Débat sur les concessions autoroutières

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les concessions autoroutières, à la demande du groupe UMP et de la commission du développement durable.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour le groupe UMP .  - L'article L. 122-4 du code de la voirie précise que l'usage des autoroutes est en principe gratuit. Les exceptions à ce principe sont, en réalité, devenues la règle, alors que la France bénéficie de l'un des meilleurs réseaux d'autoroutes du monde, à la fois dense et remarquablement entretenu. Mais cela a un coût, c'est le prix de la qualité, qualité entretenue par des sociétés privées sur 9 048 des 11 882 kilomètres du réseau. Les privatisations de 2002, 2004 et 2006 ont concerné les autoroutes du sud de la France, puis celles du nord, de l'est et enfin l'autoroute Paris-Rhin-Rhône. Un rapport de la Cour des comptes a été publié en juillet 2013 ; une proposition de loi du groupe CRC a été débattue ici en janvier puis juin 2014, qui proposait de nationaliser les sociétés concessionnaires et d'affecter les dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf).

Depuis, la question des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires est devenue prégnante et le débat s'est envenimé, ce que notre groupe déplore.

Le débat sur le financement des infrastructures de transport ne mérite ni polémique ni démagogie, mais sérieux et lucidité. Qu'il se soit intensifié à l'occasion de l'abandon de l'écotaxe n'est pas un hasard...

L'Autorité de la concurrence, saisie par la commission des finances de l'Assemblée nationale, a rendu son avis en septembre 2014. L'Assemblée nationale a créé une mission d'information en mai 2014. La commission du développement durable du Sénat s'est elle aussi emparé du sujet en créant en octobre un groupe de travail. Les sociétés concessionnaires ont été la cible de propos stigmatisants de Mme Royal, en réalité une sorte de contrefeu pour faire oublier le fiasco de l'écotaxe.

Ce débat pose la question du retard dans la réalisation de notre programme d'infrastructures. Le groupe UMP était favorable à l'écotaxe, qui devait contribuer au budget de l'Afitf. Les sociétés concessionnaires contribuent d'ailleurs au financement des infrastructures au travers des taxes dont elles s'acquittent. Sans le péage acquitté par les usagers, le réseau autoroutier ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. Il convient donc d'adopter un discours plus mesuré et équilibré. Les contrats eussent pu être mieux négociés, certes, mais renationaliser ces sociétés serait irréaliste - le coût serait de 15 à 20 milliards d'euros... La concession est une forme de partenariat public-privé, répondant bien aux besoins de financement des infrastructures, surtout dans un pays dont les finances publiques sont fragiles.

M. Valls a annoncé dans mon département, au côté du président de Vinci, sa volonté de relancer les partenariats public-privé, en inaugurant le viaduc de la Dordogne sur lequel passera le TGV reliant Paris à Bordeaux en 2017.

Le coût pour l'usager, matérialisé par le tarif de péage, est-il trop élevé ? Il dépend des clauses contractuelles, qui n'ont pas changé, pour celles qui étaient en cours lors de la privatisation, laquelle n'a, de ce point de vue, rien changé. Du point de vue tarifaire, seule une renégociation des contrats est envisageable ; c'est au gouvernement de jouer son rôle, afin de trouver des solutions offrant de meilleures conditions pour l'État et les usagers. Cette renégociation peut avoir lieu dans le cadre d'un prolongement des contrats en contrepartie du plan de relance autoroutier. Le fait que ce plan de relance ait été validé par Bruxelles en octobre dernier montre que la Commission européenne ne remet pas en cause les clauses contractuelles. Quel paradoxe que de voir le gouvernement, à Bruxelles, demander la validation de ce plan et ici, à Paris, mettre de l'huile sur le feu...

M. Charles Revet.  - Très bien !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Le montant des péages n'est pas libre, il est défini par le cahier des charges sur la base d'un décret de 1995. Le tarif kilométrique moyen peut varier en fonction des tronçons, d'autant que les sociétés d'autoroutes ont des statuts et des durées de concession divers. Elles se sont parfois vues imposer par l'État en cours de contrat de nouveaux investissements, avec pour contrepartie une augmentation des péages - c'est le cas par exemple sur un tronçon de l'A89 en Gironde.

Comme l'explique le rapport de l'Assemblée nationale de juillet 2013, « le système repose sur le principe que tous les investissements doivent être compensés par des hausses de tarifs » ; et que les bénéfices n'ont pas vocation à être réinvestis...

Mme Évelyne Didier.  - C'est cela, le problème !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - L'État est placé dans un rapport de force déséquilibré, peu propice à la maîtrise des tarifs. La hausse de ceux-ci est aussi causée par le coût des travaux ou les normes environnementales. Les exemples abondent. Les sociétés concessionnaires ont dû gérer un grand nombre de travaux sur un réseau de plus en plus grand, où les péages sont plus ou moins rentables. Dans les zones montagneuses, la sécurisation des autoroutes peut coûter jusqu'à 5 millions par kilomètre et par an. Jusqu'en 2011, les sociétés ont appliqué le principe du foisonnement, selon lequel les tronçons les plus rentables peuvent financer les moins rentables grâce à une modulation tarifaire.

Il existe autant de contrats que de sociétés concessionnaires. Le sujet est devenu de plus en plus complexe, comme l'a relevé la Cour des comptes. Sans compter que les concessionnaires répercutent dans leurs tarifs les taxes que leur impose l'État. Le gouvernement a ainsi augmenté la redevance domaniale de 200 à 300 millions d'euros en 2013. Il a depuis remis en cause l'accord discret passé à cette occasion avec les sociétés d'autoroutes, accord qui prévoyait une première hausse des péages de 0,5 % en février 2015. Il a été en quelque sorte pris la main dans le sac...

