Lutte antiterroriste

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste.

Discussion générale

M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi .  - Cette proposition de loi, que j'ai rédigée avec les présidents Retailleau et Zocchetto ainsi que Michel Mercier, est destinée à renforcer les moyens de la justice en matière terroriste, à élargir le champ des incriminations permettant de réprimer le terrorisme, et à faire en sorte que les condamnés pour faits de terrorisme, une fois leur peine effectuée, ne se perdent pas dans la nature.

Face au terrorisme, il faut être d'une fermeté inébranlable, dans le respect de nos traditions démocratiques, des valeurs de la République et de l'État de droit. Les restrictions aux libertés doivent être justifiées et proportionnées.

De nombreuses dispositions ont déjà été adoptées en la matière, notamment pour renforcer les pouvoirs de la police, par exemple la récente loi sur le renseignement. Le terrorisme est multiforme, alimenté par des phénomènes nationaux et internationaux. La situation au Proche-Orient et dans certains pays d'Afrique trouve un écho dans la société française, où l'islamisme radical, porteur de dérives terroristes, est une réalité incontestable. D'où la nécessité de donner un coup d'arrêt aux revendications communautaristes, dans les services publics ou les entreprises : nul ne doit pouvoir s'exonérer du respect de la loi en invoquant ses croyances ou ses origines.

Le Gouvernement proposera demain de prolonger encore l'état d'urgence pour trois mois ; il renforcera les moyens de l'autorité administrative.

Cette proposition de loi, elle, ne concerne que la justice et renforce les pouvoirs du procureur et du juge.

Renforcement des pouvoirs d'enquête du procureur, d'abord. Début 2015, j'avais écrit au Premier ministre pour lui faire les propositions qui se retrouvent dans ce texte.

M. Hubert Falco.  - Très bien ! Vous anticipez...

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Le comité de suivi de l'état d'urgence a constaté combien ces mesures étaient attendues par le Parquet ; François Molins l'a souligné. Il faut assurer la continuité entre l'enquête de flagrance, l'enquête préliminaire et l'instruction. Cette proposition de loi autorise les perquisitions de nuit pendant l'enquête préliminaire, la saisie de données informatiques à l'insu de l'intéressé, et ouvre aux procureurs l'emploi d'outils de renseignement actuellement réservés à la police, comme l'Imsi Catcher ou la sonorisation de lieux privés. (On s'en félicite sur les bancs du groupe Les Républicains)

Le texte crée un délit de consultation habituelle des sites Internet provocant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie, ainsi qu'un délit de séjour intentionnel sur un théâtre étranger en vue d'entrer en relation avec une organisation terroriste. Il exclut les crimes et délits terroristes du champ de la contrainte pénale -  dont je souhaite d'ailleurs l'abrogation.

M. Roger Karoutchi.  - Très bien !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - S'agissant de l'exécution des peines, on ne peut traiter les condamnés pour terrorisme comme les autres (On renchérit sur les bancs du groupe Les Républicains). Il faut donner une base légale aux unités dédiées aux personnes radicalisées ou en voie de radicalisation ; restreindre les possibilités d'aménagement de peine, rendre la libération conditionnelle quasiment impossible pour les condamnés pour actes de terrorisme, afin que la perpétuité réelle soit une réalité (Applaudissements à droite). Il faut rendre possible le prononcé d'un suivi socio-judiciaire, comme le recours au bracelet électronique. (Applaudissements au centre et à droite)

Ce texte, très complet, ne déborde pas du champ de la justice ; il renforce les moyens du procureur, la possibilité de prononcer des peines sévères, l'accompagnement des détenus jusqu'à une libération que nous souhaitons la plus tardive possible et encadrée de précautions, pour éviter la récidive. (Applaudissements à droite et au centre).

M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC). Face au terrorisme, pour enquêter, poursuivre et faire condamner les coupables, il nous faut un droit dérogatoire - il l'est déjà largement. Mais on ne peut se contenter de prolonger indéfiniment l'état d'urgence : le droit commun doit, lui-même, permettre d'agir efficacement. Si l'on ne veut pas que les terroristes gagnent, il faut que la République puisse les anéantir avec les règles de droit commun.

