 16, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le 4° de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« 5° Dans les départements d'outre-mer, l'ensemble des logements sociaux subventionnés par une aide publique aux bailleurs ou aux personnes accédant à la propriété et soumise à des conditions de ressources. »

II. - Les pertes de recettes résultant du I ci-dessus pour les fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain prévus à l'article L. 340-2 du code de l'urbanisme sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Je l'ai défendu lors de la discussion générale.

M. Georges Patient, rapporteur.  - Je suis défavorable à une disposition sans rapport avec le texte. Il est en outre inopportun de toucher à l'article 55 de la loi SRU.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - Il n'y a pas en métropole d'équivalent au logement évolutif social ultramarin subventionné à 40 %. Certes, ce logement n'est pas inclus dans les 20 % de l'article 55 de la loi SRU, mais pénaliser les dix-neuf communes concernées à la Réunion et les 21 de la Martinique serait injuste et contre-productif, puisque les logements évolutifs sociaux correspondent à un mode de vie. Sagesse.

M. Thierry Repentin.  - Nous voterons contre ce cavalier, qui pourrait faire subir à ce texte les foudres du Conseil constitutionnel. Sur le fond, l'accession sociale à la propriété est subventionnée en métropole. Attention à ne pas ouvrir la boîte de Pandore.

Parmi toutes les communes de la Réunion, dix-neuf sont concernées par l'article 55 de la loi SRU, mais dix seulement sont pénalisées. Aucune n'a fait l'objet d'un constat de carence. Le maire du Tampon, jadis, avait annoncé qu'il était près à payer une amende. Ne cassons pas la dynamique permettant de rattraper le retard en matière de logement locatif social ! Celui-ci est particulièrement utile dans des régions où le niveau de vie est bas.

La solution consiste à construire plus. Si cet amendement était adopté, cette proposition de loi serait soumise au Conseil constitutionnel, qui constaterait ce cavalier et le sanctionnerait. Je souhaite que cette proposition de loi soit adoptée à l'unanimité.

M. Dominique Braye.  - Je reconnais la qualité de l'argumentation présentée par M. Virapoullé, qui défend ses électeurs. En son temps, Mme Michaux-Chevry m'a reproché de méconnaître la situation outre-mer. Je m'y suis donc intéressé de près.

Je comprends la position d'un élu ; mais j'éprouve plus de difficultés à comprendre celle d'un ministre de la République, qui s'en remet à la sagesse sur un tel amendement. L'outre-mer a un grand besoin de logements sociaux !

M. Guy Fischer.  - Bravo !

M. Dominique Braye.  - La position de Mme Penchard me laisse pantois. Il est bien moins cher de construire du logement social outre-mer qu'en Île-de-France. On pourra construire gratuitement sur les terrains de l'État.

À ma demande, les pénalités versées par les communes sont consacrées à la construction de logement social. J'ai fait battre la ministre Boutin en son temps. Monsieur Virapoullé, je vous pardonne de vouloir protéger les élus de votre département, mais lorsque 83 % des habitants ont droit au logement social, il faut construire ! Ceux qui relèvent de l'accession sociale à la propriété n'ont pas les mêmes revenus.

Il faudra bien reloger les personnes expulsées des logements informels ou insalubres !

M. Guy Fischer.  - Bravo !

M. Jean-Paul Virapoullé.  - J'ai la conscience tranquille : j'ai fait voter ici l'orientation de la défiscalisation vers le logement social. Ne faites pas les experts dans des domaines que vous ne connaissez pas ! L'opposition faite par MM. Repentin et Braye entre le logement locatif et le logement évolutif n'a aucun sens ! Les habitants du logement évolutif social comptent parmi les plus pauvres. Comme maire, j'avais 30 % de logements locatifs sociaux et 20 % de logements évolutif sociaux.

M. Dominique Braye.  - Que tous fassent la même chose.

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Sans chercher à protéger les maires peu vertueux, je constate que la loi a incité à construire des logements évolutifs sociaux, avant d'insister sur le logement locatif social. En me critiquant, vous avez tout faux. Continuez à entretenir des polémiques avec vos oeillères, mais, de grâce !, allez voir les habitants des logements évolutifs sociaux.

Mme Penchard a raison de vouloir prendre en compte la réalité ultramarine, où l'accession sociale à la propriété fait partie du logement social.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par MM. Marsin et Collin.

Après l'article 16, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la fin du quatrième alinéa de l'article 74 de la loi n°2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Il comporte en outre un volet spécifique sur la mise en oeuvre de la loi n°.... du.... portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer. »

M. Yvon Collin.  - M. Repentin l'a excellemment justifié.

M. Georges Patient, rapporteur. - Sagesse.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. - Même avis.

L'amendement n°3 rectifié est adopté et devient article additionnel.

L'article 17 demeure supprimé.

Vote sur l'ensemble

Mme Raymonde Le Texier.  - Sans avoir visité la Guyane et la Martinique avec la délégation de notre commission, je n'aurais pas eu la même lecture des rapports. Mon vote se fonde désormais sur mon intime conviction. La Guyane est confrontée à une situation spécifique, en raison de la pression démographique et de l'immigration. La proposition de loi est parfaitement adaptée à la Martinique, où j'ai constaté l'inertie historique des pouvoirs publics. En raison de l'exode rural, des milliers de personnes se sont logées comme elles l'ont pu, sur des terrains inconstructibles car insalubres. Aujourd'hui, les immigrés de l'intérieur habitent des logements mal raccordés aux réseaux.

Il est temps de rendre l'espoir. Ce texte doit absolument être voté. (Applaudissements)

Mme Muguette Dini.  - Je conduisais la délégation de la commission et je voterai ce texte pour les mêmes raisons que j'aurais pu longuement exposer. (Applaudissements)

L'ensemble de la proposition de loi est adoptée.

Prochaine séance demain, jeudi 5 mai 2011, à 9 heures.

La séance est levée à minuit.

Mercredi 4 mai 2011

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Sommaire

Génocide arménien1

Discussion générale1

Exception d'irrecevabilité4

Expulsions locatives4

Discussion générale4

Discussion des articles4

Article premier4

Article 24

Article 34

Conférence des présidents4

Question prioritaire de constitutionnalité4

Saisine du conseil constitutionnel4

Avis sur des nominations4

Habitat indigne outre-mer4

Discussion générale4

SÉANCE

du mercredi 4 mai 2011

98e séance de la session ordinaire 2010-2011

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

Secrétaires : Mme Christiane Demontès, M. Jean-Paul Virapoullé.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Génocide arménien

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l'existence du génocide arménien.

Discussion générale

M. Serge Lagauche, auteur de la proposition de loi.  - Le 13 mai 1998, le groupe socialiste de l'Assemblée nationale déposait une proposition de loi tendant à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Ainsi commençait le parcours chaotique de la loi de 2001.

La paix ne peut s'établir sur la négation de ce qui eut lieu. Il fallut la pugnacité de MM. Gaudin et Piras pour que le 7 novembre 2000 fut adoptée une proposition de loi, identique à la proposition de loi de l'Assemblée nationale, sur demande de discussion immédiate.

Le 29 janvier 2001, la France reconnaissait donc officiellement le génocide arménien de 1915.

Déjà à l'époque les parlementaires étaient accusés de se substituer aux historiens ; déjà à l'époque la Turquie menaçait la France de rétorsions.

Le 18 juin 1987, le Parlement européen affirmait que les événements subis par les Arméniens entre 1915 et 1917 étaient assimilables à un génocide au sens défini par l'ONU en 1948. Il ajoutait toutefois que la Turquie actuelle ne saurait être tenue pour responsable de ce crime.

La loi française du 29 janvier 2001 n'est pas une anomalie législative : nombre d'États en ont adopté une analogue.

En 1915, près d'1,5 million d'Arméniens furent assassinés par le gouvernement Jeunes-Turcs. Malgré les innombrables preuves, la Turquie refuse d'ouvrir les yeux sur son passé. Elle s'est ainsi enfermée dans un négationnisme d'État et fait pression sur ceux qui voulaient reconnaître ce génocide. Les États-Unis en 2007, pour conserver l'accès à leurs bases militaires, ont accepté cette forme de chantage, qui s'exerce aussi sur la France, si l'on en croit les propos qu'a tenus le ministre d'État de Turquie chargé de la négociation pour l'adhésion à l'Union européenne devant nos commissions, la semaine dernière.

Le peuple turc commence à s'éveiller de cette longue ignorance. Le journaliste Hran Dink, qui voulait faire prendre conscience à ses concitoyens turcs de cette réalité de son passé, a été assassiné par un jeune extrémiste -qui n'a pas été condamné. Mais il faut signaler que 200 000 personnes ont manifesté par solidarité avec le journaliste et les Arméniens.

Les sites promouvant le négationnisme pullulent sur internet, soutenus dans les milieux d'extrême-droite. Récemment encore, était distribué au Salon du livre un ouvrage officiel dont chaque page s'emploie à nier le génocide.

La loi de 2001 reste déclarative. Il faut pouvoir sanctionner la négation du génocide. Notre proposition de loi est identique à celle que l'Assemblée nationale a adoptée il y a cinq ans. Mme Aubry a souhaité que le groupe socialiste au Sénat la reprenne à son compte. Tolérer le négationnisme, c'est assassiner une nouvelle fois les victimes, pour reprendre un mot d'Elie Wiesel.