La hausse des tarifs doit être appréciée avec recul. Entre 2007 et 2014, elle a été de 1,81 % par an pour une inflation moyenne de 1,43 % ; avant la privatisation, elle était en moyenne de 2,6 %, avec une inflation de 1,63 %.

Je ne défends pas ici les sociétés concessionnaires, il faudra sans doute renégocier les contrats ; mais je veux éviter les caricatures. Les effets d'aubaine ne sont pas avérés. On a parlé de 3,6 milliards conservés grâce à la déductibilité des intérêts d'emprunts, mais c'était le régime fiscal normal jusqu'en 2013.

Les profits ? Une rentabilité supérieure à 20 %, comme le dit l'Autorité de la concurrence ? Si on soustrait les intérêts des emprunts contractés lors du rachat des autoroutes, la rentabilité à long terme chute à 7 %... Et le calcul de la performance financière doit tenir compte des investissements nécessaires.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Monsieur le ministre, notre groupe se félicite de certaines avancées, notamment à l'article 5 du projet de loi qui porte votre nom. Mais il faut préserver la crédibilité de l'État. Sa parole doit être respectée.

M. Éric Doligé.  - Bravo.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Le président de la République, lors d'une portion d'autoroute entre Brive et Tulle, a appelé à un règlement global et définitif du différend. Le groupe UMP souhaite qu'un équilibre soit préservé entre les intérêts de l'État, ceux des usagers et ceux de l'économie. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs UMP)

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable .  - Notre commission a souhaité se saisir de la question des concessions autoroutières dès son installation. Lors de l'audition de Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, le 22 octobre, notre commission tous groupes confondus a été interloquée, choquée même par la situation évoquée déjà un an plus tôt par la Cour des comptes. (M. Charles Revet le confirme)

Les relations entre les sociétés d'autoroutes et l'État sont déséquilibrées, comme on l'a vu pour le télépéage, qui a conduit à restreindre les embauches, augmenter les tarifs, tandis que les investissements étaient financés par l'État au nom de l'intérêt général... (Mme Sylvie Goy-Chavent approuve)

Or nous apprenions peu de temps après la validation par Bruxelles du plan de relance autoroutier. Nous considérons à la commission du développement durable que le Parlement ne doit pas être tenu à l'écart de ces questions - je ne reviens pas sur les privatisations de 2006... Nous avons ainsi décidé de créer un groupe de travail « commando », composé de sept membres, coprésidé par un élu de la majorité socialiste, Louis-Jean de Nicolaÿ, et un élu de l'opposition, Jean-Jacques Filleul, disposé à travailler vite pour formuler des recommandations. Il a procédé à une quinzaine d'auditions de toutes les parties prenantes. Monsieur le ministre, seuls vos services n'ont pas jugé utile de répondre à notre invitation, ce qui n'est pas admissible. (On approuve à droite)

M. Éric Doligé.  - C'est du dédain !

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable.  - Les propositions du groupe de travail font l'objet d'un assez large consensus. Nous ne sommes pas arrivés aux mêmes conclusions que la commission du développement durable de l'Assemblée nationale et son président, mais nous sommes d'accord sur l'essentiel : la situation actuelle, trop favorable aux sociétés d'autoroute, n'est plus tenable.

Le projet de loi pour la croissance, l'emploi et l'égalité des chances économiques a été amélioré par l'Assemblée nationale dans le sens que nous souhaitons - il était en effet bien maigre dans sa rédaction initiale sur les autoroutes. Une grande partie des enjeux relèvent de la négociation bilatérale entre l'État et les sociétés d'autoroutes. Nous souhaitons que le Parlement soit davantage associé. Depuis, un groupe de travail a été constitué par le gouvernement, et nous nous réjouissons que nos collègues en fassent partie. Nous attendons d'autant plus impatiemment ses conclusions que la presse se fait l'écho d'un accord imminent entre l'État et les sociétés d'autoroute.

Nous sommes persuadés que l'équilibre actuel doit être modifié, en faveur de l'usager. Le Sénat sera au côté du gouvernement ; encore faut-il que celui-ci manifeste clairement sa volonté. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire- Tous les membres du groupe de travail ont insisté sur la qualité de notre réseau autoroutier et de son entretien par les sociétés concessionnaires. (M. Henri de Raincourt approuve) À aucun moment les chiffres de l'Autorité de la concurrence n'ont été contestés - tout est question d'interprétation. On oppose aux fameux 20-24 % le taux de rentabilité interne, qui prend en compte la dette d'acquisition - formule retenue par Bruxelles.

La Cour des comptes a constaté que la formule d'indexation actuelle des péages n'est pas performante, car elle n'est pas proportionnée au risque réel encouru par les sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui sont en situation de monopole. Cette rente est préjudiciable aux usagers.

Mme Évelyne Didier.  - Absolument !

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour la commission du développement durable - Le problème est que l'État n'a pas modifié le cadre applicable aux concessions lorsqu'il a privatisé. Avec les contrats de plan, l'État souffre d'une asymétrie d'information, qui l'empêche de payer le juste prix des travaux. Et les tarifs de péages sont déconnectés de la réalité de ceux-ci.

Nous avons considéré que la situation ne pouvait perdurer, il faut mettre fin à ce qu'on peut considérer comme une rente, étant entendu que l'objectif n'est pas de récupérer des recettes que l'on n'a pu obtenir de l'écotaxe.