C'est l'objet de cette proposition de loi, qui donne aux magistrats de l'ordre judiciaire les moyens pour mener l'enquête et condamner plus efficacement, et adapte le régime d'exécution des peines.

Nous avons abordé ces questions sans priori, et auditionné les praticiens du parquet, du pôle d'instruction... Les mesures proposées sont celles qu'ils nous ont demandées. Nous pensions d'abord prolonger la durée de l'enquête de flagrance ; ils ont considéré que ce n'était pas le plus efficace. En revanche, l'interruption actuelle de la procédure entre l'enquête et l'instruction est très préjudiciable : nous prévoyons à l'article 1er donc que les mesures techniques prises pendant l'enquête, comme des écoutes, perdurent 48 heures, jusqu'à ce que le juge d'instruction prenne position.

L'article 2 autorise les perquisitions de nuit pendant l'enquête préliminaire ; l'article 3, la saisie informatique des données de messagerie électronique sans l'accord et la présence de la personne intéressées ; l'article 5, l'utilisation par le parquet et le juge d'instruction des Imsi Catchers, de la sonorisation et de la fixation d'images - outils nouveaux nécessaires à l'efficacité de l'enquête.

Trois nouvelles incriminations sont précisées.

Pour les condamnés ayant terminé leur peine, nous avons renoncé à la rétention de sûreté en matière terroriste pour lui préférer une perpétuité réelle - trente ans, incompressibles - et un suivi socio-judiciaire. Il s'agit d'adapter les outils du droit commun à la lutte contre le terrorisme.

Nous prônons un régime d'application des peines plus strict. Le tribunal d'application des peines pourra s'opposer à une libération conditionnelle qui pourrait troubler gravement l'ordre public. Bref, nous avons voulu des règles de procédure pénale conformes aux principes de l'État de droit, mais tenant compte des spécificités de la lutte antiterroriste.

Cette proposition de loi renforce les pouvoirs du juge judiciaire. Il est légitime que les mesures de police administrative, qui visent à prévenir les actes de terrorisme, soient soumises au contrôle du juge administratif, qui est aussi le juge des libertés publiques, il l'a démontré. Mais le juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle, doit aussi voir reconnu son rôle ; même si le Conseil constitutionnel interprète strictement l'article 66 de la Constitution, cette proposition de loi donne au juge judiciaire les moyens d'être pleinement acteur. On ne peut lutter contre le terrorisme en abandonnant nos principes et les fondements de notre vivre ensemble. La commission des lois vous propose donc d'adopter cette proposition de loi. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Il était écrit que ma première intervention devant le Parlement aurait lieu au Sénat. J'y vois un symbole et une invitation. Un symbole, parce que la question, ici, n'est pas partisane : la lutte contre le terrorisme, la défense des libertés imposent l'unité nationale. Une invitation aussi, au dialogue, à la recherche du compromis, à la disponibilité et l'ouverture.

Hélas, nous connaissons tous la question du terrorisme ; nos assemblées ont toujours cherché à perfectionner les lois qui se sont succédé en la matière depuis 2012. Il est logique qu'il faille toujours adapter notre droit, qui va toujours moins vite que l'imagination de ceux que nous combattons.

La loi de 2014 sur le renseignement, après deux autres depuis le début du quinquennat, a donné à nos services les moyens d'agir tout en encadrant des pratiques trop souvent obscures. S'y ajoutent les efforts budgétaires : en janvier 2015, le gouvernement a annoncé 2 680 emplois nouveaux sur trois ans, 950 au ministère de la justice, 1 400 au ministère de l'intérieur, 250 au ministère de la défense, 80 au ministère des finances. S'y ajoutent 425 millions d'euros en moyens de fonctionnement : 181 millions d'euros supplémentaires pour le budget de la justice, 233 millions pour l'Intérieur. Devant le Congrès, le président de la République a annoncé 2 500 créations d'emplois dans la justice, 5000 dans la police et la gendarmerie, 1 000 dans les douanes, et la suspension des suppressions de postes dans nos armées. Ces chiffres témoignent de la volonté de protection qui est celle du Gouvernement. L'objectif, partagé, est de rassembler contre une menace protéiforme, folle, déterminée. Certes, il faut du temps entre le dire et le faire, pour recruter et former, mais former n'est jamais prendre du retard.