Alors que la France a reconnu tant le génocide arménien que la Shoah, la loi ne punit que la négation de la Shoah, pas celle du génocide arménien. Cette différenciation est injustifiable ; notre proposition de loi la supprime.

La commission des lois craint que ce texte ne compromette les relations entre la Turquie et l'Arménie. Mais le protocole de Zurich est au point mort et la question du Haut-Karabagh a été instrumentalisée aux dépens du rapprochement arméno-turc.

Mme Nathalie Goulet.  - Allons !

M. Serge Lagauche, auteur de la proposition de loi.  - La loi de 2001 a tranché le débat sur les relations entre la loi et l'Histoire ; cette proposition de loi ne fait qu'en tirer les conséquences.

Inconstitutionnelle, cette proposition de loi ? L'Arménie ne peut soumettre la question au TPI sans l'accord de la Turquie ! En quoi serait-il inconstitutionnel de sanctionner la négation d'un génocide qu'aucun historien ne met en doute ? Les juges sauront appliquer notre texte ! Quant à l'atteinte à la liberté d'expression et d'opinion, le rapport du président Hyest est léger dans son argumentation sur la Déclaration des droits de l'homme. Le négationnisme n'est pas une opinion. Il n'y a pas d'anti-arménisme comparable à l'antisémitisme ? Mais la loi Gayssot a une portée bien plus large que ce qu'il veut laisser entendre.

Le président Sarkozy a garanti qu'il ne s'opposerait pas à une telle proposition de loi et qu'il laisserait le Sénat libre de son vote. Que soit pénalement sanctionnée la négation de la Shoah n'a jamais paralysé le travail des historiens.

Un État aussi grand que la Turquie ne peut s'affaiblir en regardant son histoire en face. Avec l'adoption de cette proposition de loi, serait supprimée la concurrence malsaine entre deux génocides. (Applaudissements sur certains bancs à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Cette discussion n'est pas facile... Il est plus aisé de répondre à la passion qu'à un raisonnement juridique. Ce débat porte tant d'émotions qu'une discussion juridique sereine est difficile. Légère, l'analyse de la commission ? Trop d'échotiers ignorent le droit et l'article 1382 du code civil...

La France a officiellement reconnu le génocide arménien par la loi du 29 janvier 2001. D'autres pays l'ont fait par voie de résolution, ce que la réforme constitutionnelle de 2008 rend désormais possible en France.

La commission des lois estime que cette proposition pose de vraies difficultés constitutionnelles. Elle ne nie certes pas l'existence de ce génocide. Celui-ci est une réalité historique largement reconnue. En 1915, le gouvernement a décidé de déporter les Arméniens vers les déserts de Syrie et d'Iraq. Les deux tiers d'entre eux y auraient laissé la vie. Mais ce n'est qu'en 1946, à Nuremberg, qu'est définie la notion de crime contre l'humanité et en 1948 celle de génocide. Ces crimes prennent la qualification de « génocide » ou de « crimes contre l'humanité » quand est avérée l'existence d'un plan concerté. Rétroactivement, cette qualification peut être appliquée à l'action du gouvernement turc contre les Arméniens, en 1915, qui visait davantage à homogénéiser la population d'Anatolie qu'à combattre, comme allégué, une cinquième colonne.

Suivant l'exemple donné par une quinzaine de parlements étrangers, le Parlement européen, le Conseil de l'Europe, la France, a officiellement reconnu le génocide arménien en 2001. Seule la négation de la Shoah est condamnable pénalement, au titre de la loi Gayssot modifiant la loi de 1881 sur la presse. Ce qui n'entre pas dans le champ de cette loi peut être poursuivi sur la base de l'article L. 1882 du code civil. Des voies de recours existent donc bien contre ceux qui contesteraient le génocide arménien.

M. Bernard Piras.  - Faux !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - L'examen de cette proposition de loi s'inscrit dans le cadre du débat plus large sur les lois « mémorielles » qui soulèvent une question de principe : nous appartient-il de nous prononcer sur le passé ? Je crois comme le président Accoyer que nous devons y renoncer. Un important travail historique reste à accomplir sur le génocide arménien. Ne l'entravons pas.

Depuis la révision de 2008, nous pouvons nous prononcer par la voie de résolution, sans édicter des normes. Faisons-le.

La question du génocide arménien est encore largement taboue en Turquie. N'entravons pas le timide dialogue qu'ont engagé la Turquie et la République d'Arménie. L'adoption de cette proposition de loi pourrait nuire à la position de la France pour soutenir ce processus.

Appartient-il au juge pénal français de s'immiscer dans les relations entre Turquie et Arménie ? Nous ne le pensons pas.

Cette proposition de loi risque de présenter une contrariété à la Constitution au regard du principe de légalité des délits et des peines. Alors que la loi Gayssot sur la négation de la Shoah était fondée sur un ensemble de textes et de jugements internationaux, il n'y a rien de tel pour le génocide arménien. Comment alors les juges se prononceraient-ils ?

Limiter la liberté d'expression n'est admissible qu'en vue de poursuivre un objectif actuel : or, on ne peut dire que nos compatriotes d'origine arménienne se heurtent à quelque chose de comparable à l'antisémitisme des années trente. L'intervention du juge pénal dans le jugement de l'Histoire soulèverait des problèmes de droit qui ne manqueraient pas d'être soulevés par le Conseil constitutionnel. C'est pourquoi la commission des lois a adopté, à l'unanimité, une exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur certains bancs à droite)

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Cette proposition de loi est évidemment compréhensible. Les faits parlent d'eux-mêmes. Le peuple arménien a connu une période tragique qui a mené à la mort des deux tiers de sa population, tandis que les 800 000 survivants se sont dispersés dans le monde, en France en particulier. Nombre de nos compatriotes d'origine arménienne se sont illustrés dans notre vie économique, sociale et culturelle. Je ne mentionnerai que Charles Aznavour, présent dans votre tribune d'honneur, et les héros du groupe Manouchian, morts pour la Résistance que le poème d'Aragon L'Affiche rouge a immortalisés.

Le génocide arménien est dans la mémoire et le coeur du peuple français. L'article 24 bis de la loi de 1881, issu de la loi Gayssot de 1990, qui sanctionne la négation de la Shoah, n'est pas applicable à celle du génocide arménien. Mais d'autres qualifications pénales peuvent s'appliquer, au titre de la discrimination et de la haine raciale.

La question est de savoir si cette proposition de loi améliorera la protection de la communauté arménienne. Elle est loin d'être simple. Ne nous mettons pas en position d'offrir une victoire aux négationnistes qui déposeraient une QPC.

Le principe de légalité des délits et des peines suppose une définition précise de ce que l'on sanctionne. Tel n'est pas le cas à propos du génocide arménien. Le 7 mai 2010, la Cour de cassation a refusé de transmettre une QPC au motif qu'est décrite de façon claire et précise la contestation de crime contre l'humanité. Cette clarté et cette précision ne sont pas suffisantes ici, dès lors qu'elles ne sont établies par aucun jugement international.

La liberté d'expression est reconnue par la Déclaration des droits de l'homme et par la Déclaration européenne. La Cour de Strasbourg vérifie qu'existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les entraves mises à la liberté d'expression et ce qu'il s'agit de protéger. La loi Gayssot peut s'appuyer sur les décisions du tribunal de Nuremberg et sur la Convention de Londres de 1948.

On ne peut adopter un texte fragilisé quel que soit le sort de celui qui est en débat aujourd'hui. Le gouvernement de la République ne restera pas inerte. M. Sarkozy a décidé que deux actions seraient lancées. Une circulaire sera adressée aux procureurs généraux susceptibles d'être saisis en faveur de Français d'origine arménienne.

M. Guy Fischer.  - C'est la moindre des choses !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - J'ai proposé une collaboration régulière avec les juristes de la communauté arménienne, comme nous le faisons avec le Crif. Nous sommes disposés à avancer ensemble.

Sur la base de l'article 1382 du code civil, des actions peuvent être menées pour que justice soit rendue. Je veille à ce que cette jurisprudence soit correctement appliquée...

Je n'ignore pas la dimension émotionnelle d'un tel problème. C'est parce que le Gouvernement est conscient de la souffrance de la communauté arménienne qu'il veut prendre des mesures immédiatement efficaces.

Sur cette proposition de loi, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat. (Quelques applaudissements dispersés)

Mme Nathalie Goulet.  - Sujet délicat, à une semaine du 24 avril, date anniversaire du génocide arménien ! Ce texte, comme d'autres sur le retrait de la nationalité, heureusement retiré grâce aux sénateurs centristes, renvoie à notre propre histoire. La quasi-totalité de ma famille a été exterminée dans les camps. Je fais partie d'un peuple qui, lui aussi, dort sans sépulture et qui a choisi de mourir sans abjurer sa foi ; je peux comprendre ce que ressentent les descendants de victimes d'un génocide. Ce débat entre nous, avec un peu de bonne volonté, peut néanmoins être l'occasion de mettre un terme à certaines polémiques.

Je voudrais parler du Caucase. Les Azerbaïdjanais sont totalement étrangers au génocide de 1915. Si un litige territorial existe aujourd'hui, il est spécieux d'utiliser le génocide pour occuper un territoire comme le Haut-Karabagh, de même que la Shoah ne justifie pas les exactions commises à Gaza.