Un autre enjeu est la transparence. Il y a encore trop de zones d'ombre - il faut dire que les contrats de concession ont été « bétonnés », si j'ose dire, dans les règles de l'art... Il convient d'obliger les sociétés concessionnaires à communiquer chaque année au Parlement, à l'administration, aux autorités de contrôle toutes les données nécessaires.

Le projet de loi relatif à la croissance élargit les compétences de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, c'est une bonne chose. Le contrôle des marchés de travaux sera renforcé - mais le seuil de mise en concurrence doit être abaissé à 500 000 euros.

Oui ou non devons-nous signer de nouveaux contrats de plan ? Deux options sont possibles. Ou bien on en finit avec la formule et on attend la fin des concessions. L'effet mécanique serait de limiter la progression des péages. Et la pression devrait être maintenue sur les concessionnaires pour qu'ils respectent leurs engagements contractuels de droit commun. Les travaux prévus pourraient, soit être réduits, soit être financés par d'autres moyens. La seconde option serait de remanier profondément le plan de relance et d'ajuster la loi tarifaire des concessions. Il est impensable que les péages augmentent plus vite que l'inflation. Il faudrait aussi prévoir une obligation de réinvestissement des bénéfices et des clauses de partage de ceux-ci. En tout état de cause, le Parlement devra être consulté avant toute décision du gouvernement.

Le rachat des concessions... Le groupe de travail dans son ensemble s'est montré sceptique sur le réalisme de l'opération, d'une ampleur de 50 milliards d'euros environ. Si les circonstances le justifient, il pourrait racheter une concession, afin d'en dresser un bilan et d'affiner son expertise.

M. Charles Revet.  - Bonne suggestion.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour la commission du développement durable - Nous souhaitons que le groupe de travail de Matignon aboutisse rapidement à des propositions équilibrées et raisonnables.

(Applaudissements au centre et à droite)

M. Joël Labbé .  - Ce débat s'inscrit dans un contexte, celui des groupes de travail du Sénat, de l'Assemblée nationale, du Premier ministre, des rapports de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence. Toute la lumière doit être faite sur les profits des sociétés concessionnaires et les relations qu'elles entretiennent avec l'État, compte tenu des enjeux économiques et écologiques de ce débat, toujours ouvert. Le groupe écologiste considère qu'il ne faut exclure aucune hypothèse : reprise des concessions, négociations des contrats, contribution fiscale supplémentaire...

Le groupe écologiste s'oppose clairement au plan de relance autoroutier dont le montage financier a été validé par Bruxelles. Il est injustifié : il prive l'État de ressources pérennes et vise à étendre le réseau. La privatisation de 2006 par le gouvernement de droite a été un véritable scandale. Elle n'a rapporté que 14,8 milliards alors que les autoroutes auraient rapporté 37 milliards aux finances publiques depuis cette date. Prolonger les concessions, c'est persévérer dans cette lourde erreur.

Les difficultés de contrôle par l'État des activités des concessionnaires ont été signalées par la Cour des comptes. Les autoroutes sont un bien commun. C'est un comble que l'État soit en situation de faiblesse face à des sociétés concessionnaires surpuissantes.

Le transport est le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France. L'émission de particules fines fait perdre huit mois à l'espérance de vie en moyenne. Il faut contraindre les sociétés concessionnaires d'autoroutes à moduler les péages en fonction des normes européennes de pollution des poids lourds. Le principe constitutionnel pollueur-payeur doit être appliqué. L'argent des routes doit financer les alternatives au « tout routier ».

Une question, monsieur le ministre : après le renoncement à la taxe poids lourds, qui avait pourtant fait consensus lors du Grenelle, le gouvernement saura-t-il être sans concession face aux sociétés d'autoroutes ?

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable.  - Ah !

Mme Évelyne Didier .  - L'État ne se donne plus les moyens d'investir, à cause des règles imposées par l'Europe, qui reposent sur l'hypothèse qu'un acteur privé serait plus performant qu'un acteur public. Mais l'État a dû créer l'établissement « Autoroutes de France » dans les années 1980, précisément parce que les sociétés s'étaient montrées incapables d'assurer les investissements nécessaires sur le réseau et son exploitation. La suite a prouvé qu'on pouvait équilibrer le système dans un cadre public.

Les privatisations totales de notre système autoroutier ont eu lieu en 2006, alors que le Conseil de la concurrence avait alerté sur les dangers de l'abandon du monopole de l'État. Avec la RGPP, les capacités d'intervention et de contrôle de ce dernier ont fondu. Les gouvernements successifs se sont laissés convaincre par les sirènes du libéralisme et le patrimoine de l'État est devenu un actif, l'intérêt général un service au public. Oui, madame Des Esgaulx, la loi tarifaire est la même aujourd'hui qu'hier et c'est cela qui pose problème. L'État ne pouvant plus gérer son patrimoine s'en est séparé. D'où la disparition des notions d'intérêt général, de bien commun, au profit de celles, beaucoup plus fun, de service au public, compétitivité, part de marché. L'État n'est plus le concédant. Il redeviendra peut-être, un jour, propriétaire, mais quand ?

Il est grand temps que la politique réinvestisse ce débat, d'où la logique libérale a banni des mots aussi essentiels que celui de « bien commun », démocratie, État. Le choix de la concession devenue perpétuelle bénéficie aux actionnaires, au détriment des usagers - qui paient.

