Convention fiscale avec l'Allemagne (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 21 juillet 1959 entre la République française et la République fédérale d'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu'en matière de contribution des patentes et de contributions foncières, modifiée par les avenants des 9 juin 1969, 28 septembre 1989 et 20 décembre 2001.

Discussion générale

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - L'accord franco-allemand du 31 mars 2015 résulte des travaux de plusieurs années sur les travailleurs transfrontaliers et les retraités touchant une pension d'origine allemande. Par les sujets traités, il s'inscrit dans nos relations étroites.

Il assure le maintien du régime des 40 000 travailleurs frontaliers qui resteront imposés en France. L'Allemagne renonce à supprimer cette règle particulière mais percevra une compensation annuelle représentative d'un partage de l'impôt français.

De même, l'Allemagne a accepté de ne plus imposer les 70 000 retraités résidant en France et percevant une pension d'origine allemande, comme c'est le cas depuis 2005 ; ces retraités s'étaient vu soumis à une fiscalité plus lourde, sans parler des années de rattrapage. Là encore, une compensation financière sera versée en contrepartie.

La convention date de 1959 ; comme d'autres, elle doit être révisée et pour intégrer, entre autres, le projet BEPS de lutte contre l'érosion fiscale.

J'invite le Sénat à adopter ce texte conforme pour une application dès le 1er janvier 2016.

M. Albéric de Montgolfier, en remplacement de M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances .  - La raison de cet avenant se situe surtout dans les difficultés de 70 000 résidents en France percevant une pension allemande. Après la décision du 6 mars 2002 du tribunal constitutionnel de Karlsruhe, ces retraités ont commencé de recevoir des fiches d'imposition allemandes en 2009. C'est toujours désagréable ! Ce texte leur évitera une double imposition : l'Allemagne bénéficie pour l'heure d'une compensation financière en contrepartie d'une imposition exclusive des pensions en France, calculée sur une base estimée à 16 millions d'euros en 2013, mais qui atteindra 30 millions en 2020.

Deuxième point, la consolidation du statut fiscal des travailleurs frontaliers : 41 450 Français travaillent en Allemagne, 4 220 Allemands en France.

Le régime des transfrontaliers, contesté par l'Allemagne, est finalement conforté, en contrepartie d'une compensation égale à 44 % de l'impôt sur le revenu perçu en France ; le premier versement sera de 22 millions d'euros.

D'autres dispositions fiscales évoluent, comme la fiscalisation des plus-values perçues en France par des résidents allemands. Ces plus-values n'étant imposées qu'à hauteur de 5 % en Allemagne, l'avenant pose le principe d'une imposition in situ, conformément aux nouvelles normes de l'OCDE introduites également dans la convention France-Luxembourg. Le projet BEPS vise justement à éviter l'exploitation de clauses favorables qui subsistent dans certaines législations. Pourquoi ne pas préciser que les fiducies sont aussi concernées - comme dans l'accord avec le Luxembourg ?

L'article 9 pose le principe d'une imposition des dividendes dans le pays de résidence, sans préjudice de la possibilité d'un prélèvement à la source, limité à 15 % mais cette limite ne s'appliquera désormais plus aux dividendes versés à partir de revenus ou de gains tirés de biens immobiliers par des véhicules d'investissement immobilier qui distribuent la plus grande partie de leurs revenus annuellement.

La commission des finances, presque unanime, a donné un avis favorable à la ratification de cette convention. (Applaudissements)

M. Claude Kern .  - Nous avons appris il y a quelques jours que la France n'était plus le premier partenaire commercial de l'Allemagne. Pourtant, l'Allemagne n'est pas pour nous un partenaire comme un autre, des milliers de nos concitoyens travaillent outre-Rhin. Cette convention leur facilitera la vie, ainsi qu'aux retraités - près de 120 000 personnes en tout.

On compte quelque 42 000 personnes résidant en France et travaillant en Allemagne - contre 4 000 Allemands travaillant en France. Contrairement à la règle de l'OCDE, elles sont imposées en France, et ce principe demeure, contre une compensation justifiée par l'usage qu'elles font chaque jour des services publics allemands.

Contrairement à la règle de l'OCDE, les retraités résidant en France et percevant une pension allemande - ils sont environ 70 000 - sont aujourd'hui imposés en Allemagne ; cette incongruité prendra fin.

Cette convention est un témoignage de l'amitié franco-allemande. Elle contribuera à la prévention de l'exil fiscal, via les nouvelles règles sur l'imposition des plus-values et dividendes. Il est dommage seulement que la convergence fiscale entre nos deux pays soit au point mort. En 2011, le président de la République avait pourtant initié une réflexion utile, que nous serions bien inspirés de prolonger.

Le groupe UDI-UC votera cette ratification. (Applaudissements au centre)

M. Richard Yung .  - En 2005, l'Allemagne a décidé d'imposer les pensions versées à des résidents français. Il a fallu dix ans pour régler ce problème, qui laissait désemparées les personnes concernées. Les sénateurs des Français de l'étranger ont relayé leurs préoccupations, et je salue l'implication du Gouvernement sur ce dossier.

La négociation sur la compensation a été difficile, elle sera finalement de 20 à 30 milliards d'euros par an. La fin de la retenue à la source évitera des démarches lourdes auprès du fisc allemand, véritable labyrinthe, et les résidents français n'auront plus à solliciter de crédit d'impôt auprès du fisc français.

Le groupe socialiste et républicain votera cet accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. André Gattolin .  - Inscrite dans le marbre du traité de l'Élysée de 1963, l'amitié franco-allemande n'a cessé de se renforcer ; elle est sans équivalent en Europe. L'agenda franco-allemand 2020, adopté en 2010, en témoigne encore. Sa dernière démonstration a été la réaction immédiate de la Chancelière et du Gouvernement allemand à la suite des attentats du 13 novembre.