En 1992, des dizaines de milliers d'Azerbaïdjanais sont tombés, sans que nulle voix ne s'élève. À mesure de l'avancée des forces arméniennes, jusqu'au cessez-le-feu de 1994, 20 000 victimes, un million de réfugiés et déplacés. La position de la France est claire : elle soutient l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan et travaille à la paix entre ce pays et l'Arménie. Au nom des victimes, des enfants du Caucase, auxquels les adultes volent leur enfance, nous devons oeuvrer à la poursuite de la paix.

L'ensemble de mon groupe votera l'exception d'irrecevabilité, espérant que le président de la République tiendra sa promesse d'une visite dans le Caucase.

M. Ambroise Dupont.  - Très bien !

M. Jean-Noël Guérini.  - La reconnaissance du génocide arménien et la criminalisation de sa contestation sont notre combat, depuis plus de vingt ans. Du président Mitterrand à Jacques Chirac, des parlementaires de gauche comme de droite, ont voulu que soit reconnue une tragédie que certains voulaient nier. En 2001, Jacques Chirac, président de la République, a promulgué une loi reconnaissant le génocide arménien qui, commencé en 1915, a conduit à l'extermination de plus d'un million de personnes. Elie Wiesel a fait connaître publiquement, avec d'autres historiens, sa position, pour parvenir à la reconnaissance du génocide. En l'admettant, la République française a rendu à ce peuple ce qui lui est dû.

L'Assemblée nationale, le 2 octobre 2006, a voté la pénalisation de la négation du génocide arménien. « La responsabilité confère à l'homme de la grandeur » écrivait Stefan Zweig. Le Sénat ne peut fuir ses responsabilités : notre devoir, aujourd'hui, est de sanctionner les négationnistes. Une telle loi ne limiterait pas la liberté d'expression, n'étant contraire à aucune convention internationale liant la France. En tout état de cause, le peuple français peut voter toute loi qu'il juge juste. L'argument de l'inconstitutionnalité n'est pas à la hauteur des responsabilités qui sont les nôtres ; que n'a-t-on soulevé la question en 2001 ? Le négationnisme n'est pas un mode d'expression comme les autres : son objectif premier est de falsifier l'histoire pour forcer l'oubli.

Ce texte serait un instrument efficace pour combattre le communautarisme. Y compris en Turquie, des hommes et des femmes manifestent, plus courageux que nous, pour obliger le gouvernement turc à prendre ses responsabilités. Soyons à la hauteur de nos responsabilités ! (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche)

M. Guy Fischer.  - Voici dix ans que le génocide arménien était enfin reconnu dans notre assemblée. Instants émouvants, qui, réunissant l'ensemble des familles politiques, mettaient un terme à un pesant déni de 95 ans.

Nous voici réunis à nouveau pour examiner un texte qui doit, je l'ai dit comme signataire de bien d'autres sur le même sujet, nous sortir du milieu du gué où nous sommes restés.

La loi de 2001 a une portée symbolique considérable, mais reste sans incidence juridique : il faut une réponse pénale au négationnisme. Nous l'affirmions déjà en 2005, en déposant une proposition de loi qui visait tous les crimes contre l'humanité du XXe siècle et ceux qui pourraient, hélas, être à venir. Nous avions beaucoup travaillé à Marseille avec les Arméniens, définissant trois écueils : ne pas s'en tenir au seul angle, réducteur car relatif à la seule presse, de la loi Gayssot ; rester dans les clous constitutionnels : ne pas prêter le flanc à la pression de la Turquie.

C'est donc avec plaisir que j'ai vu mes collègues socialistes déposer ce texte -même si nos propositions de 2005 avaient l'avantage d'éviter le qualificatif de « loi mémorielle ». Le négationnisme n'est pas un mode d'expression comme les autres : son objectif est en effet de falsifier l'histoire pour effacer de la mémoire collective toute trace des génocides. Il doit être sanctionné par la même peine que celle qui s'applique à la négation de la Shoah. Ce serait un progrès immense pour la cause arménienne, envoyant un signal clair à tous les communautarismes. Ce serait un progrès pour l'humanité tout entière.

Il ne s'agit ni d'imposer une histoire d'État ni de stigmatiser la Turquie, mais d'oeuvrer à la réconciliation de ces peuples en leur rendant la mémoire.

Sans doute, ce texte est perfectible, mais l'essentiel est qu'il existe et emporte l'assentiment du plus grand nombre, par delà les clivages politiques.

Je voterai, avec mon groupe, en conscience, cette proposition de loi et j'espère avoir convaincu. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur certains bancs socialistes)

M. Josselin de Rohan.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je ne m'embarrasserai pas de précautions oratoires : ce texte est inopportun, inacceptable et irrecevable, car inconstitutionnel. Le président Hyest l'a clairement démontré.

Il ne peut que contribuer à détériorer la relation entre la France et la Turquie sans contribuer à rapprocher ce pays de la République arménienne, qui n'a rien demandé.

Alors que le lâche assassinat d'un journaliste turc d'origine arménienne suscite dans les consciences turques une réflexion salutaire, ce texte est fort malvenu. Il serait un encouragement pour les extrémistes, déterminés à nier la réalité à toute force.

Le devoir de la France n'est pas d'attiser les débats mais de rapprocher les bonnes volontés. Alors que nombreux sont aujourd'hui les citoyens turcs qui ne cachent plus leurs origines arméniennes, adopter ce texte serait terriblement contre-productif. Veut-on voir condamner quiconque mettrait en cause, en sa qualité d'historien, l'étendue ou la portée des massacres sur telle partie du territoire, comme fut poursuivi cet historien irréprochable qui niait que l'esclavage ait été proprement un « génocide » ? Faudra-t-il que les chercheurs s'exilent pour poursuivre leurs travaux ? René Rémond, suivi par Pierre Nora, s'est inquiété de cette façon de mettre en cause la liberté de pensée des historiens. L'entreprise, je le dis, est obscurantiste. Le génocide arménien est reconnu par la loi. Nous ne voulons pas l'effacer de la mémoire, mais on ne saurait pour autant mettre en cause la liberté d'expression qui est la marque de notre pays, liberté pour laquelle sont morts Manouchian et ses compagnons. N'écoutez pas ceux qui veulent dévoyer votre cause en l'entraînant sur la voie du communautarisme et de l'extrémisme ! Elle est trop juste pour que vous la laissiez altérer. (Applaudissements sur la plupart des bancs UMP)

M. Charles Gautier.  - La France, patrie des droits de l'homme ? Nous nous en flattons tous. Mais des positions récentes écornent cette réputation. Qu'adviendrait-il si nous nous érigions, ici et maintenant, en censeurs de l'Histoire ? Qui sommes-nous pour blâmer un peuple pour les agissements de ses arrière-grands-parents ? Foin de cette arrogance.

Les historiens ne veulent pas de lois mémorielles auxquelles se complait le Parlement. Il reste un important travail de recherche à mener sur le génocide arménien : n'interférons pas, pour de vagues raisons électoralistes.

Loin de moi l'idée de minimiser l'atrocité des crimes commis, mais j'appelle à regarder vers l'avenir, en tenant compte des liens diplomatiques de notre pays, au bénéfice de la paix. Des voies de recours existent déjà dans notre droit pour punir les personnes contestant tout génocide : ce texte me paraît donc au minimum inutile.

Pire, il est dangereux, exacerbant le nationalisme et entravant toute tentative de dialogue entre Turcs et Arméniens.

M. Josselin de Rohan.  - Très bien !

M. Charles Gautier.  - Les liens entre la France et la Turquie seront à reconstruire entièrement, à un moment où elles sont déjà très détériorées. Quant aux bribes de dialogues entamés entre Turcs et Arméniens, il n'en restera rien.

Enfin, ne peut-on pas craindre que les relations entre les Français d'origines turque et arménienne se dégradent de la même manière ? Quel est l'intérêt de la France à opposer l'une contre l'autre deux communautés vivant sur son territoire ?

D'autres ressortissants français ont été victimes de crimes contre l'humanité. Mais ne constituant pas une communauté aussi nombreuse, ils ne savent faire entendre leur douleur. Évitons d'instiller l'inégalité dans nos lois : l'universalisme est une valeur trop précieuse pour être bafouée de la sorte.

La France, qui a inventé la laïcité, cette neutralité de l'Etat vis-à-vis des opinions religieuses, doit faire de même pour l'histoire.

C'est pour toutes ces raisons que je m'opposerai à ce texte.

Cette proposition de loi a toutefois un mérite : celui de poser le débat. Espérons que demain il soit définitivement clos. (Applaudissements sur certains bancs socialistes et sur la plupart des bancs UMP)

M. Bruno Gilles.  - J'associe Mme Joissains à mon propos.

Je comprends les arguments juridiques de la commission des lois : les lois mémorielles posent de fait problème. Mais à titre personnel, par mon vote, je veux dénoncer un scandale : l'État turc, candidat à l'Union européenne, continue à pénaliser ses ressortissants qui appellent à la reconnaissance du génocide. Comment, à ce compte, poursuivre les négociations ?

Peut-on brader les principes au nom de sordides calculs économiques, pour le bénéfice de nos entreprises sur le territoire turc ?

J'assume mes positions. Oui, je reconnais le génocide arménien. Je voterai contre la motion d'irrecevabilité, en faveur du texte de M. Lagauche.