Le taux de rendement interne moyen est de 7,8 % et continuera d'augmenter, si toute remise en cause du contrat est exclue. C'est pourquoi nous n'arriverons pas à trouver des aménagements avec les sociétés. Il y a bien une rente autoroutière. Je fais ici un pari : lorsque les gains de productivité ne seront plus possibles, on demandera à l'État de les racheter, comme en 1983. Autant le faire tout de suite. L'État doit redevenir ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : le garant de l'intérêt général. Ne manquons pas cette occasion. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur quelques bancs socialistes)

M. Alain Bertrand .  - Plus on étudie le sujet, plus on est mal à l'aise... Madame Des Esgaulx, c'est le gouvernement que vous souteniez qui a aliéné le patrimoine national dans les conditions que l'on sait. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx proteste)

Ce qui est stigmatisant, madame, ce ne sont pas les propos de Ségolène Royal, c'est la cession par la majorité de l'époque pour 14,8 milliards et les taux de retour sur investissement empochés par les sociétés concessionnaires d'autoroutes.

M. Éric Doligé.  - Ce n'est pas sérieux...

M. Alain Bertrand.  - Je connais votre verve, madame Des Esgaulx, c'est votre qualité, elle a dépassé votre orgueil...

M. Henri de Raincourt.  - Ce n'est pas galant !

Mme Évelyne Didier.  - La galanterie n'a rien à voir avec cela.

M. Alain Bertrand.  - La rente autoroutière existe, il faut en répondre devant les Français : elle a atteint un total de près de 10 milliards d'euros depuis 2006, malgré la crise financière. Et les tarifs ont augmenté de 21,7 %... À nous, on dit qu'il n'y a pas d'argent, qu'il faut faire attention, ces sociétés, elles ont une marge nette de plus de 20 %... Elles ont une stratégie industrielle mais surtout financière...

Le Premier ministre Manuel Valls a mis en place une commission pour étudier des scénarios envisageables. Racheter les concessions, c'est plutôt les résilier.

Mme Évelyne Didier et Mme Marie-France Beaufils.  - En effet.

M. Alain Bertrand.  - On nous dit que cela coûterait 40 à 50 milliards d'euros. Mais les concessions prennent fin en 2030 ; en 2006, il aurait fallu faire payer, mutatis mutandis, 70 ou 80 milliards...

Derrière cela, il y a des territoires, des emplois... Le véritable enjeu, c'est de répondre aux Français. Gérer des autoroutes n'est pas vraiment de la compétence de l'État ; je reste ouvert à tous les scénarios : reprise des concessions, renégociations des contrats. Il faut revoir les appels d'offres, qui manquent de transparence. Ma préférence va toutefois à la résiliation des concessions, avec une révision de l'article 38. Un adossement à la Caisse des dépôts et consignations est envisageable. Qu'en pense le ministre ?

M. Francis Delattre.  - Il n'a pas une tête de résiliateur ! (Sourires)

M. Alain Bertrand.  - Quoi qu'il en soit, faisons bouger les lignes. Je compte sur M. Macron, qui a les capacités pour le faire ! (Exclamations à droite ; applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE )

M. Éric Doligé.  - À coup de 49-3 ?

M. Henri de Raincourt.  - Vive M. Macron !

M. David Rachline .  - Les privatisations menées par les majorités successives de l'UMPS (Mouvements divers)... oui, au pouvoir, vous appliquez la même politique ! Ces privatisations, disais-je, ont été une faute majeure. Les actionnaires des sociétés d'autoroutes en ont été les principaux bénéficiaires, au détriment des usagers, qui se sont vus pris en otage. Le gel des tarifs annoncé début mars était bien le moins que le gouvernement pouvait faire. Le Front national n'a cessé de dénoncer cette situation.

Nous nous retrouvons pieds et poings liés par ces contrats, qui rappellent celui de l'écotaxe -  dont le fiasco coûte un milliard d'euros à l'État. Vous êtes les auteurs de cette mauvaise farce qui ne fait plus rire personne. Que de temps et d'argent perdus ! La prise de conscience est désormais réelle, tant mieux. Nous sommes favorables au rachat des concessions, que propose le groupe de travail du Sénat. Surtout, nous prônons une renationalisation rapide, progressive, autofinancée par le rendement des péages ; remettons les choses à l'endroit, récupérons cette manne financière. Ces autoroutes financées par les contribuables, doivent demeurer un bien public et les bénéfices revenir intégralement à l'État.

M. Jean-Yves Roux .  - Transport et environnement sont au coeur de nos préoccupations d'élus. L'État a concédé l'exploitation des autoroutes à des sociétés dans lesquelles il était, à l'origine, majoritaire. Les choix faits en 2006 ont modifié cette situation historique et ont profité à trois groupes principaux. La Cour des comptes a dénoncé ce déséquilibre et mis en lumière certains dysfonctionnements : tarifs des péages qui augmentent plus que l'inflation, insuffisant suivi des stipulations contractuelles, déséquilibre au profit des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Le Sénat a mis en place un groupe de travail sous la houlette de Louis-Jean de Nicolaÿ. L'Assemblée nationale a fait de même.

La formule d'indexation des péages est inadaptée et crée une rente injustifiée. L'État aurait dû modifier le cadre juridique applicable aux sociétés concessionnaires d'autoroutes lors des privatisations. Il est vital que gouvernement et Parlement se réapproprient le sujet.

Le gouvernement a mis en place un groupe de travail associant quinze parlementaires ; il semble déterminé à remédier aux dysfonctionnements dénoncés par la Cour des comptes. Bravo, monsieur le ministre : vous avez véritablement le souci de l'intérêt général.

Le gel de la hausse des péages est une autre bonne nouvelle. Il faudra toutefois aller plus loin. Renforçons la transparence et la régulation du secteur : élargissons aux autoroutes les compétences de l'Araf, comme le propose la loi Macron, telle qu'amendée par les députés. Les modalités des concessions pourront être examinées en cours d'exécution. Nous défendrons ces dispositions.