La présente convention fiscale est équilibrée, et sécurise la situation fiscale de nos ressortissants. Ainsi, les retraites ne seront plus imposées que dans leur pays de résidence - la décision allemande de 2005 avait créé un véritable casse-tête.

En Europe, le moteur franco-allemand conserve tout son rôle d'impulsion et d'entraînement. Je souhaite ainsi que notre voisin soutienne notre demande d'évolution de la fiscalité des services culturels en ligne. Dans la passe difficile que traverse l'Europe, la coopération et la solidarité sont plus que jamais indispensables. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Claude Requier .  - Par cet avenant, la France a réussi à maintenir le régime des transfrontaliers imposés en France, en contrepartie d'une compensation financière. La situation des retraités résidant en France et percevant une pension allemande est aussi réglée - on ne pouvait se satisfaire de l'expédient du crédit d'impôt.

Enfin, un accord a été trouvé sur les doubles impositions, l'exit tax pour prévenir l'exil fiscal, et les règles spécifiques aux sociétés immobilières, expertes en optimisation.

Cette coopération volontariste est un exemple à suivre pour l'Europe. Le groupe RDSE votera la ratification.

M. André Reichardt .  - La convention de 1959 a été modifiée trois fois, en 1969, 1989 et 2001. Voici la quatrième, signée le 31 mars 2015, à Berlin, qui sécurise la situation fiscale des salariés transfrontaliers et surtout des 50 000 à 70 000 « retraités d'Allemagne », dont 30 000 vivent en Alsace.

Après 2017, ces retraités ne paieront plus d'impôts qu'en France ; en contrepartie, une compensation sera versée à l'Allemagne. Ils faisaient face depuis quelques années à un imbroglio juridique et administratif insensé. À la suite de l'arrêt de 2002 de la Cour de Karlsruhe, l'Allemagne a décidé en 2005 d'imposer ces pensions, mais les retraités n'ont reçu leur avis d'imposition qu'en 2009... Et n'y ont rien compris.

Il est dommage que ce texte vienne si tard. En 2016, les retraités devront encore déclarer leurs revenus au fisc allemand... Sans parler des arriérés et pénalités réclamés au titre des années antérieures à 2009. Le problème ne sera réglé qu'en 2017.

Les élus alsaciens se sont préoccupés du problème dès 2010 ; une task force créée en 2013 assiste les retraités à répondre aux demandes de l'administration allemande, à laquelle ils ne comprennent rien... d'autant qu'elles sont rédigées en allemand, langue que ne parlent pas forcément des retraités résidant désormais à Carcassonne ou à Pau - - j'en ai eu au téléphone ! De surcroît, le siège de cette administration se trouve au Nord de l'Allemagne... Pour s'y déplacer, bonjour !

Nous comptons sur l'État français pour informer les personnes concernées que les règles changent. À l'échelle locale, une coopération des administrations fiscales serait utile, et pourquoi pas un pôle franco-allemand. Que de difficultés pour faire remonter les problèmes ! Les centres d'impôts sont dépassés par les questions internationales et il n'existe aucune information fiscale dans la langue du voisin...

Je veux enfin redire toute l'importance des liens entre la France et l'Allemagne. À mon tour, j'invite à soutenir ce texte. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Claudine Lepage .  - Cet avenant sécurise la situation fiscale des salariés résidant en France et travaillant en Allemagne, ainsi que les titulaires de pensions allemandes résidant en France. Je suis plusieurs dossiers depuis que l'Allemagne a modifié sa réglementation en 2005, et que 70 000 retraités se voient ainsi imposer une fiscalité plus lourde, n'ayant pas droit aux mêmes abattements qu'en France. L'examen rapide de ce texte par le Parlement permettra de le mettre en application dès 2016.

Le fisc allemand n'ayant commencé à appliquer la nouvelle règle qu'à partir de 2009-2010, il en résulte des arriérés importants, qui illustrent un manque de communication entre les services et les contribuables concernés.

Je souhaite que le dialogue se poursuive, par exemple, sur la double imposition des pensions alimentaires. Enfin, j'évoquerai la situation dramatique de plusieurs dizaines de salariés d'un sous-traitant français d'Airbus à qui le fisc allemand réclame une centaine de milliers d'euros chacun...

Intervention sur l'ensemble

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Monsieur le rapporteur général, les participations dans les trust et fiducies sont bien visées, selon notre interprétation de la convention, qui vise les cessions d'actifs, parts et droits sur les biens immobiliers.

Il était temps que les discussions aboutissent. Mosellan, je connais bien la question des travailleurs et retraités frontaliers ; je crois avoir modestement contribué à régler le problème...

Comme régulariser le passé ? Notons qu'il n'y a pas de double imposition : l'impôt payé dans un pays est déduit de l'impôt dû dans l'autre, mais cela exige des démarches administratives... L'accord ne s'appliquera qu'à partir de l'imposition en 2017 des revenus de 2016, le problème est réel.

L'idéal serait une convergence fiscale européenne, qui n'est sans doute ni pour demain, ni pour après-demain. Pour autant, l'administration, les associations de frontaliers et les élus accompagnent les personnes concernées.

Les conventions de ce type visent en général, selon leur intitulé, à éviter la double imposition. Mais il faut aussi éviter la non-imposition... Je plaide pour un changement d'intitulé...

Des conventions plus conformes aux standards en cours d'élaboration devront être établies. Comptez sur l'énergie du Gouvernement. Nous donnerons le maximum de publicité à cette convention, pour que chacun puisse en bénéficier.

Le projet de loi est adopté définitivement.

(Applaudissements)