Toutefois, je voudrais dire que l'hypocrisie de certains me laisse un goût amer. Que nos compatriotes d'origine arménienne ne s'y trompent pas ! Certes, la manoeuvre était bien montée : présenter dans la niche parlementaire socialiste un texte satisfaisant la diaspora arménienne de France et ne déployer aucun effort en faveur de son adoption, afin de faire endosser à la majorité et au Gouvernement la responsabilité de l'échec. La ficelle est un peu grosse !

Vous savez bien, pourtant, qu'il fallait le faire signer par ceux qui, sur les bancs qui vous font face, étaient prêts à le soutenir, comme l'avait fait M. Gaudin.

M. Bernard Piras.  - C'est moi qui l'avais fait.

M. Bruno Gilles.  - Je vous en félicite !

Ami de longue date des Français arméniens de souche, je voterai en faveur du texte de Serge Lagauche et contre l'exception d'irrecevabilité, mais je proteste devant vous, solennellement, car ce sujet grave et douloureux méritait mieux qu'une petite combine partisane. (Applaudissements sur certains bancs à droite, protestations sur plusieurs bancs socialistes)

M. Bernard Piras.  - Vous n'aviez qu'à en prendre l'initiative !

M. Gérard Collomb.  - Summum jus, summa injuria : maxime qu'il est bon d'avoir aujourd'hui à l'esprit.

J'entends bien les arguments que nous opposent le droit, la diplomatie ; j'entends M. Hyest lorsqu'il explique que l'on ne peut s'appuyer sur aucune convention internationale ni aucune décision de justice ; j'entends M. de Rohan qui s'inquiète d'un texte susceptible de perturber nos relations diplomatiques.

Mais c'est ce type de raisonnement qui a conduit, dans le silence assourdissant des nations, au génocide arménien. À l'époque, déjà, on évoquait le droit ou les relations diplomatiques pour ne pas agir... Une seule voix, celle de Jean Jaurès, dénonçait dès 1896 ce drame abominable : « Il faut sauver les Arméniens l Ce qui importe, ce qui est grave, ce n'est pas que la brute humaine se soit déchaînée là-bas, ce n'est pas qu'elle se soit éveillée. Ce qui est grave, c'est qu'elle ne s'est pas éveillée spontanément ; c'est qu'elle a été excitée, encouragée, nourrie des appétits les plus féroces par un gouvernement régulier avec lequel l'Europe a échangé plus d'une fois, gravement, sa signature. »

Rien n'y fit, et du massacre on en vint au génocide. On en connut tôt le caractère : les observateurs, tel le consul américain Jesse B. Jackson, dénonçaient alors le caractère systématique du massacre. Pourtant, ces voix éparses ne surent se faire entendre. Un immense silence avait tout recouvert. Silence des survivants, silence d'une douleur cachée, d'une plaie que l'on tait, comme dans la culpabilité.

Plaider le droit, donc ? Plaider la Constitution ? Nous, nous plaidons tout simplement pour l'humanité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur les bancs CRC)

M. Dominique Braye.  - Cela vous va bien !

M. Ambroise Dupont.  - J'entends bien les attentes de nos compatriotes arméniens. S'il ne me paraît pas opportun d'adopter ce texte, il est l'occasion de débattre de la place des lois mémorielles dans notre droit.

Ce texte, le président Hyest l'a dit, pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Au plan politique, quelques remarques. L'inflation des lois mémorielles conduit à se saisir de questions qui ne relèvent pas du Parlement, au risque d'ouvrir à chacun la tentation de faire valoir ses revendications.

Et que dire de l'effet sur nos relations diplomatiques ? La France copréside le groupe de Minsk chargé de trouver une solution au conflit du Haut-Karabagh.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Ambroise Dupont.  - Cette médiation contraint notre pays à une totale neutralité. Adopter ce texte attiserait les tensions et desservirait la paix. Plus profitable est d'encourager le rapprochement entre les États turc et arménien, par la diplomatie. Je soutiendrai donc la motion d'irrecevabilité. (Applaudissements sur la plupart des bancs UMP)

M. Robert Badinter.  - J'aurais toutes les raisons, intellectuelles, humaines, personnelles, de soutenir ce texte. Les génocides me font horreur, les crimes contre l'humanité flétrissent celle-ci. Cette flétrissure, hélas, ne s'est pas, depuis un siècle, refermée.

Pourquoi, alors, suivrais-je la motion d'irrecevabilité ? C'est que l'on ne peut pas étendre les pouvoirs du Parlement au-delà de ce que la Constitution lui assigne. Nous sommes des législateurs et la loi n'existe que dans le respect de la Constitution. Or, ici, le législateur, emporté par l'émotion, s'est laissé entraîner sur les terres de l'historien dont, dans une démocratie, la liberté doit être absolument respectée. Édicter des lois qui disent l'histoire irait contre notre idiosyncrasie nationale.

Le dernier article du doyen Vedel, paru dans les Mélanges Luchaire, est consacré à la loi du 29 janvier 2001. Pour lui, la question de sa constitutionnalité appelait une réponse simple et facile : le principe de séparation du législatif et du judiciaire interdit au législateur de qualifier les faits historiques, non seulement au regard de l'article 34, mais parce que ce serait usurper la compétence en matière internationale et la diplomatie. « Il n'est pas sérieux de proclamer que le législateur est souverain, que le Parlement détient ou peut confisquer toutes les compétences qui peuvent être exercées au nom de l'État. Une telle hérésie serait aux antipodes de la démocratie constitutionnelle qui n'admet pas d'avantage le règne du législateur que celui du gouvernement ou celui des juges ». Pour toutes ces raisons, il regardait la loi de 2001 comme contraire à la Constitution.

Si je le rappelle, c'est que les auteurs de cette proposition de loi, emportés par la compassion, sont tombés dans un piège, qu'ils tendaient du même fait à la communauté arménienne elle-même. Car, depuis la révision de 2008, un texte qui s'enracine dans un autre autorise le Conseil constitutionnel à se saisir de la constitutionnalité du premier, (mouvements divers) dès lors que lui serait posée une question prioritaire de constitutionnalité. J'en appelle à tous les hommes de coeur : cette initiative conduirait au contraire du but poursuivi.

La dernière affaire que j'ai plaidée le fut contre des révisionnistes, condamnés pour avoir manqué au devoir de l'historien. Contre quiconque, dans l'Hexagone, se livrerait à une contestation du génocide, il est donc des moyens d'agir.

Cette loi, qui blesse la Constitution et fait de nous le juge de l'Histoire, va à l'encontre d'intérêts que je considère comme sacrés. Puissent enfin nos amis turcs mesurer le fait que depuis les atroces génocides de la seconde guerre mondiale, les dirigeants de toutes les nations démocratiques s'honorent en reconnaissant les crimes commis sur tous les continents : là est l'honneur des grandes démocraties, là est l'honneur des grands dirigeants. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Hyest, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l'existence du génocide arménien (n° 607, 2009-2010).

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Certains préfèrent la simplicité de la passion à la complexité du raisonnement. Les progrès de l'État de droit sont aussi ceux de l'humanité. La commission des lois unanime a décidé d'opposer l'irrecevabilité à un texte qui est contraire à deux principes constitutionnels, celui de la légalité des délits et des peines et celui du droit à la liberté d'opinion et d'expression.

La proposition de loi diffère de la loi Gayssot en ce que celle-ci au contraire de celle-là est adossée à des faits précis, reconnus par des conventions internationales ou des juridictions nationales. Dans un arrêt du 7 mai 2010 sur la loi de 2001, la Cour de cassation a estimé que « l'incrimination critiquée se réfère à des textes régulièrement introduits en droit interne, définissant de façon claire et précise l'infraction [...] dont la répression, dès lors, ne porte pas atteinte aux principes constitutionnels de liberté d'expression et d'opinion ». La situation est ici très différente, le génocide arménien ayant été perpétré antérieurement à l'adoption de la convention du 9 décembre 1948 et dont les auteurs n'ont jamais été jugés -même si le génocide a été reconnu par la France dès le traité de Sèvres, jamais ratifié. Sur un plan strictement juridique, il n'existe pas de définition précise attestée par le droit des actes constituant ce génocide et des personnes responsables de son déclenchement.

Quel est le périmètre exact de la notion de « contestation de l'existence du génocide arménien de 1915 » ? La « contestation », d'acception plus large que « négation », fait problème : elle peut porter sur l'ampleur, les méthodes, les lieux des événements sans nécessairement nier leur existence. Le Conseil constitutionnel exige que l'infraction soit définie de façon précise, de sorte que l'appréciation du juge n'encoure pas la critique de l'arbitraire.

La proposition de loi est d'autre part contraire au principe de la liberté d'expression, qui ne peut être restreinte que pour protéger d'autres droits et libertés également reconnus par la loi. Encore faut-il que les restrictions soient proportionnées.

Si la loi Gayssot n'est pas contraire à ce principe, c'est qu'elle tend à prévenir aujourd'hui la résurgence du discours antisémite. C'est ce qu'a reconnu la CEDH dans la décision Garaudy du 24 juin 2003. Tel a été également l'objectif du législateur communautaire lors de l'élaboration de la décision-cadre du 28 novembre 2008, dont la finalité n'est pas de protéger la mémoire mais de lutter contre la discrimination -le Parlement en sera saisi prochainement.