Changeons de modèle pour les contrats de plan. Les sociétés concessionnaires d'autoroutes doivent communiquer au Parlement toutes données utiles.

Le projet de loi pour la croissance et l'activité renforce en outre les obligations pesant sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes ; les sous-concessions seront ainsi soumises à publicité et mises en concurrence. Une clause de bonne fortune sera intégrée aux contrats de plan, dans un souci de transparence, au bénéfice des usagers, de l'État ou de nouvelles infrastructures.

Nous avançons. L'État ne doit pas être naïf s'il veut renégocier à son avantage. Freiner l'augmentation des prix doit être une priorité. La réflexion menée doit servir à préparer des schémas de mobilité modernes et plus respectueux de l'environnement.

Les solutions sont politiques, techniques, environnementales. Engageons-nous résolument dans la modernité ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Albéric de Montgolfier .  - Je remercie le groupe UMP pour son initiative. Rapporteur général de la commission des finances, je veux dire un mot sur les enjeux budgétaires. De ce point de vue, la réalité, c'est que 9 000 kilomètres d'autoroutes sont entretenus sans frais pour l'État. Quatre projets d'infrastructure ambitieux ont été conduits récemment, pour 11 milliards d'investissement privé, entraînant 100 000 emplois dans le BTP. C'est beaucoup dans le contexte actuel.

Entre 2002 et 2006, les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont versé 22,5 milliards d'euros en coûts d'acquisition, dont 10,9 milliards à l'État, pris en charge 19 milliards d'euros de dette et 5 milliards d'engagements d'investissement. L'État s'est-il appauvri ? À la différence des privatisations, il reste propriétaire du réseau, qu'il est censé reprendre en fin de concession. Les sociétés concessionnaires d'autoroutes versent 1,7 milliard d'euros de TVA, et 2,2 milliards d'impôts et taxes diverses, soit 3,9 milliards d'euros de recettes au total.

La privatisation n'a rien changé aux tarifs. C'est le décret de 1995 qui est en cause. Un taux de rentabilité de 7 à 8 % est-il trop élevé ? Le Conseil de la concurrence indique que les investissements autoroutiers, considérables, ne peuvent être financés que par l'emprunt ; la rentabilité ne s'améliore que dans un second temps. Démographie, prix des carburants, jouent également sur les tarifs.

À l'issue d'une période de perte, les sociétés concessionnaires d'autoroutes peuvent espérer revenir à l'équilibre avant d'envisager le temps des bénéfices. Voilà le modèle économique général des sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Quand la dette de la France approche 100 % du PIB et que l'investissement public fond, le risque est grand de réduire l'investissement routier à néant - voyez le fiasco de l'écotaxe...

Rien n'interdit de recourir à un plan de relance autoroutier ; cela a été fait par le passé, notamment durant la crise de 2008. Nos autoroutes sont parfois sous-calibrées ou mal entretenues - voyez Massy-Palaiseau, le débouché de l'A10, celui de l'A3 et de l'A1, la desserte des aéroports parisiens - avec les conséquences en millions d'heures perdues en embouteillages et la pollution que cela entraîne.

Je rappelle que le plan Juncker repose sur l'investissement privé, avec un multiplicateur de 15 : j'y vois une occasion de relancer l'investissement routier, et d'achever un certain nombre de programmes profitables à notre compétitivité. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Pierre Médevielle .  - À la suite du rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale de 2012 sur les concessions autoroutières, son président a saisi l'Autorité de la concurrence, qui a rendu le sien le 17 décembre 2014. Sans surprise, c'est un rapport à charge, comme l'illustre l'emploi accusateur du mot « rente ».

Mme Évelyne Didier.  - C'est faux.

M. Pierre Médevielle.  - Ce rapport a entraîné un bashing sans précédent des sociétés concessionnaires d'autoroutes dans les médias. Les présidents Larcher et Maurey ont décidé de mettre en place un groupe de travail de six sénateurs. Nous avons mené les mêmes auditions, récolté les mêmes chiffres que l'Autorité de la concurrence, mais notre interprétation diverge. M. Lasserre sonnait la charge, grâce à un mode de calcul de la rentabilité pour le moins singulier, qui omettait de prendre en compte le coût d'acquisition, la reprise de la dette et l'investissement, soit la bagatelle de 40 milliards d'euros !

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - Une paille !

M. Pierre Médevielle.  - Sans parler du coût de l'entretien des infrastructures ! En choisissant un mode de calcul si peu adapté, les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence ont estimé avoir fait « ce qu'on leur demandait de faire ».

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - C'est tout dire !

Mme Évelyne Didier.  - Pourquoi jeter le discrédit sur ce rapport ?

M. Pierre Médevielle.  - Les conditions de la privatisation n'ont pas été défavorables à l'État. En période d'envolée foncière, l'opération a rapporté 22 milliards d'euros à l'État, lui a garanti 3 milliards de rente annuelle et dégagé 15 milliards de trésorerie.

Nous avons l'un des meilleurs réseaux d'Europe, et l'Allemagne s'apprête à adopter un modèle de concessions analogue au nôtre.

Le Canard enchaîné lui-même vole au secours des concessionnaires, avec un article au titre éloquent : « Accident de calculs sur les autoroutes ».

La hausse tarifaire a en réalité été plus limitée que prévue par rapport à l'inflation. Dans le même temps, les fortes hausses des tarifs des TGV ne suscitent aucune réaction...

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - Sauf chez les usagers !