L'état d'urgence a été décrété et sera prolongé. Je présenterai demain en Conseil des ministres un nouveau projet de loi adaptant notre procédure pénale aux nécessités de la lutte antiterroriste, dont l'esprit est le même que celui de votre proposition de loi : bien de vos propositions figurent dans le texte du Gouvernement.

Ce débat est l'occasion pour moi de saluer le travail du Sénat dans la lutte contre le terrorisme. Voilà deux ans que je travaille quotidiennement avec Philippe Bas : ensemble, nous avons utilement oeuvré au service de l'intérêt général, animés par le même souci du juste compromis. Je souhaite qu'il en aille de même à l'avenir, car la justice est un bien commun et une oeuvre commune. Si nous avons des divergences d'approche, de débouchés, elles sont plus rares que nos accords.

Je veux aussi saluer le travail déterminé du président Sueur, sa constance, sa pugnacité. (On apprécie à droite et sur les bancs du groupe socialiste et républicain). La voix qu'il porte dans cette assemblée servira les intérêts que défend le Gouvernement.

Vous trouverez toujours chez moi une oreille attentive à toute proposition visant à plus d'efficacité, plus de justice, plus de liberté. Dans l'épreuve qu'il traverse, le pays demande une réponse pénale ferme et des institutions solides.

Nulle captation de bénévolence dans mon propos ; je ne cacherai donc pas nos divergences. Le Gouvernement n'entend pas exclure les délits terroristes du champ de la contrainte pénale. D'ailleurs, le Parquet de Paris a dit son intérêt pour cet instrument. Je défendrai donc un amendement de suppression de l'article 14. (On s'en désole à droite).

De même, l'allongement de la durée de détention provisoire des mineurs soulève des questions de principe que je ne souhaite pas voir aborder de manière parcellaire au détour de ce texte - d'autant que le bénéfice opérationnel serait restreint, vous le savez. Là aussi, je défendrai un amendement de suppression.

Les autres dispositions emportent en revanche notre adhésion, par exemple le suivi socio-judiciaire, la prise en charge psychologique ; les divergences d'écriture n'empêcheront pas de bâtir un consensus, d'autant que nombre des dispositions que vous proposez figurent dans le projet de à venir.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Votons-les dès maintenant !

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Votre texte ouvre et nourrit un débat qui trouvera un premier aboutissement dans le projet de loi de procédure pénale. Notre modèle antiterroriste est propre à la France, j'ai pu le constater en dialoguant avec mon homologue belge : nous avons voulu placer le juge judiciaire au centre de la prévention et de la répression. Je veux rassurer : il n'est pas question de toucher à l'article 66 de la Constitution, selon lequel l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle.

Progressons ensemble sur le chemin escarpé de la protection de notre sécurité et de la défense de nos libertés, qui témoigne de la noblesse de notre tâche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. François Grosdidier applaudit également)

Mme Éliane Assassi .  - M. le garde des sceaux l'a dit : nous sommes tous déterminés à lutter contre le terrorisme. Mais nous nous interrogeons sur l'opportunité de cette proposition de loi, d'autant qu'elle comporte des articles quasi identiques à ceux du projet de loi en préparation...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Nous ne pouvions pas le savoir.

Mme Éliane Assassi.  - Bien sûr... Les attaques du 13 novembre imposent une réponse sans faille de la puissance publique, d'autant que la menace n'a pas faibli. Les terroristes nous tendent un piège politique, disait Robert Badinter. Ce n'est pas par des lois ou des juridictions d'exception que nous défendrons la liberté contre l'ennemi.

Cette proposition de loi élargit les possibilités de perquisition, étend aux services judiciaires - avec un encadrement moindre - les techniques dont disposent les services de renseignement... Le juge d'instruction pourra autoriser une perquisition de nuit par courrier électronique ! On veut aller vite, trop vite.

Le texte crée aussi trois nouvelles infractions, dont le délit de consultation « habituelle » de sites faisant l'apologie du terrorisme : qu'est-ce à dire ? Le séjour, à lui seul, sur un théâtre d'opérations où agissent des groupes terroristes...