Aucun discours de nature comparable à l'antisémitisme ne paraît viser aujourd'hui en France nos compatriotes d'origine arménienne ; la création d'une incrimination spécifique telle que prévue par la proposition de loi paraît excéder les restrictions communément admises pour justifier une atteinte à la liberté d'expression.

Au vu de ces éléments et du risque de censure qu'encourt la proposition de loi -je remercie le président Badinter d'avoir cité le doyen Vedel- la commission des lois oppose au texte l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur de nombreux bancs à droite)

M. Bernard Piras.  - Vous voulez donc que les sénateurs ne soient pas en mesure de se prononcer sur la proposition de loi. L'exception d'irrecevabilité est une atteinte à la liberté d'expression des représentants du peuple ; elle nous est opposée ici pour des motifs de pure opportunité.

M. Dominique Braye.  - Les vôtres sont d'électoralisme !

M. Bernard Piras.  - La France préfère la protection de ses intérêts économiques à la défense des valeurs fondamentales. Je suis au moins satisfait que nul ici n'ait refusé de reconnaître pour tel le génocide arménien.

La loi du 29 janvier 2001 est purement déclarative ; il faut l'accompagner de sanctions, sans lesquelles le juge ne peut la faire respecter. Non, notre arsenal juridique ne permet pas de sanctionner le négationnisme du génocide arménien. Affirmer que la responsabilité des négationnistes peut être engagée sur la base de l'article 1382 du code civil est une contrevérité (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, s'exclame) : cet article ne peut fonder de sanction pénale. Le TGI de Paris a affirmé en 1995 que si le législateur avait la possibilité de définir le négationnisme du génocide arménien comme une infraction pénale, la juridiction judiciaire n'était pas en l'état en mesure de condamner ces actes négationnistes.

Loi mémorielle ? Pas celle-ci ! Il ne s'agit pas de qualifier des faits historiques. Elle vise seulement le négationnisme, qui participe consubstantiellement de l'état d'esprit génocidaire. Absence de faits ? Avez-vous oublié les dramatiques événements lyonnais de mars 2006 ?

La légalité des peines ? Depuis quand le législateur devrait-il se référer à des conventions internationales ou à des jugements revêtus de la force de la chose jugée ? S'agissant de la loi Gayssot, les jugements de Nuremberg n'ont pas été intégrés, que je sache, dans notre bloc de constitutionnalité ! Il existe d'ailleurs des décisions de justice revêtues de l'autorité de la chose jugée : en 1919, des cours martiales ont siégé ; la déclaration du 24 mai 1915, le traité de Sèvres, la résolution du Parlement européen de 1987 et celle de l'Assemblée du Conseil de l'Europe de 1998 ; ou encore la décision du juge fédéral argentin qui affirme que le gouvernement turc a commis un crime de génocide envers le peuple arménien.

La liberté d'expression ? La question a été réglée par la loi Gayssot. C'est la situation actuelle qui crée une rupture d'égalité, entre la négation du génocide juif et celle du génocide arménien. Y aurait-il une hiérarchie entre les génocides ? Et l'existence de sanction n'a nullement empêché les historiens de continuer leurs travaux sur le génocide juif.

Le Conseil de l'Union européenne a adopté en novembre 2008 une décision-cadre disposant que chaque État membre de l'Union devait prendre « les mesures nécessaires pour faire en sorte que (...) soient punissables l'apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre ». Cette décision-cadre nécessite un acte de transposition -encore à venir. En tout cas, il est clair qu'aux yeux du législateur européen, la pénalisation du négationnisme n'est pas une atteinte à la liberté d'expression. Les Suisses, de leur côté, se sont dotés d'une législation antinégationniste ; ils ont condamné un négationniste. Que dira la Cour de Strasbourg ? Je prie le président Badinter d'y être attentif !

Comment le juge constitutionnel français pourra-t-il concilier le principe de la dignité de la personne -considéré depuis le célèbre arrêt « Morsang-sur-Orge » comme d'ordre public- avec une éventuelle condamnation de ce texte ?

Ayez un peu de courage, mes chers collègues ! Ne passez pas à côté de l'Histoire ! Rejetez cette motion ! (Applaudissements au centre et sur certains bancs socialistes)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Aucun pays ne pénalise la négation ni la contestation du génocide arménien. Vous citez la décision d'une juge argentin ? Il est vrai que l'Argentine a toujours été un modèle... La loi Gayssot est liée, comme l'exige la décision-cadre, avec un phénomène actuel, ce qui était le cas de la recrudescence de l'antisémitisme.

La commission des lois, pour toutes ces raisons et celles qu'a énoncées le président Badinter, reste convaincue que l'exception d'irrecevabilité est justifiée. (Applaudissements sur de nombreux bancs à droite)

M. François Zocchetto.  - La position de la République est claire : la loi de 2001 reconnaît l'existence du génocide arménien. La question est de savoir comment s'opposer à ceux qui la nient.

Le droit n'est pas tout, il ne peut pas tout. Il faut d'abord et surtout expliquer et réexpliquer ce que fut l'Histoire. Il faut ensuite fermement poursuivre, sur le fondement des dispositions pénales existantes, tout acte ou affirmation niant le génocide arménien. Ce texte n'est pas le bon véhicule. Son inconstitutionnalité est certaine et le risque de retour en arrière n'est pas mince.

La quasi-totalité des membres du groupe de l'Union centriste voteront l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs de l'Union centriste)

M. Jacques Blanc.  - Je tiens d'abord à exprimer notre sympathie au président Hyest, dans les circonstances difficiles qu'il traverse.

La majorité de l'UMP votera l'exception d'irrecevabilité. La France a accueilli un grand nombre d'Arméniens qui nous font honneur et contribuent à notre enrichissement mutuel. Faut-il pour autant adopter cette proposition de loi ? Nous ne le pensons pas. Comme le président Accoyer, nous ne souhaitons pas de nouvelles lois mémorielles, sinon pour défendre des principes posés par l'article premier de la Constitution.

Pour qualifier des faits, nous ne pouvons nous en remettre qu'à la recherche historique. Elle seule peut nous approcher de la vérité. Sceller la vérité dans le marbre de la loi reviendrait à emmurer la recherche historique. Ce n'est pas à une majorité politique de fixer et d'imposer des vérités historiques non plus que scientifiques. Ceux qui l'ont fait ne respectaient guère les droits de l'Homme...

Seul le dialogue peut faire avancer. Notre débat, enrichi par les travaux de la commission des lois, nous conduit à voter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur la plupart des bancs UMP)

M. Guy Fischer.  - Je regrette la frilosité de certains de nos collègues. Nous sommes tous d'accord, cependant, pour rendre justice au peuple arménien.

En quoi condamner un génocide que tous reconnaissent serait entraver le travail des historiens ? Dès 1915, une déclaration commune franco-anglo-russe condamnait le génocide arménien et appelait à juger ses auteurs.

Notre débat transcende nos oppositions politiques. Sans doute faudrait-il nous montrer plus froids mais nous sommes nombreux à nous émouvoir de ce qu'ont vécu les aïeux de nos compatriotes. L'Histoire ne peut jamais s'abstraire de ce riche substrat que constitue la mémoire des groupes humains.

La loi Gayssot n'a pas empêché les historiens de poursuivre leur travail sur la Shoah.

Le peuple arménien de France s'est souvenu du génocide subi à la génération précédente, quand il s'est élevé contre le fascisme.

La plupart d'entre nous nous opposerons à cette motion d'irrecevabilité, que Robert Hue votera. (Applaudissements sur certains bancs du groupe CRC)

M. Gérard Collomb.  - Le groupe socialiste, vous l'avez vu, n'est pas unanime sur cette proposition de loi. Il y a dix ans, les sénateurs n'étaient pas aussi unanimes qu'aujourd'hui à reconnaître le génocide arménien...

Le négationnisme n'est pas une opinion, je le sais pour l'avoir vu et vécu ; dans ma ville, dans notre université, on a proféré les pires thèses, on a contesté l'existence des chambres à gaz au nom de la liberté de l'historien.

Les choses évoluent, ici et en Turquie. Je suis un ami du peuple turc, dont je souhaite l'entrée dans l'Union européenne. Mais je ne pense pas que l'amitié puisse se sceller en ignorant l'Histoire. Ceux qui mènent là-bas un combat pour la reconnaissance d'un triste passé mènent aussi un combat pour l'avenir. C'est lorsque le peuple allemand a reconnu les horreurs du nazisme que la réconciliation avec la France fut possible.

J'espère bien que, demain, plus personne, nulle part, ne niera le génocide arménien.

À la demande de la commission des lois, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 290
Nombre de suffrages exprimés 270
Majorité absolue des suffrages exprimés 136
Pour l'adoption 196
Contre 74

Le Sénat a adopté.

La séance est suspendue à 17 h 15.

*

* *

La séance reprend à 17 h 35.

Expulsions locatives

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux expulsions locatives et à la garantie d'un droit au logement effectif.

Discussion générale

Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi.  - Le comité de suivi du Dalo intimait, il y a quelques mois, l'ordre à l'État de ne pas rester hors-la-loi. De fait, le Conseil d'État qualifie le droit au logement opposable de droit fictif. La Fondation Abbé Pierre, suivie par l'Insee, estime à 3 millions le nombre de mal logés.

