IV- LA RATIFICATION FRANÇAISE

Le processus de ratification française est intervenu tardivement : plus de vingt ans après la signature de la Charte. La loi autorisant l'approbation du traité n'a été adoptée par le Parlement que le 8 juillet 2006 (publication le 10 juillet). Au jour de la publication du présent document de travail, les instruments de ratification n'avaient toujours pas été déposés à Strasbourg, siège du Conseil de l'Europe.

1. L'avis du Conseil d'Etat du 15 décembre 1991

Saisi en 1991 du projet de loi d'approbation de la Charte, le Conseil d'Etat a rendu un avis négatif pour les raisons que l'on peut ainsi résumer : certaines dispositions de la Charte semblaient susceptibles de créer des contentieux, d'autres apparaissaient comme en contradiction avec les pratiques françaises de l'époque. Rentraient dans la première catégorie plusieurs dispositions figurant aux articles 4, 7, 9 et 10 de la Charte.

Dans la seconde, on trouve surtout le dernier paragraphe de l'article 3 relatif à la responsabilité des exécutifs devant les assemblées locales.

D'une manière plus générale, le Conseil d'Etat plaidait pour « la préservation de l'équilibre et du consensus auxquels avaient abouti les premières lois de décentralisation » !

« L'examen attentif des stipulations de la charte -a-t-il précisé - fait, en effet, apparaître que celle-ci comporte en réalité soit des ambiguïtés qui seront source de revendications inutiles, voire de contentieux avec tous les aléas que celui-ci suscite en longue période, soit des règles différentes de celles qui régissent actuellement les collectivités locales, ce qui implique des modifications aux textes en vigueur, alors qu'aucune nécessité ne justifie ces modifications ».

La nécessité de sauvegarder la marge de manoeuvre du Parlement dans un domaine « touchant, de manière essentielle et durable, aux institutions de la République » fut aussi invoquée. « Il n'y a lieu, soulignait-il, de limiter les pouvoirs du Parlement par la voie d'engagements internationaux qu'avec une très grande prudence et pour des motifs impérieux ».

2. L'Acte II de la Décentralisation

Il fut constitué par la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République, la loi organique du 29 juillet 2004 prise en application du nouvel article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales et surtout par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (14 ( * )).

L'Acte II de la décentralisation a notamment consacré sur le plan constitutionnel :

- le principe selon lequel l'échelon le plus pertinent, pour l'action publique, est souvent l'échelon de proximité ;

- le droit à l'expérimentation pour les collectivités territoriales ;

- l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre ;

- le principe de l'autonomie financière des collectivités ;

- l'exigence de correction des inégalités territoriales.

Selon M. Daniel Goulet, rapporteur pour le Sénat du projet de loi autorisant l'approbation de la Charte, ces réformes ont « placé désormais notre pays en totale conformité avec les prescriptions de la Charte, le plaçant même sur certains points à l'avant-garde en matière de décentralisation ».

3. Les déclarations interprétatives

Lors de l'examen par le Sénat du projet de loi d'approbation (octobre 2005), le Gouvernement avait envisagé une déclaration interprétative sur la deuxième phrase du cinquième paragraphe de l'article 9 de la Charte relative à la péréquation. Selon cette disposition, « les procédures de péréquation ne doivent pas réduire la liberté d'option des collectivités locales dans leur domaine de responsabilité. »

Le Gouvernement a finalement renoncé à une déclaration aux termes de laquelle il soulignait que, « selon la République française, les mesures de péréquation des ressources fiscales inégalement réparties entre les collectivités locales peuvent être mises en place, dès lors que lesdites mesures sont définies avec précision quant à leur objet et à leur portée et n'ont pas pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration ».

Au final, le Gouvernement s'est contenté des trois déclarations interprétatives suivantes :

La première concerne le champ d'application de la Charte. L'article 13 de celle-ci prévoit que les principes d'autonomie locale s'appliquent à toutes les catégories de collectivités locales existant sur le territoire de l'Etat signataire sauf droit pour celui-ci de préciser les catégories de collectivités locales ou régionales auxquelles il entend limiter le champ d'application ou qu'il entend exclure de ce champ.

Selon la déclaration gouvernementale, « conformément à l'article 13, les collectivités locales et régionales auxquelles s'applique la Charte sont les collectivités territoriales qui figurent aux articles 72, 73, 74 et au titre XIII de la Constitution ou qui sont créées sur leur fondement. La République française considère en conséquence que les établissements publics de coopération intercommunale, qui ne constituent pas des collectivités territoriales, sont exclus de son champ d'application. »

Sont donc visées, en France, toutes les catégories de collectivités locales existantes, à l'exception des Terres australes et antarctiques françaises, et celles qui pourraient être ultérieurement créées.

En second lieu, s'agissant du deuxième alinéa de l'article 3 de la Charte qui a trait à la responsabilité de l'exécutif local devant l'assemblée délibérante, le Gouvernement a formulé la déclaration suivante : « La République française considère que les dispositions de l'article 3 § 2 doivent être interprétées comme réservant aux Etats la faculté d'instituer la responsabilité, devant l'organe délibérant d'une collectivité territoriale, de l'organe exécutif dont elle est dotée ».

Enfin, le Gouvernement a entendu préserver la gratuité des fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal et le caractère forfaitaire des autres indemnités. Sa troisième déclaration précise que « la République française se considère liée par tous les paragraphes de la partie I de la Charte à l'exception du paragraphe 2 de l'article 7 ».

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* *

La Charte européenne sur l'autonomie locale n'est pas un engagement international « peu normatif ».

Les quarante-trois Etats signataires ont certes des organisations administratives territoriales très variées, façonnées par leur histoire et leur culture politique : des exceptions, des marges de manoeuvre et des calendriers progressifs de mise en oeuvre ont donc été proposés. Mais il ne s'est jamais agi de remettre en cause un processus jugé souhaitable et irréversible vers plus d'autonomie et de démocratie locale.

* (14) Cet Acte II fut précédé par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité et notamment son volet relatif aux conditions d'exercice des mandats locaux largement inspiré, au demeurant, par des propositions d'origine sénatoriale.

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