M. Roger Karoutchi.  - Quand on va à Raqqa, ce n'est pas pour y faire du tourisme...

Mme Éliane Assassi.  - Cette proposition de loi d'affichage et de surenchère (Protestations à droite et au centre) propose un projet de société déplorable, et voué à l'échec.

Au lieu de répondre aux craintes légitimes de l'opinion publique à coup de lois antiterroristes inefficaces, réfléchissons plutôt à renforcer la coopération internationale !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - D'accord !

Mme Éliane Assassi.  - Je regrette que la commission des affaires étrangères ne se soit pas saisie du sujet.

Assez d'hypocrisie, la question du financement du terrorisme n'est jamais abordée...

M. Roger Karoutchi.  - C'est vrai !

Mme Éliane Assassi.  - Seule la paix garantira la sérénité des peuples, ici et là-bas. L'arsenal législatif, les murs et les barbelés n'empêcheront pas la haine. Il faut désarmer les fous de Dieu.

Cessons d'être complaisants avec les pays du Golfe... (Mme Nathalie Goulet s'exclame), avec la Turquie...

M. Roger Karoutchi.  - On ne peut pas faire la guerre à tout le monde !

Mme Éliane Assassi.  - Nous sommes convaincus de la suprématie des mesures sociales sur la surenchère carcérale qui conduit à des pratiques indignes de la République. Pour combattre la tentation de l'extrémisme, il faut d'abord éduquer, instruire. N'en déplaise à M. Valls, il y a un terreau du terrorisme, semons-y des graines d'espoir et de paix !

Notre droit commun est déjà en pointe pour lutter contre le terrorisme. Nous ne voterons pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. François Zocchetto.  - Dommage !

M. Alain Richard .  - La France est en état de choc. Mais gardons-nous d'y voir une phase passagère : la menace terroriste est installée sur notre territoire. Le terreau existe dans notre société pour des gens qui basculent vers le fanatisme, mais l'impulsion est extérieure : c'est le produit des convulsions qui agitent depuis longtemps le Moyen-Orient. Le défi est durable, cela crée des devoirs à l'État. La France est plus exposée que d'autres, d'où l'effort permanent du Gouvernement et du chef de l'État pour convaincre nos partenaires européens d'être aussi proactifs.

Nous avons voté ensemble la loi antiterroriste de novembre 2014 et la loi sur le renseignement de juillet 2015. Le projet de loi qui sera adopté demain en Conseil des ministres consolidera encore les moyens de l'État pour réagir et prévenir plus efficacement les menées terroristes sur notre sol. Le coeur de ce projet de loi, comme de la présente proposition de loi, est le renforcement des moyens d'enquête confiés au procureur -  sous contrôle d'un magistrat du siège  - où l'effet de surprise est nécessaire. Dans un état de danger permanent, c'est indispensable pour empêcher le passage à des actes meurtriers, y compris à la dernière minute.

Il est légitime que l'opposition nationale apporte sa contribution au débat. Toutefois, des différences d'approche se révèlent et certaines propositions faites ici sont très marquées par l'appartenance politique de leurs auteurs...

Il est également paradoxal de renforcer les prérogatives de l'autorité judiciaire tout en restreignant à plusieurs reprises sa marge d'appréciation, ce qui est un signe de défiance... Nous entendons participer loyalement à cet échange d'idées, que nous voyons comme une étape préparatoire à l'élaboration du projet de loi gouvernemental, mieux achevé, autour duquel nous devrions pouvoir nous rassembler.

J'espère, enfin, qu'un consensus s'exprimera pour renforcer l'indépendance du Parquet en menant à son terme la révision constitutionnelle réformant le Conseil supérieur de la magistrature. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Esther Benbassa - Après les lois antiterroristes de décembre 2012 et novembre 2014, celles de 2015 sur le renseignement et les communications électroniques internationales, l'état d'urgence, puis, dernièrement, la proposition de loi sur l'insécurité dans les transports, c'est au tour de la droite sénatoriale de se lancer dans la compétition législative.

M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi - Ironie facile !

Mme Esther Benbassa.  - Le terrorisme est - il soluble dans la surenchère législative ?