Car c'est bien plutôt la marchandisation du logement que ce Gouvernement met en place. Le nombre de logements sociaux se réduit comme peau de chagrin, tandis que la taxe sur les offices HLM va amputer leur capacité d'investissement. Comment respecter le Dalo si le nombre de logements construits reste insuffisant, en même temps que baisse le pouvoir d'achat ! Condamner les ménages à consacrer une parte croissante de leurs revenus à leur logement ? L'État, dans le même temps, se désengage de l'APL, dont la rétroactivité a été supprimée.

La pratique barbare des expulsions locatives, conséquence de cette situation difficile, a repris de plus belle. Des familles sans défense sont jetées à la rue. Il est urgent que cessent ces pratiques d'un autre âge, absurdité économique de surcroît puisque l'hébergement temporaire est souvent plus coûteux : 100 millions d'euros sont ainsi dépensés en nuitées d'hôtel en Île-de-France.

La Déclaration des droits de l'homme de 1946 reconnaît à toute personne le droit de disposer d'un logement décent. La convention de New York reconnaît ce même droit au logement.

Cette reconnaissance engage les États. La Cour de cassation, le 16 décembre 2008, a consacré l'effectivité directe de cet instrument dans notre droit. Depuis un arrêt de 1995 du Conseil constitutionnel, le droit au logement est reconnu comme un objectif à valeur constitutionnelle. Notre législation a consacré un droit au logement opposable. Pourtant, les expulsions sans relogement perdurent, voire progressent : de 48 % depuis 2008 ! La Défenseure des enfants n'a cessé de dénoncer le caractère traumatisant pour les enfants des expulsions effectuées avec le concours de la force publique. Il est temps de lever la contradiction entre droit au logement et expulsions sans relogement.

Les expulsions de locataires, y compris prioritaires, demeurent la règle, contrairement aux prescriptions internationales. Le comité de suivi du Dalo a adopté une motion pour l'interdiction de telles expulsions, ayant constaté que des personnes prioritaires ont été expulsées avec l'aide de la force publique, sans offre de relogement. C'est un déni de la loi.

Ce droit opposable, c'est le Conseil d'État qui le dit, risque d'apparaître fictif. Le comité de suivi demande que tout expulsable soit informé de ses droits, que l'usage de la force publique soit suspendu avant toute décision de la commission de médiation ; que l'indemnisation du propriétaire soit prévue en cas de non-usage de la force publique, comme cela est naturel.

Pour l'heure, l'État reste hors-la-loi. Les recours n'ont donné lieu qu'à un nombre très limité de relogements. 14 000 ménages sont prioritaires, alors que l'on sait qu'il reste très difficile de se faire reconnaître comme tel : si bien que l'écart entre demandeurs et relogés est plus important encore.

Le comité de suivi dénonce la confusion des critères dans la désignation des ménages prioritaires. Il faut, par exemple, ne pas s'en tenir à ceux qui font l'objet d'une demande de recours à la force publique !

À ces décisions, nous entendons opposer un véritable droit au logement, hors toute discrimination, en particulier à l'égard des étrangers réguliers. Et même si les sans-papiers ne sont pas concernés, ceux qui sont en difficulté n'en disposent pas moins d'un droit à l'hébergement -sauf à faire prospérer les marchands de sommeil.

Le non-respect par l'État de ses engagements constitue un trouble à l'ordre public, justifiant l'intervention de l'autorité municipale, qui doit pouvoir prendre des arrêtés anti-expulsion. Il est du devoir de toute personne investie d'une mission publique de veiller à la stricte application du principe du droit au logement.

Notre proposition de loi reprend les préconisations du comité de suivi. Il ne s'agit pas cependant de spolier les propriétaires...

M. Alain Gournac.  - Ah ! (Sourires)

Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi.  - ...puisqu'un droit à réparation est prévu au bénéfice des propriétaires. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Isabelle Pasquet, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - Objectif de valeur constitutionnelle, le droit au logement est loin d'être effectif. La crise économique, coupable idéal, n'est pourtant pas seule responsable de la détérioration de la situation, qui voit un nombre croissant de ménages menacés d'expulsion, tandis que le mal-logement ou le non-logement est en passe de devenir un fléau. J'espère que le débat riche et ouvert que nous avons eu en commission débouchera en séance sur des mesures concrètes.

Plus de 130 000 personnes restent sans domicile, autant résident à l'hôtel ou sont hébergées chez des particuliers. De nombreux enfants sont concernés. À cet hébergement contraint, chez des tiers, ont recours 43 % de personnes qui travaillent.

L'Insee évalue à 3,2 millions le nombre de personnes qui ne peuvent accéder à un logement satisfaisant. S'y ajoutent les gens du voyage, les squatteurs, ceux qui dorment dans leur véhicule, bien difficiles à recenser.

La Fondation Abbé Pierre confirme ce constat et relève que le nombre de demandes de logements HLM non satisfaites ne fait que croître.

Le rapport public du Conseil d'État propose des pistes de réflexion, estimant nécessaire que l'État dispose de statistiques de qualité et d'une expertise précise en matière de construction. Le rapport du Cese sur l'évaluation de la loi Dalo recommande de réorienter la politique du logement vers une offre accessible.

L'effort budgétaire est insuffisant, les choix financiers contestables. En loi de finances, le rapporteur pour avis a relevé l'érosion des moyens et l'insuffisante participation des employeurs. Malgré le rabotage des niches fiscales, les dispositifs de défiscalisation ont conduit à lancer des programmes sans utilité.

M. Guy Fischer.  - Voilà !

Mme Isabelle Pasquet, rapporteur.  - Il reste beaucoup à faire pour donner son effectivité au droit au logement. Ce texte, au dispositif resserré, entend donner une portée plus générale au Dalo et lutter contre la précarisation du logement.

Instituer un droit au logement opposable ne suffit pas à tout résoudre. Il y faut une volonté. Le législateur ne peut se satisfaire du bilan de la loi qu'il a votée. L'actuelle distinction entre nationaux et étrangers contredit au reste les engagements internationaux de la France. Quid des candidats au regroupement familial ? Le texte de 2009 ne règle rien.

Pour rendre le droit au logement plus effectif, il faut inciter à la collaboration de toutes les autorités concernées, lutter contre l'augmentation des loyers en un temps où les ménages à revenu modeste voient leur pouvoir d'achat toujours plus entamé. Quand un ménage ne peut plus faire face, il doit se voir proposer une solution adaptée.

Il doit être sursis aux expulsions de ces ménages avec le concours de la force publique tant qu'une solution ne leur a pas été proposée, sans léser cependant les propriétaires.

Tels sont les objectifs de cette proposition de loi, que je vous invite à adopter.

La commission des affaires sociales a décidé de ne pas proposer de texte, afin de laisser la discussion se dérouler sur le texte même de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement.  - La question des expulsions locatives est délicate : elle touche à des situations humaines qui ne manquent pas d'émouvoir. Face à cela, on peut être dans l'incantation, ou dans l'action. (Exclamations sur les bancs CRC) À votre proposition, axée sur le refus d'emploi de la force publique, le Gouvernement préfère la prévention.

M. Guy Fischer.  - On a vu ce que cela donne...

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - Si le locataire dispose des ressources pour payer, il n'est pas légitime de suspendre le recours à la force publique. Sur 100 000 jugements d'expulsion, 10 000 ont lieu avec le concours de la force publique. Il est difficile de disposer, sur cette base, de statistiques fiables quant à la bonne foi des locataires. Les préfets indiquent que le recours à la force publique est lié au trouble à l'ordre public ou à la mauvaise foi : j'ai demandé une enquête statistique pour le confirmer.

Et que deviennent les 90 000 familles expulsées sans le concours de la force publique ? J'ai demandé une étude de cohorte sur cette situation, aussi importante que la première.

Si la situation du locataire est temporaire, il existe des aides. Si elle est durable, le maintien dans les lieux n'est pas souhaitable. Mieux vaut chercher un relogement dans le parc social.

Privilégier ainsi le relogement, c'est privilégier la prévention. En demandant notamment au préfet d'accélérer le relogement des ménages prioritaires en danger. Je rappelle que dans 88 départements sur 100, le relogement est à quasi 100 %. Le problème concerne pour l'essentiel l'Île-de-France et la région Paca. Le droit au logement n'est pas fictif. Certes, il faut accentuer l'effort où le bât blesse, mais ne travestissez pas la réalité.

L'enjeu est aussi dans la reconquête du contingent préfectoral. Je l'ai engagé, en Île-de-France. De 80 relogements par mois en 2008, nous sommes passés à 500 en 2010. Les choses progressent.

Le vrai levier, ce n'est donc pas la suspension de l'usage de la force publique, mais la prévention. D'où les conventions Capex, dont je regrette que certains conseils généraux refusent de s'y engager. (Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi, proteste) Il faut agir en amont, dès le troisième mois d'impayé, pour prévenir les situations difficiles.

Je refuse d'opposer droit au logement, de valeur constitutionnelle, et droit de propriété, constitutionnel. Il faut trouver un équilibre entre les deux. Agir au détriment des propriétaires, ce serait susciter leur retrait, au détriment du droit au logement.