M. Pierre Médevielle.  - M. Lasserre a dit devant l'Assemblée nationale être prêt à revoir ses calculs si des erreurs méthodologiques s'y étaient glissées... (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s'exclame)

Un document récent de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer fait apparaître une baisse des prévisions du trafic routier. Au même moment, une étude envisage une renationalisation - pour ensuite reprivatiser !

M. Crozet, du laboratoire d'économie des transports de l'Université de Lyon, juge que la gratuité n'est plus à l'ordre du jour et qu'une renationalisation coûterait beaucoup trop cher à l'État. Il cite Perrette et le pot-au-lait...

Ce qui est grave, c'est d'avoir fait croire à nos concitoyens que les tarifs des péages pouvaient baisser d'un coup de baguette magique, que les sociétés concessionnaires d'autoroutes étaient une poule aux oeufs d'or.

Mme Évelyne Didier.  - Elles sont bien dodues, en tous cas.

M. Pierre Médevielle.  - Les citoyens ont été roulés dans la farine. La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer a été décrédibilisée. L'Araf n'est guère enthousiaste à l'idée d'assumer ces nouvelles missions, et il n'est pas dit qu'elle fasse mieux.

Cet épisode aura prouvé une nouvelle fois la nécessité du bicamérisme et du Sénat. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - Exactement !

M. Éric Doligé .  - Sans vouloir retourner le couteau dans la plaie, je souligne que M. Rachline et les membres des groupes socialiste et CRC ont exactement les mêmes positions. (Vives protestations sur les bancs CRC et socialistes)

Mme Évelyne Didier.  - Argument extraordinaire !

M. Éric Bocquet.  - Quelle conclusion en tirez-vous ?

M. Éric Doligé.  - Je vous laisse en tirer vos propres conclusions.

M. Jean-Jacques Filleul.  - Cela ne veut rien dire !

M. Éric Doligé.  - Essayons de sortir du débat politicien qui a commencé avec l'affaire de l'écotaxe : nous devrons verser 820 millions à Écomouv et perdons le milliard que devait rapporter l'écotaxe. Tout cela à cause d'un 49.3 ministériel. (On apprécie, à droite) Mon département a perdu 9 millions par an ; la parole de l'État a été dévaluée. Or le partenariat public-privé était finalement irréprochable.

Allons-nous à présent polémiquer, de nouveau, sur la privatisation des autoroutes ? Qui paierait les 40 milliards de leur renationalisation ? Les tarifs des péages sont de toute façon encadrés.

Les annonces ont fusé dès la parution de l'avis de l'Autorité de la concurrence, qui estimait la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes à 24 %. La réalité est tout autre. Voyez l'A19 : le concessionnaire a emprunté des sommes considérables pour investir. Cinq ans après, le bilan financier est toujours négatif. La rentabilité augmentera progressivement pour atteindre 24 %, mais si l'on tient compte des passifs, elle est plus proche, en définitive de 6 à 7 %.

Notre économie va mal, la situation de l'emploi est catastrophique, et nous dissertons sur la gratuité... D'aucuns se satisfont d'un secteur de BTP atone... Depuis dix ans, nous nous battons pour obtenir une sortie d'autoroute à Gidy, pour des raisons de sécurité et d'environnement. Le dossier est enfin prêt. Une entreprise étrangère attend la bonne nouvelle pour créer 1 150 emplois. Il suffit que je lui confirme. Si je ne peux le faire, elle va se développer à l'étranger. Il doit y avoir des exemples similaires en France.

Monsieur le ministre, aidez-nous à inverser durablement la courbe du chômage ! (Applaudissements sur les bancs UMP et UDI-UC)

M. François Aubey .  - Les sociétés concessionnaires d'autoroutes historiques représentent 92 % du chiffre d'affaires du secteur. Leurs profits attirent désormais tous les regards. La Cour des comptes, en 2013, a dénoncé les déséquilibres entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes et l'encadrement insuffisant des négociations des contrats de plan.

Tout aussi grave : le suivi des opérations d'investissement est insuffisant, faute de transparence. En 2014, c'était au tour de l'Autorité de la concurrence de dénoncer le régime très favorable des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui font d'importants profits. Leur rentabilité est sans rapport avec leur activité : 24 % de rendement, c'est indécent !

Nous avons entendu de nombreuses pistes. Ne réitérons pas, en tout cas, l'erreur de 2006.

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont liées à l'État par des contrats très protecteurs. Les taxer n'est pas si simple : cela conduirait à allonger la durée des concessions - un comble ! - On pousserait les tarifs à la hausse. Une renationalisation intégrale coûterait 40 à 50 milliards d'euros.

M. Ladislas Poniatowski.  - C'est bien de le reconnaître !

M. François Aubey.  - Le groupe de travail du Sénat propose d'agir à plusieurs niveaux : transparence accrue, création d'une instance de régulation, surveillance des contrats de plan... Bref, nous devons reprendre la main. Personne ne comprendrait que le gouvernement rallonge les concessions en échange de 3 milliards d'euros de travaux.

Il est possible d'aller plus loin que ce que prévoit le projet de loi Macron, mais les pouvoirs accrus confiés à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières sont un premier pas dans le bon sens, tout comme l'information améliorée du Parlement. Les choses bougent.

Les usagers s'organisent également. Sur les autoroutes A1, A6, A7, A9, A13, ils se mobilisent pour dénoncer la hausse des tarifs. Je connais d'expérience l'A13 normande : la Société des autoroutes Paris-Normandie demande une compensation exorbitante pour le rachat du péage d'Incarville. Qui reprocherait aux automobilistes de protester contre les 15,10 euros d'un Paris-Caen, ou les 8,90 euros d'un Rouen-Caen ? Pas moi !