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Non.

Mme Esther Benbassa.  - Aucune de ces lois n'a empêché le terrorisme ni endigué la guerre civile que fomentent les assassins liés à Daech. À Versailles, le président de la République a qualifié les actes du 13 novembre d'actes de guerre. Répond-on à des voyous meurtriers avec des lois ? Ces lois ne servent, dans le meilleur des cas, qu'à couvrir les politiques et à donner à nos concitoyens l'illusion d'être à l'abri... C'est la méthode Coué.

Le terrorisme est un phénomène extraordinairement complexe. Mais le Premier ministre considère que chercher à comprendre, c'est déjà excuser ! (On approuve sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen).

Devons-nous devenir aussi obscurantistes que nos ennemis ? (Exclamations à droite et au centre)

Ce texte, inspiré par le procureur François Molins, donne à la droite l'occasion de montrer à ses électeurs qu'elle ne reste pas les bras croisés ; mais nous, politiques, ne savons pas changer de cap, qui adoptons des lois qui ne décourageront pas les terroristes mais préparent le terrain au Front National.

On est traité de naïf en défendant les libertés ; les historiens dont je suis, ne se laissent pas impressionner : nous n'excusons rien, mais nous craignons des dérives attentatoires aux libertés individuelles.

Une perquisition sans accord de la personne ? C'est problématique. Le nouveau délit de séjour intentionnel en zone de conflit ? Nous devons prendre de la hauteur, sortir des circonstances. Une jeune femme rejoignant les Peshmergas pour défendre la cause des femmes Yezidis, doit-elle subir une peine de cinq ans de prison ? Notre vote dépendra du sort de nos amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe communiste républicain et citoyen)

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

M. Jean Louis Masson .  - La France a été victime d'attentats sans précédent mais la pensée unique empêche de voir les choses telles qu'elles sont, et de rechercher les racines...

M. Alain Néri.  - Tous aux abris !

M. Jean Louis Masson.  - Si tous les Musulmans ne sont pas des terroristes, bien sûr, tous les attentats commis l'ont été par des intégristes musulmans, issus de l'immigration... Des pays sont mis à feu et à sang sous l'influence des djihadistes : du 11 septembre au conflit au Mali, jusqu'au refus de la minute de silence à l'école, il y a un continuum, celui de refus de nos valeurs - c'est le même phénomène qui se manifeste dans les viols en Allemagne cet hiver, encore les Allemands ont-ils, au bout d'un moment, l'honnêteté de reconnaître les choses en osant, après un temps d'hésitation, les nommer, c'est-à-dire désigner les auteurs de ces crimes et délits.

Voix à gauche.  - Caricature !

M. Jean Louis Masson.  - L'avenir de la France est en jeu, par une action contre l'immigration massive, les faux demandeurs d'asile, contre tous ceux qui refusent nos valeurs !

Mme la présidente. - Concluez !

M. Jean Louis Masson.  - Il faut prendre le mal à la racine, contre le radicalisme, ou bien les islamistes prospèreront !

M. Jacques Mézard .  - La première loi contre le terrorisme date de 1986. Sans remonter jusqu'aux attentats anarchistes de la fin du XIXe siècle et d'extrême gauche des années soixante et soixante-dix, depuis lors, une vingtaine de textes ont été pris, généralement après les attentats -  je songe au plan Vigipirate, créé après les attentats de 1995, et toujours en vigueur, à la loi du 22 juillet 1996 qui a instauré le délit d'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste.

Depuis les attentats de New York, Madrid et Londres, notre dispositif législatif en la matière s'est renforcé. L'actuelle majorité n'est pas en reste : deux lois contre le terrorisme depuis 2012, ont accru les moyens d'action de l'administration. Une nouvelle loi est-elle nécessaire ? Ou bien assiste-t-on à une course entre partis politiques du Gouvernement ? Notre arsenal répressif est déjà solide, à condition d'être utilisé...

Seule innovation, l'état d'urgence, que nous ne voulons pas voir pérennisé. Monsieur le Garde des Sceaux, pourquoi tant de défiance envers l'autorité judiciaire ? Hier, fait rare, les plus hautes autorités judiciaires, le premier président de la Cour de Cassation et les premiers présidents de Cours d'appel s'en sont inquiétés, dans une déclaration commune : que va lui répondre le Gouvernement ?