Interdire l'expulsion des locataires ayant déposé un recours Dalo ? Imaginez l'effet d'aubaine ! Il suffirait de déposer un recours juste avant la trêve hivernale pour être tranquille pour dix-huit mois. (Exclamations sur les bancs CRC)

Beaucoup nous ont reproché le PTZ+. Mais les tranches 9 et 10 que vous voulez supprimer ne sont pas des déciles de population. Vous les confondez avec les tranches de revenus que nous avons créées pour la prime : la tranche 9 commence à un niveau de ressources inférieur au plafond de revenus du logement social !

Ce Gouvernement est celui qui a battu tous les records de production de logements sociaux : après 120 000 en 2009, 131 000 en 2010 -c'est le record absolu depuis trente ans. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Alain Gournac.  - C'est la vérité !

M. Thierry Repentin.  - Avoir un toit est la première sécurité de la personne, celle qui subsiste quand tout le reste fait défaut. En 2009, la justice a prononcé 106 000 expulsions. Autant d'échecs ; expulser n'est pourtant pas une fatalité. Tout impayé ne se termine pas en expulsion. Sur les 4,3 millions de ménages en logement social, 250 000 ont des difficultés de paiement, et 3 500 seulement sont expulsés, avec le concours de la force publique.

La solution ? Prévention et accompagnement. Dès trois mois d'impayés, un travail de prévention est entamé. Les trois quarts des situations d'impayés sont ainsi résolues. Les propriétaires privés ont rarement les moyens humains de faire ce travail de prévention. Ils ne sont que 200 000 à faire appel à la GRC... Les assurances incitent les propriétaires à s'engager au plus tôt dans des procédures, on va vers des expulsions, tandis que la dette s'accumule. On voit ce qu'a de pervers le système assurantiel...

Le protocole d'accompagnement permet une suspension du bail, qui est ensuite rétabli dans les trois quarts des cas. J'appelle de mes voeux l'extension de telles procédures au parc privé.

Pourquoi autant d'expulsions dans les années 2000 ? Plus de 40 % sur la décennie, c'est considérable ! La corrélation est évidente avec l'inflation des prix immobiliers ; les loyers ont augmenté de 90 % de 2000 à 2009 ! Comment s'étonner que les impayés s'accroissent ainsi et touchent une part croissante de la population ?

S'il est de la responsabilité individuelle de payer son loyer, il est de celle de la nation d'assurer l'accès au logement.

Il faut pour cela agir sur les prix et accroître l'offre abordable. L'aide à la pierre ne sera bientôt plus suffisante que pour les Lilliputiens ! Enfin, il faudrait relever significativement les plafonds de l'aide au logement.

Le législateur aussi doit prendre ses responsabilités. On ne peut agir sur les expulsions sans agir concomitamment sur le niveau de vie de nos concitoyens et la part qu'ils peuvent consacrer à leur loyer. C'est peut-être le débat de 2012... (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Michel Baylet.  - Au législateur de rendre les utopies réalisables ! La Fondation Abbé Pierre estime que 3,6 millions de français n'ont pas de logement satisfaisant. Elle évalue à 600 000 le nombre de logements indignes et à 1 000 000 les victimes des marchands de sommeil.

Proclamé en 1982, consacré par la loi Besson de 1990 puis par la loi Dalo de 2007, le droit au logement n'est toujours pas vraiment appliqué, malgré l'espoir considérable alors soulevé. La mise en oeuvre de ce droit opposable est laborieuse ; trop peu de ménages concernés y font appel. Seulement 19 000 personnes ont pu être relogées dans ces conditions. L'État se met ainsi hors-la-loi.

Certes, la crise du logement s'est amplifiée. Les loyers n'ont cessé de grimper alors que les ressources diminuaient, même pour les classes moyennes.

Et l'accession à la propriété n'est plus imaginable. Que fera une femme seule avec enfant, employée en temps partiel subi ?

Il faut attendre les 500 000 logements nouveaux par an, alors qu'on n'en est qu'à 300 000. Et il y a plus de deux millions de logements vacants. (M. Benoist Apparu, secrétaire d'état, s'afflige)

Alors, quelle politique, avec quels moyens ? Nous soutenons l'initiative du groupe CRC-SPG. Ce sont 107 000 ménages qui sont menacés de se retrouver à la rue. La logique actuelle est trop largement répressive. Le ministre nous parle de prévention, en particulier en taxant les propriétaires qui louent de petites surfaces à un prix abusif.

Les radicaux de gauche ont à coeur une véritable politique du logement, à dimension humaine. Ils voteront cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Gournac.  - Le droit au logement est un des plus importants qui soit. Il conditionne l'accès à d'autres droits fondamentaux : droit à la vie familiale, à la santé, à l'éducation, au travail... Le logement est même une condition de la citoyenneté. Notre majorité a effectué une considérable avancée avec le Dalo. Cette proposition de loi traite de l'effectivité de celui-ci.

L'action du Gouvernement en la matière est remarquable tant pour le financement du logement social que pour la prévention des expulsions. Les chiffres parlent d'eux-mêmes ; on est passé de 40 000 logements sociaux par an, sous M. Jospin, à 110 000.

Notre ministre, dont je salue la détermination, s'est engagé à renforcer la prévention des expulsions. L'action doit être précoce. Désormais, les commissions de prévention doivent pouvoir être saisies dans chaque département.

Le développement de l'intermédiation locative permet le maintien dans les lieux. Cela a concerné 2 364 logements en 2010 ; le Gouvernement espère atteindre les 5 000 fin 2011. Un traitement social des locataires de bonne foi doit limiter les conséquences des impayés. En 2010, 50 000 ménages ont reçu un avis favorable d'une commission Dalo. En Île-de-France, 500 ménages Dalo sont relogés chaque mois, contre 278 en 2009 et 81 en 2008.

Quand tous les mécanismes de prévention ont été exécutés, on ne doit pas renoncer à recourir à la force publique qui n'a concerné que 11 % des ménages considérés.

Je salue le travail de notre rapporteur mais je pense que cette proposition de loi est une fausse bonne idée. Si le propriétaire ne peut récupérer son bien en cas d'impayé, il ne louera plus, ou exigera davantage de garanties. 

La proposition de loi ne ferait qu'aggraver les difficultés du secteur. C'est la raison pour laquelle notre groupe ne la votera pas. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Droit au logement et droit de propriété sont tous deux constitutionnels, mais vous faites bien plus pour les propriétaires que pour les mal logés. Et l'on est loin du mythe élyséen d'une France de propriétaires : notre pays compte 8 millions de pauvres, vivant avec moins de 849 euros pour une personne seule.

À Paris, le prix du logement ne cesse de monter : une augmentation largement supérieure à celle du pouvoir d'achat et à l'inflation ; c'est ce que l'Insee appelle un accroissement des inégalités par le haut, accroissement des inégalités renforcé bientôt par la suppression du l'ISF. Présidence du pouvoir d'achat ? Il n'en est rien, même si vous avez reconnu le droit au logement, avec la loi Dalo... que vous n'appliquez toujours pas ! Les dépenses liées au logement diminuent et sont débudgétisées. L'État va même jusqu'à puiser dans les ressources du 1 % logement. À Paris, l'État est passé de 650 millions depuis 2005 à 500 millions pour les années à venir. Cela s'appelle une baisse.

Vous avez parlé d'encadrer les loyers pour les petites surfaces mais n'avez rien fait. Vous poussez à la spéculation avec les dispositifs Robien, Scellier, Périssol. À Paris, les maires des 7e et 16e arrondissements usent de moyens scandaleux pour s'opposer à toute construction de logements sociaux !

Même si le ministre se gargarise de chiffres mirobolants, la crise du logement atteint son paroxysme. Votre gouvernement se refuse à la réquisition de logements vides, à laquelle 74 % des Français se déclarent favorables. À Paris, sur 119 000 personnes ayant fait une demande de logement social, 12 500 ménages « prioritaires » en attendent toujours l'attribution. Il faut donc une application immédiate de l'ordonnance de 1945. Il y a 130 000 logements vacants à Paris ! Les réquisitions devraient aussi toucher nos 4,5 millions de mètres carrés de bureaux qui sont vacants -en vertu des exigences des agences de notation pour le AAA.

Nos propositions ne s'arrêtent pas à cette proposition de loi, qui donne quand même un signe : on ne peut vivre sans un toit ! (Applaudissements sur les bancs CRC et certains bancs socialistes)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

Mme Mireille Schurch.  - Nos concitoyens font du logement, avec les retraites et l'éducation, un problème encore plus important que la sécurité. La peur de se retrouver SDF tenaille nombre de personnes, alors que jamais le coût du logement n'a été aussi élevé, au détriment non seulement des familles pauvres et modestes, mais même de familles moyennes. L'État oriente 70 % de ses investissements vers le secteur privé. Les APL ont diminué de 84 millions et ne sont plus rétroactives. Les expulsions locales continuent massivement.

En juin 2008, la France a été condamnée par le Conseil de l'Europe pour le manque de logements abordables et pour discrimination au détriment des immigrés et des gens du voyage.

Le Conseil d'État s'interroge en 2009 sur la manière de loger tous les habitants et d'honorer le Dalo. C'est dans cette perspective que nous avons rédigé cet article premier. Le Dalo est universel ; il transcende le statut des individus. C'est pourquoi le clivage en fonction de la nationalité ou de l'origine est inacceptable. Il ne peut y avoir de catégories orphelines de la protection accordée par les textes !