Les questions économiques ne sauraient être déconnectées des enjeux écologiques. Le secteur des transports est responsable de 27 % des émissions de gaz à effet de serre, et de 42 000 décès par an à cause des particules fines. L'avenir n'est pas au tout automobile, mais à une combinaison de transports rapides et lents, mécanisés et doux, individuels et collectifs. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Bouvard .  - Quelques rappels tout d'abord. Le financement des infrastructures a d'abord été assuré par une fraction de la TIPP. Le plan Balladur de 1993, le plan de 1995 de Charles Pasqua, assis sur des taxes spécifiques, étaient plus élaborés. Lionel Jospin a procédé à la première privatisation de sociétés autoroutières en 2002. Les recettes n'ont pas servi à financer des infrastructures. En 2005, le gouvernement Villepin privatisait des autoroutes, non pas en catimini comme on l'a dit mais à l'issue de très vifs débats que nous avons eus à la commission des finances de l'Assemblée nationale, grâce à quoi le prix a été relevé de 10,5  à 14,8 milliards d'euros.

Ce rappel, non pour dire comme d'aucuns que tous feraient pareil, mais pour insister sur l'exigence de trouver des solutions stables et une plus grande transparence.

Le rapport de la Cour des comptes de 2013 relève que le ministère des transports est défavorisé dans le rapport de forces avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes ; que les règles d'indexation ont conduit à une hausse des tarifs supérieure à l'inflation. Lions ce débat à celui du report modal et à celui du financement des infrastructures de transport en général. Le financement de l'Afitf est un problème en soi. L'Eurovignette permettra de financer des externalités, de flécher des usages lisibles par nos concitoyens.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai accepté, avec M. Destot, la mission que m'a confié le gouvernement sur le financement de la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin.

Abordons ce dossier de manière consolidée, en tenant compte du financement durable des infrastructures, du report modal et des externalités. (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP ; M. le président de la commission du développement durable applaudit aussi)

M. Cyril Pellevat .  - Le rapport de l'Autorité de la concurrence a provoqué un débat animé. À la suite de l'audition de M. Bruno Lasserre, nous avons créé un groupe de travail au sein de la commission du développement durable. Le Conseil d'État est saisi du blocage des hausses de tarifs des péages - c'est dire si le sujet est d'actualité. Le cadre juridique est très contraint : les contrats ne peuvent être remis en cause avant expiration sans lourdes compensations. Je plaide pour une révision des contrats de plan, et notamment de la loi tarifaire avec un gel des péages pendant deux ou trois ans.

L'indexation sur l'inflation n'était pas pertinente : elle crée une rente injustifiée, de 20 % pour les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Or la clientèle est captive - les récents bouchons aux abords des stations en témoignent ! Le pouvoir d'achat des usagers est fortement affecté. La Haute-Savoie est traversée par deux des autoroutes les plus chères de France, alors que la fréquentation est assurée...

Le trafic poids lourds sur ces mêmes autoroutes, lui, baisse ce qui se traduit par l'engorgement du réseau départemental, au bord de l'asphyxie. Il y a urgence à agir en matière d'aménagement du territoire. Les tarifs augmentent pour les frontaliers qui travaillent en Suisse, et les chiffres d'affaires des sociétés concessionnaires d'autoroutes progressent plus vite que leurs charges, la hausse des tarifs couvrant largement la redevance domaniale imposée par l'État.

Il y a urgence à ce que le Parlement reprenne la main ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Patrick Chaize .  - Je ne reviens pas sur le rapport Lasserre, qui a semé le trouble. Relativisons son importance. La vraie question est de savoir ce que l'on veut faire de ces contrats de concession. Les privatisations passées n'ont pas apporté les recettes attendues ; elles ont cependant permis un désendettement, à hauteur de 20 millions d'euros. Si elles ont réduit les marges de manoeuvre de la puissance publique, on ne peut prétendre qu'elles aient été faites dans des conditions opaques.

Le retour des concessions dans le giron de l'État supposerait que celui-ci dispose d'opérateurs pour les gérer. Aujourd'hui, tous sont privés. Cela supposerait en outre des contreparties financières lourdes.

À l'époque, les sociétés concessionnaires d'autoroutes étaient publiques : l'État contractait avec lui-même et certaines clauses n'ont peut-être pas été assez précises.

Il faut réfléchir au renouvellement des concessions dans les meilleures conditions, pour l'État et pour les usagers. L'investissement peut être analysé comme rentable... In fine, l'usager a le sentiment de concessions perpétuelles. Il faut sortir de la situation actuelle, dans une logique « gagnant-gagnant ».

Transparence des tarifs, lisibilité, échéance claire de fin de contrat sont autant d'impératifs. Oui, sortons de l'impasse actuelle. Il faut garantir à l'usager que le tarif payé est bien conforme au service rendu. Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes doivent être équilibrées, les capacités de contrôle de l'État être renforcées.

Mme la présidente.  - Il faut conclure.

M. Patrick Chaize.  - Prenons exemple sur la méthode utilisée pour les centrales d'électricité il y a quelques années. (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP)

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique .  - Ce sujet suscite de fortes attentes légitimes. Veuillez excuser l'absence de Ségolène Royal, en déplacement. Le gouvernement qui a pris le sujet à bras-le-corps agit de manière coordonnée. Plusieurs rapports indépendants ont pointé les dysfonctionnements de la situation actuelle : Cour des comptes, Autorité de la concurrence, Assemblée nationale, Sénat.