Cette proposition rééquilibrera certes quelques prérogatives du juge judiciaire par rapport au juge administratif : c'est un bon signe, par exemple en matière de flagrance. Cependant, d'autres mesures renforçant le pouvoir du Parquet posent problème : en particulier l'interception de données électroniques ; par des dispositifs de collecte à distance - comme les Imsi Catchers - attentatoires aux libertés car ils enregistrent tout sans discrimination...

M. Bruno Sido.  - Les gens honnêtes n'ont rien à cacher.

M. Jacques Mézard.  - Peut-être, mais cela ne suffit pas, quand il en va de protection des libertés individuelles, de nos principes !

Mme Hermeline Malherbe.  - Très bien !

M. Jacques Mézard.  - Nous avons besoin de moyens supplémentaires contre le terrorisme, pas de moins de droits ! Nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et communiste républicain et citoyen)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Oui, la France est en guerre ; une guerre qui s'est affranchie des frontières, des nationalités - nos ennemis sont en civil et nous sommes tous des cibles. Il faut en tirer les conséquences. Réviser la Constitution ? Oui, mais la portée est symbolique. Proroger l'état d'urgence ? Oui, mais pensons à l'après. C'est ce que nous faisons ici, en tirant les leçons. Janvier n'a pas pu nous prévenir de novembre. Nous ne sommes pas des historiens mais des politiques : nous devons évaluer la menace, elle est intense, et réévaluer nos outils.

En France, onze attentats évités en 2015, c'est considérable ! Tous les continents sont concernés, Daech crache son venin de haine partout, à la conquête du monde, se renouvelant partout - Lénine a dit que « Le communisme, ce sont les soviets plus l'électricité » ; Daech, c'est le califat plus l'internet : une régression - de la pensée - et c'est dans le vide de la pensée que prospère le mal, nous a dit Hannah Arendt.

Face à cette menace, nous devons réévaluer tous nos outils, autrement nous serons dépassés ! (Applaudissements à droite) Nous devons cependant garantir nos libertés individuelles : c'est pourquoi nous avons placé le magistrat du siège au centre du dispositif, aux côtés du magistrat du Parquet.

Nous adaptons notre droit numérique, avec les Imsi Catchers, le délit de consultation habituelle des sites djihadistes.

Deuxième défi : tourner le dos au laxisme, à l'angélisme pénal - nous renforçons les moyens d'enquête, d'investigation, les délais de perquisition, au-delà même de l'état d'urgence, la répression du terrorisme, avec le délit du séjour en pays en guerre. Comment un terroriste pourrait-il bénéficier de la contrainte pénale ? Ce n'est pas possible ! (« Très Bien ! » et applaudissements à droite, ainsi que sur quelques bancs au centre)

Même chose pour la perpétuité réelle : les terroristes doivent réellement rester enfermés jusqu'au terme de leur peine ! (Mêmes mouvements)

Troisième défi, la garantie des libertés individuelles, je suis, nous sommes sensibles aux inquiétudes des plus hautes autorités judiciaires.

Le président de la République, le 18 décembre, appelait au « dialogue avec l'opposition quand elle a des propositions à faire ». Nous y sommes : voici nos propositions, nous sommes au rendez-vous de la responsabilité politique, au service de nos concitoyens, pour leur sécurité et leur sûreté ! (Bravos et vifs applaudissements à droite et au centre)

M. Yves Détraigne .  - La menace terroriste reste forte, nous devons vivre avec, sans panique, sans mettre en cause nos valeurs, mais sans baisser la garde, sans angélisme.

L'état d'urgence était nécessaire, nous l'avons soutenu, mais notre pays ne doit pas rester indéfiniment dans ce régime d'exception. La sortie de l'état d'urgence ne doit pas passer par le maintien de pouvoirs dévolus aux préfets, mais par la réforme de nos outils de droit commun : c'est l'objet de ce texte.