Nous souhaitons ainsi assurer la légalité des arrêtés anti-expulsions pris par certains maires, pour rechercher des solutions pérennes de relogement dans des conditions décentes.

L'article premier n'est pas adopté.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Demontès et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Rédiger ainsi cet article :

Nonobstant toute décision d'expulsion passée en force de chose jugée et malgré l'expiration des délais accordés en vertu des articles L. 613-1 et L. 613-2 du code de la construction et de l'habitation, à titre transitoire jusqu'au 16 mars 2012, aucune expulsion ne pourra être exécutée à l'encontre des personnes reconnues prioritaires par la commission de médiation conformément à l'article L. 441-2-3 du même code, et tant qu'aucune offre de logement ou d'hébergement respectant l'unité et les besoins de la famille ne leur aura été proposée par ladite commission.

M. Thierry Repentin.  - Nous proposons à nos collègues communistes un dispositif plus souple et aussi plus solide juridiquement. En octobre 2009, le rapporteur Braye s'était dit « sensible » au problème et chacun connaît la « sensibilité » de M. Braye. (Sourires)

Comment généraliser l'intermédiation locative si le Gouvernement n'agit pas en ce sens et si les propriétaires privés sont réticents ?

Mme Isabelle Pasquet, rapporteur.  - Cet amendement ne produirait ses effets que jusque fin octobre 2011, puisqu'il ne peut y avoir d'expulsions pendant la trêve hivernale. La commission a donné un avis défavorable ; à titre personnel, je ne voterai pas cet amendement qui reste très en deçà de la proposition de loi.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - Avis défavorable, mais pour d'autres raisons... (Sourires)

À mon sens, cet amendement va trop loin : il enverrait un signal très négatif.

Faut-il souligner que vous proposez, en somme, de suspendre les expulsions pour ne les reprendre qu'à la veille des présidentielles ? Ce doit être hasard : je n'y vois aucune malice. (Nouveaux sourires)

Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi.  - L'État a obligation de faire en sorte que personne ne soit privé de son droit au logement. Notre article 2 va dans ce sens.

Est-ce inconstitutionnel ? Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur le principe de séparation des pouvoirs, qui veut que l'on ne puisse suspendre une décision judiciaire à une action administrative.

J'ajoute que le moratoire que vous proposez, programmé jusqu'en 2012, aurait peu d'effet, d'autant que le temps de la navette retarderait la date de sa mise en oeuvre.

La solution reste la construction de nombreux logements sociaux. Faut-il rappeler que le taux de surendettement a progressé de 17 % en deux mois cet hiver ? Enfin, cet amendement ne concernerait qu'une trop faible partie des personnes concernées par des expulsions. Malgré les bonnes intentions de nos collègues socialistes, nous nous abstiendrons.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

Mme Évelyne Didier.  - La question des expulsions locatives pose un sérieux problème dès lors qu'a été adoptée la loi Dalo. Ce droit au logement opposable n'est qu'un moyen de lutte contre l'exclusion sociale ; il ne peut tout résoudre.

Certaines régions de notre pays connaissent depuis longtemps de fortes tensions sur le logement, aggravées par la hausse considérable des prix immobiliers. Des choix locaux, à Marseille par exemple, ont pu concourir à cette tension, traditionnelle en Île-de-France et sur la côte méditerranéenne.

L'inscription au fichier Dalo devrait suffire pour justifier un non-recours à des décisions de justice.

À la demande du groupe CRC-SPG, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 316
Majorité absolue des suffrages exprimés 159
Pour l'adoption 131
Contre 185

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 4 n'est pas adopté.En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue à 19 h 30.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 h 35.

Conférence des présidents

M. le président donne lecture des conclusions de la Conférence des présidents.

L'ordre du jour est ainsi réglé.

Question prioritaire de constitutionnalité

M. le président.  - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 4 mai 2011, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité, dont le texte est disponible au bureau de la distribution.

Saisine du conseil constitutionnel

M. le président.  - Le président du Conseil Constitutionnel a été saisi d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution par plus de 60 députés de la loi relative à l'organisation du championnat d'Europe de football de l'UEFA en 2016.

Avis sur des nominations

M. le président.  - En application de la loi organique du 23 juillet 2010 et de la loi du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, la commission de l'économie a émis un vote favorable, par 23 voix pour et aucune contre, à la nomination de M. Jean-François Dhainaut à la présidence du Haut conseil des biotechnologies ; et celle de la culture, par 9 voix pour et 3 votes blancs, à la nomination de M. Didier Houssin à la présidence du Conseil de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Habitat indigne outre-mer

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer.

Discussion générale

Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer.  - Je suis heureuse de représenter le Gouvernement pour la discussion de ce texte, adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 26 janvier dernier et inspiré par les travaux du député Serge Letchimy. L'objectif de la proposition de loi est de relancer le logement social outre-mer et de reconstituer un tissu urbain dégradé.

Outre-mer, la politique du logement repose sur l'accroissement de l'offre de logements sociaux et une intervention forte sur l'habitat privé informel ou dégradé. Cette proposition de loi complète la Lodeom, votée il y a deux ans. Pour développer l'offre nouvelle de logements, le Gouvernement dispose de deux leviers : la défiscalisation et la LBU. Ainsi, plus de 7 000 logements ont été réalisés en 2010 grâce à la défiscalisation, les crédits de la LBU ayant été préservés en 2011 à hauteur de 275 millions d'euros.

M. Daniel Raoul.  - Mais non consommés !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - L'article 169 de la loi de finances pour 2011 permet en outre à l'État de céder gratuitement des terrains destinés à accueillir des programmes de logements sociaux ou des équipements publics.

M. Thierry Repentin.  - Combien d'opérations ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre.  - L'État pourra intervenir seul en cas de surcharge foncière.

Pour améliorer l'habitat existant, le Gouvernement soutient les actions de renouvellement urbain ; treize conventions ont été signées à ce titre dans les cinq départements d'outre-mer. Au total, ce sont 1,8 milliard d'euros de travaux qui bénéficieront à l'économie ultramarine ; 5 000 logements sociaux seront réalisés. Pour le logement privé, j'ai signé en 2009 et 2010 deux conventions d'appui, l'une avec le réseau Habitat et Développement, l'autre avec le club des Pact Dom.

Le Gouvernement souhaite donner un nouveau souffle à la lutte contre l'habitat informel. C'est pourquoi les champs d'investigation n'ont pas été limités aux aspects techniques. Je souligne la qualité du rapport remis par M. Serge Letchimy.

Des mesures d'application immédiate ont été prises : pôles départementaux de lutte contre l'habitat insalubre, soutien aux plans communaux de lutte contre l'habitat indigne, formation des agents de l'État. Aujourd'hui, nous engageons une nouvelle étape avec cette proposition de loi. L'habitat informel est dans les départements d'outre-mer et à Saint-Martin une réalité visible, qui concerne une construction sur deux ; des dizaines de constructions informelles sont érigées quotidiennement, avec des risques pour la santé et la sécurité publiques. L'ampleur du phénomène et sa forte croissance exigent des dispositions spécifiques. La situation est particulièrement inquiétante à Mayotte, où l'on voit se multiplier les bidonvilles. Autour de ces constructions, qui sont souvent le seul patrimoine de leurs occupants, des activités commerciales ou artisanales se sont développées.

Je salue les avancées inscrites dans le texte voté par l'Assemblée nationale, notamment l'attribution d'une aide financière aux occupants de constructions informelles devant être expropriés dans le cadre d'opérations d'aménagement. Il y a là une incitation à la transition vers une situation normalisée. Le versement de l'aide est soumis à des conditions strictes -notamment l'occupation paisible et de bonne foi pendant dix ans. Votre commission a limité la portée de la disposition à l'outre-mer, exclu explicitement les marchands de sommeil et pris en considération le cas de bailleurs de bonne foi.

La deuxième avancée du texte tient à la flexibilité des conditions d'intervention du préfet ou du maire. La définition du périmètre d'insalubrité a été adaptée, afin de tenir compte de la possible hétérogénéité des quartiers -ce qui suppose un travail préalable de repérage.

16

René-André Fabre,

Directeur

Direction des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du jeudi 5 mai 2011

Séance publique

DE 9 HEURES À 11 HEURES

1. Proposition de résolution relative à la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution (n° 358, 2010-2011).

DE 11 HEURES À 13 HEURES

2. Proposition de résolution relative à la politique énergétique de la France, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution (n° 397, 2010-2011).

DE 15 HEURES À 19 HEURES

3. Proposition de loi visant à moderniser le droit de la chasse (n° 355, 2009-2010).

Rapport de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission de l'économie (n° 443, 2010-2011).

Texte de la commission (n° 444, 2010-2011).

À 19 HEURES ET LE SOIR

4. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative au prix du livre numérique.

Rapport de Mme Colette Mélot, rapporteur pour le Sénat (n° 484, 2010-2011).

Texte de la commission (n° 485, 2010-2011).

5. Proposition de loi relative à la régulation du système de distribution de la presse (n° 378, 2010-2011).

Rapport de M. David Assouline, fait au nom de la commission de l'économie (n° 474, 2010-2011).

Texte de la commission (n° 475, 2010-2011).

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ERRATUM

A la séance du mardi 3 mai 2011, page 24, seconde colonne, au début du 4e paragraphe, au lieu de « retard », bien lire « retour ».