Le gouvernement, fin 2014, a donc décidé de mener un premier travail avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes, avant que le Premier ministre ne mette en place un groupe de travail bipartisan, associant des parlementaires. Si mes services n'ont pas contribué à vos travaux, monsieur le président, c'est que ce groupe était en train d'être mis en place au même moment : cela m'est entièrement imputable, veuillez m'en excuser. Nous avons mandaté un inspecteur général des finances qui pilote ce groupe de travail et travaillons en toute transparence et sérénité.

Ne stigmatisons personne : ni les sociétés concessionnaires d'autoroutes, ni tel ou tel service de l'État, ni l'Autorité de la concurrence. Ne simplifions pas les situations. La manne financière de l'écotaxe était grevée d'un coût de gestion de 200 millions d'euros, je le rappelle !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Cela va coûter un milliard d'euros !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Si la majorité précédente y tenait tant, elle l'aurait mise en place plus tôt !

MM. Yannick Vaugrenard et Jean-Jacques Filleul.  - Exact.

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Transparence, responsabilité partagée, tel doit être l'esprit qui guide notre réflexion.

Regardons l'impact sur l'activité, les usagers, les infrastructures. Les situations sont très variées, il y a des contrats très profitables, d'autres non.

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable.  - C'est vrai.

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Le terme de « rente » n'est pas une insulte : c'est la caractérisation d'une situation économique objective qui peut être justifiée, ou non. Il faut distinguer la rente et le rentier. Ce n'est pas un gros mot !

M. Alain Richard.  - C'est vrai !

M. Emmanuel Macron, ministre.  - Nous cherchons à corriger certains points ; le système contractuel actuel permet aux sociétés concessionnaires d'autoroutes de répercuter sur l'usager une fiscalité accrue.

L'Autorité de la concurrence a regardé non la rentabilité mais l'excédent brut d'exploitation (EBE), la profitabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qu'elle juge excessive. La question de la rentabilité, elle ne l'a pas étudiée.

Certains contrats rapportent des surprofits, la régulation manque de transparence. Quand le plan vert a été décidé, la Cour des comptes a établi qu'il y avait eu des effets d'aubaine : les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont fait passer dans ce plan des travaux, comme l'installation du télépéage, qu'elles auraient faits de toute façon...

Nos objectifs ? Renforcer la qualité de nos autoroutes, et plus largement de nos infrastructures de transport. Préserver les intérêts des usagers. Mener une politique volontariste de travaux : c'est ce que fait le plan de relance autoroutier négocié à Bruxelles. Cela suppose des critères stricts de mise en concurrence des marchés, favorisant les PME et TPE qui ne sont pas liées aux sociétés concessionnaires.

Quatrième objectif, enfin, la transparence et une rentabilité raisonnable.

C'est dans cet esprit que le Premier ministre a installé un groupe de travail bipartisan, pour mettre à plat, en pleine transparence, les données des uns et des autres, analyser les éléments de rentabilité, l'impact sur les finances publiques des différents scénarios, le contenu du plan de relance approuvé par la Commission européenne.

Le gouvernement a pris la décision de geler les tarifs dans l'attente des conclusions de ce groupe : cela ne préjuge en rien de ce qui sera fait à l'issue de la négociation. De la même façon, il a suspendu le plan de relance.

Tout cela participe de l'équilibre que nous devons définir avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes dans les prochaines semaines.

D'importants points de convergence se dégagent : d'abord, la remise à plat de la régulation.

Dans ce domaine, le projet de loi pour la croissance et l'activité remet à plat les règles de concurrence, avec un contrôle indépendant par l'Arafer, autorité administrative indépendante, qui défendra les intérêts des usagers. Des clauses de bonne fortune seront introduites dans les prochains contrats, pour fixer des mécanismes correctifs. Les règles de transparence pour les marchés des sous-concessions seront renforcées.

Deuxième axe, une meilleure information du Parlement. Le projet de loi que je défends le prévoit ; le Sénat pourra encore améliorer ces dispositions.

Le président de la République a demandé un règlement global et définitif de ce problème. Nous visons une solution rapide, dans la foulée du rapport qui sera rendu le 10 mars.

Parmi les options, il y a la résiliation. C'est la plus radicale, la plus transparente. Mais elle pose des problèmes d'exécution, car elle appellerait l'indemnisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes, l'impact réputationnel ne serait pas neutre. Quid enfin du jour d'après ? Renationalise-t-on ou renégocie-t-on ? Le contexte dans lequel nous passerions de nouveaux contrats ne serait pas le même qu'aujourd'hui. Passerait-on contrat avec les mêmes sociétés, en majorité françaises aujourd'hui outre une entreprise espagnole, ou avec des Chinois, des Indiens, des Britanniques ? Par sûr qu'ils acceptent des conditions moins avantageuses -  et qu'en penseraient nos concitoyens ?

Peut-on renégocier les contrats existants, sans indemniser ? C'est ce que nous appelons de nos voeux, autour d'un rééquilibrage de la relation entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, d'objectifs environnementaux, de financement équilibré des infrastructures, d'un plan de relance, indispensable en termes d'activité du BTP, d'une fiscalité clarifiée.

Enfin, la remise à plat de la régulation doit faire partie de la solution de sortie. Le projet de loi que je défends y contribuera. L'information du Parlement est indispensable. Sans stigmatiser quiconque, rétablissons les conditions de la transparence, de la confiance, et d'un redémarrage de l'activité. Le gouvernement annoncera rapidement après le 10 mars des mesures, que nous débattrons ici début avril. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

La séance, suspendue à 17 h 10, reprend à 17 h 15.