Avons-nous besoin de symboles, comme la déchéance de nationalité, ou de mesures techniques graves comme la perpétuité réelle ? Les premiers n'empêcheront pas les actes terroristes, les secondes, plus probablement.

Ce texte est nécessaire, notre rapporteur nous en a rappelé l'objectif d'efficacité, d'adaptation de notre droit aux évolutions technologiques très rapides. Les nouvelles peines sont également nécessaires dans la situation de guerre que nous connaissons, en particulier la perpétuité effective.

Nous voterons naturellement ce texte important pour la sécurité des Français. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jacques Bigot .  - Notre groupe aurait pu interroger le sens de cette proposition de loi alors qu'un projet de loi est prévu ; mais nous avons préféré en prendre acte, pour un « pré-débat » où vous verrez toutes les qualités de la Haute Assemblée, monsieur le garde des sceaux. Donc nous n'avons pas multiplié les amendements de suppression, nous avons corrigé les propositions excessives en commission avec un certain succès et j'en remercie le rapporteur.

Nous sommes loin des débats sur les écoutes téléphoniques, nous savons faire la part des choses, au service de la démocratie. Il est important de doter nos services de moyens comparables à ceux utilisés par les terroristes.

Cependant, nous pensons que le contrôle préalable du juge judiciaire est nécessaire, ainsi que le débat devant le juge des libertés ou le juge d'instruction. Ce qui n'est pas le cas devant le procureur.

Les perquisitions numériques ? Il faut y travailler encore. Vous proposez de nouvelles infractions pénales, elles ne nous convainquent pas ; nous en débattrons.

Je ne comprends pas monsieur le président l'exclusion de la contrainte pénale dans le cadre du terrorisme : personne ne l'envisage !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - C'est possible !

M. Jacques Bigot.  - Vous vous contredisez à l'article 13....

Enfin, quelle sanction pénale pour protéger contre la récidive ? C'est le rôle du juge de l'application des peines, de la sortie de prison, de la perpétuité. Nous en débattrons.

Merci pour ce moment... de débat ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. François-Noël Buffet .  - À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle : d'abord l'état d'urgence, qui ne va pas durer ; ensuite, l'adaptation de nos outils, avec la loi sur le renseignement, puis avec cette proposition de loi qui renforce les moyens du Parquet, de la police ; c'est utile. En 2015, huit attentats ont été évités sur notre sol.

Le recours aux Imsi Catchers, par exemple, est indispensable ; 48 000 tweets djihadistes seraient postés chaque jour ; il faut en prendre acte, nous donner les moyens d'agir plus rapidement, plus efficacement.

Le combat contre les terroristes, cependant, se mène aussi dans l'exécution de peines : cette proposition de loi la rend plus stricte, plus complexe - en supprimant des mécanismes de réduction de peine -, mieux différenciée à mesure de la gravité des actes, ou à la création d'unités de détention dédiées. Même dans les cas où tout délai est exclu, cette proposition de loi prévoit l'intervention du juge, c'est protéger nos libertés : monsieur le ministre, un simple accord de votre part renforcerait nos moyens contre les terroristes, au service de la République ! (Applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'amendement n°1 n'est pas défendu.

L'amendement n°2 n'est pas défendu.

ARTICLE PREMIER

M. Philippe Bas, président de la commission .  - Le Parlement devrait attendre le projet de loi plutôt que de débattre de sa proposition de loi. Ce n'est pas notre conception de l'initiative parlementaire !

M. Hubert Falco.  - Le Parlement a ses idées.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Oui, et il est de son devoir de les proposer et de les défendre. Le vote que nous allons émettre devra se retrouver dans le projet de loi : si nous adoptons cette proposition de loi, nous serons cohérents sur le projet de loi. Le président du Sénat l'a dit pour la révision constitutionnelle elle-même. (Applaudissements à droite et au centre)

M. François Grosdidier .  - On ne remplace pas l'état de droit par l'état d'urgence... Cependant, nos moyens actuels ne sont pas adaptés dans notre guerre contre le terrorisme. Nous devons donner des moyens à l'autorité judiciaire, pas à l'autorité administrative - en particulier plus de réactivité. Cet article premier est nécessaire.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Monsieur le président Bas, nous ne récusons nullement le droit d'initiative parlementaire ! Dans une lettre ouverte au président de la République, vous vous inquiétez de l'inflation législative, et ce matin vous nous appeliez au consensus -  c'est le sens du groupe de travail confié à Michel Mercier.

Cependant, le jour même où vous annonciez sa constitution, vous présentiez cette proposition de loi lors d'une conférence de presse, assez partisane...(Exclamations à droite) J'appartiens aussi à un parti et à un groupe politique ! Mais ici, un projet de loi arrive bientôt : il y a, à l'évidence, une course à la communication... Nous avons décidé d'en faire bon usage : nous débattrons, mais ne déposerons pas d'amendements - et nous préparerons ainsi notre débat prochain.

M. Jacques Bigot .  - Cette proposition de loi prolonge, pour le porter à quinze jours, l'état de flagrance. La commission prolonge de 48 heures la période pendant laquelle les actes d'investigation en matière terroriste peuvent se poursuivre sous l'autorité du Parquet. Qu'en pense le Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre .  - Le Gouvernement n'en mesure pas l'effectivité. L'intention de cet article est juste, sagesse.

Je reviens à la discussion générale : personne ne propose de revenir sur l'article 66 de la Constitution, qui fait du juge judiciaire le protecteur des libertés individuelles. Le juge administratif n'a pas le même rôle, nous ne jouons pas l'un contre l'autre.

L'article premier est adopté.

ARTICLE 2

Mme la présidente.  - Amendement n°17, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Supprimer cet article.

Mme Esther Benbassa.  - Cet article aligne la procédure de perquisition dans les locaux d'habitation dans le cadre des enquêtes préliminaires sur celle de l'enquête de flagrance afin, notamment, de permettre de réaliser la perquisition sans l'accord et en l'absence de l'occupant. Cette surenchère législative est attentatoire aux libertés individuelles.

M. Michel Mercier, rapporteur.  - Défavorable. S'agissant de cette proposition de loi, nous l'avons rédigée avec Philippe Bas, en nous adaptant à ce que nous ont dit les nombreux magistrats et responsables que nous avons auditionnés. Nous serions de tristes sires de vouloir agir de manière partisane : nous visons l'efficacité, au service de l'intérêt général. Les magistrats nous ont dit que devoir attendre 6 heures du matin pour entrer chez un terroriste qui peut se faire exploser à tout moment, c'est comme annoncer l'heure de sa visite... Il s'agit bien de mesures spécifiques.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Même avis. Dans le projet que je présenterai demain, nous allons dans le même sens que cet article, avec une rédaction nourrie par la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 2004 et la science du Conseil d'État que j'ai la faiblesse de croire meilleure...

M. Jacques Bigot.  - L'article 706 - 90 du code de procédure pénale pose des conditions qui ont été validées par le juge constitutionnel. Mais le juge des libertés et de la détention, qui ordonne la perquisition et peut y assister, y serait-il disposé s'il est placé sous la contrainte de fait du procureur ? Pourra-t-il jouer son rôle de garant des libertés ?

Cet article 2 mérite une autre rédaction.

L'amendement n°17 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

Article 3

M. François Grosdidier .  - Nous sommes face à un ennemi à la conception du monde barbare mais très moderne dans ses techniques. Ses attentats répercutés sur le Net ont le même effet qu'une bombe nucléaire. Il recrute des petits délinquants, et dans les prisons, où les aumôniers manquent. Même des adolescents sans problème ont été enrôlés, à l'insu de leur famille. Le diable se faufile partout. Nous devons nous protéger. Il ne s'agit pas de porter atteinte aux libertés.

M. Alain Richard .  - Cet article nous renvoie à un débat d'ampleur, que nous avions posé à propos de la loi du 13 novembre 2014, dans notre rapport réalisé avec Jean-Jacques Hyest. La saisie des données numériques est très intrusive. Le cadre juridique n'est pas assez précis : il faut plus de garanties procédurales. En l'état actuel, il n'est pas acceptable. La Gouvernement doit poursuivre sa réflexion d'ici à la discussion du projet de loi.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Oui à un quantum des peines mais avis défavorable sur la forme.

La séance est suspendue à 16 h 40.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 16 h 45.